Maurice Pialat. Peintre & Cinéaste (extrait)

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Pialat peintre Tout est dans le regard. On disait de Monet : « Ce n’est qu’un œil, mais quel œil ! » Je ne suis pas Monet, mais je pense que j’ai un œil. Un film, c’est toujours mon regard. Maurice Pialat

Tableaux et dessins du fonds Maurice Pialat, collection de Sylvie Pialat déposée à La Cinémathèque française


peintre

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14 Maurice Pialat


peintre

Page d’ouverture Sans titre [Autoportrait], huile sur toile, 40,8 x 33 cm

Sans titre, gouache sur papier, 20 x 15,4 cm

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Sans titre, gouache sur papier, 16 x 25 cm


16 Maurice Pialat


peintre

Sans titre, gouache sur papier, 19,4 x 30,8 cm

Sans titre, gouache sur papier, 12,5 x 19,8 cm

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54 Maurice Pialat

… Au début, forcément, la main n’est pas là !

Vous avez fait des études aux Arts-Déco. Était-ce une vocation de jeunesse ? Durant toute une année, j’avais vraiment fait le con, en troisième ou quatrième année, je ne sais plus. J’étais déjà passé en conseil de discipline du fait que je ne foutais absolument plus rien. Ce n’était pas tellement difficile, j’avais rattrapé… Pour te donner une idée, j’avais zéro en maths au premier trimestre, et j’ai été deuxième au second trimestre. Donc je pensais que ça serait facile… Eh bien non, ils ne m’ont pas foutu à la porte, mais fait redoubler. Si mes parents étaient venus me voir, ça se serait sûrement passé autrement… Léopold Senghor était professeur de français et latin, il m’est arrivé souvent de l’avoir comme prof, lorsqu’il effectuait des remplacements. Où était-ce ? À Saint-Maur. Il paraît que c’est un lycée très coté maintenant, mais c’était loin d’être le cas à l’époque. Voilà comment j’ai arrêté mes études, ce qui arrive paraît-il souvent quand on a des parents qui ne s’occupent pas de vous. J’avais un oncle qui me disait : « T’es assez doué pour le dessin, tu devrais poursuivre… » Je suis rentré aux Arts-Déco

pour faire du dessin, assez laborieusement d’ailleurs. J’y suis resté quelques années. Certains de mes copains étaient déjà partis à l’armée, si bien que je faisais des petits travaux à leur place pour qu’ils aient le diplôme. Je ne sais pas s’il vaut quelque chose aujourd’hui. Je faisais ça pour les potes, en oubliant de le faire pour moi. Si bien que je n’ai même pas eu de diplôme. Pour ce que ça vaut ! Pour te donner une idée, par exemple en deuxième année des Arts-Déco, il y avait un ancien sous-officier – cela se faisait souvent à l’époque, dans les écoles ou dans l’administration, de mettre d’anciens militaires à des postes de gardiennage ; le type, qui avait perdu une main – si bien qu’il avait toujours le bras rentré dans la blouse – était déjà une terreur. C’est lui qui dirigeait le lycée ! Je ne blague pas : c’est lui qui dirigeait le lycée. Alors, pour avoir des bonnes notes, on lui apportait du beurre, des grosses mottes de beurre. Voilà le type qui a dirigé les Arts-Déco pendant toute la guerre, toute la fin de la guerre : un type qui acceptait des mottes de beurre…

Vous n’avez donc pas eu ce diplôme ? Ah non ! Je n’en ai eu aucun finalement.


peintre

C’est à cette époque-là que vous avez commencé à peindre ? Oui, je me suis mis à peindre. Les Arts-Déco, ce n’était pas complètement nul ce qu’on y faisait, il y avait des profs éminents. Il y en avait un, très connu, qui avait fait la campagne « Du beau, Du bon, Dubonnet » – il s’appelait Cassandre, et faisait ça par-dessus la jambe. Il y avait d’assez bons peintres également, mais ce qu’il y avait de mieux c’était le dessin. Je me suis mis à faire de la peinture en dehors de l’école. J’ai continué quelque temps, je commençais déjà à exposer. J’ai exposé au Salon des moins de trente ans pendant trois ou quatre ans, qui ensuite a été remplacé par le Salon de Mai. Quand on n’a pas fait au moins cinq ans d’études, on ne peut pas se considérer… Je ne sais pas si vous avez remarqué, dans les expos, dans les œuvres de jeunesse, c’est bien rare que ça commence avant vingt-cinq ans ! On fout tout en l’air au début, forcément, la main n’est pas là ! Vous avez arrêté de peindre, justement quand vous commenciez à avoir un peu cette « main » dont vous parlez ? Vous n’êtes jamais venu rue Rousselet ? Dans votre ancien appartement, si. Il y avait trois ou quatre toiles qui surnageaient, les autres ont toutes plus ou moins disparu. Ah si ! Il y en a encore une, là, cachée derrière une photo ! C’est votre portrait ? Oui, si on veut. C’est vous jeune ? Ouais. J’ai fait des trucs mieux que ça… mais il

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Certificat de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, 1961

aurait fallu travailler encore quelques années. C’était une époque un peu creuse, les profs étaient peut-être bons, mais ce n’étaient pas des peintres. C’étaient des suiveurs, c’était la pleine époque Picasso, Ernest-Pignon…

On peut dire que la peinture était votre première vocation, avant le cinéma ? La peinture, oui. J’ai aussi commencé à faire du théâtre, en amateur plus qu’en professionnel. Ça marchait moins… J’étais trop timide ! Le matin j’allais pointer chez Olivetti, ensuite je me cassais toute la journée, et la nuit je jouais au théâtre. J’ai joué au Théâtre Sarah Bernhardt, chez Hébertot… Non, pas à Sarah Bernhardt, comment il s’appelle ? Celui qui est à côté de l’Arc de triomphe… Au Théâtre Saint-Martin ? Au Théâtre Saint-Martin, oui. J’ai aussi fait des tournées… (Extrait d’un entretien inédit avec Serge Toubiana.)


Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition « Maurice Pialat, peintre & cinéaste » conçue et présentée à La Cinémathèque française - Musée du cinéma, à Paris, du 18 février au 7 juillet 2013. Avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication et du Centre national du cinéma et de l’image animée

En partenariat avec Gaumont

Grâce au soutien de la banque Neuflize OBC et Groupama, Grands mécènes de La Cinémathèque française

avec la participation de Kodak

L’exposition « Maurice Pialat, peintre & cinéaste » n’aurait pu se faire sans le concours et la confiance de Sylvie Pialat et Antoine Pialat.

© Somogy éditions d’art, Paris, 2013 © La Cinémathèque française, 2013 Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Coordination éditoriale : Laurent Lempereur Conception graphique : Valentina Léporé Contribution éditoriale : Karine Forest Fabrication : Michel Brousset et Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros ISBN 978-2-7572-0665-2 Dépôt légal : février 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)


Maurice Pialat peintre & cinĂŠaste

Serge Toubiana


LA CINéMATHÈQUE FRANÇAISE Costa-Gavras, président Serge Toubiana, directeur général COMMISSARIAT DE L’EXPOSITION Serge Toubiana, Florence Tissot assistés de Lucile Tronczyk PRODUCTION Christine Drouin, Prune Blachère SCÉNOGRAPHIE Alexandra Plat et Christelle Lecoeur Graphisme : Emma Brante Éclairage : Philippe Michel, SPEEG + MICHEL et associés AUDIOVISUEL Fred Savioz COORDINATION ET CATALOGUE Sylvie Vallon JURIDIQUE Catherine Hulin, Aurélia Thyreau COMMUNICATION ET MÉCÉNAT Jean-Christophe Mikhaïloff PRESSE Élodie Dufour CATALOGUE Somogy / La Cinémathèque française Direction d’ouvrage Serge Toubiana, Florence Tissot, Sylvie Vallon


remerciements L’exposition et son catalogue sont réalisés à partir du fonds Maurice Pialat dans les collections de La Cinémathèque française et des tableaux et dessins déposés par Sylvie Pialat à La Cinémathèque française. Que soient ici chaleureusement remerciés Sylvie Pialat ainsi que les autres prêteurs, donateurs, et ayants droit, qui ont mis à disposition les œuvres et autorisé leur reproduction : ADAGP AKG Images Centre national du cinéma et de l’image animée Corbis Gaumont et musée Gaumont Institut national de l’audiovisuel Les Films du Jeudi Les Films du Worso Son et Lumière Roissy Films

Nous remercions également tous ceux qui ont contribué, à divers titres, à la réalisation de l’exposition et de son catalogue. La Cinémathèque française : Jacques Ayroles, Frédéric Benzaquen, Marie Bergue, Arzura Flornoy-Gilot, Olivier Gonord, Françoise Lemerige, Isabelle Regelsperger, Régis Robert, Nadine Ténèze, Isabelle Verdière, Cécile Verguin Ainsi que : Jean-Claude Bourlat, Didier Creste, Jacques Fieschi, Pierre-William Glenn, Dorothée Joly, Yves Laumet, Jacques Loiseleux, Dominique Le Rigoleur, Gil Noir, Mélita Toscan du Plantier Nous tenons enfin à exprimer notre profonde gratitude aux partenaires et mécènes de La Cinémathèque française dont le soutien est précieux : Nicolas Seydoux, Sidonie Dumas, Jérôme Soulet, Ariane Toscan du Plantier, Gilles Venhard (Gaumont) Philippe Vayssettes, Carole Tournay (Neuflize OBC)

Ainsi que : Michèle Andreucci, Benjamin Baltimore, Dominique Besnehard, Sandrine Bonnaire, Jean-Christophe Bouvet, Laurence Braunberger, Catherine Breillat, Marie-Laure de Decker, Yann Dedet, Didier Delettre, Bernard Dubois, Etienne George, Martine Giordano, Patrick Grandperret, Nathalie Hubert, William Karel, Willy Kurant, Arlette Langmann, Sylvain Legrand, Géraldine Pailhas, Micheline Pialat, Frédérique de Rémusat, Marie-Florence Roncayolo, Luc Roux, Mireille Tembouret (Le Vestiaire), Bernard Tronczyk, Edith Vesperini, Katia Wyszkop

Thierry Martel, Christian Collin, Sylvain Burel (Groupama) Gilles Duval, Dominique Hoff (Fondation Groupama Gan pour le Cinéma)



Sommaire

Préface

Pialat peintre … Au début, forcément, la main n’est pas là !

Pialat cinéaste Les années galère L’enfance abandonnée Roman familial Retrouvailles avec Gérard Depardieu Il s’appelle Van Gogh et il n’en a rien à foutre L’enfance retrouvée

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La méthode Pialat Pialat dessinait le contour du jardin dans lequel nous jouions

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Nourri de sa présence

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par Jacques Loiseleux par Yann Dedet

Biographie Filmographie Bibliographie

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Préface Par Serge Toubiana

Grâce à Sylvie Pialat, La Cinémathèque française expose les tableaux et dessins de Maurice Pialat, témoignage de la première période de sa vie artistique. Une quarantaine d’œuvres : natures mortes, portraits, paysages, marines et paysages urbains. Dans ce travail sur le motif, on peut déceler quelques thèmes qui reviendront dans certains films, par exemple L’amour existe, ce magnifique court métrage sur la banlieue réalisé en 1960. Ou, dans les tableaux d’enfants solitaires, ce qui deviendra plus tard L’Enfance nue ou La Maison des bois. Sylvie Pialat a aussi fait don à la Cinémathèque des archives du cinéaste : notes, scénarios annotés, projets non tournés, documents, correspondances, photos et affiches. Ces documents accompagnent l’exposition des tableaux et dessins, dix ans après la disparition du cinéaste survenue le 11 janvier 2003. En parallèle de cette exposition, une rétrospective complète des films de Pialat. Ainsi le visiteur découvrira divers aspects méconnus de la vie et de l’œuvre du cinéaste, une œuvre demeurée profondément ancrée dans notre mémoire de cinéma. Maurice Pialat n’était jamais pleinement satisfait de ses films. Il le disait ouvertement, de manière presque masochiste. Comme d’autres, il m’est sou-

vent arrivé d’être face à lui dans la situation paradoxale de défendre ses films. Contre lui. À l’écouter, il y avait toujours quelque chose qui clochait, qui le rendait insatisfait, mécontent. Il disait que s’il avait la possibilité de s’y reprendre, il ferait différemment. Il arrivait aussi qu’il s’en prenne avec véhémence aux acteurs, aux techniciens avec lesquels il entretenait des relations difficiles, ou encore aux producteurs à qui il reprochait de ne pas le protéger ou de manquer d’argent pour financer ses films. Manière de rejeter la faute sur d’autres. Mais, le plus souvent, c’est à lui-même qu’il s’en prenait. Maurice Pialat était un très grand cinéaste contrarié. Si l’on s’interroge aujourd’hui, dix ans après sa mort, sur les raisons de cette contrariété, une réponse paraît possible et plausible. À l’origine, Maurice Pialat a désiré être peintre. En octobre 1942, il s’inscrivit, sur les conseils d’un oncle qui le trouvait doué pour le dessin, aux Arts décoratifs. Pendant quatre ans, jusqu’en 1946, Pialat suit des études, dessine et peint, commence à être exposé dans des salons. Et puis, il abandonne. La vie matérielle est difficile, il a besoin de gagner sa vie. Toute sa vie durant il regrettera d’avoir abandonné si tôt la peinture. Ce remords sera au fondement de sa vie, au fondement de son œuvre.


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Maurice et Sylvie Pialat, sur le tournage de Sous le soleil de Satan, photo Marie-Laure de Decker, 1987


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De cette expérience fondatrice – il a tout juste vingt et un ans en 1946 –, Pialat gardera le sentiment très fort qu’une œuvre, quelle qu’elle soit, n’est jamais finie. Le peintre est toujours libre d’apposer une touche à son tableau. Pourquoi pas le cinéaste ? Cette insatisfaction, qui le travaillera durant sa carrière de cinéaste, provient de cette impossibilité intrinsèque au cinéma de retoucher une œuvre. Une fois terminé, un film est gravé sur pellicule, et il est impensable qu’on y revienne. Pialat en était à sa manière contrarié. À propos de L’Enfance nue, son premier longmétrage réalisé en 1968, un film d’une grande force parce que sincère, à vif, sans graisse, filmé au plus près du personnage de François, l’enfant de l’Assistance publique placé dans des familles d’accueil (interprété par Michel Tarrazon), il dira des années plus tard qu’il n’en était pas satisfait. Sans doute du fait que le film, bien accueilli par la critique, n’obtint pas le succès public espéré. Ce qui est vrai de L’Enfance nue le sera de La Gueule ouverte, autre film magnifique, autre échec commercial. Et plus tard de Van Gogh, un chef-d’œuvre. À propos de chacun de ses films – en tout, une dizaine, onze si l’on ajoute La Maison des bois, le bouleversant feuilleton qu’il réalise pour la télévision en 1970 –, Pialat est dans la position du peintre désirant retoucher son tableau. Le repentir est une attitude absolument comprise et permise en peinture (simplement du fait que l’artiste revient sans cesse sur ses propres motifs), elle ne l’est pas avec le cinéma. De la peinture au cinéma. Il s’écoule vingt ans entre le moment où Pialat cesse de peindre et celui où il réalise L’Enfance nue. Vingt années durant

lesquelles il travaille comme représentant chez Olivetti, fait du théâtre en amateur puis de manière professionnelle, commence à réaliser des courts métrages. Temps long, avant le cinéma. Lorsqu’il aborde le long-métrage, Pialat a dépassé la quarantaine. Il voit comme des rivaux, qu’il envie et qu’il méprise, ceux de la Nouvelle Vague, Truffaut, Godard, Chabrol, Rohmer ou Rivette, qui ont commencé plus jeunes. Le cinéma tel qu’il l’aborde n’est pas le leur. Et inversement. Pialat a vécu, et de sa vie – qu’il estime en partie ratée – il tire l’essentiel de ses sujets. Dans La Gueule ouverte, Nous ne vieillirons pas ensemble, Loulou, À nos amours, et plus tard dans Le Garçu, la dimension du « roman familial » est fortement visible, elle imprègne le cœur du projet artistique. Ces films largement autobiographiques reprennent certains épisodes de la vie de Maurice Pialat, ou de personnes très proches comme Arlette Langmann, qui fut sa compagne en même temps que la coscénariste et la monteuse de ses premiers films. Nous ne vieillirons pas ensemble, avec Marlène Jobert et Jean Yanne, raconte l’histoire d’un couple qui se déchire et se dispute, se retrouve pour se déchirer encore, jusqu’à la rupture. « Tout cela m’est arrivé à moi, j’ai fait le film pour me détacher d’une obsession », disait Pialat. En ajoutant : « Jean Yanne, c’est moi. » La Gueule ouverte est le récit sec et poignant de l’agonie d’une femme atteinte d’un cancer. Philippe, son fils, retourne en Auvergne pour être à son chevet. Roger, le mari, tient une mercerie et continue d’aller boire des verres de vin rouge au bistrot d’en face. L’agonie dure longtemps. Le film est le récit de la mort de la propre mère du cinéaste.


préface

Loulou raconte l’histoire d’amour entre Nelly (Isabelle Huppert) et un loubard (Gérard Depardieu). André, le mari (Guy Marchand), est jaloux et violent. « Je ne suis pas Depardieu, je suis Guy Marchand », dira Pialat en commentant son film qui alterne les moments calmes et paisibles, et d’autres qui laissent éclater la violence et le geste impulsif. À nos amours a failli s’appeler « Les Filles du faubourg », puis « Suzanne », l’histoire d’une jeune fille de seize ans qui « a peur d’avoir le cœur sec ». Le scénario est entièrement écrit par Arlette Langmann, qui raconte sa jeunesse et la vie au sein de sa famille. D’autres motivations sont à l’origine de ses films. Le désir de retravailler avec Gérard Depardieu en est une, très forte. Par exemple, Police, réalisé en 1985. Double, voire triple désir : réaliser un polar, avec Depardieu, et toucher un large public. Deux ans plus tard, ce sera Sous le soleil de Satan, le roman de Bernanos que Pialat rêve d’adapter depuis longtemps. En 1995, Pialat tournera son dernier film, Le Garçu, avec Depardieu, film né du désir de filmer son fils Antoine à peine âgé de quatre ans. Des vies qui se croisent, se font et se défont. Et la mort du père, surnommé « le Garçu », comme il y avait eu la mort de la mère dans La Gueule ouverte. Il y a surtout l’enfant aimé, comme il y avait l’enfant abandonné dans L’Enfance nue. Quelque chose fait retour et se boucle, dans la vie et dans l’œuvre de Maurice Pialat. Au bout du compte, il reste un enfant, Antoine, qui va grandir. Entre Sous le soleil et Le Garçu, il y a Van Gogh, autoportrait en artiste solitaire et incompris. Pialat écrivit seul le scénario, une succession de scènes,

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tels des blocs de récit racontant les trois derniers mois de la vie du peintre à Auvers-sur-Oise. On voit à peine Van Gogh peindre, mais on le voit vivre, entouré de Marguerite Gachet, de son frère Théo, ou de Cathy la prostituée, et néanmoins désespéré. Pialat semble prendre à la gorge le spectateur, pris par le remords de n’avoir pas compris l’art de Van Gogh. Van Gogh revient sur le thème essentiel de l’œuvre de Pialat, la solitude et l’abandon.


Pialat cinéaste La peinture m’aura servi au moins à ça : ne plus avoir de préoccupation « esthétique ». J’ai un œil, je m’en sers et c’est tout.* Maurice Pialat

* Entretien avec Michel Fauré et François Favre, Positif, mars 2004.


cinĂŠaste

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58 Maurice Pialat


PIALAT cinéaste

Page précédente Maurice Pialat Planche-contact de L’Enfance nue, 1968

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Maurice Pialat occupe une place à part dans le cinéma français. Il ne s’inscrit dans aucune filiation, aucun courant esthétique. Tout en étant un marginal ou un solitaire, il s’est néanmoins situé au cœur du cinéma français à partir de la fin des années 60. Et nombreux sont les cinéastes de la nouvelle génération à lui vouer une admiration sincère. Le paradoxe veut qu’il n’ait pas pris part au mouvement de la Nouvelle Vague, dont il était le contemporain. Pialat a réalisé son premier long-métrage, L’Enfance nue, en 1968, à un moment où la vague avait déjà reflué. Le cinéaste avait déjà passé la quarantaine. Il en voulait à Truffaut, Chabrol ou Godard, d’avoir réalisé leurs films avant lui, et fait partie d’une bande alors que lui avait lutté pour s’imposer en solitaire. Contrariée, l’œuvre de Maurice Pialat bouscule les règles ou les modèles. Toute d’un bloc, et faite de blocs, selon des récits souvent chaotiques, jamais linéaires. Tantôt aride et austère (La Gueule ouverte, 1974), tantôt lyrique (La Maison des bois, 1970), elle est traversée par un thème qui l’obsède : l’abandon. C’en est le motif majeur et récurrent. L’autre versant serait le ressentiment, ou le remords que l’on ressent dans chacun de ses films. Rongée de l’intérieur, cette œuvre exprime avec toute sa puissance primitive le doute, l’inquiétude, le mal-être. Souvent des autoportraits à peine déguisés, les personnages des films de Pialat ont le mal de vivre car ils sont abandonnés. C’est vrai du petit François dans L’Enfance nue, ignorant tout de ses origines familiales ; c’est vrai de Jean Yanne dans Nous ne vieillirons pas ensemble, qui ne cesse de craindre d’être quitté par sa maîtresse (Marlène Jobert) ; c’est vrai du petit Hervé, placé dans une famille d’accueil durant la Première Guerre mondiale, dans l’admirable feuilleton La Maison des bois ; et c’est encore vrai de l’abbé Donissan (Gérard Depardieu) dans Sous le soleil de Satan, abandonné de Dieu, en proie au doute et sous l’emprise du diable. C’était aussi vrai de Suzanne, la jeune fille qu’interprétait Sandrine Bonnaire dans À nos amours, dont le père (Pialat lui-même) décidait un soir de quitter le foyer. Et Jacques Dutronc dans Van Gogh ? Lui aussi est seul. Dans le cinéma de Pialat, la solitude est partout. Elle est là comme un poison. Une douleur rayonnante.



68 Maurice Pialat

Carte de visite de Roger Pialat, père de Maurice

Maurice Pialat, Autoportrait, dessin sur papier

Roger Pialat devant sa boutique Ă Montreuil

Maurice Pialat Ă dix-sept ans, 1942


82 Maurice Pialat

Lettre de Pathé Journal refusant le projet L’Enfance nue, Marcel Bertrou, 1962

Lettre de François Truffaut adressée au Centre national de la cinématographie (CNC), confirmant la coproduction de L’Enfance nue, 1967

Maurice Pialat et Arlette Langmann au festival de Venise où est sélectionné L’Enfance nue en 1968


L’enfance abandonnée

Affiche de L’Enfance nue, René Ferracci, 1968

Michel Tarrazon dans L’Enfance nue, 1968

83

Maurice Pialat et Claude Beausoleil, chef opérateur, sur le tournage de L’Enfance nue, 1968


Roman familial 101

Affiche française de Nous ne vieillirons pas ensemble, René Ferracci, 1972 Affiche polonaise de Nous ne vieillirons pas ensemble, René Mulas, 1972

Affiche de La Gueule ouverte, Roger Boumendil, 1974

Maurice Pialat, sans titre, dessin, 20,9 x 26,9 cm


102 Maurice Pialat

Nathalie Baye, Jean-François Balmer, Farid, Jacques Villeret, Hubert Deschamps, Philippe Léotard

et Monique Mélinand sur le tournage de La Gueule ouverte, 1973

Philippe Léotard et Monique Mélinand dans La Gueule ouverte, 1973

H. Deschamps, M. Mélinand, N. Baye et P. Léotard dans La Gueule ouverte, 1973


Roman familial 105

Affiche de Suzanne, titre envisagé avant À nos amours, photo William Karel, 1983

Page ci-contre Maurice Pialat et Évelyne Kerr dans À nos amours, photo William Karel, 1983 Maurice Pialat et Sandrine Bonnaire sur le tournage de À nos amours, photo William Karel, 1983

Valérie Chassigneux dans Passe ton bac d’abord, 1978

Affiche de Passe ton bac d’abord, Covillault, 1978


112 Maurice Pialat

Maquette prÊparatoire de l’affiche de Police, Benjamin Baltimore, 1985


120 Maurice Pialat

Polaroid rĂŠalisĂŠs sur le tournage de Van Gogh, avec Jacques Dutronc et Alexandra London


le cinĂŠaste 123

Affiche de Van Gogh, photo Luc Roux, 1991


L’enfance retrouvée 129

Affiche du film Le Garçu, photo Marie-Laure de Decker, 1995

Extrait de dialogue du film Le Garçu


la mĂŠthode pialat 133

Planche-contact de À nos amours, 1983



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