David Cressin
Frères du logos tome 1 : Le livre oublié
Frères du Logos
Š David Cressin, 2014.
David Cressin
Frères du Logos Tome I. Le livre oublié
Prologue « Notre monde va cesser d’exister, c’est bientôt la fin ! Inlassablement je ne peux m’empêcher de ressasser ses mots dans ma tête, encore et encore. Je suis là, assis au beau milieu d’un des endroits les plus fréquentés de la ville. Tout est si étonnement calme. La neige vient de faire son apparition, les passants marchent calmement au beau milieu de leurs vies paisibles qui vont bientôt basculer. Les pauvres, s’ils savaient… Les rues sont illuminées de guirlandes, de confettis, les vitrines ont revêtu leurs plus beaux habits, les enfants jouent devant l’immense sapin qui se dresse tel un dernier rempart à la mélancolie et la tristesse. Le vendeur de châtaignes ne désemplit pas, les sucres d’orge et les bonbons donnent à l’air une odeur si agréable, si enivrante. Et pourtant, mon regard reste dans le vide, mes yeux fixent le néant dans lequel nous allons tous basculer. Les pauvres, s’ils savaient… J’aurais pu empêcher tout ça, j’aurais dû ! Mais je n’ai pas su trouver la force. Cette force qui permet de sublimer son destin, de le contrôler, de le dépasser même. Cette force qui fait que l’on est spécial, que l’on est quelqu’un d’autre. Cette force qui fait surgir cet être caché au plus profond de nous, dont on n’avait jamais soupçonné l’existence. Cette force qui change un pauvre mortel en demi-dieu, cette force qui fait que tout est possible, que tout peut changer.
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Mais je n’ai pas réussi. Nous allons basculer dans le chaos parce que j’ai été trop faible. Les ténèbres éternelles vont envahir ce monde parce que j’ai failli. Mon Dieu, mais qu’ai-je fait ? Les pauvres, s’ils savaient… »
1 Fantaisies en son et lumière Montréal 13 mars 1989 « Dix heures de travail et de contractions, ça commence à faire vraiment long », se dit Maya. « Il est temps que tout cela s’arrête et que je puisse enfin tenir dans mes bras mes deux amours. » Malgré la présence bienveillante et rassurante de William, elle commençait à faiblir. Ce n’était pas le genre d’épreuve physique et psychologique dont elle avait l’habitude. Cette mince jeune femme semblait si frêle, si fragile, si insignifiante. Pourtant, ses longs cheveux blonds, sa peau d’une pâleur extrême et le vert océan de son regard profond donnaient à sa présence quelque chose de surnaturel. Même au milieu d’une foule immense, on ne pouvait que la remarquer. La salle d’accouchement de l’hôpital St Luc en revanche, était baignée d’une étrange lueur du soleil couchant qui teintait de rouge sang les salles de travail pour leur donner un aspect vraiment inquiétant, lourd et menaçant. Malgré la sueur et la souffrance, elle gardait son charme rafraîchissant qu’elle savait utiliser dans le cabinet d’architecture où elle venait d’être embauchée il y a à peine un an. Les clients se rappelaient
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toujours d’elle, de sa finesse et de son intelligence. Une belle carrière l’attendait surement. Une nouvelle contraction l’étreignit. « Allez, tiens le coup Maya ! Elles sont de plus en plus rapprochées, on arrive au bout », dit William. Il voyait bien que Maya commençait à accuser le coup, mais il se rassurait en pensant que l’accouchement ne tarderait plus maintenant. Cependant, il n’arrivait pas à s’enlever de la tête ce mauvais pressentiment qui ne le quittait plus depuis ce matin. « On va surmonter cette épreuve ensemble, comme toutes les autres », continua-t-il. « Sacré bout de femme. Elle s’en sort drôlement bien pour l’instant. Même sans lui, elle gère à merveille et ne montre rien, chapeau ! » pensa-t-il. Malgré la fatigue, William Besse avait toujours son allure élégante de quadragénaire brun grisonnant et sa voix grave, rassurante et chaleureuse. Son visage mince aux contours harmonieux ne trahissait aucun signe d’inquiétude, il fixait la jeune femme de son regard bleu azur pénétrant, en guettant chaque changement d’attitude. Le subtil sourire, qui dessinait harmonieusement ses rides d’expression, donnait beaucoup de force à la future maman. Il avait toujours considéré Maya Leblanc comme la fille qu’il n’avait jamais eue. Il la connaissait depuis 18 ans déjà. Le temps n’avait jamais effacé leur première rencontre. Ce jour-là, Maya fêtait ses six ans et William, un ami de la famille, avait été invité. Cela faisait des années qu’il n’avait pas eu l’occasion de passer du temps avec les Leblanc et l’occasion de découvrir leur nouvelle maison lui réchauffait le cœur. La famille de Maya venait d’emménager à Montréal depuis peu et n’étant plus séparée par des milliers de kilomètres avec la famille Besse, tout le monde allait à nouveau se voir plus régulièrement. Il tomba rapidement sous le charme malicieux de la petite fille comme le père qu’il aurait pu être. Elle lui permettait d’oublier ses soucis quotidiens, car à l’époque, William avait 26 ans
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et sa vie familiale était tellement désastreuse que son métier était devenu sa seule raison d’être. L’arrivée de Maya dans son entourage était une bonne façon de rétablir l’équilibre. Après une nouvelle contraction, la sage-femme pria William de les laisser quelques instants, elle examina la future maman, puis décida que l’heure était venue de se préparer à l’accouchement. Quelques minutes plus tard, toute l’équipe médicale était sur le pied de guerre pour accueillir les jumeaux. Chaque contraction lui donnait l’impression d’être prise dans un étau qui serrait de plus en plus fort. Malgré la fatigue physique et la douleur, elle sentait en elle la présence apaisante d’Apodis qui la rassurait un peu. Mais quelque chose clochait ! L’ambiance s’alourdissait de plus en plus, le temps avait l’air de changer, les gens semblaient de plus en plus tendus, mais tout cela restait indéfinissable. Les contractions, encore plus fortes et rapprochées, la rappelaient régulièrement à la réalité de son accouchement qui allait commencer. « Mais pourquoi diable Lisa n’est-elle toujours pas là ? s’inquiéta Maya. – Elle est en route, répondit William. Elle ne devrait plus tarder maintenant. » Maya ressentait de plus en plus le besoin que sa meilleure amie soit là. Chaque effort, chaque profonde respiration, chaque minute s’étiraient indéfiniment dans le temps. Toute l’équipe était concentrée sur chacune de leur tâche et tout le monde retenait son souffle. Enfin vint la délivrance du premier cri, Thomas venait d’apparaître. Le personnel médical était à pied d’œuvre pour préparer l’arrivée du second enfant quand soudain, la pièce entière changea de couleur. Les murs devinrent verts et bleus, comme s’ils se mettaient à onduler. Les appareils électriques émirent des grésillements comme une radio qui ne capte plus aucune station ; à intervalles de temps réguliers, un son grave et profond résonnait dans les moniteurs et alourdissait l’atmosphère ; les lumières clignotaient tel un stroboscope devenu in-
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contrôlable. Beaucoup de personnes défaillirent, certains avaient des migraines, d’autres des nausées, mais Maya était de loin la plus mal. Elle sentait la panique et l’angoisse monter en elle. Son deuxième bébé n’était pas encore né et personne ne s’occupait du premier. Le temps était compté… Dans toute cette agitation, Thomas restait calme et silencieux sur le ventre de sa mère, rien ne semblait le toucher. William, quant à lui, ne perdit pas son sang froid ; il clampa le cordon du nouveau-né puis le coupa sans la moindre hésitation. Ne sachant pas où mettre Thomas, il le déposa dans la couveuse. « Là au moins, tu seras au chaud et à l’abri », pensa-t-il. Puis il se rendit compte que Jude arrivait. – Hey ! Le deuxième arrive, vite docteur ! L’équipe médicale venait à peine de se rendre compte de ce qu’il se passait qu’aussitôt, la ville entière se retrouva dans le noir total, tous les appareils électriques avaient cessé de fonctionner, même les groupes de secours ne démarraient pas ! Seuls les cris de douleur de Maya résonnaient dans cette obscurité. Puis vint le silence, lourd et inquiétant. Juste un instant. Quelques secondes qui semblaient durer des heures, comme si la course du temps s’arrêtait définitivement. Soudain, des éclairs se mirent à jaillir partout dans la pièce qui se retrouva, comme au milieu d’un feu d’artifice. Le bruit était insoutenable, chaque circuit électrique présent dans la pièce crépita puis explosa en une multitude d’étincelles aussi brûlantes les unes que les autres. Les cris et les gémissements étaient glacés de terreur. Chacun essayait de s’abriter, de se protéger. Une profonde panique et une totale incrédulité les envahissaient. Aussi rapidement qu’ils étaient apparus, ces phénomènes étranges cessèrent brusquement. Le groupe électrogène se mit enfin en marche, la lumière revint et, le temps que tout le monde reprenne ses esprits, Jude était né ! Maya le tenait tendrement dans ses bras. Ni lui ni Thomas n’avaient
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montré de signes d’angoisse ou de peur. Aucun des deux n’avait pleuré, pas une seule fois. Tout était allé si vite ! La sage-femme se releva pour aller s’occuper de Jude, mais après quelques secondes, de nouveau, tout bascula…
2 Un week-end chargé ! Bordeaux 26 mai 2006 « Encore un de ces satanés cauchemars » pensa Thomas. Cette fois, c’était l’impression de tomber dans un vide abyssal qui l’avait réveillé. « Toujours des cris, des gens qui appellent au secours, des enfants qui ont peur. Mais pourquoi ? Bon sang, pourquoi ils m’appellent ? Pourquoi tous ces regards dirigés sur moi ? » Chaque fois qu’il se réveillait en sursaut, il ressentait le même malaise, la même angoisse. Il regarda son réveil : 23 h 53. « Merde ! Je me suis endormi, j’ai loupé la fin du film. Mais qu’estce qu’il m’a pris de choisir cette nullité chiante comme la pluie. Des acteurs pourris et un scénario inexistant. Pour une fois que j’avais réussi à éviter la soirée « photos souvenirs » avec mes vieux, j’ai vraiment tout faux ! » Ses parents avaient invité toute la famille à venir passer le pont de l’ascension dans les douceurs océanes de la région, et il comptait bien profiter de ces derniers jours de tranquillité avant que les révisions pour le Bac ne commencent. Thomas Simon était un assez bon élève de terminale scientifique. Ce n’était pas un « foudre de guerre » question travail, mais il arrivait
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à se débrouiller dans pas mal de matières. Comme beaucoup d’élèves de sa classe, il ne se destinait pas à des études scientifiques. La découverte de la philosophie lui avait ouvert l’esprit à de nouvelles pistes de réflexion et l’enseignement de l’histoire le passionnait. En septembre, il arpenterait les couloirs de la fac. En attendant, un bon mois de révisions et de galères l’attendait. Cette perspective ne le réjouissait pas trop. Cela voulait dire : voir moins souvent les copains, plus le temps d’aller au cinéma et surtout, faire moins de surf et de foot. Comme beaucoup de jeunes bordelais, Thomas passait son temps à arpenter les terrains, crampons aux pieds ou à chevaucher sa planche sur les vagues de l’Atlantique. Son physique élégant et musclé de beau brun ténébreux plaisait beaucoup aux filles, il le savait et il n’hésitait pas à utiliser ce don de la nature pour être le bourreau des cœurs du lycée et multiplier les conquêtes.
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La famille Simon habitait à Bordeaux depuis de nombreuses générations. Leur maison était une vieille échoppe du cœur de la ville, appartenant à leurs ancêtres depuis des décennies. Le père de Thomas aimait les lieux possédant une âme, il appréciait quand les murs avaient quelque chose à dire. Ayant un talent naturel pour la restauration, il avait magnifiquement transformé cette vieille demeure pour en faire leur habitation principale. Philippe travaillait au laser Mégajoule1 du Barp en tant qu’ingénieur responsable du département électrique.
1. Le Laser Mégajoule (LMJ) est un des outils les plus importants du
programme Simulation. L’objectif du LMJ est de recréer, en laboratoire, les conditions thermodynamiques semblables à celles rencontrées lors du fonctionnement d’une arme. Cela nécessite de réaliser des conditions n’existant que dans le cœur des étoiles et les armes thermonucléaires (d’où l’utilisation du laser à des fins nucléaires). En effet, le but de ce type de lasers est de renouveler les armes nucléaires sans recourir aux essais « en nature». En outre, cela permet de progresser sur la fusion par confinement inertiel (projet ITER).
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Cela l’obligeait à faire beaucoup de route chaque jour pour aller au boulot, mais il ne pouvait pas se résigner à quitter cette maison familiale et cette ville où il avait tant de souvenirs d’enfance et de moments magiques avec Sylvie, sa femme. La capitale girondine a toujours fait partie de leur être, de leur chair, ils ne leur viendraient jamais à l’idée d’aller vivre ailleurs. Ils habitaient dans le quartier de Mériadeck, non loin du cœur de la ville, de ces monuments et de ces quais nouvellement rénovés. Dans ce cadre idyllique, Philippe et Sylvie se sont vite rendu compte qu’il leur manquait néanmoins quelque chose d’essentiel, un enfant ! Ne pouvant en avoir de manière naturelle, l’adoption fut, pour eux, la suite évidente à donner à leurs vies. Sylvie arrêta d’être l’une des meilleures négociantes en vin de la ville pour devenir la maman de Thomas qui fut choyé et élevé avec amour, tendresse et sincérité. Comme cela était stipulé dans la lettre qu’ils avaient reçue le jour où Thomas était entré dans leurs vies, lorsqu’ils jugèrent que leur fils fut prêt, ils lui annoncèrent qu’il était en réalité un enfant adopté, que ses vrais parents étaient morts et qu’une vieille amie de sa mère vivait à Bordeaux. … Dès qu’ il le souhaitera, il pourra me voir aussi souvent qu’ il le voudra. Je vous remercie chaleureusement pour l’amour et la tendresse que, je suis sûre, vous lui porterez. Et surtout, ne me contactez JAMAIS avant que Thomas ne l’ait décidé. Affectueusement. Lisa Chabot Voilà comment la lettre se terminait. Cette fin était tellement curieuse et intrigante que Philippe et Sylvie eurent beaucoup de mal à ne pas transgresser la volonté de Lisa. Mais le bien-être de Thomas était le plus important de tout.
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