QUATRE MOMIES et demie (extrait)

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Ce catalogue a été réalisé à l’occasion de l’exposition temporaire « Quatre momies et demie » présentée au musée Joseph-Déchelette de la Ville de Roanne du 20 juin au 20 octobre 2015. Cette exposition clôture une campagne triennale de traitement, de conservation préventive et de restauration des antiquités égyptiennes du musée Joseph-Déchelette et des collections en dépôt.

Coordinatrice du projet et commissaire de l’exposition Camille PEREZ, conservateur du patrimoine, directrice du musée Joseph-Déchelette de la Ville de Roanne

Production : Ville de Roanne, pour le musée Joseph-Déchelette

Avec la généreuse participation : – du ministère de la Culture et de la Communication – de la Région Rhône-Alpes – de la Ville d’Aix-les-Bains – de la Ville de Cluny

Et la précieuse contribution de : Laurent CORTELLA, ingénieur en physique nucléaire à Arc-Nucléart, Commissariat à l’énergie atomique, Grenoble Livia MENEGHETTI, doctorante à l’université de Toulouse II – Le Mirail, chargée des collections égyptiennes du musée Georges-Labit de la Ville de Toulouse Agnès MONIER, docteur en chirurgie dentaire Thibault MONIER, docteur en chirurgie dentaire, membre de l’Académie nationale de chirurgie dentaire Jean-Michel SABLON Sophie SENTY, journaliste Noëlle TIMBART, conservateur du patrimoine, chargée des antiquités égyptiennes, orientales et des restes humains, Centre de recherche et de restauration des Musées de France

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination éditoriale : Laurence Verrand Contribution éditoriale : Nicole Mison Conception graphique : Nelly Riedel Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros © musée Joseph-Déchelette, 2015 ISBN 978-2-908317-00-8 Dépôt légal : juillet 2015 Imprimé en République Tchèque (Union européenne)

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QUATRE

MOMIES ET DEMIE

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De 2012 à 2015, de nombreuses personnes ont contribué à la bonne marche de ce projet. Nous sommes aujourd’hui heureux de remercier

Nos partenaires : Francis BERTRAND, directeur d’Arc-Nucléart, Commissariat à l’énergie atomique de Grenoble Henri BONIAU, maire de la Ville de Cluny Dominique DORD, député, maire de la Ville d’Aix-les-Bains Marlène MOURIER, maire de la Ville de Bourg-lès-Valence

Les référents scientifiques, pour leurs précieux conseils : Lionel BERGATTO, conservateur du patrimoine, conseiller musée à la direction régionale des Affaires culturelles de Rhône-Alpes François BOYER, chargé du climat et des infestations, Centre de recherche et de restauration des Musées de France Magdeleine CLERMONT-JOLY, conservateur en chef du patrimoine à Arc-Nucléart, Commissariat à l’énergie atomique, Grenoble Laurent CORTELLA, ingénieur en physique nucléaire à Arc-Nucléart, Commissariat à l’énergie atomique, Grenoble Régis DEBRUYNE, chercheur, Muséum d’histoire naturelle, Paris François DUBOISSET, restaurateur du patrimoine Eva-Maria GEIGL, directrice de recherche, Centre national de la recherche scientifique, Paris Hélène GUICHARD, conservateur en chef du patrimoine, musée du Louvre, Paris Noëlle TIMBART, conservateur du patrimoine, chargée des antiquités égyptiennes, orientales et des restes humains, Centre de recherche et de restauration des Musées de France

Les spécialistes du patrimoine qui sont intervenus sur les œuvres : Émilie BLANC, restauratrice du patrimoine, spécialisée en bois polychromés Véronique de BURHEN, restauratrice du patrimoine, spécialisée en textiles, atelier de restauration du musée des Tissus de Lyon Laure CADOT, restauratrice du patrimoine, spécialisée en objets ethnographiques, matériaux organiques et restes humains Loïc CAILLAT, biologiste à Arc-Nucléart, Commissariat à l’énergie atomique, Grenoble Ursula MARIAK, restauratrice du patrimoine, spécialisée en bois polychromés

L’équipe du musée Joseph-Déchelette et, plus spécialement : Kristine GAILLARD et Margaret PLETTS pour les recherches préparatoires Maryse PLANCHE et Marie-Paule BARJON pour l’administratif Morgane THOREL pour la régie des œuvres Guy-Louis BARTEL, Mickaël GIRAUD, François MAISTRELET et Michel MELOT pour le montage

À la Ville de Roanne : Thierry BAY, webmaster Simon DAVAUD, directeur de la Médiathèque Emmanuel DEMONT, directeur de la Communication Émilie FORTINI, infographiste Christine HENRY, responsable du fonds ancien de la médiathèque Michel JOMAIN, chef du service Sécurité et Santé publiques Céline MARTINEZ, attachée de presse Frédéric RIZZI, photographe Francis SCHNEIDER, directeur général adjoint Cadre de vie et qualité de la Ville Isabelle SUCHEL-MERCIER, directrice générale adjointe Culture Catherine ZAPPA, directrice du service Événementiel

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Enfin, nous remercions nos prêteurs et nos interlocuteurs scientifiques pour la réalisation de l’exposition : Philippe AUGE, président de l’université de Montpellier 1 Sophie BARTHÉLEMY, conservateur en chef du patrimoine, musée des Beaux-Arts de la Ville de Bordeaux Régine BIGORNE, responsable du musée Goupil de la Ville de Bordeaux Marie-Sophie BOULARD, assistante principale de conservation, musée Grobet-Labadié de la Ville de Marseille Aurore CARAITOGLOU, régisseuse des œuvres, collections Roger-Viollet, Paris Jean-François CHOUGNET, président du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille Isabelle COULON, directrice du château et apothicairerie de la Ville de Baugé-en-Anjou Bénédicte de DONKER, conservateur du patrimoine, directrice adjointe du musée des Beaux-Arts de la Ville d’Orléans Delphine DESVEAUX, directrice des collections RogerViollet, Parisienne de Photographie, Paris Thierry DEVYNCK, conservateur du patrimoine, Bibliothèque Forney de la Ville de Paris Raphaëlle DROUHIN, chargée de documentation, musée des Beaux-Arts de la Ville d’Orléans Mélisande ENGELBRECHT, régisseur des collections, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille Benjamin FINDINIER, conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée Champollion de la Ville de Figeac Christine GERMAIN-DONNAT, conservateur en chef du patrimoine, directrice du musée Grobet-Labadié de la Ville de Marseille Jean-Yves GONOD, réseau des Hôtels-Dieu et apothicaireries François GRIOT, office du tourisme du Bassin de Joinville Charlotte GUINOIS, conservateur du patrimoine, directrice du musée de la Ville de Guéret François HUBERT, directeur du musée d’Aquitaine de la Ville de Bordeaux Ariane JAMES-SARAZIN, conservateur en chef du patrimoine, directrice des musées de la Ville d’Angers Sophie JOIN-LAMBERT, conservateur en chef du patrimoine, directrice du musée des Beaux-Arts de la Ville de Tours

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Jean-Paul JOURDAN, président de l’université de Bordeaux III – Michel de Montaigne Marion LAGRANGE, maître de conférences, université de Bordeaux III – Michel de Montaigne Sarah LAGREVOL, chargée de collections, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille Guillemette LAUCOIN, conservateur du patrimoine, cinémathèque de Toulouse Stéphanie LEBRETON, régisseur des collections du musée Champollion de la Ville de Figeac Gérard LEVY, galeriste, Paris André LIATARD, directeur du musée Faure de la Ville d’Aix-les-Bains Sylvain MAILLARD Françoise MULLER, directrice de la médiathèque de Moulins Agglomération Silvia NIVEAU, régisseur des œuvres, musées de la Ville d’Angers Yoann OLIVIER, assistant de direction, château et apothicairerie de la Ville de Baugé-en-Anjou Catherine PIMBERT, régisseur des collections du musée des Beaux-Arts de la Ville d’Orléans Claudie PORNIN, conservateur du patrimoine, musées d’Art et d’Histoire de la Ville de Troyes Angélique QUINQUENEL, régisseur des collections du musée des Beaux-Arts de la Ville de Tours Clarisse RAPP, chargée de communication, cinémathèque de Toulouse Isabelle REGELSPERGER, régisseur des œuvres, Cinémathèque française, Paris Chantal ROUQUET, conservateur en chef du patrimoine, directrice des musées d’Art et d’Histoire de la Ville de Troyes Mary SAINSOUS, attachée de conservation, musée Ochier de la Ville de Cluny Florence SARAGOZA, directrice du musée Crozatier de la Ville du Puy-en-Velay Jérôme SIRDEY, conservateur du patrimoine, responsable du fonds ancien de la bibliothèque municipale de Lyon Vincent SPILLMAN, documentaliste à la cinémathèque de Toulouse Pierre TARDAT Christophe TEISSIER Pascaline TODESCHINI, responsable du fonds patrimonial de la bibliothèque de l’université de Montpellier 1 Ainsi que les collectionneurs qui ont préféré rester anonymes

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Les recensements de la ville de Roanne ne mentionnent pas Nesyamon. Et pourtant, cette très vieille dame fait parler d’elle à Roanne depuis 1893. « Celle qui chantait pour le dieu Amon » a été rapportée d’Égypte par Joseph Déchelette puis offerte à la Ville. Depuis cette époque, au cœur du musée Joseph-Déchelette, qui abrite une riche collection d’égyptologie, elle captive adultes et enfants. Pour des raisons de conservation, Nesyamon a dû être retirée des salles du musée pendant deux longues années. Aujourd’hui, elle revient enfin, restaurée, protégée, prête pour recevoir les hommages des Roannais pendant quelques siècles. Et, avec elle, sortent des réserves les autres momies égyptiennes. Désormais, le musée Joseph-Déchelette peut s’enorgueillir de quatre momies féminines, trois d’entre elles âgées de trois mille ans et la dernière, de deux mille trois cent ans seulement. Quatre momies égyptiennes ? À Roanne ? En fait, ces momies sont arrivées dans nos contrées au terme d’un long parcours riche en rebondissements. L’histoire des momies égyptiennes ne prend pas fin avec les pharaons, bien au contraire. Redécouvertes au Moyen Âge, celles-ci deviennent le centre d’un vaste commerce, dans toute l’Europe, pour des finalités bien étonnantes. Largement inédite, l’histoire de la momie en Occident, qui passe notamment par les usines, les expositions universelles et les salles de cinématographe, ne manque pas de piquant. Au-delà de la surprise et de l’anecdote, elle questionne notre nature humaine, notre rapport à la vie, à la mort et à la mémoire. Dix-huit musées dans toute la France, mais aussi quatre bibliothèques historiques, deux cinémathèques, deux universités, une galerie et des collectionneurs privés s’associent à nous pour reconstituer, en une centaine de témoignages souvent inconnus, l’histoire de la momie égyptienne en Europe. Les quatre momies « et demie » de Roanne sont au rendez-vous, chacune illustrant le récit de ses propres aventures. Ainsi, non seulement les Roannais pourront retrouver leur momie, mais aussi comprendre les étapes de son cheminement jusqu’ici, à plus de trois mille kilomètres à vol d’oiseau de son lieu d’origine. Une exposition riche en sensations fortes et instructive à la fois, qui saura plaire à tous, de Roanne et d’ailleurs.

Yves Nicolin Maire de Roanne

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SOMMAIRE

11 Quatre momies et demie… à Roanne

21 La momie médicinale Camille Perez

27 La momie collectionnée Livia Meneghetti

33 La momie examinée Jean-Michel Sablon

39 La momie en voyage Camille Perez

45 La momie et son public Thibault et Agnès Monier

57 La momie maléfique Sophie Senty

65 La momie détruite Camille Perez

73 La momie conservée Noëlle Timbart

81 La momie soignée Laurent Cortella

91 Bibliographie

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QUATRE

MOMIES Camille Perez

ET DEMIE...

À ROANNE

Étonnante au premier abord, la présence de momies égyptiennes à Roanne témoigne, en fait, de tout un pan de leur histoire. Depuis leur redécouverte au Moyen Âge, les momies ont été abondamment importées en Europe. Au XIXe siècle, elles se rencontraient dans les endroits les plus variés. Tour à tour fascinantes, exotiques ou intrigantes, elles étaient à la mode, tout simplement. Momies_int_COR-BAT.indd 11

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QUATRE MOMIES ET DEMIE ... À ROANNE

[page précédente] De gauche à droite : Nesyamon, Nesy-Khonsou, Tjesisetperet et la momie d’Aix-les-Bains, les quatre vieilles dames de Roanne.

Au XIXe siècle, les momies prenaient largement part à la vague d’égyptomania en Europe. Elles étaient la preuve tangible et marquante d’un voyage en Égypte, vécu à cette époque comme une expédition dans un autre monde. Elles constituaient la pièce maîtresse d’un musée. Elles étaient réclamées aussi dans les universités, en particulier de médecine, dans les muséums. Elles animaient les collections privées. Dans les maisons des collectionneurs, elles prenaient place dans le cabinet d’études, s’il y en avait un, ou alors dans le salon, dans l’escalier, dans l’entrée, et parfois dans la chambre à coucher. Au fil du temps, le destin de ces momies fut des plus variés. Les héritiers ne possédaient pas toujours le goût de leurs ancêtres pour ces dépouilles d’un autre temps. Le fonctionnement des maisons changeait, les mœurs aussi. De plus, exposées à la lumière et aux manipulations, souvent maltraitées par des examens violents, les momies se conservaient mal. Elles posaient régulièrement des problèmes de décomposition ou de mauvaises odeurs. À cela s’ajoutait la crainte toujours vive d’une malédiction, en permanence entretenue par les romans, les journaux ou le cinéma. Autant de raisons pour se débarrasser de la momie rapportée par le grand-père. Les plus chanceuses finirent dans les musées, données par les héritiers. D’autres furent montées au grenier où elles se retrouvent parfois. Beaucoup furent simplement éliminées. À leur manière, les quatre momies de Roanne, réunies en 1991 au musée JosephDéchelette, illustrent la diversité des parcours de momies.

Comment tout a commencé ? En 1893, Joseph Déchelette, conservateur du musée de Roanne, part en Égypte acheter une momie… une action tout à fait banale à cette époque Nesyamon, LA momie de Roanne, la plus vieille habitante de la ville est issue parmi des centaines d’autres des nécropoles de Thèbes, puis achetée par Joseph Déchelette. Cet archéologue spécialisé dans l’Âge du fer souhaitait renforcer l’attraction du musée qu’il dirigeait. En 1893, en voyage en Égypte, il visite quelques salles de ventes mais ressort déçu et amer : « Depuis que les Anglais passent par ici, les prix sont élevés et faux1 . » À cette époque, les fouilles de Thèbes ramènent à la lumière de grandes quantités d’antiquités qui sont souvent mises en vente par les musées égyptiens eux-mêmes. En utilisant son titre de conservateur, Joseph Déchelette obtient un traitement de faveur : « […] J’ai eu une réduction de 50 % sur les prix de la salle des ventes du musée de Gizeh. Je ramène une momie dans son cercueil en bois peint et quelques objets2. » Ainsi est constitué le premier noyau des collections égyptiennes du musée de Roanne. Il se compose d’un cercueil anthropomorphe peint de la XXIe dynastie, d’une momie humaine, d’une résille funéraire peut-être un peu plus ancienne, de quatre vases canopes, d’un chevet funéraire, d’une paire de sandales, sans oublier un ensemble de petits vases, fioles, statues divines et serviteurs funéraires indispensables à toute momie. Joseph Déchelette n’a cependant pas terminé son voyage, il part maintenant pour la Syrie et la Palestine. Ne pouvant bien sûr pas abandonner sans garde sa momie, ni la faire voyager seule… il l’emmène avec lui. Nesyamon aura ainsi été une momie voyageuse, avant de gagner finalement Roanne. À son retour à Roanne, Joseph Déchelette présente la momie dans le musée, alors situé au deuxième étage de l’ancien hôtel de ville. Ses espoirs se réalisent, puisque depuis cette période, les Roannais défilent au musée « pour voir la momie ».

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Nesyamon vers 1900, présentée au public dans le musée de Roanne, qui se trouvait alors au deuxième étage de l’ancien hôtel de ville.

Une belle histoire naît alors entre les Roannais et « leur » momie. Pendant plus d’un siècle, Nesyamon éveille l’interêt des visiteurs du musée Nesyamon resta à l’hôtel de ville de Roanne jusqu’en 1923 puis, lors du déménagement du musée dans l’hôtel Valence de la Minardière, à la suite du legs Déchelette, elle fut installée au premier étage de l’hôtel particulier, parmi les céramiques et les tableaux. Elle fut aussi un moment déposée, avec son sarcophage, à la bibliothèque de Roanne qui se trouvait alors à côté du palais de justice. Elle était heureusement revenue avant l’incendie – la malédiction des momies ne semblant pas en cause sur ce point. « Du temps de M. Bornibus, les enfants traversaient la cour en courant pour aller voir la momie. C’était la seule chose qui les intéressait. C’était la vedette du musée. » MARIE-PAULE BARJON, la mémoire du musée Joseph-Déchelette, en poste depuis 1973. Petits et grands, Nesyamon fascine tout le monde à Roanne depuis cent vingt ans. La première rencontre remonte généralement à l’école primaire. Pratiquement toutes les classes y défilent. Les enfants s’agglutinent devant les vitrines. Puis, devenus parents, ils peuvent à leur tour y amener leurs enfants. Après avoir traversé les âges, la momie fait ainsi relais d’une génération à l’autre. « Les enfants, ils ont peur de la momie. Ça les passionne. Mais ils ont peur. Ils veulent toujours savoir ce qu’il y a à l’intérieur. Et si elle est vivante. Je leur réponds oui, mais que la nuit ! » SANDRINE RAY, animatrice au musée Joseph-Déchelette, qui accompagne souvent les groupes d’enfants devant la momie.

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LA

MOMIE Camille Perez

MÉDICINALE

La momie égyptienne est connue en Europe à partir du XIIe siècle. Broyée, elle est intégrée à des potions ou à des cataplasmes puis administrée aux malades. C’est alors, au même titre que le poivre, le gingembre ou la corne de rhinocéros, un produit thérapeutique.

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L A MOMIE MÉDICINALE

La médecine médiévale, héritière d’une tradition antique, se fonde sur l’observation des ressources de la nature : l’homme doit examiner les objets autour de lui pour tenter de comprendre leur utilité [page précédente] Le Livre des simples médecines, de Platearius, vers 1530. Corail, vif-argent, os de seiche et momie font partie alors de la pharmacie idéale.

Pour ce faire, il s’inspire de la forme de l’objet ou de l’usage qu’en font les animaux. Les médecins grecs remarquent ainsi que le suc s’échappant de la grande chélidoine, herbacée bien connue de nos chemins, ressemble à la bile. Ils supposent donc que cette plante peut être utilisée lors des affections du foie, comme cela a, du reste, été prouvé depuis. Autre exemple, la mandragore, vedette de la pharmacopée médiévale. Fascinés par cette plante à la racine en forme de corps humain, les médecins médiévaux la prescrivaient pour les maladies qui touchaient le corps entier. Dans cette logique, la momie égyptienne, corps humain conservé au-delà des siècles, retient bien sûr l’attention des médecins qui l’administrent à leurs malades. Ce comportement étonne et interroge aujourd’hui. Car il s’agit bien de consommer le corps d’un être humain. Cette pratique n’est alors nullement limitée aux momies, et les pharmacopées médiévales contiennent d’autres produits du corps humain. Les médecins du Moyen Âge et des Temps modernes préconisent aussi l’usage de différentes substances récupérées sur des cadavres, les plus appréciés de tous étant les pendus, mais aussi la consommation de placenta. Au lieu de se récrier, rappelons que certaines pratiques comparables sont toujours en vigueur aujourd’hui : la transfusion sanguine et la greffe d’organes constituent un des symboles de fierté et de réussite de la médecine actuelle. Or il s’agit bien là encore de la récupération d’éléments sur un corps vivant ou tout juste décédé. L’idée de manger un corps mort aujourd’hui peut nous heurter, mais les hommes du Moyen Âge auraient sans doute eu une réaction tout aussi vive à l’idée de vivre avec le cœur d’un autre individu dans leur poitrine. Tout est question de mode, de contexte, et aussi du discours médical qui l’accompagne. Certaines de nos pratiques médicales actuelles laisseront probablement nos descendants pantois. En outre, la momie égyptienne est réalisée avec des onguents, variables selon les époques et les lieux, mais qui contiennent souvent de la myrrhe, de la poix et autres ingrédients balsamiques, qui peuvent effectivement avoir des vertus thérapeutiques.

La momie est parée de nombreuses vertus, la plus régulière étant celle d’arrêter le flux de sang. Pour cette raison, elle est régulièrement recommandée pour fermer les plaies, arrêter les saignements de nez, interrompre les règles, mais aussi résoudre toutes les maladies supposées dues à un afflux sanguin trop important Les recettes abondent donc. Entre le XIIIe et le XVIIe siècle, la momie égyptienne est mentionnée dans pratiquement tous les ouvrages de médecine publiés en Occident. Jacques Nyverd, auteur du Grand herbier en France, publié en 1521, trouve bien quatorze emplois à la momie. Elle peut être placée pure sur ou dans le nez, en cas d’hémorragie, mais aussi délayée dans du jus de sanguinaire, ou associée à la gomme arabique pour créer des pastilles à laisser fondre sous la langue. Il indique également

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LA

MOMIE COLLECTIONNÉE Livia Meneghetti

Dès le XVIe siècle et tout au long du XVIIe, les momies égyptiennes suscitent la fascination. Dès leur arrivée en Europe, elles sont achetées par des érudits, des médecins, des apothicaires ou des collectionneurs qui les installent dans leurs cabinets de curiosités.

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L A MOMIE COLLECTIONNÉE

Dès le XVIe siècle, la momie égyptienne s’affirme comme une pièce maîtresse des cabinets de curiosités [page précédente] Momie de Mahinpra, de la XVIIIe dynastie, et sarcophage d’Isiemkheb, reine de la XXIe dynastie, galerie Gérard-Lévy, Paris.

Aux XVIe et XVIIe siècles, le cabinet de curiosités est un lieu spécifique où sont rassemblées les naturalia, les productions de la nature, les artificiosa, les productions de l’homme et les mirabilia, les merveilles de la nature1 . Leur disposition est ordonnée et classifiée, afin de rendre compte de l’organisation de la nature et de ses secrets. En effet, la réunion d’objets divers dans le microcosme qu’est le cabinet doit se faire de manière harmonieuse, en lignes parallèles sur les plafonds, sur les étagères, dans les tiroirs, car c’est la suite d’objets qui fait sens et dévoile la connaissance. Le frontispice du cabinet de Ferrante Imperato (1550-1620), édité dans Dell’ Historia naturale à Naples en 15992, illustre cette idée. Cette suite est un support pour la mémoire du savant qui, dès qu’il pénètre dans son cabinet, est censé voir apparaître l’ordonnancement de la nature, assister au dévoilement de la sagesse et des mystères divins qui y sont contenus. Cette analyse du monde est sous-tendue par la relecture des textes hermétiques tels que ceux attribués à l’Hermès Trismégiste, avatar du dieu égyptien Thot, où la connaissance du divin, accessible aux initiés, est acquise par une analyse des signes de la nature3. Par conséquent, la disposition ordonnée des objets du cabinet se lit comme un ensemble de signes, où chaque objet est traité à la manière d’un hiéroglyphe 4. Aux XVIe et XVIIe siècles, le hiéroglyphe fait lien avec la pensée divine puisqu’il donne à voir l’essence même de la chose créée par Dieu5. Ainsi, les objets accumulés dans les cabinets sont des symboles, des métaphores qui traduisent le fonctionnement du monde6 . Leur agencement cohérent forme un microcosme à l’image du macrocosme. De fait, il semble que l’Égypte ait un rôle d’envergure, car son modèle d’écriture sous-tend l’accès au savoir sur le monde, soit le divin. Elle participe pleinement d’un discours sur les mystères du monde. L’accumulation de petits objets dans le cabinet de curiosités, tels les « marmousets » (oushebtis), les amulettes, les « escarbots » (scarabées), les statuettes (idoles) et les papyrus, renforce son caractère mystérieux, sacré, magique7. Ces éléments matérialisent l’Égypte ancienne et leur seule présence dans le cabinet permet, peut-être, de se rapprocher un peu de la science égyptienne. Les antiquités égyptiennes glorifient le cabinet de curiosités, à l’image de ceux du médecin italien Ulisse Aldrovandi (1522-1605), du collectionneur toulousain François Filhol (1583-1648), ou de l’érudit provençal Claude Nicolas Fabri de Peiresc (1580-1637)8. Parmi les antiquités égyptiennes, la momie occupe une place toute particulière. Contrairement aux petits objets, elle représente une pièce particulièrement onéreuse qui témoigne de l’aisance économique de l’érudit et donc de sa position sociale. Seuls les plus riches, tel Peiresc, pouvaient se vanter d’en avoir une entière9. Une fois acquise, elle constitue un objet d’étude des plus singuliers : elle est soumise à diverses expérimentations. En 1631, Peiresc, par exemple, détruit malencontreusement sa momie alors qu’il voulait vérifier si oui ou non les Égyptiens avaient, à l’image des Grecs, posé une pièce sur la langue de leurs défunts.

Rare, la momie est très appréciée des collectionneurs. À la limite entre la vie et la mort, elle est investie d’une puissance magique remontant aux temps antiques 28

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LA

MOMIE Jean-Michel Sablon

EXAMINÉE

Sous des bandelettes des momies sommeille un corps humain, caché mais bien reconnaissable. Nombreux furent ceux qui voulurent le découvrir. Certains cherchaient simplement les objets, tandis que les égyptologues – ou momiologues – espéraient mieux comprendre la civilisation pharaonique. Au fil des siècles, le scanner a remplacé la scie pour des résultats bien différents. Momies_int_COR-BAT.indd 33

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L A MOMIE EX AMINÉE

Les ouvertures à l’époque moderne : curiosité et chasse aux bijoux [page précédente] Georges Moreau, dit Moreau de Tours (1848-1901) Un égyptologue 1882 Tours, musée des Beaux-Arts

Jusqu’au XVI e siècle, l’intérêt porté aux momies égyptiennes était uniquement médicinal. Les momies transformées en poudre n’intéressaient que les médecins et les apothicaires. À partir du XVII e siècle, les momies bien serrées dans leurs bandelettes suscitèrent la curiosité des Européens et ceux-ci furent tentés d’ôter cette protection millénaire. La première ouverture connue de momie fut exécutée en septembre 1698 par Benoît de Maillet, consul de Louis XIV au Caire. Celui-ci en présence d’un groupe de voyageurs français ôta les bandelettes d’une momie1 . En 1823, Frédéric Caillaud enleva les bandelettes recouvrant le corps d’un jeune homme nommé Petamenophis, né en 95 de notre ère. Il fit exécuter deux dessins de la momie avant et après l’examen, et mentionna la trouvaille sur la tête d’une branche d’olivier en métal et de petites plaques d’or placées sur les yeux et la bouche. Ces séances connurent un réel engouement au cours du XIXe siècle. Il était de bon ton dans la haute société d’acheter une ou plusieurs momies chez un antiquaire et ensuite de convier ses amis et relations pour assister à la découverte des corps cachés sous les bandelettes. Certains affairistes y virent une source de revenus et organisèrent des séances payantes. Malheureusement pour l’égyptologie, toutes ces manipulations n’apportèrent pas de résultat scientifique, aucune relation détaillée n’en ayant été faite. La situation se modifia après la découverte de la cache de Deir el-Bahari contenant de nombreuses momies royales. Celles-ci furent examinées au Caire par l’égyptologue français Gaston Maspero et pour la première fois la méthode de momification fut précisément décrite. Celle-ci n’était connue que par la relation qu’en avait faite l’historien grec Hérodote (480-425 avant notre ère) lors de son voyage en Égypte ainsi que par quelques détails notés par son compatriote Diodore de Sicile trois siècles plus tard. Mais ces auteurs ne faisaient que rapporter des informations de seconde main et les traductions de ces textes grecs n’avaient jamais été confrontées aux découvertes scientifiques plus récentes2.

L’utilisation des rayons X permet des examens plus précis et moins destructeurs Un premier progrès scientifique fut l’utilisation de la radiographie, méthode découverte par le physicien allemand Wilhelm Röntgen en 1895. Dès l’année suivante, W. Koenig réalisa les premières radiographies de momies humaines et animales. En 1898, l’égyptologue britannique William Petrie (1853-1942) fit réaliser la radiographie des momies trouvées à Deshasheh et fut agréablement surpris de constater que celles-ci n’avaient pas souffert lors de cette opération. La première momie royale à être radiographiée fut celle de Touthmosis IV (XVIIIe dynastie, environ 1400-1390 avant notre ère). Par la suite, l’Australien Elliot Smith (1871-1937) radiographia toutes les momies royales du musée du Caire, permettant ainsi de diagnostiquer les principales causes de décès des pharaons. Amosis, Ramsès II, Aménophis II, Merenptah, entre autres, souffrirent d’arthritisme. L’examen de nombreux corps de soldats vétérans de l’armée enterrés près de la tombe de Montouhotep II (XIe dynastie, environ 2064-2013 avant notre ère) à Deir el-Bahari révéla les fractures et autres blessures ayant entraîné leur décès3.

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LA

MOMIE Camille Perez

EN VOYAGE Pour répondre à la demande croissante des musées et des collectionneurs, des milliers de momies sont envoyées en Europe. Leur voyage, effectué dans des conditions souvent précaires, laisse aujourd’hui perplexe.

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L A MOMIE E N VOYAG E

[page précédente] À bord de la Dahalyed : le déchargement des caisses. Collections Roger-Viollet/ Parisienne de Photographie. Cette photographie offre un rare témoignage d’une activité pourtant abondamment pratiquée au XIXe siècle : le transport de momies égyptiennes, souvent dans des conditions très rudimentaires.

Le 28 juin 1888, Pierre Grand écrit une lettre à son oncle pour lui demander de réceptionner un colis arrivant en son nom à la gare de Cluny. Cette lettre semble n’être qu’un banal échange entre parents. Petite précision, cependant : le colis en question contient rien moins que Tjesisetperet, cette momie qui a depuis laissé un souvenir vivace à toutes les personnes qui l’ont vue. L’enchaînement des événements à cette époque est parfaitement logique. Pierre Grand a reçu cette momie en don lors d’un de ses voyages d’affaires en Égypte. À l’époque, les momies constituent des « spécialités locales » abondamment offertes par les Égyptiens à tous leurs clients et visiteurs privilégiés. Cet étrange souvenir est très apprécié des Européens.

Des momies sur les paquebots, dans les trains, dans les diligences ou en attente dans des entrepôts ferroviaires… Au XIXe siècle, la momie est vue comme une marchandise Enthousiasmé par ce cadeau, Pierre Grand n’a cependant pas l’intention de rentrer en Europe de sitôt. Il amène donc sa momie à Alexandrie et la fait embarquer sur un paquebot. Voyage de momie non accompagnée. Avant cela, il prend soin de clouer le couvercle du sarcophage sur la cuve. Pour éviter qu’elle ne soit abîmée ou volée pendant le transport, mais aussi pour la dissimuler. Les momies étaient en effet honnies des marins, qui les accusaient des naufrages et des tempêtes. Plus d’une momie a ainsi fini par-dessus bord, quand les conditions météorologiques se faisaient mauvaises, jetée aux flots par un équipage superstitieux. Celle de Cluny n’a pas connu ce sort funeste. La compagnie Fabre l’amène jusqu’à Marseille. Là, elle patiente sur le port. Une entreprise l’expédie ensuite par chemin de fer jusqu’à Cluny. Le trajet n’est bien sûr pas direct. Après avoir stationné dans différentes gares, la momie de Tjesisetperet arrive finalement à destination, en terre bourguignonne, dans un des hauts lieux du monachisme médiéval. Assurément un long voyage pour cette momie, mais à cette époque, elle n’est pas la seule à être ainsi lancée, avec ou sans accompagnant, sur les réseaux ferrés, les paquebots et jusque dans les diligences. L’Égypte expédie sa spécialité dans le monde entier. Les collectionneurs des cinq continents se fournissent, souvent à distance. Les momies sillonnent l’Europe, traversent l’Atlantique et vont parfois beaucoup plus loin, puisque nous trouvons aujourd’hui des momies égyptiennes en Australie ou en Amérique du Sud. Toutes ont été achetées par des collectionneurs en pleine période d’égyptomanie. À cette époque, il n’est pas rare de croiser une momie dans le train, en remontant de Marseille vers Paris. Et parfois plus d’une. Un convoi de momies est resté dans l’histoire, celui organisé par Albert Gayet depuis Antinoé. Cet égyptologue fouilla le site de cette célèbre cité sur les bords du Nil de 1895 à 1914, quand bien même avec des interruptions, et dit y avoir trouvé trente-quatre mille momies. Il en envoie en France plusieurs milliers. Celles-ci traversent la Méditerranée par paquebot, puis remontent à Paris par le train. Elles gagnent prioritairement le musée Guimet, qui finançait les fouilles de Gayet, et celui du Louvre. Rapidement, les envois dépassent les capacités de ces deux établissements. Des momies ou des éléments de sépulture sont ainsi largement distribués dans les différents musées et établissements scientifiques de Paris. L’offre excède la demande. En 1903, le journal L’Éclair décrit les momies d’Antinoé attendant d’être réceptionnées à la gare de Paris-Bercy, alors réservée au transport de

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MOMIE ET SON PUBLIC Thibault et Agnès Monier

Les présentations de momies au public déclenchent souvent des sentiments forts. Entre l’Expédition d’Égypte et la Première Guerre mondiale, les momies furent régulièrement exposées en France, au point de devenir une figure habituelle de la société parisienne.

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L A MOMIE ET SON PUBLIC

Le XVIIe siècle et les premières collections égyptiennes : les momies figurent parfois au titre des pièces remarquables mais demeurent rares [page précédente] Anonyme, Femme posant devant une momie égyptienne. Paris, Exposition des arts et techniques, 1937.

Dès le début de la Renaissance, les érudits européens commencèrent à se rendre en Égypte, et en rapportèrent des antiques. Des statues, des objets funéraires et des manuscrits coptes ou arabes furent commandés par les grands personnages du royaume pour leurs cabinets de curiosités ou ceux des congrégations religieuses. Un des premiers propriétaires connus de momies fut, au début du XVIIe siècle, NicolasClaude Fabri de Peiresc (1580-1637), conseiller au parlement d’Aix-en-Provence. Par l’intermédiaire du consul du roi à Alexandrie, cet humaniste fit l’acquisition d’objets égyptiens, dont deux momies. L’une d’elles aurait servi de modèle à Rubens. Après la mort de l’Aixois, sa collection gagna le cabinet de Sainte-Geneviève à Paris. Dans sa lignée, l’étude du courrier diplomatique vers l’Orient montre le souci permanent des dirigeants d’obtenir le plus d’Antiques possible en Égypte. Le pillage européen a commencé, et il se poursuivra jusqu’à la création du service des Antiquités de l’Égypte par Auguste Mariette en 1858. Le marquis de Nointel, ambassadeur de France à Constantinople, écrit à Borie, sur les instructions de Colbert1 : « L’Égypte étant le lieu où il se trouve beaucoup de curiosités, le Sieur Borie prendra soin de s’y pourvoir en la plus grande quantité qu’il pourra. Il y fera de plus recherche de quelques belles momies de différentes grandeurs, de plusieurs idoles, de quantité de pierres gravées et médailles. » Benoît de Maillet, consul de France au Caire au XVIIe siècle, fait démailloter des momies et envoie les bandelettes ornées à Paris où le ministre Ponchartrain les fait examiner par un « savant moine » en 1698. Le surintendant Nicolas Fouquet, en 1632, fit l’acquisition de deux sarcophages memphites qui ornèrent son château de Vaux. La Fontaine en fait la description dans son Épître à Fouquet et les attribue à Kephren et Kéops. Ces sarcophages sont actuellement au musée du Louvre2. Les publications traitant des mystères des hiéroglyphes se succèdent alors, de même que les catalogues des collections particulières. Le comte Caylus (16921765), grand collectionneur d’antiquités, publie à la fin de sa vie sept volumes du Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines. Ces ouvrages décrivent sa collection d’objets amassés lors de séjours en Italie, Grèce et MoyenOrient. La majorité de ces objets, légués au roi en 1762, se trouvent aujourd’hui à la Bibliothèque nationale (au cabinet des Médailles) et au Louvre. Le plus ancien catalogue concernant la collection du cabinet du roi, rédigé en 1684 3 , ne mentionne cependant que quelques antiquités égyptiennes : les collections privées étaient plus riches que la collection royale. En 1768, le Dictionnaire des Gaules et de la France4 parle de « cailloux d’Égypte », mais ne mentionne aucune momie animale ou humaine.

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MOMIE Sophie Senty

MALÉFIQUE Un corps humain mystérieusement conservé, revenu des temps immémoriaux… des sépultures millénaires violées pour les besoins de la science ou le commerce… assurément, voici un beau sujet ! À partir du XIXe siècle, écrivains, dessinateurs et cinéastes s’enthousiasment pour les momies… Momies_int_COR-BAT.indd 57

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L A MOMIE MALÉFIQUE

Dans la littérature, la momie semble souvent plus ensorcelante que maléfique. Au premier abord du moins… [page précédente] The Mummy’s Shroud, John Gilling, Grande-Bretagne, 1966.

Maléfique, ou ensorcelante ? La momie égyptienne marque la littérature française avec Le Roman de la momie. de Théophile Gautier. Publiée en 1857 en feuilleton, cette œuvre conte les aventures d’un aristocrate anglais et d’un égyptologue allemand qui découvrent une momie parfaitement conservée et d’une extraordinaire beauté. Par le biais de ce personnage ensorcelant et de sa vie amoureuse, ils découvrent l’histoire de l’Égypte antique. L’aristocrate anglais tombe sous le charme de cette momie et, pour elle, il ne se mariera jamais. Malédiction amoureuse encore dans La Momie d’Anne Rice. L’auteur d’Entretien avec un vampire a délaissé les créatures aux dents acérées pour celles aux bandelettes avec ce roman qui paraît en 1989. Récit qui se révèle plus romanesque et fantastique que terrifiant, et dévoile aussi une malédiction amoureuse. Effrayante Si le cinéma compte plus de momies effrayantes que la littérature, certains ouvrages sont dignes des scénarios les plus angoissants du cinéma. Ou les ont inspirés. L’auteur américain Lovecraft, réputé pour ses récits fantastiques, s’inspire de l’Égypte et évoque un monde souterrain peuplé d’êtres macabres. Les momies sont décrites comme des hybrides d’hommes et d’animaux. Les créatures dépeintes dans ses nouvelles et romans, à la fin des années 1920 et dans les années 1930, sont citées comme les plus effroyables parmi les momies de la littérature. On affirme d’ailleurs que Lovecraft a popularisé les momies avec deux autres auteurs américains, Howard et Smith, qui sont publiés ensemble dans les recueils Weird Tales (Contes étranges). Mais Lovecraft lui-même s’est aussi inspiré d’un autre auteur, grand maître de l’horreur et de l’étrange : Edgar Allan Poe. Ce dernier publie en 1845 Petite discussion avec une momie. Dans ce conte de quarante-cinq pages, deux personnages font revenir à la vie une momie en l’électrocutant. On retrouve dans cet ouvrage la théorie selon laquelle les Égyptiens espéraient voyager dans le temps en préservant leur enveloppe corporelle. S’il faut se méfier de la momie d’Edgar Allan Poe revenue à la vie, c’est pour ses révélations. L’auteur utilise la momie ressuscitée pour émettre une vive critique de la société, et notamment des scientifiques de son époque, dont il juge le savoir et les pratiques inférieurs à ceux de l’Égypte antique. Le narrateur achève son récit en affirmant vouloir être embaumé pour quitter cette société détestable et découvrir qui sera président en 2045 ! Pas celle que l’on croit ? La première momie de la littérature n’est pas celle que l’on croit, du moins n’est pas égyptienne. Mais elle a été inspirée par les découvertes égyptiennes de l’époque qui fascinaient les Européens. Cette créature est celle de Marie Shelley dans son Frankenstein qui affirmera d’ailleurs « quel mortel supporterait l’horreur d’une telle situation ! Une momie à qui l’on rendrait l’âme ne pourrait pas être aussi hideuse que ce misérable. » Au rayon noir Les momies ont particulièrement inspiré les récits policiers. Et notamment l’auteur de Sherlock Holmes, qui en 1890 écrit une nouvelle intitulée L’Anneau de Toth, et relate l’histoire d’un égyptologue. Ou encore Lot No 249 qui aurait inspiré la célèbre momie du cinéma de Karl Freund produite en 1932.

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MOMIE Camille Perez

DÉTRUITE Transformées en médicaments, en peinture ou en engrais, détruites par ignorance ou incurie, bien des momies égyptiennes ont disparu. Celles que nous voyons aujourd’hui sont les rescapées d’une utilisation massive, à des fins souvent surprenantes.

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L A MOMIE DÉTRUITE

[page précédente] Christian Délu, Droguerie « A la momie », anciennement située au 242, rue Saint-Denis, Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris.

Une sur vingt ! C’est peut-être le nombre de momies conservées parmi toutes celles envoyées en France par Albert Gayet depuis les fouilles d’Antinoé. Et pourtant, les travaux étaient dirigés par un scientifique chevronné. Et les momies étaient dirigées vers des musées, experts dans la conservation d’éléments anciens. La momie est un élément en équilibre. Ce corps, sauvé de la décomposition par les gestes et les produits des Égyptiens, demeure cependant en sursis. Il se conserve bien protégé par ses bandelettes et son sarcophage, au fond de son tombeau, sans mouvement de température. Sortie de cet écrin de protection, exposée à la lumière, à la chaleur et à des mains curieuses, une momie devient un objet très fragile.

La momie commence son histoire en Occident par une destruction puisqu’elle est d’abord vendue comme poudre pharmaceutique pour soigner divers maux J. Gauchard, Voyageur dans le caveau de momies. Cette estampe illustre les premières expéditions dans les tombes de l’Égypte antique. Au cours de ces « chasses au trésor », d’innombrables momies furent détruites.

Consommée pure, diluée dans des sirops ou intégrée dans des onguents ou des pilules, elle est très recherchée des malades du XVe au XIXe siècle. Pour satisfaire la demande, d’innombrables momies sont ainsi broyées, comme du poivre ou une autre épice, et expédiées en sac en Occident. Bien sûr, la momie médicinale était souvent une supercherie, mais de nombreuses momies y passèrent réellement, à tel point que les Égyptiens grondent, au XIXe siècle, furieux de voir les corps de leurs rois servir à soigner les maux des Français et des Anglais.

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MOMIE Noëlle Timbart

CONSERVÉE Héritage de l’égyptomanie, les momies humaines se rencontrent aujourd’hui abondamment dans les musées. Tandis que leur conservation-restauration obéit à des pratiques de plus en plus précises, leur présentation au public interroge dans notre société actuelle.

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L A MOMIE CONSERVÉE

[page précédente] Vitrine présentant les ensembles momie, cartonnage et cercueil, musée Anne-de-Beaujeu, Moulins.

La présence de restes humains patrimonialisés1 dans les musées, sous diverses formes (corps entiers, fragmentaires, squelettes, etc.), n’est pas anodine et constitue, outre une responsabilité particulière pour les professionnels qui en ont la charge, un enjeu important. Elle soulève de nombreuses questions d’ordre scientifique, éthique ou culturel mais aussi de conservation2. En tant que biens entrés dans les collections du musée, ce dernier se doit de les conserver, de les étudier mais aussi de les présenter au public tout en assurant leur pérennité. Mais « Parce que la dimension “humaine” l’emporte peu à peu sur celle de “vestige” ou de “type”, l’idée que le musée puisse détenir et exposer les corps de défunts prête pour le moins à réflexion. Les débats parfois houleux autour du bien-fondé de ce domaine particulier des collections amène aujourd’hui à repenser dans leur ensemble les pratiques patrimoniales et scientifiques qui les entourent. » (Cadot, 2009, p. 13). Une des difficultés de ces collections muséales réside dans la part affective et sensible qu’elles véhiculent. Elles sont éminemment subjectives car elles renvoient au rapport que chaque individu et au-delà, chaque culture entretiennent face au traitement des restes humains, au corps et à la mort, suscitant fascination, malaise, peur et/ou dégoût. Toutefois, les responsables muséaux se doivent d’avoir les connaissances liées aux pratiques de conservation de ces collections mais aussi d’exposition car, outre leur valeur scientifique, ces restes humains représentent un patrimoine universel essentiel pour appréhender l’histoire de l’humanité qui doit être à la fois protégé et accessible à tous.

Aborder la question de la relation entre les momies et les musées suppose de s’intéresser à leur statut. Une des difficultés des restes humains patrimonialisés est qu’ils sont considérés, du point de vue juridique, dans un entre-deux, entre objet et sujet Comme l’écrit Grignard (2012, p. 12), « En les définissant comme des objets, ces restes deviennent des éléments d’un système biologique passé sans faire référence à leur essence humaine. Les squelettes, les crânes mais aussi les ossements, les chevelures, les lambeaux de peaux et les préparations anatomiques conservés dans les musées sont alors traités comme tout autre objet, dans une vision objective de développement du savoir. Ce statut permet à la communauté scientifique de les étudier sans être confrontée à des questions éthiques liées à toute expérimentation sur l’humain. En tant qu’objets, ils sont de fait soumis au régime d’inaliénabilité propre aux objets des collections muséales, ce qui garantit leur incessibilité et légitime leur présence dans les musées. Mais s’ils sont considérés comme des sujets, ces restes deviennent humains, et ne sauraient être manipulés, conservés dans des boîtes, ou exposés au public sans prendre en compte leur humanité et leur dimension culturelle. » Cette notion d’humanité rattachée aux restes humains est essentielle et doit être réfléchie pour déterminer comment les considérer et les traiter dans les musées. Contrairement à l’Angleterre3, la France n’a pas de définition claire de ce qu’est un reste humain dans une perspective patrimoniale et muséale. Elle ne dispose d’aucun texte juridique de référence pour préciser le statut de ces collections. En tant qu’objets inscrits à l’inventaire, ils sont, de par la loi musées de 2002, muséalisés et donc inaliénables. Mais en tant que corps anciennement vivants, la loi bioéthique de 2004 s’applique également : ils ne peuvent faire l’objet de droits patrimoniaux4 (Grignard, 2012). En outre, le code de déontologie de l’ICOM qui les considère comme des « objets

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MOMIE Laurent Cortella

SOIGNÉE La momification interrompt un processus naturel de dégradation qui peut reprendre à tout moment. Pour conserver leurs momies, les musées ont employé, au fil des siècles, des moyens variés.

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L A MOMIE SOIGNÉE

[page précédente] Traitement d’irradiation aux rayons gamma à ARCNucléart (CEA de Grenoble).

Pour momifier les défunts, les hommes se sont ingéniés à éviter la putréfaction des corps. Quelles que soient les techniques employées, il ne s’agissait que de repousser le moment où la biodégradation reprend ses droits et où les corps retournent à la poussière. Ou, autrement dit, où la matière organique se transforme en matière minérale suivant le cycle de la biomasse. Au-delà de l’efficacité des techniques d’embaumement, ce sont bien souvent les conditions environnementales favorables ou non aux différents types de biodégradations qui permettent de repousser ce moment. Ainsi, des conditions chaudes, ou humides, ou des environnements particulièrement chargés en micro-organismes peuvent conduire à une colonisation des momies par des organismes vivants, de taille diverse, qu’il devient difficile d’enrayer. La conservation des momies en tant que témoignage de civilisation et patrimoine historique nécessite donc de trouver les moyens de lutter contre ces infestations biologiques capables d’en dégrader définitivement la matière.

Les traitements de conservation, dits biocides, n’ont donc d’autres buts que de stabiliser l’état des momies, prolongeant, si faire se peut, l’action initiale de ceux qui voulaient conserver les corps en les momifiant Ces traitements se distinguent des gestes de restauration qui viseront à restituer, selon un degré d’intervention plus ou moins marqué, une certaine intégrité, voire lisibilité des éléments constitutifs de ces momies. Ce sont les chimistes, en particulier dans les muséums, qui les premiers se sont intéressés à la conservation des collections de nos musées. Ils proposèrent, entre autres, d’employer de puissants poisons, au rang desquels l’arsenic et le mercure tenaient les premières places, pour la conservation des animaux taxidermisés dont la nature est, en bien

Jean-Pierre Sebah, Momies égyptiennes au musée de Ghiseh, Roanne, musée Joseph-Déchelette.

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