Les Traqueurs Tome 1 : l’Homme-oiseau
Lionel Cantegreil
Les Traqueurs Tome 1 : l’Homme-oiseau
Lionel Cantegreil
Les Traqueurs Tome 1 : l’Homme-oiseau
Prologue
Dans la constellation du Cygne, à 500 annéeslumière de notre système solaire, existait une planète qui aurait été assurément nommée Kepler – 186 h, si elle avait été découverte par nos télescopes. Celle-ci présentait un diamètre, ainsi qu’une masse en tous points identique à notre Terre. Cet astre se trouvait en orbite autour de l’étoile naine rouge Kepler – 186 et présentait une période de révolution de 365,25 jours terrestres. Cette planète présentait une rotation sur ellemême similaire à notre Terre, et induisant une alternance jour/nuit. De plus, la température de surface au point subsolaire pouvait osciller de 0° degré Celsius en hiver, à 40° degrés Celsius en été.
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L’humanité de notre Terre a depuis peu soupçonné la vie sur Kepler – 186f, mais sans se douter un seul instant qu’une autre exoplanète avait bel et bien existé et était nommée par ses habitants, la Terre ! Cette autre Terre possédait trois satellites naturels, et ressemblants chacun à s’y méprendre à notre Lune. Kepler – 186 h était le pendant de notre Terre, à quelques détails près. Ces deux corps célestes se ressemblaient étonnamment, tant au niveau géologique que dans les conditions pré biotiques indispensables à l’apparition de la vie. Tout comme sur notre Terre, son histoire avait toujours été émaillée de guerres, de tragédies innombrables, de pandémies terribles, mais aussi de disparitions de civilisations. Des hommes semblables à nous y vivaient, l’époque de l’histoire sur cette Terre qui va vous être contée se passa précisément, lorsque l’an de grâce 1977 après Jésus-Christ se déroula sur notre Terre. Voici son histoire…
Chapitre 1
La planète Kepler – 186 h n’aurait point dépaysé un être humain de notre Terre, et pour cause, les paysages, la faune et la flore étaient l’exacte réplique de ce que nous connaissons et avons l’habitude de voir chaque jour. Les trois lunes qui illuminaient les nuits de cette autre Terre constituaient pourtant une différence flagrante, de plus, il était possible d’observer un retard évident de cinq siècles de connaissances techniques avec l’humanité de notre planète. Malgré cela, en faisant abstraction de ces quelques dissemblances, personne n’aurait pu se douter en contemplant Kepler – 186 h, qu’il était possible de se trouver sur une planète autre que la nôtre à l’autre bout de l’espace, et pourtant cet astre existait vraiment. Tout comme notre Terre, la planète Kepler – 186 h présentait un azur merveilleux sublimé par diverses
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espèces d’oiseaux, toutes plus belles les unes que les autres. Il était possible de contempler, de même, de vastes continents recelant des paysages paradisiaques et donnant sur des océans magnifiquement bleus, semblant sans fin, et sur des archipels donnant l’impression qu’ils flottaient dans le ciel, tant les eaux turquoises étaient d’une pureté incroyable. Dans ce monde propice, certaines civilisations très en avance sur leur temps existaient encore, ou avaient existé. Une certaine civilisation se trouvant sur une île se démarquait des autres sur cette planète, dont son destin aussi brillant que funeste, était une triste mise en garde pour les générations à venir. Pourtant, il était possible de deviner sans mal sa magnificence passée, mais aujourd’hui, la situation actuelle était telle, qu’il était difficile de comprendre comment les hommes avaient pu en arriver là. Certains hommes sages avaient tenté en vain de montrer la voie de la raison et de l’harmonie, comme ce fut le cas du sage Arii qui avait dédié toute son existence au village Te Hata Hero, mais celui-ci arrivait à l’hiver de sa vie, son cœur était très malade et fatigué. Arrihau, son fils, ne le savait que trop et n’imaginait pas que cet instant tant redouté arriverait finalement très vite.
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Arii était à présent sur son lit de mort, ses forces semblaient l’avoir abandonné, par moment, on avait presque l’impression que son esprit avait déjà quitté ce corps livide et meurtri par le poids des années. Jadis, sa stature imposante, son charisme lui avaient toujours permis de diriger le village avec un vrai sens du devoir et de la justice, mais des événements indépendants de sa volonté avaient plongé le monde dans une dépression sans précédent… Beaucoup, d’ailleurs, lui avaient incombé en partie la responsabilité de ces événements, que beaucoup ne comprenaient finalement pas. Son épouse mourut d’un mal étrange, toutes ces épreuves conjuguées avaient réussi à précipiter sa maladie. Ce soir, Arrihau était avachi dans la demeure familiale et priait en attendant le moment de la fin… Quand il vit le prêtre Tahu’a entrer dans la pièce où lui-même se trouvait, il comprit que l’heure était venue : — Votre père veut vous parler, vous devez vous y rendre immédiatement ! Arrihau y alla sans plus attendre. Arrivé dans la chambre, il fut frappé par l’ambiance funèbre qui
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régnait déjà en ce lieu, il ne put s’empêcher de se mettre à pleurer : — Mon fils Ariihau, ne pleure pas, j’ai eu une vie bien remplie, malheureusement je n’ai pu finir l’œuvre de mon existence, tu dois poursuivre ce pour quoi j’ai vécu. Mon cœur est si fatigué. J’arrive à l’hiver de mon parcours terrien et l’heure est venue pour mon corps de retourner à la terre. Mon esprit protecteur de l’île va être érigé dans la région du Ahu Akivi sous forme de moai pour protéger notre village Te Hata Hero, et ainsi repousser le danger extérieur provenant des autres tribus et des océans. Désormais, tu dois accomplir ton destin, mon fils, en veillant sur notre clan. Notre clan va traverser la période la plus difficile de son histoire, les dieux ont décidé de nous infliger des épreuves pour amender nos âmes. Notre terre souffre, je n’ai pas réussi à calmer la colère des dieux, j’ai failli à mon devoir face à la frénésie guerrière passée qui nous avait opposés aux autres clans, beaucoup de moai ont cessé d’exister par la peur et la colère si pathétiques des hommes. Beaucoup d’entre nous sont morts victimes dans cette période de chaos, des voix se sont élevées m’incombant les morts de notre village. Pour retrouver une ère de prospérité, nous devons soigner cette terre nourricière et la mériter, les dieux
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nous récompenseront en nous rendant la merveilleuse nature, qui jadis rendait notre terre si fertile et généreuse. Depuis ces temps reculés si prospères, nos actions primaires ont déçu les dieux et leur colère s’est abattue sur nous. Mon fils, tu dois sauver notre peuple, apaise la colère des dieux, il y va des pluies à venir et des récoltes qui en résulteront. Je n’ai pas eu le temps nécessaire pour achever mon œuvre, c’est toi qui devras la poursuivre ; tu dois réussir la nouvelle épreuve du sacre, tu dois me rendre fier de toi, sinon tu décevras notre communauté, ainsi que les dieux et tu connais le sens de ces mots. Triompher des obstacles te permettra également d’avoir la légitimité pour choisir la compagne qui sera digne de perpétuer notre lignée. Tu pourras avoir ainsi la possibilité d’achever mon œuvre, je sais que beaucoup ont fustigé mon titre et l’ensemble de mes décisions, tu vas souffrir du mauvais souvenir que je laisserai derrière moi. Tu dois restaurer le respect de notre nom et par la même, sauver notre clan du déclin… N’oublie pas ces mots sortis de ma bouche… et je… tu dois… Arrrgh… Ce furent les dernières paroles du sage Arii.
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Arrihau était fort contrit et attristé d’avoir perdu son cher père, mais ne pouvait céder au chagrin. Il devait se montrer fort et digne de la confiance de son feu père. Il devait prouver aux yeux de tous et surtout aux Rapa Nui de sa tribu qu’il méritait son titre de chef de clan. Il avait la ferme résolution de poursuivre à tout prix la pensée et le destin de celui qui lui avait tout appris. Le clan souffrait de disette, la terre, chaque saison, était de moins en moins généreuse.
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Une nouvelle tradition surnommée l’Homme-Oiseau, en réponse à la déforestation très problématique et aux événements terribles survenus sur l’île, dictait à présent les préceptes de la tribu, même Arrihau, le chef du clan ne pouvait s’y soustraire. Désormais en passe d’accomplir son destin et d’achever l’œuvre de son père, il devait assurer la survie de ses semblables, mais avant devait réussir l’épreuve. S’il venait à échouer, l’île choisirait un Hopu d’un autre village et la mémoire de son cher père serait bafouée, ainsi que ce pour quoi il avait vécu.
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Son cher père disparu était intimement convaincu, devant la grandeur des dieux, que leur lignée de sages était la seule à même de pouvoir sauver l’île tout entière du désastre ultime qui la guettait. L’épreuve de l’Homme-Oiseau signifiait que les représentants de chaque clan de l’île devaient s’affronter dans une compétition surhumaine dans l’océan. Tous les Hopu devaient participer à cette course, en ayant l’obligation de réussir l’épreuve. Pour ce faire, ils se devaient de ramener au sommet des falaises d’Orongo, le premier œuf de la saison des sternes manutara, symbole de la fertilité et de la renaissance. En cas d’échec de la part d’Arrihau, le chef d’un autre village qui parviendrait à ramener cet œuf divin deviendrait, ipso facto, le chef de l’île pour une année, et aurait le droit d’administrer la nourriture notamment. Cela, Arrihau ne pouvait le concevoir un seul instant, cet échec équivaudrait à mourir dans son cœur en bafouant la mémoire de son père, et signifierait être indigne de mériter la terre nourricière de la communauté.
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Arrihau connaissait l’immensité du devoir qu’il devait réaliser, en se montrant digne de l’enseignement précieux de son père. Arrihau savait déjà quelle compagne lui serait destinée, il s’agissait du plus bel être de la création que ses yeux avaient pu contempler, elle répondait au doux nom de Mavlii. Il la connaissait aussi loin que ses souvenirs pouvaient le conduire, une attirance s’était toujours exercée entre eux, une sorte de complémentarité naturelle, à l’image des étoiles rendant le ciel de la nuit si scintillant. 18
Elle possédait un corps de déesse et une chevelure d’ébène infiniment longue et ondulée. Étrangeté sacrée dans le monde des hommes et considérée comme un don des dieux, Mavlii avait des yeux vairons magnifiquement bleus aux couleurs de l’azur, et vert rappelant l’harmonie de la nature. Mavlii était le symbole de l’immortalité, de la loyauté et de l’harmonie possible pour les générations à venir.
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Arrihau avait de grands espoirs, de cette union sacrée, la tribu et l’île tout entière devaient retrouver la félicité trop longtemps oubliée. La lignée dont faisait partie Mavlii, était intimement liée à celle des chefs de ce village, et ce depuis toujours. Toutes les jeunes femmes de cette filiation jouissaient d’une beauté, la plus pure qui soit au monde. Anciennement, chaque chef de clan du village Te Hata Hero pouvait inconditionnellement choisir cette lignée merveilleuse de jeunes femmes, mais cette nouvelle tradition de l’Homme-Oiseau révolutionnait en quelque sorte les préceptes établis, non seulement de ce village, mais de l’île toute entière. Désormais, Arrihau ne pouvait choisir Mavlii que s’il en avait la légitimité en remportant l’épreuve. En cas d’échec, Arrihau serait déchu de son titre de chef de village en vivant dans la honte et le déshonneur, le village serait alors directement administré par le Tangata Manu proclamé, via un de ses superviseurs. Il va s’en dire que le même scénario se reproduirait à l’identique dans les autres villages, où le hopu choisi serait perdant durant l’épreuve.
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Dans ce genre de situation, le plus terrible est qu’Arrihau perdrait indubitablement son amour de toujours, en mettant Mavlii à la merci d’un nouveau chef de clan nommé par le Tangata Manu, cela constituait pour lui une motivation supplémentaire de sortir vainqueur de l’épreuve. Chaque année, un Tangata Manu remettait évidemment son titre en jeu, mais en aucun cas sa respectabilité, ni ses privilèges et était assuré de conserver pour toujours son épouse choisie. 20
Mavlii aimait secrètement Arrihau, mais devait taire ses élans du cœur, car tant que son bien-aimé n’avait pas réussi à triompher de ce nouveau sacre, elle ne pourrait être légitimement avec lui. La tradition voulait aussi que ce soit les dieux qui décident si un simple mortel peut réussir ou non l’épreuve, et ainsi mériter leur confiance. Arrihau devait inhumer au lever du soleil la dépouille mortelle de son père, dans la région du Ahu Akivi, non loin de Hanga Roa et des 7 moai regardant en direction des îles Marquises et de l’îlot disparu d’Hiva, d’où serait originaire le peuple Rapa Nui.
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Un tailleur de basalte devait ériger, plus tard, une statue issue de la carrière de Rano Raraku, regardant en direction du village pour veiller sur lui, tournant le dos à l’horizon des océans et devant représenter l’ancien chef du clan Arii. Cette nuit sereine devait permettre à l’esprit d’Arii de quitter son corps pour veiller éternellement sur le destin de la communauté, pour ensuite être enfermé à jamais dans son moai. Arrihau s’isola, car ressentant le besoin d’être seul... Il alla sur la plage et regarda l’immensité du monde. La nuit était claire, ce soir-là, les trois astres sélènes inondaient de leur lumière blafarde la plage des souvenirs, où jadis son père lui avait tout appris. Des larmes brillantes comme des perles de diamants coulèrent sur ses joues, il pleurait la disparition de son père. Il ferma les yeux et prononça ces mots : — Je ferai tout pour que tu sois fier de moi, père. Je dois te dire une chose importante, à mes yeux, tu n’es pas responsable des événements qui se sont abattus et qui s’abattent encore sur notre île, ainsi
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que sur notre tribu. Leur signification bien souvent dépasse les hommes, mais aux yeux de la communauté, il faut toujours un responsable, cela rassure leur conscience. Je te promets que je rétablirai le respect de notre nom, ainsi que ta mémoire. Je sais que tu seras près de moi lors de l’épreuve, je dois réussir, je n’ai pas le droit d’échouer, toi et nos lointains ancêtres, vous avez placé tant d’espoir en moi, je dois réussir !
Chapitre 2
Le jour se leva, le soleil se dissimulait derrière les nuages gris, comme si la nature ne souhaitait pas assister à ce jour de deuil. Le prêtre Tahu’a précédait la procession mortuaire, Arrihau, le visage fermé suivait le cortège, des personnes importantes de la tribu étaient également présentes. Un silence pesant régnait durant la progression de la formation cérémonielle. La procession arriva dans la région du Ahu Akivi, au moment où le soleil atteignit le zénith. Une cérémonie d’accompagnement du mort eut lieu, des femmes en tenue de cérémonie dansèrent pour rendre hommage à la vie terrestre d’Arii et invoquer
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la clémence des dieux pour l’avenir de l’île, ainsi que de la communauté. Le corps sans vie de l’ancien chef du clan fut rendu à la terre, dans une partie reculée de cette région. Le prêtre s’avança avec solennité et prononça ces paroles divinatoires :
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— Dieu Ta’aroa ! Merci dans ton infinie bonté d’accueillir Arii dans le monde souterrain et de permettre à son esprit bienfaisant de veiller, parmi les autres esprits, à la sauvegarde de notre terre et de notre communauté. Cependant, les signes de ta volonté ont convergé jusqu’à nous, le grand oiseau blanc a été aperçu dans l’azur, avant le départ pour l’autre monde de notre regretté chef de village. Les présages pour les lunes à venir sont funestes, le rituel des moai arrive à son terme. Dieu Ta’oroa ! Tu as décidé de nous soumettre à une nouvelle épreuve pour nous destiner à nous élever spirituellement. Tu as privé notre terre nourricière de sa végétation luxuriante, qui jadis la rendait si généreuse pour nous. À présent, tu as décidé que la tradition de l’Homme – Oiseau supplée à jamais celle des moai,
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l’absence d’arbres sur notre terre ne nous permettant plus d’acheminer le basalte, et donc de poursuivre l’édification rituelle des statues géantes. Il en sera fait donc selon ta volonté, nous sommes prêts à nous infliger toutes les privations, tous les sacrifices rituels que tu nous ordonneras de faire, nous sommes tes éternels serviteurs, ô grand Dieu Ta’oroa ! L’ensemble de l’assistance se prosterna devant le prêtre Tahu’a, un silence rituel s’imposa pendant un long moment. Arrihau se jura à lui-même de faire tout ce qui était humainement possible, pour faire honneur à l’œuvre de son cher père disparu, et rétablir la respectabilité de leur nom. Son père allait rejoindre les autres moai devant protéger l’île en scrutant en direction du village Te Hata Hero, tout en tournant le dos au vaste océan. Sous peu, une statue monumentale allait être érigée en sa mémoire enfermant son mana, jusqu’à la fin des temps.
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Arrihau alla se recueillir sur le lieu précis, où le moai de son père allait se dresser, un calme olympien régna… Puis, il partit en direction du village. L’heure n’était plus à la tristesse, mais à l’action et à la détermination, tout le village comptait sur lui, ainsi que ses plus lointains ancêtres. Au tréfonds de lui-même, il savait que son père avait également mis tous ses espoirs en lui. Un silence rituel s’imposa au sein du village, chaque habitant observa un respect traditionnel visà-vis de l’ancien chef du village Arii, mais aussi au regard du rituel qui s’annonçait. Le lendemain matin aux aurores, l’épreuve de l’Homme – Oiseau allait se dérouler comme bien d’autres épreuves avant elle, elles étaient toutes l’expression et la volonté des dieux, depuis des temps immémoriaux.
Chapitre 3
Arrihau revint de la cérémonie mortuaire. Une profonde tristesse, mais surtout une immense détermination à réhabiliter la mémoire de son père, non seulement vis-à-vis des habitants de son village, mais aussi au regard des dieux, étaient devenues son leitmotiv et son credo. Le seul être au monde capable d’apporter de l’apaisement à son âme tourmentée était la plus resplendissante des créations, Mavlii, sa seule présence suffisait à lui procurer un sentiment de plénitude. La beauté des liens d’amour qui les unissait était naturelle et unique en ce monde, comme les oiseaux aux couleurs resplendissantes qui s’animent dans le ciel et en sont intimement indissociables.
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