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Le palais présidentiel et la pyramide d'Abidjan
Importance Historique
Après la déclaration de l’indépendance, il était essentiel de concevoir un bâtiment qui symboliserait la souveraineté de la Côte d’Ivoire et qui servirait de palais de la république. Ce projet représentait un moment crucial dans l’histoire de l’architecture ivoirienne, marquant la transition vers une ère où les grandes commandes architecturales seraient passées par le nouveau gouvernement ivoirien, presqu’indépendant de l’influence coloniale. Félix Houphouët-Boigny, alors président de la jeune république, a initié la commande du nouveau palais présidentiel. Ce bâtiment se devait d’être un édifice moderne, reflétant les aspirations d’un pays en pleine mutation et déterminé à se forger une identité et une visions propre au térritoire. Le bâtiment phare de l’ensemble de la composition sera conçu sur les décombres du palais du gouverneur, L’architecte Pierre Dufau et Lafon fut chargé de sa conception, et ils ont réussi à ériger ce symbole de modernité et de monumentalité en seulement huit mois. Ce palais n’était pas seulement une structure administrative ; il incarnait la volonté de la Côte d’Ivoire de se positionner comme une nation indépendante, tournée vers l’avenir, et capable de grandes réalisations architecturales et symboliques.
2. La genèse du projet
L’histoire du palais présidentiel d’Abidjan commence en novembre 1957, lorsque le tout jeune gouvernement de la Côte d’Ivoire passe un marché d’études par entente directe avec la Société d’études franco-africaine de construction (SEFAC). « Ce contrat, d’un montant de 25 millions de francs CFA, avait pour objectif de réaliser un plan décennal d’équipement du territoire ivoirien en bâtiments administratifs et en logements pour les fonctionnaires. »104 Il comprenait également dans cette étude la réalisation d’un ensemble administratif pour le nouveau gouvernement ivoirien.
Figure 63,Image, Documents biographiques : vue d’un groupe d’hommes prise lors de la réalisation du Palais de la Présidence à Abidjan (de gauche à droite : Jean-Pierre Dacbert, Jean-Maurice Lafon, Pierre Dufau, Marcel Thinet, MM. Schmitte, Foubert ?, Behegendi ?), août 1960 (cliché anonyme),SIAF/CAPA, fonds Dufau, HM-07-09-15-051 , © Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris.
Les études initiales pour l’ensemble administratif d’Abidjan furent interrompues en raison des incertitudes entourant l’avenir de la Côte d’Ivoire à la veille de son indépendance. Toutefois, une fois l’indépendance acquise, les architectes et la Société d’études franco-africaine de construction (SEFAC) reprirent contact avec le président élu en 1960 pour relancer ce projet ambitieux. Ce projet, de grande envergure et impliquant des coûts financiers considérables, nécessitait une réévaluation minutieuse pour s’assurer qu’il réponde aux nouvelles réalités économiques et politiques du pays.
104 Hugo Massire, « Le Palais présidentiel d’Abidjan : la logique de l’opulence », In Situ. Revue des patrimoines, no 34 (24 avril 2018), https://doi.org/10.4000/ insitu.15837.
En ce qui concerne les études architecturales elles furent attribuées aux architectes Parisiens Pierre Dufau et Jean-Maurice Lafon, Robert Boy assurant le relais local à Abidjan105.
64,Vue de la maquette générale du palais présidentiel et du complexe gouvernemental, 1961. SIAF/CAPA, fonds Dufau, 66 IFA 704-3. © Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris.
Plusieurs solutions furent proposées pour mener à bien la construction de cet ensemble administratif, chacune présentant ses propres avantages et défis. Comme relaté dans l’article de Hugo Massire, « Les architectes et la SEFAC proposent une troisième solution, présentée comme plus souple et permettant un meilleur phasage. Au cœur du parc, un bloc gouvernemental où s’élabore la pensée politique abriterait les cabinets ministériels formant des petites unités groupées autour de patios et de jardins permettant la tenue de réceptions, tout en jouissant de services communs. »106
Le projet ambitieux reflétait la volonté du gouvernement ivoirien de moderniser le pays et de se doter des infrastructures nécessaires pour accompagner son développement administratif et économique. En raison de contraintes financières et, surtout, pour respecter l’injonction du président Félix Houphouët-Boigny de pouvoir célébrer l’an 1 de l’indépendance de la Côte d’Ivoire dans cet édifice, certaines priorités ont été établies dans la construction. Ainsi, le cabinet du Premier ministre, la résidence privée, les espaces de réception, ainsi que les jardins et parcs entourant l’ensemble du complexe ont été réalisés en premier lieu.
105 Massire.
106 Massire.
Ces éléments étaient essentiels non seulement pour leur fonction pratique, mais aussi pour leur rôle symbolique, car ils devaient incarner la souveraineté et la modernité de l’État ivoirien naissant. En concentrant les ressources disponibles sur ces infrastructures clés, le gouvernement a pu offrir un cadre prestigieux et représentatif à ses dirigeants et à ses visiteurs, tout en respectant les délais imposés par l’anniversaire de l’indépendance.
3. Analyse architecturale et matérialité
IV. Palais présidentiel
Légende :
1. Cabinet du Premier ministre
2. Résidence privée.
3. Réceptions
Le complexe présidentiel d’Abidjan est un exemple marquant de l’architecture ivoirienne post-indépendance. Implanté dans un parc de sept hectares aménagés par le paysagiste Robert Joffet, ce projet architectural a débuté à l’est par la construction du cabinet destiné aux réunions du gouvernement, conçu par Jean-Maurice Lafon. 107 Le bâtiment est marqué par une architecture verticale, scandée par des poteaux soutenant un toit incurvé. Ces poteaux entourent le bâtiment principal dont les trois niveaux réguliers évoquent l’ordre administratif.
La résidence présidentielle et le bâtiment des réceptions, réalisés par l’agence de Pierre Dufau, utilisent un langage architectural somptueux. Les façades présentent une trabéation ferme, et les toits-terrasses larges débordent, ornés de marbres polychromes. La mise en couleur a été supervisée par Jacques Fillacier. Ces deux bâtiments sont reliés par une paroi de claustras en travertin, une référence à l’architecture vernaculaire. L’accès au bâtiment des réceptions se fait par une galerie d’honneur surmontée d’un immense dais recourbé en aluminium anodisé coloré or. 108
107 Massire.
108 Massire.
IV. Palais présidentiel
Figure 67 Hôtel de la Présidence, Abidjan (Côte d’Ivoire). Bâtiment des réceptions : coupe BB (éch. 1/50e), 29 mars 1961. SIAF/CAPA, fonds Dufau, 66 IFA 29/2 © Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris.
« La décoration intérieure fait preuve d’un luxe extraordinaire, et le coût de la décoration représentait un tiers des dépenses totales de l’institution Vernhes. Les murs sont décorés de tapisseries de Jean Lurçat et de Le Corbusier et de peintures de Bernard Buffet. »109 Cette tendance hybride de l’art moderne français reflète la philosophie officielle de l’époque. « Des sculptures figuratives à l’extérieur, dont une fontaine monumentale conçue par René Collamarini, ajoutent au flair artistique. La porte du palais est entourée de deux lions sacrés conçus par Marcel Holmes, ajoutant à l’atmosphère solennelle. »110
L’ensemble administratif est un symbole de modernité, de prestige et de monumentalité, représentant l’identité post-indépendance de la Côte d’Ivoire. « Tous les bâtiments sont à ossature en béton armé, couvertures en terrasses plates ou courbes faisant largement saillie sur les façades et permettant ainsi une excellente protection antisolaire. Les menuiseries extérieures sont métalliques ; les parties ouvrantes coulissantes sont en aluminium anodisé. Les façades sont presque entièrement revêtues de marbre français ou italien ou de mosaïque de verre. L’ensemble est entièrement conditionné »111
Le projet innovant, en ne mettant pas en avant les éléments culturels ou même les matériaux locaux, comme cela a été analysé précédemment avec l’hôtel de ville conçu par Henri Chomette, en collaboration avec Antoine Laget, reflète une approche particulière de la modernité. Chaque élément architectural et décoratif de cet édifice a été soigneusement sélectionné pour allier fonctionnalité, esthétique, et signification symbolique, afin de créer un ensemble harmonieux qui représente la nouvelle nation ivoirienne.
109 Dufau et LAFON, « Abidjan. Ensemble administratif ».
110 Massire, « Le Palais présidentiel d’Abidjan ».
111 Dufau et LAFON, « Abidjan. Ensemble administratif ».
4. Vie du bâtiment
Dans les divers documents et archives examinés, le bâtiment du palais présidentiel est fréquemment désigné comme le cabinet du Premier ministre. Une archive vidéo de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) sur la Côte d’Ivoire mentionne que Félix Houphouët-Boigny fut d’abord Premier ministre avant d’être élu, le 7 novembre 1960, premier président de la Côte d’Ivoire112 . Cette information suggère que la conception et la réalisation du projet du palais présidentiel remontent probablement à cette période de transition politique cruciale.
Après la célébration de la première année d’indépendance de la Côte d’Ivoire, le bâtiment a été officiellement utilisé par le président de la République et présenté comme le palais présidentiel. Ce changement de désignation souligne une réorganisation significative des structures administratives et symboliques postindépendance. L’ancien bâtiment, qui servait d’habitation du secrétaire générale durant l’époque coloniale, a été transformé en cabinet du Premier ministre. Cette réaffectation des bâtiments reflète la réorientation des infrastructures coloniales pour répondre aux besoins de la nouvelle administration ivoirienne.
Ainsi sur le même site on peut apercevoir deux symboles de deux mouvements différents, le nouveau palais présidentiel est ainsi devenu un symbole puissant de la souveraineté et de l’autonomie nationale, illustrant le passage de la colonisation à l’indépendance dont de l’architecture post indépendance. La réutilisation de 112 La Côte d’Ivoire fête le premier anniversaire de son indépendance | INA, consulté le 25 juillet 2024, https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe85009189/la-cote-divoire-fete-le-premier-anniversaire-de-son-independance.
l’ancien secrétariat comme cabinet du Premier ministre montre également une continuité et une adaptation des structures existantes pour servir les nouvelles réalités politiques et administratives. Ces transformations marquent une étape importante dans l’histoire architecturale et politique de la Côte d’Ivoire, mettant en lumière la capacité du pays à réinventer ses institutions tout en préservant une part de son héritage historique, ce qui place le bâtiment du cabinet du premier ministre en tant qu’édifice de l’architecture post colonial.
Palais présidentiel continue de se développer et de s’adapter aux défis contemporains. Les nouvelles installations promettent d’améliorer l’efficacité gouvernementale et de soutenir les ambitions économiques et politiques du pays, marquant ainsi une nouvelle étape dans l’évolution architecturale du complexe présidentiel.
Aujourd’hui, face à la montée économique de la Côte d’Ivoire et les nombreuses guerres qu’elle a traversées, notamment la récente crise post-électorale de 2010, le palais présidentiel a subi des dommages tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ces événements ont mis en évidence la nécessité de restaurer et de moderniser le bâtiment. En 2011, des travaux urgents ont été entrepris pour rendre le palais opérationnel et répondre aux exigences d’une administration moderne et efficace. Quelques années plus tard, un nouveau projet voit le jour sur l’esplanade du palais présidentiel : la construction d’une annexe. Cet édifice, destiné à étendre les capacités fonctionnelles du palais, est conçu pour répondre aux besoins croissants d’un gouvernement en expansion. L’agence chargée PFO (Pierre Fakhoury organisation) construction de sa réalisation décrit cette annexe comme une extension moderne, intégrant des technologies avancées et des espaces polyvalents pour accueillir des fonctions administratives supplémentaires113.
Ce projet s’inscrit dans une démarche de renouveau architectural, visant à renforcer l’infrastructure administrative de la Côte d’Ivoire tout en respectant l’importance historique et symbolique du palais présidentiel. Cette annexe symbolise également le dynamisme et la résilience de la nation ivoirienne, qui 113 « L’ESPLANADE », PFO Africa (blog), consulté le 25 juillet 2024, https:// pfoafrica.com/projets/esplanade/.
« Développant 27 600 m² de planchers, le projet compte quatre étages dont un étage technique et trois plateaux de bureaux reposant sur un parvis monumental, lequel abrite quatre autres niveaux en infrastructure. Les locaux comprennent notamment le bureau du président de la République, celui du vice-président et la salle du Conseil des ministres. Le rez-de-chaussée est constitué d’un hall d’environ 260 m² accompagné de quelques locaux annexes répartis en deux volumes distincts. Alternant les vides et les reflets, la façade de ce niveau disparaît quasiment, le laissant visuellement transparent »114
Ainsi, la construction de cette nouvelle annexe sur l’esplanade du palais présidentiel représente une évolution significative pour le complexe administratif de la Côte d’Ivoire. Nonobstant Ce nouvel édifice, destiné à étendre et moderniser les installations existantes, pose la question du futur du palais présidentiel lui-même, qui reste un symbole emblématique de la Côte d’Ivoire moderne.
Le palais présidentiel, ayant servi de centre névralgique du pouvoir depuis l’indépendance, est non seulement un site historique mais également un monument de l’identité nationale. Cependant, avec l’ajout de cette annexe, une réflexion s’impose sur le rôle futur de l’édifice original.
IV. Palais présidentiel
V. La pyramide du plateau
1. Importance historique et Genèse du projet
Parler de l’importance historique et architecturale des bâtiments de la période post-indépendance sans mentionner la Pyramide du Plateau serait faire une entorse à l’histoire, compte tenu de l’impact de ce bâtiment et de ce qu’il représente dans l’architecture du 20e siècle, tant à l’échelle mondiale qu’africaine. La Pyramide du plateau est un élément incontournable de la skyline de la ville avec sa forme distinctive et emblématique.
Issus d’un partenariat public-privé, ce projet de centre commercial a vu le jour durant une période de prospérité économique en Côte d’Ivoire. Ce contexte de croissance a permis à l’État ivoirien de montrer sa capacité à entreprendre des projets architecturaux ambitieux et modernes. Commandée à l’architecte Olivieri Rinaldo et réalisée sous la supervision de l’architecte ivoirien Raymond Aka Adjo, la Pyramide visait à réinventer le marché couvert d’Abidjan en le transformant en une structure moderne et symbolique. Ce bâtiment remarquable incarne non seulement l’innovation architecturale mais aussi la vision d’une Côte d’Ivoire résolument tournée vers l’avenir.
« Aujourd’hui encore, l’immeuble La Pyramide, qui a marqué plusieurs générations, est l’une des figures iconiques les plus importantes de la commune. Il est un pont entre le présent et le passé et il est resté, malgré les affres du temps, un bâtiment futuriste emblématique », confie Jacques Ehouo, député-maire du Plateau.115
La Pyramide d’Abidjan ne se contente pas d’être un simple symbole visuel ; elle incarne également la résilience et l’innovation ivoiriennes dans l’architecture et le développement urbain. Son existence même reflète la capacité de la nation à embrasser le changement tout en aspirant à cette modernité voulu par ces dirigeants . En tant qu’élément majeur de la skyline d’Abidjan, elle continue d’attirer l’attention et d’inspirer les générations futures, consolidant ainsi sa place en tant que monument emblématique du patrimoine architectural de la Côte d’Ivoire.
115 « À Abidjan, la Pyramide brutaliste d’Olivieri jette un pont entre passé et présent - Jeune Afrique.com », JeuneAfrique.com, consulté le 27 juillet 2024, https:// www.jeuneafrique.com/1462217/culture/a-abidjan-la-pyramide-brutaliste-dolivierijette-un-pont-entre-passe-et-present/.
V. Pyramide d’Abidjan
En 1972, Olivieri a commencé le projet de construction de La Pyramide, après avoir travaillé sur des projets tels que le pavillon de la Côte d’Ivoire à l’Exposition universelle de 1970 à Osaka et l’Instituto Tecnico Industriale à Vérone en 1966. 116 Ce projet, commandé par la SOCIPEC, la première société immobilière entièrement ivoirienne, et financé par la Société nationale de financement. La construction, qui a duré de 1970 à 1973, représente une collaboration réussie entre expertise internationale et financement national.117, Le projet à la base fut nommé « centre commercial d’Abidjan », comme en témoigne le panneau de chantier.
Figure 81, Panneau publicitaire de La Pyramide , Abidjan, 1972 ; Archives Rinaldo Olivieri, Vérone, Italie. La photographie montre un panneau publicitaire pour le centre commercial « La Pyramide », répertoriant les contributeurs du projet, avec une juxtaposition du panneau d’affichage du chantier. Copyright © Archives Rinaldo Olivieri. Source: beyond-the-modern-architect-la-pyramide-africanlabor-and-rinaldo-olivieris-lens-in-abidjan
Après la réalisation du chantier, grâce à sa forme pyramidale qui fut un élément de repère pour la population abidjanaise, elle fut nommée « pyramide » et devient l’un des points d’attraction de la ville d’Abidjan, l’un des éléments rechercher par les commanditaires du projet.
116 Guillermo S. Arsuaga, « Beyond the Modern Architect: La Pyramide, African Labor, and Rinaldo Olivieri’s Lens in Abidjan », post, 31 janvier 2024, https://post. moma.org/beyond-the-modern-architect-la-pyramide-african-labor-and-rinaldoolivieris-lens-in-abidjan/.
117 Arsuaga.
2. Analyse architecturale
La Pyramide d’Abidjan est une réalisation architecturale majeure, occupant une superficie de 21 800 mètres carrés et intégrant diverses fonctions essentielles à la vie urbaine moderne. Ce bâtiment inclut des espaces de bureaux, des studios, un restaurant, une salle d’exposition, un auditorium, un parking, une discothèque et un supermarché. Sa structure en béton armé se caractérise par un plan triangulaire distinctif et un volume pyramidal tronqué, atteignant plus de 61 mètres de hauteur et s’élevant sur quinze étages.
82, la pyramide en construction Abidjan, 1972 ; Archives Rinaldo Olivieri, Vérone, Italie. Phase de construction intermédiaire du bâtiment, caractérisé par sa forme pyramidale caractéristique, les fenêtres et la quincaillerie étant calées sur sa façade et une grue visible au sommet. Copyright
Flanquant la pyramide, deux tours verticales abritent les ascenseurs, les escaliers et les toilettes, libérant ainsi de l’espace dans le hall central. Contrairement à la norme des immeubles de grande hauteur, où ces éléments sont habituellement intégrés dans le noyau central, cette disposition optimise l’espace intérieur. Une extension circulaire en porte-à-faux, autrefois utilisée comme snack-bar, s’élève au-dessus du rez-de-chaussée entre l’une des tours et le volume principal, ajoutant une dimension dynamique à la structure.
Figure 83, coupe axonométrique coupant le hall central de pyramide. Dessin de Rinaldo Olivieri. Copie reprographique telle que présentée à l’origine dans Paolo Bassani « Centro Comerciale a Abidjan ». L’architettura – Cronache e Storia 214/215 (1973) : 182. Archives Rinaldo Olivieri, Vérone, Italie. Copyright © Archives Rinaldo Oliviery, Source: Beyond the Modern Architect: La Pyramide, African Labor, and Rinaldo Olivieri’s Lens in Abidjan
84, coupe de la pyramide avec position des fonctions, © Gedeon Thierry - PFE - La Dame Des Nuages
Le sous-sol de La Pyramide, réparti sur trois niveaux, comprenait à l’origine un supermarché, une discothèque et un parking, répondant aux besoins essentiels des utilisateurs. L’extérieur de la structure se distingue par l’utilisation d’éléments en aluminium, contrastant avec le béton brut. Ces composants métalliques, conçus pour s’adapter au climat, s’enroulent horizontalement autour de la façade sous forme de brise-soleil, protégeant à la fois les surfaces vitrées et les passerelles extérieures s’étendant sur trois côtés des dix niveaux du bâtiment.
85,
Dans une analyse architecturale approfondie, La Pyramide se distingue par son utilisation ingénieuse de l’espace et des matériaux. Les brise-soleils en aluminium non seulement embellissent l’édifice mais jouent également un rôle crucial dans la régulation thermique de l’intérieur du bâtiment, démontrant une approche réfléchie de la conception climatique. La combinaison du béton brut et de l’aluminium crée un contraste visuel saisissant, tandis que la distribution des espaces intérieurs montre une compréhension approfondie des besoins urbains contemporains.
3. Vie du bâtiment
La Pyramide du Plateau, un édifice emblématique d’Abidjan, a profondément marqué des générations de professionnels, d’architectes et d’étudiants en architecture. De nombreux mémoires et articles mettent en avant sa structure iconique, faisant de ce bâtiment un repère pour les habitants du Plateau et pour les visiteurs de la ville d’Abidjan. Cependant, cette renommée cache souvent le fait que le projet est considéré comme un «échec».
L’architecte Jean-Pierre Minost, co-fondateur de DLM, a exprimé des réserves sur ce projet pendant notre entretien en déclarant : «Nous étions contre ce projet car la Côte d’Ivoire n’avait pas besoin de tels édifices aussi coûteux à l’époque.» Cette critique met en lumière les dérives de la quête de modernité et de monumentalité . Après la crise économique des années 1980, La Pyramide fut abandonnée en partie. Sa forme pyramidale et ses vastes halls intérieurs réduise les surfaces des magasins, rendant certaines d’entre elles inutilisable.
De plus, l’un des principaux problèmes identifiés est le coût élevé de l’entretien, « Cependant, les architectes n’avaient pas anticipé le coût élevé de l’entretien qui rendrait le bâtiment inefficace en raison de sa conception peu solide. De plus, les architectes n’ont pas réussi à créer un ratio bien organisé d’espaces louables, ce qui a encore aggravé les problèmes de La Pyramide. » 118, L’absence de planification pour l’entretien et le manque de ratio espace de vente et espace extérieure, élément crucial pour la survie d’un tel bâtiment, a conduit à l’abandon et une détérioration progressive de l’édifice.
Entre les années 1990 et 2015, l’état de délabrement de La Pyramide s’est intensifié. Le point culminant de cette dégradation a eu lieu en 2015, lorsque le 14e étage a été ravagé par un incendie. Cet incident a mis en exergue les graves lacunes dans la gestion du bâtiment, qui était parfois squatté par des sans-abris.
118 « La Pyramide d’Abidjan de Rinaldo Olivieri – Iconique et négligée », consulté le 27 juillet 2024, https://publicdelivery.org/abidjan-pyramide/.
Après un imbroglio complexe entre l’État et un acteur privé, La Pyramide a finalement été intégrée au patrimoine de l’État. Toutefois, depuis son acquisition, l’État n’a pris aucune mesure concrète pour restaurer ou réhabiliter ce bâtiment emblématique. Confronté à cette situation de stagnation, un projet novateur a vu le jour grâce à la collaboration entre l’architecte Issa Diabaté, plusieurs artistes, et un groupe d’étudiants Artistes. Ensemble, ils se sont mobilisés pour concevoir un plan ambitieux visant à redonner vie à la façade de la Pyramide, transformant ainsi ce monument en un espace dynamique et revitalisé.
« 2023, à l’occasion des 50 ans de ce bâtiment iconique, pièce maîtresse dans l’œuvre de l’architecte Italien Rinaldo OLIVIERI et vestige d’un style majeur des années 60/70 aujourd’hui tombé en désuétude : « le Brutalisme », l’agence II.V.I a souhaité redonner un souffle de vie à cet Edifice avantgardiste, figure de proue du panorama Abidjanais et symbole d’une côte d’Ivoire jeune, ambitieuse et tournée vers l’avenir. Les artistes participants ont parfaitement saisi la singularité du support qui leur est offert. » 119
119 « Pyramide 2023 », consulté le 27 juillet 2024, https://pyramide2023.com/.
D’autres projet voit le jour dans cette optique de redonner une image à la pyramide, celui de l’architecte Francis sossah, « Il est porteur d’un projet intitulé la Pyramide des arts modernes et de l’histoire d’Abidjan (PAMH’A). Lequel permettrait, selon lui, d’obtenir un espace plus vaste pour l’actuel musée, d’abriter les œuvres rapatriées, de stocker et de conserver les pièces.»120
« Aujourd’hui, je sais qu’il y a des discussions de ce type concernant sur la pyramide. Il serait bien que cela aboutisse, car il est essentiel de trouver une manière de le préserver, un patrimoine qui se conserve est un patrimoine vivant. L’architecture, ce n’est pas comme dans un musée ; elle doit vivre, être entretenue, et restaurée »121
Ce projet mérite d’aboutir, car il permettra de donner une seconde vie à la pyramide du d’Abidjan, qu’il le mérite pour tous ces moments qu’elle a pu procurer à la population Abidjanaise, ivoirienne en particuliers et tous les amoureux de l’architecture du XXe siècle en générale.
120 « À Abidjan, la Pyramide brutaliste d’Olivieri jette un pont entre passé et présent - Jeune Afrique.com ».
121 Voir Interview complète en Annexe
V. Pyramide d’Abidjan
Au terme de ce chapitre, nous avons pu apercevoir que ces trois édifices présentent des aspects variés de l’architecture post-indépendance en Côte d’Ivoire, chacun illustrant un point de vue différent sur l’enracinement culturel. L’hôtel de ville d’Abidjan met en avant cet enracinement en symbolisant la continuité et l’appropriation des structures administratives par la nouvelle nation indépendante. Il représente un lien direct avec les racines culturelles ivoiriennes et l’histoire socio-politique de la côte d’ivoire. Le palais présidentiel, quant à lui, réinterprète cet enracinement par sa monumentalité et sa rupture avec le palais du gouverneur qui était sur le même site, commandé par Félix Houphouët-Boigny, il intègre les éléments de grandeur et de modernité. C’est un symbole de la souveraineté nationale et de la capacité du pays à concevoir des édifices de grande envergure. La Pyramide du Plateau conçue par l’architecte Olivieri Rinaldo avec Raymond Aka adjo comme architecte ivoirien, cette structure a pour vocation de réinventer le marché couvert d’Abidjan en une forme pyramidale, représentant une transition de l’espace territorial à un symbole plus universel. La Pyramide intègre ainsi l’idée de marché couvert tout en se projetant vers une architecture iconique et moderne.
Ces différentes interprétations de l’architecture post-indépendance à Abidjan, particulièrement visibles dans la commune du Plateau, illustrent la diversité et l’évolution des approches architecturales de l’époque. Chaque bâtiment, avec ses spécificités, témoigne des fluctuations culturelles et des influences externes qui ont façonné le paysage urbain du Plateau. Cependant, il est également évident que, malgré leur contribution significative, certains architectes et leurs créations ont vu leur influence diminuer avec le temps, notamment en raison des crises économiques et financières qui ont suivi la période de prospérité de la Côte d’Ivoire « le miracle ivoirien ».
Les années suivant ces constructions ont été marquées par une récession économique, ce qui a conduit à une stagnation et parfois à une détérioration des infrastructures architecturales. Ces périodes de plein essor financier ont laissé place à des défis économiques, mais les bâtiments emblématiques de cette époque continuent de témoigner de la richesse culturelle et de l’ambition architecturale de la Côte d’Ivoire post-indépendance.
Conclusion
L’architecture post-indépendance a marqué une période charnière dans l’histoire des pays africains, dont celle de la Côte d’Ivoire, symbolisant à la fois une rupture avec le passé colonial et une quête affirmée de modernité et d’identité nationale. Contrairement à l’architecture postcoloniale, qui réinterprète le passé, l’architecture post-indépendance se veut être une rupture claire avec celui-ci, tout en cherchant à projeter une vision nouvelle et autonome. Dans la commune du Plateau à Abidjan, cette architecture a joué un rôle central en tant que vecteur des aspirations, des défis et des paradoxes d’une nation en pleine construction.
L’architecture post-indépendance dans la commune du Plateau à Abidjan incarne un ensemble complexe de visions, d’aspirations, de défis et de tensions qui ont marqué la Côte d’Ivoire à une période cruciale de son histoire. À travers cette étude, nous avons exploré comment ces constructions distinctives reflètent non seulement les idéaux de modernité et de progrès des dirigeants ivoiriens, mais aussi comment elles symbolisent une quête d’identité nationale unique.
Les bâtiments emblématiques de cette époque, tels que l’Hôtel de Ville, maintenant appelé Hôtel du District, le Palais Présidentiel, ou la Pyramide d’Abidjan, incarnent cette volonté de modernisation rapide et d’intégration à un monde globalisé. Conçus principalement par des architectes étrangers, mais imprégnés d’un désir de «vivre l’Afrique», ces édifices ont adopté des formes et des matériaux conformes aux standards internationaux, tout en essayant d’intégrer des éléments culturels locaux. L’analyse des bâtiments du Plateau révèle une tension constante entre modernité et tradition, influences étrangères et identité locale. Nous avons également souligné l’importance culturelle et symbolique de ces bâtiments, qui jouent un rôle clé dans la mémoire collective et l’identité culturelle de la Côte d’Ivoire. Les symboles et éléments culturels intégrés dans l’architecture témoignent de l’effort pour respecter et valoriser les traditions locales tout en embrassant la modernité. Cette dualité a néanmoins permis l’émergence d’une «troisième voie», celle d’une architecture post-indépendance capable de combiner harmonieusement ces éléments dans des édifices représentatifs de la nouvelle nation.
Le manque de formation locale des architectes au cours de cette période, qui a souvent conduit à une dépendance vis-à-vis de l’expertise étrangère, a été un autre facteur limitant. Ce déficit, bien que progressivement comblé, soulève encore des défis aujourd’hui, notamment la tendance à Conclusion se référer à des modèles extérieurs sans les contextualiser. Cependant, les architectes ivoiriens formés récemment sont de plus en plus conscients de la nécessité de répondre aux besoins spécifiques de leur société, en alliant modernité et tradition et en explorant les expérimentations de cette troisième voie celle de l’architecture post-indépendance.
Ce mémoire, bien que centré sur l’architecture des édifices publics—lieux de pouvoir où l’identité et la vision du nouvel État doivent être mises en valeur, n’oublie pas l’importance de l’architecture résidentielle. Dans ce domaine, des architectes ont su faire preuve de «générosité» et d’une réelle préoccupation pour le bien-être de la population locale, parfois même en dépit des volontés des gouvernants.
Abidjan, et particulièrement le Plateau, est devenu le symbole de cette Côte d’Ivoire moderne, un «Manhattan africain» où s’est expérimentée la rupture avec le passé colonial et l’affirmation d’une nouvelle identité nationale. Les édifices emblématiques de cette période, comme l’Hôtel de Ville, le Palais Présidentiel, et la Pyramide, allient fonctionnalité, esthétique et symbolisme pour refléter les ambitions d’un pays en plein essor.
À mesure que ces bâtiments vieillissent, la question de leur patrimonialisation, de leur documentation et de la sensibilisation des architectes en premier lieu et de la population en second lieu devient cruciale. Ces édifices ne sont pas simplement des vestiges d’une époque révolue, mais des réservoirs de mémoire collective et des symboles de l’identité nationale. Leur conservation ne doit pas se limiter à un entretien physique, entretien qui , parfois fait défaut à certains édifices, mais elle doit inclure une réflexion approfondie sur leur signification historique, culturelle et sociale. La patrimonialisation de ces bâtiments emblématiques doit donc être envisagée comme un acte de réaffirmation de l’identité nationale, permettant de les inscrire durablement dans le paysage culturel ivoirien, tout en les adaptant aux besoins contemporains de la société.