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Camille Le Borloch

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Š Camille Le Borloch, 2014.


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Tome I L’urgence qui m’a poussé à offrir mon ADN à ma femme


Partie I « Massina, je suis un homme, pas une colombe… »


– Alors, chéri, tu as trouvé le trajet le plus simple ? – Oui, mais ça ne va pas te plaire… – Pourquoi ? Quelque chose ne va pas ? – DNAdvisor conseille de suivre le fleuve. – Oh non ! Pas encore… Il n’y a pas de trajet à vol d’oiseau ? Erseil frotta l’extrémité de son pouce gauche sur celle du majeur, et l’écran devant lui passa d’une carte représentant un long fleuve à une autre englobant toute une région : – DNAdvisor déconseille la voie aérienne : les perturbations météorologiques de ces jours-ci ne sont pas encore tout à fait maîtrisées par la WSA. – Quelle bande d’incapables ! Tous les mêmes ! La Weather Setting Agency assumait la lourde tâche de corriger les dérèglements climatiques et de contenir la puissance de phénomènes naturels tels que les tsunamis, ouragans et autres catastrophes…

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Assurément, elle n’avait que peu de temps à consacrer aux giboulées de Mars. Neissa capitula : – Très bien, on passera par le fleuve. Je peux choisir ? Erseil haussa des épaules : – Bien sûr, ma koï argentée… Neissa ne savait si Erseil employait ce vieux surnom par pure affection, ou pour placer un trait d’humour assez mal venu dans la situation : – Tu ne crois pas si bien dire… On y va. Erseil sourcillait, lui emboîtant le pas : de quoi voulait-elle parler ? – Bien, nous y serons dans cinq minutes. Ils sortirent de la tour d’habitation en direction de la rive, et Erseil jeta un regard aux hauteurs du bâtiment : les derniers étages visibles se perdaient dans les nuages. Parfois, il enviait ceux qui y vivaient. Ils avaient une bonne raison d’emprunter la voie aérienne quotidiennement, au moins… – Bien, puisque je choisis, synchronise-toi sur mon DNAdapter. Erseil se massa le poignet droit et acquiesça. Neissa lui prit la main, et ils plongèrent alors qu’elle appuyait sur la veine de son poignet droit. Aussitôt qu’ils eurent touché l’eau, ils disparurent.

L’eau remua en deux points légèrement éloignés : Tout va bien, mon amour ? C’est un peu froid pour un poisson asiatique, mais ça ira. Suis-moi, maintenant, nos amis nous attendent ! Deux carpes koï argentées nageaient côte à côte, se laissant porter par le courant. Elles évoluèrent paisiblement jusqu’au premier affluent, que la carpe de gauche emprunta en se propulsant avec toute la force de sa nageoire caudale : C’est par ici, ma koï argentée… L’autre semblait éprouver des difficultés à la rejoindre : Le courant est fort… J’ai du mal à lutter… La carpe engagée dans l’affluent prit un bâton dans sa gueule et le tendit à l’autre : Attrape ça, je vais t’aider… L’autre réussit à saisir le bâton entre ses mâchoires et à le serrer suffisamment fort : Tiens bien et sers-toi de ta caudale… La carpe se retourna, gardant le bâton sur le côté de sa gueule, et força comme elle put. Sa compagne de route battit frénétiquement de la caudale et parvint à rejoindre l’affluent :

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Bravo, tu peux lâcher : le courant va nous mener dans la bonne direction. Franchement, je préfère la voie aérienne, c’est moins dangereux… Si je n’étais pas claustrophobe, nous pourrions emprunter les tunnels d’accès… Ce n’est pas ta faute, chéri… Allons-y.

Alors qu’elles poursuivaient vers la mer, un ptérodactyle blanc traversa les nuages : Bonjour, monsieur l’agent ! Agent Treissner, de la WSA, à votre service. Une perturbation majeure à craindre dans le secteur, Agent Treissner ? On signale simplement un gros grain. Le ptérodactyle se laissait glisser sur les courants ascendants : Je surveille les couloirs aériens pour prévenir les voyageurs qui ont choisi un moyen de génétomotion insuffisamment puissant. Mes collègues se chargent de contenir le phénomène jusqu’à ce que les couloirs soient évacués. Vous faites un travail formidable, excellente journée ! Le ptérodactyle battit de ses puissantes ailes pour s’éloigner des carpes. Et tu disais que ce sont tous des fainéants, hein ? Oh, ça va, ça va…

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Elles continuèrent de suivre le cours de l’affluent, et après deux heures de nage intensive, la carpe en tête se rapprocha de la rive Est. L’autre la suivit et se frotta le ventre de sa nageoire latérale droite. Le couple aquatique gagna en volume, leurs nageoires latérales se divisèrent en doigts et s’allongèrent, alors que leurs caudales se séparaient en deux jusqu’à former des jambes, puis des pieds… – Tu te sens bien, Neissa ? – Oui, ça peut aller… Nager est toujours aussi fatigant… Erseil se hissa sur la terre ferme et prit la main de Neissa pour l’aider à le rejoindre. Comme leurs corps nus commençaient à sécher au Soleil, des vêtements semblables à ceux qu’ils portaient avant de plonger se dessinèrent sur eux. – Nous ne devons plus être très loin, maintenant. – Ils habitent assez loin du fleuve, tu sais ? Erseil confirma d’un signe de tête : oh oui, il le savait. Mais il avait préparé un plan : – Synchronise-toi sur moi, tu ne vas pas être déçue… Neissa effectua une friction sur son poignet droit, confiante, et Erseil se toucha la veine. Ils tombèrent

à genoux comme s’ils avaient perdu l’équilibre, et leurs habits s’effritèrent, devenant des duvets dont la teinte s’unifia pour virer au blond et se parer de taches noires. Une excroissance se forma au niveau de leurs bassins, s’allongeant pour devenir une queue, et leurs boites crâniennes se déformèrent pour devenir plus primitives, des moustaches et une dentition féroce leur poussant de concert. Des guépards ?! Parmi les créatures terrestres les plus rapides du règne animal… Allez, suis-moi ! Erseil démarra en trombe : cette sensation de vitesse, l’air glissant sur son pelage, cette puissance dans ses jambes et ses bras qui se libérait brutalement… Cela le grisait. Neissa ne faisait pas vraiment partie des adeptes de la rapidité extrême, mais elle devait bien s’avouer que sous cette forme, c’était bien agréable. Pourquoi n’as-tu pas dit que tu avais programmé un guépard sur ton DNAdapter ? Erseil vira à gauche : C’était une surprise ! Tu voudras en profiter plus souvent ?

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Neissa ne répondit pas : c’était plutôt une question rhétorique qu’une vraie interrogation. On arrivera dans quelques minutes. Dommage… Erseil sourit intérieurement, limité par son faciès de félin : Tu y prends goût, je savais que ça te plairait ! Neissa grogna de contentement sous la brise qui agitait son pelage : Toujours mieux que nager… Je te le fais pas dire ! 18

Alors qu’ils atteignaient la périphérie, un faucon pèlerin pourvu d’une bague lumineuse clignotant entre le rouge et le bleu surgit de derrière eux : Agent Shaildan, DNAgency, réduisez votre vitesse, vous approchez une zone fréquentée. Entendu, monsieur l’agent ! Nous allons ralentir ! Le couple de guépards s’assagit, manquant de peu un groupe d’antilopes venu de droite. L’une des antilopes s’emmêla les pattes arrière deux mètres plus loin, et les autres tentèrent de l’aider : Ah, ces bandes de jeunes, ça fait les fiers parce qu’ils ont une génétomotion rapide, mais ils ne sont même pas capables de la maîtriser ! Je reconnais la maison là-haut ! C’est celle de nos amis !

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Le guépard mâle frotta son antérieure gauche contre celle de droite, appuyant sur sa veine du même coup : Oui, tout à fait… Préparons-nous… Une membrane rattacha ses antérieures à ses flancs, se couvrant de plumes vierges, et les doigts sur les membres postérieurs s’allongèrent en se décharnant. Les griffes devinrent de plus en plus effilées, la queue s’étala et imita le plumage sur les membranes. La gueule pointa et durcit pour devenir un bec légèrement rosé. Tu es prête à décoller ? Une colombe blanche détendait ses longues ailes : Je n’attendais que ça, mon chéri ! Les volatiles pacifiques s’envolèrent pour atteindre la demeure placée dans les hauteurs. Un autre couple de la même espèce les accueillit, roucoulant vivement : Ah, Neissa et Erseil ! Nous sommes si heureux de vous revoir ! Neissa s’avança pour donner un coup de bec à la femelle devant eux : Bonsoir, Massina, j’espère que vous ne nous avez pas trop attendus… La colombe femelle claqua de la langue :

En fait, vous êtes plutôt en avance… Vous êtes venus par la voie aérienne ? Non, la WSA annonçait une grosse pluie, on a pris le fleuve. Comment êtes-vous arrivés aussi vite, alors ? Ne les accable pas de questions, ma colombe… Le mâle posa son aile sur le dos de sa compagne : Laisse-leur le temps de se restaurer, je suis sûr qu’ils nous raconteront leur voyage ! Tu as raison, Dreisil… Venez au salon, heureusement que nous avons préparé l’apéritif en premier ! L’apéritif était en fait composé de granulés colorés dans des bols. Condensés de protéines, vitamines et autres compléments alimentaires indispensables, ces granules avaient le goût de fruits, de légumes ou tout autre aliment au choix. Ces pommes sont excellentes, Massina… Neissa picorait poliment dans le bol de granulés aux fruits. Les deux mâles trinquaient en buvant un substitut de bière dans de grands abreuvoirs accrochés à la table. Il s’agissait là aussi de liquides nutritifs ayant le goût à la convenance du consommateur : Dreisil

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avait choisi de partager le mode de vie très particulier de son épouse, qui consistait à agir comme des colombes et rester avant tout des colombes la majeure partie du temps… Mais allons, ce n’était pas une raison pour se passer définitivement de la saveur subtile d’une rousse bien mousseuse ! Massina reprit son interrogatoire : Alors, dites-moi, comment avez-vous fait pour nager aussi vite ? En fait, Erseil a eu l’idée ingénieuse d’intégrer le guépard à son DNAdpater. Il m’en a fait la surprise… Un guépard ? Toujours aussi maboul de vitesse, Erseil !

Massina tourna le regard vers son mari : Ne t’avise pas d’aller jouer les guépards sur la route, hein ? Oui, ma colombe… Je sais que tu t’inquiètes pour moi quand je vais trop vite à terre… Dreisil aurait bien aimé disputer une course avec Erseil, en réalité… Tellement de choses de la vie terrestre lui manquaient… Ou plutôt de la vie humaine… Massina l’avait même convaincu d’aller faire les courses à ce supermarché spécialisé dans la distribution de nourriture ressemblant à celle des oiseaux, et depuis qu’il avait cédé, il ne devait plus fréquenter d’autres magasins… Les clients devaient venir sous la même forme d’oiseau à chaque visite, et même les caissiers avaient une « tenue » de travail réglementaire : l’aigle chauve d’Amérique.

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