Jacky Lebrun
Elles ĂŠtaient une fois...
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Elles ĂŠtaient une fois
Jacky Lebrun
Elles ĂŠtaient une fois
À mon épouse Françoise et mes filles Nadège et Samantha mon féminin pluriel
Le cœur indigo « Dans l’esprit traditionnel béninois, l’indigo, extrait d’une liane locale, est symbole d’éternité. » Cette photo m’a sauté au regard dès que j’ai ouvert le coffre à souvenirs. Elle était au-dessus du tas, comme pour s’imposer à moi. Je regarde maintenant la fillette qu’elle représente, elle est songeuse. Quelles étaient ses pensées à cet instant ? Je le sais très bien puisque cette enfant, c’est moi à onze ans. Près de soixante années se sont écoulées depuis. Plus d’un demi-siècle sans que je ne revoie cette image, mais je n’ai jamais oublié cet instant où j’attendais ma mère. Oui, je l’attendais au portail du cloître où elle était entrée dans les ordres, peu après ma naissance, pour me nier. Elle ne me désirait pas, je l’appris par la suite lorsqu’un jour je demandai à mon père : « Comment ça se fait que je n’aie pas de maman ? » Il a bien fallu qu’il m’explique alors. Papa et maman s’étaient mariés par obligation. Ça avait été un drame pour elle, le bouleversement de tous ses projets. Très croyante, elle voulait se consacrer totalement à la religion, mais séduite par mon père, elle avait fauté et dû se marier pour me mettre au monde dans la légalité. Mais lorsque j’eus trois mois, elle décida de tout plaquer, de se retirer au couvent sans explications, laissant papa s’occuper seul de moi. Cependant, elle garda un contact épistolaire avec lui ce qui permit à papa d’insuffler dans l’esprit malade de sa femme le désir de revenir
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à la vie laïque. La patience de papa fut récompensée le jour de mes onze ans. Ce jour-là, lui et moi l’attendions à l’orée du parc grandiose où la mère supérieure nous avait accueillis. À l’évocation de cet instant, des larmes remplirent les rides de mes joues sous l’effet d’une joie rétrospective.
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Je ne connaissais alors ma mère que par quelques photos prises avant qu’elle n’entre au couvent, elle devait avoir bien vieilli depuis. Enfin, elle arriva. Elle était très belle. Je lui sautai au cou pour l’embrasser fougueusement, mais je la sentais un peu réticente, je compris pourquoi un peu plus tard. Elle n’était pas encore tout à fait prête à m’admettre comme sa fille. Peu importe, moi j’avais une maman comme tout un chacun. Un malheureux et stupide accident me reprit maman trois ans plus tard. Dieu qu’elle avait servi s’était montré bien ingrat. L’aurait-il punie de sa faute ? Pour moi, cette nouvelle preuve de l’intolérance du divin me conforta dans mon athéisme. Une longue vie, faite de tout et de rien, de joies et de tristesses, de dur travail et de repos mérité m’a ensuite emportée dans la course du temps. Maintenant, je suis arrière-grand-mère, aïeule d’une longue lignée d’arrière-petits-fils et petites-filles dont la dernière a aujourd’hui onze ans. Coïncidence ? Peut-être pas. Qu’est-ce qui m’a poussée à ouvrir ce coffre qui dormait dans la poussière du grenier depuis de si longues années ? J’ai le bonheur d’avoir encore mon mari auprès de moi et dans quelques semaines, nous allons fêter nos noces de diamant. Cinquante ans de mariage que nous célébrerons comme de vraies noces, à la mairie, civilement car je n’ai pas la foi de ma mère. Et c’est précisément Josepha, ma dernière arrière-petite-fille de onze ans qui nous apportera les alliances. En pensant à elle, je mesure le chemin parcouru à la fois lentement dans les moments tristes, mais qui au final fut très rapide, trop certainement.
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Je glisse la photo dans ma poche. Je referme la malle. Je me lève lentement. Mes vieux os craquent sous l’effort. Des douleurs me parcourent les membres. En descendant péniblement l’escalier, j’éprouve un curieux sentiment. J’ai l’impression que je n’ai pas accompli la tâche pour laquelle je suis venue ici, sans toutefois me souvenir de ce quelle était. C’est désagréable ces pertes de mémoire, d’autant que ce n’est pas la première fois que cela m’arrive. Je ne suis tout de même pas montée dans le grenier juste pour regarder une photo ! Je devais y faire autre chose, mais quoi ? Ça me reviendra certainement, me dis-je en essayant de ne plus y penser. Me voici dans le salon. Sa tapisserie mauve me rassure, j’y retrouve mon univers familier. Je m’y revois petite fille, lorsque je lisais le soir, penchée sur la table de la salle à manger. Papa était enfoui dans son fauteuil de cuir, agrippé à son journal. On s’accordait à peine une heure avant d’aller se coucher pour être en forme le lendemain, moi pour l’école, lui pour son épicerie. La pièce était plongée dans la pénombre, à peine éclairée par une lampe à demi cachée sous un abat-jour de dentelle écrue. Les murs étaient roses à l’époque ; je ne me souviens plus quand on les a changés, pourtant à y regarder de plus près aujourd’hui, le papier peint semble d’origine, mais tirant sur le bleu. Vers neuf heures, papa se levait et disait comme tous les soirs : « Allons, le marchand de sable est passé, c’est l’heure de fermer nos yeux. » Papa nous a quittés il y a à peine dix ans. C’était un vieux gaillard qui ne s’était jamais remarié. Je le lui avais pourtant conseillé, mais il n’a jamais voulu trahir la mémoire de maman. « J’ai attendu onze ans avant qu’elle ne sorte du couvent, ce n’est pas pour l’oublier maintenant dans les bras d’une autre. » Me répondait-il chaque fois que j’abordais le sujet ? Sa fidélité à ce souvenir forçait mon admiration, bien que j’eusse quand même aimé avoir une belle-mère, à défaut d’une vraie mère.
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Maintenant, il faut songer aux préparatifs des noces. Il ne me reste que… allons bon, je ne me souviens plus de la date. Pourtant, c’est dans quelques jours, j’en suis sûre, la semaine prochaine peutêtre. C’est simple, c’est le jour anniversaire de notre vrai mariage, c’était un dix-huit septembre, je crois. Je consulte le calendrier pour constater que j’y avais en réalité noté le vingt-trois, c’est dans un peu plus de deux semaines. Ancienne couturière, je me devais de faire moi-même ma robe et celle de mes petites-filles. J’empoigne le coffret de couture et en extrais une petite robe bleue. Il ne me reste plus que le col à coudre et elle sera terminée. Calée dans mon fauteuil, armée de mon attirail, je m’applique à parfaire le vêtement lorsque Josepha pénètre dans le salon. « Bonjour mamy Jannou. C’est pour moi cette jolie robe verte que tu fais ?» Verte ! Elle la voit verte cette robe, m’exclamè-je mentalement, alors que moi je la vois bleue. « Voyons ma chérie, cette robe est bleue.» Josepha me regarde d’un drôle d’air. Elle s’approche de moi, met son visage à cinq centimètres du mien et me jauge, plongeant ses grands yeux bleus dans les miens. « Tu vieillis mamy. Tu ne vois plus très clair on dirait. Ou alors tu es daltonienne. Regarde la nappe de la table, elle, elle est bleue. Ça n’a rien à voir avec la couleur de cette robe. Mets-la à côté, tu verras. » En effet, il y a bien une différence, mais je persiste à la voir bleue, cette robe. Peut-être bleu-vert, soit ! J’admets que mes yeux n’ont plus leur acuité d’il y a vingt ans. Josepha s’est lovée contre ma hanche, elle regarde mes mains s’affairer sur l’ouvrage. « Tu couds bien, je trouve. Tu étais une grande couturière, n’est-ce pas ? – Je crois qu’on appréciait mes talents. Tu sais, j’ai travaillé pour un grand magasin de prêt-à-porter, à Paris. C’était chez… chez…
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Flûte, je ne me souviens plus du nom de ce magasin. C’est malheureux de perdre la mémoire ainsi. – C’est pas grave, mamy, ça va te revenir. Rien n’est vraiment perdu, tu vas le retrouver le nom du magasin, j’en suis sûre. Allez, je te laisse, je vais goûter. » La gamine file comme un tourbillon de feuilles mortes vers la cuisine. Onze ans, elle a onze ans ! L’âge que j’avais sur la photo. Je la ressors de ma poche et la contemple de nouveau à travers la buée de mes yeux. Il y a une certaine ressemblance entre la fillette que j’étais et Josepha. Heureusement, elle, elle a une mère qui l’adore et ne la quitterait pour rien au monde. Il faut dire que j’ai insufflé dans la famille une pensée anticléricale assez marquée. Je n’aurais surtout pas admis qu’une de mes filles et petites-filles ne renouvelle l’aventure de ma mère. Mes mains deviennent douloureuses, je ne peux plus continuer mon ouvrage. Je ne suis plus bonne à grand-chose… Non ! Non ! Surtout ne pas me lamenter sur ma condition. Je suis vieille, c’est dans l’ordre des choses. Ma vie est derrière moi, devant, il n’y a plus beaucoup de grain à moudre. Il faut céder la place aux enfants. Des enfants, j’en ai eu deux, un garçon et une fille. À mon premier accouchement, le garçon m’a fait quelques difficultés. La péridurale n’existait pas alors. Je m’étais juré de ne plus jamais avoir d’autres enfants après cette épreuve, mais le désir de maternité fut le plus fort et trois ans après est arrivée la fille. Le choix du roi, disait-on. J’étais comblée. J’élevais mes enfants selon les règles que je m’étais fixées : depuis la disparition de ma propre mère, j’avais décidé de bannir toute religion de ma vie. Ce furent alors les vingt premières années de ma vie de femme. Certainement les plus belles. Un voile bleuté brouille mon regard. Pourquoi la nostalgie est-elle toujours triste ? À vrai dire, ce n’est pas de la tristesse. La joie des bons moments passés coule de mes yeux dans des larmes qui réchauffent mes joues. D’un revers de la main tremblante, j’essuie mes paupières. Il ne faudrait pas que mes petits-enfants me voient pleurer à la veille
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de mes noces. Une onde de bonheur m’envahit à la pensée de mon prochain mariage. Il me faut absolument terminer cette robe. Je me mets à l’ouvrage. Le tissu bleu est étalé sur mes genoux, je le coupe, en rapproche les bords et le couds à petits points. Je regarde autour de moi. Cette maison me semble nouvelle. Je ne me souviens plus quand j’y suis rentrée pour la première fois. Les murs bleus me semblent familiers. Mais oui, j’y suis ! J’ai emménagé juste après la naissance de ma première petite-fille, Lucie. J’étais une grand-mère comblée, qui le fut encore plus quand arrivèrent les trois autres petits.
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Alors que j’ai presque terminé la robe, un homme pénètre dans le salon. « Bonjour monsieur, dis-je courtoisement au nouvel arrivant en tentant de me lever péniblement. – Voyons, Jeanne, vous ne me reconnaissez pas ? Je suis votre gendre, le mari de Sylvie, votre fille. C’est vrai que j’ai un peu changé depuis que j’ai rasé ma barbe. C’est drôle comme beaucoup de gens ne le remarquent pas, mais trouvent une modification indéfinissable dans mon visage. Bon, alors, ça se prépare ce mariage ? » Je fouille dans mes souvenirs à la recherche du nom de mon gendre. Je crois que c’est André. Je risque : « Ah ! Oui, André, excusez-moi, j’étais distraite. Oui, oui, les préparatifs vont bon train, j’ai terminé la robe de Josepha. Je vais attaquer la mienne. Elle sera bleue, je veux que tout le monde soit en bleu, c’est la couleur de mon enfance. Tenez, regardez, dis-je en extirpant la photo de ma poche, c’est moi quand j’avais onze ans. Voyez là comme j’avais une jolie robe bleue. – Certes, elle était peut-être bleue, mais là, on ne le voit pas très bien, vu que la photo est en noir et blanc. Ça ne fait rien, Jeanne, vous êtes une belle-mère adorable. On va vous quitter, on a de la route à faire. On se revoit pour le mariage. Je vais dire au revoir à Fabrice et Lucie. »
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« Qui est Lucie ? interrogé-je, inquiète d’entendre ce nom nouveau. – Lucie ? Vous ne connaissez pas de Lucie ? Vous me faites marcher, Jeanne ! Lucie, c’est ma fille, votre petite-fille, la maman de Josepha. C’est vrai que vous avez une famille à rallonge. Être l’arrière-grand-mère de neuf arrières-petits-enfants, c’est quelque chose de peu courant. » André appuie ses mains sur l’accoudoir de mon fauteuil et se penche sur moi pour m’embrasser. Je respire l’odeur de son eau de toilette, j’imagine un flacon rempli de liquide bleuté. C’est bon. – Au revoir, André, à la semaine prochaine. – Non, le mariage, c’est dans quinze jours, on ne se reverra pas avant. Prenez bien soin de vous en attendant. » Les quinze jours se sont passés sans que je n’y prenne garde. Je ne sais pas ce que j’ai fait pendant cette période. Il y a comme un trou dans le cours du temps. À vrai dire, ma tête s’embrouille un peu. J’ai du mal à reconstituer ma vie à partir de bribes de souvenirs de ces dernières années. Je suis face à un puzzle auquel il manquerait plus de la moitié des pièces. Mais ça ne m’inquiète pas outre mesure. Ça ne me paraît pas important, un bien-être envahit mon corps quand j’essaye de me raccrocher au passé. Mes douleurs semblent disparaître, j’ai l’impression de flotter dans l’azur. Et surtout, la perspective de mon prochain mariage me redonne du baume au cœur. Je n’arrive pas à imaginer que je vais me marier. Une nouvelle vie m’attend, nous nous achèterons une maison, j’aurai des enfants. Il faut que j’invite papa, je crois que je ne l’ai pas encore fait. Il y aura de nombreux invités. Ça sera un mariage bleu. Tout sera bleu, même ma robe à longue traîne. Ça va être une sacrée surprise pour mon fiancé. En attendant le grand jour, je dois superviser les préparatifs. Heureusement que beaucoup de gens me donnent un coup de main. Je ne connais pas tous ces gens, mais ils sont très gentils, très prévenants. Ils m’appellent tous « mamy ». Je ne comprends pas et ça me
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choque un peu, pensez, moi, une jeune fille. Mais peut-être est-ce là une marque d’affection.
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« Mamy Jannou ! » Une petite fille vient d’entrer dans la pièce. Qu’elle est mignonne ! « Bonjour ma petite, réponds-je alors qu’elle se précipite pour m’embrasser. Tu es invitée à mon mariage ? – Bien sûr, mamy, quand même ! Je ne voudrais rater ça pour rien au monde. On va bien s’amuser, tu crois que tu pourras danser ? – Oh, que oui ! J’ouvrirai le bal avec mon fiancé. Et je te le prêterai si tu veux, dis-je d’un ton coquin, tu verras, il est beau comme un dieu. – Eh ! Je le connais, papy. C’est vrai qu’il est beau, mais je ne sais pas si je danserai avec lui, il a du mal à marcher avec sa canne. À mon avis, il faudra que tu trouves quelqu’un d’autre pour ton bal. Papy, il ne tiendra pas le choc. – Mais qui es-tu, toi, pour croire connaître ainsi mon futur mari ? – Mais mamy, je suis Josepha, ton arrière-petite-fille. – Mon arrière-petite-fille ? » Un tourbillon d’images envahit mon cerveau. Comment puis-je avoir une arrière-petite-fille à mon âge ! J’ai eu vingt-deux ans il y a trois mois. J’ai beaucoup de mal à réfléchir, je ne me rends pas bien compte ce que c’est qu’avoir vingt-deux ans. Est-ce vieux ? Est-ce jeune ? Je ne sais pas. Je me dirige vers le miroir du salon, c’est un grand rectangle où ondulent des moires bleutées. Un vague reflet me renvoie l’image d’une femme inconnue. Je me touche le visage, le reflet fait de même. Je me retourne. La jeune fille est toujours là, elle m’observe avec une curiosité inquiète. Son visage me dit quelque chose. Instinctivement, je plonge la main dans ma poche et en extirpe un petit carton, c’est une photo de moi quand j’avais l’âge de cette gamine. Je regarde tour à tour ma photo et la fillette. On dirait que je lui ressemble. Étrange ! Je lui demande : « Qui es-tu, ma petite ?
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– Mais enfin, mamy, secoue-toi. Essaye de me reconnaître, je suis Josepha, Jo-se-pha ! » Et la gamine se met à crier : « Maman, papa ! Venez vite. Mamy Jannou ne va pas bien, pas bien du tout. Elle ne me reconnaît plus. » Un couple d’inconnus pénètre dans la pièce. L’homme dit : « Tu sais, Josepha, ta mamy est très vieille, elle n’a plus toute sa tête. Elle ne reconnaît plus personne. » Les paroles sont lointaines. Elles résonnent dans ma tête, j’ai du mal à en comprendre le sens. Les gens continuent de parler, leurs paroles me font l’effet d’une cascade cristalline. « Maman, papa ! Regardez la photo que tient mamy. C’est moi, non ? » La femme m’arrache la photo des mains. « En effet, c’est toi. Tu étais dans le parc de l’hôpital où mamy Jannou s’était fait opérer de la cataracte, l’année dernière. L’opération avait très bien réussi, mais on ne s’attendait pas à ce qu’elle perde la tête un an après ! Pauvre grand-mère. J’espère au moins qu’elle ne souffre pas. » Je ne comprends pas grand-chose à ce qu’ils racontent. Mais en effet, je ne souffre pas. Je vis dans un espace bleu, paisible qui m’apporte une sérénité que rien ne peut entacher. Le monde m’indiffère, les gens me côtoient sans me gêner, ils parlent, mais je ne saisis pas ce qu’ils disent. Je suis heureuse dans ce monde indigo ; je crois bien qu’il me reste un long chemin à parcourir dans cet univers avant de retrouver ma mère que Dieu m’a enlevée trop tôt. C’est cela, je dois retrouver ma mère, elle doit être dans le grenier, enfermée dans une malle. C’est là où je dois me rendre. Allons !
Nuit de cauchemar Accoudée à la rambarde de son balcon, Évelyne scrutait le bar en contre-bas. Depuis plus de dix minutes, ses yeux suivaient machinalement le va-et-vient de la serveuse, espérant surtout le voir arriver d’un moment à l’autre. Espérant ou craignant, elle ne savait pas trop. Il était parti il y a trois jours, sans un mot d’explication, juste un : « Je serai de retour mercredi. » Pourquoi cette absence inexpliquée ? Bien sûr, ils s’étaient disputés juste avant, mais quand on part sur un coup de tête, on ne prévoit pas le jour de son retour. Non, son voyage était programmé, mais pourquoi n’avait-il rien dit, à cause de leur dispute peut-être ? Il aura voulu la punir en ne donnant pas d’explications. Elle échafaudait maintenant une hypothèse : « Il doit avoir une liaison ! » Elle était perdue dans ses pensées quand soudain une voiture noire s’arrêta brutalement devant le bar. Deux individus cagoulés et armés en sortirent et s’engouffrèrent dans l’établissement. La terrasse était vide. Évelyne, sidérée, s’attendait à des cris de la serveuse qui était à l’intérieur, mais rien ! Tout se passa en silence. À peine deux minutes plus tard, les deux individus ressortirent et la voiture démarra en trombe pour disparaître sur la gauche au carrefour proche. Cela se passa si vite qu’Évelyne resta figée, incapable de réagir. Le patron du bistrot sortit en hurlant « Au voleur, au voleur ! » C’était peine perdue, la rue était vide. Évelyne prit soudainement conscience d’avoir été le seul témoin de l’évènement. L’inquiétude l’envahit.
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