Construire en terre 2

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L’habitat, l’air de rien ************************************************************************************************

Physique élément-terre : Cet article fait suite à Notions élément-terre paru dans Belba le cave n°4. Ces deux articles sont complémentaires

Il s’approcha doucement de la dernière demeure. Du bois et de la paille flottaient encore dans les airs. Cette fois là, ils ne pouvaient plus lui échapper. Il allait démolir cette maison comme les deux dernières. Il gonfla ses joues et se mit à souffler encore et encore. Les murs tremblaient, les arbres s’arrachaient, la poussière formait un véritable brouillard. On ne distinguait bientôt plus rien. Il s’arrêta pour regarder l’ampleur de ses dégâts … Tout avait été pulvérisé, seuls trois petits cochons tremblaient au milieu des décombres. Il se réjouissait à l’avance de son festin. Quant au troisième petit cochon, il regrettait amèrement de ne pas avoir fait l’étude préalable et indispensable de sa terre… « sûrement une carence en argile » lui murmura le loup en l’attrapant par les pattes.

Le trio magique La construction en terre repose sur un trio magique : sable + eau + argile. Pour mieux comprendre les principes concrets de construction en terre, il faut tout d’abord s’intéresser aux caractéristiques physico-chimiques de ces trois éléments.

Le sable Le sable possède un comportement encore inexpliqué aujourd’hui (on parle de quatrième état de la matière) puisqu’il réagit à la fois comme un solide, un liquide ou un gaz selon son utilisation. Ce phénomène caractéristique de la matière grain est provoquée par la quantité importante d’air contenue entre les grains. Plus il y a d’air, plus le comportement est gazeux. *Angle de d’avalanche :

repos

/

Angle

On peut remarquer assez facilement qu’un tas de sable en équilibre présente toujours la même forme : celle d’un cône d’angle constant, comme les dunes dans le désert. Chaque sable est caractérisé par un angle de repos qui est déterminé par la forme des grains : plus ils sont arrondis, plus l’angle sera faible. Pour le sable, cet angle est d’environ 30%. Si on tente d’incliner le tas de sable, on pourra dépasser cet angle de quelques degrés avant que les grains s’écoulent et que le tas reprenne son angle de repos. C’est l’angle d’avalanche, caractéristique de la taille des grains et donc de leur masse. *La ségrégation :

Lorsqu’un mélange de deux sables différents s’écoule à travers un trou de faible diamètre (un sablier), une séparation naturelle des grains s’opère. On obtient un motif caractéristique : les grains les plus gros (angle d’avalanche plus faible) se mettent sur les bords et les grains les plus petits forment un ‘sapin’ au milieu. Il y a eu ségrégation des grains.


Ce phénomène intéressant au premier abord, puisqu’il peut permettre de trier les grains par taille, est assez gênant lors de la construction en pisé car la terre perd son caractère homogène lorsqu’elle est versée : les gros cailloux tombent sur les bords. Il faut donc toujours penser à mélanger la terre avant de la tasser. De même, en industrie, il est très difficile de mélanger deux poudres de diamètres différents par brassage car elles se séparent par ségrégation à chaque écoulement. *Les arcs de force :

Une expérience intéressante à faire consiste à comparer le temps d’écoulement d’un sablier ‘à sable’ et d’un sablier à eau. Si l’eau s’écoule beaucoup plus vite au début, elle ralentit énormément à la fin car la vitesse d’écoulement est proportionnelle à la quantité d’eau restante. Le sable, quant à lui, s’écoule toujours de manière constante (à la même vitesse) quelle que soit la quantité de sable et s’écoule au final plus vite que l’eau. Il semblerait donc que le sable ‘du bas’ ne ressente pas la présence du sable restant. Ce phénomène possède une explication : le sable tend naturellement à former des arcs de forces. Ceci est bien visible sur la photo. Cette tendance à former des arcs est très importante lors de la construction. En effet, la

présence d’arches redistribue les forces et lors d’une compression verticale (pilonnage), une grande partie des forces est redéployée horizontalement dans le coffrage et les grains du bas ne subissent aucune contrainte. On comprend donc qu’il faudra tasser le pisé par faible épaisseur (environ 30cm) et ne pas taper trop fort pour ne pas faire gonfler le coffrage (et même le casser). *L’empilement apollonien : L’intérêt d’avoir une grande diversité de tailles de grain est qu’il existe un empilement parfait, le plus compact possible : l’empilement apollonien. Dans cette configuration, des grains de plus en plus petits viennent s’insérer entre les grains les plus gros afin de minimiser les espaces vides. Cette configuration idéale est, en pratique, impossible à obtenir puisqu’elle est rigoureusement mathématique. Par contre, on peut aisément comprendre que la place occupée par un caillou ne contient aucun espace ‘libre’ alors que son équivalent en sable ou en poudre sera ‘rempli’ d’air. Pour combler au maximum un espace, il faut d’abord mettre des pierres, puis des cailloux entre les pierres, des graviers, du sable, des silts et des argiles. On retrouve tous les constituants du pisé.

L’eau La quantité d’eau présente dans le pisé est très importante et change en fonction de l’utilisation : un pisé très humide sera coulé, un pisé plus sec sera façonné ou tassé. Pour bien faire comprendre le rôle de l’eau en tant que colle, il faut tout d’abord rappeler certaines notions. *Hydrophile et hydrophobe : Pour comprendre facilement ces deux concepts, prendre une surface hydrophile (du verre) et une surface hydrophobe (du téflon) et faire tomber une goutte d’eau sur chacune : d’un côté la goutte s’étale, de l’autre elle reste sphérique. En effet, le verre est hydrophile donc l’eau accepte son contact tandis que le téflon est hydrophobe et en refusant son contact, l’eau se met sous une forme qui minimise les contacts avec l’extérieur : une sphère. Sur des matériaux totalement hydrophobes on observe de véritables billes d’eau. Or, on sait que le verre est principalement fait de silice donc… de sable ! Le sable est donc lui aussi un matériau hydrophile, il possède de bonnes affinités avec l’eau et ils acceptent le contact. *Tension de surface : On parle aussi de ‘la force de l’eau’. L’eau semble totalement inerte – et pourtant un trombone posé délicatement à la surface flotte, l’eau et l’huile ne se mélangent pas, l’eau est aspirée par des espaces très fin (capillarité)… On appelle cette force tension de surface. Elle est assez


puissante pour coller des grains entre eux comme dans un château de sable. Elle joue le rôle de colle provisoire jusqu’à ce qu’elle s’évapore. *Dilatance :

et l’eau s’infiltre dans les trous. Sous l’effet de vibration, la configuration peut donc se désorganiser. En d’autres termes si un terrain est sableux, très humide et qu’il y a un tremblement de terre, on obtient un glissement de terrain. Ce phénomène est aussi utilisé pour tasser les bétons dans les coffrages par vibrations.

L’argile

Lorsque vous mouillez des billes de verre, celles-ci se rangent automatiquement sous forme d’un empilement hexagonal compact (nid d’abeille) qui est le plus dense. Il se passe la même chose avec le sable qui se compacte lorsqu’il est humide. Si, maintenant, vous appliquez une compression sur le sable, l’arrangement hexagonal va être brisé et il se forme des trous dans lesquels l’eau va pouvoir s’infiltrer. En conséquence, si vous compressez du sable humide, il sèche en surface. C’est assez troublant. Vous observez le même phénomène lorsque vous marchez au ras de l’eau, à la plage, et que l’empreinte de votre pied sèche sur le pourtour : la configuration du sable sous votre pied est cassée

Toutes les notions fondamentales ont déjà été expliquées dans Notions élément-terre. Voici un petit rappel pour les absents. L’argile est composée par les grains les plus petits de la terre : sa dimension caractéristique est le micron. A partir de cette échelle, le comportement de la matière est différent. A sec, l’argile répond aux propriétés des poudres, différentes de celles du sable ; lorsque l’on ajoute de l’eau on obtient un gel.

La gélification est due à la forme des grains. En effet, les grains d’argile sont plats (en forme de plaquettes) et peuvent se regrouper afin de former des micelles (amas de plaquettes). Dans l’eau, ces micelles ont une charge électrique négative, elles vont donc se repousser pour occuper le plus d’espace possible, à la différence du sable qui se dépose rapidement au fond. On ajoute donc seulement une très faible quantité d’argile (quelques pour cents) pour gélifier de l’eau. De l’argile pure ressemble à du gel pour les cheveux. Une fois l’eau évaporée, il ne reste qu’une infime quantité de matière. Par exemple, le gel pour cheveux disparaît complètement une fois sec. Dans le pisé, les feuillets d’argile collent les grains de sable et les autres éléments entre eux et donnent sa solidité et sa cohérence au matériau. L’importance de l’argile dans le pisé est comparable à celle du ciment dans le béton. Ci-contre : schéma d’un micelle d’argile, extrait du Traité de construction en Terre (Editions Parenthèse)

Prend ta pelle et met tes gants Maintenant que les principes de base sont acquis, il est temps de passer à la construction. Intéressons nous plus précisément à deux techniques de construction en terre crue très utilisées : la terre comprimée et le bloc comprimé (ou adobe).

La terre comprimée Consiste à construire un mur par étapes successives en

tassant de la terre dans un coffrage de bois à l’aide d’un pilon. Les principaux avantages sont la rapidité et la simplicité

de la construction, donc la possibilité de faire de l’autoconstruction (construire soimême). Par contre, elle


Ci-dessus : 4 logements en pisé non stabilisé (c’est-à-dire sans ciment) à l'Isle d'Abeau (Grenoble).

nécessite une grande dépense énergétique (inviter des amis). Des entreprises ou des organismes (comme CRATerre à Grenoble) proposent des restaurations ou des constructions en pisé. La terre comprimée repose sur trois étapes majeures : *Trouver la bonne terre *Ajouter une quantité optimale d’eau *Construire par étapes Une bonne terre est une terre qui possède une vaste granulométrie ainsi que de l’argile. Pour constituer le corps du mur, on ne tamise pas la terre. En effet pour avoir un empilement apollonien, le plus compact et le plus solide possible, il faut garder tous les éléments (du plus gros au plus petit). La présence d’argile en quantité non négligeable est indispensable pour maintenir les éléments entre eux. On utilise généralement du pisé, terre régionale du Dauphiné (Grenoble, Lyon…) qui remplit avec succès ces deux critères. Il est possible d’ajouter un faible pourcentage de ciment dans des terres trop peu argileuses ou

pour améliorer les propriétés mécaniques. Une fois la terre trouvée, il faut ajouter une quantité optimale d’eau. L’eau va jouer le rôle de colle provisoire et d’activateur d’argile. Il est donc très important de savoir quelle quantité ajouter. Il existe des techniques où l’on ajoute une grande quantité d’eau pour couler le pisé. Pour la terre comprimée, une terre trop liquide présentera des inconvénients majeurs : séchage très long ou présence de vide (en s’évaporant, l’eau laisse sa place à de l’air !). Le but est donc de trouver , généralement expérimentalement, la quantité minimale d’eau qui permettra la cohésion du matériau. Enfin, dernière étape, il faut construire le mur. Pour cela, on utilise un coffrage : un grand rectangle formé de quatre planches d’environ 1 m. de haut pour 40 cm. de large et de la longueur voulue. On le pose au sol et on remplit avec une trentaine de centimètres de terre (on se rappelle qu’on ne peut pas en mettre plus à cause des arcs de force. Ensuite, on tasse la terre avec un pilon afin de chasser l’air pour éviter les trous et pour que le pisé prenne

la forme du coffrage par légère dilatance. Pour tasser par pilonnage il ne faut pas ‘taper’ mais utiliser un instrument relativement lourd qu’on soulève et qu’on laisse tomber. Si on tape trop fort, on peut déformer ou briser le coffrage. Une fois la couche bien tassée, on remet trente centimètres de terre et on continue. Une fois le coffrage plein, on le retire, on le fixe sur le haut du mur et on recommence. Si la quantité d’eau a été bien choisie, le mur, même humide, peut supporter les contraintes de la suite de la construction.

Le bloc comprimé (ou adobe) Consiste à fabriquer des briques de terre à l’aide de moules, de presses mécaniques et hydrauliques ou à la main puis de bâtir à l’aide d’un mortier. On respecte les mêmes critères de sélection de la terre que pour la terre comprimée. Il n’y a pas de taille ‘réglementaire’ pour les briques ; 30 à 40 cm. de côté pour 7 à 10 cm. de haut est une bonne moyenne. On utilise une terre tamisée en éliminant les éléments supérieurs à quelques millimètres de diamètre. On laisse les briques sécher quelques heures avant de les utiliser. Pour faire le mortier, il faut mélanger 50% de sable et 50% de terre tamisée (au diamètre du sable) et ajouter un peu d’eau jusqu’à obtenir une consistance pâteuse. Il suffit ensuite de construire le mur en décalant les briques à chaque étage. Il est assez commun d’ajouter de la paille ou de l’herbe à la terre pour optimiser ses propriétés. Cette technique de construction est très prisée à travers le monde, notamment


dans les pays en voie de développement. Il est préférable de respecter une architecture simple (ça ne

veut pas dire moche !) pour ce genre de travaux puisque la terre ne travaille qu’en compression, c’est à dire qu’elle supporte bien les efforts

verticaux. Par contre, elle ne résiste pas à la flexion et à la traction. On oublie donc les projets avec colonnes à 45°…

Ci-dessus : la Huaca del Sol au Pérou. On estime qu’il a fallu environ 130 millions de briques de terre et plus de 800 ans pour la bâtir (228m sur 136m et 41m de haut).

Inertie terremique Cette partie est là pour tordre le cou à une idée très répandue : « ce qui est bien avec la terre, c’est que ça isole »… Pour qu’il n’y ait pas de doute possible, on va faire appel à la physique. En thermique, un isolant est un matériau ayant une faible conductivité thermique. On l’exprime en W.m-1.K-1 à 20°. Cela correspond à la quantité de chaleur qui traverse un mètre de matériau pour une variation de température de un degré à vingt degré. Bon, c’est presque compréhensible. Pour faire simple, il faut comprendre que plus la conductivité thermique d’un bâtiment est faible, plus il est isolant. Parmi les meilleurs isolants, on trouve l’air (0.00262 W.m-1.K-1) ou la laine

de verre (0.04 W.m-1.K-1). La terre (0.3 à 0.7 W.m-1.K-1) a un pouvoir isolant comparable au béton (1 à 1.21 W.m-1.K-1). Ces valeurs sont faibles par rapport à des conducteurs comme l’acier (46 W.m-1.K-1) ou l’argent (429 W.m-1.K-1) mais elles restent bien trop élevées pour assurer une isolation performante. On remarque d’ailleurs que la conductivité thermique de la terre (ou du béton) est environ 100 fois plus élevée que celle des isolants et 100 fois plus

faible que celle des conducteurs. Elle est donc trop élevée pour empêcher les changements thermiques, par contre elle est suffisamment faible pour rendre ces changements lents. Cela se remarque bien dans nos villes toutes bétonnées. En hiver elles sont très froides et le soleil d’un jour ne suffit pas à les réchauffer. A Contrario, en été, une fois chaudes il faut du temps pour les refroidir. La terre n’est donc pas un bon isolant. Un ‘vrai’ isolant thermique assure une


température constante dans l’habitation indépendamment de la température extérieure. En fait, la terre crue et le béton on une bonne inertie thermique. Concrètement quand il fait chaud (le jour), la terre emmagasine de la chaleur et la restitue pendant les périodes les plus froides (la nuit). Dans des régions au

climats secs et chauds, aux journées chaudes et aux nuits froides, cela permet effectivement une régulation thermique efficace entre le jour et la nuit. L’ajout d’un isolant serait même un handicap. Par contre, dans des régions aux climats tempérés comme la France, les changements thermiques quotidiens sont faibles (une vingtaine de degrés

entre les extrêmes) mais les saisons sont très marquées (plus de quarante degrés d’écart). L’inertie thermique ne suffit pas pour réguler la température. En France, une habitation en terre ou en béton est toujours complétée par un système d’isolation. Ce tandem fait néanmoins partie des plus performants.

C’est bien beau tout ça mais pourquoi bâtir en terre ? Voici, entre autres, une liste pertinente des principaux avantages environnementaux et économiques trouvée sur le site : www.tve.org

Avantages pour l’environnement : La terre non cuite ne contribue pas à la déforestation puisqu’on n’utilise pas de ressources biologiques pour la cuisson des matériaux Elle ne consomme aucune énergie non renouvelable comme le pétrole et le gaz, que ce soit au traitement et à la fabrication d’origine des matériaux ou dans l’application – contrairement à la fabrication du ciment, de la chaux et d’autres matériaux liants conventionnels. L’exploitation de la strate à même les chantiers permet une économie d’énergie énorme de transport de matériaux. Cela ne contribue pas à la dégradation du paysage, contrairement à l’extraction de minéraux et de minerais qui creuse collines et sites à ciel ouvert. Une grande quantité de terre extraite au cours de grands travaux d’utilité publique, comme les routes,

peut être recyclée et utilisée pour la construction (ce qui permet une distribution décentralisée très facile). Cela contribue à une moindre réduction de ressources en agrégat, tels les graviers et le sable qui sont extraits de carrières ou de cours d’eau dans des sites insulaires ou des lagons, mettant en péril la balance écologique de ces environnements naturels. Cela n’utilise que très peu d’eau, ressource essentielle pour la vie des populations. Cela ne produit aucun déchet industriel ou chimique et a en plus l’avantage d’être presque entièrement recyclable. Non seulement l’utilisation de la terre cuite ne pollue pas, mais elle garantie aussi l’absence d’effets nocifs dans le cadre de la vie quotidienne, tels l’absence d’émissions gazeuses et d’autres produits chimiques toxiques, émissions radioactives, etc.

La texture de la surface, la couleur, la forme et la luminosité de la terre non cuite en font un matériau attrayant pour bâtir sans détruire l’environnement naturel.

Avantages économiques : La terre non cuite est souvent comparable en prix, et même plus économique, que les technologies concurrentielles. Elle ne nécessite aucun coût majeur de transport grâce à sa légère infrastructure de fabrication. Elle ne nécessite qu’un mode de fabrication simple et des outils qui sont accessibles à un large groupe de maçons et de bâtisseurs individuels. Elle appartient à l’héritage architectural traditionnel de nombreux pays tout en utilisant des matériaux locaux, et permet aux populations de prendre en charge la production de leur environnement et de contrôler leur habitat.

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