L’habitat, l’air de rien ************************************************************************************************
Notions élément-terre : Il s’approcha doucement de la dernière demeure. Du bois et de la paille flottaient encore dans les airs. Cette fois là, ils ne pouvaient plus lui échapper. Il allait démolir cette maison comme les deux dernières. Il gonfla ses joues et se mit à souffler encore et encore. Les murs tremblaient, les arbres s’arrachaient, la poussière formait un véritable brouillard. On ne distinguait bientôt plus rien. Il s’arrêta pour regarder l’ampleur de ses dégâts … la maison était toujours là !! 40cm de pisé compacté … il n’avait aucune chance. Le Grand Méchant Loup n’est pas le seul à s’être aperçu que la terre était un matériau solide puisqu’il s’agit du matériau de construction le plus utilisé par l’espèce humaine depuis près de 10 000 ans. De nos jours, un tiers de la population mondiale vit dans des habitats de terre.
De la citadelle imprenable à la Manhattan des sables : En Iran, à environ 1000 km au sud-est de Téhéran, la ville de Bâam est l’une des plus anciennes constructions en terre connue. Cette citadelle réputée imprenable, vieille de plus de 2000 ans, a résisté à toutes les agressions subies au cours de ces 20 derniers siècles. Elle était réputée pour être un véritable oasis au milieu du désert et
avait longtemps constituée une étape majeure sur la Route de la Soie. Cette cité a donc été entièrement construite en terre : les bâtiments, la muraille, les tours, la forteresse ! Un seul matériau a suffi pour répondre à des exigences aussi différentes. Pas besoin de poutres en bois ou de blocs de pierre, les murailles comme les maisons ont été bâties de la même manière. Cependant, cela n’a pas pour autant bridé l’imagination des architectes de l’époque. La terre a été façonnée sous toutes ses formes pour construire des centaines d’arches et des kilomètres de mâchicoulis. Des murailles hautes comme des falaises et lisses comme du verre dominent des habitations aux lignes sinueuses. Elle était le meilleur exemple des constructions urbaines de l'Iran préislamique.
Malheureusement fin 2003, un séisme d’une violence inouï (8,5 sur l’échelle de Richter) a infligé à cette cité des dégâts irréversibles, détruisant en très grande partie (80%) une des merveilles du patrimoine culturel de l'Iran, la plus grande construction en pisé au monde. Encore plus loin de nous, Sanaa, capitale du Yémen. Perchée à 2350m d’altitude au Sudouest de la mer Rouge, cette ville porte à merveille son nom de Manhattan des sables avec son architecture digne des plus grandes mégalopoles américaines. Des buildings de terre s’élèvent à plusieurs dizaines de mètres du sol, chacun arborant fièrement les chatoyantes couleurs de la famille propriétaire afin de compenser une architecture uniforme qui peut paraître un peu « secterre ». Cependant, ce choix avait été fait pour laisser le plus de place
pendant la journée la fraîcheur de la nuit et emmagasinent pendant la journée la chaleur du
Evidemment, ce quartier historique n’abrite pas à lui seul les 1,3 millions d’habitants de la
soleil. En retour, les édifices fragiles en pisé requièrent de la part des habitants la plus grande attention et un entretien permanent des façades. En effet les dégradations dues aux intempéries sont minimes mais
capitale mais aujourd’hui il se dresse toujours fièrement au milieu de la nouvelle Sanaa. Ces deux villes sont de parfaits exemples des possibilités offertes par la terre crue en tant que matériau de construction. De plus, dans les deux cas, la terre a été prélevée sur place et les villes se sont donc auto construites avec très peu d’aide extérieure. Pour ces raisons, pendant 1500 ans la ville de Sanaa est restée inconnue des Européens jusqu’au milieu du XXe siècle. La terre semble donc capable de traverser le temps avec une aisance rare tout en gardant ses propriétés et sa splendeur (Bâam était encore magnifique il y a 4 ans…).
possible aux terres cultivables sur les bords du Wadi Dohan, le fleuve oasis. De plus, les épais murs de boue restituent
nombreuses et il faut régulièrement reboucher les imperfections pour éviter que le mur ne s’effrite complètement.
Voyons donc de plus près quel est ce matériau hérité du passé.
Voyage au centre de la terre : Les informations et le schéma présentés dans cette partie sont extraits du Traité de Construction en Terre (Editions Parenthèses), livre référence qui offre une synthèse complète des connaissances actuelles dans ce domaine. Tout d’abord, qu’est-ce que la terre ? La terre est un ensemble de particules de tailles et de compositions différentes issues de l’altération de la roche. On trouve 3 constituants principaux (% en poids) : de la matière minérale (80%), de l’eau (18%), de la matière organique (2%), et des gaz. En fonction des différentes roches, on obtient donc différents types de terre. Et comme il y a de nombreuses roches différentes, il existe une très grande variété de terres.
« corps » de la terre, l’argile est le ciment. De nombreuses forces (principalement électrostatiques) s’exercent entre les micelles et les grains inertes et les maintiennent entre eux. C’est l’argile qui assure en grande partie la cohésion de la
ciées.
Maintenant il reste à savoir quelle terre utiliser pour construire quoi ? En fait, c’est la terre qui détermine le mode de construction puisque généralement elle est
La principale différence entre les terres concerne la matière minérale. Elle se compose de cailloux, de sable, de silt et d’argile. Le silt est simplement un sable de petite taille (diamètre inférieur à 0.06mm), l’argile, c’est un peu plus compliqué. Il s’agit de particules microscopiques (2μm) plates et allongées, de forme lamellaire (des feuillets). Elles possèdent donc une très grande surface qui est sujette à de très nombreuses forces interfoliaires. Lorsqu’elles sont dans l’eau, elles se regroupent alors en amas de plusieurs dizaines ou centaines de feuillets que l’on nomme micelle (comme le beurre… elle est pas de moi…). Selon les types d’argiles, les feuillets se rapprochent plus ou moins les uns des autres et l’argile sera plus ou moins gonflante. On distingue 3 types principaux d’argile : la kaolinite (peu gonflante), l’illite (gonflante) et la montmorillonite (très gonflante). Les particules de gros diamètre (cailloux, sable) sont le
Photo d’argile dans du gel. On distingue l’aspect feuillet des micelles, figés par le gel.
terre, propriété essentielle. Il existe 4 propriétés fondamentales pour une terre : - la granularité : quantité de sable/silt/argile dans la terre. On obtient respectivement une terre sableuse/silteuse/argileuse. A noter que toutes les terres ne sont pas argileuses. - la plasticité : aptitude à être modelée - la compressibilité : capacité à réduire sa porosité (volume de vide dans la terre, en %) - la cohésion : propriété des particules de la terre à rester asso-
prélevée sur place, et donc on s’adapte. On peut aussi évidemment acheter de la terre et construire comme on le veut … Il existe douze modes de construction en terre classiques : Cf. page suivante : Schéma extrait du Traité de construction en terre (Editions Parenthèse). Il s’agit de construction en terre crue, c’est à dire que les briques ne sont pas cuites au four. Le fait de chauffer la terre audessus d’une certaine température change ses propriétés physiques (comme une poterie
avant et après cuisson). Actuellement, trois types de construction en terre sont privilégiés : - l’adobe : mélange terre-paille utilisé pour faire des briques (n°8). - le pisé : terre argileuse comprimée dans un coffrage (n°5 en bas) - le bloc comprimé : terre comprimée en blocs (n°5).
Les villes de Bâam et de Sanaa
ont toutes les deux été construites en pisé. Cette technique consiste à bâtir un coffrage de bois puis à tasser fortement la terre à l’intérieur par épaisseur de 30 cm. On monte progressivement le coffrage selon la hauteur du mur. Une fois la construction terminée on peut apercevoir les différentes strates. Une question peut alors paraître logique : si c’est si efficace, pourquoi est-ce qu’en
France, on ne construit pas plus en terre ? En fait, la construction en terre a été très utilisée au cours du siècle dernier, surtout après la seconde guerre mondiale, puis petit à petit abandonnée sous l’effet du modernisme et l’apparition de nouveaux matériaux plus performants. Aujourd’hui, des impératifs écologiques et économiques relancent le débat.
Les douze modes de construction classique en terre crue.
Ouverture « in terre nationale » : Depuis une bonne vingtaine d’années, la construction en terre connaît un renouveau international. Les qualités écologiques et économiques de la terre sont enfin reconnues et de plus en plus d’études se consa-
crent à l’habitat en terre. Les précurseurs ont senti dès les années 80 que les matières premières sont limitées et que l’écologie serait un enjeu majeur. L’un de ces précurseurs se situe
en France, dans les « sous-sols » de l’école d’architecture de Grenoble. Crée en 1979, le CRATerre est un laboratoire de recherche qui travaille sur l’architecture de terre et le développement durable avec une
équipe de professionnels (ingénieurs, architectes…) spécialisés dans la construction en terre. Sa première mission a été d’actualiser les connaissances scientifiques sur la terre crue afin de proposer une alternative aux architectures coûteuses en énergies rares, en particulier pour les pays du Tiers Monde. Aujourd’hui, il s’occupe aussi de promouvoir l’architecture de terre en France ainsi que de protéger le patrimoine. Situé dans le Dauphiné (entre Gre-
internationale, il possède aussi de nombreux projets avec l’étranger. Plus d’infos sur : www.craterre.archi.fr Traversons l’océan pour nous rendre aux Etats-Unis et rencontrer un architecte qui modernise la construction en terre à sa manière : Rick Joy. Reconnu par les spécialistes de la terre, Joy utilise ce matériau dans sa plus simple expression. « Les choses les plus simples peuvent
Maison en pisé conçue par Rick Joy. On aperçoit les différentes strates de pisé sur les murs.
noble et Lyon pour simplifier), région française emblématique de la construction en pisé grâce à ses nombreuses carrières, le CRATerre gère aussi bien les rénovations d’habitations traditionnelles que la construction de logements sociaux en pisé. Doté d’une reconnaissance
évoquer les sentiments les plus profonds ». Inspiré par le célèbre Frank Lloyd Wright, il concilie nature, conception et fonctionnalité. Plus question de concevoir des bâtiments inadaptés à
leur contexte, l’architecture doit prendre en compte les paramètres physiques, géologiques et climatiques présents sur place. Evidemment, cela n’est pas réservé à l’architecture de terre (…) mais ce matériau s’adapte à merveille à l’environnement. De plus, il permet de réduire le coût (économique et écologique) tout en ayant des propriétés qui n’ont rien à envier à ses cousins bétons ou aciers. Ces deux exemples nous montrent parfaitement comment le « modernisme doit se moderniser » à l’heure où Nico (le grand) tire la sonnette d’alarme. L’utilisation des hautes technologies à outrance ne sera pas possible et il faudra s’orienter un jour ou l’autre vers le lowtech, c’est-à-dire des matériaux peu coûteux mais à très haute efficacité (entre autres, le chanvre et la cellulose dans l’isolation). La terre revient donc en force dans ce nouveau millénaire et propose une alternative « écolonomique » aux matériaux de construction actuels. Après cet article d’introduction sur la terre et ses enjeux, nous nous intéresserons la prochaine fois aux deux types de construction majeure en terre crue, le pisé et l’adobe, afin de voir les règles de construction de base (la physique, c’est fantastique) ainsi que les avantages écologiques (la thermo, c’est rigolo) pour que toi, ami lecteur, tu puisses construire toi même ta maison, parce que celle à 100 000 euros de notre imbibé Borlot n’est pas encore arrivée.
MANU