Billie Joe
Hellwriters tome 1
Hellwriters
Billie Joe
Hellwriters roman
À mesure que j’avançais dans l’ écriture mes symptômes s’aggravaient de manière considérable. L’ écart entre mes crises d’ épuisement chronique se réduisait. Mes vomissements de bile se faisaient quotidiens. La mort devenait une évidence. Il me restait peu de temps avant de gagner le cimetière des hypers. En même temps, rien d’anormal à ça. Je venais d’avoir trente ans. Pour survivre dans cet univers hostile qu’ était la région parisienne, je devais m’accrochais à ce que j’avais : ma routine. La journée, le boulot. Le soir, la fonte. Et la nuit, l’ écriture. Sans perdre de vue le but de ma septième existence : the book. Un abécédaire de la vie quotidienne. Ou une notice de la vie en région parisienne. J’ étais sur le point de l’achever tout en sachant qu’Henri Gainard, le conseiller zélé du Président, me surveillait de près. Il craignait que je ne dévoile dans l’abécédaire ce que j’avais découvert sur les « c.a.c.a » de l’ hyper puissant réseau social. Une découverte permettant de faire bugger notre société et celle des autres,
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mondialisation oblige. Mais cet ignare me connaissait très mal car je n’avais aucune intention de révéler quoi que ce soit. Alors par peur de voir s’effondrer le système économique mondial, la branche française de Human Intent Corporation m’a assassiné. Je me suis donné la mort pour la septième et dernière fois.
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Gainard fut soulagé et s’est cru à l’abri de représailles. Le problème c’est que les membres du gang auquel j’appartenais ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils allaient quitter leurs enfers pour venir se réincarner en région parisienne. Six Hellwriter revenu sur terre dans un esprit de vengeance. Sauver l’ honneur d’un soldat mort au combat. Press Drinkwine avait pressenti leur retour, il l’avait vu dans ses rêves. Heureusement pour certains, je dis bien certains, mes frères d’armes garderont à l’esprit la dernière pensée que je leur ai transmis avant de partir : « Dégainez vos stylos. Faites les flipper. Mais ne leur faites aucun mal ». Kin Danen
Message from Human Intent Corporation ©………………(Defcon 3)
>>>>>>>>> Localisation GPS : ok >>>>>>>>> Tracker, coordonnées : ok >>>>>>>>> Intervention, assaut : ok >>>>>>>>> Statut de l’auteur : décédé
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« Human Intent Corporation »
Son amitié avec le chef de l’état français lui vaut le clinquant titre de « Conseiller spécial du Président » alors qu’en fait, Henri Gainard n’a rien de spécial. Il reste un conseiller comme les autres. C’est à dire un maillon composant le premier cercle du chef de l’état. Une horde de conseillers qui veille férocement à ce que rien ne perturbe le président dans sa mission. La revue de presse qu’ils lui composent est amputée de tout article critique concernant sa politique. La réalité de la vie quotidienne dans le pays lui échappe totalement. De ses courtisans de conseillers, le chef de l’état n’obtient que flatteries et signes d’allégeance. En gros ce sera à celui qui lèchera le plus fort dans l’espoir, peut-être, d’obtenir un jour un portefeuille ministériel. Mais voilà, le rajout de la mention « spécial » produit son effet. Agent spécial, envoyé spécial, représentant spécial, conseil-
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ler spécial. Ça donne un truc en plus. Le détenteur du titre s’en sent d’autant plus…spécial.
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Officieusement, il est l’émissaire spécial pour la France de la Compagnie américaine Human Intent Corporation (HIC ©). Officiellement, Press Drinkwine est l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique à Paris. Un homme à la carrière atypique, comme tout ricain qui se respecte. Il n’est pas diplomate de carrière. À l’origine, Press est producteur. Il a battis sa fortune dans le milieu de « l’Entertainement ». Le divertissement. 90 % de ses productions sont des « DTV » : Direct To Vidéo. Les films d’actions tout pourris qui passent le soir sur la TNT, c’est lui. Il fut également et surtout, l’un des plus gros contributeurs à la campagne d’Obama. C’est lui qui avait réussi à rallier le tout Hollywood à la cause du 44ième président des Etats-Unis. Ça méritait bien un p’tit cadeau, ont pensé certain lors de sa nomination. Les mauvaises langues ignorent que ce qui apparaît comme une récompense n’est que sanction…
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Ambassade des Etats-Unis à Paris, 21H53 Une énième réception s’achève à l’ambassade américaine, avenue Gabriel. Pour quelle occasion cette fois ? Personne ne le sait vraiment car l’ambassade organise au moins trois à quatre réceptions par semaine et dans lesquelles on peut y croiser des ministres de la république (qui s’y rendent en courant), d’anciens ministres, des membres de la société civile, des peoples et autres responsables d’associations. En somme, un bon échantillon du microcosme parisien. Une meute de toutous venu prêter allégeance à son américain de maître. Si Press s’interdit d’éprouver du mépris envers ce qu’il appelle « la branche française de Human Intent Corporation », il ressent en revanche beaucoup de peine pour ces esprits « politiquement correctisés » qui bientôt vont morfler… Il ressent un instant de flottement, son regard se fige…puis il se reprend. Debout au milieu des convives, l’ambassadeur se prête de nouveau à cet exercice si ennuyeux, considère-t-il, de la diplomatie de cocktail. Les sourires de convenances, les
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photos, les serrages de mains et les promesses sans lendemain. Au fond de la salle, il aperçoit Gainard qui discute avec son neveu Ulf, l’un des animateurs vedettes de la Quatre. Une chaîne privée à l’identité visuelle « pop culture » qui se revendique comme décalée et subversive. Elle est perçue comme telle par le public. En réalité, il s’agit d’une succursale abrutissante chargée de diffuser l’idéologie consumériste de Human Intent Corporation. Press tente d’attraper le regard de Gainard en haussant ostensiblement les sourcils du genre « Suis moi ! ». À son tour Gainard l’aperçoit. Il s’excuse auprès de Ulf et s’empresse de rejoindre l’ambassadeur qui s’éclipse discrètement de ce brouhaha parisien, suivi de près par deux gardes du corps.
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Comme Press, Gainard a la cinquantaine. L’américain est bel homme, sourire ultra bright, un regard bleu clair et s’exprime dans un français parfait. D’allure élégante, il marche avec une main dans la poche de son pantalon, l’autre en dehors. À première vue, Gainard paraît trapu, c’est juste qu’il a du mal à se tenir droit. Il a des tics nerveux, des mimiques
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faciales, et il entretient cette fâcheuse manie de se racler la gorge toutes les cinq secondes. Même quand il se rend sur les plateaux télés pour assurer le service après vente de la politique de son président, le conseiller spécial peine à se débarrasser de ses tics. Ça lui donne un air de mec louche . Ce genre d’apartés est routinier. Les deux hommes se voient régulièrement pour suivre les « affaires en cours ». Officiant pour le compte de la Compagnie, il incombe à Press de veiller au docile alignement de la France sur la politique américaine. Ils viennent de gagner l’immense bureau de l’ambassadeur, situé dans l’aile ouest du bâtiment. Un bureau aux volets souvent rabattus. Un bureau dans lequel la lumière ne pénètre que très rarement. Une habitude étrange qui remonte à son enfance passée à Clifton, sans le sud de l’Arkansas. Ses fenêtres donnent directement sur le jardin « paysagé à la française », et dans lequel se trouve même une biche attachée à un piquet ! Une fantaisie voulue par le prédécesseur de Press. Un républicain pur et dur. Un faucon de l’administration Bush. La pauvre biche et le piquet entendaient symboliser la France prisonnière du joug atlantiste. Les deux hommes se tutoient.
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- Qu’est ce que je te sers, Henri ? Lui demande l’ambassadeur. - Tout…sauf du jus d’abricot ! Répond Gainard. - (Press rigole) Rassure-toi. On a banni cette boisson au sein de notre ambassade. - Alors ce sera un scotch.
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Gainard s’est déjà installé dans un fauteuil en cuir, Press le rejoindra au moment de le servir. L’émissaire d’HIC © verse un fond de scotch dans un verre avant de jeter un oeil furtif vers son ami pour vérifier qu’il se trouve hors de son champ de vision. Rassuré, l’ambassadeur se choisit discrètement un jus d’abricot qu’il coupera avec du jus de pomme histoire de tromper la couleur. - (Press lui tend le verre) Ton scotch. - Merci. Répond Gainard. À peine installé face à Henri (à une distance respectable), Press se relève et se dirige vers son bureau pour s’emparer d’un papier. Il le tend à Gainard : « En temps normal, je ne montre jamais les télégrammes que j’envoie à la Compagnie. Mais je tenais quand même à te montrer celui-ci ».
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- C’est le télégramme que tu as envoyé ? Demande Henri. - J’allais le faire. Je voulais seulement te le montrer. Nous utilisons un canal spécial pour communiquer avec HIC. Un réseau à part, ultra sécurisé. - Par peur de le voir un jour en ligne sur Wikileaks ? - Voilà ! - Quel bordel ça a foutu ce Wikileaks. Commente Henri. - Oui, enfin, ça ne nous a pas vraiment desservi tu sais. Pendant que la presse se délectait de ces ragots diplomatiques sans importances, le monde entier oubliait l’essentiel… - Je dois reconnaître que vous avez fait fort en créant ce site. - Retiens une chose Henri. Tous nos ennemis, tous nos opposants et tous nos détracteurs sont à l’origine NOS créatures. - (Henri sort ses lunettes pour lire le télégramme) Defcon 3, ça correspond à… ? - Message prioritaire. - Ok. Et les termes « intervention, assaut » ? - C’est lorsque la cible passe enfin à l’acte, qu’elle se donne la mort. Un assaut contre sa propre personne.
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- Laconique, concis, surprenant. Je n’aime pas le style télégraphique d’habitude...mais là j’adore ! La dernière ligne se passe d’explications…
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Henri redonne le télégramme à Press. Il avale une micro gorgée de scotch, inspire profondément, puis il dit : - Je n’aime pas me réjouir de la mort d’un homme. Même si c’est vrai que ce décès provoque un certain soulagement. - Lorsqu’il s’agit de sauvegarder le Système, Human Intent Corporation ne fait pas dans le détail. Dit Press, d’un ton glacial. - Il faut dire qu’avec Kin’Danen, vous aviez mis le paquet ! Découvrir un beau matin que ses idées de romans ont été plagiées par ces pilleurs de tombes parisiens qui ont accès aux caves des maisons d’édition, ce n’est pas étonnant qu’il se soit suicidé ! - C’est malheureusement le cas pour chaque individus hypersensibles. Le fameux « cap des trente ». - Le cap des trente ? - C’est leur espérance de vie. Les hypersensibles ne parviennent à se maintenir en vie au-delà de leur trentième année. Cette manière de ressentir les choses, cette folie créatrice, l’écriture. Ça les épuise. Leur hypersensibilité exacerbée en font des soldats
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de la vie quotidienne. Chaque tracas, quel qu’il soit, est vécu comme un véritable traumatisme. Arrivé à trente ans, c’est soit l’attaque cardiaque, soit le suicide. C’est ce que nous appelons le cap des trente. - Les hypersensibles… - Ou des individus au cerveau droit non-enclavé par des « c.a.ca ». - Comment cette société a-t-elle pu créer de tels individus ? - Tu sais Henri, quand on y pense, il n’y a rien de plus logique. HIC, le Système, la société de consommation. L’apparition des hypersensibles n’a été que la conséquence de notre volonté à vouloir formater le monde entier. Ces gens-là sont inconvertibles, ils sont impossibles à formater. Ils rejettent l’esprit de compétition et toutes ces valeurs propres à nos sociétés industrialisées. À trop vouloir écraser l’humanité des êtres, il y a toujours un organisme qui résiste mieux que les autres. Leur seule existence constitue un acte de résistance ! dit-il fièrement. Leurs histoires se ressemblent toutes. L’histoire triste et classique de l’enfant précoce, ce surdoué ignoré de tous, dit-il sur fond d’amertume avant de reprendre la parole avec passion ! Les hypersensibles sont des individus contre lesquels les faisceaux abrutissants ne produisent aucun effet. Sur eux, les c.a.c.a sont inef-
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