Manuel de Formation du Little Buddha
Alexandra Klein-Sauder
Manuel de Formation du Little Buddha
« L’écriture est une aventure. Au début c’est un jeu, puis c’est une amante, ensuite un maître et ça devient un tyran » - Winston Churchill -
À mon Doulpoux qui supporte mes lubies À mon Little Buddha qui m’inspire et anime ma vie À Sonia qui a eu la patience de relire et corriger À Manuella qui a su mettre en couleurs les images rêvées À Julie qui me comprend Merci.
Le manuel de formation du Little Buddha est là pour vous expliquer ce par quoi vous passerez peut-être — voire très certainement pour ne pas dire sans doute — si d’aventure vous tentiez de vous lancer dans la grande odyssée de la vie. Ces moments de solitude où l’on se trouve sur son canapé, fauteuil, lit, salle d’attente et où l’on se dit « POURQUOI MOI ? », avant de fondre en larmes et de penser qu’on est vraiment heureuse. Oui, vous traverserez cette merveilleuse aventure pleine de contradictions… et surtout de contrariétés ! Avant d’être un merveilleux petit Little Buddha qui mange, dort, sourit et remplit des couches malodorantes, régurgite du lait caillé et pleure à cause de ses fichues dents qui ne veulent pas sortir, il était un Zygote bienheureux dans une piscine sur-mesure — ou presque — où il ne faisait que manger, dormir et, sans doute, aussi un peu sourire.
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J’ai survécu vécu cette gestation, tel un zeppelin rabougri, telle une baleine aérophagique, riant de tout et pleurant pour rien. C’est ce que raconte ce journal de bord dédié à cette petite crevette devenant doucement un joli homard. Et puis, il y a « Elles ». Ces extra-terrestres venues d’ailleurs qui ont traversé les mêmes épreuves et parfois d’autres, moindres ou plus compliquées. Elles, qui ont donné naissance à des têtards la même année. Alors un clin d’œil à toi qui a donné naissance à un futur golgoth, à toi qui as partagé ces premiers instants avec moi et qui as fait naître une amitié si précieuse, et toi qui, avec tes six mois d’avance, teste pour nous toutes les techniques et ruses pouvant nous simplifier la vie. Entourez-vous pour ce périple : il vous faudra quelqu’un qui comprendra que vous vous colliez des feuilles de chou sur les nichons sans vous menacer d’une camisole, quelqu’un qui acceptera sans mauvaise grâce les soixante-dix-neuf photos de votre nems tout juste cuit que vous lui enverrez, quelqu’un à qui vous pourrez confier que vous n’arrivez pas à faire caca et que votre épisiotomie vous gratte…
Chapitre moins neuf
C’est quand même pas croyable de sentir aussi mauvais. Travailler dans ces conditions n’est plus possible. Cette collègue doit se laver, je ne la supporte plus. Si je reste cloîtrée dans un espace confiné une minute de plus, je ne répondrais plus de rien. L’envie de restituer version smoothie chacun de mes repas n’est vraiment pas une idée des plus alléchantes. Qu’est-ce qu’il m’arrive bon dieu, je deviens mauvaise…
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Chapitre moins huit trois quarts
Je ne suis peut-être pas si méchante. Je suis peut-être tout simplement habitée. Enfin, c’est ce que ce bout de plastique doit me dire. Ce bout de plastique... parlons-en de ce bout de plastique ! Aussi grand qu’un timbre poste, celui qui l’a inventé ne peut être qu’un homme ! En formation crapaud au-dessus de la cuvette, je ne sais pas si je dois rire ou pleurer en essayant d’uriner sur mon petit bout de buvard sans m’en mettre plein les doigts ! Pour ensuite attendre nerveusement en regardant un coup le chrono, un coup le bâtonnet, un coup le chrono, un coup le bâtonnet… Oh, tiens, il y a une ligne bleue, c’est joli. Une ligne bleue, c’est quoi déjà ? Oh, mon dieu. Oh !
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J’ai relu trente douze fois. « La ligne bleue apparaît lorsque vous êtes enceinte » Mais, je ne suis pas enceinte ! Je n’ai pas envie de fraises, je n’ai pas de gros ventre et puis je prends la pilule ! Il faut avertir le mâle. Celui qui a dit qu’il ne se marierait jamais et qu’il n’aurait jamais d’enfant... Oui, celui-là même qui est mon époux et qui va être papa...
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Chapitre dernier de la journée
— Blurp — Blurp sera mon dernier mot de la journée. Mon premier et mon dernier. Du lundi au lundi. Du premier au dernier mois — mais ça, heureusement je ne le sais pas encore... 22
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Chapitre un quart
Je demande une minute de silence, s’il vous plaît. Une minute de silence pour ce jean que j’aimais tant et qui, ce matin, dans un élan de désespoir, a refusé de se fermer. Tout bonnement, il a dit « Non ». Je l’ai délicatement replié et remis dans sa couche en le berçant, lui murmurant quelques mots doux et en espérant secrètement le revoir rapidement. 25
S’ensuit un épisode tragique, censuré par ma fierté et mon orgueil, où des tenues se sont jetées sur moi pour finalement se rétracter et refuser de se fermer. Une véritable révolution dans mon placard. Je les soupçonne, avec le recul et la tête froide, d’avoir voulu se faire un sauna dans le sèche-linge et d’avoir trafiqué la température.
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Chapitre du vide
Il y a un Zygote de quelques millimètres en train d’installer ses quartiers. Pas plus grand qu’un cloporte et déjà, il tente de mettre le bazar en déréglant tout ce qu’il peut et en poussant les murs qu’il peut. La cohabitation va s’avérer compliquée mon coco, si tu crois que tu peux faire la loi dans MON bidon. Mais il s’agit encore d’une colocation secrète et non déclarée. Nous avons deux mois rien que pour nous, à faire croire à une grippe tenace même si personne n’est dupe. Une grippe ne donne pas la nausée... c’est bel et bien du virus de la gastro dont je n’arrive pas à me séparer, parole de collègue.
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Chapitre de treize heures vingt-neuf
J’aime mon travail. Enfin, je l’aimais plus avant de commencer à ressembler à un phacochère en pleine digestion. Pause de midi quinze à quatorze heures. Sans compter le trajet pour retourner du canapé au bureau. Avant, mes paupières s’affaissaient à treize heures pétantes et s’ouvraient BinG ! Bam ! Bidiboum ! à vingt. Avant, à trente-cinq, j’étais prête, sur le pied de guerre, OK pour aller tout conquérir au bureau ! Maintenant, le réveil sonne à quarante-cinq, je quitte le canapé à quarante-sept, à quarante-huit, j’enfile difficilement mes chaussures, à cinquante et un, j’ai le regard dans le vide, celui de celle qui dort encore et à cinquante-quatre, je me dis que ça fait quatre minutes que je suis censée être déjà partie ! Une minute de plus et je me dis que finalement je suis large… ou pas.
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