BREAKDOWN La crise ? La crise ? Les crises ! Quelle crise ? La crise écologique ? Économique ? Sociale ? Laquelle on vous sert ? Mais d’abord, si l’on définissait un peu le sujet ? Une crise c’est, selon le Petit Larousse (2005), un « changement subit, souvent décisif, favorable ou défavorable, du cours d’une maladie ». Si le « changement » est sûrement « défavorable », il n’est pas si « subit » (loin s’en faut) et le futur nous montreras si il est vraiment « décisif ». Mais une deuxième définition, plus pertinente pour le sujet qui nous intéresse, attire notre attention : « Manifestation soudaine ou aggravation brutale d’un état morbide ». On touche ici au vif du sujet ! La crise écologique. Nous sommes sûrement rentrés dans une phase d’accélération mais le carnage est dénoncé depuis des décennies, voire quelques siècles. Depuis les années 1970, il est particulièrement bien documenté. La crise économique. Laquelle ? Celle des subprimes ? Celles de la bourse des technologies de l’information et de la communication ? Celle des marchés asiatiques ? Le deuxième choc pétrolier ? Le premier choc pétrolier ? Nous sommes en ‘crise’ économique depuis les années 1970, et le plein emploi n’est même plus un rêve (que l’on se souvienne, à ce sujet, des promesses des néolibéraux !). La crise sociale. Voir l’état de nos sociétés et de leurs membres. Mais puisque, paraît-il, à chaque jour suffit sa peine, c’est à la crise économique que nous consacrerons ce petit encart.
* Ver ælum öll Vous aimez les sagas nordiques ? Je m’en vais vous conter une bien étrange histoire, et véridique pourtant. Celle de l’Islande, passée en quelques années de la noble routine au rêve, puis au cauchemar. Ce pays vivait modestement dans son coin, principalement de la pêche, un peu du tourisme.
Le taureau de Wall Street
Et puis dans les années 1990 il est entré de plain pied dans la ‘modernité’ de l’économiecasino. « Un véritable conte de fées comme aime à en raconter Alain Minc, le soir à la veillée à ses petits enfants. Le dynamisme du secteur financier est époustouflant. (…) Couplée avec une libéralisation économique, une modernisation de la fiscalité des sociétés, l’économie se diversifie : logiciels, biotechnologies, équipements médicaux,
télécommunications, compagnies d’aviation, etc. Que du moderne, du high-tech, de l’eéconomie. Les taux de croissance s’envolent, jusqu’à 7% en 2004, champagne ! (…) D’où vient l’argent ? De la bulle spéculative mondiale. Les principales banques islandaises font comme les autres, pire sans doute. Elles spéculent comme des folles, achètent des titres qui ne valent rien, les revendent pour très cher et gagnent un argent qui ne vaudra bientôt plus rien » (La Décroissance, 04/10) En 2008 les banques islandaises sont ruinées, emportant dans leur chute l’économie nationale (le PIB est divisé par deux et la monnaie perd 2/3 de sa valeur), ainsi que les économies d’épargnants islandais, mais aussi britanniques et hollandais – 320.000 d’entre eux ayant placé leur argent chez Icesave, une filiale qui proposait des taux alléchants (et pas peu louches), jusqu’à 17,5% (320.000, c’est aussi le nombre d’habitants en Islande). Le gouvernement islandais rembourse les épargnants islandais, celui de Grande-Bretagne, les britanniques et le néerlandais les hollandais. Et puis… les gouvernements britannique et hollandais présentent la facture : le gouvernement islandais (et donc finalement l’ensemble des habitants de ce pays) devra payer « 3,8 milliards d’euros, soit l’équivalent de 40% du produit intérieur brut (PIB) islandais ou 12.000 euros par habitant » (Alternatives Économiques, 02/10). Et pas question d’y échapper, la petite île est menacée de toute part, en cas de refus le FMI prétend vouloir la laisser couler, l’Union européenne bloquera le processus entamé d’adhésion, les agences de notation (les fameuses !) baisseront encore la note de l’Islande, enchérissant le coût de ses emprunts… Le parlement ratifie donc le remboursement. Mais devant le tollé populaire que cela provoque, le président organise un référendum. Le pays doit-il rembourser, oui ou non ? Et malgré toutes les menaces, le non triomphe. C’est l’histoire d’une petite île qui résiste, mais un peu tard…
* PIIGS ! Et non, il ne s’agit pas de ces cochons de spéculateurs (Pigs ! Piigs ! Piiiiiiiiiiiiiigs !) mais des pays qui subissent leur prédation. PIIGS, c’est un charmant acronyme (pig signifie porc ou cochon en anglais) lancé par les milieux financiers anglo-saxons pour désigner des pays européen à la fiscalité laxiste : Le Portugal, l’Italie, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne (Spain en anglais). Parfois on n’y inclut pas l’Irlande, on parle donc des PIGS. Ces pays connaissent des situations très différentes (celle de la Grèce est beaucoup plus inconfortable que celle de l’Italie) mais ils ont tous en commun d’avoir un budget en déficit, une dette publique solide (bien que la dette de l’Espagne soit inférieure à la française) et des perspectives économiques déprimantes. Ce qui en fait des proies faciles pour les traders, qui ont spéculé sur leurs pertes (y participant). Finalement le gouvernement économique de l’Union européenne s’est vu obligé de préparer un ‘plan de sauvetage’ éventuel de plusieurs centaines de milliards d’euros avec l’aide du FMI pour éloigner le spectre de la faillite et repousser les prédateurs – en particulier les banques, sauvées de la faillite il y a quelques mois grâce à l’argent injecté par les Etats ! Mais bien sûr, pas sans garde-fous ni quelques concessions. Pour satisfaire l’UE et les marchés financiers les PIIGS (et, en fait, les autres pays de l’UE, on parle déjà des FUK [France, United Kingdom]) vont devoir faire des ‘réformes structurelles’ – concrètement, il s’agit d’économiser beaucoup d’argent en faisant des coupes claires dans tous les budgets sociaux. la mauvaise Grèce Là oui, on va le dégraisser le mammouth. Un pays européen ‘sous tutelle’, auquel on va pouvoir imposer toutes sortes d’ ‘ajustements structurels’, voilà qui nous prépare des lendemains qui chantent… Et parlant de souveraineté : l’Allemagne s’indigne que la Grèce ne vende pas une partie de ses îles pour payer ses dettes et se reconstituer de la trésorerie.
Looney Tunes ! On a souvent comparé les marchés financiers à des junkies. Il leur faut absolument leur dose – une dose de plus en plus importante ; ils sont prêts à voler et à tuer pour s’injecter des liquidités ! Mais il y a un autre aspect, plus souvent négligé : le fait que ceux-ci sont profondément lunatiques : ils sont soumis à de violents changements d’humeur. On en a eu une fort instructive démonstration lors de la ‘crise’ grecque, mise en lumière de façon éclairante par le canard enchaîné (19/05/10) :
* Zéro pointé ! Les agences de notation sont à la fois les yeux et la voix de l’économie et de la finance. Au nombre de 3 (Fitch, Moody’s, Standard & Poor’s) , elles distribuent des bons et des mauvais points à tous les grands acteurs de l’économie, ainsi qu’à certains de leurs produits. Les grandes entreprises, les produits financiers et même les Etats sont notés par leurs soins. Ce qui frappe d’abord, c’est leur incroyable puissance : en fonction de la note qu’elles attribuent (qui représente le risque ou la sécurité de l’investissement) les acteurs économiques disposent d’un certain crédit qui peut soutenir le cours d’une action ou d’un prix et qui surtout permet de lever des fonds à des taux plus ou moins avantageux. « dans le privé : compagnies d’assurances, caisses de retraite, fonds d’investissement et banques prévoient dans leur règlements de se débarrasser des titres des entreprises dès que leur cotation, par les agences de notation, descend au dessous de la note BB+. (…) Que la France voie sa notation baisser, et le risque qu’elle représente pour ses créanciers augmentera. Leur taux grimpera aussitôt, et il faudra alors trouver 10, 15 ou 20 milliards de plus chaque année pour les intérêts de la dette française. » (le canard enchaîné, 05/05/10) Ce qui frappe ensuite c’est leur nullité et la longue trace de leurs échecs, ainsi que la nocivité de ces derniers. Enron, Parmalat, les subprimes… Tous disposaient de très bonnes notes, des investissements ‘sûrs’. Laxistes avec les grosses entreprises, les agences se font impitoyables avec les Etats, et se proposent non seulement de scruter la gestion présente, mais aussi celle à long terme : « lorsqu’il s’agit des états, Moody’s, Standard &Poor’s et Fitch préviennent le danger à l’avance, poussent des cris d’orfraie, exigent des réformes structurelles. (…) C’était le mot
« Mais qui a donné à ces agences des pouvoirs exorbitants ? Précisément ceux qui s’en plaignent aujourd’hui. Et en premier lieu, les institutions internationales (FMI, Banque centrales, etc.). Ainsi les nouvelles ‘normes de solvabilité’ bancaires – Bâle II, réglementation de la BCE, etc. – sont toutes fondées sur les notations des agences. » (le canard enchaîné, 05/05/10)
d’ordre du Fonds Monétaire international, depuis les années 80 dans les pays en voie de développement. Au nom de ses ‘plans d’ajustement’, des continents entiers ont sacrifié l’éducation de leurs enfants, la santé de leur population. C’est au tour de l’Europe désormais. Mais le FMI n’opère plus en première ligne : ce sont les agences de notation, aujourd’hui, qui font office de gendarmes des états. Et qui négligent une option pour combler les déficits publics, inquiétants, en effet : que soient taxés les flux financiers, les produits des multinationales, les dividendes des actionnaires… » (Fakir, 07/10)