Dis Mamie ! Où va le temps qui passe ?

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Claire Seguin

Dis Mamie !

Où va le temps qui passe ?





Dis Mamie ! Où va le temps qui passe ?


© Claire Seguin, Dis Mamie ! Où va le temps qui passe ?, 2014. Illustrations de Carolina Loreto


Claire Seguin

Dis Mamie ! Où va le temps qui passe ?



À mon fils Héoghan et à son papa, À Mamie, À Papi, Aux enfants des centres de loisirs de Montmorency (années 90), devenus adultes, À vous petits et grands, Au Temps qui passe… partout, un ami précieux,



Chapitre Ier Bienvenue dans la maison bleue !

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Les volets encore clos, un rayon de soleil tente sa chance par le mince espace existant entre eux et la vieille pierre à laquelle leurs gonds sont plantés. L’astre grandiose de l’été glisse un fin tentacule ambré à l’intérieur de la petite chambre, un voile de lumière caresse doucement la table de chevet frôlant au passage un gros réveil mécanique rouge pomme. Ce


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coquin lumineux atteint son but ultime : caresser les paupières d’une petite fille encore plongée dans le sommeil des grandes vacances. Là, sous ses draps finement brodés d’où se dégage une douce odeur de lavande, une frimousse calme et sereine se dévoile à peine. Tout est bien chez Mamie. Dans son parcours, le brin de soleil soulève un peu de poussière donnant à la lumière qu’il transporte des allures de magie comme nous les trouvons aux pays des rêves. Au-delà de la fenêtre, des oiseaux perchés dans le mûrier piaillent de bonheur baignés par la chaleur montante du matin. Les amandiers et les pruniers semblent accueillir des musiciens de toutes plumes : certains au duvet ébouriffé sortent de l’écuelle du chien Michka offrant ainsi une piscine de fortune. Ce gros et vieux canin, parsemé de tâches chantilly ensevelissant les derniers poils bruns montrent qu’il est loin de ses premiers printemps. La chaleur se diffusant, Michka traîne sa carcasse jusque sous le saule pleureur grattant au passage son oreille droite d’une patte maladroite. Sans doute voulut-il chasser une puce qui aurait oublié de prendre quelque congé… La maison s’éveille. Mamie, toujours la première debout, descend à la cuisine pour y préparer le petit déjeuner familial. Elle installe délicatement sur la table, les confitures maison de l’an passé dont les fruits cueillis, offrandes des arbres du jardin, semblent encore gorgées de soleil. Un jardin merveilleux dont s’occupe si tendrement une Mamie aux mains vertes et cela depuis fort longtemps. On y découvre encore parmi les pruniers, des amandiers, des saules, des oliviers, des figuiers, des roses, des fleurs des champs, des herbes folles, des haies non taillées en pleine liberté, un vieux marronnier qui n’aime pas trop l’été, un platane dont le tronc rappelle un peu un corps humain penché avec tendresse sur ses hôtes leur offrant de l’ombre, cela fait longtemps qu’il remplace tous les parasols de tissus. Le magnifique saule pleureur servant de refuge à sieste aux grands, tient tête à une grande ligne de bambous dressée le long d’un mur et dont seul le vent sait extraire les notes discrètes et raffinées. Une bougainvillée orange et un cyprès de Florence majestueux, droit comme un « i », servent de cachette aux tourterelles tout en ombrageant un bassin à poissons rouges. Des nymphéas regardent deux pins parasols, refuges des écureuils roux laissant tomber ici et là quelques trognons de pommes de pin bien épluchées. Il y a tout cela chez Mamie. Et mieux encore… Mais surtout… Surtout, il y a deux lieux indispensables pour passer de bonnes vacances. Le plus


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banal et le plus emprunté est le portail bleu ouvrant sur les dunes allongeant leur blondeur suspendue sur les flots bleus de la mer. Le long du portail de la liberté sillonne un petit chemin sablonneux où sautent grillons et sauterelles, où volent papillons et autres insectes attisant la curiosité des petits et la trouille des grands. Tout ce monde vit dans le refuge des reines de l’été : les cigales ! Mais n’oublions pas le grenier ! Ah ! Le grenier ! Un endroit ni trop chaud ni trop frais, un endroit mystérieux… On y monte avec envie, s’en approchant avec crainte lorsque craque le deuxième escalier de la maison. Le sombre prend ici toute sa place, la poussière volette tandis que les araignées y tissent leurs toiles légères et collantes… Les malles anciennes regorgent toujours de trésors et tout appelle à la rêverie, un temps jalonné d’aventures. Ce matin-là, la maison est enveloppée d’odeurs de pains grillés, de croissants chauds, de beurre, de café, de chocolat, de thé et de confiture de figues à la cannelle. Voilà Papa ! Assurément, un grand gourmand ! Tout habillé pour partir à la pêche à la ligne dont il dépose la fine canne dans un coin du couloir. Il donne le bonjour à Mamie déposant sur son front un tendre baiser, s’assied en dévorant les tartines dégoulinantes de confiture et de beurre fondu. Derrière les pas du gourmand arrive Maman dans sa robe légère dont les coquelicots imprimés semblent danser dans la fine brise qu’elle provoque par ses petits pas en descendant le grand escalier. Lançant le bonjour d’une voix vive à sa maman et son mari, elle entame le premier repas de la journée quand elle semble étonnée par l’absence d’Hermine. Si, si, tu sais ! Cette petite fille là-haut, encore endormie près du gros réveil rouge. – C’est bizarre ! dit Maman, elle n’a pas dû savoir faire fonctionner son réveil ! Elle qui voulait partir à la pêche avec toi et son copain Baptiste. Bon ! Après tout, elle peut bien dormir encore ! Elle est en vacances ! – C’est certain ! Et puis, Hermine trouvera bien autre chose à faire ! Elle a tellement d’imagination ! Tu peux partir pêcher tranquillement ! répond Mamie. Au même moment, dans sa chambre, Hermine remue un pied, puis l’autre. Elle se frotte un œil, puis l’autre. Enfin, elle s’étire sous la légèreté du drap et plisse les yeux face au rayon de tout à l’heure qui s’est fait plus intense.

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– Oh ! dit-elle, il fait jour ! Mais tu n’as pas sonné gros réveil !  J’ai loupé la pêche à cause de toi ! Zut alors ! Surtout que papa m’a acheté une canne à pêche toute neuve ! Tout en s’habillant du short rose aux fleurs usées par les glissades sur les dunes, enfilant de travers son tee-shirt vert pomme aux manches terminées par des froufrous, Hermine passe une main rapide dans ses cheveux aux boucles rousses toutes emmêlées, histoire d’être coiffée et d’échapper ainsi à la brosse de Maman. Puis, arrache son réveil à la table de chevet, ouvre d’une main volontaire les volets qui claquent sur la vieille bâtisse, tire la porte de la chambre, descend dans un bruit de tempête l’escalier en bois qui en a connu bien d’autres… Elle saute d’un seul coup les deux dernières marches et arrive au point de ravitaillement. – Salut les Grands ! dit Hermine, au bord de la colère. – Que t’arrive-t-il Hermine ? – Mon réveil ! Je suppose que Papa est parti avec les cannes à pêche et la bourriche rejoindre Baptiste ! Et moi alors ! Zut ! et encore Zut ! à cause de lui ! grrrrrrr ! – Quoi ? Ton réveil ? interroge Mamie. – Je le savais, tu n’as pas su le faire fonctionner ! dit Maman. – Si ! répond Hermine. – Cela est étonnant ! Si tu avais su, tu te serais réveillée à l’heure ! répond Maman. – Mais, je sais comment ça marche ! C’est lui qui est trop vieux et nul ! Regarde, l’aiguille de l’alarme ne tourne pas ! Elle ne sert à rien et le réveil non plus ! – Ah ! L’as-tu remonté hier soir ? dit Maman. – Remonté ? Oui, dans ma chambre ! répond l’enfant. – Ah ! ah ! ah ! rit Mamie, elle est bien bonne ! Pas remonté dans ta chambre, mais son mécanisme ! – C’est quoi son mécanisme ? Je ne comprends pas ! – Eh bien, il n’a pas de piles, ni n’est branché sur le courant électrique, il possède un mécanisme que tu dois remonter chaque soir et chaque matin avec la clé qu’il a dans le dos ! Alors, il t’indiquera l’heure tout le long de ta journée et continuera à marquer les heures toute la nuit sans s’arrêter ! – J’ai compris ! bon, tu me donnes des tartines… euh ! avec… Waouh ! De la confiture de figues rouges ! !


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Dévorant à pleines dents et d’un appétit féroce le petit déjeuner, Hermine accélère le mouvement pour s’apprêter à sortir le plus vite possible et débuter sa journée de jeux. Cependant, les plans ont changé. Baptiste est avec papa à la pêche et elle se retrouve seule pour jouer. Hermine ralentit sa course en retournant vers le bol de chocolat tiède et sursaute quand quelque chose de baveux vient lui frôler le mollet. – Ah ! c’est toi mon vieux Michka, dis ! Tu pourrais t’essuyer les babines ailleurs !  La gamine sait bien que le vieux cabot est attiré, tous les matins et à la même heure par le petit déjeuner car c’est l’instant sacré où il reçoit une fine tartine qu’elle n’arrive jamais à terminer. Il l’engouffre d’un trait. Dans le même temps, Hermine se lève, laissant ballotter ses bras le long du corps, s’assied sur les deux marches menant au jardin. Michka la rejoint et les deux soupirent ensemble. Hermine dépose une caresse délicate sur la tête ébouriffée du vieux Michka déjà plongé dans un autre univers. Maman rejoint Mamie à la cuisine et les voix des deux femmes donnent le rythme d’une nouvelle journée dans la maison bleue du bord de mer. Elles évoquent des souvenirs, rient aux larmes, partagent des silences et encore des rires. Elles s’activent pour préparer le repas et surtout les sandwichs thon-mayonnaise de nos deux pêcheurs que Maman portera au bout du vieux port. En attendant, la Maman-tendresse couche un regard délicat sur Hermine semblant hanter le jardin par ses attitudes d’ennui. Hermine pousse du bout de ses sandales des cailloux blancs dégageant des grains de sable avec lesquels les rayons déjà chauds du soleil se mettent à danser. Filou de soleil, rien ne lui échappe. Puis, là, à côté de l’écuelle de Michka, le réveil posé, presque oublié. Il ne forme plus qu’un gros point rouge sur le sol tout sec de l’été. – Hermine ! Hermine ! Tu veux venir avec moi porter les sandwichs à papa et Baptiste ? – Non, pas envie ! C’est trop loin ! répond Hermine en faisant la moue. – Tu en es certaine ? demande Maman, – Ben ! Je n’en sais rien ! –  Décide-toi ! – Ben ! On va mettre combien de temps ? – Environ 30 minutes ! répond Maman pressée.

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– Bof ! Fait l’enfant. – Tu viens ou non ! – Ben, d’un côté oui et de l’autre, non ! – Hermine ! Décide-toi, le temps passe, tu sais ! – Il passe où ? dit l’enfant intriguée par cette drôle de réponse qu’elle entend souvent sortir de la bouche des adultes. – Oh ! Hermine ! Ce n’est pas le moment des questions et des plaisanteries, les hommes m’attendent, ils ont sans doute très faim, car ils se sont levés tôt ce matin ! J’y vais ! Hermine reste seule dans le jardin, entre ces arbres magnifiques dont les essences enveloppent sans cesse tous ses habitants. Mamie observe la petite fille du coin de l’œil et finit par s’approcher d’elle. – Hermine ! Tu as l’air de t’ennuyer ! dit Mamie. – Oui, un peu ! C’est à cause de ce réveil ! Je le déteste ! Je te le rends ! Et la prochaine fois, j’accepterai que papa me réveille lui-même ! répond Hermine d’un ton boudeur. – Ne punis pas ton réveil et encore moins toi-même ! Tu as voulu te débrouiller seule, c’est tout à ton honneur ! Les erreurs sont là pour nous apprendre Hermine ! explique Mamie. – C’est-à-dire ? questionne l’enfant. – La prochaine fois, tu remonteras et programmeras correctement ton réveil. Tu connais l’usage de toutes ses aiguilles, tu sais le rôle de chacune. Il est très, très vieux ce réveil. Je l’ai donné à ton Grand-père lorsqu’il débuta son métier de jeune reporter. Il l’a trimbalé partout dans le monde avec lui. Puis, lorsqu’il fut en retraite, le réveil se retrouva posé sur son bureau. Depuis, il n’en a jamais bougé. C’est moi qui l’ai repris pour te l’offrir. Ton papa lui a remis une couche d’émail rouge et a graissé ses rouages et autres ressorts. Mais le plus important à savoir mon enfant, c’est qu’il a appartenu à ma grand-mère qui l’a offert à ma mère, ton arrière-grand-mère, qui m’en fit cadeau lorsque j’avais à peu près ton âge. Ce vieux réveil tout rond reprend du service avec toi, Hermine, prends soin de lui, explique Mamie d’une voix douce et mystérieuse. La journée s’écoule au rythme de la chaleur, des chants de cigales, du bruit doux des vagues caressant le sable de la plage. Les femmes déjeunèrent ensemble. Plus tard, les hommes revinrent de la pêche avec des prises plein


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la tête, mais la bourriche vide. Baptiste rentra chez lui, content. Il fit un signe de la main pour saluer Hermine et s’éloigna dans le soleil au zénith. – Ah ! Que le temps passe vite ! dit Papa. Je serais bien resté plus longtemps ! Enfin ! Et pour vous ? – La matinée a filé comme l’éclair ! J’ai eu le temps de continuer quelque couture et de cuire une bonne compotée d’abricots, dit Mamie. Oh ! Moi ? Entre vous porter les sandwichs, détourner Hermine de son ennui et aider maman à l’entretien de la maison, sans compter nos bavardages et l’évocation de nos souvenirs je n’ai pas vu le temps passer ! répond Maman. – Et toi ? ma douce ! dit Papa. – Moi ? Ben, rien… Hermine semble partie dans ses pensées. Seule Mamie remarque son état. – Qu’est-ce qui semble te tracasser Hermine ? dit Mamie, seule à présent avec sa petite fille dans la cuisine. – Je me pose une question Mamie ! –  Laquelle ? – Dis-moi ! Il va où le temps qui passe ? – Ah ! Euh !… Grande et intéressante question ! Il passe ! Tiens, vas demander à tes parents, ils sont sous le vieux saule, rétorque Mamie un petit sourire aux lèvres. – Papa ! Maman ! dites ! Il va où le temps qui passe ? crie Hermine en courant. Mamie observe la scène de loin, sans intervenir… – Pourquoi cette étrange question Hermine ? dit Papa. – Étrange ? Non ! mais difficile ! dit Maman. Il va, il va… Il va partout ! C’est tout ! – Oui ! Mais où ça ? insiste Hermine. – Prends ton vieux réveil ! En deux enjambées, elle attrapa son réveil resté près de l’écuelle du vieux Michka et retourna près de ses parents. – Je vois que tu ne l’as pas remonté ni rangé à sa place ! dit Maman. – Et bien quoi mon réveil ? questionne l’enfant. – Tu connais ce qu’indiquent les aiguilles !

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– Oui, je le sais, la petite les heures et la grande les minutes, la mini c’est celle qui déclenche la sonnerie du réveil, j’ai appris tout ça à l’école ça fait longtemps ! – Bien ! dit Papa un peu embarrassé pour trouver une réponse à Hermine pouvant satisfaire sa curiosité. – Donc, tu sais qu’une journée compte 24 heures, que l’on coupe la journée en plusieurs bouts : petit déjeuner, déjeuner, goûter et dîner… Voilà où va le temps qui passe ! répond fièrement Papa pensant que sa réponse est La Réponse attendue. – Mais je sais tout ça, dit Hermine en soufflant. Cela ne me dit pas où va le temps qui passe !  – Oh ! Hermine ! Il fait chaud, nous sommes tous un peu fatigués, prends ton réveil et monte-le ! s’exclame Papa un peu agacé comme le sont beaucoup d’adultes lorsqu’ils ne savent pas répondre à une question. – Bon ! d’accord ! dit Hermine résignée à obéir à la grosse voix de Papa. Le soleil brille si haut dans le ciel, ses rayons sont si intenses, dégageant une grande chaleur, que le temps de la sieste est le bienvenu. Trop chaud et trop brûlant pour jouer dehors, seules les cigales s’en donnent à cœur joie. Hermine monte les marches de bois deux à deux, tenant le vieux réveil rouge à la main. Entrant dans sa chambre, elle dépose négligemment l’horlogerie sur la table de chevet au plateau de marbre rose. L’enfant est sur le dos, les bras et les mains soutenant sa tête, la voici glissant vers la rêverie que lui procurent les jolies fleurs du papier peint. Mais un bruit l’agace. – Oh ! lala ! tu m’énerves avec tes tic-tac ! Mamie a dû te remonter ou alors c’est en te secouant que tes ressorts bougent ! ça m’énerve mon vieux, tiens ! Voilà ta place !


Chapitre II Drôles de rencontres…

Toute la maison vit au ralenti. Les adultes glissent dans un demi-sommeil, le chien Michka se gratte de temps en temps derrière l’oreille en ronflant comme un cochon et seul le chat brave la chaleur à la recherche d’un ou deux lézards imprudemment exposés au soleil sur une pierre sèche ou un rebord de pot de fleurs. Bercée par les bruits des musiciennes de l’été, Hermine plonge dans un demi-sommeil. Quand, soudain… – Eh ! Oh ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Oh ? Y a-t-il quelqu’un ici ? Non d’un bonhomme en sucre ! – Mmmmmhhhh ! hein ? bougonne Hermine. – Eh ! qui a éteint la lumière ? Oh ? Je suis écrasé par un truc lourd et j’étouffe ! ! j’ééétttttoooouuuuffffeeeeeee !  Zut alors ! – Ce n’est pas un truc, c’est une carpette ! dit Hermine somnolente. – Une carpette ? Un tapis de lit ? Cela m’est égal Mademoiselle, je suis coincé dessous et je VOUS OOOORRRDDDOOOONNNNEEE de m’en délivrer ! – Allez ! ça va ! Tiens ! Sors ! – Que faisais-je là-dessous ? interroge le Réveil Rouge. – Ton tic-tac… gênant ! marmonne l’enfant en tournant le dos à la vieille pendule de lit. – C’est la meilleure celle-là ! Moi, un réveil ancien finir ma vie sous une carpette ? Quelle honte jeune fille ! répond le Réveil Rouge en colère. – Oh ! lala ! tu chipotes machin ! rétorque Hermine toujours endormie.

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Le Réveil Rouge se met à crier de plus belle. Dans son affolement et par colère, il essaie de donner un coup de pied sur la carpette quand il glisse sur le parquet. Soudain, il découvre son reflet sur le bois ciré. –  HHHHOOORRREUUUURR ! ! ! Horreur ! Alarme ! Alarme ! Driiiinnngg ! Drrriinnnngggg ! Driiinnnggg ! Tout agité et vibrant sur luimême. – Oh ! Mais arrête ! Tu vas alerter Mamie et mes parents ! Qu’est-ce qu’il t’arrive encore ? questionne Hermine. – Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible ! dit-il sans cesse tandis que la petite fille le remet sur ses pieds. – Qu’est qui n’est pas possible ? – Regarde ! Tu ne vois donc rien ? – Non ! Ou plutôt, si ! Tu as un drôle d’air… dit Hermine. – Un drôle d’air ? C’est comme si je retirais le nez que tu as en plein milieu du visage ! – Montre ! Waouh ! Tu as un drôle de problème ! s’exclame Hermine. – Dis jeune fille, tu n’en as pas assez de dire « drôle » à chacune de tes phrases ? Ce n’est pas drôle du tout !  – Tes aiguilles ? Où as-tu mis tes aiguilles ? interroge-t-elle. – Je n’ai rien fait avec mes aiguilles… – Elles sont peut-être restées accrochées aux poils de la carpette rose ? Il faut avouer que le coup de pied que tu lui as donné les a sans doute fait tomber, tu es tellement vieux, répond Hermine avec insolence. – Non ! répond le Réveil. Je sais qu’elles sont encore parties ! Elles se vexent facilement. – Ce n’est pas grave ! Tu feras moins de bruit maintenant ! En plus, tu fais plus jeune comme ça ! dit Hermine. – Elle est folle cette gamine ! plus jeune ? Je m’en fiche ! Mais comment vais-je marquer le temps ? Sans elles, je n’affiche plus rien sur mon cadran ! Et hop ! Viré ! Je suis viré ! Bon pour la brocante ou, au pire, pour la ferraille !  Le Vieux Réveil Rouge se met à pleurer à chaudes larmes. Il sait ce qu’il risque et l’avenir est donc facile à deviner. – Je vais t’aider à les retrouver ! dit Hermine d’une voix douce en portant le Réveil à la hauteur de sa frimousse.


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– Tu ne le pourras pas, elles m’ont déjà fait le coup ! Il y a longtemps, elles rêvaient déjà de liberté ! Ne voulaient plus du Temps ! Mais Lui, que va-t-il dire de moi ? – Lui ? Qui Lui ? demande l’enfant. – Le Temps ! Le Temps, voyons ! Hermine commence seulement à réaliser qu’elle parle à son réveil rouge sans aiguilles, en plein milieu de l’après-midi de sieste. Elle doit sans doute rêver, c’est certain. Pour s’en persuader, elle trouve une astuce : – Bon après-midi Truc qui me parle ! J’ai rêvé de toi, mais maintenant je passe à un autre rêve ! dit Hermine sûre d’elle. – Balivernes Mademoiselle ! reprend le Réveil en nettoyant sa peinture émaillée rouge pomme. – Quoi ? dit-elle. Si je ne rêve pas alors je peux te montrer à mes parents. – Ils n’y verraient rien ! dit-il. –  Pourquoi ? – Parce que les grands ne voient plus rien depuis longtemps. Et puis, j’ai besoin de toi comme tu as besoin de moi ! explique – t-il. – Si je comprends bien, tu es mon réveil offert par Mamie, tu me parles et je te réponds, renvoie ainsi l’enfant assise sur le bord de son lit le Réveil face à elle sur la table de chevet. – Je réponds à un objet qui a perdu ses aiguilles ! – Exactement ! dit-il d’un ton sec. – Je ne peux rien pour toi, horloge miniature ! Je ne suis qu’une enfant après tout ! – Ah ! tiens ! En plus, je te prie de rester polie ! Je suis un réveil ! Tu pourrais m’aider à retrouver mes aiguilles avant que le Temps ne s’en aperçoive ! Dans le cas contraire, il t’interrogera ! Car, c’est bien toi qui m’as mis sous une carpette ! – Bon ! d’accord ! ne te fâche pas ! Mais, je ne peux pas t’aider tout de suite. Tu devras attendre un peu plus tard ou demain ! – Je veux ta promesse ! demande le Réveil. – Promis ! Et maintenant, reste ici ! J’ai promis à Mamie de l’aider à faire la tarte aux pommes pour ce soir. Le soleil est encore haut dans le ciel d’une fin de journée d’été, mais la chaleur semble moins étouffante, les embruns venus de la mer semblent

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donner de la légèreté à l’atmosphère. Mamie se réjouit de faire une tarte aux pommes avec sa petite fille. Elle lui transmet la recette familiale : tarte aux pommes cannelle et noix grillées recouvertes de caramel au miel. Michka trouve le courage de traîner sa carcasse usée jusque sur le carrelage frais de la cuisine, car, on ne sait jamais, quelque pâte ou quelque morceau de sucre roux peuvent tomber par mégarde sur le sol. Surtout si c’est Hermine qui dose les ingrédients… La journée s’écoule dans la cuisine pour certains et par une promenade pour papa et maman. Une balade en amoureux où notre plongeur amateur donne quelque leçon de natation et d’apnée à sa muse de toujours. La maison vibre aux sons délicats des voix de Mamie et d’Hermine. Mais quelque chose semble encore tracasser l’enfant. – Tu veux les lui retrouver n’est-ce pas ? demande Mamie. – Lui retrouver ? Mais de quoi parles-tu ? Et de qui ? – Tu sais bien ! – Je te dirai bien, mais tu ne vas pas me croire… répond timidement Hermine. – Je t’écoute ! – C’est le Réveil que tu m’as donné ! Euh ! Il parle… ! Enfin, je crois… explique l’enfant. – Ah ? et vas-tu les lui retrouver ? questionne Mamie. – Bof ! d’abord, je ne sais pas où elles sont ni où chercher ! – Je te l’ai offert Hermine ! Tu es responsable de ce vieux Réveil, il faudrait te dépêcher, car le temps passe !  – C’est ça ! Mamie ! C’est ça ! Où va le temps qui passe ? – Ton papa t’a donné des réponses. – Oui ! mais… hésite l’enfant. – Mais tu n’es pas convaincue par la réponse de ton papa, disons qu’elle semble insuffisante pour toi ! C’est cela ? – Oui ! Car si le temps passe sur vos montres vous n’avez qu’à les arrêter quelques instants et hop ! au lieu de dire que le temps passe, vous l’arrêtez et gardez plus de temps pour ce que vous avez à faire ! mais là ! ce n’est pas pareil ! il va où le temps qui passe ! En plus, si je n’aide pas machin à retrouver ses aiguilles, il m’a dit que le Temps ne voudra plus de lui ! Et, lui aussi me dit de me dépêcher, car le temps passe !


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– Maaais oùùù çaaaa ? Il va où le temps qui passe ? s’empresse Hermine toute essoufflée. – Ah ! il passe partout ! dit Mamie comme unique réponse tournant le dos à Hermine et continuant d’éplucher ses pommes. – Mais où partout ? – À toi de trouver Hermine ! À toi de trouver ! Ce sera ta quête, ta chasse au trésor… Hermine reste très étonnée de la réponse de Mamie. D’abord, elle semble connaître le vieux Réveil et n’être pas surprise que sa petite fille dialogue avec. Ensuite, elle en dit trop ou pas assez ! Hermine est certaine que Mamie connaît la réponse à sa question, mais n’en a pas la preuve. La soirée s’approche à grands pas. Les amoureux sont rentrés, des étoiles plein les yeux. Une table champêtre est dressée sous le vieux saule sur laquelle on aperçoit un festival de saveurs et de couleurs, qu’un seul regard suffit à mettre la famille en appétit. Hermine picore comme un moineau et finit son repas par un bout de tarte juchée d’une boule de vanille glacée. Tout est calme à présent. Michka part se coucher sur la terrasse de terre cuite qui conserve la chaleur de l’astre majestueux alors que le chat est en quête d’une souris peut-être. Les chanteuses de la journée laissent leur place aux grillons musiciens tandis que Papa ferme à clé la grille du fond du jardin. Hermine, fatiguée de sa nouvelle aventure, se dirige à l’étage. Arrivée dans sa chambre, les vêtements jetés sur une chaise, toute de fleurs vêtue entre le tee-shirt et le short de nuit, elle saute dans son lit lavande, se tourne vers le Réveil et dit : – Ce n’est pas juste ! Tu ne me parles plus maintenant ! Ce n’est pas de ma faute si tes aiguilles sont parties. Après tout, tu n’avais qu’à faire attention ! C’est ce que me dit Papa lorsque je perds quelque chose ! Il dit : « tu n’avais qu’à bien ranger tes affaires ! » – Oh ! doucement jeune fille ! Je ne te reproche rien ! Ce n’est pas la première fois qu’elles partent ! J’en profitais pour faire un petit somme ! Un temps de repos ! – Ca fait longtemps que je n’ai pas pris mon temps ! le temps passe si vite, que je n’ai jamais eu le temps ! Heureusement que le Temps ne le sait pas ! Lui qui passe partout, répond le Réveil Rouge sur un ton condescendant. – S’il passe partout ! Pourquoi ne le sait-il pas que tu as dormi ? questionne l’enfant sur un ton malicieux.

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– Parce qu’il sait faire une pause… fermer les yeux quoi ! En fait, il a mieux affaire que de me surveiller !


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Puis notre Réveil Rouge entonne une chanson semblant agacer légèrement Hermine : « Il est passé par ici, il repassera par-là… » – Mais arrêêête ! Qui va me dire où va le temps qui passe ? C’est terrible à la fin ! Alors que notre Hermine s’époumone à vouloir obtenir une réponse dans les secondes qui arrivent à grands pas, une douce voix la fait changer de ton. – Humm ! humm ! Si je puis me permettre jeune fille ? Vous n’êtes qu’au début de votre aventure ! – Oh ! ça alors ! Mamie ? C’est toi ? Je jurerais… songe Hermine. – Comme cela est flatteur ! mais revenons à nos moutons Hermine ! – Non, pas à mes moutons, mais au temps qui passe ! – Euh ! tu la connais ? interroge à voix basse le Réveil. – Non ! Ou plutôt, on dirait Mamie… Enfin, peut-être… – Je suis la Maîtresse de l’École de la Vie. – J’ai déjà une maîtresse à mon école, répond l’enfant. – Oui ! euh ! parle autrement ! lui dit le Réveil discrètement en lui donnant un sympathique coup de coude. – À quoi tu sers alors ? – Du sérieux et du respect jeune fille, surtout si tu veux que je te guide un peu chaque jour de ta vie ! Pour débuter l’aventure et commencer à trouver des réponses possibles à ta Grande Question, tu dois posséder Cinq Qualités : le Respect, la Joie d’Être ce que tu es et la Curiosité, la Patience et la Persévérance. – Oh ! lala ! je suis curieuse Madame ! – C’est la qualité primordiale pour apprendre ! – Mais, vous servez à quoi ? – Je suis un guide, je vais et je viens dans ton passé, dans ton présent et dans ton avenir. Je suis toujours avec toi : ici et maintenant, le temps primordial. Je suis là pour tous tes instants, des plus difficiles aux meilleurs. Avec moi, sans t’en rendre compte, tu apprends chaque jour. Je suis… tes expériences et tes choix, répond la Maîtresse de l’École de la Vie d’une voix douce et rassurante. – Mes expériences ? – Oui ! tes expériences. Qu’as-tu fait il y a trois jours comme activité ? interroge la belle dame.

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