L'envol du coquelicot

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L’envol du coquelicot

6 mois – 6 jours – 6 ans

L’envol du coquelicot

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FACE AU DEUIL PÉRINATAL

RÉCIT DE VIE

Isabelle Lemoine





6 mois – 6 jours – 6 ans L’envol du coquelicot Face au deuil périnatal



Isabelle Lemoine

6 mois – 6 jours – 6 ans L’envol du coquelicot Face au deuil périnatal



Préface

Doux Coquelicot, douce fleur fragile, délicate et sauvage. La fragilité de tes pétales me rappelle celle de mon enfant, La délicatesse de la durée de ta vie, qui peut s’envoler en un clin d’œil sous l’effet d’un souffle d’air trop fort me rappelle celle de mon enfant, La couleur de ta parure, rouge comme mon sang qui coule dans mes veines me rappelle le lien éternel qui existe avec mon enfant, rouge comme l’Amour, celui que je lui porte, celui qui doit être la lumière révélatrice de l’existence : savoir profiter de chaque instant, car la vie est trop courte. Tes bouquets apportent réconfort à celui qui souffre de la perte d’un être cher. Tu endors les chagrins dans le sommeil et l’oubli. Tu symbolises la consolation, le repos et la tranquillité. Doux Coquelicot, dans mon cœur, tu représentes mon fils Mahé.

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Six mois… de grossesse remplis d’amour pour Mahé Six jours… de vie trop courte. Six ans… d’étapes franchies au jour le jour pour transformer ma souffrance en véritable don de soi.


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Je ne cesse de me culpabiliser sur ce qui a fait basculer la vie de mon fils… mon troisième enfant… L’enchaînement des événements de ma grossesse me revient difficilement en mémoire et pourtant ce souvenir est lancinant. J’y pense tous les jours. Comme une obsession. Comme si j’avais peur d’oublier alors que c’est ancré en moi à jamais. Comment ce moment de bonheur intense de devenir mère a-t-il pu tourner au cauchemar sans que rien ne puisse l’arrêter ? Et pourquoi ? Être maman, je le suis pourtant devenue très jeune. Probablement pour contester les méthodes maternelles « subies » durant mon enfance. En effet, je n’ai pas très bien vécu les discordes de mes parents après leur divorce. Ils se sont séparés, j’avais tout juste neuf ans et je n’ai jamais réellement accepté que maman trompe papa avec son meilleur ami. À douze ans, je décidai de partir vivre chez mon père, car ma mère me demandait de fouiller dans ses affaires.


Elle se servait de moi pour le contraindre à déménager et s’éloigner de nous. Je trouvais cela injuste et je ne supportais plus. À dix-sept ans, je suis tombée sous le charme d’un homme âgé de trois ans de plus que moi. Nous rêvions de nous installer ensemble. Ainsi, j’aménage chez Frédéric assez rapidement. J’étais amoureuse et surtout avide de liberté ! Le fruit de mon premier amour a pointé le bout de son nez le 15 avril 1992. Kevin est né entouré de douceur. Malheureusement, les feux ardents de la jeunesse n’ont pas duré et je me suis séparée dix-huit mois après sa naissance. Seule avec mon fils, il était difficile d’assumer financièrement. J’ai dû rejoindre ma famille, le temps de me reconstruire. En 1996, je rencontrai Jean-Pierre. De cette union naquit Axel, le 15 novembre 2000. Nous célébrerons notre mariage trois plus tard. Durant ces sept années, nous étions heureux. Puis, mon amour s’est transformé en amitié… L’apparition de Luc dans ma vie fut un réel coup de foudre. Je ne contrôlais plus la passion qui nous aimantait. Malgré ma peine et ma tristesse vis-à-vis de mon ex-mari, je partis avec mes deux fils au 1er janvier 2008 pour m’installer avec Luc. Mes histoires d’amour un peu mouvementées, mais intenses, ne sont pas représentatives de mes deux grossesses. Elles se sont toutes deux très bien passées. Mes


fils sont nés entourés d’amour, après neuf mois de conception à évolution normale et quelques kilogrammes en plus. Je me sentais bien dans mon corps et dans ma tête de maman épanouie. Mon installation avec Luc était un nouveau départ. Psychologiquement, j’étais partagée entre les joies de cette nouvelle vie et la tristesse d’avoir quitté l’ancienne. Je m’en voulais un peu d’avoir causé de la peine à JeanPierre. Le temps a eu raison de notre relation. Il n’était pas très entreprenant dans notre quotidien, c’est vrai, il se laissait un peu porter et la passion pour un autre homme balaya notre couple. Je repensais au chagrin de mon père, je craignais de reproduire les agissements de ma mère. Mais ma vie changeait, Luc s’entendait très bien avec Kévin et Axel, nous nous aimions. Il souhaitait fonder une famille et lui donner un enfant tombait sous le sens. Ce bonheur arriva en novembre de la même année. Le jour où j’ai su que j’étais enceinte, j’ai attendu que mes trois hommes soient tous réunis pour leur annoncer. J’étais contente et excitée. Je me souviens de ce moment comme si c’était hier. Mes fils disaient à Luc qu’ils étaient ravis de me voir enfin bien. Cette grossesse symbolisait un renouveau. Un homme près de moi très amoureux, mes deux fils fiers d’avoir un petit frère ou une petite sœur. Seul mon ex-mari était, émotionnellement, une ombre au tableau, car je le savais malheureux. Moi, j’étais heureuse désormais même si je culpabilisais toujours de l’avoir laissé.

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Je ne devais rien regretter, j’allais être maman pour la troisième fois, c’était merveilleux. Les trois premiers mois furent aussi doux que la mélodie d’une chanson de Christophe Maé. J’étais suivie médicalement dans le Loiret. La date de la première échographie officielle fut programmée. Un important rendez-vous avec bébé où je pus voir tous ses petits membres. Le fœtus allait bien, le médecin m’annonça qu’il était quasi sûr que nous attendions une petite fille. En revanche, ma dernière prise de sang dévoilait un taux élevé de protéinurie et un cas sur trente-neuf de possibilité de trisomie 21. J’ai énormément pleuré à cette annonce. Une amniocentèse fut programmée le 10 mars. Les vingt jours qui ont suivi cet examen furent très angoissants, mais le 30, j’appris que mon bébé n’avait rien et que c’était un petit garçon ! Cependant, la présence de protéines dans les urines, qu’elle soit physiologique ou pathologique, se qualifie d’albuminurie et n’est pas porteuse de bonne nouvelle. Je me sentais en pleine forme, mais la présence d’albumine n’est jamais normale et peut témoigner d’une infection urinaire ou d’une toxémie débutante. Cette maladie est une néphropathie qui associe une protéinurie (albuminurie), des œdèmes et une hypertension artérielle. La toxémie gravidique (aussi appelée pré-éclampsie) traduit un mauvais fonctionnement des reins. Mon taux était de 2,17 g/litre au lieu de 0,06 g/litre… Ainsi, un rendez-vous chez le néphrologue s’imposa.


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J’appréhendais son diagnostic médical, je ne comprenais pas pourquoi ce problème de santé survenait alors que mon corps avait déjà accueilli deux petits garçons. Ma bonne humeur pouvait basculer d’un instant à l’autre vers l’inquiétude. Le médecin voulut se montrer rassurant en m’annonçant que j’avais, en effet, contracté une maladie des reins mais qu’il ne fallait pas s’alarmer… Comment ne pas m’effondrer quand j’entendis la phrase qui suivit : « Madame, il y a un risque que votre grossesse n’aille pas à terme »… Les deux mois suivants ont été bercés par mes analyses d’urine et sanguines. La date de l’échographie du cinquième mois arriva. C’était le 9 avril, vingt-deux semaines aménorrhées et deux jours. L’étude morphologique et biométrique fut bonne : elle indiquait « une bonne vitalité fœtale ». Mon bébé évoluait normalement in utéro. J’ai pu profiter de cet instant magique où je vis mon enfant par écran interposé. Nous avions de jolis clichés échographiques et, surtout, la confirmation qu’aucune maladie ne touchait notre petit garçon. Je me sentais bien, j’adorais écouter Christophe Maé, un chanteur que j’apprécie toujours beaucoup. Son nom me plaisait. Il résonnait parfaitement à mes oreilles. Mon fils portera ce prénom, légèrement orthographié différemment. MAHE.

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Nous projetions de partir en vacances à Perpignan, rejoindre pour Pâques, la famille de Luc. Je me sentais enflée. Mes derniers examens n’étaient pas très bons, mais ma nouvelle gynécologue me rassura et me donna l’autorisation de m’en aller me reposer quelques jours. Le feeling ne passait pas très bien avec ce médecin, j’avais un doute sans explication réelle, un ressenti… ma tension élevée et cette sensation de gonflement m’inquiétaient. Le 22 avril, je fus soumise à des examens pour contrôler l’hyperglycémie et rien ne fut signalé avant nos congés. Malgré cette analyse non alarmante, en arrivant sur Perpignan, mes pieds avaient doublé de volume. Je dus acheter une nouvelle paire de chaussures… Quelques heures après ce constat, je reçus un coup de fil du néphrologue. Il venait de recevoir mes analyses et elles n’étaient pas bonnes du tout… Il me demanda de me rendre d’urgence à la pharmacie la plus proche pour m’y procurer les médicaments prescrits envoyés par fax. Il semblait assez soucieux. Mon traitement en mains, nous continuâmes nos vacances familiales dans le sud. Durant ce séjour, nous annoncions le choix du prénom à mes beaux-parents qui furent un peu surpris par l’originalité. Je me rendis compte également que ma belle-mère faisait des « réflexions » à Axel. Elle lui a même précisé qu’il n’était pas obligé de lui faire la bise. Cela m’a blessée. Étais-je irritée par mon état ? Où avait-elle un manque de tolérance avec un enfant qui n’était pas celui de son fils ? Je fis alors une petite mise au point.


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Je souhaitais qu’aucune différence ne soit faite entre mes enfants quand Mahé sera né. Certes, Axel n’était pas son petit-fils de sang, ce n’était pas une raison pour qu’il se sente mal aimé. Je prenais sérieusement mes médicaments. Nous allâmes passer une journée mémorable à Barcelone. J’avais la démarche d’un canard, mais j’étais heureuse. Nous rentrâmes le 2 mai, reposés et prêts à reprendre le cours de notre quotidien. Je ne cessais de gonfler à vue d’œil, pourtant, rien ne laissait présager le nuage noir qui allait assombrir mon ciel…



La douceur printanière des premiers jours de mai et le doux parfum du muguet ne m’ont pas porté bonheur. Dans la nuit du 3, je souffris de contractions régulières terriblement douloureuses. Nous décidâmes de réveiller Kévin afin qu’il prenne soin d’Axel durant notre absence et je me rendis à l’hôpital de toute urgence. L’examen médical ne releva rien de particulier, ma tension était correcte, mais je savais que quelque chose d’anormal se passait dans mon corps. En effet, à six mois de grossesse, des douleurs au ventre comme cellesci ne présageaient rien de bon. Les médecins me demandèrent de rentrer chez moi. Il en était hors de question. J’ai refusé de partir, je souffrais et j’avais peur. Je fus ainsi hospitalisée. Ma tension montait anormalement et progressivement. Les spécialistes n’arrivèrent pas à déterminer un diagnostic. Au bout de trois jours, je fus alors transférée à l’Hôpital de Courcouronnes à Evry. Ce centre hospitalier

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spécialisé pour les grossesses à risques se trouvait à plus d’une heure de route de chez nous, dans le département de l’Essonne. Mes enfants furent donc séparés de moi du jour au lendemain. Ce fut un choc pour eux. Axel n’avait que huit ans et Kévin entamait un apprentissage. Mon grand était très inquiet. Mes beaux-parents s’installèrent à la maison, car Luc était à mes côtés la plupart du temps. Ils s’occupèrent de mes fils en les laissant un peu trop livrés à eux-mêmes, surtout Axel. Je me retrouvai d’un instant à l’autre, allongée dans l’ambulance du SAMU, branchée à cette machine qui prenait la tension automatiquement dans un bruit infernal... j’étais impuissante. Accueillie au service néphrologie, les sages-femmes et tout le personnel soignant furent particulièrement sympathiques, doux et prévenants. Du 6 au 10 mai, je pris deux kilogrammes et demi par jour. Mes reins ne fonctionnaient plus. Ma tension a atteint dix-huit ! Le matin, après des nuits complètes sans sommeil, lorsque je me regardais dans le miroir au réveil, je ne me reconnaissais plus ! Le traitement que je prenais avait des conséquences désastreuses pour ma féminité. Mon visage difforme s’habillait d’un petit duvet de poils disgracieux. Je me trouvais horrible, et le pire, c’est que j’étais en train de mourir à petit feu. L’équipe de psychologues me rendait visite quotidiennement, ils m’expliquaient la gravité de mon état de santé. Je comprenais, mais je refusais la seule issue médicale pour ma survie. Je ne pouvais pas accepter un


accouchement prématuré. Mon enfant était plus important que tout. Il était dans mon ventre, il grandissait normalement. Mon bébé grandissait en moi. Je le sentais bouger et je savais que son petit corps n’était pas assez développé pour vivre dans notre monde. Les chances de survie étaient infimes. Lui donner la vie trop tôt pour sauver la mienne ?! Je ne pouvais le concevoir. Ma maladie ne devait pas empêcher mon enfant de vivre. Je ne pouvais pas supporter cette idée ! J’étais en colère et, en même temps, j’étais désespérément anéantie moralement. Je paniquais et je refusais catégoriquement d’accoucher. Je n’ai malheureusement pas pu imposer ma volonté longtemps. Le 10 mai, une césarienne fut programmée. 23


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