© Somogy éditions d’art, Paris, 2017 www.somogy.fr
GUIDET & ASSOCIES
GUIDET & ASSOCIES
A
A
V
O
C
A
T
S
V
O
C
A
T
S
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coédition et développement : Véronique Balmelle Suivi éditorial : Justine Gautier Contribution éditoriale : Gaëlle Vidal Conception graphique : Nelly Riedel Fabrication : Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros 978-2-7572-1217-2 Dépôt légal : mars 2017 Imprimé en Union européenne
Couverture : LOUIS CHARLOT La Porte romaine d’Arroux (détail) Huile sur carton, 16 × 24 cm Autun, musée Rolin, inv. CH.219
Quatrième de couverture : ESTELLE NECTOUX Autun, la tour des Ursulines (détail) 1937 Huile sur toile, 65 × 54 cm Collection particulière
Les peintres d’Autun 1900 - 1950
UNE INSPIRATION EN TERRE AUTUNOISE
UNE ÉCOLE DE PEINTURE ENTRE VILLE ET RURALITÉ
LAURENT GAILLARD en collaboration avec FLORENCE AMIEL ROCHETTE et JEAN-LOUIS CHARLOT
Remerciements
- Monsieur Rémy Reyberotte, maire d’Autun, président de la Communauté de communes du Grand Autunois Morvan - Madame Brigitte Chabard, conservatrice du musée Rolin d’Autun - Monsieur Pierre Berthier, maire de Charolles - Monsieur Damien Herlem, directeur de cabinet de Monsieur Reyberotte - Monsieur Jean-Louis Balleret, auteur de De Corot à Balthus, Paris, Cercle d’Art, 1997 - Monsieur Georges Thonet, auteur de Parfums d’Autun, Autun, Imprimerie Pelux, 1987 - Monsieur Thierry Buisson, archiviste, direction culture – événements à la mairie d’Autun - Monsieur Sylvain Dubois, musée Rolin d’Autun - Madame Claudine Massard, musée Rolin d’Autun - Madame Michèle Badia, documentaliste Écomusée du Creusot - Madame Mélanie Roger, Musée du prieuré à Charolles - Monsieur Jean-Pierre Bressoud, fils du peintre Pierre Bressoud - Madame Geneviève Fiot-Thiéblemont, fille de l’aquarelliste Yvone Fiot-Thiéblemont - Madame Denise Leygonie, épouse du peintre Pierre Leygonie - Monsieur Jean-Claude Bligny, artiste peintre - Madame Yvette Baral, membre des Artistes autunois contemporains - Monsieur Jean Casals, président de l’association Les amis d’Albert Montmerot - Madame Nena J. Cano - Monsieur Roger Coiffard, trésorier de l’association Les amis d’Albert Montmerot - Maître Jean-Pierre Besch et Madame Stefanie Marro, maison de ventes aux enchères Besch Cannes Auction, Cannes - Maître Éric Pillon et maître Aubin Leclercq, Éric Pillon Enchères, Versailles - Monsieur Christian Bodiaux, historien de l’art, Bruxelles, Belgique - Monsieur Georges Viaud, président de la Société archéologique et historique du 14 e arrondissement de Paris - Messieurs Claude Félix et Gilles Rollot, Photo club Autunois - Monsieur Julien Vellar, Photo club du Creusot - Monsieur Pierre Loreau, membre de l’association Les amis d’Albert Montmerot - Madame Nella Bielski, écrivaine Un merci particulier à Madame Véronique Balmelle, chargée de coéditions aux éditions Somogy et à la très performante équipe qui m’a accompagné pour l’iconographie, la relecture et la mise en page de l’ouvrage : Madame Justine Gautier Madame Nelly Riedel Madame Gaëlle Vidal Madame Mélanie Le Gros Un grand merci à tous les partenaires économiques, individuels, à toutes les personnes qui m’ont soutenu dans ce projet, et en particulier, toute ma famille proche. Enfin des remerciements très sincères pour les propriétaires des œuvres reproduites.
À John Berger (1926-2017) en souvenir d’une rencontre efflorescente et en remerciement pour son écoute, ses encouragements, et ses précieux conseils
« Dans une société concurrentielle les taux actuellement accordés aux œuvres d’art ont nécessairement comme contrepartie une quantité énorme et anti-économique de défavorisés qui espèrent en vain avoir un jour leur chance. » JOHN BERGER Success and failure of Picasso [La Réussite et l’échec de Picasso], essai traduit par Jacqueline Bernard, Paris, Denoël, coll. « Dossiers des Lettres nouvelles », 1968
5
L’Autunois-Morvan, une autre Sainte Victoire ? N’y aurait-il pas une école de peinture d’Autun ou plus exactement de l’Autunois-Morvan ? Autun ne serait-il pas le Barbizon ou le Pont-Aven d’un autre univers de la peinture, celui des massifs de moyenne montagne dont le Morvan est l’archétype ? Autun ne serait-il pas le berceau de cette lumière particulière et apaisante qui baigne son bassin enserré par ces reliefs à la tombée du jour, si souvent captée avec subtilité par nos peintres ? Autun ne serait-il pas à l’origine de plusieurs vocations de ces artistes actifs au cours de la première moitié du XXe siècle, en raison de ses traditions anciennes de transmission du savoir dans le domaine de l’art ? Autun n’offre-t-il pas par son architecture exceptionnelle issue du Moyen Âge ainsi que par ses vestiges gallo-romains, un attrait particulier pour l’œil des artistes, comme le prouve un dessin de la porte d’Arroux retrouvé à la Tate Britain de Londres, croqué par le grand peintre anglais William Turner, et daté de 1802 ? Quelles sont les relations, quelles sont les filiations ou influences entre tous ces artistes qui se connaissaient et qui ont en ce début du XXe siècle porté jusqu’à Paris les couleurs et les tons chauds de l’Autunois-Morvan aux belles saisons, ou sa représentation figée et immaculée, lorsque la neige vient à en couvrir sa terre et ses arbres engourdis par le froid ? Autant de questions passionnantes à plus d’un titre qui nouent un débat renouvelé et permanent entre les membres de l’association des Amis d’Albert Montmerot et les élus de l’Autunois-Morvan. On ne peut pas ne pas s’interroger à la vue des œuvres si fortes, si remarquables, si bouleversantes de Louis Charlot, d’Albert Montmerot, d’Estelle Nectoux ou de Raymond Rochette, pour ne citer que ces quatre peintres à la renommée bien ancrée et qui firent les grands jours des Salons auxquels ils participaient à l’époque. Mais c’est au total plus d’une quinzaine d’artistes qu’il faudrait citer, avec des talents divers mais qui ne laissent pas indifférents. Ces nuances de vert si particulières au Morvan printanier et estival, du Bassin autunois relevé par ses reliefs environnants, ces couleurs si chaudes du Morvan d’automne, que l’on retrouve d’ailleurs dans les forges de Rochette, ces paysages enneigés où la feuille n’est qu’un vieux souvenir qui renaîtra au printemps, ces carnations des visages qui nous ramènent nos yeux d’enfants, dans cette région à la fois âpre et attachante, ne sont-ils pas l’expression d’un patrimoine artistique commun, finalement plus homogène qu’on pourrait le penser et qui fonde, à partir de Louis Charlot, l’hypothèse d’une école ? Pour traiter de tels sujets, il fallait qu’un amoureux des arts, un vrai, et un amoureux de notre Autunois-Morvan, un vrai, se penche sur ses racines et trouve un temps infini pour travailler. Une chance : Laurent GAILLARD était là, libéré de son activité professionnelle et plus engagé que jamais à réfléchir sur ces sujets, aidé et soutenu par Florence Amiel Rochette, fille du peintre Raymond Rochette, et Jean-Louis Charlot, petit-neveu du peintre. Et quelle réflexion ! C’est un livre de référence, remarquablement illustré, d’une rare qualité, qu’il nous offre pour mieux comprendre notre territoire, ses peintres, son émotion artistique, et donc pour mieux nous comprendre nous-mêmes. Merci pour cet admirable travail, cette qualité littéraire et pour cette porte qui s’ouvre, qui permettra sans doute au milieu universitaire et à la recherche de se pencher d’un peu plus près sur l’hypothèse d’une école de peinture en Autunois-Morvan. Rémy REBEYROTTE Maire d’Autun Président du Grand Autunois Morvan Conseiller départemental honoraire
7
« Le paysage est le lien entre le moi extérieur et le moi intérieur. » BILL VIOLA
Sergines Pont-sur-Yonne
S
E
N
O
Villeneuve-l’Archevêque
SENS
Cerisiers
Yon
ne
Chéroy
N
TROYES
S A I
Saint-Juliendu-Sault MONTARGIS
Joigny
CHAUMONT
Pays d’Othe
Villeneuvesur-Yonne
Brienon-surArmançon
Saint-Florentin
Lo
T O N N E R R O I S Ancy-le-Franc
Yon n
e
Y O N N E
Recey-sur-Ource
Noyers
Coulangesla-Vineuse
Grancey-le-Château
Aignay-le-Duc
Vermenton
in
g
Châtillon-sur-Seine
Laignes
Chablis
E R R O I S
Toucy
LANGRES
e
X
Oua nne
Cruzy-le-Châtel
Tonnerre
AUXERRE
U
Montigny-sur-Aube
S e in
A Bléneau
Seignelay
Aillantsur-Tholon
n ç on
Lignyle-Châtel
S erei n
A6
Charny
O
Flogny-la-Chapelle
urce
Arm a
Migennes
MONTBARD
Yonne
A6
Vézelay
AVALLON
Clamecy
Varzy
Quarré-les-Tombes
Cure
Tannay
Précy-sous-Thil
Brinon-sur-Beuvron
N I È V R E Nièvre
Corbigny
R
oire
Lo
A
S
Aro
Saint-Benin-d'Azy
Moulins-Engilbert
ire
Imphy
Haut-Folin 978 m
Saint-Légersous-Beuvray
La Machine
Sologne Bourbonnaise
I
Bazois
I S
Saint-Jean-de-Losne
Bligny-sur-Ouche
Château-Chinon
n
NEVERS
N
Nuits-Saint-Georges
S
Seurre
Epinac
AUTUN
Nolay
Dheune
Chagny Couches
Verdun-sur-le-Doubs
Givry
ux
Montchanin
Issy-l'Evêque
r
Lo
ire
Toulon-sur-Arroux
Bourbon-Lancy
Mont-Saint-Vincent
Gueugnon
Saint-Gengouxle-National sne
Gro
S A Ô N E - E T - L O I R E
Arc
re
Loi
Marcigny
L A I S A R O C H La Clayette
Matour
Semur-en-Brionnais
Brionnais 20 km
Chauffailles
s
ai
co
E
Cuisery
Montpont-en-Bresse Cuiseaux
Lugny
du
Mâ
Louhans
Beaurepaireen-Bresse
Tramayes
La Chapellede-Guinchay
A6
once
Saint-Bonnetde-Joux Cluny
nts
CHAROLLES
Mo
Paray-le-Monial
lle
B R E S S
Tournus
nn
bince
La Guiche
B o ur
Digoin
Palinges
Montret
Sennecey-le-Grand
et sa peinture MOULINS
Brenne
Saint-Germain-du-Bois
Saint-Germain-du-Plain
Buxy
Montceaules-Mines
Pierre-de-Bresse
Saint-Martin-en-Bresse
CHALON-SUR-SAÔNE
Saô ne
lin Aco
Dornes
Montcenis
Luzy
Saint-Pierre-le-Moûtier
Allie
Le Creusot
Arr
Decize
Saô ne
L’ autunois Mesvres
o
Fours
e aôn
BEAUNE
O
L
Lucenay-l’Évêque Châtillonen-Bazois
Auxonne Ou ch e
Liernais
N
E
Genlis GevreyChambertin
A U T U
is Niverna
V
I Guérigny
Pouilly-en-Auxois
Arnay-le-Duc
u Canal d
Saint-Saulge
Pontaillersur-Saône
DIJON
Chenôve
Tille
Prémery
N
Pouguesles-Eaux
Saulieu
PARC NATUREL RÉGIONAL DU MORVAN
e
La Charitésur-Loire
Yonn
ne
Lormes
Mirebeau-sur-Bèze
Fontaine-lès-Dijon Ouc he
Sombernon
g ourgo
602 m
Pouillysur-loire
C Ô T E - D ’ O R
Vitteaux
l de B na
Donzy
Terre Plaine
Ca
Cosne-Courssur-Loire
Saint-Seine-l’Abbaye
e Bre n n
Puisaye
Fontaine-Française
Is-sur-Tille
Vénarey-les-Laumes Semuren-Auxois
Guillon
Tille
Coulanges-sur-Yonne
Selongey
Baigneux-les-Juifs
L’Isle-sur-Serein
Doub s
Y E I S A U P
Saint-Amand-en-Puisaye
re Cu
Courson-les-Carrières
S a ôn e
Saint-Sauveur-en-Puisaye
Sei
Saint-Fargeau
MACON BOURG-EN-BRESSE
aise
r-Bèze
tailler-Saône
nne
sse
du-Bois
repaireresse
uiseaux
ESSE
Sommaire Avant-Propos
12
La peinture de l’Autunois
16
Les peintres de l’Autunois
17
Liste des peintres représentatifs
18
L’Autunois et sa peinture
20
L’Autunois par Eugène Rouart
21
Le Morvan et l’Autunois : deux environnements qui se côtoient
24
L’Autunois et ses paysages
32
La ruralité
42
La ville d’Autun et ses peintres
56
La ville d’Autun et son enseignement artistique
68
Les autres acteurs de la vie culturelle et artistique autunoise
72
Louis Charlot, chef de file
78
Louis Charlot dans sa relation de maître à élève ses influences, son enseignement (Raymond Rochette – Claude Pallot – Maxime Simon – Lucien Séevagen – Paul-Louis Nigaud)
79
Louis Charlot et Raymond Rochette : une relation privilégiée
88
Louis Charlot et Albert Montmerot
96
Louis Charlot : formations et influences
107
Louis Charlot et la modernité
112
La peinture autunoise et sa représentation à Paris : succès et échecs
120
Le contexte dans l’entre-deux-guerres à Paris : la seconde école de Paris
121
La représentation de la peinture autunoise à Paris : succès et échecs
123
Les lieux d’exposition à Paris : importance et reconnaissance
134
Conclusion
142
Crédits photo
144
Avant-propos
T
VALENTIN DE BOULOGNE Noli me tangere vers 1620, huile sur toile, 134 × 98 cm Pérouse, Galerie nationale
1. SOURCE : Christian Bodiaux, « La notion d’école en Art », Chronique de l’Université de Louvain, UCL, janvier 2003. 2. Vents du Morvan : nos 19 et 42 pour Raymond Rochette ; no 23 pour Louis Charlot ; no 52 pour Yvonne FiotThiéblemont. Bourgogne Magazine : nos 36 et 43 pour Albert Montmerot. 3. Notamment : Rétrospective de Louis Charlot, 2001 ; Un coin d’Atelier, Raymond Rochette, 2013. 4. Jean-Louis Balleret : également auteur de Corot à Balthus (Paris, Cercle d’Art, 1997). 5. École de Crozant : chef de file Armand Guillaumin (Christophe Rameix, L’École de Crozant, les peintres de la Creuse et de Gargilesse, 1850-1950, Saint-Paul, Éditions Lucien Souny, 1991, rééd. 2002. 6. Des Amis d’Albert Montmerot : association créée à Autun en 2001.
rouver des éléments fédérateurs ou de filiation dans les œuvres d’une quinzaine de peintres sur une période allant de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1950, afin de poser la question de la constitution ou non de ce qui pourrait être considéré comme une école autunoise, tient de la gageure et constitue un exercice difficile et périlleux. Comme l’écrivait avec justesse en 2003 Christian Bodiaux, historien de l’art, à propos de la notion d’école, « on trouve des acceptions précises – École de Rouge Cloître –… plus générales – École brabançonne, École flamande –ou assez vagues, touchant à l’abstraction (École belge). Le terme est à manipuler avec prudence, il sert trop souvent de catégorie fourre-tout pour étiqueter les “inclassables”. Son contexte d’utilisation n’est pas indifférent : la scientificité relative des publications doit être prise en compte. Il n’est pas anecdotique de relever le terme dans un catalogue de vente, dont l’un des buts est de séduire l’amateur potentiel, ou dans un ouvrage scientifique1 ». Fort de cet avertissement, il est nécessaire de revenir à la genèse de cet ouvrage. Que ce soit la volonté de se pencher sur cette question exprimée par le maire de la Ville d’Autun et Président de la Communauté de Communes du Grand Autunois, Rémy Reyberotte, ou l’intérêt que suscite encore cette peinture aujourd’hui, il est indubitable que la vie, les rapports entre ces artistes et leur attachement aux paysages et à la vie de l’Autunois constituent une forme encore incertaine d’unicité, qui mérite néanmoins l’attention. Pour aborder ce sujet, il est essentiel de s’appuyer préalablement sur les publications et biographies existantes. Beaucoup d’ouvrages ont déjà été écrits sur les peintres pouvant être regroupés sous cette appellation : des monographies d’époque, comme celle consacrée à Louis Charlot par Georges Lecomte (1926) ou celle plus complaisante de Charles Claude Gaunet pour Albert Montmerot (1943) ; mais également d’autres, sous des formes différentes, reprenant des entretiens avec les artistes eux-mêmes, comme Rochette publié en 1981 et réalisé par François Roche, directeur de la Maison de la Culture du Creusot ainsi que par Françoise Jondot et Gérard Lavoilotte. Des revues comme Vents du Morvan et Bourgogne Magazine2 ont également publié plusieurs articles s’appuyant sur les documents ou témoignages existants. D’importantes expositions ont été proposées avec les catalogues d’accompagnement extrêmement bien réalisés et documentés, par le musée Rolin d’Autun3. L’ouvrage de Jean-Louis Balleret4, Le Morvan vu par ses peintres publié en 2007, réserve beaucoup d’informations biographiques intéressantes sur ces mêmes artistes, fruit d’un travail de recherche important ; il porte non seulement sur les artistes autunois, mais concerne également ceux qui ont peint l’ouest du Nivernais, les bords de Loire, aux confins d’une autre école, celle de Crozant5. Ces publications démontrent (d’autres sont encore à venir) que cette peinture issue d’une tradition paysagiste déjà lointaine constitue toujours un patrimoine bien vivant. Notons également l’existence de l’association des Amis d’Albert Montmerot à Autun6 dont la vocation est de mettre en valeur et de restituer non seulement l’œuvre de cet artiste, mais aussi celles de ceux qui ont peint cette région, et pour la plupart, totalement oubliés. 13
PIERRE BRESSOUD Quartier d’Autun Huile sur toile Collection particulière
La peinture L’ autunois de l’Apeinture utunois et sa
Les peintres de l’Autunois Qui sont-ils ? Ils sont pour la plupart originaires de la région autunoise ou nés dans la ville d’Autun. D’autres occurrences, artistiques, personnelles ou familiales, conduiront ceux qui sont issus de régions différentes, à la rencontre de l’Autunois. Ils peindront ses paysages le temps de leur séjour et continueront parallèlement leur carrière dans diverses régions de France, ou à Paris pour certains d’entre eux. La notion de peinture autunoise fait référence à un groupe – qui trouve sa raison d’être sur une période allant de 1900 à la fin des années 1950 et qui repose sur les critères suivants : une unicité de style, tous sont paysagistes ; une représentation commune et spécifique de la région et de la société au sein desquelles les artistes trouvent leur inspiration ; un chef de file, Louis Charlot, référent et dispensateur de conseils et d’enseignement La Ville d’Autun soutient cette vie artistique animée par le biais d’actions culturelles, sans oublier d’autres domaines que la peinture, créant ainsi un réseau interactif entre ses protagonistes. Aujourd’hui encore, cette tradition de l’exercice de l’art pictural perdure à Autun. Les paysages et la topographie procurent au Bassin autunois sa spécificité. Entouré par les monts du Morvan au nord-ouest et les collines boisées qui surplombent la ville au sud, ce site immémorial aux origines antiques, bénéfice d’une lumière, surtout en fin de journée, qui s’apparente à celle qui baigne les coteaux toscans. L’hiver bouscule tous les codes par un froid sec, cassant, qui métamorphose et fige la terre drapée d’un manteau blanc glacial et ouateux. La neige est dans ce cas indissociable de la représentation picturale autunoise. Circonscrire la notion « d’Autunois » est par conséquent un préalable pour mieux pénétrer le travail de ces peintres. La notion de référent attachée à la personnalité de Louis Charlot donne un éclairage précieux pour une meilleure compréhension de cette peinture. Enfin, le succès pour les uns, l’anonymat pour les autres, notamment dans la « jungle » parisienne avant et après les deux conflits mondiaux, constituent des témoignages probants sur la valeur intrinsèque de cette peinture, qui s’est exprimée en marge, discrètement, au cours d’un siècle en profond bouleversement artistique et de rupture.
17
LA PEINTURE DE L’AUTUNOIS
Liste des peintres représentatifs ÉTIENNE DE MARTENNE (Lyon, 1868 – Paris, 1920) Il a partagé sa vie et sa carrière entre Paris et Autun. Excellent dessinateur et pastelliste. ALICE GRILLOT
peintre à cette époque. Il a fait carrière essentiellement à Paris. LUCIEN LABILLE (Dracy-Saint-Loup, 1887 – La Comelle, 1944)
(Autun, 1877 – Autun, 1969)
Sociétaire des Artistes français, formée aux Ateliers de la Ville de Paris, puis à l’École du Louvre. Élève du peintre historique Jean Paul Laurens, elle aurait dédié une partie de son travail à des œuvres religieuses dont il n’a pas été possible de retrouver la trace. Dans une petite monographie qui lui a été consacrée par Victor Terret, historien local, il est précisé qu’elle a produit de nombreux tableaux représentant l’Autunois. Seuls quelques-uns ont été identifiés. LOUIS CHARLOT (Cussy-en-Morvan, 1878 –
Instituteur et peintre autodidacte. Proche de l’art brut, il est surtout connu pour ses paysages de neige de l’Autunois. LUCIEN SÉEVAGEN (Chaumont, 1887 – île de Bréhat, 1959)
Peintre paysagiste et de marines qui découvrira très tôt son site de prédilection, l’île de Bréhat. Il a peint l’Autunois après la Première Guerre mondiale. Il s’est marié avec une personne originaire du Morvan et a gardé une amitié indéfectible avec Louis Charlot.
Uchon, 1951)
Il est considéré comme le maître et le référent de la peinture autunoise. Son attachement au village d’Uchon, situé à une vingtaine de kilomètres d’Autun qu’il a maintes fois représenté, lui vaudra le titre de « Peintre du Morvan ». Il a bénéficié d’un enseignement à l’École des beaux-arts de Paris et a connu avant la Première Guerre mondiale l’arrivée de la « modernité », notamment celle portée par le cubisme.
PAUL LOUIS NIGAUD (Digoin, 1895 – Autun, 1937)
Il a épousé une fille de commerçante autunoise. Il rencontrera Louis Charlot et se liera d’amitié avec Albert Montmerot qu’il hébergera à Paris. Il a peint l’Autunois, mais son travail a surtout représenté les paysages de l’Yonne, en particulier ceux de la vallée de la Cure. Disparu très jeune, son œuvre commençait à inclure des influences plus modernes.
MAXIME SIMON (Paris, 1879 – Eaubonne, 1941)
Son rapport avec la peinture autunoise est consécutif à l’enseignement qu’il a reçu de Louis Charlot à partir de 1927. Ces deux artistes resteront liés et se retrouveront très fréquemment à Paris. Il a peint également les environs d’Uchon, mais hélas, nous ne disposons pas de tableaux représentatifs de cette période. En revanche, son journal révèle de précieux témoignages sur la vie de 18
YVONE FIOT-THIÉBLEMONT (Autun, 1898 – Montsauche-Les Settons, 1998)
Elle était aquarelliste. Formée à Lyon auprès du peintre Antoine Barbier (1859-1948), elle a peint essentiellement la ville d’Autun jusque dans les années 1930. Elle a suivi son mari en 1926 à Paris et s’est partagée entre la capitale et Montsauche au cœur du Morvan, lui inspirant alors l’essentiel de son œuvre.
CLAUDE PALLOT (Le Creusot, 1901 – id., 1987) Il a peint l’Autunois jusque dans les années 1930 à une époque où il était inclus dans le groupe autour de Louis Charlot. Un différend profond et définitif les a séparés. Claude Pallot a continué sa carrière d’enseignant et de peintre au Creusot et dans ses environs. Sa peinture a connu critiques et reconnaissance. Une qualité incontestable apparaît dans son travail : la captation de la lumière.
matin et rentrait le soir. Son association à la peinture autunoise résulte de l’amitié et des nombreux conseils qui lui ont été prodigués par Louis Charlot. Il a peint l’Autunois tout au cours de sa carrière, mais s’est particulièrement attaché à sa ville du Creusot et à ses environs. Son style évoluera à partir de 1948. Ses œuvres connaissent actuellement un regain de notoriété, notamment ses tableaux d’usine qu’il a pu réaliser à l’intérieur des établissements Schneider du Creusot. PIERRE BRESSOUD
ALBERT MONTMEROT (Autun, 1902 – Couches, 1942) Cet artiste par son authenticité et son attachement indéfectible à la ville d’Autun est le représentant par excellence de la peinture autunoise. Personnage fantasque, attachant, totalement libre, il produira au cours de sa courte carrière, essentiellement des paysages et des tableaux de genre en lien direct avec la vie et la société autunoise. Disparu à l’âge de quarante ans, il fera l’objet de nombreux hommages, en particulier de Louis Charlot. ESTELLE NECTOUX (Mesvres, 1905 – Autun, 1995)
Elle fut la « Comète » de la peinture autunoise. Elle a essentiellement peint l’Autunois et sa ville, tout de suite reconnaissable par son style enlevé et fougueux. La carrière de ce personnage au fort tempérament surnommé « La belle demoiselle », a été trop méconnue, pourtant ponctuée de réels succès dans plusieurs manifestations importantes en France. Elle fut l’amie d’Albert Montmerot. RAYMOND ROCHETTE (Le Creusot 1906 – id., 1993)
il a alterné sa carrière entre peinture et pédagogie. Il a toujours habité au Creusot et n’est allé à Paris que deux ou trois fois une quinzaine de jours lors de ses expositions en galeries. Quant à Autun, il partait le
(Beaune, 1916 – Villeneuve-laGarenne, 1979)
Unique élève d’Albert Montmerot, formé à l’école des Beaux-Arts de Dijon, il se séparera de sa famille suite à un différend et s’installera au début des années 1930 à Autun. Il vouera une amitié sans faille à son mentor. Il réalisera l’essentiel de sa carrière à Paris. Sa production autunoise est celle de ses débuts. ANDRÉ DULAURENS (Autun, 1918 – id., 1988)
Il a conduit une carrière débridée, s’essayant à de multiples styles. Doté d’un excellent talent de dessinateur, il a démontré ses qualités notamment comme illustrateur. Il a peint l’Autunois dans un style très classique et très réaliste, constituant sur ce thème, un œuvre original et talentueux. JEAN CHARLOT (Bourges, 1921 – Uchon, 1970)
Peintre autodidacte, neveu de Louis Charlot, sa carrière en tant qu’artiste n’a jamais connu de développement comparable aux autres peintres de l’Autunois. Il fut attentif aux conseils prodigués par son oncle et a produit plusieurs tableaux de la région. La disparition de Louis Charlot en 1951 a stoppé définitivement sa carrière artistique. 19
ALBERT MONTMEROT L’Autunois sous la neige 1942 Huile sur toile Collection particulière
L’ autunois L’ Autunois et sa peinture
L’Autunois par Eugène Rouart « Que ce bassin large et beau était changeant ; pendant cinq ans1 je le vis chaque jour, et chaque jour je le trouvai plus beau. Jamais je ne suis rentré par la route de Château-Chinon au chemin des Plaines vers ma petite maison paysanne sans émotion ; là, en face du vieux Beuvray vers qui le soleil descendait dans la brume d’automne, où dans la gloire augustal de messidor, toujours mon âme s’est adoucie, et je refoulais mes larmes d’inquiétude et j’oubliais les soucis que me donnait le dur contact avec la vieille société hypocrite pour me laisser bercer par la douce nature. J’aimais éperdument les maigres moissons qui si péniblement nous avions fait venir : les grands bœufs blancs aux prairies fraîches où chantaient la rivière claire et les hauts chênes séculaires de formes fantastiques, aux branches noueuses desquels s’arrêtaient mes rêves de douceur ou d’ambition humaine ; vraiment, même aux heures les plus troubles, ce vieux paysage m’a toujours relevé tendrement2 . »
1. Eugène Rouart est le deuxième fils d’Henri Rouart (1833-1912), un industriel, collectionneur, mécène des artistes avant-gardistes de son époque, et peintre lui-même. Eugène Rouart est resté à la ferme des Plaines de 1898 à 1902. 2. Eugène Rouart, « L’Autunois », Occident, no 25, décembre 1903, p. 266. 3. La ferme des plaines se situe à proximité de la route en direction de Château-Chinon, à quelques kilomètres d’Autun. 4. André Gide et Eugène Rouart, Correspondance II (1902-1936), éd. établie, présentée et annotée par David H. Walker, Lyon, PUL, 2006.
Présenter l’Autunois par la sensibilité d’un homme issu d’une famille placée au cœur de l’impressionnisme est un choix délibéré. Son attachement à cette terre qu’il a maintes fois évoqué ou fait partager rencontre aujourd’hui encore un écho à nos propres perceptions. Quand ce bassin auquel il fait allusion devient le berceau de cette extraordinaire lumière changeante qui baigne tout aussi bien les murs d’enceinte de la ville qu’elle irradie en été l’immense plaine du nord qui s’étire jusqu’à la rivière l’Arroux, l’Autunois offre alors des attraits à peine voilés, à qui veut bien les découvrir. Eugène Rouart (1872-1936) a épousé Yvonne Lerolle le 27 décembre 1898 à Paris, alors qu’il était déjà installé dans l’Autunois à la ferme des Plaines 3. Diplômé de l’École de Grignon qui donnait à cette époque une équivalence à ce que serait aujourd’hui le titre d’ingénieur agronome, il s’associe à l’un de ses condisciples, Déodat Quarré de Château-Regnault d’Aligny. Ce dernier est le fils de Marie Geneviève de Gaulmyn (1841-1926), comtesse d’Aligny par son mari Louis Quarré de Château-Regnault d’Aligny (1834-1923), et héritière de l’hôtel de Millery, 12 rue Notre-Dame à Autun. Dans sa nombreuse correspondance avec André Gide, Eugène Rouart écrira : « J’ai vu Autun, j’y ai pensé une fin de journée à toi et à De Régnier en me promenant sous une énorme avenue de grands hêtres d’où l’on voyait les montagnes estompées par le couchant, et en marchant à travers la grande place pavée, ou dans les rues solitaires, silencieuses, avec de vieux hôtels avec des jardins plein de fleurs ; l’hôtel d’Aligny est extraordinaire, bas avec un perron vieux, plein de mousse, on devrait descendre en se jouant des personnages de Watteau4. » Il entretient des liens affectifs avec Edgar Degas (1834-1917), lequel, fréquentant aussi assidûment la famille Lerolle, jouera un rôle prépondérant dans le futur mariage d’Eugène Rouart avec Yvonne Lerolle. 21
LUCIEN LABILLE L’Autunois sous la neige Huile sur toile, 68 × 82 cm Collection particulière
23
ESTELLE NECTOUX Paysage de neige Huile sur toile, 65 × 81 cm Collection particulière
37
RAYMOND ROCHETTE Vallée du Mesvrin vue de Montadiot 1950 Huile sur bois (aggloméré : isorel), 74,5 × 93,8 cm Le Creusot, Collection Écomusée, dépôt Rochette (inv. D96.1.17) Collection famille Rochette
41
LOUIS CHARLOT La Porte romaine d’Arroux Huile sur carton, 16 × 24 cm Autun, musée Rolin, inv. CH.219
57
61
63
LOUIS CHARLOT La Brume, Uchon 1905 Huile sur carton, 27 × 36 cm Collection particulière, inv. PY.187
Louis Charlot, L’ autunois et sa de peinture chef file
Louis Charlot dans sa relation de maître à élève : ses influences, son enseignement (Raymond Rochette – Claude Pallot – Maxime Simon – Lucien Séevagen – Paul-Louis Nigaud)
77. Léon Bonnat (1833-1922) : peintre français, portraitiste, directeur de l’École des beaux-arts de Paris de 1905 à 1922. 78. Claude Rameau (1876-1955) : peintre paysagiste français. 79. Voir le texte de Jean-Louis Charlot pour l’exposition « Nouveau Regard sur Claude Rameau (1876-1955) », Sancerre, 26 août – 30 septembre 2002. 80. Propos recueillis auprès de Jean Rameau, neveu du peintre, voir Louis Charlot, 1878-1951 : rétrospective, cat. exp. [Autun, musée Rolin, 30 juin – 1er octobre 2001], Autun, musée Rolin, 2001. 81. Ernest Truchot, Huit jours à Uchon. Dessins de Louis Charlot. Guide d’Uchon et ses environs immédiats, ses rochers, ses légendes, ses richesses..., Nevers, impr. E. Truchot, 1949, p. 18.
Comme pour chacune des écoles reconnues comme telles par l’histoire de l’art, la peinture autunoise possède son chef de file. Celui dont l’autorité morale, l’éthique, ainsi que le talent artistique (reconnu par ses pairs) issu de ses dons naturels et de ses formations les plus poussées, notamment par l’enseignement de Léon Bonnat77 à Paris, le placent incontestablement comme le représentant et la référence de cette peinture inspirée par l’Autunois et le Morvan. Si Louis Charlot, né à Cussy-en-Morvan en 1878 (Saône-et-Loire), n’était pas venu découvrir le village d’Uchon avec sa compagne et modèle au cours de l’été 1902, et ne s’y serait pas installé définitivement un peu plus tard après de nombreux allers et retours, la notion d’école autunoise ne se poserait même pas. L’amitié et la vie en commun à Paris qui lient Louis Charlot et le peintre Claude Rameau78 sont très certainement à l’origine de la découverte d’Uchon par Louis Charlot. Claude Rameau rejoint en 1902 son frère à Autun pour des raisons de santé et peint sur le motif les environs autunois jusqu’à Uchon. Il est communément reconnu que Claude Rameau trouvait ces paysages trop austères. Il s’installera quant à lui définitivement en 1920 à Saint-Thibaud-sur-Loire, là où la douceur des paysages lui inspirera l’essentiel de son œuvre. Il sera gratifié du titre de « Portraitiste de la Loire79 » par la critique. Revenu à Paris, il incitera Louis Charlot à venir peindre, plus précisément, à Uchon : « Viens peindre dans ce pays d’Uchon, il répondra parfaitement à ta palette80. » Ce petit village situé à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de la cité éduenne deviendra l’ermitage ainsi que le lieu d’inspiration et de création de l’artiste, dans la seconde partie de son existence et de sa carrière de peintre. La rudesse de ces paysages, puis son emplacement culminant qui permet d’admirer des reliefs lointains comme le souligne Ernest Truchot dans son ouvrage Huit jours à Uchon…, confèrent à ce lieu typique et unique, un attrait magique et solitaire pour l’artiste : « […] La vue s’étend très loin de tous côtés sauf au nord où s’élèvent le Mont Jeu et l’Autunois. Les monts du Morvan se terminent à l’ouest par les collines de Luzy. Plus au sud, ce sont les monts d’Auvergne, les Monts de la Madeleine et les Monts du Charolais. Puis échelonnés en profondeur : le mont St Vincent, le Mâconnais, le Haut Jura et le nord des Alpes. Enfin à l’est, les collines de la Dheune précèdent les monts de la Côte d’Or 81. » Mais également le côté sauvage des environs, la lumière changeante et parfois cristalline ou assombrie par un ciel de plomb en hiver, lorsque par un frimas tout juste supportable la terre se drape d’un manteau ouaté d’une neige onduleuse que pose sur la toile le maître, soucieux de capter toutes les impressions visuelles qu’elle restitue sur l’instant. Cette rudesse climatique, la dureté du lieu et de son habitat, la lande couverte de genêts au crépuscule de la belle saison, cette campagne dépourvue de rivage, 79
ESTELLE NECTOUX Printemps Huile sur toile, 50 × 61 cm Collection particulière
L’ autunois La peinture autunoise et sa représentation à Paris :
succès et échecs et sa peinture
Le contexte dans l’entre-deux-guerres à Paris : la seconde école de Paris
144. La Ruche est une cité d’artistes comptant une soixantaine d’ateliers, située au 2, passage de Dantzig, dans le 15 e arrondissement de Paris.
L’événement tragique de la Première Guerre mondiale, très meurtrier, laissant pour de longues années des traces indélébiles dans la société, mais également dans l’art, constitue à son tour une réelle rupture par rapport aux années de la Belle Époque. La peinture s’est faite discrète avec peu de moyens et un repli sur soi. Nombre d’artistes non mobilisés ont quitté la capitale. Les réseaux artistiques sont coupés tout comme l’échange entre les peintres : les groupes sont atomisés. Les arts plastiques au cours de ces années se traduisent par une juxtaposition des survivances des mouvements éphémères d’avant-garde. Puis se dessine une volonté qui s’affirme peu à peu, d’oublier le fauvisme et le cubisme d’avant-guerre. L’effroyable conflit de la Première Guerre mondiale a laissé des meurtrissures longues à se panser dans la capitale. Les lampadaires sont voilés, les galeries fermées ; les peintres étrangers récemment arrivés ou ceux déjà présents avant la guerre « crèvent de faim » et s’entassent à La Ruche144, près de Montparnasse. L’avant-garde et le modernisme sont stoppés. Leurs acteurs principaux, à l’exception de Pablo Picasso, sont traumatisés ou blessés dans leur chair. L’après-guerre immédiat permet au groupe des cubistes de se retrouver, mais peu de temps avant leur éclatement : la manière de voir diffère même si le style demeure. L’enthousiasme a laissé place à la désillusion. Picasso empruntera le chemin qu’on lui connaît en devenant prisonnier de sa propre personnalité ; il délaissera ses compagnons de route, se laissera entreprendre par la bourgeoisie renaissante et se coupera peu à peu du nouveau foyer de création qui naîtra à Montparnasse dans les années 1920. Paris peu à peu va redevenir une capitale attractive, incontournable pour les nouveaux artistes, en fonction de trois événements structurants : l’immigration massive, la marchandisation de l’art, l’explosion des Salons d’exposition, offrant un champ d’opportunité foisonnant pour tout artiste désireux de montrer ses productions. « Les Années folles » ne dureront qu’une bonne dizaine d’années. De dada au surréalisme jusqu’à l’émergence de la politique dans l’art qui précédera une nouvelle dépression avec la crise de 1929, ces années s’apparenteront à un balancier de l’histoire étrange où tout semble être possible et permis. Ceci n’est qu’une apparence dont s’apercevront rapidement nos artistes autunois venus à Paris à la rencontre, comme tant d’autres, de ce phénomène fougueux et attirant. L’immigration massive que connaîtra la capitale correspond à la fois à un besoin économique après les immenses pertes en vies humaines dues à la guerre, mais également aux effets collatéraux du conflit dans les pays de l’Est de l’Europe : la Révolution russe de 1917 et l’antisémitisme de plus en plus actif dans cette partie d’Europe. Le Paris d’après-guerre est convalescent et se caractérise par la vie de petits ateliers au centre même de la ville, ainsi que par le développement d’usines de banlieue ; Boulogne et Clichy en étant les communes les plus représentatives. Parallèlement, l’arrivée en nombre d’artistes étrangers attirés par Paris bouleversera la vie artistique nouvellement concentrée sur Montparnasse. 121
127
137
Conclusion La question par conséquent demeure : peut-on puiser dans cette peinture des éléments constitutifs d’une école ? Autunoise, Autunoise et Morvandelle ? L’Autunois dispose d’une spécificité qui lui est propre : ses paysages, sa lumière, sa ville, sa ruralité, et sa tradition de l’art et de transmission du savoir. On peut affirmer que sans la concomitance de tous ses éléments, il est fort peu probable que le travail des peintres cités aurait connu cette facture, peut-être même, n’aurait-il pas existé. Le rôle prédominant de Louis Charlot par ses conseils, sa présence, ses critiques averties et sans concession parfois, en propose un schéma possible. Son influence auprès de cet aréopage de peintres est incontestable. Elle peut s’apparenter, sur ce point uniquement, à celle que d’autres chefs de file ont apportée au sein de groupes identifiés, qualifiés par la suite comme appartenant à une école de peinture. Cette notion d’école s’inscrirait dans une période postimpressionniste au sens chronologique du terme, et non pas en référence aux mouvements qui ont suivi. Allant jusqu’à la peinture de Raymond Rochette qui nous est plus contemporaine, elle se caractériserait par un ou plusieurs critères qui évoquent l’Autunois, au-delà de la seule représentation de ses paysages. L’influence du chef de file, les liens artistiques associant plusieurs domaines, l’attachement à la région et la reconnaissance de ceux qui l’ont quittée constituent autant d’éléments permettant d’envisager une unicité artistique identifiable, sans oublier l’apport et l’irrigation de la vie sociale et culturelle de la ville. Mais la peinture autunoise au-delà de ce constat n’a pas apporté d’approches novatrices comme ce fut le cas notamment pour celle de Pont-Aven. Autour des peintres Paul Gauguin, Paul Sérusier ou Émile Bernard, ces rencontres et échanges d’expérience entre eux, dans ce village du Sud Finistère qui aurait pu être un autre, nourrissaient essentiellement des recherches dont l’objectif affiché était de se détacher de l’impressionnisme et de retrouver une âme dans le primitif : certaines ont abouti avec le temps à l’apparition des notions nouvelles, comme le « synthétisme » et le « cloisonnisme ». L’école de Crozant déjà évoquée s’apparenterait au mieux à ce qui constitue la peinture autunoise. C’est un terme générique apparu en 1864 et défendu aujourd’hui encore comme tel. La figure d’Armand Guillaumin (1841-1927) domine dans cette région du Berry qu’il a maintes fois peinte. Elle a été fréquentée par plus de cinq cents peintres en raison de la beauté de ses paysages, mais Armand Guillaumin n’y a jamais enseigné véritablement. 1. Voir avant-propos du présent ouvrage p. 12. 2. Voir l’actuel engouement marchand pour le « Street Art ».
142
Une fois de plus, fort de l’avertissement de Monsieur Bodiaux1, tous les arguments sont à avancer avec prudence. Ce domaine est celui de ceux dont l’habilitation et la compétence pour un tel exercice peuvent s’emparer de cette question qui
entre dans leur domaine d’expertise. Le renvoi de ce questionnement par rapport à l’histoire de l’art et à ses composantes est par conséquent incontournable. Il est néanmoins certain que la peinture autunoise mérite un éclairage nouveau et une mise en valeur de ce véritable patrimoine. Les raisons en sont multiples : en premier lieu, éviter l’oubli. La marche du temps, inexorable, ouvre des perspectives artistiques que l’évolution de la société et les technologies sans cesse en renouveau, poussent vers des expressions où l’art pictural, ayant semble-t-il atteint ses limites extrêmes, s’en voit de plus en plus exclu. Il s’exprime désormais sans renouveau fondamental. L’émotion que suscite la peinture est de plus en plus rare chez les jeunes générations, ouvertes à d’autres sources artistiques, peut-être plus accessibles. La marchandisation évoquée dès le début du siècle dernier a profondément brouillé les pistes pour apprécier à sa juste valeur une œuvre d’un artiste contemporain2. Mais au-delà de ce constat, il est certainement utile, avec méthode et compétence, de revisiter ce qui mérite de l’être dans le travail passé, dès lors que celui-ci est constitutif d’une identité qui est toujours d’actualité et qui se présente comme un relais sur le monde d’aujourd’hui, sur la ville d’aujourd’hui, avec ses valeurs et ses caractéristiques qui sont nécessairement universelles, puisque touchant à la sensibilité humaine. Ce travail n’a pas d’autre ambition que d’ouvrir la voie à des intelligences et à des engouements qui sauront, sans en douter, valoriser, peut-être théoriser, ce patrimoine exceptionnel que présente cette peinture comme elle le mérite, non pas comme une relique du passé, mais comme un message tourné vers l’avenir, venu d’artistes authentiques et talentueux.
143