EXILS INTRA-MUROS MAR C MELKI
Photographies Marc Melki Préface Eliette Abécassis Design graphique Christian Kirk-Jensen / Danish Pastry Design © Marc Melki, 2014 ISBN : xxx-x-xxxxx-xxx-x Dépôt légal : décembre 2014 En couverture : Quartier de la République, rue du Temple, le 19 janvier 2014 à 8h03
EXILS INTRA-MUROS MARC MELKI
PRÉFACE | ELIETTE ABÉCASSIS
La situation est indigne de notre époque. Ce sont des visions d’un autre temps, ces enfants qui dorment à même le trottoir, dans des guenilles, parfois pieds nus. Ils s’appellent Alin, Théo, ou Elena… Mais ils pourraient s’appeler Gavroche. Leur mère, Maria ou Mariana, à moins que ce ne soit Cosette. Elle porte des sandales en plastique. Elle a froid, elle a faim, elle nourrit un bébé au sein. Les gens passent devant eux comme s’ils n’existaient pas. Les Roms sont devenus les ennemis de la Société, ceux que tout le monde stigmatise, que tout le monde déteste, et l’on n’est pas gêné, quelque part, de les voir crever sur le trottoir. Ils sont semblables et ils sont différents. Ils sont errants. Ils ont leur mode de vie et leurs valeurs qui ne ressemblent pas aux nôtres. Alors on les évacue. On les déloge, on les chasse, on les laisse crever sur le trottoir. Et on fête au champagne et foie gras la célébration de la naissance de Jésus. Devant eux, la plupart des passants ne s’arrête pas, d’autres les traitent de « salope » et de « sale ordure », « retourne en Roumanie ».
Nous assistons à un phénomène inédit depuis des années ou peut-être des siècles : des enfants dormant sur le trottoir en plein hiver, y compris des enfants en bas âge, y compris des bébés. Parce que le gouvernement a décidé de raser leurs maisons – leurs baraques, leurs cahutes, leurs granges avec des bulldozers et sans les reloger. Ils vivent en plein Paris, place de la République, à Saint-Germain des Prés ou à Bastille, dans les villes et les villages de France. Ils ne sont pas très nombreux, mais on leur a déclaré la guerre. Ils sont devenus l’ennemi à abattre. Comme nous, ils ne sont pas tous bandits, mafieux ou exploiteurs d’enfants, ce sont simplement des gens que la société a décidé aujourd’hui de pourchasser. Comme l’illustre Michel Eltchaninoff, dans son article, « les Roms, une figure postmoderne », les Roms représentent la figure de l’altérité, car nous ne les comprenons pas. Alors Mariana dort sur le trottoir avec ses trois enfants, 6 ans, 3 ans et un bébé de un an en plein hiver. Elle n’a pas eu de place au 115. Ses enfants ne
sont pas vaccinés, pas scolarisés, malnutris, elle voudrait un logement, et les mettre à l’école. Le petit garçon aux yeux illuminés crie avec joie « Scola! » Heureusement dans cette période sombre de notre histoire, il y a de la lumière: des êtres humains ont créé des associations, comme l’association Aurore, dont le directeur est Eric Pliez, avec des «gens qui font leur travail»: Samir Baroualia, coordinateur de maraudes pour l’Ouest parisien, ou encore le Secours Catholique, avec Evangéline Masson-Diez, qui considèrent les Roms comme des êtres humains et sauvent des vies tous les jours, puisqu’il s’agit bien de cela. Les Restos du coeur donnent à manger à tous sans considération ethnique. Il est inadmissible que dans notre pays des bébés dorment sur le trottoir. Il est révoltant de raser les campements des Roms avec des bulldozers, sans les reloger. Il est dangereux de stigmatiser les Roms, de les ranger dans des catégories et de les rejeter en disant qu’ils sont des voleurs et qu’ils ne veulent pas s’intégrer.
Nous sommes en train de perdre le sens le plus élémentaire de l’humanité, qui fait que l’on ne doit pas laisser un enfant dormir dans la rue. Les destructions des abris de fortune de ces hommes, ces femmes et ces enfants, voués à dormir dans nos rues, dans nos parcs ou nos forêts, par des températures parfois négatives ou sous la pluie, sont une négation des droits inaliénables et sacrés de chaque être humain et de la dignité de la personne humaine. Et personne ou presque ne semble s’en émouvoir, en tous cas pas le gouvernement actuel, ni les mairies, et ceci en rupture complète avec les idéaux de la gauche, ainsi que de la Déclaration Universelle des droits de l’homme. La France est le cinquième pays le plus riche du monde. Qui oserait dire que nous ne pouvons trouver un toit pour quelques milliers de personnes échouées sur le bitume de nos villes ? Des budgets pharaoniques sont débloqués pour reconstruire les quais de Paris alors que des bébés dorment sur le trottoir. Sommes-nous devenus à ce point fous ?
La ville doit pouvoir loger ces familles, quelle que soit leur nationalité. La discrimination anti-Rom est intolérable. Ne pas les loger, les inciter à partir en les menaçant de placer leurs enfants, ou leur offrant un billet sans retour vers chez eux, même s’ils n’ont pas de chez eux. Raser leurs camps sans offrir de solution de relogement. Traiter ces quelques milliers de personnes comme si c’était l’urgence absolue car cela va résoudre le problème économique du pays. Tout cela n’est pas acceptable. Bref : faut-il le dire ? Notre pays évolué ne peut pas se permettre de laisser des bébés dormir sur le trottoir. Depuis quelques années, Marc Melki les photographie. Tous les matins, dès l’aube, il se lève, prend son appareil photo et il sort de chez lui. Il sait que ce ne sera pas facile; il a le coeur meurtri. Son regard s’est assombri, mais son cœur par lequel il exerce son œil, reste intact. Il accomplit sa mission sans faillir. Il y a des moments de découragements, de lassitude. Il y a des visions
insupportables qui lui donnent envie de pleurer et de tout arrêter, comme cette femme qui allaite son bébé, seule, recroquevillée dans le froid, sur la place de la République. Il y a des moments où il a envie de hurler. Et c’est avec son appareil photo qu’il le fait. Ce grand artiste a la capacité de traduire en images des sentiments, des émotions et des idées, et de nous mettre avec pudeur et avec brutalité, face à la réalité : notre réalité. Pour ne pas les gêner, il les immortalise dans leur seul moment paisible ; une cabine téléphonique, sur des cartons, ou contre un coin de mur. Ceux qu’on a délogés, ceux qui n’ont plus le droit d’être ici, ceux qui n’ont plus le droit d’être : il leur redonne un visage, une identité, une dignité, par l’alchimie de l’art. L’art, c’est la vérité. La seule vérité, sans doute. Même quand elle est indicible. Sous son regard, ils sont beaux, éternellement beaux. Ils sont rendus à leur humanité.
Quartier de la Bastille, rue de la Roquette, le 8 juillet 2013, Ă 7 h 07
Coucher tous les soirs avec ses enfants j’imagine à peine la douleur et la honte que ça doit filer à une maman, un papa venus d’Europe de l’Est ou de je ne sais de quel pays où on traite les roms comme des chiens ... Et ben ici c’est pareil. Mais l’argent d’un pays comme la France, ça doit servir à autre chose qu’à aider c’est ça ? Non mais dites-moi.... J’attends la réponse » Stef Sanseverino, Montreuil 2014
Quartier de la Bastille, boulevard Richard-Lenoir, le 31 aout 2013 à 7 h 10
Quartier de la Bastille, rue de la Roquette, le 26 juillet 2013, Ă 5 h 59
Quartier de la Bastille, boulevard Richard-Lenoir, le 12 juillet 2013 Ă 6 h 54
Quartier de la Bastille, boulevard Richard-Lenoir, le 30 aout 2013 Ă 7 h 31
Quartier de la Bastille, boulevard Richard-Lenoir, le 4 juillet 2013 Ă 7 h 07