Il était une fois la révolution mondiale

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Lucien Burgzing présente Sa Très Feinte Pestilence, Le Docteur Samir Cététinte de Puis-la-Sainte-Porcine

Mon pays va mal, c’est l’international(e) ! Il était une fois la révolution mondiale

• Aux Eddy-Sion(s) du WC - Vrai Collier - d’perlouzes !





Il ĂŠtait une fois la RĂŠvolution mondiale



Lucien Burgzing

Il ĂŠtait une fois la RĂŠvolution mondiale



« À l’ image de l’ humanité, mon œuvre est bâtie sur la merde. » San Antonio1

1. San Antonio, On liquide et on s’en va, éditions Fleuve Noir, Paris, 1981, p.158.



Avant – trop tôt Écoute-moi bien, CON (G… ce « G » correspondant à l’extase, à la lettre et à la parenthèse adjuvantes légitimement réclamées par nos illustrissimes linguistes sudistes) ; (et plus généralement, si tu savais vraiment ce que c’est qu’un con tu commencerais pas à venir m’faire chier avec ta parité sexuelle à la noix qui est déjà la plus flagrante des preuves de ton lâche acquiescement à l’Odieuse Inégalité !)… Écoute, donc, te dis-je… : J’me suis longtemps demandé à quoi j’pouvais bien te servir, muni d’mon élixir de bassesse, groggy du haut d’ma petitesse en délire. Et tu sais quoi ? J’crois bien que j’ai trouvé depuis que j’ai renoncé à m’triturer l’occiput (aux abris les tapins !) et que je t’ai tout vainement écouté, sans but, jusqu’à la fin. Oui. Grâce à toi, j’ai trouvé ma voie ! Et pour rendre hommage à ton carnage de bon aloi, je m’en vais donc essayer de te faire marrer en t’éveillant à la réflexion de ton action. « Prétentieux » ? Plutôt licencieux !, tête, sac et bête de nœud ! (de l’égalité en voulais-tu ? Ben de l’égalité en voilà ! Et « caiguda de neu ! » – « chute de neige ! » –, si t’as déjà eu l’occase d’aller en Andorre voir c’est qui l’vrai pécore ! Avec un peu d’chance, kif-kif chez les Basques et j’aurais enfin gagné que tu sois plus pendu aux miennes !)

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Mais t’inquiète ou laisse – « bête » pour le moment (pense-bête… mais pense donc !, brave bête…), ta p’tite tête en aura très largement pour ses errements ! Ainsi, la Grande Évasion à travers l’histoire que voici…


Quoi ?! Mais t’es qui d’abord ? T’es quoi toi ici, hein ? Et qu’est-ce tu viens nous casser les burnes, sapé comme un pauvre empaffé d’pacha et attifé comme une putain d’nana et tout l’tralala… Pff… oh la la la laaaa… ! Mais t’es un fou toi… Tiens, de la poésie… Et ça désigne qui le « nous »… ? … Si j’ai un conseil à t’donner la tafiole, si tu veux pas qu’on confonde ta p’tite gueule avec ton trou d’balle, t’as intérêt à décamper vite fait bien fait ! C’est pas un coin pour toi mon gars… Ta face me fait bien marrer mais j’peux t’dire que tu vas moins rigoler si les autres rappliquent… Alors casse-toi d’là ! T’as besoin de tes copines pour, éventuellement, me faire mon affaire, et c’est moi la tafiole ? En fait, tu ne serais pas comme eux, hein, dis ? Le spécimen, hélas lobotomisé et très en vogue, du pitbull bipède ? Quoi ?! Mais t’es un ouf, toi… C’est moi que tu viens de traiter de pédé ?! Tu crois que j’me fais sodomiser, moi ?! Et là-dessus, un bond et ce fut (pour les amateurs ou connaisseurs de karaté) un « Yoko-Geri » en pleine poitrine, suivi d’un « Mawashi-Geri » du droit dans les côtes ; explosion ponctuée et couronnée par une – classique, mais néanmoins – foudroyante beigne en plein visage… Le coup de grâce et pas l’temps de discuter… Agacé, plus confus qu’échauffé, Martial faisait face à ce corps inanimé, étalé sur le bitume, et songeait, perplexe, au temps (approximativement deux secondes et soixante quinze centièmes) qu’il lui avait fallu pour sécher ce p’tit péteux ; ce putain d’gueudin inconnu au bataillon et, forcément… vu ce qui venait d’se passer…, gravement (que dis-je !) mortellement déjanté ! Il ne lui était en effet pas encore passé par la tête que la violence assénée avait pu refroidir l’énergumène pour de bon… Pourtant,

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en y réfléchissant bien, pour que ce type se soit pointé ici en roulant des mécaniques comme il l’avait fait, qu’il soit demeuré obstinément sourd à ses avertissements et qu’il l’ait, de surcroît, insulté en le qualifiant de pédalo amateur de spéléo, c’est qu’ce gars savait où y mettait les pieds et qu’en fin d’compte, avec un allumé comme ça, tôt ou tard – se dit Martial – « c’était lui ou moi ! »… Donc pas de risque : on dégomme et on avise ensuite… Mais au fait, quand cet étranger l’avait-il affectueusement affublé de la douce infamie de pédéraste si béatement friand d’écartèlements du fondant fondement ? Tu fais chier, bordel ! Voilà ce que t’as gagné avec tes conneries… Y’a personne qui m’traite d’inverti, t’as compris ?! Planté, inerte, le fanfaron ne la ramenait plus. Pour autant, fallait quand même pas qu’il ait clamsé le con ! Dans un premier temps, méfiant, habitué aux simulateurs qui savaient en encaisser plus que ce qu’ils voulaient bien montrer, Martial y alla à tâtons, du bout du pied… Ho ! Ho ! Tu t’lèves maintenant ou je t’en remets une ! Puis, et tandis que l’efficacité de cette feinte menace lui avait été démontrée depuis belle lurette, il se pencha sur le corps et, tourmenté par une mauvaise conscience et une appréhension rampantes, lui tapotant la joue, s’efforça de réanimer ce gus à qui il ne fallait surtout pas permettre de se laisser aller à devenir et à gésir macchabée… Aller mec, finie la sieste ! Ho ! Ho ! C’est alors qu’en une fraction d’seconde, simultanément, l’air de rien, l’inconnu en question ouvrit les yeux, de sa main droite saisit fermement la nuque de son bourreau penché sur lui et, armé d’un sourire grinçant quoique légèrement cabossé, lui dit sèchement, mais sans la moindre animosité avant de resombrer : – Mon gars, tu m’as pété au moins deux côtes et probablement aussi la mâchoire… Et tu sais quoi ? : je t’ai jamais traité d’pédé… du moins… pas encore…


Martial, c’était l’histoire d’une existence somme toute assez commune : commune à quelques milliers voire à quelques millions d’bestioles debout sur leurs jambes qui peuplent, sans raison ni but apparents, cette saloperie d’planète paisiblement impassible devant sa crasse et foisonnante souillure insatiable. Quoique… C’est vrai qu’il lui arrive aussi à cette foutue planète d’avoir quelques soubresauts aveugles, genre tremblements de terre, tsunamis, volcans, tornades, ouragans, cyclones, éboulements, coups d’foudre ! Foutaise ! (et re-fou-thèse, que j’te dis !)... Dans la conscience collective, un coup de foudre ça évoque plutôt quelque chose de positif et d’agréable ! Ca te scotche à ta chaise, ça conjure ce sacré « treize » et ça en appelle à de joyeuses parties d’baise qui t’expédient et qui t’maintiennent aussi sec aux fraises ! Bref, le coup de foudre, Martial lui il l’avait eu non pas au détour d’un regard intensément échangé avec une charmante gazelle, mais lorsqu’il pigea que « martial » donnait « martiaux » au pluriel. Depuis ce jour, justement vers ses treize ans, toute son existence ne se mit presque exclusivement qu’à tourner autour de ce qui touchait de près ou de loin aux arts martiaux. À vingt ans, quand, goguenards, ses potes lui demandaient s’il avait enfin tiré sa crampe, immuablement persuadé dans sa nigaude ingénuité, il répondait encore qu’il n’attendait que de rencontrer son âme sœur… Moitié qui se prénommerait nécessairement « Art » (au singulier s’il vous plaît !), qui ferait des clefs de bras à tour de bras et à tire-larigot (tire le nigaud !), et qu’il épouserait en kimono au terme d’une cérémonie assurément musclée, mais forcément très émouvante… Union, évidemment !, célébrée après que les deux époux aient fait la minimale, mais solennelle démonstration des douze « Katas » que compte l’ancestral art karatéka. Là-dessus (et, reconnaissons-le, le Martial l’avait quand même bien cherchée), ses poteaux trouvaient indéfiniment matière à le toiser et ne

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s’épuisaient jamais ni l’imagination ni les zygomatiques, brandissant à tour de rôle (et entre autres gentillettes et guillerettes conneries) le spectre rocambolesque et cauchemardesque d’une nuit de noces au creuset de laquelle, à l’instant crucial, le Martial s’apercevrait en fait que sa femme… « c’est ni plus ni moins que Chuck Norris en personne ! » Une blondasse, certes, mais un gonze quand même ! Un coupe la chique en chair et en poils… vraisemblablement… très… très vraisemblablement sur le point de… quoi ?! hein ?!, et ouais…, d’être bel et bien sur le point de l’retourner ni une ni deux et d’méchamment la lui mettre ! Vision d’horreur pour un lardon impatient d’en découdre avec son âme sœur…

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En gros, au premier abord (impression incluant nécessairement ces premières lignes…), Martial, c’était un peu l’imbécile heureux à qui il ne fallait toutefois pas chercher des noises… Son père ? Jamais connu ; une simple information… Normal, juste le savoir et l’image spéculée d’un branleur d’équerre du matin au soir que sa conne de mère vénérait par le spécieux fait d’un regard dit « de braise »… ; une façon d’loucher absolument unique (aux dires de sa vieille), dont Martial avait justement hérité, s’épanchait-elle alors toujours aussi régulièrement et mièvrement nostalgique… « Un parasite de musicos » qu’il était son paternel… s’il avait – en fait – bien compris et résumé la chose… Il était « ça » son père… Enfin, plus précisément, le connard qui ne s’était toujours pointé chez sa mère que dans la perspective de tirer sa crampe ; élans que la poussée dialectique des drogues et de l’alcool génère d’autant plus puissamment que, dans son cas comme dans celui de bien d’autres pauvres bougres et bougresses, il finissait par ne plus tenir sur ses jambes et qu’il n’avait alors pas où pieuter… Le reste du temps, ce lapin boiteux vagabondait et s’efforçait de se convaincre qu’avec ses compères traîne-savates, il finirait bien par percer sur la scène nationale (tranquille… facile…) avant que l’Amérique, déboussolée (si si !, puisque j’vous l’dis !), ne l’appelle, « Lui », à la rescousse ! « Le rock c’est l’avenir », qu’il lui disait à la grognasse, laquelle, après avoir pondu le Martial, croyait encore que son couard de bon à rien était sur un plan d’enfer, une tournée dans toute la France et carrément les premières dates d’une consécration européenne !


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Ferme là Dalida ! quand bien même c’que tu dis fouette bien dans les deux sens tout c’fichu tralala… Et quoi ? Tu vois pas ? Tu parles… Tu parles… De par le groupe de zic, le fameux paternel en flanelles avait toujours eu de trois à quatre ou cinq pouffes de rechange (package incluant la mère de Martial). Et quand, hystérique et larmoyante, cette truffe lui avait fiévreusement annoncé qu’elle était en cloque, feignant l’enthousiasme d’un illuminé fredonnant (non sans une certaine dissonance on ne peut plus certaine) les notes et les louanges du Ciel et du Miracle de la Vie (« C.M.V » ? Chie, Mais Vite !), tout avait été immédiatement clair ! Il décuvait miraculeusement vite, le bougre ! Passage express en cellule de dégrisement ! : « Prendre le large et s’appuyer sur les trois ou quatre autres pouffes restantes. Note pour plus tard (qu’il conçut comme une résolution indélébile que sa p’tite tête ne serait bien évidemment jamais en mesure de graver tellement il était grave…) : à l’avenir, s’assurer que ces connes prennent bien la pilule ou qu’elles ont un stérilet… parce que j’vais quand même pas me retenir avant d’venir, merde ! (non ! ce serait vraiment criminel ça !), et j’vais encore moins prendre l’habitude (la bite rude ? ah ça non ! très peu pour moi !) de fourrer avec ces putains de bouts d’plastique à la con ! Non, sérieusement, autant s’astiquer, autant s’pignoler tout seul un bon coup ! Merde ! (faut l’comprendre quoi... le pauvre… c’est vrai quoi ! un peu d’empathie vous tuerait pas ! morues d’Accra !) »… Du coup, dans la foulée (certes, on s’est pas trop foulé et je sens bien que la gent féminine me la foulerait bien, ma vilaine main qu’elles jugeraient sûrement toutes très à propos d’rapidement priver de son double emploi... Mais comme dirait l’autre, « rien à foutre, j’suis gaucher ! »...)… Donc, étais-je en train de dire, du coup, bien que pas très fute-fute, sa mère fut quand même bien obligée de finir par se faire une raison… Bon, c’est vrai, au bas mot au bout de deux-trois ans… Et un beau jour (quoiqu’on se les gelait et qu’il faisait plutôt sacrément pourrit dehors…), tandis qu’elle s’employait tant bien que mal à le rayer et à l’exfiltrer de son gentil p’tit cœur meurtri, elle apprit d’une ancienne connaissance qu’elle croisa fortuitement (dit-on) que le vaillant Papa continuait de déambuler dans les parages et qu’elle l’avait elle-même hébergé un temps. À son grand dam, la meuf en question avait du reste joué le rôle similaire qui, si glorieusement !, avait jadis été dévolu à la mère d’Martial… À la différence près – pour autant – qu’une fois assurée de la tout aussi fortuite occurrence d’un indésirable

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polichinelle dans l’tiroir ce faisant s’invitant, l’autre bonne femme, contrairement à Maman Martial qui peinait encore à faire son deuil, se décida on ne peut plus prestement à faire d’une pierre deux coups et à expulser sans tergiverser et l’géniteur et son inconséquente semence… Un désespérant espoir qui, de l’individuel et féminin point d’vue circonstancié ou circonstanciel de ladite donzelle (circonstancié ? circonstanciel ? Démerdez-vous avec…), était en effet « dangereusement » parvenu au stade critique de la transformation et de la matérialisation avancées et pas forcément consenties en son sein… Mais passons… c’est assez vilain… Les premières années, la mère de Martial l’éleva seule. Jusqu’à cinq ans, elle fit comme elle put. Par la suite, Martial était jugé adulte et fallait qu’il sache se débrouiller et fissa ! Non pas qu’il apprenne, mais (sur-lechamp !) qu’il développe sa prescience innée en la matière… Oh, c’était pas une mauvaise mère… Mais de la même manière qu’y faut appeler un chat un chat, y faut certainement s’résoudre à appeler une chienne une chienne ! … C’est qu’elle était absolument insatiable… Caissière le jour, cavité béante la nuit et les jours chômés, elle adorait ça et, petit à petit, discrètement, mais toujours un peu plus irréversiblement, elle se laissa même aller à commercialiser sa passion à domicile… Ce, pendant que dans la pièce voisine, le p’tit Martial s’épanouissait devant l’écran d’une télévision harcelée par les prouesses de cet extraterrestre mystiquement adoubé du sobriquet de Bruce Lee… Du moins, peu à peu, c’en devint mystique… Bien évidemment, la mère ne se justifiait pas et n’y faisait aucunement allusion. Dans le même temps, ça n’intriguait pas Martial pour un sou… Et quoi ?! Avec l’acoustique légendaire des habitations à loyer modéré, la sonorité des coups d’reins et des quelques cris extatiques tant bien que mal étouffés, correspondait merveilleusement bien, parfaitement, harmonieusement et rythmiquement, à celle du poste, diabolique, d’où, visuellement et auditivement, s’exprimaient les furies implacablement déchaînées du dénommé Bruce Lee ! C’est ça qui était mystique… Une bruyante foi partagée en silence, pendant et après le miracle, avant et pendant la fusion (magique !) qui, imperceptible tout en étant très cruellement concrète, s’opérait intégralement entre théorie et pratique, de la tête aux pieds en passant par le pubis, entre idée et praxis…


« Qu’est-ce qui est universel ? » Cette question obsédait jour et nuit celui qui se voulait « l’ascète de la révolution », à telle enseigne que paradoxalement, c’était la tétanie qui tendait insidieusement à l’emporter. Pourtant, ce n’était pas faute d’essayer que de se faire un point d’honneur à s’inscrire dans l’mouvement : « l’univers – notre enveloppe – est perpétuellement mouvant, donc je le suis… et je me dois de l’être… au cas où l’impression contraire menaçait d’être plus forte… » « Qu’est-ce qui fait que « je » et que « tu » soyons universels – de fait ! – et que nous ayons inversement et dans le même temps propension à faire triompher nos particularités, nos particularismes… Qu’est-ce qui fait qu’elles et qu’ ils triomphent au final et de fait ?! » Les tempes humides et enflées, la tension de l’interrogation le faisait grelotter. Elle lui retournait l’estomac. Debout, il aurait chancelé. Assis, il était quand même à deux doigts d’gerber… Et pas besoin, pour cela, de goulûment se les appliquer au fond de la gorge pour finir par succomber à ce nauséeux plaisir… Et pourtant… Mais oui ! Vomir, chier, pisser, c’est universel ça ! Bon, c’est vrai, c’était ne se focaliser que sur des déjections. Ca cachait peut-être quelque chose, ce fait de ne mettre en évidence, de n’avoir eu, en premier lieu, que la vision d’éléments universels disparaissant, marquant la fin ; emprise du néant, négation du mouvement. Et merde ! Voilà qu’on en revenait au point de départ contradictoire… Peutêtre pas tant, au fond… Nous sommes poussières d’étoiles, constitués donc à partir de la putréfaction de corps qui, au préalable, avaient forcément cessé de vivre. Le mouvement c’est la vie, la vie c’est le mouvement, mais nos vies n’ont pu naître que parce que certaines ont cessé d’être.

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Oui ! Dormir, manger, copuler : successivement statique, protostatique et dynamique ! C’est parfaitement universel ça, et cette fois-ci, c’est focalisé autour de ce qui est créé, non plus de c’qui disparaît !


Martial écumait sa banlieue depuis une bonne génération. L’école, comme pour beaucoup d’ses potes traîne-la-grole, ça n’avait pas su être son truc. Mais contrairement à ces derniers, les arts martiaux en général et le karaté en particulier lui avaient assez tôt ouvert une perspective qui devait lui permettre de croûter et d’éviter d’passer par la case par laquelle ses codétenus, si tristement esclaves de leur indomptable liberté insoupçonnée, étaient passés. Case à laquelle, bien souvent, ils demeuraient enchaînés : la case prison en plein air du Monopoly des quartiers délaissés. Celle de c’que les possédants, quand ils daignent y jeter un œil, qualifient de délinquance et de criminalité. Du point de vue des lésés contraints à la survie, celle des vols à la tire, des deals et des trafics en tout genre. Dans c’monde-là, tout était et ne pouvait effectivement pas ne pas nécessairement être monnayable. Il y avait bien sûr toutes sortes de drogues, les clopes de contrebande, le matos hi-fi ou les fringues et les babioles volées. Fantasmant ou prophétisant, certains commençaient même à faire mention d’armes… Du schlass au canon antiaérien… Mais il y avait aussi plus pathétique ou, selon l’point de vue à partir duquel on s’place, plus amusant… plus inventif… Ainsi, la tour B était, par exemple, connue (voire reconnue !) pour la p’tite jeune qui, très amatrice de friandises et tout particulièrement friande de barres chocolatées, s’était paradoxalement fait un point d’honneur à se forger et à entretenir une solide réputation… Tout le monde connaissait la chanson… « Pour un mars, dans ma bouche, j’avalerai tout ce que tu veux, pour un mars… (musique)… pour un mars… (musique)… » Elle avait – disait-on pour plaisanter grassement – carrément inventé et remarquablement popularisé « la sucette au goût mars »… Et elle avait même fait des émules, puisque victime de son « succès », elle commençait à voir apparaître autour d’elle une sérieuse concurrence jusque sur son « buccal domaine seigneurial » !

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Quant à la tour C, elle était désormais réputée pour celui qu’elle abritait et que toute la cité de concentration connaissait sous le nom de « Al Capote » (et t’auras capté dare-dare que c’est pas l’même qu’celui d’Frédo-Tonio…). Le mec en question, il avait en effet réussi l’exploit d’créer, à dix kilomètres à la ronde, la pénurie de deux produits aussi différents qu’indispensables quand le besoin se fait ressentir et qu’il devient pressant… Le premier, évidemment, c’était les préservatifs, recherchés surtout par les jeunes adolescentes qui se sentaient sur le point de se laisser tenter par la perspective du premier coup d’semonce. Futures femmes qui, soit flippaient de tomber enceinte, soit, soucieuses de sauver les apparences et d’entretenir un semblant de respectabilité, craignaient d’choper une merde par le cul (anachronisme ? chronique anale !) ; orifice que plusieurs d’entre elles, conscientes que ce serait pas d’si tôt qu’elles auraient les moyens d’se faire refaire l’hymen, comptaient effectivement mettre à contribution exclusive, d’ici que – se languissaient-elles en chœur au tréfonds captif et captatif de leur for intérieur respectif – la horde de princes charmants blindés d’biftons rappliquent et, pour chacune, que chacun l’emmène avec lui sur son beau canasson blanc bien pourri ! Ben c’est qu’y faut dire c’qui est ! : Le rêve et sa musique se rayent toujours à un moment ou à un autre… Mais bref… Le deuxième produit fourni par Al Capote, qui, d’une certaine manière, découlait de la disponibilité ou non du premier sur le marché, c’était les tétines… Contre toute attente et de longue date, ces bouts d’plastique s’étaient littéralement révélés salvateurs pour toutes les mères qui, aux prises avec elles-mêmes, avec leurs familles, avec « les Autres », avec « la société » et avec tout c’foutu toutim écrasant, passaient régulièrement par des phases au cours desquelles, pour tout dire, leurs marmots, elles en avaient fichtrement rien à faire… C’est pas qu’elles étaient pas capables d’« amour »… C’est que quand on devient mère à 15 ans, avec pour seule formation un diplôme d’inertie quantique option acclimatation à la misère et un BEP pipes passé en accéléré, même issu de ses propres entrailles d’écorchée vive, le polichinelle expulsé est perpétuellement contraint d’revivre le traumatisme d’la naissance et d’être à nouveau continuellement et toujours un peu plus expulsé de ce qu’il croyait être son cocon. Un étranger, qu’il devient inexorablement aux yeux d’une « mère » qui aurait mille fois eu meilleur compte (assurément, tant pour elle que pour lui…) de s’contenter (prudence oblige ! au moins dans un premier temps…) de mettre en


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application c’qu’elle avait appris en BEP (brevet d’études pipologiques ou péponémologiques, si t’avais pas encore capté !)… Ou (et à moins que, sur le moment, il lui eût véritablement été impossible de résister à l’appel de la chaude lance), que la belette se soit alors raisonnablement contentée de se l’enfourner comme un bon vieux suppo… Et finalement, schématiquement, idem pour celle de 35 ans qui, théoriquement plus aguerrie, dans son « très luxueux » deux-pièces-cuisine de 40 min 2 s et en dépit de toute sa saine et bonne volonté de mère qui se veut digne de c’nom, quand elle en arrive à son huitième ou à son dixième gosse et que le ou que les pères sont en fait un mirage ou le fruit d’un mauvais rêve fantasmé éveillé, l’expulsion du cocon, ben c’est la solution ! Sacré Al Capote ! Vraiment pas bête l’animal… « Tu rigoles ?! Peutêtre le plus grand socioanthropologue praticien de notre temps ! »... Parce qu’il avait visiblement très bien assimilé qu’après l’démoulage, de la mère à l’enfant, la première étape de l’expulsion c’est, « ferme ta gueule ! »… D’où, très précoce et très vivace dans le temps, l’importance de la fameuse tétine… Balèze, Al Capote… Il tenait les deux maillons d’la chaîne… C’était à la fois Wall Street et le gouvernement américain à lui tout seul… Les deux bouts d’plastique qui, mine de rien, étaient les plus prisés d’la cité… Et là où il était vraiment hors concours tellement qu’il était fort le « Al Capote », c’est que quand les tétines manquaient sur le marché, il arrivait à convaincre une ribambelle de mères cruches d’utiliser, en attendant, des préservatifs pour fermer le clapet d’leurs marmailles : « Tu déchires, tu tiens l’bout comme si t’allais l’poser sur un gland, et tu l’fourres entre les dents d’ton gamin de telle manière à ce que, au pire, il mâchouille ça comme du chewing-gum, en silence quoi… Tu vois ? »... Et, évidemment…, inversement (si si, puisque j’te l’dis !), il a réussi à refourguer des tétines à des wagons entiers d’pigeonnes pré-pubères qui, se la jouant presque vieilles professionnelles du sexe du haut d’leurs 13-14 ans, venaient à lui, chacune séparément et chacune sous le sceau du secret, s’enquérir du précieux sésame parce que, au fond, paradoxalement, inconsciemment, bêtement et incompréhensiblement, elles ne supportaient plus, à leurs yeux et dans ceux (spéculé) des « Autres », leur… dégradante virginité… C’est en fin de compte ça, la zone… Un savant mélange de toute une flopée d’aberrations les unes plus aberrantes que les autres avec, au final, un résultat… savant ? « C’est qui c’bâtard qui s’est fait passer pour un

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savant en nous entubant avec son mélange soi-disant savant ?! »... À l’heure actuelle, il a dû faire fortune c’t’enccccculé ! … Aux dernières nouvelles, il s’est effectivement fait des couilles en or…


Faut dire c’qui est : c’est un soir, cul à l’air sur son chiotte à s’efforcer d’se débarrasser de « ses encombrants amis » qu’il lui fallait coûte que coûte réussir à « déposer à la piscine », que l’ascète de mes douze parvint enfin (à défaut d’être parvenu à s’libérer l’conduit…) à la limpidité et à la quintessence de ce qu’il était et de ce qu’il se devait d’accomplir pour atteindre à cette essence qu’il savait n’être en tant que telle qu’en vertu de l’action. « Je suis un survivant de l’Internationalicide. J’ai survécu à la sanglante vindicte du Très Petit Père des Peuples. « Qui ? » Le pleutre esseulé, le peureux solitaire terrorisé par le souffle et par le cri universel des solitudes ragaillardies par la lueur et par l’authentique et magnétique flux qui les agrégeaient indiciblement, transversalement et irrésistiblement, par-delà leurs riches et mesquines particularités ; mesquines et riches particularités unies, fusionnées en un faisceau transfrontalier doté du don d’ubiquité, handicapé par son absence de racines, la divine et profane Puissance sans amont ni aval, la Sixième Puissance. J’ai survécu à la réaction et à la contre-révolution mondiales inorganisées, organisées et désorganisées durant, avec et par l’ histoire. J’ai survécu à l’automutilation du gigantesque espoir et de la plus intraitable des promesses d’action déçues par l’ hésitation, par le mirage du dilemme de la vie et de la mort férocement amantes, adultérines ; intransigeantes maîtresses d’un libre arbitre qui n’eut plus de raison d’ être une fois dépouillé de toutes les raisons du monde qu’ il avait eues de douter.

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