Numéro 50 001 : La princesse de la sphère

Perrine Shikigami

NUMERO 50 001 LA PRINCESSE DE LA SPHERE

Numéro 50 001 La princesse de la sphère

Perrine Shikigami

NumÊro 50 001 La princesse de la sphère

À Océane, un véritable rayon de soleil, À Laurent, qui se sous-estime peut-être autant que moi, Et à toute ma petite communauté, mes piliers.

Prologue

J’étais ce genre de personne qui faisait du mal autour d’elle sans même s’en rendre compte. J’avais mes mauvais côtés, mais les miens n’étaient pas camouflables, loin de là. Jour après jour, je devais les trainer derrière moi comme un fardeau personnel. Mes défauts et mes vices étaient aussi lourds à assumer que le rocher que Sisyphe devait porter en haut de la colline. Mon côté obscur faisait partie intégrante de ma vie et il réapparaissait inéluctablement au grand jour. J’étais impuissante.

Certaines de mes connaissances allaient même jusqu’à considérer que j’étais le diable en personne. Le diable peut-être pas, mais je ne pouvais plus continuer comme si rien ne s’était jamais passé. Car oui, il s’était passé des choses terribles et j’étais la principale source de ces horreurs. J’étais… coupable. Cette culpabilité grandissante, je pouvais la ressentir perpétuellement au fond de mon être. Mais, comme une idiote, je ne m’étais rendu compte de rien avant qu’il ne soit trop tard.

Je pensais que mes méfaits allaient disparaître dans les abîmes de la mémoire de chacun… Je m’étais fourvoyée.

Depuis plusieurs mois maintenant (je devrais même dire des années), tout mon univers s’effondrait lentement autour de moi, comme si une force supérieure prenait un malin plaisir à me voir déchanter, d’une façon terriblement sadique. La souffrance qui en découlait, devenait de plus en plus insupportable. Mon esprit était en permanence embrumé par le mal auquel je devais faire face. Mais comment y faire face, quand j’avais déjà utilisé tous les moyens possibles et imaginables ? Je n’y arrivais plus et je n’étais même pas certaine d’y être arrivée un jour.

Je commençais peu à peu à perdre la raison. Je ne trouvais plus de sens à tout ça, à continuer…

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Mais un tout autre sujet venait aussi obscurcir mes pensées. J’avais cette sensation, de plus en plus forte… Elle prenait une telle ampleur qu’il était impossible à présent pour moi de l’ignorer. Mon intuition me guidait vers ce fait sorti tout droit des tréfonds de mon imagination mais qui semblait pourtant si réel. Ma place n’était pas ici. Mais j’étais certaine qu’il y avait un « après » et un « ailleurs ». Mais j’étais loin encore de me douter de la vérité et de l’existence de la source de cette conviction.

L’état perpétuel de honte et d’ignominie avec lequel je me levais le matin et qui me suivait tout au long de mes journées et de mes heures passées sur cette planète, couplé à mon pressentiment que quelqu’un ou quelque chose m’attendait ailleurs, quelque part… me poussèrent à commettre un dernier acte impardonnable. Agir de cette façon, me vaudrait surement la peine d’être damnée à tout jamais… Mais j’étais déjà considérée comme un suppôt de Satan.

De manière hypocrite, je voulais abandonner cette vie, comme lui des années auparavant. Je n’éprouvais aucune peur, mon heure était simplement arrivée. Et je gardais en tête cette conviction, que cette fin n’en était en réalité pas une.

Mon regard rivé sur mes Docs Martens, j’étais simplement assise en tailleur, attendant, une dernière cigarette à la main. Personne ne savait que j’étais là et c’était bien mieux ainsi. De toute façon, qui voudrait sauver un être infâme comme moi…

Enfin ils vibrèrent, les rails, et j’entendis le bruit de tam-tam caractéristique. J’étais installée dans un virage, il était impossible qu’on me repère avant que… Enfin vous avez compris.

Le choc fut instantané, je virevoltai comme si j’avais été une simple poupée de chiffons et aussi vite que je m’étais élevée en l’air, je retombai au sol. Mes os craquèrent, tout en étant accompagnés d’un son de déchirement qui se répercutait. Je n’avais plus la force de relever la tête, c’était terminé. Mes yeux se refermèrent une dernière fois sur ce monde.

Chapitre 1 : R éveil

Je nageais dans des abîmes sombres, essayant désespérément de remonter à la surface. Mais je ne voyais aucune lumière ni le moindre signe d’une sortie à l’horizon. Heureusement, je n’avais aucun mal à respirer dans ces eaux obscures. Un rêve, pensai-je. Je ne devais pas être loin de la vérité. Mais il me sembla durer des jours et des jours. Au moins, je n’étais pas morte. Je continuais à avancer dans cet endroit étrange, comme si j’étais un poisson qui cheminait doucement dans un océan noir et infini, quand une sensation de fraîcheur m’envahit.

J’émergeais doucement de mon songe jusqu’à ce qu’une douleur terrible me vrille le crâne. Je retrouvais peu à peu mes sensations et constatai que mon corps était entier. Je n’avais mal nulle part ailleurs qu’à la tête.

Mais mon état n’était pas pour autant plus confortable.

Mes bras étaient sanglés à ce qui semblait être une table d’opération constituée d’un métal froid et dur. Je ne pouvais pas en être certaine car un bandeau bouchait mon champ de vision, comme ceux qu’on porte parfois en prenant l’avion. Un bâillon était scotché sur ma bouche.

J’essayais de me débattre mais saucissonnée ainsi, il m’était impossible de bouger. Je me concentrai sur mes autres sens. J’étais pieds nus et je sentais clairement que je ne portais plus de sous-vêtements mais simplement une robe très fine, comme une blouse d’hôpital. Mais j’étais toujours dans l’impossibilité d’en avoir la certitude. Un frisson me parcourut l’échine. Et si j’avais lamentablement échoué encore une fois ? Et si j’étais simplement vivante et à l’hôpital ou dans un centre pour dépressifs suicidaires ?

J’essayais désespérément de comprendre la situation dans laquelle je me trouvais quand un détail me choqua. Un détail… Non c’était bien pire que ça. Oui, car je ne respirais pas. Ma poitrine ne se gonflait plus, je n’inspirais plus d’air. Je le sentais, l’oxygène ne pénétrait pas

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dans mon corps. La mort, ça ne pouvait qu’être ça. Et pourtant, je me sentais étrangement alerte et bien en vie.

Des bruits résonnèrent alors à quelques mètres de moi. Ils étaient légers, presque imperceptibles. Un homme parla et un frisson de terreur me parcourut quand je me rendis compte de cette nouvelle réalité… Sa voix grave retentissait directement à l’intérieur de ma tête et non pas dans la pièce. Elle ne produisait aucun son, c’est comme si je l’entendais penser. Il interrogea apparemment une deuxième personne qui devait se trouver dans la pièce et un dialogue télépathique commença entre ces deux individus.

— Et celle-ci ?

— Elle ne subit pas non plus la modification mais elle ne respire quasiment plus de manière assistée.

— Elle porte quel numéro ?

— Elle n’a pas de bracelet, elle n’est surement pas encore identifiée.

— Mhm… Sur ces mots, ils détournèrent les talons et sortirent apparemment de la pièce. Cet échange qui se déroulait directement dans mon crâne était incompréhensible pour moi. Modification ? Respirer de manière assistée ? Identifiée par un numéro ? Des dizaines de questions me parcouraient l’esprit. Je me demandais si j’étais au paradis ou en enfer.

Tout en essayant de déterminer ce qui pouvait bien m’arriver, j’essayais en vain de me libérer de mes liens mais les sangles étaient beaucoup trop serrées.

J’entendis de nouveau du bruit quelques minutes plus tard, à proximité de ce qui devait être le seuil de la pièce et cette fois-ci, un défilé de plusieurs personnes entra et ils m’entourèrent. L’un d’entre eux frôla ma jambe, sa peau était glacée.

Cette fois-ci, une femme parla dans ma tête.

— Comment peut-elle respirer sans être transformée ? Elle n’est pas censée pouvoir mettre à disposition les ressources dans ce cas précis ! s’insurgea-t-elle.

— Vous n’êtes pas au courant du pire aspect encore… répondit l’homme qui avait parlé en premier lors de la précédente conversation.

— C’est-à-dire ? interrogea la femme sur un ton qui semblait sec, mais c’était difficile à dire télépathiquement.

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— Elle porte le numéro 50 001, répliqua un autre individu.

— 50 001 ? Mais c’est impossible ! Il ne doit pas y avoir de 50 001 ! s’écria-t-elle d’une voix qui semblait apparemment hystérique, en insistant bien sur le « un ».

— Je sais bien, elle est le numéro en trop. Heureusement, son cas est unique. Une petite erreur de parcours.

— Une PETITE erreur ? Mais c’est bien plus grave que ça ! Pourquoi est-elle encore ici ? Débarrassez-vous d’elle ! s’écria-t-elle, ce qui me paralysa sur place, encore plus que les sangles pouvaient le permettre.

— Nous ne pouvons pas, apparemment son cas est déjà passé au conseil. Nepton a voté contre.

— Mais pourquoi ?

— Il estime qu’on ne peut pas être certain qu’elle est le numéro en trop. Il suggère que l’indésirable aurait très bien pu arriver avant elle et qu’alors, elle serait juste la dernière qui aurait débarqué, au mauvais moment.

— Mais cette idée est ridicule !

— Êtes-vous en train de mettre la parole d’un des membres du conseil en doute Esala ? demanda rudement un autre homme.

— Non, évidemment non… Mais qu’allons-nous faire d’elle alors ?

— Nous allons la garder elle, ainsi que les dix autres arrivés en dernier, en observation prolongée, reprit le premier homme toujours télépathiquement.

— Oui cela me semble être une bonne idée… dit la femme plus timidement qu’auparavant.

Sur ces mots, on enfonça ce qui semblait être l’aiguille d’une seringue dans mon épaule gauche et je sombrai à nouveau, m’enveloppant des mêmes abîmes qu’avant mon éveil dans cet environnement incompréhensible, je n’eus même pas le temps de m’interroger sur cet échange trop énigmatique à mon goût. Seulement la voix de la femme résonnait encore dans mon esprit : Numéro 50 001… * Je me réveillai allongée sur le sol froid avec une terrible migraine en prime. J’étais à présent détachée et « libre ». Les grands carreaux

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de carrelage à mes pieds étaient blancs, tout comme le plafond. Les quatre murs étaient recouverts de miroirs et étrangement je ne voyais aucune séparation ou fissure qui pourrait encadrer une porte de sortie.

La pièce était petite, glaciale, austère. Elle était éclairée par une dizaine de néons aveuglants. Il n’y avait aucun meuble, rien, mis à part une grande plante en pot dans un des coins de ma prison de verre, un aloe vera.

Je regardais mon reflet dans le miroir, j’étais toujours la même.

Longs cheveux noirs, raides et brillants. Grands yeux bleus innocents. Maigre, trop maigre, presque squelettique. Je portais effectivement une blouse d’opération, d’un blanc immaculé, j’étais nue sous ce simple bout de tissu et frigorifiée. J’étais pâle et mes traits étaient tendus entre un sentiment de peur et d’incompréhension. Je me levai alors brusquement.

J’essayais de crier à l’aide, hurler, ou simplement me manifester mais aucun son ne sortait de ma bouche, mes cordes vocales ne répondaient plus.

Je tambourinais sur les miroirs, je griffais les murs, le sol… Mais rien à faire, je ne trouvais pas de moyen de sortir, comme si cette pièce était en réalité un cube parfait et infranchissable. J’insistais encore et encore… Je transpirais à grosses gouttes mais étrangement je ne manquais pas de souffle.

Lassée, je me suis laissée tomber sur le sol. Je ne sais pas combien de temps je suis restée comme ça… des secondes, des minutes, des heures… Mais comment le savoir. Je ne ressentais pourtant aucune soif et je n’avais pas faim, ni envie d’aller aux toilettes… Allongée sur le flanc, je traçais des ronds avec mon index de la main droite vers la plante. J’avais toujours aussi froid. Et toujours cette même sensation que je ne respirais plus ou que je n’en avais plus besoin. « Ma seule amie » murmurai-je intérieurement en regardant ma compagne de cellule, verte et immobile. Et alors un phénomène inexplicable et incompréhensible se produisit. Ce qui semblait être des paillettes accompagnées de lucioles brillantes jaillit de la plante et se déplaça vers moi, comme une fumée incandescente. Cette chose avança droit vers mon doigt encore tendu et la lumière entra en moi par là.

C’était impossible et pourtant une onde de chaleur me parcourut alors

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et je ne ressentis plus du tous les effets de la fraîcheur. La lumière avait disparu. Je clignais plusieurs fois des paupières en espérant pouvoir y comprendre quelque chose. Je poussais alors un hurlement, un vrai cette fois, quand je vis ma main. Elle ne comptait plus que trois doigts.

Chapitre 2 : Découvertes

Trois doigts à ma main droite, le pouce, l’index et le majeur ; encore cinq à ma main gauche. C’était incompréhensible. Mais c’était ma nouvelle réalité, qui m’enveloppait, terrorisante et pourtant si palpable.

Cette plante avait aspiré mes phalanges. Je m’allongeais en chien de fusil le plus loin possible de cette chose qui paraissait pourtant si innocente dans son pot en terre cuite. Des frissons parcouraient tout mon corps, accompagnés de spasmes. Je ne pleurais pas, mais j’étais morte de peur. Était-ce une sorte de laboratoire destiné à faire des expériences sur des jeunes filles comme moi ? Pour nous injecter un virus ou nous transformer en arme surpuissante ? Mais que m’arrivait-il… Trop de questions me submergeaient pendant que la douleur dans ma tête était de plus en plus présente. Je n’osais pas toucher ma main, explorer ce nouveau vide à la place de mes doigts, mais l’extraction n’avait laissé aucune trace, aucune cicatrice, c’était parfait. C’étaient comme s’ils n’avaient jamais été là.

Plusieurs minutes passèrent avant qu’un nouveau phénomène vienne perturber le calme de ma cellule. Mon dos me démangeait, au creux de mes reins. Je soulevai ma blouse et en regardant dans les miroirs, je remarquerai une grosse trace rouge circulaire à cet endroit. Au même moment, le sol se mit à vibrer. Je rabattis les pans de ma blouse au plus vite, tandis qu’entraîné par un mécanisme invisible, le carrelage descendait, encore et encore, comme un ascenseur géant. L’opération ne dura que quelques secondes. J’étais toujours allongée sur le sol quand un crépitement me fit sursauter. L’ascenseur se figea presque sans bruit. Une lumière bleue rayonnait dans ce nouvel environnement, elle pointait vers moi dans un crépitement sonore et sinistre. Elle m’aveuglait. Je plissai les paupières et ne distinguais presque rien. Une voix résonna une nouvelle fois dans ma tête.

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— Numéro 50 001, lève-toi et colle-toi contre le mur derrière toi !

C’est un ordre. Je tiens un pistolet à impulsion électrique, à la moindre bêtise, tu risques de t’en souvenir longtemps.

Encore ce numéro… Et ce pistolet, pourquoi j’étais traitée comme une criminelle ?

— Éteignez cette foutue lumière, marmonnai-je d’une voix enrouée.

Une main ne comportant elle aussi que trois doigts actionna un bouton sur le pistolet. Le crépitement cessa et la lumière s’éteignit.

Cette arme n’était pas semblable à celles que j’avais déjà vues. Elle projetait un éclair bleu trop fort, comme un laser. Mais je n’y connaissais rien. Nous étions à présent dans le noir complet. Je sentais malgré tout la présence de deux autres personnes, peut-être trois.

— Contre le mur ! ordonna la voix dans mon esprit.

J’essayai alors de me glisser le long de la plate-forme en tâtonnant.

Arrivée vers le bord, je laissai pendre mes pieds vers le sol, à en juger par la proximité de mes agresseurs, elle ne devait pas être très haute. Je me mis debout comme si je descendais de mon lit. Je tendis ma main gauche vers le mur dont je sentis le contact glacial tout proche. Je me mis dos à lui, curieuse de savoir ce qui allait se passer maintenant, tout en craignant ce futur incertain.

— Bien. Nous allons t’expliquer certaines choses. Je te déconseille de nous interrompre, sinon tu risques de te prendre une décharge. Il sera inutile pour toi de tenter quoi que ce soit pour t’échapper. Tu comprendras vite pourquoi. Tu as compris ?

Cette succession de consignes télépathiques commençait à me donner le tournis, mais je chuchotai malgré tout un « oui » presque inaudible.

— Parfait. Tu as récemment tenté de te suicider en te faisant écraser par un train. Et félicitations, tu as réussi.

— Que… Pardon ?

— Silence ! Je ne vais pas te le répéter. Tu te nommes Cose Lucie, tu viens de la petite ville de Fontana en France. Tu as 18 ans. Tu ne possèdes aucune aptitude particulière pour le sport, les sciences, les langues, l’économie et l’art. Tu proviens d’une famille de classe moyenne dans laquelle tu ne te sentais pas à ta place. Tes résultats scolaires étaient médiocres. Socialement, tu étais rejetée par ton entourage

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sauf par tes amis présentant les mêmes caractéristiques douteuses. Tu appartenais au genre « gothique ». En résumé, ta vie était un échec.

— Cette description est ridicule ! Et pourquoi vous me parlez de moi, je veux savoir où je me trouve et ce que vous me voulez bordel !

Vous n’êtes qu’une bande de prétentieux qui se cachent dans le noir.

Quand les autres apprendront ça…

Le reste de ma phrase resta coincé dans ma gorge quand un lasso m’entoura le poignet dans un claquement sonore, suivi par une décharge électrique si douloureuse que je m’effondrai au sol en hurlant.

Des larmes de douleur coulèrent sur mes joues. Le lasso disparut aussi vite qu’il était apparu.

— Je t’avais pourtant prévenue. Cette description sert à t’indiquer ce que tu ne seras plus jamais. Dès à présent et jusqu’à la fin de tes jours, tu porteras le matricule 50 001. On te nommera le plus souvent Numéro 50 001. Plus de Lucie, plus de prénom, plus de nom. C’est devenu inutile. Juste 50 001. Je te conseille de retenir ce nombre.

C’était toujours la même femme qui parlait, tandis que ses collègues restaient camouflés dans la pénombre persistante. Ses paroles n’avaient aucun sens. Mais les suivantes allaient être tout autant incompréhensibles voir plus.

— Nous vous accueillons toi et les tiens sur nos terres pour rétablir l’ordre des choses et retrouver un semblant d’harmonie en ces lieux.

Tandis que vos vies n’avaient plus aucun sens sur Terre, ici nous vous offrons la possibilité de tout recommencer. Vous allez enfin vous sentir à votre place. Dans cet endroit, une hiérarchie concrète est en place. Tu vas t’intégrer à un clan qui sera conforme aux nouvelles aptitudes dont tu disposes. Un système de classement te sera prochainement expliqué par tes compagnons qui sont déjà en situation régulière. Nous étions dans l’obligation de te garder en observation pendant un mois, mais ce problème est dès à présent réglé.

J’avais donc passé un mois dans cette cellule. C’était impossible, le temps m’avait semblé si court. Je ne comprenais rien. J’avais envie de crier et de casser quelque chose, mais la peur du lasso électrique m’en empêchait.

— Ton corps subit actuellement des modifications pour s’adapter à notre environnement. Tes orteils maintenant inutiles vont disparaî-

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tre. Tu vas perdre quatre doigts, tes cheveux, ta poitrine. Mais tu vas gagner tellement de choses… Je peux te prouver dès à présent que je dis vrai. Carlosio, pourrais-tu utiliser ta lumière s’il te plaît pour lui montrer ?

L’homme qui semblait apparemment s’appeler Carlosio soupira mais obtempéra néanmoins. L’air autour de nous se fit glacial, comme en pleine tempête de neige. Du vent soufflait dans la pièce. Je frissonnais. Mais ce souffle se dirigea alors vers les mains à trois doigts de Carlosio. Il aspira littéralement l’air ambiant. Et alors, une boule lumineuse jaillit de ses mains. La lumière était aussi forte que celle d’une ampoule. La sphère se dirigea vers le plafond blanc et s’y colla. Les trois êtres qui se tenaient devant moi n’étaient pas humains.

Je les détaillai avant de défaillir. Ils n’avaient pas de cheveux, ni de sourcils. Aucun poil. Ils étaient pâles et maigres. Ils portaient chacun de longues tuniques sur des pantalons noirs, avec des manches vaporeuses. Mais elles se distinguaient chacune par des couleurs frappantes. Celle de Carlosio était d’un jaune pétant, tandis que celle de la femme était d’un vert forêt trop parfait et pour finir celle du deuxième homme était noire. Mais d’un noir étonnant, au point où il ne présentait aucune imperfection. Ces couleurs étaient stupéfiantes. Je tombai dans les pommes au moment où je constatai que chacun d’eux était affublé d’une longue queue semblable à celle d’un félin, au détail près qu’elle était exactement de la même teinte que leur tunique. * Parfois on peut écouter la musique, fermer les yeux, savourer cette mélodie, jusqu’à ce qu’elle nous transperce et nous donne des frissons.

J’avais auparavant souhaité que ma vie soit ainsi, trépidante, avec une fin qui briserait le cœur de ceux qui s’étaient permis de s’y intéresser. Malheureusement, j’avais basculé dans l’ombre et la haine. J’avais toujours préféré agir lâchement. Je ne voulais plus résister, insister, pour trouver un bonheur qui n’existerait plus. Je l’avais, je l’ai perdu.

Alors j’ai choisi de mettre fin à mes jours, cette option était la seule envisageable, je devais finir comme ça, damnée. J’imaginais souvent l’enfer, des flammes partout, une trop forte chaleur pour être support-

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able, l’absence d’air, de nature, de musique, la solitude, l’ennui. J’avais aussi envisagé qu’il n’y avait pas de suite après la mort, juste un trou noir et une fin. Tout ça au final, m’avait été arraché par ces étrangers. Je me retrouvais dans un monde inconnu ou la télépathie était monnaie courante. J’ouvris une nouvelle fois les yeux sur ce nouvel environnement et ce que je vis me terrifia et me fascina à la fois.

J’étais allongée au bord d’une falaise. Le vent soufflait doucement et soulevait mes cheveux dans un tourbillon. Il était tiède et sa présence était presque rassurante, comme si elle représentait le fait que l’air était toujours présent dans cet endroit étrange. La falaise descendait en pente très abrupte. Je relevai la tête vers le ciel. Le crépuscule approchait. Et alors que je m’attendais à voir un ciel bleu marine, il m’apparut avec des dizaines de couleurs différentes, des nuances de rose, orange, violet… C’était à la fois splendide mais aussi terrifiant car ce n’était pas naturel, pas habituel. J’entendais des cris d’animaux, des chouettes, des grenouilles, des félins… Peut-être même des loups.

Je sentais clairement la présence des trois protagonistes derrière moi, mais je préférais me pencher au bord de la falaise pour observer cet environnement plutôt que de me retourner vers eux. Je me répétais dans mon esprit « Tu es Lucie, tu as 18 ans. Tu as fait une tentative de suicide. Ceci est un rêve, ou un cauchemar. Rien n’est réel ».

J’agrippai la bordure. La pierre était teintée de rose et elle s’effritait entre mes doigts. J’étais très mauvaise pour évaluer les distances, mais je devais me trouver à une vingtaine ou une trentaine de mètres en hauteur. Un lac, très grand, s’étendait en contre bas. Des arbres au feuillage multicolore poussaient un peu partout autour. L’eau reflétait de façon spectaculaire les couleurs du ciel. Mais ce n’était pas le plus frappant. Autour du lac, il y avait sept hangars. Ces derniers faisaient tache dans le paysage, comme s’ils avaient été rajoutés récemment et à contrecœur. Ils formaient une étoile à sept branches à côté du lagon.

Inexplicablement, des rayons lumineux sortaient de chacun de ces bâtiments et se dirigeaient vers l’eau. Un jaune, un vert et un noir comme celui des trois extraterrestres, un blanc éclatant, un bleu profond, un rouge sanglant et un dernier composé de toutes ces teintes à la fois qui s’entremêlaient.

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Ces faisceaux plongeaient dans le lac et de ce dernier s’échappaient des centaines voire des milliers de grosses lucioles multicolores qui remontaient vers la voûte.

En face de moi, à égale distance, se trouvait une falaise identique.

Mis à part qu’un château énorme, visible d’ici était taillé dans la pierre.

Il était composé de deux grosses tours collées à la paroi et d’un gros bâtiment central qui semblait plonger jusqu’au centre de la Terre. Il était trop imposant et fascinant. Certaines lucioles se dirigeaient vers lui et leurs lumières disparaissaient à son contact.

Stupéfiée par ce spectacle, je me décidai néanmoins à enfin me retourner, pour cette fois faire face à une forêt gigantesque, présentant elle aussi toute la palette de coloris de l’arc en ciel.

La femme chuchota dans mon esprit : « Bienvenue sur ta nouvelle planète ».

Chapitre 3 : Créatures

Cette forêt était grandiose, il était impossible d’apercevoir ses extrémités, autant à l’ouest qu’à l’est. La falaise se prolongeait sur la même distance, semblait-il. Les arbres serrés les uns contre les autres semblaient bouger au rythme d’un cœur battant. C’était comme si un splendide paysage automnal s’étendait à perte de vue, tout en étant nuancé de façon impossible, de rose, de bleu, de violet… Des dizaines d’oiseaux troublants virevoltaient au-dessus des feuillages et replongeaient se cacher dans cette touffe épaisse et inconnue.

Les trois extraterrestres me fixaient en souriant. Leurs queues semblaient être attirées ensemble comme des aimants, elles se touchaient presque avant de s’éloigner brusquement et de revenir l’une vers l’autre.

La similitude des couleurs de leurs tuniques avec celles des faisceaux lumineux en contrebas me frappa. Cet environnement multicolore commençait à me perturber, j’avais atterri dans le monde des bisounours. Il ne pouvait s’agir que d’un rêve. Un monde pareil ne pouvait pas exister. Je fermai les yeux en plissant les paupières, je touchai ma main à trois doigts en frissonnant.

J’essayais de chuchoter quelques mots mais ma gorge semblait vide, abandonnée. Alors je pensai : « Je veux rentrer chez moi » La femme répondit immédiatement dans mon esprit : « Tu es chez toi ici et maintenant. » Impossible, rien n’était réel. Je réfléchissais à des tas de questions, mais je n’arrivais à en formuler aucune mentalement. En effet, mon esprit semblait pouvoir dissocier mes pensées profondes des paroles que je voulais prononcer, comme s’il était séparé en deux tiroirs distincts.

Je demandai simplement « Pourquoi ? »

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