UNIVERSITÉ Faculté d’architecture,
CATHOLIQUE DE LOUVAIN d’ingénierie architecturale, d’urbanisme, LOCI Site de Tournai
COMMENT
SONNE
La conception tation binaire
du rythme à en musique
Étudiant Promotrice Lectrices
L ’A R C H I T E C T U R E travers et en
?
la représenarchitecture.
Benjamin BOURDON Agnès MORY Zoé DECLERCQ Charlotte LHEUREUX ANNÉE ACADÉMIQUE 2013/ 2014
T A B L E
D E S
M A T I È R E S
Introduction.......................................................................................6
I / LE TEMPS ET L’ESPACE DANS LA REPRÉSENTATION.............14 A / Le temps et l’espace..............................................................................20 B / Le rôle de la mémoire............................................................................21 C / L’espace-temps......................................................................................23 D/ La représentation comme point de rencontre.......................................29 E / La notation musicale..............................................................................31 1/ Traditionnelle....................................................................................31 2/ Alternative.........................................................................................32 F / La notation architecturale......................................................................40 1/ Traditionnelle....................................................................................41 2/ Alternative.........................................................................................42
II / LE RYTHME DANS LA REPRÉSENTATION..............................50 A / Le Binaire...............................................................................................54 B / Approche théorique du rythme comme relation temporelle................55 C / Approche expérimentale du rythme comme relation temporelle.........57 D / Notions complémentaires (pulsation, répétition, juxtaposition)..........59 E / La nécessité du rythme en musique......................................................63 F / D’autres relations rythmiques................................................................66
III / CAS D’ÉTUDE DU RYTHME BINAIRE EN MUSIQUE ET EN ARCHITECTURE..........................................................................72 A / Paul Klee...............................................................................................76 B / Manuel Aires Mateus............................................................................78 C / Sou Fujimoto..........................................................................................82 D / Comparaison.........................................................................................87 Conclusion..................................................................................................94
Ce travail est le fruit de mon désir, de mon envie d’en savoir plus, de pouvoir expérimenter, de découvrir et de chercher plus loin sur mes deux grandes passions, la musique et l’architecture. J’ai pourtant bien la sensation de jouer à l’équilibriste entre les deux, trop peu sur de moi pour affirmer des choses que je veux continuer à développer et chercher. Des choses qui n’ont certainement aucune réponse absolue. J’aime pourtant ce que ces recherches éveillent en moi, la sensation d’être en apprentissage continuel, de tenir entre les mains deux arts vivants qui prennent des sens différents selon la manière et la personne qui les manipule. Néanmoins, cela a été pour moi un réel moteur d’étudier un sujet à la fois aussi risqué qu’intéressant. Il m’est impossible de savoir à quel moment est réellement né ce besoin d’unir mes deux passions principales, j’ai toujours ressenti cette sensation ou peut être la simple intuition qu’en réalité, la musique et l’architecture n’appartenaient pas à des mondes si distincts mais qu’au contraire, il y avait beaucoup de passerelles à créer entre les deux. Je suis heureux qu’aujourd’hui se présente l’opportunité de pouvoir (me) prouver que ce n’était pas seulement une intuition. Pourtant, je ne peux pas approfondir cette recherche comme je l’aurais souhaité et ce travail n’est pour le moment qu’une première approximation, qui déjà en elle-même, me satisfait pleinement.
«On fait au mieux lorsqu’on fait ce que l’on aime» ROBINSON K.
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«De la musique avant toute chose». VERLAINE P.
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Depuis l’enfance et ma première écoute d’Eric Clapton, je développe et cultive un intérêt pour la musique. Avec mes connaissances grandissantes au fur et à mesure des années, je me suis penché vers sa compréhension : Quelles sont les raisons pour lesquelles un ensemble de notes va-t-il sonner juste/faux, gai/triste ? Un rythme va-t-il donner une impression d’équilibre/de déséquilibre, agréable/désagréable, calme/agressive? Etc. Tous les facteurs, ou presque, ont déjà été profondément étudiés et peuvent aujourd’hui même être expliqués avec raison, de manière quasiment mathématique. Pourtant, certaines compositions musicales sortent des standards et ne sont pas toujours explicables. Or, leur écoute provoque aussi des sensations tant pour celui qui la comprend que pour une personne moins initiée au monde musical. Mais n’en serait-ce pas de même en architecture? Lors de mes premières années d’étude d’architecture, ma connaissance sur le domaine, à tout point de vue, était quasiment inexistante. Ainsi, je travaillais par expérience, par tâtonnement. Puis, avec les années d’étude, les commentaires de mes professeurs, des discussions, des lectures, des expériences de vie et certainement de la maturité, j’ai commencé à tenter de comprendre l’architecture. Je cherchais des sens, des raisons et des justifications à mes interventions en projet. Rapidement, peut-être pour la simple raison que mes connaissances en musique étaient plus importantes, j’ai eu le sentiment qu’il était possible d’appliquer des concepts, des principes ou des idées musicales en architecture. Celles-ci permettraient de faire des choix plus adaptés, plus adéquats et aussi plus pertinents en tant qu’architecte. Elles pourraient m’élargir mon champ de perspectives au moment de faire des choix. En même temps, plusieurs situations m’ont conforté dans la pertinence d’étudier ce sujet. Or, je me suis rendu compte que la plupart des parallèles que je supposais, naissaient au moment d’observer des documents graphiques. En effet, mis à part des cas bien spécifiques, je ne parvenais pas à comparer musique et architecture au moment d’écouter une chanson ou de visiter un bâtiment. Une clef de lecture commune est certainement nécessaire afin d’étudier ces deux domaines si différents ensembles et celle-ci semble appartenir au domaine graphique. Voici donc une série d’exemples différents aux domaines et contextes variés qui m’ont poussé, petit à petit, à prendre l’initiative de m’intéresser aux rapports théoriques et conceptuels entre la musique et l’architecture.
INTRODUCTION | 13
(a)
Voici ci-dessus, une reproduction de la peinture de Gustavo Poblete Catalan (1915 – 2005): Serie negra n°12 datant de 1967; je l’ai découverte au musée des beaux-arts de Santiago du Chili lors d’une visite en septembre 2012. Cet artiste chilien, d’ailleurs aussi architecte de formation, fut cofondateur du groupe Rectangulo en 1955 qui prônait un art rationnel et épuré par l’utilisation de formes géométriques simples. Cette oeuvre, marquante pour sa carrière, a particulièrement attiré mon attention. Après une première appréciation, certainement esthétique, j’ai ensuite pensé que cette oeuvre pouvait, après un effort d’abstraction, former un plan architectural. Par exemple, les éléments construits seraient représentés en blanc, le reste en noir. De cette manière, on pourrait voir différents ensembles architectoniques: un plan masse urbain, une disposition de pièces, des éléments d’ameublement, etc.
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(b)
(c)
D’un autre côté, je trouvais que cette peinture avait sa part de ressemblance avec la partition musicale. En plaçant l’image dans le sens de la longueur, nous commençons intuitivement à définir des lignes dans le dessin (figure b). On se rend compte aussi de certaines relations verticales entres les différents éléments blancs. Finalement, bien que ce ne soit qu’une extrapolation, je trouvais que ces éléments blancs sur fond noir pouvaient rappeler des notes sur une portée musicale. Aujourd’hui, après plusieurs recherches et des connaissances plus importantes sur ce sujet, il serait possible d’apparenter cette figure aux recherches sur la représentation musicale de Paul Klee, artiste du début du XXè siècle, ou même des partitions d’Earle Brown, compositeur américain contemporain, deux artistes que nous étudierons dans la suite de ce travail. Voici donc ci-dessous, une simple mise en parallèle d’une partition musicale d’Earl Brown (figure c) avec le tableau de Gustavo Poblete Catalan tourné de 90 degrés (figure b). Cette comparaison cherche simplement à montrer le genre de relations, du moins graphiques, que j’imaginais et qui m’ont guidé vers ce travail théorique.
INTRODUCTION | 15
Il est possible de trouver différents rapprochements entre ces deux figures, dans la manière avec laquelle se composent les éléments dans l’espace. Cette comparaison est un exemple qui démontre les parallèles que je pouvais imaginer en découvrant des oeuvres graphiques, quel qu’en soit leur domaine. Mes intérêt ne se limitent pourtant pas à des oeuvres d’art. Alors que grâce à mes études d’architecture, j’apprends quotidiennement un peu plus dans ce domaine, je me suis intéressé à la musique électronique afin de m’ouvrir de nouvelles portes musicales. Les différences entre la musique électronique et la musique traditionnelle sont nombreuses: son image vis-à-vis des non-praticiens (et parfois même des praticiens!), sa conception, ses objectifs, son apprentissage, sa représentation, etc. D’une part très complexe à comprendre dans ses fondements, la musique électronique est aussi d’autre part très intuitive et pour les personnes les moins initiées au monde musical, bien plus accessible. Sa représentation est très différente de la partition traditionnelle qui demande un réel apprentissage du langage. La représentation et la manière de composer la musique électronique est bien plus spatiale que la musique traditionnelle. Elle est beaucoup plus proche d’une transposition en deux dimensions (largeur et longueur) d’un son que peut l’être la partition traditionnelle.
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(d)
La figure d est un exemple composé d’une partition musicale pour percussions du logiciel Ableton Live puis, en-dessous, une simplification visuelle de cette même partition (passage en noir et blanc, suppression des textes et des détails plus techniques). On peut confirmer que cette représentation de la musique s’éloigne relativement de la partition traditionnelle; on ne retrouve aucun des codes traditionnels de la portée. La compréhension de ce système de notation est bien plus rapide et intuitif que le système traditionnel. D’ailleurs, on peut souligner que la plupart des logiciels permettant de composer de la musique électronique (Ableton Live, Logic Pro, Guitare pro, etc.) utilisent la même représentation musicale, différente de la partition traditionnelle.
INTRODUCTION | 17
Lors de mes recherches pour ce mémoire, je me suis rendu compte que cette représentation était quasi identique à celle inventée par Paul Klee lorsqu’il traduit la musique. Invention qui fut d’ailleurs essentielle à l’avancement de ce travail. Il serait également possible d’interpréter cette représentation sur un plan architectural, de la même manière que nous l’avions fait avec la peinture de Gustavo Poblete Catalan. Ce dernier exemple tend à montrer la variété d’événements qui m’ont invité à faire ce travail. J’avais la sensation de faire naturellement des parallèles entre l’architecture et la musique, sans toujours réellement les comprendre et surtout sans pouvoir les expliquer. Ce mémoire est l’occasion pour moi de chercher à comprendre, interpréter et développer certains liens qui unissent l’architecture et la musique. Je pense aussi que, plus qu’une simple comparaison, les connaissances d’un domaine peuvent en nourrir un autre et que lorsqu’ils nous passionnent, il existe une certaine logique dans la recherche de leurs points de rencontre. À l’image des artistes de la Grèce Antique, qui cumulaient la philosophie aux arts et au sport ou même de nombreux artistes plus contemporains qui développent leurs recherches dans plusieurs domaines (Le Corbusier était bien sculpteur, peintre et musicien en plus d’être architecte), je pense que cette étude sur la rencontre de deux domaines qui me passionnent devrait être riche. En ce sens, Ken Robinson, expert dans le développement du potentiel de l’être humain, assure qu’«être créatif consiste à faire de nouvelles connexions, de telle manière que l’on puisse voir les choses depuis de nouveaux points de vue et différentes perspectives» (1). Je suis d’ailleurs presque sûr que nous créons des parallèles entre des domaines qui nous passionnent sans nécessairement s’en rendre compte, tout simplement naturellement et de manière spontanée. Je suis donc certain que mes expériences musicales ont déjà nourri ma production architecturale et inversement ; mais ce travail me permet de concrétiser et de développer cet échange transdisciplinaire.
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RÉFÉRENCES
VERLAINE P., L’Art Poétique, Jadis et Naguère, Éditions Vanier, Paris, 1884, pp.23-25. (1) ROBINSON K., El Elemento descubrir tu pasión lo cambia todo, Éditions Conecta, 2013, p.94.
“Ser creativo consiste en hacer nuevas conexiones, de modo que podamos ver las cosas desde nuevos puntos de vista y desde diferentes perspectivas.”
(a) POBLETE CATALAN G., Tableau, Seria Negra n°12, 1967, Musé des Beaux Arts, Santiago, Chili, Élaboration propre. (b) Id, modifiée selon les explications. (c) BROWN E., Partition musicale, 4 Systems, pour David Tudor, EtatsUnis, 1954. (d) ABLETON LIVE (v.8.0), Partition musicale, Enchainement rythmique, 2013, Élaboration propre.
INTRODUCTION | 19
I / LA REPRÉSENTATION EN MUSIQUE ET EN ARCHITECTURE
«Si les autres arts plastiques, dans leurs manifestations les plus abstraites, restent toujours soumis à une représentation donnée, à un contenu informel donné, alors l’architecture, comme la musique, est, en ce sens, le plus pur de tous les arts». GUINZBOURG M. I.
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Afin de pouvoir comparer les représentations musicales et architecturales, nous devons comprendre les domaines dans lesquels se développent ces deux arts. Nous allons donc les étudier puis comprendre comment sont représentées leur notation, dans quel but et de quelle manière nous pourrons les rapprocher entres elles. Gilbert Casasus, professeur en études européennes affirme, bien qu’il le nuance dans son ouvrage, que «comparer, c’est comparer le comparable» (1). Sachant que la musique et l’architecture sont deux arts différents, il semble indispensable de trouver les points communs entres eux afin de débuter une étude comparative. Cherchons donc, dans un premier temps, à comprendre comment se développe chaque art.
KLEE P., U struji sest pragova, 1929.
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A/ Le temps et l’espace Comme le souligne de manière concise et avec une certaine brutalité François Decarsin, professeur à l’université d’Aix-Marseille, «La musique ne peut s’accomplir que dans le temps. Là s’arrête l’évidence car les rapports entre ces deux domaines [musique et architecture] s’inscrivent dans la plus grande hétérogénéité» (2). Ce point de vue est néanmoins extrêmement catégorique et peut être remis en question. L’hétérogénéité est réelle et les passerelles entre les domaines ne sont peut-être pas toujours évidentes mais elles existent. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de ce mémoire que de contredire cette citation de Decarsin. De plus, la musique ne s’accomplirait-elle réellement que dans le temps? N’existe-t-il aucune spatialité possible de la musique? Mais penchons-nous sur la base de la citation; le temps serait bien une donnée primordiale de notre étude sur la musique et l’architecture car celui-ci est présent dans les deux domaines. D’une part, la musique, en tant qu’art purement sonore qui stimule notre ouïe, s’accomplit nécessairement dans le temps. Le rapport temporel entre les éléments constitutifs d’une œuvre musicale est essentiel. Pour Stravinsky, fameux compositeur russe du début du XXe siècle, «composer, pour moi, c’est mettre en ordre un certain nombre de sons selon certains rapports d’intervalle» (3). Ces rapports d’intervalles sont certainement de différents ordres, difficiles à énoncer pour le moment, mais l’ordre du temps semble indéniable. Il semblerait donc que les relations temporelles entres différents sons seraient une des composantes de la conception musicale. Chaque son serait en relation avec l’ensemble par différents rapports et notamment temporels. D’autre part, c’est aussi un fait que nous retrouvons en architecture : tous les éléments sont en constant rapport entres eux et avec l’ensemble de l’œuvre, qu’elle soit composée ou non. De plus, l’architecture est bien un art spatial puisqu’elle se développe dans ses trois dimensions longueur, largeur, hauteur. Elle est aussi conçue dans le but de répondre à ces trois dimensions. Mais seraient-ce les seules dimensions de l’architecture? Certainement pas.
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B/ Le rôle de la mémoire La musique se développe bien, du moins en partie, dans le temps. Or, il n’est pas possible de tout entendre à la fois, chaque seconde efface et remplace la seconde précédente. Il semble donc complexe d’avoir une vision de l’ensemble d’un morceau de musique juste par écoute de celui-ci. Cependant, lorsque l’écoute est attentive, nous sommes capables, avec plus ou moins de précision, de replacer les parties et les éléments composant le morceau de musique. C’est un fait qui n’est possible que grâce à notre mémoire. Notons de plus que, pour une même écoute, la mémoire phénoménologique nous permet d’anticiper un élément à venir du morceau musical. «Grâce à la mémoire, nous pouvons reconstituer la succession des changements vécus, et anticiper les changements à venir. L’homme acquiert ainsi un passé et un avenir, c’est-à-dire un horizon temporel par rapport auquel il prend tout son sens» (4). Notre mémoire nous permet, avec un degré variable de précision, de déterminer une échelle du temps lors d’une écoute musicale. C’est un domaine que développe Marc Richir, philosophe contemporain belge, qui oriente ses pensées vers la phénoménologie. Il ajoute aux propos précédents, pour des raisons qui semblent logiques, que la connaissance dans un domaine génère une meilleure mémoire à propos de celui-ci. «Nous ne pouvons-nous remémorer les détails d’un événement, mais aussi d’un morceau de musique ou d’un raisonnement que si nous en ressaisissons le sens, l’articulation temporelle, son rythme avec ses «temps forts» et ses «temps faibles, mais aussi ce sens rythmé dans son contexte, avec ses tenants et aboutissants» (5). C’est une réalité que nous retrouvons bien dans de nombreux domaines; la compréhension d’une donnée facilite beaucoup son apprentissage. Pour résumer simplement, Paul Fraisse, psychologue français du XXè siècle, nous soumet que «grâce à la mémoire, nous pouvons reconstituer la succession des changements vécus, et anticiper les changements à venir» (6).
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Il est également possible de retrouver ce genre de réflexions en architecture. Il est vrai, qu’à la différence de la musique, la vue d’un élément n’en efface pas une autre. Or cette affirmation peut être nuancée. Tout d’abord, car l’espace peut être appréhendé de différentes manières et notamment en mouvement car, comme le souligne Valéry Didelon, historien contemporain de l’architecture, nous avons bien la notion de «‘‘séquences en mouvement’’ depuis l’habitacle des automobiles» (7), par exemple, plutôt que de simples espaces. Ainsi, en mouvement, il semblerait que la vue statique d’un espace soit remplacée chaque instant par la vue suivante, nous ne voyons que des séquences. Pour sa part, le mouvement du corps nous permet une vision plus globale. Pourtant, il est impossible d’avoir une notion et une compréhension de l’ensemble d’un espace juste par sa vue car il s’avère complexe d’appréhender l’entièreté d’un espace ou d’un édifice. Nous devons donc aussi faire appel à notre mémoire phénoménologique afin de se représenter mentalement l’entièreté d’une architecture après l’avoir vécue. Et de la même manière qu’en musique, des connaissances et expériences accrues dans ce domaine aident à une compréhension plus globale et rapide d’un élément architectural. Une personne sensibilisée à l’architecture aura certainement plus de facilités à comprendre un édifice à partir de certaines vues spécifiques. Sa mémoire sera effectivement plus efficace et précise. Par suite, il semblerait bien que cette mémoire joue un rôle essentiel dans le vécu et la compréhension d’une oeuvre aussi bien musicale qu’architecturale. Bien que celle-ci ne se manifeste pas exactement de la même manière dans les deux domaines, elle reste indispensable afin d’avoir une notion d’ensemble de l’oeuvre.
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C/ L’espace-temps «Goethe disait que ‘‘l’architecture est une musique pétrifiée’’. Du point de vue du compositeur de musique, on pourrait inverser la proposition et dire que «la musique est une architecture mobile» (8). D’après cette hypothèse de Iannis Xenakis, architecte et compositeur du XXè siècle, personnalité essentielle pour cette étude sur la musique et l’architecture, on pourrait déduire qu’il faudrait figer l’architecture ou, à l’inverse, rendre la musique mobile afin de pouvoir les comparer ensemble. Il peut donc paraître complexe de mettre en parallèle les domaines musicaux et architecturaux. Il faudrait assimiler la musique et l’architecture aux mêmes dimensions. Le temps est-il une donnée totalement objective? Il est très difficile de mesurer ceci de manière concrète et objective. Bien que depuis des millénaires nous sachions diviser le temps en unités objectives, au départ en fonction de la course du soleil, le temps lui, est toujours ressenti de manière subjective. Une heure peut effectivement paraître très courte lorsque l’on passe un moment agréable ou bien plus longue si le moment est pénible. Ainsi, il est complexe de se représenter objectivement le temps. Or le temps est bien divisé de manière objective et identique peu importe la situation. Il y aura toujours 24 heures identiques dans une journée. La sensation de durée du temps ne dépend donc pas directement du temps lui-même mais bien de la situation vécue, donc d’une situation spatiale. Nous ne parlons alors plus de temps mais bien d’espace-temps. Quel rapport entretient la musique avec l’espace temps? La musique est conçue comme une œuvre temporelle mais se matérialise dans l’espace et celui-ci va nécessairement l’influencer. Un même son (qu’il soit produit par un instrument, un haut-parleur ou même une quelconque chose) sera influencé par l’espace dans lequel il se produit. Cette volonté de travailler spatialement une œuvre musicale a été étudiée par différents artistes.
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(a)
(b)
C’est un sujet qu’aborde, Tristan Perich, compositeur contemporain de musique électronique et notamment de son un bit, dans son oeuvre Microtonal Wall exposée notamment au musée d’art moderne de New York en 2013. L’idée est de placer 1500 hauts parleurs qui diffusent chacun une seule fréquence sonore spécifique pour finalement reproduire quatre octaves de sons. «Dans ces œuvres, j’ai voulu prendre cette idée du son électronique, le formaliser et bien plus encore en utilisant ces sons un bit» (9). On comprend à l’aide de cette explication de l’artiste que cette œuvre cherche bien à formaliser des sons, ici les plus simples possible, dans l’espace. «En se rapprochant d’un seul haut-parleur et en isolant cette toute petite partie de la fréquence du spectre (sonore) et en reculant afin d’être dans l’espace pour avoir une notion d’ensemble» (10), il est possible de comprendre comment se spatialise le son. Tristan Perich nous explique bien que la position du corps dans l’espace influe totalement sur l’écoute. La position de la provenance du son n’est pas le seul facteur d’influence, celle du corps de celui qui écoute l’œuvre l’est aussi. C’est donc bien un exemple d’une œuvre musicale dans l’espace-temps.
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D’autre part, nous avons la certitude que l’architecture se conçoit pour les trois dimensions spatiales (largeur, longueur et hauteur). Pourtant, c’est un art qui se vit et comme nous l’avions soulevé, qui s’expérimente en mouvement. «L’espace est aussi une notion temporelle. Le processus qui permet au point de devenir mouvement et ligne a besoin de la notion de temps. De même, lorsque le décalage de la ligne engendre la surface. De même le mouvement qui transforme les surfaces en volumes» (11). D’après Barbe, le temps et l’espace sont deux notions liées entre elles, par le mouvement. Ici, la dimension du temps prend toute son importance puisque chaque séquence spatiale sera différente en fonction du temps. Michel Cornuejols, architecte urbaniste, rappelle que «lorsque l’on projette un espace sociologique sur un espace topologique, le sous-espace topologique résultant n’est plus seulement euclidien, mais einsteinien, en ce sens que le facteur ‘‘temps’’ donne une quatrième dimension à cet espace» (12). L’architecture est un art qui se vit car il se développe en quatre dimensions, le facteur temps ne peut donc pas être dissocié des autres dimensions qui composent cet art. L’architecture, tout comme la musique, se développe donc aussi dans l’espace-temps. En effet, l’espace-temps est une donnée fondamentale en architecture. Deux autres de ses facteurs essentiels sont ceux de l’ombre et de la lumière. «L’architecture est le jeu, savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière.» (13) Je me permets de citer cette fameuse phrase de Le Corbusier dans le but de montrer l’importance que revêt l’espace-temps en architecture. Le Corbusier parle bien de volumes, qui appartiennent aux trois dimensions spatiales, assemblés, sous la lumière, c’est à dire dans une réalité concrète variable en fonction du contexte et du moment, dans le temps. L’architecture, tout comme la musique, se matérialise donc bien dans l’espace-temps. Il devient donc intéressant de chercher à comparer la musique et l’architecture dans l’espace-temps et non plus seulement dans le temps et/ ou dans l’espace. Iannis Xenakis, dans ses travaux, associait quasiment systématiquement ses problématiques musicales aux architecturales en cherchant des réponses communes. Il nous démontre ainsi que la conception d’un art peut se rapprocher de l’autre. Travaillant avec (et pour) Le Corbusier pendant une longue période de sa carrière, il a été notamment en charge du Pavillon Philips à Bruxelles pour l’exposition universelle de 1958. Ce travail est une réelle démonstration de lien tissé entre musique et architecture.
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(c)
(d)
Alors le Corbusier se consacre à «son Poème électronique, un spectacle d’une durée de 8 mn, nourri de lumière, de son, d’images, mais encore de couleurs et de rythmes – en fait la cristallisation de son concept d’une synthèse organique de tous les arts» (14), Xenakis est en charge de la conception et la réalisation de l’édifice à proprement dit. Ce pavillon a fait preuve, à l’époque, d’une importante nouveauté, tant formellement que techniquement. La solution concrète trouvée et travaillée par Xenakis aux «estomac» (14) ou «bouteille» (14) imaginés par le Corbusier est venue grâce à l’une de ses œuvres musicale: Metastaseis. C’est donc bien une interprétation spatiale d’une œuvre musicale, ou du moins, d’une recherche musicale. C’est d’ailleurs un Pavillon dédié à l’écoute du Poème électronique, soit d’une œuvre musicale et visuelle; la spatialité intérieure, sa structure et la disposition des 400 haut-parleurs, est donc pensée pour la musique. C’est donc un réel travail sur l’espace-temps à la fois en musique et en architecture. Iannis Xenakis composa d’ailleurs l’interlude de dix minutes entre chaque diffusion du poème électronique à partir de «sons concrets, transposés et filtrés, de crépitements du charbon de bois» (15) ce qui renforce bien le lien entre les deux études.
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(e)
(f)
Il est intéressant de réellement comprendre l’intention avec laquelle Xenakis a composé ses deux oeuvres, le Pavillon Philips comme sa Metastaseis. La problématique était identique: comment relier de façon continue, d’un côté des sons entres eux et de l’autre des points dans l’espace. «Pour le Pavillon Philips, j’ai réalisé les mêmes idées de base que dans Metastaseis: comme dans la musique, je m’étais intéressé au problème d’aller d’un point à un autre sans interrompre la continuité. Dans Metastaseis, la solution me menait aux glissandi, tandis que pour le Pavillon, j’ai obtenu la réponse grâce aux paraboloïdes des hyperboliques» (16). On peut aussi comprendre cette citation de Xenakis dans ses recherches graphiques. De la figure de droite (f) à la photo du bâtiment (c), nous pouvons apprécier différentes manières de relier de façon continue des éléments à niveaux d’avancement distincts, par des glissandi musicaux (f), par un diagramme en deux dimensions (e), par des schémas de spatialité mettant en scène des paraboloïdes (d) et enfin, par la réalisation concrète de l’édifice (c).
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Ces deux œuvres combinées de Xenakis sont donc un exemple, parmi d’autres, qui prouvent la possibilité de résoudre spatialement une problématique musicale. Dans le même ordre d’idées, Arnold Schoenberg , compositeur, peintre et théoricien autrichien né dans la seconde moitié du XIXe siècle, a aussi joué sur la proximité entre la musique et la spatialité du son. «Au centre de l’attention de Schoenberg est ancrée l’idée d’espace qu’il a transférée dans la musique. Porté à sa plus haute puissance abstraite, l’espace est même spécifié en tant que volume, puisque ses multiples dimensions sont évoquées» (17). Ce travail permet à Arnold Schoenberg de pouvoir faire une «œuvre d’architecte» (17) musicale. L’adaptation spatiale d’une œuvre musicale semble donc bien être concevable. Cependant, transposer une œuvre musicale dans les quatre dimensions dans lesquelles se développe l’architecture nécessite une rationalisation de la musique et cela perdrait de son sens. Ces artistes répondent à une problématique commune dans deux arts différents, ils ne substituent pas un art à l’autre. Ils doivent donc chercher une forme rationnelle de formaliser les rapprochements entre les deux conceptions. C’est, par exemple, l’interprétation du Modulor de Le Corbusier pour Xenakis (que nous étudierons par la suite) ou la division de composition en système de douze sons (dodécaphonisme) pour Schoenberg. Or, bien que parfois très convaincants pour leurs œuvres, ces systèmes ne peuvent pas s’adapter à toutes les problématiques. De plus, ces études, très précises et complètes, découlent d’années d’études. Ce ne sera pas le but de ce mémoire que d’inventer un système universel de transposition spatiale de la musique qui, en plus d’être extrêmement complexe et dépassant mes compétentes, est difficilement pertinent. En effet, si ces artistes ont créé des systèmes si précis c’est certainement pour la raison que cette structuration est indispensable à la transposition d’œuvres musicales en œuvres spatiales. De plus, il faut peut-être se rappeler qu’une œuvre musicale répond à des besoins totalement différents d’une œuvre architecturale. Ne serait-ce pas dangereux de vouloir transposer une œuvre d’un domaine à l’autre alors qu’elles ont été pensées pour des contextes et des contraintes différentes? La transposition semble perdre de son sens puisqu’elle risquerait de travestir les intentions de l’artiste. Nous savons cependant que la musique et l’architecture, bien qu’étant conçues et vouées à des fins différentes, appartiennent toutes les deux à l’espace-temps.
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D / La représentation comme point de rencontre Il existe pourtant bien une autre relation que la dimension temporelle commune entre la musique et l’architecture: ils peuvent tous les deux se représenter en plan (sur une feuille). Je fais bien allusion à la partition en musique et aux plans, coupes et façades en architecture; autrement dit, en seulement deux dimensions (longueur/largeur), avec deux coordonnées. Ni la dimension du temps, ni la troisième coordonnée spatiale ne peuvent être représentées directement dans la notation sur l’espace-papier. Or, par des techniques d’écriture, quasiment toutes les données des œuvres musicales comme architecturales parviennent à être reproduites en deux dimensions. «Quand je vois une partition de musique, je réalise que le musicien la voit pour l’entendre. Pour un architecte, le plan est la feuille de papier sur laquelle apparaît l’ordre de la structure des espaces dans leur lumière.» (18) Louis Kahn, architecte marquant de la seconde moitié du XXe siècle, met ici en parallèle la partition de musique avec le plan d’architecture. Il fait à la fois allusion à l’écoute mais aussi à la lumière, deux facteurs appartenant à l’espace-temps. Comment concrétiser une telle comparaison? Intéressonsnous donc à comprendre comment se matérialisent ces représentations. Les règles de représentation traditionnelle sont parfois complexes et demandent d’importants efforts au moment de la lecture afin de saisir le sens de l’œuvre. Régulièrement, le résultat visuel de la représentation sur papier de l’œuvre s’apparente peu à sa version originale dans sa ou ses dimensions propres. En effet, l’application des règles d’écriture éloignent parfois fortement l’apparence de la représentation à la version réelle; d’autant plus si le lecteur n’est pas familiarisé aux règles de la représentation. En ce sens, afin de pouvoir représenter toutes les informations en deux dimensions, les systèmes de notation font appel à des signes graphiques propres à chaque règle et loin d’une possible compréhension intuitive. Nous savons pourtant qu’une représentation musicale et architecturale n’ont esthétiquement, au premier abord, que très peu de points communs. C’est ce que cherche à montrer la juxtaposition des figures (g) et (h) de la page suivante, deux représentations d’œuvres marquantes dans leur domaine respectif: la neuvième symphonie de Beethoven et la Villa Rotonda de Palladio. Jusqu’où ces représentations sont-elles comparables? Comparer ces représentations permet-il de comparer les œuvres? Parviendrait-on à comprendre les intentions et les modes de conception de ces artistes pour ces chefs d’œuvre en comparant leurs représentations?
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(g)
(h)
Cela parait, au premier abord, très complexe pour cet exemple. Nous retrouverons certainement cette difficulté pour la majeure partie des représentations. Il semblerait donc que les systèmes de notation traditionnelle de la musique et de l’architecture ne permettent pas une directe comparaison des deux domaines ou du moins, cela semble complexe. Tentons alors de bien comprendre les difficultés que représentent ces systèmes de notation pour ce travail.
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E / La notation musicale 1/ Traditionnelle La partition en musique, qui existe depuis le Moyen-Age mais qui intégrera le système de solfège que nous connaissons au XVIIe siècle, permet de traduire en deux dimensions la hauteur, la durée, l’intensité et le timbre d’un son dans une moindre mesure et ainsi, d’écrire une œuvre musicale dans son ensemble. On peut donc ressortir deux informations principales existantes dans la notation traditionnelle: la hauteur des notes et les relations de temps. Regardons de nouveau la figure (g), un exemple du solfège: les hauteurs de notes se décomposent verticalement entre et sur cinq lignes horizontales; la durée des notes et des intervalles entres celles-ci sont traduits par des codes graphiques. C’est ainsi que, par exemple, la durée de deux noires est égale à celle d’une blanche (règle de solfège). C’est de cette manière que la musique a été démocratiquement communiquée à travers le monde, grâce à ce système de partition. «Pour le musicien expérimenté, on peut dire que la partition d’une œuvre musicale contient une description ou un compte rendu complet de l’œuvre, fourni, qui plus est, par le compositeur.» (19) Hill, artiste contemporain anglais, montre bien que la partition est bien un outil commun de communication du compositeur pour son interprète, même si pour certains artistes, la partition peut aussi être un moyen de conception. La précision et la rigueur de l’écriture sont indispensables. L’explication simpliste de la partition que nous avons peinte peut se complexifier lorsqu’elle traduit des œuvres concrètes. C’est le cas de cette partition de Beethoven qui impose un réel niveau de connaissance du langage avant de pouvoir être lu (et interprété). Parfois, la partition se complique fortement et peut même atteindre certaines limites; la lecture exacte en devient réellement difficile et la communication de l’œuvre perd en fluidité. Nous pouvons donc comprendre que la partition traditionnelle est le système de notation qui permet la communication démocratique des œuvres musicales. Or, nous pouvons imaginer que la notation traditionnelle peut montrer certaines limites quant à la représentation de certains sons particuliers ou de données sonores spécifiques mais aussi dans l’apprentissage du système d’écriture.
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2/ Alternative Comme nous l’avons compris auparavant, la notation traditionnelle peut atteindre certaines limites et la recherche de solutions alternatives peut sembler légitime. Différents artistes se sont donc intéressés à des représentations alternatives afin d’améliorer la communication et la fidélité envers l’œuvre réelle. Celles-ci cherchent généralement à être plus intuitives en gommant des critères souvent trop spécifiques à l’un ou l’autre des deux arts. Elles tentent aussi de réduire l’utilisation de symboles qui obligent le lecteur à un réel apprentissage du langage. Or, il n’est vraiment pas simple et léger de créer une nouvelle forme de notation efficace et complète. Comme le souligne Ligeti, compositeur musical contemporain roumain, «une nouvelle notation, apparemment économique, perd sa raison d’être dès lors que l’apprentissage du nouveau répertoire de signes coûte plus de temps et de peine que l’économie du nouveau système n’en aurait épargné.» (20) C’est pourquoi, nous nous intéresserons à des systèmes de notation musicale qui possèdent un certain critère de spatialité ou qui peuvent, du moins, nous permettre de mieux comprendre les liens qui unissent la musique et l’architecture de l’espace-temps dans l’espace-papier. Évidemment, nous analyserons des travaux qui ont prouvé leur qualité dans le temps à l’aide d’exemples d’œuvres d’artistes reconnus à l’appui.
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Paul Klee : la partition comme outil de conception Paul Klee, dans sa vie, s’est particulièrement intéressé aux liens entre la musique et les arts plastiques. En tant que violoniste, il saisissait totalement les règles de la partition traditionnelle. Cependant, il a ressenti les limites que comprenait ce mode de représentation et a alors cherché des systèmes de notation alternatifs. Certaines sont plus complexes que d’autres à comprendre. Nous allons nous tourner vers l’une de ses méthodes présentée notamment lors de ses cours au Bauhaus. Elle est particulièrement intéressante car elle est tout aussi précise que la partition traditionnelle (peutêtre plus?), plus facile à lire et à comprendre pour les lecteurs moins initiés au monde de la musique. Elle apporte certaines informations supplémentaires, comme les intensités sonores, et propose un résultat esthétique qui, à mon avis, se rapproche esthétiquement d’avantage à l’écoute de l’œuvre. «Il [Paul Klee] cherche à rendre à la ligne la qualité d’image qu’elle avait au départ, c’est-à-dire à restaurer l’existence d’un lien intrinsèque entre le support et l’invisible sonore.» (21) Comme nous l’explique Barbe, c’est bien dans l’intention de réduire l’écart entre la partition et l’œuvre que Paul Klee a créé cette partition. Il a traduit différents morceaux avec cette notation. Il faudrait un certain entraînement afin d’être capable de lire ou même d’écrire des morceaux de musique avec ce système de notation. Tout comme la partition traditionnelle, elle contient différentes règles à apprendre. Traduire concrètement des partitions traditionnelles est un peu fastidieux, cependant, comprendre son fonctionnement nous permettra de saisir avec plus d’aisance les rapprochements entre sa partition et l’espace architectural. Voici une explication plus précise de cette méthode proposée par Barbe: «La mesure musicale est rendue d’une façon très particulière: Klee organise sa page comme un damier de 8 cases sur 21. Chaque case est un rectangle et représente le temps d’une double croche, à une hauteur précise. Il y a 8 cases en largeur pour les 8 doubles croches d’une demi-mesure à 4 temps sur 21 en hauteur, soit le nombre de degrés de 3 octaves. Chaque note est située au milieu du temps qu’elle occupe et non pas au début mais le son auquel elle se réfère est marqué de façon rigoureuse, puisque chaque case du damier occupe le temps d’une double croche. La note n’est pas placée au début, au moment où il faut les jouer, mais à l’exact milieu du temps pendant lequel elle sonne.» (21) Cette représentation de Paul Klee nous permet d’avoir une vision plus formelle d’un morceau musical.
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(i)
(j)
(k)
Voici ci-dessus la figure (i), une partie d’une partition de Jean Sebastien Bach et dessous, la figure (j), la traduction de Paul Klee, ensuite redessinée (figure k). Il est possible d’apprécier la quasi totale suppression de symboles dans la partition de Klee. Il est certainement plus évident de se rendre compte de la hauteur et longueur des notes ou du moins, entres elles, dans la seconde notation que dans la première pour des personnes ne sachant pas lire le solfège. Comme nous l’avions compris, cette notation de Paul Klee répartit, à l’instar de la partition traditionnelle, les hauteurs de notes selon des lignes horizontales et le temps selon des colonnes verticales. C’est un réel tableau à deux coordonnées: la hauteur de notes verticalement et la mesure du temps horizontalement. Nous pouvons aussi remarquer que l’intensité des notes est traduite par l’épaisseur de la ligne. Nous comprenons aussi qu’une ligne continue correspond à un son continu, à l’inverse des lignes coupées. Ce pertinent travail de Paul Klee continue aujourd’hui à être utilisé et même développé par des logiciels informatiques de composition musicale qui mettent de côté la partition traditionnelle au profit de représentations plus intuitives (comme Ableton Live par exemple que nous avions abordé dans l’introduction).
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(l)
(m)
(n)
Voici ci-dessus, des documents d’un petit aparté qui pourrait sembler, dans un premier abord, s’éloigner du sujet : le fonctionnement des orgues de barbarie et leurs partitions. Ces machines, qui ne sont pas réellement des instruments de musique, sont plutôt des lectrices de partition. À l’inverse de l’être humain, la machine ne peut pas se tromper et reproduit avec une précision totale sa partition (au plus grand bonheur des jeunes enfants). C’est d’ailleurs la personne qui actionne la machine en tournant la manivelle qui définit le tempo de l’œuvre musicale selon sa vitesse de rotation. Ce qui est particulièrement intéressant pour nous est le fonctionnement de ces machines et surtout, la manière avec laquelle sont représentées les partitions. La machine est formée de tiges de longueurs différentes qui correspondent chacune à une note. Chaque tige vient buter contre un renfoncement ou une saillie de la partition qui fait vibrer la tige et donc résonner la note. Comment fonctionnent alors ces partitions ? Comme nous le montre la partition traditionnelle (figure l) et sa transposition en partition pour orgue de barbarie (figure m), la partition est divisée par des lignes horizontales et verticales (bien que cette grille ne soit pas toujours visible dans les partitions finales).
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Chaque ligne horizontale correspond à la hauteur d’une note. Chaque colonne correspond elle à une durée. La distance horizontale qui sépare chaque élément de la notation correspond au temps entre chaque son. La longueur des éléments correspond elle, au temps que dure chaque note. Voici donc un système de notation mis en pratique et concrétisé dans l’espace-temps qui ressemble fortement à la notation de Paul Klee étudiée auparavant. Bien que certaines données ne soient pas concrétisées (telles que les intensités sonores ou les possibles liaisons de notes) pour des raisons techniques de l’orgue de barbarie en soi, sa partition est bien une représentation en deux dimensions d’une oeuvre musicale. Enfin, pour fermer cet aparté et continuer notre recherche sur l’expression dans l’espace-papier d’oeuvres musicales, intéressons nous à une autre oeuvre de Paul Klee, ou plutôt à la suite de sa recherche. En effet, il a poussé plus loin sa réflexion sur la notation. La figure o est une autre partition musicale présentée elle aussi au Bauhaus. «Klee part de la même idée, celle de la visualisation de la mesure par les divisions d’une ligne ; mais au lieu de prendre comme point de départ une ligne droite, il part du geste du chef d’orchestre, qui bat à 2, 3, 4, 5 temps... Ici, la ligne divisée n’est plus droite mais brisée, et elle revient en arrière même lorsqu’elle vient ‘‘après’’» (22). Barbe nous explique que cette oeuvre est donc une transcription dans l’espace-papier d’une oeuvre musicale mais aussi de la spatialisation de cette oeuvre dans l’espace-temps. Elle transmet dans les deux dimensions de la feuille les informations propres du son mais aussi le caractère spatial du moment où cette oeuvre est interprétée. Cette oeuvre traite bien de l’espace-temps. Plus qu’une traduction d’une oeuvre de l’espace-temps, cette recherche de Klee nous prouve que la notation musicale peut aussi être un réel procédé de conception pour la musique dans l’espace-papier. Ainsi, il serait donc possible de comparer des procédés de conception musicale par la représentation.
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(o)
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Earl Brown : l’interprète co-compositeur Earle Brown, compositeur américain du XXe siècle, est l’un des artistes qui spatialise le plus sa notation musicale. En effet, pour son trio d’oeuvres Folio (1952-1953), Earle Brown compose une partition qui peut être interprétée très librement. Voici sur la page suivante la représentation de l’une de ces trois oeuvres. «Pour que les éléments existent dans l’espace… espace en tant qu’infinie de direction depuis une infinie de points dans l’espace… à travailler (par la composition et la performance) à droite, à gauche, derrière, devant, en haut, en bas et à tous les points intermédiaires… Le résultat étant une image de cet espace à un moment précis, qui doit être considéré comme irréel et / ou transitoire… une performance doit mettre en place en mouvement (temps), c’est-à-dire, le réaliser en mouvement et un pas dedans… sinon assis et le laisser se déplacer et se mouvoir à travers l’espace à toute vitesse» (23). Son explication, pleine de mystères, parle bien d’espace mais aussi de mouvement. Il met bien en scène une oeuvre musicale dans l’espace-temps. Il ne parle d’ailleurs pas de sons ce qui est relativement particulier pour une œuvre musicale. Il propose donc au musicien de penser la spatialisation des éléments sur la partition et de l’interpréter musicalement. Chaque interprète aura sa manière de reproduire en musique une spatialisation d’éléments orthogonaux sur une feuille. Il n’y a pas d’indication sur le nombre d’instruments, sur la tonalité ou le tempo; il laisse ces parties à l’interprète. Il offre d’ailleurs en général, dans la plupart de ses œuvres, une grande liberté au musicien. Pour lui, l’improvisation est l’un des éléments essentiels de sa musique, d’où la nécessité de rechercher de nouvelles formes de notation musicale. En effet, l’improvisation coordonnée ou non est très difficile, voire impossible, à représenter avec la partition traditionnelle. Dans ce cas, cette nouvelle notation est indispensable à Earl Brown afin de pouvoir transmettre les informations et d’offrir la liberté nécessaires à l’interprétation musicale de son œuvre. Une portée musicale traditionnelle serait incapable de transmettre ses intentions. De plus, l’absence de signes, de symboles ou même de toute indication écrite permet à cette représentation d’être lu par toute personne quelque soit ses connaissances musicales.
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(p)
Cet exemple, parmi d’autres, montre que la notation peut aussi permettre au compositeur de faire participer l’interprète au processus de conception. Ce n’est ni une simple communication, ni une simple conception mais bien une rencontre entre le compositeur et l’interprète par la notation.
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G / La notation architecturale Alors que les techniques de représentation architecturales étaient mal maîtrisées au Moyen-Age, elles commencèrent à se préciser à la renaissance avec la découverte de la perspective. Il était alors devenu essentiel de pouvoir représenter la réalité. Tentons alors de comprendre les composantes de la représentation architecturale traditionnelle. «Le plan est le générateur. Sans plan, il y a désordre, arbitraire» (24). En effet, comme le déclare Le Corbusier, rares sont les projets architecturaux qui voient le jour sans plan, du moins seulement mentaux. Plus poétiquement, Kahn nous raconte que quand il voit «un plan, c’est comme si c’était une symphonie, un royaume d’espaces dans la construction et la lumière» (25). Ainsi, le plan permet de transmettre de nombreuses informations pour les praticiens et semble essentiel pour l’architecture. Un plan nous permet de comprendre les relations de distances qui s’opèrent entre les différents ensembles d’une architecture. Ces distances peuvent par ailleurs être bâties ou non. Non seulement les plans, mais aussi les coupes et les façades sont indispensables à la conception et la création d’une œuvre architecturale. La coupe est fondamentale puisqu’elle donne l’ampleur spatiale d’une œuvre et donc ses rapports de hauteurs. Le plan et la coupe permettent chacun de lire en deux dimensions différentes le projet; associés, ils permettent de reproduire les trois dimensions spatiales. «La perspective, représentation complémentaire pour l’architecte par rapport au triplet plan-coupe-élévation, permet de répondre au désir de ceux qui aiment voir et bien comprendre toutes les choses qui seront dessinées» (26). Sakarovitch, architecte contemporain français, rappelle que les moyens de représentation en architecture qui proposent des alternatives aux plans-coupes-élévations sont variés et évoluent avec le temps. Les photomontages ou les vues en trois dimensions, de plus en plus utilisés de nos jours, sont des exemples contemporains de représentations plus intuitives et directes pour le public qui tentent de transmettre le vécu d’une architecture; la quatrième dimension temporelle, l’espace-temps. Cependant, parvient-on réellement à représenter, par les moyens cités ci-dessus, tous les éléments composant une architecture? Parvient-on réellement à se situer dans l’espace-temps?
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1/ Traditionnelle
(q)
En architecture, «le dessin (…) est le meilleur moyen de développer l’intelligence et de former le jugement, car on apprend ainsi à voir, or voir c’est savoir» (27). Viollet-Le-Duc, architecte qui imposa les bases de l’architecture moderne au XIXe siècle, particulièrement convaincu des apports du dessin à la conception architecturale, l’utilise tant pour des recherches que pour la réalisation concrète d’édifices. La représentation architecturale traditionnelle semble donc permettre à la fois la conception mais aussi la communication d’une œuvre. L’exemple ci-dessus présente trois plans d’Aires Mateus, architecte contemporain portugais, destinés au même projet. Le premier est bien un plan conceptuel permettant de comprendre les relations de proportions mises en place dans son bâtiment. Le second permet de communiquer la position en deux dimensions des éléments fondateurs du projet. Le troisième dessin est bien plus technique, il transmet des données plus concrètes; la communication est certainement vouée à la construction de l’édifice. Il est en effet impossible de représenter toutes les informations nécessaires sur un même plan. Il est souvent indispensable de représenter l’œuvre à plusieurs niveaux et échelles avec différents degrés de détails (de l’implantation de l’édifice jusqu’aux détails techniques constructifs) selon le but pour lequel est représenté le plan.
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2/ Alternative Nous avons pu soulever la difficulté qu’éprouve la représentation traditionnelle de l’architecture à situer l’œuvre dans l’espace-temps. Comment représenter cette quatrième dimension qu’est celle du temps? Aujourd’hui, les réalisations en trois dimensions par informatique rempliraient-elle ce rôle? Leur appellation semblerait pourtant bien prouver le contraire. Une donnée fondamentale n’existe pas dans la représentation traditionnelle: le mouvement. La problématique de représenter le mouvement intéressa plusieurs architectes car en effet, tout espace peut, et est la majeure partie du temps, vécu en mouvement. Lawrence Halprin, architecte paysagiste américain, s’est penché, sur les déplacements opérés par les êtres humains dans l’espace. Il étudie donc bien la thématique du mouvement et ceci, comme nous allons le voir, dans la notation. Il a étudié en collaboration avec sa femme, Ann Halprin, danseuse professionnelle et comme nous l’explique Frédéric Poussin, architecte contemporain français, «cela a conduit à des explorations de processus sans fin et de la notion de notation, notamment la compréhension de son rôle clé dans la manière dont on arrive à des solutions» (28). C’est donc aussi la recherche et la mise en place d’un nouveau système de notation qui lui a permis d’avancer dans ses travaux. En 1965, il présenta une nouvelle forme de notation qu’ «il dénomme ‘‘motation’’ et qui permet d’évaluer et de concevoir les environnements humains en fonction du mouvement du corps. L. Halprin partage avec les architectes qui se sont penchés sur le sujet, le souci de mettre à disposition des concepteurs, un système de représentation cohérent et simple qui permette autant de programmer le mouvement que de l’analyser, de le schématiser sur une base à la fois quantitative et qualitative» (29). Il pu concrétiser ses recherches dans la réalisation de plusieurs projets. Il a poussé son analyse du mouvement dans la rencontre d’éléments naturels tels que l’eau avec des objets architectoniques. Son système de notation lui est donc indispensable, à la fois à la conception de son œuvre, mais aussi à sa communication.
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(r)
(s)
Voici ci-dessus le projet d’une fontaine pour un parque de Seattle. On peut apprécier que dans sa motation, il représente différentes séquences d’un même espace afin de transmettre la notion de mouvement. On retrouve les mêmes formes construites sur lesquelles viennent couler l’eau. Il étudie plusieurs temporalités du même espace afin de le saisir dans son entièreté et pouvoir le représenter. Comprenons bien que son système de notation cherche à dépasser les limites imposées par la représentation traditionnelle qui serait trop restrictive et qui ne lui permettrait pas ni de concevoir, ni de communiquer ses intentions architecturales. Cet exemple prouve qu’une architecture dans son espace-temps peut bien être représentée dans l’espace-papier par des systèmes alternatifs, ceux-ci s’adaptant aux volontés de l’architecte.
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Nous avons donc cherché, dans cette première partie, les moyens de comparer les conceptions musicales et architecturales. Alors que leurs dimensions semblaient au départ différentes, nous avons compris que ces deux arts se matérialisent dans l’espace-temps. Or, comme nous l’avions émis dans l’introduction, comparer des œuvres différentes directement dans l’espace-temps semble fort complexe. Par la suite, nous avons soulevé que la musique et l’architecture se représentaient sur le même espace de la feuille, en deux dimensions. Certaines notations permettent seulement de communiquer des œuvres aux interprètes mais nous avons aussi étudié des exemples de représentations servant spécifiquement à la conception. Il semblerait donc possible que nous puissions comparer, par la représentation, une notion commune à la conception de la musique et de l’architecture, se développant dans l’espace-temps. Nous devons donc maintenant définir cette notion et notre angle d’étude.
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RÉFÉRENCES
(a) PERRICH T., Photographie, Microtonal wall, Lydgalleriet, Bergen, Norvège, 2011. (b) Id.
GUINZBOURG M. I., Le Rythme en architecture, Éditions Infolio, 2010, p.27. (1) CASASUS G., HAUPT S., Comparer? la comparaison dans les sciences, Éditions Lit, Zurich, 2011, p.107. (2) DECARSIN F., La Musique, architecture du temps, éditions l’Harmattan, p.9. (3) STRAVINSKY I., Poétique musicale, Éditions Flammarion, Paris, 2000, p.86. (4) FRAISSE P., Psychologie du temps, Éditions PUF, Paris, 1967, p.13. (5) RICHIR M., Phénoménologie en esquisses: nouvelles fondations, Éditions Jérôme Million, 2000, p.232. (6) FRAISSE P., Psychologie du temps, Éditions PUF, Paris, 1967, p.13.
(c) XENAKIS I., Schéma de recherche, Informations recueillies dans KANACH S., Iannis Xenakis musique de l’architecture, Éditions Parenthèses, 2006, p.156. (d) XENAKIS I., Photographie du pavillon Philips, Informations recueillies dans KANACH S., Iannis Xenakis musique de l’architecture, Éditions Parenthèses, 2006, p.164. (e) XENAKIS I., Études pour les glissandi de Metastaseis, 1954, Informations recueillies dans KANACH S., Iannis Xenakis musique de l’architecture, Editions Parenthèses, 2006, p.145. (f) XENAKIS I., Première page de la partition de Metastaseis, 19531954, Informations recueillies dans KANACH S., Iannis Xenakis musique de l’architecture, Éditions Parenthèses, 2006, p.78.
(7) DIDELON V., La controverse Learning from Las Vegas, Éditions Mardaga, Belgique, 2011, p.44.
(g) BEETHOVEN L. V., Partition musicalE, Symphonie Nr. 9, op.125, Finale, 1822-1824, redessiné par KASSEL B. V, 1996.
(8) KANACH S., Iannis Xenakis musique de l’architecture, Éditions Parenthèses, 2006, p.79.
(h) PALLADIO A., plan, Villa Rotonda, 1570.
(9) PERRICH T., Interview à Mikrogalleriet, Copenhagen, 2011.
«So in theese pieces I wanted to take this ideas of electronic sound and formelided it and even more and use theese one bit tones».
(i)
BACH J. S., partition musicale, Première mesure de la Sonate BWV 1018, 1723, informations recueillies dans BARBE M., Musique et arts plastiques la traduction d’un art par l’autre.
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(10) PERRICH T., Interview à Mikrogalleriet, Copenhagen, 2011.
«If you get close to a single speaker and isolate that very near part of the frequency sprectrum and you go back away and be in to here a full picture».
(11) BARBE M., Musique et arts plastiques la traduction d’un art par l’autre, Principes théoriques et démarches pratiques, Éditions l’Hamartan, 2011, p.188. (12) CORNUEJOLS M., Créativité et rationalisme en architecture, Éditions L’Harmattan, 2005, pp.236, 237. (13) LE CORBUSIER, Vers une architecture, Éditions Flammarion, 1923, p.22. (14) KANACH S., Iannis Xenakis musique de l’architecture, Éditions Parenthèses, 2006, p.139. (15) Id., p.149. (16) Ibid., p.145. (17) VALLIER D., Contrechamps Schoenberg Kandinsky Correspondance Ecrits, Éditions l’Age d’Homme, avril 1984, p.152. (18) KAHN L., Silence et lumière, Éditions du linteau, Paris, 1996, p.218.
(j) KLEE P., «Traduction» (mot employé par l’artiste) des Six sonates pour violon et clavier de BACH J. S. pour son cours du Bauhauss le 16 janvier 1922, informations recueillies dans BARBE M., Musique et arts plastiques la traduction d’un art par l’autre. (k) Id., élaboration propre. (l)
Partition musicale, information recueillie sur une page Internet, mis en ligne le 5 juin 2001, Consulté le 12 novembre 2013., URL : http:// www.orguesdebarbarie.org/.
(m) Id., partition musicale pour orgue de barbarie, élaboration propre. (n) THIBAULT C., Orgue de barbarie, Photographie. (o) KLEE P., partition musicale, pour son cours du Bauhauss le 16 janvier 1922, informations recueillies dans BARBE M., Musique et arts plastiques la traduction d’un art par l’autre. (p) BROWN E., partition musicale, December, 1952.
(19) HILL A., Module, proportion, symétrie, rythme, Édition La Connaissance, Bruxelles, 1968, p.162.
(q) MATEUS A., Maison des corridors, Alvalade, 1999, information recueillie dans la revue El Croquis n°154, Éditions ElCroquis, Madrid, 2011, p.11.
(20) URDLA , Musique en vue, Éditions centre international estampe et livre, 2002, p.49.
(r) HALPRIN L. , Motation pour la chorégraphie de l’eau de la fontaine du Freeway Park à Seattle, 1975.
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(21) BARBE M., Musique et arts plastiques la traduction d’un art par l’autre, Principes théoriques et démarches pratiques, Éditions l’Hamartan, s.l., 2011, p.182. (22) Id., 186. (23) BROWN E., page de carnet de notes datée d’octobre et novembre 1952.
“…to have elements exist in space… space as an infinitude of directions from an infinitude of points in space…to work (compositionally and in performance) to right, left, back, forward, up, down, and all points between…the score [being] a picture of this space at one instant, which must always be considered as unreal and/or transitory…a performer must set this all in motion (time), which is to say, realize that it is in motion and step in to it…either sit and let it move or move through it at all speeds”.
(24) LE CORBUSIER, Vers une architecture, Éditions Flammarion, 1923, p.57. (25) KAHN L. I., Silence et lumière, Éditions Du Linteau, 1996, p.164. (26) SAKAROVITCH J., Epures d’achitecture, De la coupe des pierres à la géométrie ddescriptive XVIe-XIXe siècles, Éditions Birkhauser, 1998, p.93. (27) VIOLLET-LE-DUC E., Histoire d’un dessinateur, Éditions Pierre Mardaga, Bruxelles, 1978, p.38. (28) HALPRIN L., Notebooks, Editions The MIT Press, Cambridge, Massachusetts and London, England, 1959-1971, p.10.
(s) THIEL P., Deux tableaux tirés de, A sequence –experience notation, informations recueillies dans courtesy of The Townplanning Review, vol. XXXII, n°1, avril 1961, p. 42.
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(29) POUSSIN F., Les concepteurs de la ville en quête de l’espace familier (1945-1975), Strates, 2008, mis en ligne le 13 mars 2013, Consulté le 02 janvier 2014. URL : http:// strates.revues.org/6722.
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II / LE TEMPS ET L’ESPACE DANS LA REPRÉSENTATION
«Le rythme est une contrainte. Il engendre une irrésistible envie de céder, de s’accorder avec lui; non seulement les pas que l’on fait avec les pieds, mais encore l’âme elle-même suivant la mesure, et il en était probablement ainsi, concluait-on, de l’âme des dieux. On tenta alors de les contraindre par le rythme et d’exercer un pouvoir sur eux». NIETZSCHE F.
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Nous avons compris qu’il était possible de comparer des processus de conception dans la représentation musicale et architecturale. Trouvons maintenant une notion pertinente de l’espace-temps musical et architectural que nous analyserons dans l’espace-papier.
MONDRIAN P., Pier and Ocean, 1915.
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A / Le Binaire Le binaire est une méthode utilisée dans de nombreux domaines. Surtout connue pour sa loi mathématiques 0/1, elle fut notamment le mode de lecture des premiers ordinateurs. D’autre part, de manière graphique, le binaire s’exprime par le couple noir/blanc. Les exemples sont nombreux; intéressons-nous donc plutôt à cette notion de binaire dans la notation musicale et architecturale. En musique, d’un point de vue général, considérons que tout son peut être musical. Ainsi en musique, chaque note est aussi un son. Il n’existe bien que deux possibilités: le son et le silence. Notons cependant que le silence réel n’existe pas, nous sommes en permanence entouré de sons, du plus bruyant jusqu’au battement de notre cœur. Certains artistes, comme John Cage que nous étudierons par la suite, ont travaillé sur cette dualité son/silence et plus profondément sur l’intéressante problématique du silence. Comme l’affirme Branden, professeur d’art moderne à Harvard, «Il ne peut exister un espace vide ou un temps vide. Il y a toujours quelque chose à voir, quelque chose à entendre. En fait, on peut toujours essayer de créer du silence, on ne peut pas» (1). D’autre part, dans l’espace, si nous interprétons également de manière identique tout élément bâti, nous retrouvons le même type de relation: le plein et le vide. Il n’y a «pas de vide sans plein ni l’inverse; s’il n’existait que du plein, le mouvement serait imaginaire voir impossible» (2). Joseph Nasr, architecte contemporain libanais, défend l’idée que le plein et le vide sont indissociable entres eux et dans l’espace. Cette simplification spatiale binaire est souvent utilisée lors de la conception architecturale. Ainsi, nous retrouvons le même rapport binaire en musique et en architecture. Michelis propose simplement le parallèle de cette manière: «le coup [son] est remplacé par la masse d’un corps et la pause [silence] par le vide de l’espace» (3). De même pour Van der Laan, moine bénédictin et architecte hollandais, pour qui cette idée semble évidente: «le seul moyen de distinguer l’espace est par de la masse. Comme le silence se distingue par du bruit, l’espace se distingue par de la masse» (4). Pourtant, certains artistes ont aussi assimilé ces relations binaires de manière opposée pour certaines œuvres. Cependant, le parallèle son/plein et silence/vide reste plus évident et commun. Sauf cas particulier, nous garderons ce rapport. Enfin, afin de pouvoir le représenter, nous pouvons assimiler le son/silence musical au plein/vide architectural par le noir/blanc graphique.
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B/ Approche théorique du rythme comme relation temporelle Il semble maintenant possible de comparer des notions communes à la conception musicale et architecturale dans la notation. La représentation graphique binaire est un moyen efficace de comparer des caractéristiques communes à la musique et à l’architecture. Analysons maintenant une notion, possiblement binaire, essentielle à nos deux domaines. Selon Socrates, «la grâce et le manque de grâce dépendent de la perfection ou de l’imperfection du rythme» (5). Cette pensée, s’appliquant à la majeure partie des arts, est indéniablement présente en musique comme en architecture. Pourtant, bien que le mot soit identique, il est complexe de définir avec certitude le sens du rythme musical et architectural. Tentons d’approcher une définition de ce terme. Le rythme vient du latin «rythmus» et du grec «rhuthmos» qui signifie selon le dictionnaire Larousse cadence. Donc, d’après son étymologie, le rythme serait associé à une notion de cadence. Bien qu’elle puisse prendre d’autres significations, la cadence musicale désigne, au sens général musical, «le mouvement régulier des battues de temps». Ainsi, on pourrait affirmer que le rythme sous-entend des éléments mis en relation de manière régulière. Pourtant, prenons garde à cette conclusion hâtive. Émile Benveniste, linguiste français du XXe siècle, a consacré un ouvrage et donc de nombreuses études à la définition du ruthmos. Simplement la traduction de l’étymologie du mot apporte sa part de nuances. Rhuthmos viendrait de rhéô, couler, qu’il traduit pas le «mouvement plus ou moins régulier des flots» (6). Nous pouvons alors simplement affirmer que le rythme traite d’une forme de régularité. Tentons de comparer le point de vue de quelques penseurs qui se sont penchés sur cette définition de rythme. Selon Michelis, «‘‘rythmer’’ signifie régler, mettre en ordre, en vue d’organiser un objet ou une construction» (7). Cette définition ne parle pas directement de relation entre des éléments entres eux, bien que ce soit peut être sous-entendu,du moins elle doit être contrôlée et organisée. Or, Boucourechliev, compositeur français du XXe siècle, propose une notion de rythme bien différente. «Si la moindre différence – d’harmonie, de durées, d’intensités, de timbre, de registre – crée une griffe, une petite ou une profonde blessure sur le temps, elle produit un rythme» (8).
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Il suffirait d’un seul son dans le temps, ou d’une différenciation récurrente d’un son pour créer un rythme. C’est un point de vue plus ouvert mais peut être plus difficile à s’imaginer. Guinzbourg, architecte constructiviste en union soviétique au début du XXè siècle, développe profondément la théorie du rythme en architecture. Le mouvement est, selon lui, une notion indispensable à la formation d’un rythme: «L’essence de tout phénomène rythmique réside avant tout dans le mouvement». «Un élément succède à un autre, et la corrélation entre ce que l’on perçoit à cet instant et ce que l’on a perçu l’instant précédent, constitue l’essence de la sensation rythmique» (9). L’idée du mouvement dans la notion de rythme fait écho à l’étymologie soulignée par Benveniste. Mais cette définition du rythme affirmée par Guinzbourg est à la fois très précise mais aussi bien large. Tout objet en mouvement formerait un rythme. De plus, Guinzbourg définit plusieurs types de rythmes en fonction des dimensions dans lesquelles il se développe. A partir de ce moment-là, nous devons nous intéresser aussi aux rythmes «statiques», des éléments qui ne sont pas en mouvement (ce qui englobe la représentation). «Les limites de l’élément constitutif du rythme statique sont fixées, quant à elles, par son étendue spatiale. Chacun des éléments constitutifs de ce rythme doit occuper un espace défini, plus ou moins vaste, doit avoir ses propres frontières matérielles, qui agissent sur nos perceptions visuelles» (10). On s’approche donc d’un domaine plus complexe à expliquer. Le rythme, en représentation, serait en relation avec la position des éléments dans l’espace-papier et avec l’exercice de notre œil à lire et comprendre ces éléments. Il semble donc complexe d’atteindre une réelle définition probante du rythme d’après des points de vue divergents car nous nous intéressons à des domaines différents. Les définitions peuvent se contredire en fonction du domaine d’étude mais aussi simplement de la personne qui en parle. Paul Valéry, philosophe français du XXè siècle, dans l’un de ses écrits, après s’être intéressé à la notion de rythme affirme avoir «lu ou [...] forgé vingt définitions du rythme dont [il] n’adopt[ait] aucune» (11). Nous avons vu plusieurs approches d’une définition commune du rythme à la musique et à l’architecture mais il semble complexe, voir impossible, de proposer une définition théorique générale. Tentons donc d’approcher la notion, puisque la théorie ne nous a pas pleinement satisfait, par expériences de représentation de rythmes binaires qui soient cohérentes et adaptées à la notation musicale et architecturale.
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C/ Approche expérimentale du rythme Nous avons soumis théoriquement plusieurs manières d’interpréter et de comprendre un rythme, en musique comme en architecture. Accordons nous à penser que la formation d’un rythme nécessite une mise en relation d’éléments. Cependant, peut-on former un rythme avec très peu d’éléments? Et à partir de quel moment considère-t-on que des éléments sont en relations? Prenons par exemple deux éléments.
Voici ci-dessus deux carrés noirs. Ils sont bien disposés sur une même ligne cependant nous ne pouvons pas nous en assurer. Nous les voyons comme identiques (et c’est le cas), cependant nous peinons à leur trouver une relation l’un avec l’autre. Comme nous l’avions conclu auparavant, un rythme nécessite une mise en relation d’éléments. Bien qu’il semble complexe de définir les modes de mise en relation, cette première expérience ne semble pas très concluante.
Voici ci-dessus ces deux mêmes carrés noirs séparés cette fois-ci par la distance de leur côté. Nous pouvons affirmer avec plus de certitude qu’il existe des relations entre ces éléments: ils sont identiques, ils sont séparés d’une distance qui permet de les lire ensemble. On instaure naturellement l’axe de symétrie qui les sépare. La symétrie confirme être un moyen extrêmement puissant de mettre en relation des éléments entres eux.
Voici maintenant ces trois mêmes carrés alignés et séparés par deux distances aléatoires. Cette fois-ci, en plus de pouvoir trouver des relations entre ces éléments, nous cherchons des proportions dans la distance qui les sépare. Le parallèle par le binaire nous permet de chercher la même relation en musique et en architecture. Nous pourrions comparer la durée qui sépare plusieurs sons identiques ou l’espace qui lie plusieurs pleins ou éléments semblables.
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Cette nouvelle expérience est plus intéressante que les deux précédentes. Elle semble répondre aux critères des recherches sur le rythme. Cependant, sommes-nous convaincus de la présence d’une formation rythmique? Cela dépendrait sûrement aussi des points de vue puisque ceux-ci divergent franchement en fonction de l’artiste. Tentons alors de compléter nos recherches avec des notions complémentaires au rythme afin de pouvoir en juger avec plus de certitude et de pertinence.
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D/ Notions complémentaires La pulsation
La distance qui sépare les éléments semble être essentielle à la formation d’un rythme. Nous avons aussi noté qu’il pouvait exister des rapports de proportions dans les distances qui les séparent. Les distances qui séparent les différents groupes rythmiques doivent avoir un certain ordre afin de lire l’ensemble comme une répétition d’éléments. Reprenons le premier exemple vu auparavant et apportons des divisions à l’espace qui sépare les deux éléments.
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Alors qu’il semblait jusque-là complexe de trouver des relations entre ces deux éléments, la division de l’espace qui les sépare permet-elle de les mettre en rapport entres eux ?
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Un nombre de divisions supérieur nous permet toujours de pouvoir mettre en relation les éléments entres eux. Il semblerait donc que les relations que nous pouvons donner dans les distances séparant des éléments graphiques dépendent aussi de la manière de diviser cet espace. Cette division rappelle la pulsation musicale. Van der Laan, est convaincu que cette distance, temporelle ou spatiale, entre deux éléments est essentielle dans une formation rythmique. «C’est par cette première résonance de deux tons ensembles, par laquelle un rythme, […] s’établit, seulement par les ‘‘longueurs de temps’’ ou par ici donc par la distance entre les grandeurs ou les ‘‘longueurs de temps’’ des éléments que l’on établit la forme d’un rythme. Là est le secret de la musique et de l’architecture» (12). L’étude des longueurs, temporelles ou spatiales, entre les éléments semble essentielle au moment d’étudier des rythmes musicaux et architecturaux ensembles.
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La répétition Comme le défend Montaner, architecte et théoricien contemporain d’architecture et d’urbanisme catalan, la répétition, peu importe son domaine, est une technique qui provoque des sensations importantes. «Sur le terrain de la technique expressive, rien n’est plus proche du cœur du minimalisme que la répétition de l’identique, un infini a-a-a-a-a… Le mécanisme formel et éthique de la répétition libère une grande quantité d’énergie et, en même temps, produit un effet de profond malaise, d’obsession et d’angoisse» (13). La répétition permet de ne plus voir chaque élément séparément mais de voir un tout, qui décuple les effets produits. Le rythme et la répétition sont souvent associés, peut-être même parfois confondus. Cependant, d’après nos recherches antérieures et le point de vue de certains théoriciens, un rythme peut exister sans répétition. C’est ce que défend notamment Guinzbourg. Comprenons d’abord comment se forme une répétition avant de tenter de la lier au rythme. Il existe de multiples types de répétitions, nous en vivons certaines en permanence. Prenons par exemple notre propre corps. Celui-ci est régi par différentes actions qui se répètent régulièrement dans le temps nommées rythme physiologique. «Notre pouls, notre respiration et même le battement de nos paupières sont des rythmes physiologiques» (14). Ici, Michelis parle bien d’un rythme physiologique et non d’une répétition d’éléments. Chaque élément de notre corps cité se répète et nous attendons chaque fois l’arrivée du prochain (d’ailleurs, lorsque celui-ci arrive nous ressentons une légère satisfaction). Cette suite d’éléments, définie comme rythmique, est pour le moins cyclique. A partir de quel moment un cycle peut-il être critère de formation rythmique? Quelle est l’influence de la répétition sur un rythme? Prenons la même forme simple qu’auparavant, le carré. Répétons quatre fois cet élément identique; voir ci-dessous la figure.
Nous voyons, ici, quatre éléments qui se suivent. Nous imaginons que la distance qui les sépare est identique à la longueur des côtés des carrés (ce qui est le cas). Chaque élément est mis en relation avec les autres par des relations de distances. Or de plus, de par la symétrie de l’ensemble et du nombre d’éléments (pair) qu’elle contient, nous trouvons cette figure équilibrée. Elle forme à elle seul un tout.
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Comme le défend Guinzbourg, «on peut donc dire que la répétition, l’alternance ou la symétrie d’une forme dans l’espace sont les marques de la présence de la simple loi du rythme. Le charme rythmique que dégagent les formes symétriques s’explique par les caractéristiques psychophysiologiques fondamentales de notre sens de la vue. Chacun de nos deux yeux perçoit toute forme séparément, et l’image qui se dessine dans un œil, est l’inverse de celle qui se forme dans l’autre œil, comme sont inverses de nombreuses parties de notre corps: nos oreilles, nos bras, nos jambes» (15). Il décrète donc qu’une forme symétrique semble plus juste et stable pour des raisons physiologiques. C’est certainement pour cette même raison que cette dernière forme étudiée semble contenir un début, un milieu et une fin. Ces éléments sont bien liés par plusieurs relations formelles et de distance.
Si nous répétons un même élément en quantités plus importantes, comme dans la figure ci-dessus, la lecture change. Nous ne voyons plus seulement la répétition d’un même élément plusieurs fois mais plutôt un seul grand élément. La répétition continue d’un même élément (supérieur à six d’après Michelis) ne permet plus de les séparer les uns des autres. L’ensemble semble donc aussi former un tout. Pourtant, à la différence de l’exemple précédent, nous avons le sentiment que l’ajout ou la suppression d’un ou plusieurs éléments ne changerait rien à l’ensemble. Selon Pierre Von Meiss, théoricien contemporain de l’architecture, «La répétition, pratiquée sous forme rythmique, tant en musique qu’en architecture, est un principe de composition extrêmement simple qui tend à donner d’emblée un sens de cohérence» (16). Comprenons donc bien que la répétition n’est pas une donnée indispensable à la formation d’un rythme. Par contre, ces notions peuvent s’associer ensembles. La répétition d’événements rythmiques de façon ordonnée donne au rythme une certaine clarté. Elle peut aussi permettre de dévoiler la pulsation ou les rapports de distance qui séparent les éléments rythmiques.
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La juxtaposition Nous nous sommes intéressé à la formation d’une séquence rythmique, mais nous pouvons aussi imaginer qu’une œuvre, musicale comme architecturale, n’est pas composée que d’un seul rythme (bien qu’un puisse prédominer l’ensemble) mais d’une juxtaposition, addition ou accord entre différents rythmes. «L’alternance des éléments du rythme, […] nous garantit, d’une manière certaine et avec une netteté purement graphique, une totale équivalence des pulsations rythmiques, nous confirme non seulement la similitude du caractère de la sensation rythmique, mais aussi l’égalité de ses qualités harmoniques. Ainsi, l’effet sensoriel […] augmente fortement» (17). Guinzbourg affirme donc que différentes formations rythmiques peuvent se mettre en valeur les unes aux autres. Étudions cette donnée par un exemple.
Il est effectivement possible de trouver des relations de distances entre les trois premiers éléments (comme étudié jusque-là) et de l’associer à une formation rythmique. Or, nous pouvons aussi voir trois évènements majeurs qui se répètent étant séparés par des distances différentes mais qui pourraient être mises en relation. Il semblerait donc possible de parler d’événements rythmiques à différentes échelles. Il semble donc, en définitive, qu’il soit trop complexe de définir ou répertorier les différentes formes rythmiques. Néanmoins, nous savons que le rythme traite de relations de distances, spatiales ou temporelles, entre des éléments ou des événements, peu importe leurs natures. De plus, jusque-là, nous avons proposé d’étudier des exemples le long d’un axe. Dans la représentation, nous pourrions imaginer des formations rythmiques dans l’entière spatialité de la feuille et du moins, selon un axe horizontal et un axe vertical (bien que rien ne semble interdire d’autres directions). Nous pouvons donc imaginer qu’il serait possible de voir apparaître dans l’espace-papier des relations de longueurs temporelles, spatiales ou même tonales de l’espace-temps.
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F / La nécessité du rythme en musique Nous nous sommes rendu compte qu’émettre une définition du rythme est extrêmement complexe. Pourtant, nous avons pu atteindre une notion commune. Nous pouvons donc maintenant nous intéresser aux conséquences de cette notion, en musique comme en architecture, afin de mieux saisir leurs effets. Tous les rythmes semblent provoquer des émotions et des sensations. Michelis le décrit ainsi: «le rythme excite au début des sentiments et finalement une émotion, lorsque l’âme jouit de leur alternance artistique et de leurs variations» (18). Ainsi, Michelis nous fait penser que le rythme n’est pas qu’une simple composante commune à ces deux arts mais bien un facteur d’influence important. Détaillons cette citation à l’aide d’un exemple musical. Voici ci-après une partie de la partition de Aria composée par John Cage. Comme nous pouvons l’apprécier, cette partition, se détache totalement de la représentation traditionnelle. «Ce que ce morceau a de spécial, [...] c’est qu’il n’est pas du tout transcrit. Pas de notes, pas de bémols, pas de dièses. Mais c’est une sorte de structure, et le chanteur dans cette structure a une liberté totale» (19). Clarence McFadden, chanteuse contemporaine d’opéra, apprécie particulièrement cette notation de Cage qui offre à l’interprète une réelle participation à la composition. À partir de lignes, de couleurs (associables entres elles ?) et de textes (en différentes langues : Anglais, Russe, Français…), John Cage compose son œuvre dans l’espace-papier par spatialisation des éléments sur sa feuille. On peut donc supposer que chacun peut interpréter cette œuvre de différentes manières, de façon totalement personnelle. Selon l’interprète, l’œuvre va alors provoquer des sentiments variés à son public. Cette liberté donné à l’interprète et sa participation active au sein de la conception peut rappeler les travaux d’Earl Brown que nous avons étudié au début de ce travail. Mais comprenons bien quelle peut être l’influence du rythme dans une œuvre aussi libre que celle-ci.
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Les rythmes (même si totalement décousus) avec lesquels l’artiste va interpréter l’œuvre, ou même le choix de ne suivre aucun rythme, peuvent certainement très fortement influencer les sentiments que vont ressentir le public. Par exemple, si chaque élément est chanté lentement, en marquant les temps vides entres eux, l’œuvre va certainement prendre un caractère sérieux. En augmentant la vitesse d’enchaînement, le sentiment va passer de l’inconfort à l’incompréhension, jusqu’à une forme de chaos. La vitesse de lecture, le tempo, joue donc un rôle important dans l’interprétation d’une œuvre. Mais le rythme, c’est à dire la présence d’une structure apportant des relations de longueurs entre les événements, aura lui aussi une influence primordiale dans l’interprétation d’une œuvre (bien avant le tempo par ailleurs). «Je choisis les sons à l’aide d’opérations de hasard. Je n’ai jamais écouté aucun son sans l’aimer: le seul problème avec les sons, c’est la musique» (20). Nous comprenons bien que dans cette phrase de Cage, légèrement provocatrice, qu’il compose la musique de manière particulièrement atypique.
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Or, nous pouvons concevoir que tout son puisse faire partie d’une composition musicale mais la difficulté (et la magie?) réside dans la mise en relation des différents sons entres eux. La mise en place de rythmes permet de structurer les éléments hétérogènes entres eux et d’instaurer un ordre à la composition. Cependant, dans un domaine plus traditionnel, le rythme est un élément essentiel dans la représentation de l’intention de l’œuvre. «En musique, dès que nous entendons la première mesure rythmique, nous prenons conscience d’un monde spirituel, dont la seule résonance suffit à nous entraîner, comme s’il nous était connu !» (21). Michelis donne ici un rôle primordial au rythme musical. En effet, pour la majeure partie des œuvres musicales, l’écoute des premiers instants nous plonge directement dans l’ambiance de l’œuvre car le rythme est support de l’intention artistique. Le rythme semble donc en musique, essentiel à l’ordonnance d’une œuvre musicale. D’autre part, elle permet aussi, dans la plupart des compositions occidentales, de transmettre les émotions d’une œuvre en tant qu’elle est le support des autres composantes musicales. Pourtant, le rythme n’est pas indispensable et notamment aujourd’hui, des artistes proposent des œuvre a-rythmées qui proposent de nouvelles voies d’étude. Nous comprenons aussi qu’il est possible de mettre en relation rythmique de la même manière n’importe quel élément, qu’il soit à proprement dit une note ou juste un son, qu’il soit un objet naturel ou construit. Or, le rythme est indispensable pour la création d’une œuvre rationnelle, toutefois son absence volontaire comporte d’autres apports et c’est le cas de certaines œuvres contemporaines. Étudions les différentes manières d’associer des éléments ensemble.
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G / D’autres relations rythmiques L’oeil cherche naturellement à associer des éléments entres eux, il cherche seul les ressemblances. Voici ci-après un ensemble de croquis de Pierre Von Meiss qui donne des exemples d’associations que fait naturellement notre l’œil. Il existe énormément de critères d’associations possibles: forme, taille, direction, matière, alignement, position, orientation, support, etc. De la même manière, il existerait donc de nombreuses façons de représenter ou de ressentir un rythme. Cela ne se limite pas a aligner des éléments identiques le long d’un axe. Le rythme peut être créé de manières variées. «La répétition, pratiquée sous forme de rythme, tant en musique qu’en architecture, est un principe de composition extrêmement simple qui tend à donner d’emblée un sens de cohérence» (22). Ainsi, les associations rythmiques peuvent être de plusieurs ordres dans la représentation musicale et architecturale et proposent un sens à l’œuvre. Il semble donc essentiel de définir quel type de rythme nous chercherons à associer. Du point de vue musical, des rythmes semblent pouvoir exister de multiples manières dans l’espace-temps: rapport entres les notes, groupes de notes, temps séparant des notes, etc. D’autre part en architecture, il semble que nous retrouvions des rythmes pour la plupart des réalisations traditionnelles. «De sa naissance à nos jours, l’architecture, dans ses éléments formels, ses articulations et sa composition des masses, n’a été inspirée que par les seules lois du rythme, qui définissent la véritable essence de toute œuvre architecturale» (23). Guinzbourg semble être convaincu de la présence du rythme à travers l’histoire de l’architecture. Il serait possible de retrouver des rythmes dans des multiples composantes construites tels que des matières ou des singularités. Pourtant, Guinzbourg nuance lui-même son propos car, selon lui, «dans son évolution ultérieure, l’architecture se compliqua de plus en plus et les mêmes lois du rythme ne se matérialisèrent plus par des formes simples, mais par des compositions complexes, par la coexistence de nombreux éléments artistiques» (24). Cette citation nous confirme bien qu’aujourd’hui, les rythmes en architecture peuvent se matérialiser de multiples manières et pas nécessairement de façon directe. Or, cette complexité peut aussi être vue comme une forme de richesse.
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Afin de pouvoir faire une comparaison pertinente des rythmes dans le processus de conception en musique et en architecture par la notation, nous devons comparer selon une clef de lecture des notations. Là où dans l’espace-temps, les relations rythmiques sont nombreuses, dans la représentation cette variété se restreint. Rappelons bien que la notion de rythme parle de relation de longueurs, notamment de temps ou d’espace, entre des éléments ou des événements. Ces événements doivent pouvoir être comparables et pour cela, nous devons concentrer notre étude vers un seul type de rythme dans la représentation. Nous allons donc étudier des rythmes binaires dans la notation musicale et architecturale. Comme nous l’avons vu auparavant, la notation binaire permet de mettre en scène d’un côté des rapports de sons et de silence et de l’autre, des rapports de masses et de vides. Nous nous pencherons donc plus particulièrement, sur la comparaison des longueurs, temporelles ou spatiales, qui séparent d’un côté des sons et de l’autre des pleins.
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RÉFÉRENCES NIETZSCHE F., Le Gai Savoir, Éditions Fritzsch E. W. , Leipzig, 1887, p.25. (1) BRANDEN W. J., John Cage and the architecture of silence, October, volume 81, 1997, p.87.
“There is no such thing as an empty space or an empty time. There is always something to see, something to hear. In fact, try as we may to make silence, we cannot”.
(2) NASR J., Le rien en architecture, l’architecture du rien, Éditions l’Harmattan, 2011, p.92. (3) MICHELIS P. A., L’Esthétique de l’architecture, Éditions Klinksieck, 1974, p.77. (4) SCHEFFER F., De natuurlijke ruimte (L’espace naturel), propos de Van der Laan Hans, adaptation par le laa/CAV - UCL, 2011. (5) PLATON, République, III, 400c8, traduction Victor Cousin, p.10. (6) BENVENISTE É., Problèmes de linguistique générale, t.1, Éditions Gallimard, Paris, 1966, p.327. (7) MICHELIS P. A., L’Esthétique de l’architecture, Éditions Klinksieck, 1974, p.70. (8) BOUCOURECHLIEV A., Le langage Musical, Éditions Fayard, Paris, 1994, p.23. (9) GUINZBOURG M. I., Le Rythme en architecture, Éditions Infolio, 2010, p.27. (10) Id., p.31.
(a) CAGE J., partition d’Aria, 1958. (b) VON MEISS P., schémas explicatifs tirés de De la Forme au lieu, Éditions presses polytechniques et universitaires romandes, 1985.
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(11) VALÉRY P., Œuvres, Éditions Gallimard, La Pléiade, Paris, 1960, p. 1289. (12) SCHEFFER F., De natuurlijke ruimte (L’espace naturel), propos de Van der Laan Hans, adaptation par le laa/CAV - UCL, 2011. (13) MONTANER J. M., La Modernidad superada, Editorial Gustavo Gili, Barcelona, 1997, p.194.
“En el terreno de la técnica expresiva, nada está más cerca del corazón del minimalismo que la repetición de lo idéntico, un infinito a-a-a-a-a… El mecanismo formal y ético de la repetición libera una gran cantidad de energía y, al mismo tiempo, produce un efecto de profunda molestia, de obsesión y angustia”.
(14) MICHELIS P. A., L’Esthétique de l’architecture, Éditions Klinksieck, 1974, p.82. (15) GUINZBOURG M. I., Le Rythme en architecture, Éditions Infolio, 2010, p.38. (16) VON MEISS P., De la forme au lieu, Éditions Presses Polytechniques Romandes, Lausanne, 2012, p.44. (17) GUINZBOURG M. I., Le Rythme en architecture, Éditions Infolio, 2010, p.73. (18) MICHELIS P. A., L’Esthétique de l’architecture, Éditions Klinksieck, 1974, p.87. (19) MCFADDEN C., Chanter le mystère primal, conférence, Amsterdam, Pays-Bas, 2010.
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(20) URDLA, Musique en vue, Éditions centre international estampe et livre, s.l., 2002, p.60. (21) MICHELIS P. A., L’Esthétique de l’architecture, Éditions Klinksieck, 1974, p.89. (22) GUINZBOURG M. I., Le Rythme en architecture, Éditions Infolio, 2010, p.23. (23) Id., p.73. (24) Ibid., p.62.
III / MISE EN RELATION DE PRINCIPES DE CONCEPTION ARCHITECTURALE ET MUSICALE PAR LEUR REPRÉSENTATION
«Tout jugement découle d’une comparaison». MICHELIS P.A.
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Nous allons donc passer au cas d’étude. Ces deux premières parties nous ont permis de réellement cadrer le sujet. La certitude de vouloir comparer les conceptions musicales et architecturales ont d’abord pris part à un doute voyant les différences entre ces deux domaines. Puis, nous avons découvert que la notation pouvait être un outil avec lequel il serait possible de comparer; mais que comparer? Il a donc fallut, dans la seconde partie, définir un procédé présent dans ces deux domaines et essentiel au stade de la conception des deux arts. Les rythmes, et toute la difficulté qui semble graviter autour de la définition de cette notion, semblent répondre à nos attentes. Mais quel type de rythme? C’est à ce moment-là que le binaire, son/silence, plein/vide et noir/blanc (graphique) joue son rôle dans ce travail. Cette donnée recadre et simplifie le sujet tout en lui gardant sa profondeur et sa cohérence. Nous allons donc étudier, dans cette troisième partie, des rythmes binaires dans la représentation architecturale et musicale en tant que processus de conception. C’est pourquoi analyserons plus en profondeur quelques notations musicales et architecturales. Étudions dans un premier temps un exemple musical que nous avons déjà abordé auparavant.
XENAKIS I., Pans de verre ondulatoires, Couvent de la Tourette, 1959.
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A / Paul Klee Reprenons la traduction d’une partie des Six sonates pour violon de Jean Sebastien Bach proposée en 1922 en cours au Bauhaus par Paul Klee (vu au I.E.2). Nous avions déjà expliqué le fonctionnement de ce système de notation. Rappelons succinctement que Klee dispose ses sons dans une grille qui dépend horizontalement du temps et verticalement des hauteurs de notes. Or, la décomposition orthonormée dans l’espace-papier de l’oeuvre musicale représentant dans une direction le temps et dans l’autre la hauteur de notes peut donc nous proposer de lire deux types de formations rythmiques. Certaines, où la distance entre chaque élément serait le temps et l’autre, où cette distance serait les hauteurs de notes. Or, si nous trouvons des rapports proportionnés dans ces distances, nous pourrons certainement parler de rythmes. On peut différencier, dans cet exemple, deux voix qui s’étendent en deux lignes différentes, l’une plus haute que l’autre. La ligne du bas se décompose de manière régulière (la division correspond à deux colonnes de la grille). On peut déjà noter que cette division en plusieurs sons de même durée répond bien à la notion de rythme. Cette première ligne est certainement la base continue du morceau, le son y est continu et change de hauteur de note selon un intervalle de temps régulier. Nous lisons donc bien ici des rythmes en fonction du temps. Or, nous pouvons aussi interpréter les changements de hauteurs de sons, qui sont bien réguliers car chaque son se positionne sur la ligne au-dessus du son précédent. Ces ensembles forment aussi des rythmes, mais cette fois-ci, en fonction de la hauteur des notes. Ainsi, il semblerait bien que cette ligne inférieure dans l’espace-papier nous présente deux formes rythmiques, l’une en fonction du temps et l’autre, en fonction des hauteurs de notes. La ligne supérieure est plus complexe, elle propose plus de variations de hauteurs, d’épaisseurs mais aussi de longueurs dans les divisions. Cette ligne correspond très certainement à la mélodie du morceau musical. Or, nous pouvons retrouver certaines formes, bien que leur positionnement dans l’espace-papier varie.
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(a)
(b)
Ainsi, ces variations pourraient aussi représenter des séquences rythmiques en tant qu’événements séparés d’une distance proportionnée. Comme pour la ligne inférieure, bien que l’étude soit un peu plus complexe, nous retrouvons bien à la fois des rythmes de sons en fonction du temps entre chaque note mais aussi des rythmes en fonction de la hauteur entre ces sons. Il semble donc bien possible de lire des formations rythmiques binaires de sons dans cette notation proposée par Paul Klee. Ces rythmes, présents dans cet espace-papier doivent certainement se matérialiser dans l’espace-temps. Or, nous avons souligné que les deux dimensions (temps et hauteur de sons) que propose cette notation sont les facteurs des rythmes binaires étudiés; nous avons effectivement observé des rythmes en fonction du temps mais aussi en fonction des hauteurs de notes.
82 | COMMENT SONNE L’ARCHITECTURE?
B / Aires Mateus «Composer, c’est l’action de disposer les différentes parties d’une oeuvre quelconque de telle façon que l’interdépendance des éléments en fasse un corps organisé et où chacun d’eux soit à une si juste place que rien ne paraisse pouvoir être modifié, changé, sans ruiner complètement l’équilibre de tout» (1). Voici une définition complète que nous propose l’architecte français du début du XXè siècle, Pontremoli. Intéressons-nous à la présence de rythmes binaires dans des plans composés d’architectures. Aujourd’hui, Aires Mateus utilise dans plusieurs de ses projets des contraintes, généralement assimilables à un système orthogonale, qui lui imposent une rigueur géométrique. «Quand un exercice ne comporte pas suffisamment de contraintes, il faut s’en forger d’autres pour bien arriver au projet. Je me suis donc intéressé à cette idée de géométrie» (2). Ce n’est pourtant pas un point de vue partagé par beaucoup d’architectes contemporains. Or, ses projets, très riches, sont limpides à lire et à comprendre. Reprenons l’analyse du plan de la maison des corridors à Alvalade (vue en I.F.1) conçue en 1999 et qui n’a jamais été édifiée. Ne gardons des trois représentations proposées par Mateus que le dessin binaire qui est réalisé au stade de la conception. Analysons la présence de rythmes binaires dans ce dessin. Notons que le plan de forme carrée est orthonormé. Il n’existe que deux directions, qui correspondent aux deux directions du plan de l’espace-papier. Les pleins sont tous d’une largeur identique mais leurs longueurs varient. La rencontre des deux directions crée une variété de formes. Il existe donc au total 23 formes de pleins mais seulement douze différentes. Ces formes sont donc des éléments différents. Comprenons donc les relations de vides qui les lient entre eux et qu’ils forment ensembles afin de dégager un rythme. Nous pouvons dégager deux types de vides: certaines plus grands que les autres. Nous voyons que les espaces de vie sont de formes rectangulaires ou carrées; ils sont quatorze de cinq proportions différentes. Les plus petits vides viennent diviser les bandes de pleins. Ils ont donc tous la même longueur mais proposent des largeurs différentes.
CAS D’ÉTUDE | 83
(c)
(d)
(e)
(f)
(g)
(h)
(c)
Maintenant que nous avons énoncé les composantes principales du plan, essayons de mieux comprendre le procédé de composition du dessin. Le plan est simplifié de gauche à droite dans les figures ci-dessus. On comprend alors que le projet est une base carrée (figure e) divisée en deux rectangles, pas tout à fait identiques, par des bandes de la même épaisseur (figure f). Dans la figure (g) sont prolongés deux autres axes qui traversent tout le plan. Leur intersection divise les deux premiers rectangles principaux et forme un premier carré. Ensuite, sont prolongés des segments secondaires, qui délimitent tous les grands vides (figure h). Enfin, la dernière représentation est le plan proposé par Mateus; elle propose en plus des autres toutes les séparations qui divisent les axes. Nous comprenons grâce à cet exercice de décomposition que les surfaces de noirs et de blancs sont bien proportionnelles entres elles et à l’ensemble. Les pleins sont donc séparés par des vides proportionnés entres eux et à l’ensemble. Continuons la comparaison de ces espaces entres eux.
84 | COMMENT SONNE L’ARCHITECTURE?
(i)
(j)
(h)
(k)
Dans ce cas-ci, nous pouvons comparer dans les figures de gauche, les vides importants d’une part, et les longueurs des pleins de l’autre. Nous avons compris précédemment qu’ils sont tous proportionnés entres eux. Or ici, nous pouvons comprendre que les distances qui séparent chaque vide est toujours identique. Nous pouvons donc lire, dans le sens de la longueur et de la largeur, des formations rythmiques entre les pleins puisque les vides importants, alignés entres eux, ont des proportions comparables. Dans les deux figures de droite ne sont représentés que les vides qui divisent les pleins et qui lient des vides plus importants. Nous pouvons retrouver des rapports de distances identiques ou proportionnés en suivant des axes horizontaux et verticaux. Ici, nous pouvons donc aussi lire des ensembles rythmiques binaires dans les petits vides formés par les pleins et les vides de plus grande importance. Il semblerait donc que, dans cet exemple de notation de Aires Mateus, on puisse trouver différentes formations rythmiques binaires entre les pleins et les vides et ceci, à plusieurs échelles.
CAS D’ÉTUDE | 85
Rappelons cependant que nous venons d’étudier un plan. Donc par nature, le plan n’est qu’une des données de la représentation architecturale; il représente en deux dimensions dans l’espace-papier, deux dimensions de l’espace-temps. Ainsi, il manque deux autres dimensions (la hauteur et le temps) à un plan, et donc à cette étude, afin de représenter toutes les données de l’oeuvre architecturale dans l’espace-temps. En conclusion, cette étude démontre la présence de formations rythmiques binaires entre les pleins et les vides et ceci dans les deux dimensions que propose le plan. Cependant, rien ne peut nous assurer, à partir de cette étude de plan, que nous retrouvions des formations rythmiques plein/ vide dans l’espace-temps du projet d’Aires Mateus.
86 | COMMENT SONNE L’ARCHITECTURE?
C / Sou Fujimoto
(l)
(m)
Nous avons compris dans cette première étude du plan d’Aires Mateus qu’il était possible de retrouver des rythmes binaires dans la notation architecturale. Or, nous nous sommes aussi rendu compte que la seule analyse de rythmes binaires sur l’espace-papier d’un plan ne permet pas nécessairement et pleinement de se rendre compte de ces rythmes dans l’espace-temps. Intéressons-nous par la suite à un projet d’architecture où le travail binaire plein/vide est bien concrétiser dans l’espace-temps. Sou Fujimoto créa une maison expérimentale, la Final Wooden House, qui propose de nouvelles manières de vivre l’espace. Le système constructif est très simple: son bâtiment n’est composé qu’à partir de pièces de bois identiques, coupées à des longueurs différentes et assemblées savamment. Il crée alors toute sa spatialité à partir du même module de 40 x 40 centimètres. Dans ce cas-ci, la représentation d’espaces conçus par l’architecte sur l’espace-papier est intéressante puisque les plans comme les coupes sont assimilables l’un à l’autre (rappelons qu’un plan est une coupe horizontale). Voici ci-après douze coupes de ce bâtiment, six par sens de coupe, qui pourraient bien être vues comme des plans, proposées par l’architecte et redessinées pour cette étude.
CAS D’ÉTUDE | 87
(n)
88 | COMMENT SONNE L’ARCHITECTURE?
(o)
(p)
(q)
En effet, nous pouvons apprécier la rigueur et la diversité des coupes dans les figures (n) et (r). Alors que le bâtiment a des dimensions très modestes, il propose des coupes (et donc un espace) différentes tous les 40 centimètres. Nous pouvons alors comprendre que les plans se différencient entres eux selon le même module que les coupes. Les dessins, comme pour les exemples précédents, se composent de manière orthonormée. C’est une résultante des pièces de bois qui sont de base carrée. Ainsi, les figures peuvent être divisées en onze lignes dans les deux sens. Ainsi, le rapport plein/vide change à chaque coupe. Pourtant, le volume général lui reste identique. Dans un premier temps, comparons les proportions de pleins et de vides entre les douze coupes. Nous pouvons remarquer que le rapport plein/vide entre la première (124/144 soit 86%) et la neuvième figure (53/144 soit 37%) est quasiment inversé, alors que le coté du carré total du bâtiment ne mesure que 350 centimètres. Or, il existe aussi des relations de distances entre les pleins et les vides dans chaque coupe. Il est d’ailleurs tout aussi possible de comparer ces relations. Voici ci-dessus, par exemple, la première ligne horizontale (figure p) de la neuvième coupe (figure o).
CAS D’ÉTUDE | 89
(r)
90 | COMMENT SONNE L’ARCHITECTURE?
Le résultat que nous pouvons observer est bien une relation rythmique binaire de deux éléments par un vide. La figure est nécessairement ordonnée puisque les longueurs, des vides comme celles des pleins ne peuvent être formées qu’à partir d’une addition de carrés. Nous pouvons donc dire qu’il se forme des rythmes binaires entre les vides mais aussi entre les pleins. En effet, nous retrouvons aussi ces relations rythmiques binaires verticalement. La figure (q), première bande verticale de neuvième coupe (figure o) expose un rythme binaire composé de trois éléments pleins séparés par deux vides. Il est aussi possible d’interpréter un rythme formé par deux vides séparés par des pleins. Il semble que nous retrouvions à l’intérieur même des coupes, des rythmes binaires entre les pleins et les vides. Ceux-ci se forment dans les deux directions, horizontale et verticale. Or, cette séparation n’a été faite que par soucis d’exemplarité. Les rythmes de ces coupes et notamment de la figure (o) se forment dans les deux directions en même temps, il ne faut pas les lire de manière décomposée mais bien ensembles, comme un tout. Pour conclure, ces représentations dans l’espace-papier traduisent les trois dimensions spatiales (par l’association de plans et de coupes); il serait donc bien possible de supposer que les rythmes binaires que nous observons ici existent aussi dans l’espace-temps. Or, il est complexe de le vérifier et dans l’espace-temps, car le ressenti personnel, propre à chacun, est déterminant. Pourtant, cet exemple nous a bien prouvé la possibilité de concevoir dans l’espace-papier des rythmes binaires existants dans l’espace-temps architectural.
CAS D’ÉTUDE | 91
D/ Comparaison
(a)
(c)
(o)
Maintenant que nous avons soulevé et analysé des formations rythmiques binaires dans les trois représentations étudiées précédemment et reprises ci-dessus, nous pouvons nous intéresser à l’étude de leur comparaison. Or, les rythmes observés sont différents: le premier traitant de sons et de silences, les deux autres de pleins et de vides. Or, leur représentation est identique grâce au binaire noir/blanc. Ainsi, le type d’éléments ou événements comparés ne semble pas poser de problème dans la notation. Il est néanmoins plus complexe de mettre en parallèle les critères qui mettent en rapport ces rythmes binaires. Dans la partition de Paul Klee, nous avons mis en relation des sons en fonction de deux facteurs: le temps et les hauteurs de notes. D’autre part, dans la représentation de Aires Mateus, du à sa condition de plan, nous avons mis en relation des pleins et des vides en fonction de rapports de distances selon deux directions: la longueur et la largeur. Or, dans l’espace-temps, cela correspond à des distances en deux dimensions et niant la troisième coordonnée spatiale et le temps.
92 | COMMENT SONNE L’ARCHITECTURE?
Dans un troisième temps, les rythmes binaires étudiés dans l’exemple de Sou Fujimoto sont similaires à ceux du plan d’Aires Mateus. Ce sont aussi des rapports de pleins et de vides en fonction de relations de distances. Or ceux-ci peuvent être vues selon deux orientations: longueur/largeur en plan et longueur/hauteur en coupe. Comme nous l’avons émis, d’un point de vue purement graphique, il semble réellement possible de comparer ces trois exemples. Nous pourrions, dans cet ordre d’idées, comparer ensemble les rythmes binaires formés par le noir et le blanc dans ces représentations. Mais qu’est-ce que cela impliquerait pour les oeuvres en elles-même, c’est à dire, dans l’espacetemps? Ainsi, il semblerait qu’afin de comparer ensemble ces trois exemples il faille confondre les rapports entre les rythmes binaires observés. Il faudrait alors assimiler le temps et les hauteurs de notes (chez Klee) aux longueurs/largeurs (chez Mateus) et/ou longueurs/hauteurs (chez Fujimoto). Mais comment faire ce choix en ne se rendant pas totalement compte de ce qu’impliquerait cette association? Afin d’appuyer notre recherche, tournons-nous de nouveau vers les travaux de l’architecte compositeur Iannis Xenakis que nous avons déjà cité plusieurs fois. Sa problématique de comparer ensemble les processus de conception musicale et architecturale est traduisible, notamment, dans la notation. Il a pu faire des parallèles dans plusieurs réalisations (et notamment le Pavillon Philips que nous avons étudié) mais une réalisation architecturale concrétise à proprement dit le passage d’une oeuvre musicale à une oeuvre architecturale: les pans de verre ondulatoires du couvent de la Tourette. Pour réaliser ces pans de verre désirés par Le Corbusier, Xenakis va se baser sur deux séries arithmétiques du Modulor. Or, le Modulor, dimensionné pour l’être humain, prend sa source à partir du nombre d’or car «L’homme aussi bénéficie de ce rapport» (3). Kanach, dans son ouvrage dédié aux travaux de Xenakis, nous montre qu’il «révèle, par ailleurs, et avec une lucidité étonnante, les rapports enchevêtrés entre ses préoccupations musicales d’alors [Metastaseis] et le couvent [de la Tourette], ce qui donna naissance au concept d’ ‘‘acoustique visuelle’’» (4). En effet, Kanach nous l’explique clairement dans cette citation: «dans la composition ‘‘Les Metastaseis’’ pour orchestre classique de 65 exécutants, l’intervention de l’architecture est directe et fondamentale grâce au Modulor. Le Modulor a trouvé une application dans l’essence même au développement musical» (5).
CAS D’ÉTUDE | 93
(s)
(t)
(u)
«Le caractère dominant du système consiste dans l’emploi de quelques gammes de distances répétées sous forme d’ondes» (6). Xenakis nous explique qu’il assimile ici des dimensions musicales à des dimensions architecturales. En plus de mettre en rapport des distances architecturales avec des temps musicaux, il met en relation des hauteurs de notes avec des hauteurs spatiales. Comprenons bien que c’est un double exercice, Xenakis composa sa Metastaseis, œuvre musicale, en se basant sur des suites arithmétiques du Modulor. Il composa ensuite ses pans de verre ondulatoires à partir de la Metastaseis. Cependant, il semble évident de se demander si un tel parallèle reste totalement pertinent. Nous savons bien qu’en plus d’être composées pour des fins différentes, l’architecture répond à des contraintes physiques que ne subit pas la musique. En ce sens, le Modulor a été pensé de manière fonctionnelle afin de répondre aux besoins de l’être humain. N’est-il pas limitatif de composer une œuvre musicale à partir de données pensées pour le corps humain dans l’espace? La musique ne devrait-elle pas s’émanciper de ce genre de contraintes? Ne le fait-elle pas naturellement?
94 | COMMENT SONNE L’ARCHITECTURE?
D’un côté, comme nous l’avons rappelé, le Modulor est aussi basé sur la section d’or qui se retrouve dans la plupart des oeuvres musicales comme le défend Ernő Lendvai, théoricien hongrois de la musique du XXè siècle. «Que la Section d’or ne soit pas une restriction venant de l’extérieur mais une des lois intrinsèques de la musique, est prouvé d’une façon tout à fait convaincante par la pentatonie, qui est peut-être le système tonal le plus ancien de l’humanité et qui peut être considéré comme la manifestation musicale la plus pure du principe de la Section d’or» (40). Cette citation pourrait justifier cette Metastaseis de Xenakis. Néanmoins, il est difficile et certainement déplacé de juger dans ce mémoire ce travail de Xenakis. Malgré tout, cette étude entre le Modulor, la Metastaseis et les pans de verre ondulatoires montre bien que l’étude rythmique peut assimiler des rapports entre des dimensions propres à la musique et à l’architecture. Pourtant, ce rapprochement s’avère être fort complexe et difficile à juger et certainement à maîtriser. Nous pouvons cependant conclure que graphiquement, le parallèle entre les rythmes binaires dans les représentations musicales et architecturales est bien possible. Malgré cela, la mise en place d’une telle comparaison peut poser des problèmes presque éthiques puisqu’il faut assimiler ensembles des dimensions et des rapports de longueurs différents. Nous nous rendons compte qu’un tel rapprochement demande une recherche et une étude bien plus approfondie, à l’instar de celles de Iannis Xenakis.
CAS D’ÉTUDE | 95
RÉFÉRENCES WEYER J., photographie titre, XENAKIS I., Pans de verre ondulatoires, Couvent de la Tourette, 1959. (a) KLEE P., « Traduction » (mot employé par l’artiste) des Six sonates pour violon et clavier de BACH J. S. pour son cours du Bauhauss le 16 janvier 1922, informations recueillies dans BARBE M., Musique et arts plastiques la traduction d’un art par l’autre, Élaboration propre. (b) Id. (c) MATEUS A., Plan, Maison des corridors, Alvalade, 1999, information recueillie dans la revue El Croquis n°154, Éditions ElCroquis, Madrid, 2011, p.11, Élaboration propre. (d) Id., Plan propre. (1) PONTREMOLI E., Propos d’un solitaire, 1959, p.23. (2) VAN OVERSTRAETEN E., ACCARAIN P., Manuel Aires Mateus, dans LieuxDits #5, Revue, Interview de Manuel Aires Mateus par, Éditions UCL LOCI, Louvain-La-Neuve, 2013, p.6.
(f) Id. (g) Ibid. (h) Ibid. (i)
Ibid.
(j) Ibid.
(4) Id., p.91.
(l)
(6) Ibid., p.77.
Élaboration
(e) Ibid., Plan de composition, Élaboration propre.
(3) KANACH S., Iannis Xenakis musique de l’architecture, Éditions Parenthèses, 2006, p.38.
(5) Ibid., p.79.
inversé,
(k) Ibid. BAAN I., Photographie de la Final Wooden House, FUJIMOTO S., Kumamoto, Japon, 2008.
(m) Id.
96 | COMMENT SONNE L’ARCHITECTURE?
(n) FUJIMOTO S., douze coupes de la Final Wooden House, Kumamoto, Japon, 2008, Élaboration propre. (o) FUJIMOTO S., coupe de la Final Wooden House, Kumamoto, Japon, 2008, Élaboration propre. (p) Première ligne de la coupe de la Final Wooden House, FUJIMOTO S., Élaboration propre. (q) Première colonne de la Final Wooden House, FUJIMOTO S., Élaboration propre. (r) FUJIMOTO S., douze coupes de la Final Wooden House, Kumamoto, Japon, 2008, Élaboration propre. (s) LE CORBUSIER, Schéma explicatif du Modulor, information recueillie dans Le Modulor, Éditions l‘Architecture d’Aujourd’hui, 1983, p.22. (t) XENAKIS I., Première page de la partition de Metastaseis, 19531954, Informations recueillies dans KANACH S., Iannis Xenakis musique de l’architecture, Éditions Parenthèses, 2006, p.78. (u) XENAKIS I., Schéma de recherche sur les pans de verre ondulatoires, Informations recueillies dans KANACH S., Iannis Xenakis musique de l’architecture, Éditions Parenthèses, 2006, p.72.
CAS D’ÉTUDE | 97
C
O
N
C
L
U
S
I
O
N
«C’est pourquoi je me réfère constamment à la musique en parlant d’architecture, car pour moi il n’y a pas grande différence; quand on creuse assez profond dans le domaine non pas des choses que l’on fait, mais simplement de la pensée de ce qu’on veut faire, alors tous les modes d’expression différents se présentent». KAHN L.
100 | COMMENT SONNE L’ARCHITECTURE?
Cette citation de Louis Kahn, très optimiste pour cette étude, résume assez bien le travail que nous avons accompli tout on long ce mémoire. Il est fort complexe de trouver et de comprendre, sans analyse, les relations qui unissent la musique et l’architecture. Ce sont deux disciplines, comme nous l’avons vu, qui ne font pas appel aux mêmes sens. Pourtant, nous nous sommes rendu compte que des liens existent dans les méthodes de conception. Afin de pouvoir proposer des comparaisons d’études de cas plus poussées, une analyse plus profonde, bien que déjà importante par rapport à l’ensemble, aurait certainement été nécessaire. Cependant, au fur et à mesure de l’analyse, j’ai centré, étape par étape, le sujet d’étude de ce mémoire pour finalement aboutir aux rythmes binaires comme processus de conception dans la représentation musicale et architecturale. Les recherches des différents artistes prennent comme point de départ la même intention de faire un parallèle entre musique et architecture mais s’enfoncent tous dans des voies différentes. Des musiciens, des architectes, des artistes mais aussi des philosophes et des écrivains se sont intéressés aux rapprochements entre la musique et l’architecture. La profondeur et l’ampleur du sujet a poussé certains artistes, tels que Xenakis, à vouer une carrière entière à ce lien entre ces deux arts. De plus, centrer le sujet d’étude était indispensable. Or, cela m’a énormément coûté, tout simplement à cause de l’importance que je voue à cette recherche de la rencontre entre la musique et l’architecture. Rappelons ainsi que nous avons mis en relation des représentations d’œuvres et non des œuvres dans leur globalité. Même pour des recherches plus conséquentes que celle-ci, comparer directement la musique et l’architecture reste extrêmement complexe. Utiliser une clef de lecture, la notation pour ce travail, me semble incontournable. C’est pourquoi les parallèles que nous avons mis en place, dans les conceptions par la représentation, ne sont pas des transcriptions littérales d’œuvres concrètes mais des comparaisons de processus de conception. Ce serait donc une erreur de transposer une représentation d’un art à un autre car on perdrait très certainement l’intention primaire de l’artiste; ce ne serait qu’une adaptation formelle, et dans ce cas-ci graphique, d’une représentation en deux dimensions, une forme de caricature. Bien qu’esthétiquement certaines représentations puissent se confondre et se lier, les transposer et les concrétiser dans l’autre art n’aurait certainement que très peu de sens.
CONCLUSION | 101
D’autre part, rappelons aussi que la musique et l’architecture sont deux arts qui répondent à des besoins différents. L’architecte répond à la demande d’une personne, à un problème de société, à un enjeu social. La part du rythme binaire n’est qu’un moyen, certes puissant, de répondre à ces besoins. Bien d’autres facteurs interviennent. Pourtant, analyser des rythmes binaires est sûrement pertinent puisque c’est une notion que nous pouvons retrouver dès les prémisses de la conception et qui peut se représenter dans l’espace-papier. Or, nous avons pu nous rendre compte, au cours de ce travail, que la notion de rythme est extrêmement riche et complexe et donc, difficile ou même impossible à définir totalement. Il n’est donc pas facile de fonder une étude à propos d’un terme aussi difficile à cerner. Néanmoins, la richesse de cette notion montre bien qu’une recherche beaucoup plus profonde sur les rythmes binaires en musique et en architecture serait, sans aucun doute, passionnante. De plus, il pourrait être intéressant d’analyser en profondeur, en plus de leur représentation, des œuvres musicales et architecturales concrètes. Cette recherche permettrait de se rendre compte dans quelles mesures on retrouve dans des œuvres réalisées les liens que nous avons pu observer dans la représentation. Certains facteurs dus à la réalité physique d’une œuvre apporterait-elle plus de valeurs et de qualités aux liens unissant la musique et l’architecture vus dans ce travail? Une analyse serait-elle réellement possible? Et de quelle manière? Le choix des œuvres à analyser serait déjà en soi décisif. Une étude approfondie, qui irait bien au-delà des propositions soulevées par ce mémoire, serait indispensable avant de débuter une analyse rigoureuse. De plus, quels seraient les critères d’analyse? De quelle manière pourraient-ils se matérialiser? Ce sont de nombreuses interrogations auxquelles nous ne pouvons pas encore, aujourd’hui, donner réponse. Néanmoins, ce mémoire nous aura donné quelques pistes qui pourraient être approfondies dans une étude postérieure. C’est pourquoi, je ressent une certaine frustration au moment de finir ce travail. C’est un sujet qui revêt une importance toute particulière pour moi, car je m’y intéresse depuis plusieurs années. Ce fût pour moi extrêmement complexe de réduire l’angle d’étude de deux arts profondément riches desquels je ne voulais omettre aucune donnée.
102 | COMMENT SONNE L’ARCHITECTURE?
J’ai donc du procéder à un important travail de sélection et de fait, mettre de côté plusieurs sujets. Finalement, préciser l’angle d’étude était indispensable et c’est ce qui m’a permis de concrétiser ce mémoire. Toutes les informations que je n’ai pas pu exprimer ici resteront des pistes d’étude et une forme de culture personnelle du sujet. Dès les premiers instants d’étude (avec des schémas rythmiques intuitifs de musique contemporaine), jusqu’à maintenant, en passant par de nombreuses recherches extrêmement variées, ce travail fut pour moi un réel plaisir. Matérialiser par écrit des recherches sur la musique et l’architecture est, pour moi, une réelle satisfaction. Et bien que ce mémoire représente tout de même un certain temps, les relations qui lient la musique et l’architecture resteront toujours pour moi, j’en suis convaincu, un sujet de recherche.
CONCLUSION | 103
RÉFÉRENCES
(59) KAHN L. I., Silence et lumière, Éditions Du Linteau, 1996, pp.163-164.
Je souhaite remercier, dans un premier temps, Guillaume Trouvé, mon premier professeur de musique qui lorsque j’avais huit ans, m’a ouvert, en quelques instants et pendant une dizaine d’années, les portes du monde musical. Agnès Mory, pour m’avoir suivi en tant que promotrice de ce mémoire et accordé une pleine confiance en moi du début à la fin de ce travail. Zoé Declercq et Charlotte Lheureux qui, bien plus que des lectrices, ont toujours su m’apporter les explications, les nuances et les limites nécessaires à la concrétisation de ce mémoire. Gautier Méresse et Nelson Taisne qui, à leur manière et avec une bonne humeur permanente, ont entretenu de longues conversations profitant implicitement à ma recherche. Johanne Monceau et Olivier Bourdon pour leur précieuse aide à la relecture de ce travail. Almudena, pour la confiance qu’elle a toujours su me donner.
RÉFÉRENCES LIVRES - BARBE M., Musique et arts plastiques, la traduction d’un art par l’autre, Principes théoriques et démarches pratiques, Éditions l’Hamartan, s.l., 2011. - BLESSER B., SALTER L. R., Spaces speak, are you listening, Éditions Massachusets IOT, 2007. - BOUCOURECHLIEV André, Le langage Musical, Éditions Fayard, Paris, 1994. - BOVEY F., L’Écoute harmonique subjective, Éditions Van de Velde, 2005. - BRANDEN W. J., John Cage and the architecture of silence, October, volume 81, 1997. - BROWN E., Page de carnet de notes datée d’octobre et novembre 1952. - CAUQUELIN A., De la composition: l’après-Cage, Éditions Revue d’esthétique, 2003. - CASASUS G., HAUPT S., Comparer? la comparaison dans les sciences, Éditions Lit, Zurich, 2011. - LE CORBUSIER, Vers une architecture, Éditions Flammarion, 1923. - CORNUEJOLS M., Créativité et rationalisme en architecture, Éditions L’Harmattan, 2005. - DECARSIN F., La Musique, architecture du temps, Éditions l’Hamartan, 2002. - ELIZABETH M., Architecture as a translation of music, Éditions Princeton, 1994. - FRAISSE P., Psychologie du temps, Éditions PUF, Paris, 1967. - GENEVOIS H., ORLAREY Y., Le Son et l’espace, Éditions Aleas, 1998. - GOODMAN N., Langages de l’art, Éditions Jacqueline Chambon, 1990. - GUINZBOURG M. I., Le Rythme en architecture, Éditions Jean-Louis Cohen, 2011. - HALPRIN L., Notebooks, Éditions The MIT Press, Cambridge, Massachusetts and London, England, 1959-1971. - HILL A., Module, proportion, symétrie, rythme, Éditions La Connaissance, Bruxelles, 1968.
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