Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Coordination et suivi éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Suivi éditorial : Salomé Dolinski Conception graphique : Gilles Beaujard Contribution éditoriale : Anne-Marie Valet Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros © Somogy éditions d’art, Paris, 2017 © Ville de Nice, 2017 © Adagp, 2017 pour Arman, Victor Brauner, Roger Broders, Louis Cane, Noël Dolla, Raoul Dufy, Camille Hilaire et Bernard Villemot © Succession Yves Klein c/o Adagp, Paris, 2017 © Succession H. Matisse ASTÉRIX®- OBÉLIX® / © 2017 LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ/ GOSCINNY – UDERZO
© Vasco Ascolini, Krikor Bédikian, Baptiste Carluy, Cai Studio Archives, ESA / NASA / Thomas Pesquet, Jacques Henri Lartigue - ministère de la Culture – France / AAJHL, Paul Louis, fonds Norbert Huffschmitt, Olivier Monge (MYOP), Claude Nori, Martin Parr (Magnum). © Compagnie Internationale des Wagons-Lits/Paris Lyon Méditerranée © Droits réservés Jules-Henri Lengrand © Droits réservés Antoine Sartorio Avec les aimables autorisations de l’Acadèmia Nissarda, de madame Andrée Gatti et de la famille Lucarelli. En couverture : Costume de bain (maillot, culotte) « Étoiles du Sud », 1930, tricot de laine au point de jersey, Paris, musée des Arts décoratifs Faune dansant hellénistique, époque augustéenne, bronze, 26 cm, musée d’Archéologie, site de Cimiez Création graphique : © Marcel Bataillard, droits réservés Jean Gilletta, Vue sur Rauba Capèu, vers 1930, photographie, 27 x 36,5 cm Nice, bibliothèque du Chevalier de Cessole ISBN 978-2-7572-1285-1 Dépôt légal : juin 2017 Imprimé en Union européenne
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NICE À L’ÉCOLE DE L’HISTOIRE MASSENA_P1-137_DEF10_05.indd 3
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CHRISTIAN ESTROSI Président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur Président de la Métropole Nice Côte d’Azur
PHILIPPE PRADAL Maire de Nice
Préface
On ne se rend pas toujours compte à quel point Nice a été et demeure un laboratoire fécond pour la création artistique de notre temps. Nombreux ont été les artistes du XXe siècle à y séjourner plus ou moins longuement et à y être profondément influencés par la puissance des paysages et la vivacité de la lumière que cette ville offre à celui qui la parcourt. En 1947, après l’exil à Amsterdam auquel l’avait contraint le nazisme, Max Beckmann séjourne à Nice et y réalise l’un de ses chefs-d’œuvre, Promenade des Anglais in Nizza, aujourd’hui accroché aux cimaises du Museum Folkwang à Essen. Au même moment, c’est un artiste que certains jugent, à tort, plus « décoratif », Raoul Dufy, qui ne cesse de peindre et de repeindre des scènes de la vie niçoise dans lesquelles il s’obstine à représenter la Jetée-Promenade, pourtant détruite par l’occupant en 1944. Mais c’est naturellement Henri Matisse, figure lumineuse du XXe siècle français, de son premier séjour à Nice en 1905, puis de résidence en résidence, jusqu’à sa mort en 1954, qui devait faire de Nice sa ville et y accomplir une part essentielle de son œuvre, notamment la grande entreprise des « papiers découpés » par laquelle il a révolutionné l’art du XXe siècle. On aurait pu imaginer que les mutations démographiques et sociologiques de l’après-guerre allaient interrompre cette familiarité de la ville avec la création. Il n’en fut rien. C’est à ce moment-là en effet que naissait ce que les historiens de l’art devaient appeler l’« école de Nice », école qui comme l’infini de Pascal est « un cercle dont le centre est partout, la circonférence nulle part ». Cette école allait marquer, autour de quelques personnalités exceptionnelles, celles d’Arman, de Ben, César, Claude Gilli, Yves Klein, Robert Malaval, Claude Pascal, Martial Raysse, Bernar Venet…, une nouvelle manière de penser l’art, une nouvelle manière de faire de l’art. Ce n’est pas sans raison qu’à l’ouverture du Centre Pompidou, en 1977, une exposition fondatrice proposait au public un premier bilan de ce qu’avait été l’école de Nice. Sans se limiter à son efflorescence des années 1950 et 1960, cette école devait ensuite connaître d’infinis rebonds, intégrant dans son aire généreuse de nouvelles personnalités et parfois même de nouveaux personnages. Peu de villes, hormis Paris, bénéficient, de ce fait, d’une telle densité artistique que souligne, aujourd’hui, le tissu des ateliers d’artistes, des galeries, des lieux d’exposition et des établissements d’enseignement artistique, comme l’École municipale d’arts plastiques – Villa Thiole et la Villa Arson, héritière de l’ancienne École nationale des arts décoratifs. Il est donc tout à fait légitime que, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la naissance symbolique de l’école de Nice sous l’impulsion d’Arman, Klein et Pascal, la Ville de Nice consacre sa programmation estivale bisannuelle à l’école de Nice, sous le titre générique de Nice 2017. École(S) de Nice. Cette initiative permet d’associer à l’exposition du MAMAC intitulée À propos de Nice : 1947-1977 une exposition du musée Masséna, Nice à l’École de l’histoire, dédiée aux moments où Nice a été, de façon exemplaire, à l’école de l’histoire du monde. Pendant la même période, le 109, lieu de résidence d’artistes et espace de création installé par la Ville de Nice dans les anciens abattoirs, accueillera The Surface of the East Coast. From Nice to New York. En outre, la galerie des Ponchettes présentera Noël Dolla. Restructurations spatiales. L’ensemble de ces expositions est placé sous le commissariat général de Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, et coordonné par Olivier-Henri Sambucchi, conservateur en chef du patrimoine, directeur général adjoint des services de la Ville de Nice pour la culture et le patrimoine. Ce programme ancré dans le cœur de l’expérience artistique niçoise du XXe siècle ouvre une large fenêtre sur la profondeur historique et préhistorique de son existence. Celle-ci invite à réfléchir à la place que les villes prennent dans l’histoire du monde et à mieux apprécier le caractère singulier de cette cité à la fois célèbre et méconnue qu’est Nice.
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Yves Klein, Victoire de Samothrace (S 9), œuvre originale créée en 1962, édition posthume 1973, éditée par la galerie Karl Flinker, Paris, œuvre créée d’après la Victoire de Samothrace du musée du Louvre, pigment pur et résine synthétique sur plâtre montés sur un socle en pierre, 52 x 24,5 x 24 cm, Nice, MAMAC
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JEAN-JACQUES AILLAGON Commissaire général de Nice 2017. École(S) de Nice
Avant-propos
C’est la troisième fois que le maire de Nice veut bien me confier le commissariat général d’une programmation estivale réunissant, sous le même thème, un nombre plus ou moins important de musées de la Ville. En 2013, cette programmation s’appuyait sur le cinquantenaire du musée Matisse ; en 2015, elle prenait le parti de la candidature de Nice à l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial. Se sont ainsi succédées Un été pour Matisse, en 2013, et Promenade(S) des Anglais, en 2015. Chaque fois, il m’a été agréable de prendre en compte la richesse du tissu des musées de Nice, musées municipaux – ils sont au nombre de treize – mais aussi institutions nationales, comme la Villa Arson ou le Musée national du message biblique Marc-Chagall. C’est en 2015 que ces manifestations ont connu leur plus forte extension puisqu’elles ont fédéré les initiatives de treize établissements, au risque peut-être d’une certaine dispersion de l’attention. Quand nous nous sommes interrogés, Olivier-Henri Sambucchi, conservateur en chef du patrimoine, directeur général adjoint des services de la Ville de Nice pour la culture et le patrimoine, et moi-même, sur l’orientation de la programmation de cette année, nous sommes rapidement convenus qu’on ne pourrait pas, en 2017, ne pas traiter du soixante-dixième anniversaire de la création présumée de ce que l’histoire de l’art a désigné, non sans parfois une certaine imprécision, comme l’« école de Nice ». Cette école, même si son évocation renvoie sans cesse aux questions de sa chronologie, de sa singularité, de la liste de ses membres, de l’identification de ses théoriciens, existe pourtant bel et bien, au point que le Centre Pompidou naissant lui a consacré, en 1977, une exposition reprenant le titre d’une œuvre cinématographique célèbre et pionnière de Jean Vigo, À propos de Nice (1930). C’est donc de façon totalement évidente qu’il nous est apparu que l’« exposition amirale » de 2017 devait être celle que présentera le MAMAC, sous le commissariat de la nouvelle directrice de cet établissement, Hélène Guenin, dont j’ai pu, alors qu’elle exerçait au Centre Pompidou-Metz, aux côtés de Laurent Le Bon, les fonctions de responsable du pôle programmation, mesurer les qualités. Il nous a semblé pertinent que la programmation de 2017 soit concentrée sur un moins grand nombre de sites, de façon à donner plus d’intensité à chacune des expositions. Celles-ci se déploieront donc dans quatre sites : le MAMAC, sur deux étages du bâtiment et dans son extension, la galerie des Ponchettes, le musée Masséna, sur la totalité du dernier étage de la villa, et le 109. L’exposition du MAMAC constituera véritablement un point d’étape dans la réflexion sur l’école de Nice. Celle du musée Masséna évoquera quelques moments majeurs de l’histoire où le destin de Nice a dialogué avec l’histoire du monde, où Nice, en quelque sorte, s’est mise à l’« école de l’histoire » en y contribuant avec originalité et souvent même de façon déterminante. Enfin, prenant acte du souhait du 109, dont la Ville de Nice a fait un laboratoire de la création en lui affectant les installations et les bâtiments de l’ancien abattoir, de présenter pendant l’été une exposition intitulée The Surface of the East Coast. From Nice to New York, consacrée au mouvement Supports/ Surfaces, nous avons décidé d’associer cette manifestation à la programmation. Elle constitue une seconde contribution à la réflexion sur l’influence des artistes niçois, ou ayant travaillé à Nice, sur le mouvement international de la création. Elle permettra au visiteur, après avoir vu Nice à l’école de l’histoire dans un palais aristocratique de la fin du XIXe siècle, puis À propos de Nice : 1947-1977 dans le bâtiment du XXe siècle qui ferme la perspective du jardin de la promenade du Paillon, de s’aventurer, un peu plus à l’est de la ville, dans des quartiers plus industrieux, pour y découvrir un formidable bâtiment de l’ère industrielle, réservé désormais à un usage artistique et culturel. Le visiteur, en revenant vers le bord de mer, s’arrêtera enfin à la galerie des Ponchettes et pourra y admirer l’exposition Noël Dolla. Restructurations spatiales qui donnera un coup de projecteur sur le travail pionnier de ce grand artiste niçois, issu de Supports/ Surfaces, qui, de façon extrêmement originale, s’est emparé du matériau que constitue le paysage.
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Louis Cane, Grand olivier, 2002, bronze doré peint, 54 x 29 x 34 cm, collection particulière
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L’histoire de Nice plonge ses racines dans la plus haute préhistoire. Il y a 400 000 ans, l’Homme, sur une plage du site de Terra Amata, inventait le feu. Quelques siècles avant notre ère, une autre invention allait bouleverser le destin de Nice, l’invention de la Méditerranée par les Grecs, qui fondent sur le rivage niçois une implantation qui devait s’avérer durable, celle de Nikaia. La puissante Rome va faire de Nice une cité romaine, Cemenelum, qui fixe le destin urbain de cette ville, désormais la cinquième de France. Autour de Cemenelum se forme un territoire qui court de la mer à la montagne, la province des « Alpes Maritimae » dont le département actuel porte toujours le nom. Les civilisations celto-ligures autochtones se fondent peu à peu dans ce nouveau cadre. Le brassage qui s’opère alors dessine un trait de caractère singulier et durable de la ville, celui de la rencontre des cultures que le cosmopolitisme du XIXe siècle redynamisera de façon spectaculaire. La christianisation du territoire niçois est l’une des autres aventures de la culture européenne dont Nice est acteur et témoin. Des « Invasions barbares », quand l’influence des Wisigoths et des Ostrogoths se dispute son territoire, jusqu’au rattachement du comté de Nice à la France, Nice ne cesse de balancer entre les systèmes politiques de l’Ouest et ceux de l’Est, entre le Royaume et l’Empire, entre la Provence et la Savoie, puis le royaume de Piémont-Sardaigne, puis entre la France et l’Italie. Nice acquiert ainsi le caractère d’une ville de marche, d’une ville frontière, mais aussi d’une ville de rencontres et de confluences. De 1760 à 1960, la cité et son développement spectaculaire manifestent la puissance d’un phénomène de civilisation nouveau, l’« invention du tourisme ». Apparaît ainsi une ville nouvelle dont Nice propose l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial. Le siècle présent et son cortège de malheurs, jusqu’au terrible attentat du 14 juillet 2016, marquent le destin de la ville avec gravité, sans éteindre sa « joie de vivre », pour reprendre le titre d’une œuvre célèbre d’Henri Matisse, qui a accompli une bonne partie de son œuvre à Nice.
Présentation
Ce catalogue accompagne l’exposition Nice à l’école de l’histoire présentée au musée Masséna du 23 juin au 15 octobre 2017. En contrepoint de l’exposition du MAMAC À propos de Nice. 1947-1977 qui évoque un moment de l’histoire de l’art où Nice a « fait École », l’exposition du musée Masséna explore, sur la longue durée, les principales séquences où l’histoire de Nice a été le témoin de l’histoire du monde.
Cette exploration de quelques millénaires d’histoire de Nice constituera aussi son musée imaginaire, un musée où se rencontreront des chefs-d’œuvre de toutes les époques. JEAN-JACQUES AILLAGON Commissaire de Nice à l’école de l’histoire
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Atelier Helmschmiedt (Lorenz, Kolman et Desiderius), Guilde d’Augsbourg (Allemagne), Escofia (dite) de Charles Quint, début XVIe siècle, acier ciselé doré, 42,5 x 8,4 x 23,4 cm, Nice, musée Masséna Charles Quint s’installe dans les environs de Nice en 1538, avec le projet d’y rencontrer François Ier, sous l’impulsion du pape Paul III. Il n’y aura jamais de rencontre tripartite.
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Cet ouvrage est publié en coédition avec la Ville de Nice à l’occasion de l’exposition Nice à l’école de l’histoire présentée au 2e étage du musée Masséna du 23 juin au 15 octobre 2017 dans le cadre de la programmation Nice 2017. École(S) de Nice. Le commissariat général en est assuré par monsieur JeanJacques Aillagon, président de la Mission pour la candidature de Nice à l’inscription par l’Unesco sur la Liste du patrimoine mondial. Jean-Jacques Aillagon remercie tout particulièrement Christian Estrosi, président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de la Métropole Nice Côte d’Azur, et Philippe Pradal, maire de Nice pour la confiance qui lui a été faite en lui confiant la responsabilité de cette manifestation. Commissaire : Jean-Jacques Aillagon Assistant du commissaire : Aymeric Jeudy Scénographie : Kristof Evrart Conception graphique : Marcel Bataillard Production : Direction des Musées : Pierre Brun Musée Masséna : Jean-Pierre Barbero Équipe technique : Yannick Mocquais Il associe à l’expression de sa gratitude le Cabinet du président et du maire ainsi que la Direction des Relations publiques de la Ville de Nice. Il exprime ses remerciements à la Direction générale adjointe des Services de la Ville de Nice pour la culture et le patrimoine et à son directeur général adjoint, OlivierHenri Sambucchi, conservateur en chef du patrimoine. Il adresse ses remerciements chaleureux à l’équipe de la Mission Nice Patrimoine mondial dont la direction est assurée par François Laquièze et particulièrement à Geoffrey Loucheur. 10
Le commissaire exprime sa reconnaissance à l’équipe du musée Masséna et particulièrement à Eliane Facelina, Cécile Massot, Dominique Milair et Claude Valery. Jean-Jacques Aillagon, commissaire, et le musée Masséna tiennent à remercier
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les collections publiques et privées dont les prêts ont rendu possible l’exposition Nice à l’école de l’histoire . Institutions publiques et privées Agliè (Italie), Polo Museale del Piemonte, Castello di Agliè Aix-en-Provence, musée Granet Ajaccio, musée des Beaux-Arts, palais Fesch Antibes, musée d’Archéologie d’Antibes Boulogne-sur-Mer, Archives municipales Charenton-le-Pont, Donation Jacques Henri Lartigue, ministère de la Culture et de la Communication Conches (Suisse), Fondation Humbert II et Marie-José de Savoie Fréjus, Musée archéologique Grasse, musée d’Art et d’Histoire de Provence Grasse, Musée international de la parfumerie Grasse, paroisse de Grasse Saint-Honorat, cathédrale Notre-Dame de l’Assomption Grasse, Ville de Grasse Hyères, Association Fêtes d’art Lyon, musée des Beaux-Arts Marseille, musée des Beaux-Arts, palais Longchamp Marseille, musée d’Histoire de Marseille Menton, musée de Préhistoire régionale Monaco (Principauté de Monaco), Musée naval de Monaco Mougins, musée d’Art classique de Mougins Nice, Archives historiques du diocèse de Nice et des Alpes-Maritimes Nice, Archives départementales des Alpes-Maritimes Nice, basilique-cathédrale Sainte-MarieSainte-Réparate Nice, Confrérie de la Très Sainte Trinité et du saint suaire, chapelle du Saint-Suaire Nice, Holy Trinity Nice, église anglicane Nice, Observatoire de la Côte d’Azur Nice, paroisse de Notre-Dame Auxiliatrice, église Notre-Dame Auxiliatrice Don Bosco Nice, paroisse Saint-Jérôme, église Jeanne d’Arc Paris, Centre Georges-Pompidou, MNAM-CCI Paris, Institut national de l’audiovisuel Paris, ministère des Affaires étrangères et du Développement international, Archives diplomatiques
Paris, Mobilier national Paris, musée des Arts décoratifs Paris, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais Paris, Musée national de la marine Paris, musée Marmottan Monet Piacenza (Italie), Musei Civici di Palazzo Farnese Reims, musée des Beaux-Arts de Reims Stuttgart (Allemagne), Mercedes-Benz Classic Archives & Collection Tende, Musée départemental des Merveilles Toulouse, musée Saint-Raymond, musée des Antiques Troyes, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie Turin (Italie), Palazzo Madama, Museo Civico d’Arte Antica Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon Collections particulières Enrico Bestagno, Louis Cane, Bruno de Cessole, Alain Isoard, Patrick Le Nezet, José Maria, Claude Pallanca et l’ensemble des collectionneurs ayant souhaité garder l’anonymat . Par ailleurs, les collections des musées municipaux et équipements culturels de la Ville de Nice ont été amplement sollicitées. Le commissaire remercie très chaleureusement leurs conservateurs et leurs équipes : Direction des Musées et autres équipements culturels : Pierre Brun Bibliothèque du Chevalier de Cessole : Geneviève Chesneau Centre universitaire méditerranéen : Catherine Kosanic Musée d’Archéologie de Nice : Bertrand Roussel Musée d’Art moderne et contemporain : Hélène Guenin Musée des Beaux-Arts Jules-Chéret : Anne Stilz Musée Masséna : Jean-Pierre Barbero Musée de la Photographie Charles-Nègre : Marie-France Bouhours Muséum d’Histoire naturelle : Olivier Gerriet Palais Lascaris : Sylvie Lecat Musée Matisse : Claudine Grammont Musée d’Art naïf Anatole-Jakovsky : Anne Stilz
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Direction des Bibliothèques : Françoise Michelizza Bibliothèque municipale à vocation régionale Louis-Nucéra : Françoise Michelizza Bibliothèque patrimoniale Romain-Gary, Christophe Prédal Direction du Patrimoine historique, Archéologie et Archives et Service des Archives municipales et métropolitaines : Marion Duvigneau Service Archéologie : Fabien Blanc-Garidel Direction du Cinéma : Odile Chapel Direction de l’Opéra : Éric Chevalier Jean-Jacques Aillagon, commissaire, et le musée Masséna remercient également les artistes suivants dont les œuvres sont présentées dans l’exposition : Baptiste Carluy, Louis Cane, Cai Guo-Qiang, Noël Dolla, Claude Nori, Vasco Ascolini, Olivier Monge et Martin Parr Jean-Jacques Aillagon, commissaire, et le musée Masséna remercient Sylvie T. pour sa contribution graphique à l’exposition. Jean-Jacques Aillagon, commissaire, et le musée Masséna tiennent aussi à remercier les personnes qui, à divers titres, ont participé à la réalisation de l’exposition Nice à l’école de l’histoire : Son Altesse Royale la princesse Marie-Gabrielle de Savoie Monseigneur André Marceau, évêque de Nice Robert Adelson, Thomas Aillagon, Luc Albouy, Sébastien Allard, Jean-Louis Andral, Michel Angella, Laurence Argueyrolles, Catherine Arnold, Martine d’Astier, Charles Astro, Évelyne Auer et la Maison Auer, JeanMarc Ayrault, Thierry Balereau, François Banvillet, Hervé Barbaret, Stella-Maris Bardallo, Bernard Bardo, Jean-Paul Barety et l’Acadèmia Nissarda, François Baroin, Marina Le Baron-Sarasa, Stéphane Bayard, Émilie Bayle et la Maison Florian Philippe Bélaval, Corinne Bélier, Sylvain Bellenger et le Museo di Capodimonte, Alex Benvenuto, Olivier Bergesi, Éric Bertino, Claire Bernardi,
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Mélanie Bernuz, Karine Berthaud, Éric Bertino, Maryse Bertrand, Emmanuel Besnard, Enrico Bestagno, Nadim Beyrouti et « Oliviera », Éric Blanchegorge, Évelyne Blanc-Ganin, Bernard Blistène, Eva Bodinet, Alain Bo Haro, Nathalie Bolot, Hélène Bon, Laurence Bonnel et la Galerie Scène ouverte, Christian Borghese, Emmanuel Bosca, Alain Bottaro, Philippe Bouchet, Stéphane BoudinLestienne, Jean-Michel Bouhours, Gilles Bouis, Dora Boumediene, Nadine Bovis, Thierry Breuil, Rachel Brishoual, Christelle Brothier, Yvan Brugière, Monique Cabour, Julia Camboly, Martin Caminiti, Vincent Campredon, Stéphanie Cantarutti, Stéfania Capraro, Patrick de Carolis, Marie-Sophie Carron de La Carrière, Laurence des Cars, Valérie Castera, Hubert Cavaniol, Marc Ceccaldi, Élisabeth Chauvin, Béatrice Chéhu-Souvignet, Élodie Ching, Éric Ciotti, Yann Codou, Guy Cogeval, Jean Coisne, Isabelle Collet, Deborah Copeln Philippe Costamagna, Sophie Costamagna, Christine Coulomb, Dominique Counord, Catherine Coutant, Yves Cranga, Guido Curto, Frédéric Cuvillier, Olivier Delahaye, Yann Delaunay, Éric Delaval, Catherine Delot, Sébastien Delot et le LaM, Catherine Derra, Séverine Desclaux, Mathilde Despois, Christian Devleeschauwer, Anne Dopffer, Perrine Dubois et les Éditions Albert René, Élise Dubreuil, Henri Dumont, Clémence Durst, Kristian Eley, Bruno Ely, Laurence Engel, Dominique Escribe, Virginie Estève, Christine Etienne, Francesca Fabbri, Chloé Fargier, Gwenaëlle Fossard, Jean-Pierre Fournet, Aline Fournier, Dominique-Helen Francoia, Rebecca François, Olivier Gabet, Catherine Gachet, Sylvie de Galleani, Pierre-Antoine Gatier, Andrée Gatti, Aurélie Gavoille, Sylvaine Gaysinski, Cyril Geley, Luc Georget, Olivier Ghiringhelli, José Giannuzzi, Antonella Gigli, Alice Ginsberg, Zeev Gourarier, Alain Grandieux, Marie Grasse, Alessandra Guerrini, Christophe Guglielmo, Jean-Claude Guibal, Vincent Guigueno, Saliha Haddad, Gerhard Heidbrink, Saïda Herida, Norbert Huffschmitt, Nadia Imbert-Vier, Akiko Issaverdens, Père Peter Jackson, Claudine Jacquet, Anne Jolly, Robert Jourdan, Marion Julien, Yves Kinossian, Judith Kiraly, Effie Koch, Odile de Labouchère, Frédéric Lacaille, Laurence Lachamp, Thierry Lanz, Stéphanie Lardez, Serge Lasvignes, Perrine Latrive, Fanny Lautissier, Brigitte Leal, Laurent Le Bon, Sylvie Lecat, Julie Lecoeur, Colette
Leone, Jean Leonetti, Christophe Leribault, Marie-Rose Liuzzi, Michel de Lorenzo, Adrien et Andrée Lucarelli, Georges Magnier, Olga Makhroff, Sophie Malville, François Mandelli, Brigitte Mandrino, Lucien Mari et l’Acadèmia Nissarda, José Maria et le Club cartophile des Alpes-Maritimes, Bruno Martin, Caroline Martinaux, Jean-Luc Martinez, Marianne Mathieu, Silvia Merlo, Jean-Luc Moudenc, Richard Montout, Camille Morando, PierreElie Moullé, Rania Moussa, Brigitte Musumarra, Yves Nacher, Isabelle Nathan, Jean-Louis Navarro, Barbara Nepote, Patrick Le Nézet, Patricia Nunzi, Alexis Obolensky et l’Association cultuelle russe orthodoxe de Nice, Marie-Claire Oddo, Frédérique OlivierGhauri, Claude Pallanca, Jean-Louis Panicacci, Mathilde Pannetton, Leisa Paoli, Michel Pasqualini, Véronique Pédini, Catherine Pégard, Thomas Pesquet et l’Agence spatiale européenne, Alain Peyrot, Guillaume Picon, Giusy Piérard, Lucien Dominique Pignon, François Pinault, Vincent Piot et la Maison Nicolas Alziari, Laura PippiDetrey, Peggy Podemski, Elyse Poignant, Alessandra Pope, Béata Potron, Ireneusz Pyzik, Olivier Quiquempois, David Rachline, Sylvie Ramond, Jérôme Reber, Gérald Remy, Charles-Antoine Revol, Xavier Rey, Julie Reynes, Marie-Pierre Ribère, Isabelle Richefort, Arnaud Robinet, Giovanni Rondanini, Chantal Rouquet, Giovanni Saccani, Laurent Salomé, Sylvia Sandrone, Christophe Sarale, Lionel Sarale, Béatrice Sarrazin, Béatrix Saule, Didier Schulmann, Gio Sergi et l’organisme de défense et de gestion de l’Appellation contrôlée de Bellet, Henrique Simoes, Jean-Pierre Simon, Marsha Sirven, Véronique Sorano-Stedman, Roselyne Souaidia, Floriane Spinetta, Régine Splingard, Eva Stein, Stéphane Tallon, Pierre Tardieu, Julie Tartois, Cédric Teisseire, Emmanuelle Terrel, Véronique Thuin, Bernard Toulier, Charles Turcat, Évelyne Ugaglia, Claude Valéry, Laurent Vallet, Luc Vandenhende, Yvette Vanneste, Laurent Védrine, Roberto Lo Verde, Brigitte Verrier, Jérôme Viaud, Patricia Viscardi, Chrystelle Vollekindt, Katrine Winther et Miguel Zugaza
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AUTEURS DU CATALOGUE Marco Aimone Fellow of Dumbarton Oaks, Byzantine studies
Aymeric Jeudy Chargé de Mission auprès de Jean-Jacques Aillagon, Président de la Mission pour la candidature de Nice à l’inscription par l’UNESCO sur la Liste du patrimoine mondial
Hervé Barelli Fabien Blanc-Garidel Docteur en archéologie médiévale et moderne, Université Paris I Panthéon-Sorbonne Conservateur du Patrimoine & chef du service d’Archéologie Nice Côte d’Azur Alain Bottaro Conservateur du Patrimoine aux Archives départementales des Alpes-Maritimes Henri Bresc Professeur émérite d’histoire du MoyenÂge, Université de Paris Ouest-Nanterre Quitterie Cazes Maître de conférences HDR en histoire de l’art médiéval, Université de Toulouse Jean Jaurès/Framespa Isabelle Collet Conservateur en chef au Petit Palais Lise Damotte Attachée de conservation du Patrimoine Archéologue-Céramologue au Service de l’Archéologie de Nice Côte d’Azur Henry de Lumley Membre correspondant de l’Académie des Sciences et de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres Directeur de l’Institut de Paléontologie Humaine Fondation Albert Ier Prince de Monaco Bruno Dumézil Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre 12
Corentin Dury Conservateur stagiaire au sein de l’INP Claudine Grammont Directrice du Musée Matisse de Nice Docteur en Histoire de l’Art, Andrew W.Mellon Curatorial Fellow
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François Laquièze Directeur de la Mission pour la candidature de Nice à l’inscription par l’UNESCO sur la Liste du patrimoine mondial Marie Lavandier Conservateur général du Patrimoine Directrice du musée du Louvre-Lens
Jean-Paul Potron Responsable du pôle Recherches et Inventaire, Ville de Nice Rédacteur en chef de la revue Nice Historique Yann Rivière Ancien membre de l’École française de Rome Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales Brigitte Rollier Ancienne Directrice du Muséum d’histoire naturelle de Nice
Sylvie Lecat Conservateur en chef du Palais Lascaris
Bertrand Roussel Directeur du Musée d’Archéologie de Nice Docteur en Préhistoire
Marianne Mathieu Adjointe au directeur du musée Marmottan Monet Chargée des Collections
Ralph Schor Agrégé de l’Université, docteur ès Lettres, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Nice Sophia-Antipolis
Laurence Mercuri Maître de conférences en histoire et archéologie grecques, Université de Nice Sophia-Antipolis, CNRS, UMR7264 CEPAM
Michel Steve Architecte Responsable du pôle Architecturerénovation, Service des Autorisations d’urbanisme et permis de construire
Andrea Merlotti Direttore del Centro studi della Reggia di Venaria Stéphane Morabito Docteur en histoire ancienne Attaché territorial de conservation du patrimoine Adjoint au chef de service – service d’archéologie Nice Côte d’Azur Jean-Paul Pellegrinetti Professeur en histoire contemporaine à l’Université Côte d’Azur et Directeur du Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (CMMC EA 1193) Directeur de publication de la revue Études Corses Coordinateur (2012-2016) d’un programme de recherche financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) sur le thème : Identités et cultures en Méditerranée. Les élites politiques de la Révolution française à la Ve République.
Véronique Thuin Docteure en histoire, agrégée de l’Université Bernard Toulier Conservateur général honoraire du Patrimoine Jean-Didier Urbain Professeur émérite à la Sorbonne, Université Paris-Descartes, département SHS Docteur en anthropologie sociale, Enseignant en Sciences du Langage, Linguistique et Sémiologie de la Culture
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L’INVENTION DU FEU Introduction, Jean-Jacques Aillagon À l’origine de la domestication du feu, Henry de Lumley Biface de Terra Amata, à la rencontre du « paléodesign », Bertrand Roussel Pierre à feu, Henri Matisse, Claudine Grammont Feu d’artifice à Nice, le casino de la Jetée-Promenade, Raoul Dufy, Marie Lavandier Cahier d’œuvres L’INVENTION DE LA MÉDITERRANÉE Nikaia, Jean-Jacques Aillagon Nice dans la colonisation grecque, Laurence Mercuri Plat à figures rouges, Lise Damotte et Stéphane Morabito Méditerranée, Aristide Maillol, Isabelle Collet La Palais de la Méditerranée, hymne moderne à l’héliotropisme estival, Bernard Toulier Callistoctopus macropus ou poulpe tacheté, Brigitte Rollier La Cueillette des oranges à Cimiez, Berthe Morisot, Marianne Mathieu Cahier d’œuvres Mare nostrum, Jean-Jacques Aillagon L’INVENTION DE LA CITÉ La cité, Cemenelum, Jean-Jacques Aillagon La naissance d’une cité, Yann Rivière Tête de guerrier d’Entremont, Lise Damotte et Stéphane Morabito Masque de Silène, Stéphane Morabito Masque tragique, Paul Tissier, Sylvie Lecat Cahier d’œuvres Le territoire, Jean-Jacques Aillagon Cahier d’œuvres
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Entre Provence et Savoie, Henri Bresc François 1er et Charles Quint se réconcilient sous l’impulsion du pape Paul III, Sebastiano Ricci, Hervé Barelli Portrait de Louise-Marie-Christine, Princesse de Savoie, Auguste de Creuse, Andrea Merlotti Cahier d’œuvres L’INVENTION DU TOURISME Introduction, Jean-Jacques Aillagon Les premiers rendez-vous de Nice avec la mondialisation, XVIIIe siècle-1914, Ralph Schor La promenade des Anglais, Angelo Garino, Jean-Paul Potron Ombrelle, Alain Bottaro La Reine Victoria sur la promenade des Anglais, Roger Broders, Véronique Thuin De la saison d’hiver à la saison d’été, François Laquièze Les premières régates à Nice en 1879, Achille Clément, Aymeric Jeudy Étoiles du Sud, Jean-Didier Urbain Le soleil toute l’année sur la Côte d’Azur, Roger Broders, François Laquièze Cahier d’œuvres
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NICE À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE Introduction, Jean-Jacques Aillagon Nice dans l’histoire contemporaine, Jean-Paul Pellegrinetti Cahier d’œuvres
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Liste des œuvres exposées Bibliographie
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Sommaire
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L’INVENTION DE L’EUROPE Le ciment de la foi, Jean-Jacques Aillagon La croisée des mondes : entre Antiquité et Moyen Âge, Bruno Dumézil Fibules à tête d’aigle de Desana, Marco Aimone Colonne de l’ancienne église Notre-Dame la Daurade à Toulouse, Quitterie Cazes Chapiteau de la cathédrale de la colline du Château, Fabien Blanc-Garidel Retable de saint Jean Baptiste, Jacques Durandi, Corentin Dury Église Sainte-Jeanne-d’Arc, Michel Steve Cahier d’œuvres L’émergence des nations, Jean-Jacques Aillagon
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Page 14 Vincent Fossat, aquarelle exécutée pour le compte de Jean-Baptiste Barla, Chamaerops humilis (Linnaeus, 1758) et Trachycarpus fortunei (Hook.) H.Wendl, palmier nain et palmier de Chine , 1840, 32,4 × 21,5 cm Nice, Muséum d’histoire naturelle
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DU FEU
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L’« invention du feu » fut déterminante pour le cours de l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas sans raison que tant de romans, de bandes dessinées, de films se sont attachés à l’évocation de cette conquête. Ainsi, La Guerre du feu, récit de J.-H. Rosny Aîné édité au début du XXe siècle, est adapté, avec le succès que l’on sait, à l’écran par Jean-Jacques Annaud, en 1981. Le XXe siècle révélera que Nice avait été l’un des hauts lieux de cette invention. Un foyer domestique a en effet été retrouvé sur le site urbain de Terra Amata, au pied du mont Boron, à peu de distance du port Lympia, à l’occasion d’une fouille préventive menée, en 1966, par le professeur Henry de Lumley. Datant de - 400 000 ans, ce site devait s’avérer l’un des plus anciens mis au jour en Europe, avec ceux du Menez Dregan, en Bretagne, et de Bilzingsleben, en Allemagne. Si la découverte du site de Gesher Benot Ya’aqov, sur les rives du Jourdain, faisait remonter à - 800 000 le premier foyer humain et qu’une équipe espagnole exhumait en 2016 le foyer de Cueva Negra, qui datait de la même époque, tout donne à penser qu’il s’agissait là de foyers dont le feu d’origine naturelle avait été domestiqué et non de foyers intentionnellement produits par la mise en œuvre de moyens mécaniques. Pour autant, un fait demeure incontesté, le feu, sa domestication, sa production, son usage donc, figurent parmi les plus anciennes avancées de l’Homo erectus. Le feu lui a permis de se chauffer, de se protéger, de mieux se nourrir et, plus tard, de fabriquer des outils sophistiqués. Dès cette entrée en scène de l’humanité, dans ce qui est encore sa préhistoire, Nice est déjà présente à ce rendez-vous. Il a pour décor cette Terra Amata qui donnera son nom au roman (1967) de J. M. G. Le Clézio, né à Nice en 1940. De la même façon, c’est dans le feu encore que beaucoup d’artistes de l’école de Nice ou issus de cette école puiseront la manière d’une nouvelle façon de créer. Ce seront les chalumeaux d’Yves Klein, les crémations d’Arman, les fumées de Noël Dolla. C’est sans doute par une lointaine réminiscence de l’acte fondateur qui s’est produit à Terra Amata que le feu restera, sous la forme du feu d’artifice, l’un des symboles de la fête niçoise et de sa joie de vivre, jusqu’à ce que, le 14 juillet 2016, un acte d’une barbarie inouïe vienne en ternir les joyeux éclats. JJA
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Yves Klein et l’architecte Werner Ruhnau derrière un « Mur de feu », entreprise Küppersbusch, Krefeld, 1959, tirage photographique, 150 × 150 cm
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À l’origine de la domestication du feu
HENRY DE LUMLEY
IL Y A 400 000 ANS SUR LA PLAGE DE TERRA AMATA À NICE
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À l’instar de Choukoutien, en Chine, ou encore de Vertesszölös, en Hongrie, le nom de Terra Amata, mondialement connu, désigne l’un des plus anciens sites comportant les traces de foyers aménagés, témoins de la domestication du feu par l’Homme. Il y a 8 à 6 millions d’années, l’émergence de la bipédie a conduit aux prémices de l’hominisation, l’apparition de l’outil, il y 2,6 millions d’années, marque l’arrivée du genre Homo, et c’est vers 1,8 million d’années que l’Homme quitte le berceau africain pour atteindre les portes de l’Europe, en Géorgie. Le peuplement de l’Europe de l’Ouest débute quant à lui à partir de 1,5 million d’années, comme en témoigne la grotte du Vallonnet, à Roquebrune-Cap-Martin, qui a démontré l’existence d’un habitat datant d’un million d’années. C’est sur le site de Terra Amata qu’ont été mis au jour, dans les années 1960, les premières traces d’une domestication du feu, il y a environ 400 000 ans. Il est cependant difficile de savoir comment les hommes ont pu se procurer le feu. L’ont-ils récupéré à la faveur d’un incendie naturel, causé par un volcan ou par la foudre ? Ou bien ont-ils utilisé la friction de deux morceaux de bois ? Quoi qu’il en soit, cette invention fondamentale va profondément marquer l’évolution de l’Humanité. Le site de Terra Amata se trouve sur les pentes occidentales du mont Boron, à l’endroit même où a été aménagé le musée de Paléontologie humaine de Terra Amata, en bordure du boulevard Carnot. Un groupe d’Homo erectus a dû s’arrêter dans la petite crique située sur la rive orientale du golfe du Paillon qui occupait l’espace de la plaine de Nice, alors que la ligne de rivage de la Méditerranée était située vingt-six mètres plus haut que de nos jours. L’endroit est bien exposé, à l’abri des vents du Nord. Au pied d’un talus au sol limono-sableux à forte pente s’étalait une plage de galets rejetés sur le littoral par de violents coups de mer en période de tempête. Là, un grand bloc éboulé, détaché du massif calcaire surplombant, a vraisemblablement attiré le groupe. Ils ont trouvé, à proximité, la petite source d’eau douce qui jaillit au contact des calcaires turoniens, perméables, et des marnes cénomaniènes sous-jacentes, imperméables. Dans le groupe, plusieurs devaient déjà connaître le site. Dans le passé, ils avaient probablement installé leur campement sur ce lieu situé au carrefour de plusieurs biotopes propices au charognage et à la chasse, et ils allaient de nouveau établir là leur campement pour y passer quelques jours. C’est en ramassant sur la plage des bois flottés, charriés par le Paillon et rejetés par la mer sur le littoral, qu’ils ont pu construire une hutte d’environ dix mètres de long par cinq mètres de large, dans une dépression située entre le cordon littoral de galets qui borde le rivage et le talus de limons sableux constitués de sédiments apportés par le vent à une époque beaucoup plus ancienne. Les archéologues qui mettent au jour, en 1966, le fond de hutte au cours d’une fouille de sauvetage, l’appellent « sol d’occupation de l’unité archéostratigraphique P4 » de la sous-unité archéostratigraphique PM sup. Il est daté, à l’aide de plusieurs méthodes – la résonance électronique de spin, la thermoluminescence, le déséquilibre Uranium-Thorium, la biostratigraphie –, de 400 000 ans environ.
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FEU D’ARTIFICE À NICE, LE CASINO DE LA JETÉE-PROMENADE, RAOUL DUFY MARIE LAVANDIER
L’INVENTION DU FEU
Raoul Dufy, Feu d’artifice à Nice,
Raoul Dufy connaissait Nice au moins le casino de la Jetée-Promenade, 1947, depuis son mariage, en 1911, avec la huile sur toile, 66,5 × 54 cm, Nice, musée des Beaux-Arts Jules-Chéret Niçoise Émilienne Brisson. Toutefois, ce n’est qu’à partir de 1926 que la ville va profondément marquer son œuvre. Ce printemps-là, de retour d’un voyage au Maroc en compagnie de Paul Poiret, Dufy semble découvrir Nice, sa lumière unique, et surtout le casino de la Jetée-Promenade, bâtiment de style orientaliste construit sur la baie. Au cours des trois années qui suivent, Dufy en tire quelques peintures magnifiques, où le monument s’inscrit sur de larges plans de couleurs vives apposées en aplats rectangulaires indépendamment des motifs dessinés en noir. Le casino sert de fond à des figures élégantes et des voitures, se flanque de palmiers, rutile de tous ses ors. Ou encore, il se détache de vues d’ensemble de la baie des Anges, saisie en léger surplomb depuis l’Hôtel Suisse. Ces tableaux marqueront le retour au succès commercial pour Dufy, et contribueront à la diffusion de l’image de Nice comme capitale de la Côte d’Azur dans les Années folles, notamment aux États-Unis où ils intègrent rapidement des collections prestigieuses. Mais surtout, d’emblée, c’est autour de ces vues de Nice et de ce motif du casino que se définit ce qui deviendra le style Dufy, cette technique de découplement du dessin et de la couleur, et que s’impose la maturité de son art. Raoul Dufy s’éloigne de Nice à partir de 1930, pour y revenir de manière plus sporadique, notamment en 1933 puis 1940. Pour autant, le casino de la Jetée-Promenade a définitivement intégré le registre de ces quelques motifs qu’il mobilise durant toute sa carrière, souvent d’inspiration marine, coquillages, baigneuses, élégantes, voitures qu’il agence inlassablement dans ses créations, picturales ou décoratives. Parmi eux, un seul bâtiment, le casino de Nice. Ce dernier semble hanter l’artiste, qui ne cessera de le représenter, même après sa démolition durant la Seconde Guerre mondiale. C’est ce monument disparu, et avec lui un monde englouti, que Raoul Dufy peint ici en 1947, veillant sur quelques carnavaliers costumés, à la lueur d’un étrange feu d’artifice tracé en rouge et cerné de noir, telle une fleur géante tranchant sur tous ces bleus et verts. Le croissant de lune et les étoiles, les vagues tracées elles aussi en autant de petits croissants, ajoutent au mystère immobile de l’instant, comme pour conjurer le souvenir de la guerre encore proche. Davantage qu’un peintre de la joie de vivre, Raoul Dufy fut le chantre acharné d’un monde qui s’en allait.
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L’INVENTION DE LA MÉDITERRANÉE MASSENA_P1-137_DEF10_05.indd 35
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NIKAIA
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Aux alentours du VIe siècle avant notre ère, les Grecs établissent des colonies et des comptoirs tout autour de la Méditerranée. Ils s’y installent comme des grenouilles autour d’une mare, pour reprendre la belle expression de Platon. Cette implantation s’effectue dans une relation plus ou moins paisible avec les populations locales. La légende de la fondation de Marseille, à la faveur du mariage de Gyptis et de Protis, en témoigne. Tout donne à penser que Nikaia (Nice) est un comptoir de la colonie phocéenne de Massilia (Marseille), au même titre qu’Antipolis (Antibes). Le destin du territoire de Nice jusqu’alors rivé à celui des peuples montagnards de son arrière-pays va s’ouvrir à la grande aventure de la Méditerranée. Le débat est inépuisable sur la question de savoir si le nom de Nice est d’origine grecque et signifierait la Victorieuse, Nikaia, ou s’il procède d’un toponyme celto-ligure. Peu importe. La légende est trop belle pour qu’on la boude… Au xxe siècle encore plus qu’au cours des siècles précédents, Nice a intensément voulu se reconnaître dans un destin méditerranéen. Dans l’entre-deuxguerres, la ville consacre, sur le front glorieux de la Promenade des Anglais, deux bâtiments à cet héritage tenu de l’Antiquité. Le Palais de la Méditerranée est construit par Dalmas, père et fils, en 1929, et le Centre universitaire méditerranéen, voulu en 1933 par Jean Médecin, maire de Nice, et Anatole de Monzie, ministre de l’Éducation nationale, est inauguré en 1935, alors que Paul Valéry en était le directeur. La même fascination pour la Méditerranée inspira, de 1926 à 1940, l’édition d’une revue, Mediterranea, animée par Paul-François Castela. Dès 1927, la revue menait une enquête sur « l’esprit méditerranéen ». Cet esprit méditerranéen avait été, à partir du XVIIIe siècle, une des clefs du succès touristique de Nice. C’est la douceur de l’air que les voyageurs venaient y chercher mais aussi le charme d’une végétation si étrangère à l’Europe du Nord avec ses champs d’oliviers mêlés à la vigne, ses vastes plantations d’agrumes dont l’introduction date, pour les citronniers, de l’Antiquité, pour les orangers, du tournant des 1er et 2e millénaires, ses alignements de palmiers et autres essences tropicales, introduites au XIXe siècle sur la « Côte d’Azur », pour reprendre le néologisme inventé par Stéphen Liégeard en 1887. Ce n’est pas sans raison que Goethe, lorsqu’il rêve des pays du Sud, écrit dans Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister : « Connais-tu le pays où les citronniers fleurissent, où, dans la feuillée sombre, rougissent les oranges d’or ? » JJA
Casque attique, IVe siècle av. J.-C., bronze, 36,5 cm Mougins, musée d’Art classique de Mougins (MACM)
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Nice dans la colonisation grecque
LAURENCE MERCURI
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Contrairement aux rives de l’Afrique du Nord et à la côte orientale de la péninsule ibérique, intégrées dès le début de l’âge du fer dans les itinéraires phéniciens, et grecs dans un second temps, les littoraux de la Gaule méridionale restèrent à l’écart des navigations méditerranéennes jusqu’au milieu du VIIe siècle av. J.-C. Autour de cette date, les premières importations apparaissent mais en nombre infime, six vases céramiques recensés à ce jour, tous découverts en Languedoc dans des contextes funéraires : un skyphos à Mailhac (nécropole du Grand-Bassin I), quatre skyphoi et une oinochoè à Agde (nécropoles du Peyrou et du Bousquet)1. Véritablement grecs (de type protocorinthien subgéométrique) ou bien de production étrusque (d’imitation protocorinthienne), le débat n’est pas tranché, ces vases témoignent toutefois des plus anciens contacts des populations locales avec les trafics méditerranéens archaïques. À la rareté de ces témoignages succède, dans le dernier quart du siècle, une intensification des importations en provenance d’Étrurie et du bassin égéen, alors que des produits d’origine phénico-punique parviennent depuis le sud de l’Ibérie jusque dans le Languedoc occidental. Se mettent ainsi en place des réseaux maritimes rapidement renforcés par l’implantation d’établissements par les Phocéens, Massalia vers 600 et Emporion vers la même date (ou seulement vers 580 selon une tradition qui fait de ce comptoir une projection des Phocéens déjà établis à Marseille en territoire ibérique). À l’est de Marseille, dans le Var et les Alpes-Maritimes, l’ouverture sur la Méditerranée n’est pas documentée avant la fondation de Marseille2. À partir de 600, la Provence orientale, de même que tous les littoraux nord-méditerranéens, connaît un accroissement des mobilités et des contacts avec les trafics méditerranéens, probablement en lien avec une restructuration des communautés marquée par le regroupement des habitats sur le littoral ou au débouché des fleuves : à l’est du Rhône, occupation du rocher d’Antibes, de la colline du Château à Nice, du Castellar à Èze, du Montjean près de Cavalairesur-Mer, du Mont-Garou à Sanary-sur-Mer, de La Courtine d’Ollioules ; dans le delta ou à l’ouest du Rhône, Martigues, Espeyran, Le Cailar, Lattes, Agde, Béziers, Montlaurès et Pech Maho. Cette ouverture vers la mer et cette intégration aux circuits commerciaux méditerranéens exposent aussi à des contacts hostiles. La nécessité de se protéger contre des ennemis extérieurs devient ainsi la règle, que ces ennemis soient indigènes, étrusques, phocéens ou massaliètes. C’est ce que dénotent certains changements dans l’implantation des territoires et la généralisation des fortifications.
Fragment de rebord de coupe attique à figures rouges, trouvé à Nice en 1964, VIe-IVe siècle av. J.-C., terre cuite, 5,2 × 5,4 cm Nice, musée d’Archéologie, site de Cimiez Pentecontor, maquette d’un navire grec du VIIIe siècle av. J.-C., bois et cordes, 150 × 35 cm, échelle 1/20 Monaco, Musée naval de Monaco, collection particulière prof. Claude Pallanca
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MARE NOSTRUM
L’Empire romain achève ce que la colonisation grecque a esquissé : l’unification de la Méditerranée dans le giron d’un système politique et culturel unique. La Méditerranée devient « notre Mer », « Mare nostrum ». Nice, ville-étape frontière entre la « Regio IX-Ligurie » et la Gaule, puis entre la province des « Alpes maritimae » et la Narbonnaise romanisée, appartient à ce monde dont la Méditerranée constitue l’avenue centrale. Cette unité ne résistera pas au temps. L’Empire sera, au bout de quelques siècles, écartelé entre l’Orient et l’Occident, entre Rome et Constantinople. Quant à la conquête arabomusulmane de l’Afrique du Nord, elle éloignera le nord de la Méditerranée de son sud. La Méditerranée devient, pour plusieurs siècles, une mer que se disputent âprement chrétiens et musulmans et, pour les villes et villages de la rive septentrionale, l’espace du péril « barbaresque ». Les circonstances et les alliances inspirent pourtant des rapprochements incroyables, tel celui de Soliman le Magnifique, sultan de l’Empire ottoman, et de François Ier, le « Très Chrétien » roi de France, qui s’entendirent pour assiéger, en 1543, Nice, tenue par les troupes impériales conduites par Charles de Savoie. Au-delà des heurts de l’histoire, ce bassin de destin partagé demeure plus que jamais un horizon commun à vingt-deux pays dont les côtes s’étendent sur près de 50 000 kilomètres. Aujourd’hui comme hier, le désir d’unité perdure, constituant un objectif toujours revendiqué même s’il est difficile à atteindre, comme l’indiquent la création, en 2008, d’une Union de la Méditerranée au sommet de Paris, ou encore l’inauguration à Marseille, en 2013, d’un Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. JJA
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Revue Mediterranea, « Picasso par le professeur Schaub-Koch », décembre 1935, imprimé, 25 × 22 cm Nice, bibliothèque du Chevalier de Cessole
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L’INVENTION DE LA CITÉ MASSENA_P1-137_DEF10_05.indd 69
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LA CITÉ, CEMENELUM
C’est avec la romanisation que commence l’histoire urbaine de Nice. Celle-ci n’est paradoxalement pas déterminée par l’existence du comptoir grec de Nikaia mais par le développement de la cité voisine de Cemenelum, l’actuel quartier de Cimiez, dont Rome fit le chef-lieu d’une province alpine, celle des « Alpes maritimae ». Au Moyen Âge, Nice se replie sur la colline du Château et au pied de cette acropole, y développant une petite ville typiquement méditerranéenne dont les souverains, les rois de Piémont-Sardaigne, entreprirent au XVIIIe siècle, ce grand siècle de l’urbanisme, de faire une ville moderne à la faveur du creusement d’un port et de la création de nouveaux quartiers au plan régulé, à l’est et à l’ouest de la ville ancienne. Nice devait d’ailleurs se doter d’un organisme régulateur du développement urbain, le « Consiglio d’Ornato », le « Conseil d’ornement », créé en 1832 par Charles-Albert de Savoie qui lui assigne la mission de penser la ville nouvelle, d’arrêter son plan régulateur, de veiller à l’homogénéité et à la qualité des constructions. De façon très précoce, cette ville s’est donc voulue comme une ville dessinée, une ville parfaite. Les grands principes du « Consiglio d’Ornato » seront appliqués à une vaste échelle quand la ville deviendra, au XIXe siècle, la capitale européenne de la villégiature aristocratique puis mondaine. JJA
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René Goscinny et Albert Uderzo, Le Tour de Gaule d’Astérix, 1965, planche originale 25, extrait, reproduction numérique, 50 × 70 cm, ASTERIX®- OBELIX® / © 2017 LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ / GOSCINNY – UDERZO
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La naissance d’une cité
YANN RIVIÈRE
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La victoire d’Auguste sur les peuples alpins (14 av. J.-C.) Dans son Histoire romaine, composée vers le milieu du IIe siècle apr. J.-C., à l’apogée de l’Empire, l’historien grec Appien s’interroge sur les étapes de la conquête : « C’est pour moi un objet d’étonnement de voir qu’un grand nombre de puissantes armées romaines faisant route vers l’Espagne et la Gaule en traversant les Alpes ont négligé ces peuples-là. » En effet, à l’avènement du premier empereur, Auguste, en 27 av. J.-C., alors que Rome dominait désormais l’ensemble des rives de la Méditerranée, alors que la Gaule avait été soumise jusqu’à la mer du Nord par l’armée de César un quart de siècle auparavant, aucune tentative pour pacifier les Alpes n’avait encore été engagée. Treize ans plus tard, cependant, c’était chose faite. Afin de célébrer la victoire définitive que ses armées avaient remportée en 14 av. J.-C. sur les peuples alpins, depuis l’Adriatique jusqu’à la côte ligure, Auguste reçut du sénat et du peuple romain l’honneur d’ériger le trophée de La Turbie en 7-6 av. J.-C., au point le plus élevé de la route littorale, la via Iulia Augusta, qui reliait désormais l’Italie à la vallée du Rhône. Pour contrôler cette voie de communication fut établie sur son passage, en amont de l’ancien comptoir grec de Nikaia et à l’emplacement d’un ancien oppidum des Vediantii, la cité de Cemenelum (Cimiez). La liste des quarante-quatre peuples alpins vaincus, recopiée plus tard par Pline l’Ancien, fut inscrite sur ce monument dont les vestiges restaurés surplombent aujourd’hui la baie de Monaco. De cette énumération, les Vediantii de la région de Nice sont absents. Sans doute s’étaient-ils accommodés dans les décennies précédentes de la présence de Rome et n’avaient-ils pas pris les armes lors de cet ultime affrontement. Rétrospective : aux origines de la Gaule Narbonnaise (154-49 av. J.-C.) L’intérêt des Romains pour le littoral ligure, jusqu’au Rhône, et plus largement pour l’Isthme gaulois, jusqu’aux Pyrénées, était ancien. Au lendemain de la deuxième guerre punique (202 av. J.-C.), alors que les communications terrestres avec l’Espagne apparaissaient désormais comme vitales et que le marché de la Gaule transalpine s’offrait abondamment aux produits italiens, Rome avait plusieurs fois répondu à l’appel de sa vieille alliée, Marseille, aux prises avec les Ligures de l’arrière-pays. En 154 av. J.-C., les habitants de la cité phocéenne dépê-
Jean Gilletta, La Turbie – Tour d’Auguste (Ier siècle), non daté, photographie, 24 × 30 cm Nice, bibliothèque du Chevalier de Cessole Statuette masculine dite « Guerrier du mont Bego », massif du Mercantour, VIII-VIIe siècle av. J.-C., bronze, 8,8 cm Nice, musée d’Archéologie, site de Cimiez
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LE TERRITOIRE
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Au-delà de ses limites urbaines, Nice a toujours été le chef-lieu d’un territoire, celui de la province romaine des « Alpes maritimae » puis du médiéval comté de Nice et, enfin, du département des Alpes-Maritimes, dans ses tracés successifs, celui de 1793 après la première annexion française, celui de 1860 après la réunion de Nice à la France, celui de 1947 qui l’agrandit de quelques territoires détachés de l’Italie. Aujourd’hui, ce phénomène métropolitain que la conquête romaine avait inauguré se poursuit à travers la création, en 2012, d’une métropole Nice-Côte d’Azur qui réunit quarante-neuf communes et 550 000 habitants, et dont Christian Estrosi est le premier président. C’est ainsi que, tout au long de son histoire, Nice n’oublie jamais sa double vocation de ville du rivage maritime et de capitale d’un arrière-pays montagneux, de ville de la Côte d’Azur et du Mercantour. C’est sans doute la raison pour laquelle les savants niçois n’ont cessé de consacrer leurs travaux à la diversité naturelle si riche de ce territoire. Antoine Riso (1777-1845) s’intéresse aux espèces végétales. Jean-Baptiste Vérany (1800-1865) se passionne pour les céphalopodes et Jean-Baptiste Barla (1817-1895) provoque l’admiration du monde savant avec ses travaux sur la mycologie. Le pays niçois a par ailleurs vu naître une exceptionnelle famille d’astronomes et géographes, la famille Cassini, originaire du village de Perinaldo, paroisse du comté de Nice, aujourd’hui en Italie. Le plus illustre des représentants de cette famille est le grand Jean-Dominique Cassini (1625-1712), fondateur de l’observatoire de Paris. La tribu des Cassini compte aussi Jacques (1677-1756), César-François (17141784), Dominique (1748-1845) ainsi que Giacomo-Filippo Maraldi, le neveu de Jean-Dominique. À la fin du XIXe siècle, Nice se dote d’un grand établissement scientifique, l’observatoire, dont le bâtiment est réalisé sur le mont Gros par Charles Garnier et Gustave Eiffel grâce à la générosité d’un mécène, Raphaël-Louis Bischoffsheim. JJA
Roger Broders, La Côte d’Azur – Ses montagnes, début du XXe siècle, papier imprimé, affiche, 100 × 62,5 cm Nice, musée Masséna
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LE CIMENT DE LA FOI
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Le christianisme, religion orientale, s’implante très tôt dans l’Europe romanisée. Il va fixer à la culture européenne un nouvel horizon, celui d’une foi religieuse. La diffusion de celle-ci emprunte la voie maritime mais profite aussi du formidable réseau des voies qui, depuis Rome, sillonnent l’Empire. La légende ne prétend-elle pas que sainte Réparate, patronne de Nice, dont le corps aurait été rejeté miraculeusement sur le rivage niçois, avait été martyrisée au IIIe siècle, sous l’empereur Dèce, à Césarée Maritime (actuelle Césarée, en Israël) ? Il est en tout cas assuré que, de façon très précoce, des communautés chrétiennes se développent autour de deux sièges épiscopaux, celui de Cemenelum, dont les vestiges de la cathédrale sont toujours visibles à Cimiez, et celui de Nice, Nikaia, sur la colline du Château. Pendant près de deux millénaires, cette réalité va modeler le paysage de Nice, si florissant en églises, chapelles, coupoles et clochers. Si les édifices religieux du Moyen Âge, église des Dominicains, église des Franciscains, par exemple, ont disparu, la ville est riche en édifices postérieurs, églises et chapelles baroques notamment. Ce patrimoine s’enrichira au XIXe siècle d’une formidable efflorescence d’édifices destinés aux cultes non catholiques pratiqués par les étrangers en villégiature, église anglicane, église et cathédrale russes orthodoxes, église épiscopalienne, église grecque, église luthérienne, église baptiste-américaine…, auxquelles s’ajoutera une nouvelle synagogue, celle de la rue GustaveDeloye, plus grande que les précédentes qui, elles, accueillaient une communauté présente depuis le Moyen Âge. Le xxe siècle ne tarit pas cette passion de Nice pour la construction de bâtiments religieux comme en témoigne, entre autres, la remarquable église Sainte-Jeanne d’Arc, chefd’œuvre de l’architecture de béton conçu par Jacques Droz. C’est au cours de la deuxième moitié du xxe siècle qu’apparaît et s’installe dans cet espace culturel une pratique religieuse nouvelle, celle de l’islam. JJA
Monastère de Saint-Pons, fragment de rampe d’escalier, VIIIe-IXe siècle, marbre, 55 × 30 × 8 cm Nice, musée d’Archéologie, site de Cimiez L’abbaye de Saint-Pons aurait été fondée, selon la légende, par Charlemagne, sur le tombeau du martyr romain Pontius.
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La croisée des mondes : entre Antiquité et Moyen Âge
BRUNO DUMÉZIL
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La période allant du IVe au VIe siècle a longtemps fait figure d’âge obscur, que l’on attribue ces ténèbres à une longue décadence romaine ou à de Grandes Invasions destructrices. Sans qu’il faille nier des moments de troubles militaires ou sociaux majeurs, l’Antiquité tardive fut aussi une période de floraison intellectuelle et, plus largement, un moment de transformation de la civilisation romaine. La christianisation joua un rôle important dans ce processus. La présence d’une communauté chrétienne à Nice est identifiable dès le début du IVe siècle. Cette jeune Église locale est alors représentée par un diacre et un exorciste qui assistent au concile d’Arles de 314, première grande réunion de l’Église d’Occident après l’édit de tolérance émis par Constantin en 313. On ignore toutefois l’importance numérique de cette communauté. Le premier évêque de Nice attesté de façon sûre est un certain Amantius qui siège en compagnie d’Ambroise de Milan au concile réuni à Aquilée de 381. Située dans la province ecclésiastique des Alpes Maritimes, Nice relevait en théorie de l’autorité de l’évêque métropolitain d’Embrun. Mais comme beaucoup de sièges de Provence orientale, elle constitua souvent l’enjeu de luttes d’influence, notamment entre les puissants évêques d’Aix et d’Arles. On a parfois vu dans ces rivalités l’origine du siège épiscopal autonome installé à Cimiez. Le point reste douteux. Cimiez appartenait à la même province ecclésiastique que Nice et rien ne permet de deviner l’existence de tensions majeures entre les deux cathédrales voisines. Simplement, la mise en ordre de la communauté chrétienne de Cimiez fut peut-être un peu plus tardive qu’à Nice ; le premier évêque connu est Valérien, qui apparaît aux conciles de Riez (439) et Vaison (442), et qui fut un correspondant du pape Léon le Grand. Outre son implication dans plusieurs questions de discipline ecclésiastique, Valérien de Cimiez nous laisse une brillante collection d’Homélies qui témoigne de sa très haute culture, à la fois classique et chrétienne. De fait, la Provence tardoantique constituait un foyer vivace de romanité. Lorsque l’Empire avait déplacé la préfecture du prétoire des Gaules de Trèves à Arles vers 400, beaucoup de sénateurs avaient abandonné les vallées du Rhin et de la Moselle. Le sud-est de la Gaule devint un espace de repli, où l’on entretenait précieusement les savoirs juridiques et littéraires. Jusqu’aux années 460, le rêve de tous les jeunes aristocrates était en effet de rejoindre les rangs de la haute fonction publique. Quand la situation de l’Empire d’Occident apparut désespérée, une partie de ces hommes fit le choix de passer dans l’épiscopat ; ils transmirent à l’Église leurs hautes compétences ainsi qu’un certain goût pour les querelles, notamment les questions de préséance. Nos sénateurs convertis en évêques firent souvent don de leur fortune à leurs cathédrales, et les communautés chrétiennes méridio-
Colonne du baptistère, groupe épiscopal de Cimiez, composé d’une cathédrale et d’un baptistère, V-VIe siècle, calcaire, 50 × 20 × 20 cm Nice, musée d’Archéologie, site de Cimiez
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L’ÉMERGENCE DES NATIONS
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L’Europe telle que nous l’entendons, en tant qu’espace géographique et culturel, est née de la rencontre du monde gréco-romain avec les peuples germains et slaves du nord et de l’est du continent. C’est cette rencontre, issue de ce qu’on a longtemps appelé les « Invasions barbares », qui définit à la fois l’unité culturelle de cette partie du monde dans la diversité des nations qui la composent, dont beaucoup portent encore les noms de ces Francs, Lombards, Burgondes et Alamans qui s’installèrent sur les débris de l’Empire romain, tout en dilatant celui-ci au-delà du limes, sur leurs terres d’origine. Dans ce grand brassage de peuples, certains territoires s’amarrent de façon précoce à des entités politiques clairement identifiées. Depuis l’époque de Clovis par exemple, l’appartenance de l’Île-de-France au royaume des Francs n’est guère contestée. Le destin du pays niçois témoigne, en revanche, du difficile apparentement d’autres territoires aux entités en cours de formation. C’est ainsi que, dès la fin de l’Antiquité, Nice subit les influences concurrentes des Wisigoths et des Ostrogoths. Au Moyen Âge s’y affrontent les influences compétitives de la Provence et de la République de Gênes, puis de la Provence et de la Savoie, à laquelle Nice « se donne » en 1388. Nice reste savoyarde jusqu’en 1860, mais le royaume de France puis la République française n’auront cessé de convoiter ce territoire jusqu’à la première annexion de Nice à la France, en 1793. Si la ville redevient piémontaise en 1815, après la chute de Napoléon, c’est en 1860 par le référendum rattachant Nice à la France que cette histoire millénaire connaît un dénouement définitif, hors les velléités d’annexion de l’Italie mussolinienne, entre 1942 et 1943. Nice est ainsi le témoin de la lente construction de l’Europe des nations qui, de la romanité expirante jusqu’aux horreurs des deux guerres mondiales, ne cessera de se faire et de se défaire. Cette Europe a parfois également rêvé d’unité, sous l’autorité de Charlemagne qui aurait fondé l’abbaye de SaintPons à son retour de l’expédition contre les Lombards et sous l’Empire napoléonien à qui Nice donnera un de ses plus célèbres maréchaux, André Masséna. L’Europe se cherche aujourd’hui un nouveau destin à travers l’Union européenne. La construction de cette union a fait un progrès décisif, en 2001, grâce à la signature du traité dit de Nice qui substitue au système de vote à l’unanimité celui du vote à la majorité qualifiée. JJA
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Lettres patentes du duc de Savoie Amédée VIII autorisant Paganino del Pozzo à financer par un péage une nouvelle route entre Levens et Lantosque pour le transport du sel, 3 octobre 1433, parchemin et sceau, 49 × 67 cm Nice, Archives départementales des Alpes-Maritimes, fonds Città e contado, port de Villefranche, mazzo 1 n° 1
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Entre Provence et Savoie
HENRI BRESC
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Le pays de Nice offre, sur le plan géographique, des potentialités que l’histoire a exploitées ou négligées, sans que l’on puisse parler de déterminisme rigide. Nice appartient depuis l’époque romaine à un ensemble alpin morcelé, l’archevêché d’Embrun. Au débouché d’une route littorale chaotique vers la Ligurie et de cols alpins difficiles à franchir, sa position est périphérique, voire isolée. Du côté maritime, la situation est plus favorable : si le port de Nice est, à l’origine, une plage mal protégée, la rade de Villefranche, très proche, et un peu plus loin le havre de Monaco offrent des refuges sûrs. Nice peut donc servir à de puissants voisins à la fois de verrou et de relais. Une forteresse garde les routes de la Tinée, de la Vésubie et de Tende, laissant passer les envahisseurs pour mieux les harceler et les priver de leur ravitaillement ; un port, un arsenal de galères et des tours de surveillance protègent le littoral et bloquent la voie maritime. Nice peut être aussi une base d’expansion vers la Provence, le Piémont ou la proche Ligurie. Quant au haut pays, son morcellement rend son contrôle par les grands acteurs politiques extrêmement difficile. Nice, siège des comtes de Provence Au Xe siècle, Nice est une des villes de résidence des comtes de Provence. Le château est confié à la puissante famille d’Odile de Reillane, épouse de Miron, puis de Laugier, « gouverneur » de Nice en 1004. Le pays niçois dépend de la branche de la famille comtale qui réside en Avignon et à Forcalquier : en 1090, le comte Ermengaud IV d’Urgel lègue à son fils les droits comtaux en tant que « comte de Nice », et confie sa tutelle à l’évêque de Nice, fils d’Odile. Ces droits passent vers 1110 aux comtes de la maison de Barcelone, établis à Arles, qui s’opposent à ceux de Saint-Gilles-Toulouse, soutenus par la commune de Gênes dans une guerre civile qui dure un siècle. Les dona-
Jacob von Sandrart (Jacob Sandrart excudit), Nova et accurata ducatus Sabaudiæ, principat. Pedemont. et Montferat., ducatus Mediolan. et reipub. Genuensis tabula, cartographie des États de Savoie, 1660-1710, gravure sur cuivre en couleurs, 46,5 × 58 cm Nice, bibliothèque du Chevalier de Cessole
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L’INVENTION DU TOURISME MASSENA_P1-137_DEF10_05.indd 137
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L’apparition puis le développement du tourisme vont fixer, de façon décisive, le destin de Nice. À partir du milieu du XVIIIe siècle, les classes aisées et oisives d’Europe, notamment de l’Europe du Nord, recherchent un nouvel usage de leurs loisirs. L’aristocratie anglaise se délecte des bains à Bath, mais son attrait pour le Sud est de plus en plus marqué. Il n’est plus motivé par le seul aiguillon de l’étude des antiquités grecques et romaines mais par la recherche de la douceur de l’air et la beauté des paysages méditerranéens. Nice devient alors une des destinations favorites de ces élites européennes. En témoigne la précocité des ouvrages consacrés à l’agrément du séjour à « Nissa ». En 1766 paraissent les Lettres de Nice sur Nice et ses environs du romancier écossais Tobias Smollett, suivies, dix ans plus tard, par le Journal d’un voyage fait en 1775 & 1776, dans les pays méridionaux de l’Europe, du Suisse alémanique Johann Georg Sulzer. Les Anglais, suivis des Russes et des Allemands, sont de plus en plus nombreux dans une ville qui s’adapte à leur séjour. Des gazettes mondaines, éditées dans leurs langues, se font l’écho de la vie sociale des hivernants. Une ville nouvelle apparaît avec ses palais, villas, résidences, hôtels, palaces et immeubles de rapport. Les lieux de promenade se multiplient eux aussi, sur les rives du Paillon, sur la galerie des Ponchettes, sur la colline du Château transformée en jardin public, et, bien sûr, sur la Promenade des Anglais, vaste promenade de bord de mer qui va devenir l’emblème même de la ville. À partir des années 1920, la saison d’été prend la relève de la saison d’hiver. Les hôtels sur les collines se transforment en appartements de prestige et les domaines aristocratiques du bord de mer sont remplacés par des résidences avec leurs terrasses et balcons tournés vers la mer. Nice est ainsi un formidable témoin de l’« invention du tourisme » et de l’évolution des pratiques touristiques tout au long des XIXe et xxe siècles. De 1760 à 1960, le seul moteur du développement de cette ville a été le tourisme, cette grande invention hédoniste des temps modernes. Née de cette révolution, la ville singulière est candidate à une inscription sur la Liste du patrimoine mondial. D’ores et déjà, le ministère de la Culture a inscrit sa candidature sur la liste indicative de la France. JJA
Tobias Smollett, Travels through France and Italy, éditions R. Baldwin, Londres, 1766, livre ancien, 21 × 13 cm Nice, bibliothèque du Chevalier de Cessole
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Les premiers rendez-vous de Nice avec la mondialisation e XVIII siècle-1914
RALPH SCHOR
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Les écrivains ont souvent essayé de définir la nature de Nice. Paul Arène (1843-1896), s’aventurant dans la vieille ville, remarque des voûtes obscures et des escaliers tortueux, des boutiques sombres qui évoquent à ses yeux une cité arabe. Le poète local Jean Wallis (1886-1969), charmé par les paysages et les palmiers, pense à la rive sud de la Méditerranée : « D’autres, épris du large Ont salué en toi cette rive d’Alger, Ce frisson de Carthage » Les couleurs et le sonore verbe nissart conduisent certains vers l’Italie. D’autres, contemplant l’acropole du Château et les oliviers des collines, tournent leurs regards vers la Grèce. En vérité, les observateurs ne sont convaincus par aucune identification car il leur apparaît que Nice est incomparable, une ville-monde, reflet de nombreuses autres régions. Élisée Reclus, dans sa Nouvelle géographie universelle (1877), conclut que « Nice est une ville vraiment originale […], unique en son genre ». Ce caractère singulier est sans doute un don de la nature, mais aussi une construction humaine fondée dès le XVIIIe siècle sur une précoce internationalisation – on dirait aujourd’hui un début de mondialisation. La naissance d’une capitale mondiale du tourisme Durant le XVIIIe siècle, l’alliance entre les gouvernements de Turin et de Londres favorise la venue de nombreux militaires et commerçants anglais,
Paul Signac, Vue de la côte à Nice, 1920, aquarelle sur traits à la mine de plomb, 27 × 41,5 cm Lyon, musée des Beaux-Arts
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LE SOLEIL TOUTE L’ANNÉE SUR LA CÔTE D’AZUR, ROGER BRODERS FRANÇOIS LAQUIÈZE
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Pour saisir le sens de cette affiche de 1930, il faut la comparer avec une autre affiche, de 1892, incitant à venir passer l’hiver à Nice. L’esthétique et le graphisme sont dissemblables : on passe du réalisme un peu mièvre à des contours stylisés, qui donnent plus de force au message publicitaire. Mais là n’est pas le plus important. L’affiche de 1930 se distingue de celle de 1892 sous trois aspects fondamentaux.
Roger Broders, Le Soleil toute l’année sur la Côte d’Azur, imprimeur Lucien Serres, 1930, papier imprimé, affiche, 100 × 63 cm, Nice, Archives départementales des Alpes-Maritimes, inv. 06Fi2929 En bas Emmanuel Brun, L’Hiver à Nice, 1892, papier imprimé, affiche, 191 × 125 cm, Nice, musée Masséna
Vêtue ou dévêtue. Les deux affiches mettent en scène une présence féminine mais avec des différences essentielles : la femme de 1892, en retrait dans un coin de l’image, entièrement vêtue, gantée et chapeautée, se protège du soleil (pourtant hivernal !) avec une ombrelle. La silhouette féminine de l’affiche de 1930 occupe délibérément le centre de l’affiche : en maillot de bain, bras et cuisses bronzées, elle ne craint plus le soleil mais paraît s’offrir à lui. L’inscription « Le soleil toute l’année » est un peu décalée par rapport à la représentation d’un soleil qui darde des rayons puissants. En fait, c’est la nouvelle saison d’été qui est ici promue, destinée à prendre la relève de la saison d’hiver qui subsiste encore, mais n’a plus son éclat d’avant 1914. L’affiche illustre parfaitement la définition que donne Marc Boyer de la saison d’été : une révolution dans la relation de l’homme au soleil. Avant 1914, l’exposition soutenue au soleil n’était pas de mise pour des raisons de santé mais aussi de pudeur. Sur l’affiche de 1930, c’est une sorte d’adoration du soleil qui s’exprime, en rupture complète avec l’ancien tabou. La nature et la ville. L’affiche de 1892 évoque, dans ses marges, une nature exotique (cactées, aloès, roses, œillets…) mais, au centre, c’est un panorama fortement urbanisé qui est mis en valeur : le front de mer bâti de la Promenade des Anglais, le casino de la Jetée-Promenade avec, à l’arrière-plan, la ville nouvelle érigée après 1860 et les collines qui, déjà, montrent des constructions… Le tourisme d’hiver favorisait les plaisirs mondains de la grande ville ; l’affiche suggérait qu’on les trouverait à Nice. A contrario, toute trace d’urbanisation disparaît sur l’affiche de 1930. Sous le soleil, seuls les éléments naturels se donnent à voir dans une sorte de pureté originelle : la mer bleue, le sable doré, quelques fleurs et un feuillage abondant, d’aspect exotique, autant de symboles de ce que recherchent les nouveaux estivants, autrement dit une nature la plus vierge possible, antithèse du milieu urbain dans lequel ils sont plongés au quotidien. Nice – Côte d’Azur. L’affiche de 1892 évoquait Nice, « Capitale d’hiver » incontestable de l’époque. Celle de 1930 met en avant la Côte d’Azur, représentée comme l’antithèse de la ville : une tranquille plage de sable dans le dépouillement d’un milieu exclusivement naturel. Ce sont en réalité les nouvelles stations de Golfe-Juan, Juan-les-Pins ou de la côte varoise qui sont évoquées ici. Facilement accessibles en voiture ou en autocar, elles répondent parfaitement à ce que recherchent les nouveaux estivants.
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À DE
NICE L’ÉPREUVE L’HISTOIRE MASSENA_P138-192—4MAI-DEF.indd 171
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L’histoire des villes est un genre littéraire et scientifique passionnant. Le grand éditeur toulousain Privat y a excellé avec des dizaines de titres consacrés à l’histoire des villes françaises et étrangères. Dans sa collection, Nice a fait l’objet de deux publications, Histoire de Nice et du pays niçois, sous la direction de Maurice Bordes, et Nouvelle histoire de Nice, sous celle d’Alain Ruggiero. Dans ces descriptions de ville apparaissent, à la fois, la singularité du destin historique de chacune des cités, mais aussi les fils subtils par lesquels celui-ci se rattache à l’histoire du pays, à l’histoire du monde, à l’histoire de l’humanité. C’est ainsi que Bordeaux et Rouen résonnent des événements de la guerre de Cent Ans, que Metz et Strasbourg témoignent des grands conflits qui ont opposé la France et l’Allemagne, que Lille est enracinée dans le processus de la révolution industrielle. Quant à Nice, elle a été à plusieurs reprises au cœur même de l’histoire en train de se faire, l’histoire artistique contemporaine avec l’épanouissement de l’école de Nice, l’apparition d’une civilisation des loisirs avec le développement de la vocation de la ville comme métropole du tourisme. Nice a par ailleurs été de façon forte le miroir d’histoires plus générales en train de se nouer ou de se dénouer. Tel est l’objet de cette exposition, et cela sur la longue durée, celle qui plonge dans la Préhistoire pour arriver jusqu’au seuil de notre nouveau siècle. Les temps actuels n’ont pas, pour le meilleur et pour le pire, préservé Nice de l’écho des espérances et des malheurs du monde. Les conséquences de la Première Guerre mondiale, en bouleversant les grands empires qui dominaient l’Europe et en faisant disparaître une bonne part de l’aristocratie oisive qui avait formé la population des hivernants au XIXe siècle, devaient favoriser le passage du tourisme d’hiver au tourisme d’été. À partir des années 1960, l’arrivée massive de rapatriés fuyant l’Algérie devenue indépendante va accélérer la transformation de Nice qui, de ville dont le ressort principal de l’économie avait été le tourisme, devient une métropole ouverte sur des activités plus diversifiées. Le 14 juillet 2016 marque tragiquement de son impact, avec ses 86 morts, le destin de Nice, foudroyée par un nouveau phénomène historique, celui de l’exaltation du terrorisme radical qui avait déjà frappé à Toulouse et Montauban en 2012, à Paris en janvier 2015 et en novembre de la même année. JJA
État des lieux à la Libération. Camouflage des hôtels, quai des États-Unis, 1944, ektachrome, 6 × 6 cm Nice, Service des archives Nice Côte d’Azur, fonds du service photographique de la Ville de Nice, fonds Grands Travaux
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Nice dans l’histoire contemporaine
JEAN-PAUL PELLEGRINETTI
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La Grande Guerre À la veille de la Première Guerre mondiale, Nice constitue une destination privilégiée pour un tourisme hivernal alors séduit par cette ville qui recèle une réelle qualité de vie de par la douceur du climat, la beauté des paysages et de la flore et la présence de la Méditerranée. Des palaces, des hôtels, des casinos et des restaurants attirent chaque saison un tourisme cosmopolite appartenant aussi bien au monde aristocratique qu’à celui des affaires. La déclaration de guerre porte un coup d’arrêt brutal à l’activité saisonnière, qui ne repartira difficilement que trois ans plus tard. Le 2 août 1914, lors de l’annonce de la mobilisation générale, la nouvelle est accueillie par l’ensemble de la population avec surprise, stupeur et même, pour certains, avec un refus de croire à l’événement. Dans les jours qui suivent, cependant, au nom de l’Union sacrée, les notabilités niçoises se chargent d’orchestrer l’élan patriotique par le biais de diverses manifestations soutenues par la presse et le clergé catholique. À Nice, comme dans l’ensemble du département des Alpes-Maritimes, les biens appartenant à des Allemands ou à des Autrichiens sont placés sous séquestre. Ces démonstrations patriotiques cèdent rapidement le pas à la réalité de la guerre. Les trois premiers mois du conflit entraînent de lourdes pertes pour l’armée française. Aux centaines de milliers de morts et de disparus s’ajoutent les blessés, mais aussi les milliers de femmes, d’enfants et de vieillards « jetés » sur les routes à la suite de la progression de l’armée allemande dans les départements du nord et de l’est de la France. Éloignée des champs de bataille, Nice devient rapidement, pour les autorités gouvernementales et pour le service de santé de l’armée, un point de repli sanitaire et d’accueil des réfugiés. L’éloignement géographique du front, la douceur du climat facilitant les guérisons et le fort potentiel d’hébergement dû aux chambres vides des palaces et des hôtels sont autant d’avantages sur lesquels se fondent les autorités. Nice devient ainsi un immense centre hospitalier. De nombreux hôtels, à l’image du Regina, du Majestic, du Negresco, du Ruhl ou encore du Royal, sont réquisitionnés et transformés en hôpitaux militaires. D’autres hôtels, notamment Le Venise, Le Métropole, Le Terminus, Le Volnay ou L’Hôtel des Nations et L’Hôtel d’Ostende, servent à l’accueil des réfugiés. Durant le conflit, Nice reçoit la moitié des 25 000 réfugiés qui arrivent dans les Alpes-Maritimes. Le département fait également fonction d’accueil pour les permissionnaires, aussi bien les Français sans famille ou originaires de régions envahies, que ceux des nations alliées. Ainsi les Américains arrivent à Nice quelques mois après leur entrée en guerre au mois d’avril 1917.
Calendrier-Almanach des Postes & des Télégraphes-Bataille de fleurs à Nice, 1916, estampe, 21,3 × 26,4 cm Marseille, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, MUCEM Bulletin des Hôpitaux de Nice et de la région, supplément hebdomadaire de l’Éclaireur de Nice, no 24, dimanche 28 mars 1915, imprimé, 45 × 64 cm Nice, bibliothèque du Chevalier de Cessole
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