Le chat qui bronzait

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Le chat qui bronzait


Š R. Mathot & A. Alaphilippe, 2014


Rosanne MATHOT Alexandre ALAPHILIPPE

Le chat qui bronzait



Sur quel pied danse-t-on le mieux ?



«Mourir est tout au plus l’antonyme de naître. L’antonyme de vivre reste à trouver» Chris Marker



A Pierre, Guillaume, et tous les autres



1. Les Correspondances



Songe d’une nuit dictée

Elle - J’ai rêvé de toi. Le songe d’une nuit dictée. Lui - On la fera. Sans faute.

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Attentat typographique

Plus il écrivait sous l’emprise de la drogue ou de la colère, plus il détestait certains signes de ponctuation. Oh, il n’avait rien contre les points : ils lui permettaient de conclure ses phrases. Les virgules ne lui déplaisaient pas, non plus, elles lui donnaient un peu d’air, dans ses apnées de logorrhée, soudaines et brutales. 18

Ce qu’il abhorrait, c’était les parenthèses. “A quoi ça sert, les parenthèses ? » A mettre des choses en suspens ? A contextualiser des choses que le lecteur ne serait pas capable de comprendre ? Dans les parenthèses, il y a du mensonge par omission. Il y a du non-dit. Quitte à vraiment devoir préciser, il était bien plus à l’aise avec les points-virgules : des propositions indépendantes avec un lien logique entre elles. Mais des parenthèses, pas question.


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Il convenait que cette haine des parenthèses risquait bien de faire des victimes collatérales : adieu crochets et tirets cadratins ou demi-cadratins. Il l’avait décidé : hormis les virgules, il n’y aurait plus aucune pauses à l’intérieur de ses phrases. Et puis, il faudrait bien faire quelque chose à propos de ces points de suspension... On les utilisait désormais à toutes les sauces, comme s’il y avait besoin de suspense... partout ! “Sûrement l’influence de Hollywood”, se disait-il. “Les gens sont tellement paniqués à l’idée de pouvoir mourir, à chaque coin de rue, sans pouvoir tout dire à leurs proches, qu’ils mettent des points de suspension partout…” Il fallait tout de même bien terminer les phrases et clôturer les paragraphes ! Mais, les points de suspension avaient fait des petits : de nos jours, les points d’interrogation et d’exclamation s’organisaient en bande. La crise sûrement : les gens doivent avoir peur du rationnement. “Déjà qu’on n’a plus de sous, si on ne

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peut même plus compenser, en dépensant plus de ponctuation gratuite, qu’est ce qu’il va nous rester, Madame Chautard, hein ?” Il faudrait préparer un attentat typographique, une Saint-Barthélémy de la ponctuation. Une nuit, en août, quelqu’un devrait venir constater l’éradication complète de ces symboles mal utilisés. Quelqu’un. Mais qui ? 20

Il lui fallait aboutir à un plan simple, trouver des mercenaires prêts à rejoindre sa cause. Ce n’est qu’ensuite qu’il s’attaquerait aux mots qui le faisaient souffrir.


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Sélitex

Elle - Ce sont des mots. Rien que des mots. Lui - Ce que nous faisons, c’est un atelier d’écriture ?! Elle - Un sélitex. A prendre à la lettre. Lui - Je l’apprendrai. Elle - Prends-moi et expérimentons. Lui - Je chausse mes lunettes de protection. Elle - Tu crains des éclaboussures? Lui - Non. Un éblouissement.

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Candidature

Palavas-les-Flots, le 12 juillet 2013 Cher Jean, Je crois bien que tu ne parviendras jamais à me convaincre qu’il est réellement de notre âge de jouer au bilboquet, tout en faisant du vélocross. 22

L’expérience que tu m’as faite vivre, mercredi dernier, relève de la folie pure, et ce n’est pas mon orgueil malmené qui me dicte ces mots. Bien sûr, alors que je vacillais à ta suite, tu avais pour toi l’assurance du maestro de la bicyclette, la certitude de ceux qui ne se cassent jamais la gueule, même dans les situations les plus improbables. Tu fonçais, tel un Bourvil hilare, sur les chemins caillouteux de la Normandie, slalomant avec une élégance que je t’enviais, alors que ne me quittait pas une vigilance anxieuse et éprouvante.


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En partant, à la gare, je t’ai lancé un regard minéral, très chienne de faïence. Mais, réflexion faite, je ne voudrais pas que nous en restions là. J’ignore cependant si c’est réellement une bonne idée de t’écrire à 4h53 du matin, alors que la nuit me cerne et que le vin me liquéfie les pensées. A l’heure qu’il est, les valises, je les ai sous les yeux. Mais, tu sais, comme moi, que les poignées servent aussi à ouvrir les portes. J’espère donc te retrouver dans cet autre possible qu’il nous reste à inventer de toutes pièces. A une condition, toutefois : que tu choisisses définitivement entre le vélo et moi. Je m’interroge d’ailleurs souvent quant à cette passion vélocipède qui est tienne. Mais qu’est-ce qu’il t’a fait, Bobet ? Il t’a battu aux billes ? Par ailleurs, je reçois, à l’instant, ta gentille lettre N°321, qui, je ne te le cache pas, a une tendance certaine à me plonger dans la perplexité la plus méditative :

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« Nelly,

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Après ton échec lamentable à l’ épreuve pourtant simple du « bilboquet à vélo », tu comprendras qu’ il me faut, à présent, avoir des garanties, avant de prendre une quelconque décision concernant notre éventuel avenir commun. Tu voudras bien me faire parvenir ce document signé et produit en trois exemplaires. J’attends, par ailleurs, un texte résumant tes expériences de vie, l’explication de ta démarche d’ écriture ainsi que la pertinence de ta requête, avec thèse, anti-thèse et synthèse. Il n’est pas nécessaire de joindre un CV au présent document. Toute demande incomplète ne sera pas examinée et aucune modification tardive ne sera admise. Ton dossier, chère Nelly, devra m’ être adressé sous 24 heures, par tout moyen à ta disposition. Je t’embrasse. Tu sais comment. Ton Jean ».


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Jean, je ne peux plus te cacher que tu commences très sérieusement à me courir sévère sur le haricot. Et je voudrais, à présent, que tu prennes pleinement conscience de ma virulente abjection envers Eddy Mercx, Bobet et envers toute ta clique de bilboquets et autres ustensiles avec lesquels tu sembles déterminé à vouloir me pourrir la vie. J’espère que nous saurons néanmoins trouver, en bonne intelligence, un certain terrain d’entente. En attendant, comme je ne suis pas hostile, je te renvoie, par la présente, mes réponses à ton questionnaire surréaliste. Je ne saurais que t’inciter avec la plus grande fermeté à te faire aider. La drogue, nous le savons tous, n’est pas une solution. Mais, fi des leçons de morale, je me plie à ta requête, avec une souplesse qui ne m’est pas habituelle et qui me fait franchement souffrir, après notre violente épopée à vélo.

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1. « Nelly, vis-tu sur la même planète que moi ?» Probablement pas. Je t’aurais rencontré bien avant, sinon. 2. « Joues-tu toujours avec tes frégates de Taïwan, dans ta baignoire ? » Mon intérêt se porterait davantage sur ton porte-avions.

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3. « Vas-tu faire ton jogging avec Marine Le Pen ? » Je crains de ne pas avoir la flamme. Et puis, je n’ai pas le pied marin. 4. « Aimes-tu les étoiles et l’eau pétillante ? » Les étoiles, je ne les aime qu’au restaurant. L’eau pétillante, tu sais que oui. 5. « Mets-tu parfois des porte-jarretelles sous tes jeans ? » Je ne porte rien. Jamais. 6. « Quel temps fait-il, chez toi ? » Il fait le temps qui passe. NB : Le temps plié ne m’impressionne pas.


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7.  «  Partirons-nous faire du camping, tous les deux ? » Je dois avouer que le camping ne me tente guère.

A la relecture, j’ai presqu’envie de lâchement jeter l’éponge, en ce qui nous concerne. Je ne suis vraiment pas convaincue que tu sois l’homme qu’il me faille. Mais, dans le doute, je t’autorise à examiner mon dossier de candidature. De mon côté, je ne me laisserai pas embarquer dans des réflexions aussi prétentieuses qu’inutiles sur la philosophie de l’amour, partant du banquet de Pluton pour en arriver à notre tour de France du bilboquet. Avant de te quitter, il me faut tout de même te dire que les bicyclettes, les vacances au camping et tes perversions diverses et variées commencent vaguement à me barber. Je t’écris les seins pointés vers la lune, nue sur ma terrasse et j’entends la mer rouler goulument des pelles aux galets. Là, tout de

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suite, je donnerai cher mon ticket pour une étreinte aquatique, départ immédiat, séchage à l’ancienne, en frictions épidermiques post-baignade aquatique. Tu trouveras ce mail à ton réveil. Tu me diras alors le fond de ta pensée. Et peut-être pas que ça. Ta dévouée, 28

Nelly


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Utilité

Elle - Le matin ne sert à rien. Lui - Si. A mourir, à chaque sonnerie du réveil. Elle - Et c’est utile, ça?

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