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L’architecture Post indépendance

Contexte et définitions de l’architecture postindependance

Le préfixe «post» accolé à l’expression «architecture post-indépendance» laisse supposer une architecture apparue après les indépendances, interprétée littéralement comme l’architecture ayant débuté après la proclamation de l’indépendance. Cette interprétation peut être correcte, mais elle ne s’applique pas uniformément à tous les contextes, d’où l’existence de plusieurs définitions de l’architecture post-indépendance.

Le cas de l’Inde est mentionné dans l’article «Post-Independence Architecture in India», Sofia Sebastian et Ravishankar K.R. de l’Université de Nizwa, Sultanat d’Oman, soulignent que Avant l’indépendance, les architectes indiens travaillaient sous la direction des architectes britanniques. Après le départ des Britanniques en 1947(date de l’indépendance de l’inde), l’architecture indienne était en plein chaos, peut-être en raison d’une crise d’identité, d’un dilemme entre adhérer aux précédents historiques ou aller de l’avant en utilisant des idées, des images et des techniques nouvelles.51

Au Ghana, le contexte sociopolitique incite les architectes à adopter de nouvelles attitudes vis-à-vis de l’État nouvellement indépendant. Hannah Roux le mentionne dans son article : « Entre les années 1950, époque à laquelle les campus d’Ibadan et de Kumasi, ainsi que de nombreux bâtiments d’écoles tropicales ont été mis en service, et le milieu des années 1960, le volume des travaux construits n’a pas diminué. Il semble plutôt que l’orthodoxie de la décennie précédente ait été remplacée par une fragmentation des approches, conduisant à diverses formes d’expression et de pratique. En réponse aux changements culturels, politiques et économiques qui accompagnent l’indépendance, plusieurs architectes, expatriés et africains, tentent de revoir leurs normes et de construire de nouvelles voies et références pour la discipline. »52

51 Ms Sofia Sebastian et Mr Ravishankar K.R, « POST INDEPENDENCE ARCHITECTURE IN INDIA : A Search For Identity in Modernism », in JETIR, vol. 5, 2018.

52 Hannah Le Roux, « Modern Architecture in Post-Colonial Ghana and Nigeria », Architectural History 47 (2004): 361-92. I. Contexte et définition de l’architecture post-indépendance

En Côte d’Ivoire, cela ce manifeste autrement. Comme l’a souligné Koupo Gnoleba lors de notre entretien, l’indépendance ne se résume pas à une date unique. Bien avant la proclamation officielle, divers éléments sociopolitiques influençaient déjà la vision des concepteurs, impactant ainsi l’architecture et l’urbanisme, cette indépendance fut négocié. L’architecture dite «post-indépendance» commence à se développer bien avant la date officielle de l’indépendance en Côte d’Ivoire, avec un changement de perspective des architectes

Ces trois exemples illustrent les diverses facettes et les divers ensembles de définition de l’architecture post-indépendance. En côte d’ivoire, à la veille de l’indépendance, un changement notable commence à se dessiner parmi les architectes. Ces derniers, influencés par les mouvements de décolonisation et les aspirations d’une identité nationale propre, commencent à adapter leurs conceptions architecturales pour mieux répondre aux réalités locales. Ce changement de perspective se manifeste par une plus grande attention portée aux matériaux locaux, aux techniques de construction adaptées aux conditions climatiques tropicales, et à une esthétique qui cherche à intégrer des éléments culturels ivoiriens. Les architectes, tout en restant dans le pays, jouent ainsi un rôle clé dans la transition vers une architecture qui, tout en étant moderne, reflète davantage l’identité ivoirienne. Ce processus est, cependant, progressif et parfois lent, marqué par une tension entre les anciens modèles coloniaux et les nouvelles aspirations post-indépendance.

Au Ghana, la situation présente des similitudes avec celle de la Côte d’Ivoire, mais avec des nuances importantes. « Le Ghana possède un ensemble éclectique et relativement perméable de bâtiments de l’époque coloniale et postcoloniale, tandis que les bâtiments de la Côte d’Ivoire sont relativement distants et monolithiques, datant plus étroitement du boom économique post-indépendance »53 .Avant l’indépendance, l’architecture était également dominée par des modèles coloniaux imposés par les Britanniques. Cependant, avec l’accession à l’indépendance en 1957 et l’arrivée au pouvoir de Kwame Nkrumah en tant que premier ministre, un changement de cap radical est opéré. Nkrumah, fervent partisan du panafricanisme et de la modernisation du Ghana, encourage une réorientation de l’architecture vers des concepts qui symbolisent la liberté, l’indépendance et le progrès. Sous son influence, certains architectes qui 53 Julia Gallagher, Dennis Larbi Mpere, et Yah Ariane Bernadette N’djoré, « State aesthetics and state meanings: Political architecture in Ghana and Côte d’Ivoire », African Affairs 120, no 480 (1 juillet 2021): 333-64, https://doi.org/10.1093/ afraf/adab018.

étaient restés au Ghana après l’indépendance commencent à réviser leurs approches, en abandonnant progressivement les styles purement coloniaux au profit de conceptions qui incarnent les aspirations du nouveau Ghana et elle voit également des architectes rentrer aux pays après avoir fait leurs études à l’étranger qui auront un poids dans la nouvelle affirmation de l’identité nationale. Cette transition se traduit par la construction de bâtiments emblématiques qui deviennent des symboles de la fierté nationale, tels que le State House et le Kwame Nkrumah Memorial Park, alliant modernité et références à la culture et à l’histoire ghanéennes.

En Inde, l’indépendance marque une rupture plus nette dans le domaine de l’architecture, principalement en raison du départ massif des architectes britanniques qui avaient dominé le secteur durant la période coloniale. Contrairement à la Côte d’Ivoire ou au Ghana, où certains architectes étrangers ont choisi de rester et d’adapter leurs pratiques, l’Inde se retrouve à la croisée des chemins, devant décider de la direction à prendre pour son architecture nationale. Ce moment de réflexion conduit à un débat intense entre modernisme et revivalisme. Le modernisme, incarné par des figures comme Le Corbusier, qui a conçu la ville de Chandigarh, est perçu comme un moyen de projeter l’Inde vers l’avenir, en créant des infrastructures qui répondent aux besoins d’une nation en pleine mutation. D’autre part, le revivalisme, prôné par des architectes qui cherchent à renouer avec les traditions architecturales indiennes, met l’accent sur l’importance de préserver et d’intégrer les styles architecturaux traditionnels dans les nouveaux projets. Ce débat reflète une quête identitaire post-indépendante, où l’Inde cherche à définir une architecture qui soit à la fois contemporaine et enracinée dans son patrimoine culturel, capable de symboliser sa renaissance en tant que nation indépendante.

Ces trois contextes montrent comment ce concept ou ce courant d’idée s’approprie de manière unique selon les pays, les contextes sociopolitiques et la vision des dirigeants. Croire en une définition commune s’appliquant à tous les contextes devient alors erroné, car chaque pays adapte et transforme ces idées en fonction de ses spécificités historiques, culturelles et politiques. Cette diversité d’approches souligne l’importance de considérer chaque contexte de manière distincte pour mieux comprendre les dynamiques sous-jacentes de l’architecture post indépendance.

1. Architecture post-indépendance et/ou post-coloniale

Tout au long de nos recherches, y compris lors de nos investigations sur le terrain, nous avons été confrontés à un problème majeur de dénomination : comment nommer cette architecture qui se démarque de l’architecture coloniale tout en apportant sa propre singularité ? La question de la nomination fut cruciale, car elle affecte la manière dont ces bâtiments sont perçus, acceptés, étudiés et valorisés. Cette architecture, issue de la période post-indépendance, cherche à se distinguer du passé colonial tout en affirmant une nouvelle identité nationale. Cependant, la manière de la nommer reste controversée et complexe.

Henri Chomette, figure majeure de l’architecture en Afrique subsaharienne, a régulièrement manifesté un désaccord marqué avec l’idée d’un «modernisme universel,» critiquant son manque de considération pour les particularités locales. Dans son article « Henri Chomette et l’architecture des lieux de pouvoir en Afrique subsaharienne », Léo Noyer Duplaix explique comment Chomette s’est volontairement écarté de ce courant en qualifiant ses réalisations d’»anagéographisme,» 54un terme qui illustre son souci de respecter le contexte géographique et culturel des sites où il intervenait. Chomette voyait dans le modernisme un danger d’homogénéisation, risquant de gommer les identités locales au profit d’une architecture standardisée, inadaptée aux réalités spécifiques de chaque région55.

Cette réflexion amène à questionner la classification de l’œuvre de Chomette au sein du mouvement moderniste. Bien que ses bâtiments soient souvent associés à cette période, leur conception profondément enracinée dans le contexte local suggère qu’ils échappent aux simples catégories de style et de visions promu par le modernisme. Les bâtiments qu’il a conçus, en harmonie avec les caractéristiques locales, invitent à repenser l’application du terme «modernisme» dans ces contextes, car cela pourrait ne pas rendre justice à la complexité , à la spécificité de son approche architecturale et à son regard porter sur la population locale . Dès lors, il devient légitime de se demander si l’étiquette de «modernisme» ne réduit pas à tort la portée et la singularité de son travail et de celui d’autres architectes qui ont pu s’illustrer par cette manière de concevoir.

54 Noyer Duplaix, « Henri Chomette et l’architecture des lieux de pouvoir en Afrique subsaharienne ».

55 Noyer Duplaix.

Ce qui a particulièrement attiré notre attention, c’est la sorte dont cette architecture est nommée en Inde et dans les pays en Asie du sud. Contrairement aux approches souvent vues en Afrique, les articles traitant de ces architectures en Inde ne les désignent pas de la même manière. A titre d’exemple, dans l’article de Sofia Sebastian et Ravishankar K.R, «POST INDEPENDENCE ARCHITECTURE IN INDIA : A Search For Identity in Modernism» (JETIR, vol. 5, 2018), et dans le livre Architecture and Independence : The Search for Identity--India 1880 to 1980 de Jon T. Lang (Delhi ; New York : Oxford University Press, 1997), cette architecture est désignée comme étant de l’architecture post-indépendance ou de l’architecture de l’indépendance. Ces termes mettent en avant la période historique et les efforts pour construire une identité nationale unique, sans référence directe au modernisme en premier lieu.

Cette différence de terminologie est significative. En Inde, l’accent est mis sur l’indépendance et la quête d’une identité nationale distincte, ce qui permet de mieux saisir l’aspiration à se démarquer du passé colonial. Cette approche met en lumière l’importance de la période post-indépendance comme une phase de réinvention et de redéfinition culturelle, architecturale et politique.

Dans le cadre de nos recherches, nous avons constaté que les informations disponibles sur l’architecture post-coloniale étaient plus abondantes que celles sur l’architecture post-indépendance. Cette abondance peut s’expliquer par le fait que le terme «post-colonial» est plus largement utilisé et accepté dans les études académiques et les discussions théoriques. Cependant, cette terminologie peut également être restrictive et ne pas refléter entièrement les aspirations et les réalités des nations africaines après leur indépendance.

Lors de nos entretiens à Abidjan, nos différents interlocuteurs utilisaient parfois les termes «architecture post-coloniale» et/ou «architecture postindépendance» de manière interchangeable. Cette interchangeabilité témoigne d’une certaine ambiguïté et d’un manque de consensus sur la manière la plus appropriée de nommer cette architecture. Il nous a donc semblé crucial de nous pencher sur cette question et de déterminer pourquoi il est important de choisir l’un des termes plutôt que l’autre pour la dénomination de notre travail. Le choix entre les termes «architecture post-coloniale» et «architecture post-indépendance» n’est pas seulement une question de terminologie, mais aussi une question de perspective , de champs d’action et d’interprétation historique. Ainsi une distinction à faire s’impose entre ces deux terminologies.

a. Distinction entre architecture post-indépendance et architecture post-coloniale.

L’architecture post-indépendance et l’architecture post-colonial sont deux termes qui désignent des courants architecturaux qui ont émergé à /ou vers l’accession à l’indépendance et après la fin de la domination coloniale dans différentes régions du monde. Ces courants se distinguent par leurs influences, leurs objectifs et leurs caractéristiques. Elles sont des concepts qui se chevauchent mais qui ont des distinctions subtiles en fonction du contexte historique, culturel et géopolitique.

« L’architecture post-indépendance est un domaine fascinant et dynamique qui a émergé dans le sillage de l’accession à l’indépendance de nombreuses nations au milieu du XXe siècle. Ce mouvement architectural représente une rupture avec les influences coloniales et la recherche d’un langage de conception distinct et culturellement pertinent. » 56 De ce faite

L’architecture post-indépendance symbolise un riche mélange d’aspirations esthétiques, fonctionnelles et culturelles des nations récemment libérées. Elle sert non seulement de miroir à l’évolution de leur identité, mais aussi de vecteur pour leurs ambitions futures, en traduisant dans la pierre et le béton les idéaux de souveraineté, de modernité et de renouveau culturel qui définissent cette période de transition.

« L’architecture postcoloniale quant à elle, est aussi un domaine qui a émergé au lendemain du colonialisme. Elle englobe une grande variété de types et de styles de construction, mais tous ont en commun le rejet de la symétrie coloniale et des proportions néoclassiques. »57 Ainsi elle se concentre sur les structures érigées pendant la période coloniale et après les décolonisations. Elle explore comment ces bâtiments reflètent les relations de pouvoir, les identités culturelles et les mémoires collectives, dans le but de retiré ces images qui pourrait ramener à ce système de pensée et les réaffectés.

Les caractéristiques de ces derniers sont diverses et variés :

Sur la base de l’article “post independence architecture in india : a search for identity in modernism“ 58, L’architecture post-independance renferme des éléments qui permette de pouvoir la déceler:

1. Expression de l’Identité Nationale : elle est souvent marquée par une volonté de rompre avec les styles et influences coloniales, cette architecture vise à célébrer et à exprimer l’identité nationale, culturelle et historique du pays nouvellement indépendant.

2. Innovations Modernes : Elle peut intégrer des éléments modernes et des technologies contemporaines, tout en recherchant une originalité propre au contexte national.

3. Infrastructures Publiques : Souvent, une grande partie de cette architecture se manifeste dans les bâtiments publics tels que les écoles, les hôpitaux, les stades, et les institutions gouvernementales, symbolisant la nouvelle ère de souveraineté et de progrès.

4. Influence Locale : Intégration des matériaux locaux et des techniques de construction traditionnelles, parfois avec un accent sur la durabilité et l’adaptabilité aux conditions climatiques locales

Quant à l’architecture post colonial est possède des points qui sont différentes des points de l’architecture post indépendance :

1. Critique et Réévaluation : Cette architecture implique une critique et une réévaluation des styles et structures hérités de l’époque coloniale, en cherchant à comprendre et à déconstruire les relations de pouvoir et les significations culturelles qu’ils représentent.

2. Hybride et Syncrétique : Souvent caractérisée par un mélange hybride de styles, combinant des éléments coloniaux avec des influences locales et modernes, créant ainsi des expressions architecturales uniques et diversifiées.

3. Réappropriation et Transformation : Les bâtiments coloniaux existants sont fréquemment réappropriés et transformés pour refléter les besoins et les aspirations contemporaines des populations locales.

4. Influences Globales : Peut intégrer des influences globales et internationales, tout en explorant les notions d’identité, de mémoire et d’héritage colonial.

58 Sebastian et K.R, « POST INDEPENDENCE ARCHITECTURE IN INDIA ».

Ces éléments mettent en évidence que, bien que l’architecture postindépendance et l’architecture post-coloniale partagent certains concepts communs, elles se distinguent également par des aspects fondamentaux. Le facteur temporel est essentiel pour saisir ces distinctions. L’architecture post-indépendance est ancrée dans la période immédiatement ou un peu plus avant, l’obtention de l’indépendance, caractérisée par la transition des influences coloniales vers des expressions architecturales reflétant les aspirations nationales et culturelles émergentes. Elle représente une phase de réappropriation et de redéfinition des espaces urbains par les nouveaux États. À l’inverse, l’architecture post-coloniale couvre une période beaucoup plus étendue, englobant les transformations qui continuent de se produire au fil du temps. Elle peut évoluer pour s’adapter aux réalités contemporaines, comme c’est le cas à Grand-Bassam, où les traces du passé colonial persistent tout en se réinventant dans un dialogue constant avec les nouvelles influences et les besoins actuels. Cette évolution continue souligne la complexité et la profondeur de l’architecture postcoloniale, qui ne se limite pas à une rupture nette avec le passé, mais intègre et transforme les héritages dans un processus en perpétuelle mutation.

De ce fait l’identité nationale est également un point important qui permet de voir la différence car l’architecture post-indépendance se concentre davantage sur la construction d’une identité nationale distincte, tandis que l’architecture post-coloniale est plus centrée sur l’analyse critique des héritages coloniaux, leurs réappropriation et la création de nouvelles synthèses culturelles. Ces concepts prennent place dans les édifices publics, les palais présidentielles en particulier qui permettent de voir la manifestation de ces éléments.

b. L’analyse de deux palais présidentiels

« Des études ont montré que les bâtiments parlementaires ont incarné l’histoire d’une société et les idéaux de représentation de ses élites, tout en illustrant les valeurs et les idées de la vie politique au moment de leur construction. Leur emplacement, mais surtout leurs conceptions architecturales, leurs décorations et leurs expositions artistiques sont autant d’expressions des réalités passées et présentes du pouvoir politique et législatif d’un État. »59

Cet extrait de l’article “Power, cultural nationalism, and postcolonial public architecture: building a parliament house in post-independence Myanmar“ de renaud Egreteau , ce réfère certes aux bâtiments parlementaires mais prends sens également au niveau des palais présidentiel. Ces édifices sont des symboles puissants, des livres ouverts sur l’histoire politique et sociale d’un État. Ils sont le reflet des changements sociopolitiques et des continuités, des révolutions silencieuses et des évolutions bruyantes qui ont façonné la nation. Les palais présidentiels partagent la symbolique avec les bâtiments parlementaires, car ils sont le cœur où la vision de l’État prend forme et se matérialise. Leur localisation stratégique et leur esthétique ne sont pas seulement des témoins de l’histoire; ils incarnent également la vision à long terme des dirigeants, leur philosophie de gouvernance et leur projection dans l’avenir.

En effet, ces structures sont plus que de simples bâtiments; elles sont des manifestations des idéologies postcoloniales qui sont propres aux Etats, comme l’illustre l’article de Renaud Egreteau sur la construction du parlement au Myanmar après l’indépendance. Elles sont des déclarations architecturales de l’identité nationale, des aspirations d’un peuple et de la direction que ses dirigeants souhaitent lui donner. Ainsi, en étudiant ces espaces, on peut déchiffrer les codes de la puissance, de la représentation et de l’expression culturelle qui sont au cœur de la vie politique d’une nation. L’analyse des deux palais présidentiels, celui du Plateau à Abidjan conçu par Pierre Dufau et le palais présidentiel de Dakar au Sénégal, offre un aperçu des distinctions entre l’architecture post-indépendance et post-coloniale.

« Contrairement à Dakar, où Dakar a préservé son Palais colonial, Abidjan l’a remplacé. Et quand tu regardes les deux villes, Abidjan et Dakar, c’est un peu ces deux ADN que tu retrouves. Dakar, jusqu’aujourd’hui, même si récemment ils en ont perdu pas mal, avait quand même très fort patrimoine colonial, surtout dans leur plateau. Ils ont de très beaux bâtiments de factures coloniales qui continuent de fonctionner. Chez nous, on a construit aussi avec une vision de modernité se caractérisant par une rupture avec cette époque » Issa Diabaté60.

59 Egreteau, « Power, cultural nationalism, and postcolonial public architecture ».

60 Voir interview complète en annexe

Figure 23 et 24, Palais du gouverneur en démolition à gauche et le nouveau palais en construction à droite, source: Notre Abidjan

Ce passage montre la différence palpable entre ces deux concepts qui s’opère dans ces édifices emblématiques.Le palais présidentiel de Côte d’Ivoire, construit sur les vestiges de l’ancien palais du gouverneur, représente bien plus qu’un simple changement architectural. Conçu par l’architecte Pierre Dufau, ce projet a été une commande du premier président de la nation nouvellement indépendante, avec l’objectif de créer un symbole puissant de la souveraineté retrouvée. Le bâtiment, destiné à abriter la présidence de la République (voir chapitre 4), a été conçu pour incarner une rupture définitive avec le passé colonial, effaçant les traces de l’ancienne domination pour affirmer l’émergence d’une nouvelle identité nationale. Cette construction, imposante et moderniste, illustre la volonté de forger une Côte d’Ivoire indépendante, prête à se positionner sur la scène internationale avec un édifice qui reflète ses aspirations à la modernité et à l’autonomie, tout en marquant une claire démarcation avec l’ère coloniale.

La décision de construire un nouvel édifice sur les fondations d’un ancien palais colonial peut être interprétée de diverses manières. D’une part, cela peut symboliser une rupture avec le passé et l’affirmation d’une nouvelle identité La localisation d’un tel édifice est également significative. En choisissant de I. Contexte et définition de l’architecture post-indépendance

construire sur le site de l’ancien palais, les dirigeants voulait montrer que la nouvelle nation s’approprie son histoire, pour forger son propre chemin. Cela peut être perçu comme un acte de réconciliation avec le passé, où les fondations coloniales servent de base à la construction d’une identité nationale renouvelée et affirmée.Dans le cas de l’architecture post-indépendance, ces choix sont chargés d’une importance particulière, car ils contribuent à définir l’image publique d’une nation et son rapport à son propre passé ainsi qu’à son avenir.

Il est donc essentiel de considérer cet édifice non seulement comme des structures physiques, mais aussi comme des symboles vivants de l’identité nationale. Ils racontent une histoire, celle d’un peuple qui se réapproprie son espace et son histoire, qui cherche à se démarquer de l’ancien régime tout en reconnaissant et en intégrant les éléments de son passé qui façonnent son présent.

« Le Palais de la République du Sénégal, résidence du Président de la République, est une demeure historique située dans le quartier du Plateau à Dakar, capitale du Sénégal. Construit en 1902, le Palais fut la résidence officielle du gouverneur général de l’AOF. La construction du palais dans son premier état ordonnée en 1902 par Gaston Doumergue, à l’époque ministre des Colonies, visait à loger dans la capitale le gouverneur général de l’Afrique-Occidentale française (AOF) qui résidait alors à Saint-Louis. L’architecte en est Henri Deglane »61.

« Entre temps, le bâtiment fut modernisé par le Haut-commissaire Paul Bechard, locataire des lieux de 1947 à 1951. Et c’est sous sa nouvelle configuration que l’occupa pour la première fois le premier Président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. Il intégra les locaux le 5 septembre 1960. »62

Figure 24, Palais du gouverneur général de l’AOF, source : Source: au-senegal

61 Au Sénégal et le cœur du Sénégal, « Histoire du Palais de la République », Au Sénégal, le cœur du Sénégal, 12 juillet 2024, https://www.au-senegal.com/histoiredu-palais-de-la-republique,13397.html.

62 Sénégal et Sénégal.

Le palais présidentiel de Dakar est un exemple emblématique d’architecture post-coloniale, non seulement en raison de son origine sous le régime colonial de l’importance que ce palais avait pour la puissance coloniale, mais aussi par la manière dont il a été réapproprié par l’État sénégalais après l’indépendance. Ce bâtiment, initialement conçu pour incarner le pouvoir colonial, a été transformé pour symboliser la souveraineté et l’identité nationale du Sénégal indépendant. Sa réutilisation illustre comment des structures héritées de la période coloniale peuvent être redéfinies et investies de nouvelles significations, devenant ainsi des marqueurs de l’indépendance et des nouveaux rôles dans le contexte postcolonial.

Le palais ne se contente pas de rappeler le passé, il sert de témoignage vivant de la transition vers un futur autonome, où l’architecture elle-même devient un outil de réappropriation culturelle et politique.

Figure 25, Palais présidentiel du sénégal, source : au-senegal

En somme, ces deux palais incarnent de manière éloquente les concepts distincts d’architecture post-indépendance et d’architecture post-coloniale, chacun reflétant son contexte historique, la vision des dirigeants aux travers de ces bâtiments et son usage spécifique. Le palais présidentiel du Plateau à Abidjan, conçu dans une volonté de rupture avec le passé colonial, symbolise l’architecture post-indépendance. Il exprime la création d’une nouvelle identité nationale et l’affirmation de l’autonomie de la Côte d’Ivoire. En revanche, le palais présidentiel de Dakar, bien que d’origine coloniale, représente l’architecture post-coloniale. Par sa réappropriation et sa transformation pour servir le Sénégal indépendant, il illustre la continuité et l’adaptation de l’héritage colonial dans un cadre post-colonial, où l’existant est revisité pour répondre aux aspirations d’une nation nouvellement souveraine.

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