Diane Vasilescu
Mémoires oubliées des étoiles Tome 1 : Matricule NV13
Mémoires oubliées des étoiles Tome 1 Matricule NV13
ISBN : XXX © Diane Vasilescu, Mémoires oubliées des étoiles, 2014.
Diane Vasilescu
Mémoires oubliées des étoiles Tome 1 Matricule NV13
À tous ceux que j’aime.
« Je me révolte, donc nous sommes. » Albert Camus, L’Homme révolté
Chapitre I Histoire de Célébrian
Le vaisseau-cigare s’était échoué sur la plate-forme coulissante, le pilote ayant raté de peu la trappe d’entrée. Il ramenait les véhicules intermédiaires d’un séjour sur la base lunaire, où une réunion de la Confédération avait eu lieu… il était urgent d’agir. Le Miria, nom du vaisseau andromédian, était une sorte de paquebot de l’espace pouvant contenir jusqu’à 3 000 passagers issus de plusieurs systèmes solaires. La propulsion se produit par une double énergie : la pensée des pilotes se joint à des cristaux organiques. Ils se déploient dans un éventail de couleurs autour d’une large colonne. Une des pilotes, Lady Zee, était une amie. On avait donc ajourné mon jugement. Et le Chevalier m’avait fait parvenir un message presque larmoyant : les liens affectifs à ton égard
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s’étaient évaporés, l’amour pour toi avait commencé d’envahir mon corps physique, ma tête, mon âme. Ce n’était pas le jour, donc. Il est vrai que je n’avais pas envie de recevoir en pleine figure les rayons cosmiques de cette atmosphère toxique au possible, et pourtant, je devais me rendre à l’évidence, j’étais amoureuse de ce terrien. De ma lunette grossissante, je le voyais, parfois, en survol de reconnaissance, dans ce vaisseau que je commandais, moi, Célébrian, vénusienne hybride de Sirius. Sirius apparaît comme l’étoile la plus brillante dans le firmament, belle, et au moins vingt fois plus lumineuse que le soleil de la planète Terre. Les Siriens ont fait alliance avec les Grands Blonds dans leur guerre contre les Reptiliens gris d’Orion. C’est ainsi que je naquis, d’une Pléiadienne blonde aux yeux d’émeraude claire, et d’un père grand scientifique de Sirius. Égarée dans l’espace, pas autant que moi, cependant, pas autant que moi en ce moment. Son regard de tigre s’était jeté sur moi, alors que je sirotais un cocktail nocturne, à la terrasse d’une quelconque base isolée, quelque part sur cette planète en pleine tourmente.
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Changer de dimensions avait toujours été ma spécialité, passant de siècle en siècle à travers des faisceaux croisés d’espace-temps tordus à l’envi. Mais même les explosions de taches solaires ne m’avaient pas autant atteinte. Tes yeux comme des flammes, ces mots d’Apollinaire résonnaient dans ma tête. Dans l’hyperespace, on est toujours soumis à la fatalité de l’amour. Clouée au pilori par cet être imparfait, à l’ADN cassé pour mieux l’asservir, cela creusait des brèches dans mes vibrations. Je me voyais condamnée à errer dans ce système solaire sans surprises, mis en danger depuis cinquante années terriennes par les humanités aveuglées qui habitaient la planète ; tout ça pour le voir, mon double exilé sur la Terre, moi qui vis à Retz, capitale de la planète dite Vénus. Pour couronner le tout, j’avais été convoquée par les Grands Maîtres des tribunaux saturniens : une vieille histoire d’infraction, alors que je ne défiais jamais l’autorité cosmique. Quand je les ai vus arriver, avec leur uniforme barré du signe : Saturne et ses anneaux enroulés dans une balance – Justice, ne me condamnez pas parce que j’aime, j’aime à travers l’interdit de surface
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– symbole des édifices sous cloche se hissant sur les satellites Titan et Europa. Je savais que je devais payer, d’une façon ou d’une autre. À l’instant de mes réflexions, je reçus un appel télépathique du Chevalier : il avait besoin de moi. Je me trouvais au centre de la base qui recevait les merkhaba, vaisseaux-mères vénusiens ; on attendait l’un des plus beaux, de retour de mission. La situation sur la planète émeraude ne s’améliorant pas, le conseil des Maîtres Ascensionnés se concertait plus souvent. Mon affaire se devait d’être reléguée à la nouvelle rotation rétrograde de Vénus. C’est alors que je reçus le signal du Chevalier. Le vaisseau-cigare s’était échoué sur la plate-forme coulissante, le pilote ayant raté de peu la trappe d’entrée. Il ramenait les véhicules intermédiaires d’un séjour sur la base lunaire, où une réunion de la Confédération avait eu lieu… il était urgent d’agir. Le Miria, nom du vaisseau andromédian, était une sorte de paquebot de l’espace pouvant contenir jusqu’à 3 000 passagers issus de plusieurs systèmes solaires. La propulsion se produit par une double énergie : la pensée des pilotes se joint à des cristaux organiques. Ils se déploient dans un éventail de couleurs autour d’une large colonne. Une des pilotes, Lady Zee, était une amie.
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On avait donc ajourné mon jugement. Et le Chevalier m’avait fait parvenir un message presque larmoyant : les liens affectifs à son égard s’étaient évaporés, l’amour pour toi avait commencé d’envahir mon corps physique, ma tête, mon âme. Ce n’était pas le jour, donc. Le Chevalier habitait un palais de cristal où se reflétaient les aurores boréales du soleil intérieur vénusien. Il s’était retiré sur cette colline, en à-pic de la troisième mer endiamantée. Il y vivait avec sa compagne depuis qu’il avait quitté la Confédération. Il n’avait pourtant pas accompli les trois cent soixante ans fatidiques. Cette nuit-là, il me reçut seul, comme à son habitude. Un siège émergea du sol brillant, se moulant immédiatement à mon corps. Il me parla directement, me fixant de ses yeux bleus transparents, dans un visage lisse et sans âge : – Nos disques enregistreurs des fréquences terriennes ont tous signalé qu’il est temps… les terriens… – De quoi ? répondis-je. Ils macèrent depuis des millénaires dans l’ignorance et une sorte de barbarie joyeuse. C’est tellement le chaos dans deux ou trois continents que nos ennemis prospèrent. L’économie reptilienne a pris le pas.
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Il se redressa sur le fauteuil et but une gorgée de jus d’abricot : – Certes… mais on peut toujours les aider à renverser ce cycle de la souffrance et de la peur. Peur panique, esclavage au travail pénible, dénué de sens la plupart du temps, esclavage au crédit surdimensionné, esclavage au Phénix, leur monnaie mondiale, au déséquilibre abyssal de leurs richesses réparties. – En laissant s’établir dès le début des Temps Terriens tous les laissés-pour-compte de la galaxie, en mutilant leur ADN, les Créators ont poussé au paroxysme leur instinct de mort et de destruction. – Célébrian, il faut aider les Terriens à s’en sortir. On a besoin de toi. Tu pars en mission dès la nouvelle Rotation vénusienne. J’ai demandé aux Saturniens le report de ton jugement et la transformation de ta future peine en séjour sur la Terre. Il faut les éduquer… Là, ma réaction a été immédiate : – Oh non ! J’ai déjà pris vingt-cinq de leurs années dans leurs maisons à instruction où leurs petits stagnent des décennies entières sans rien apprendre… ou à ingurgiter des insanités propres à développer leur esclavage futur. Peu échappent à cette loi de l’esclavage, c’est désespérant. Les cent familles dominantes ne sont pas prêtes à passer la main.
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– D’autre part, je sais que ton cœur s’est accroché aux ondes d’un jeune guerrier − il ne le sait pas encore – de cette planète… Tu sais que c’est interdit… Je vais donc t’allouer un apprenti-chevalier qui a fait ses classes sur Mars. Arros t’escortera dans cette tâche. – Quelle confiance ! – Arros a un double-miroir mis en service seize années avant lui, Damian Red. – Damian est un Martien exilé sur Terre : il a pour mission de parcourir cette planète tout en rendant compte aux tribunaux saturniens. – Il est aussi un agent infiltré de la Confédération, poursuivit-il, en se levant pour vérifier la tenue des diverses plantes et fleurs qui habitaient sa terrasse marmoréenne. Il faut tenter par tous les moyens de freiner la progression reptilienne et la catastrophe finale. Les déséquilibres naturels et économiques, ainsi que l’état d’esprit général déplorable des Terriens, dès la fin de l’ère du Verseau, créent des égrégores, et la pulsation de la Terre s’en ressent. – Son aura est en train de s’éteindre. La pulsation de la Terre s’enraye, la résonance de Schuman, révélatrice de l’électromagnétisme de la Terre, s’achemine vers le point zéro. Lorsque le soleil se lèvera à l’Ouest ; ce sera alors le passage attendu dans la quatrième dimension, puis la cinquième.
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– Nous passerons alors dans le règne de l’Amour, peut-être après un blackout. – Mon calvaire sentimental aura cessé, j’espère… Cher Chevalier, je veux cesser de souffrir, et enfin aimer librement et être aimée. – Dis-moi que l’amour va enfin me sourire. Que ma condamnation sera levée. À ces mots, il me regarda intensément en secouant ses longs cheveux couleur de sable, car il savait que l’amour est le moteur essentiel de toute vie dans tous les Univers.
Chapitre II Damian R ed le M artien
La perspective de quitter Vénus pour une mission sur la Terre n’était pas pour me rassurer. Je ne me lassais pas des paysages aussi luxuriants que calmes de ma planète. Guidée par la présence bienveillante de la boule de cristal régnant dans le ciel vénusien, aux lueurs brillantes, déclinant tout l’arc-en-ciel et les splendeurs des pierres précieuses, je me promenais souvent dans la prairie attenante à ma maison, aux colonnes de marbre, abritant l’infrastructure cristalline de l’édifice cerclé d’or. La transparence des murs, qui n’exclut pas leur solidité, permet la vision rassérénante des palmiers qui bordent le lac.
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Non, je ne voulais pas de nouveau embarquer dans un vaisseau, obligée de faire le tour du soleil pour enfin se poser sur l’Himalaya. Pourtant, les Sages siégeant au Palais de la Vérité m’avaient demandé expressément, sous le Dôme prismatique, et le lac suspendu, de repartir pour la Terre. Ça se passait mal là-bas. Une crise économique sans précédent avait balayé la planète, la huitième année après le passage dans le troisième millénaire, selon le temps linéaire. Quatre cavaliers de l’Apocalypse financière avaient déferlé de l’Empire de l’Ouest pour tout emporter. La révolte générale avait été évitée de justesse. L’année d’après, je ne fêtais pas, ici, à Retz, la moitié de mon voyage dans mon corps physique vénusien, c’est-à-dire cinq cent années terrestres. À l’instar du chapelier fou d’Alice au pays des Merveilles, je préfère célébrer les non-anniversaires. J’ai horreur, en général, des événements calibrés à l’avance. En outre, la montée dans le rideau de photons en vue de l’élévation dans la cinquième dimension engendrait des bouleversements naturels et spirituels, en plus du délabrement financier.
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Les vaisseaux gigantesques des ascensionnés de la treizième dimension patrouillaient dans le système solaire – sur leurs gardes. Le changement de polarité risquait de mal tourner. On avait besoin de moi là-bas. Je devais – encore une fois – changer le taux vibratoire, très élevé ici chez moi : l’énergie-lumière rend transparents les bâtiments et ma fréquence s’ajuste à cette dimension. Mon apparence aussi se transforme, par un procédé technologique secret : mes yeux bleus céruléens translucides sont foncés, ambre, ils résistent mieux à la nocivité du ciel terrien. Mes cheveux platine sont protégés par un casque doré, tout mon corps s’appesantit sauf ma peau. Sa texture fine, incroyablement soyeuse et délicate, est inaltérable. Telles étaient mes pensées en quittant la demeure du Chevalier. Il m’avait laissé en mains un cristal contenant les dossiers de Damian R. et d’Arros. Après avoir enclenché le protocole, l’hologramme de Damian Red se déploya devant moi. De haute stature, les muscles tendus sous sa combinaison rouge-sang qui le moule intégralement, Damian Red impressionne par le feu érotique qui le dévore. Dans son visage racé, au fin nez aquilin,
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ce qui le révèle vraiment, ce sont ses yeux oblongs, sombres puits sans fond où l’on peut s’immoler ; un casque de guerrier dompte ses cheveux noirs. Damian Red est un séducteur interplanétaire, dont les yeux, qu’il tient de sa mère reptilienne, jettent des lueurs incandescentes. Les cris de jouissance et de désespoir de ses proies résonnent encore de Saturne à Pluton, en passant par Vulcain et Vénus. Damian a aussi semé son charme serpentin sur la Terre, où les femelles de type I attendent toujours son appel. Les pauvres. Il vit sur Mars, dans une hyperstructure à la verticalité éloquente et symbolique. Sa maison est une glacière, car son corps, constamment en ébullition, ne supporte pas la chaleur. Sa puissance sexuelle avait rendu folle une belle Saturnienne, fille de grand maître des Tribunaux de Saturne, lors d’une croisière trimestrielle d’enseignement à travers le système solaire. Elle s’était jetée d’un hublot pour se fondre dans l’Océan cosmique originel. Son père avait jugé Damian et l’avait condamné à l’exil sur la pire des planètes, la Terre. Mais l’esprit affuté de Damian l’avait fait s’évader à plusieurs reprises de sa prison. En fait, Damian revenait régulièrement sur sa demeure martienne. Il avait besoin
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de sentir le frisson gelé de son architecture sur sa peau. Au cours d’un de ses périples, il avait ramené sur une base lunaire martienne une pilote pléiadienne égarée après l’écrasement de son vaisseau venant de la planète-mère, Erra. Il avait presque calciné son cœur. Heureusement, Célébrian et le Chevalier avaient secouru Efira. Ce que le Chevalier ne savait pas, c’est que Célébrian connaissait Damian. Il lui avait été alloué comme escorte sur la Terre, mais ils avaient déjà mélangé leurs pensées. Quant à Arros, la ressemblance avec son coéquipier était frappante en général, mais des détails pourtant faisaient la différence : regards d’opale verte, arête du nez parfaite, silhouette plus massive malgré sa mise en service récente. Un même casque doré cachait sa chevelure brune. L’hologramme le montrait en combinaison de pilotage chocolat avec des rayures bordeaux. Cet apprenti guerrier, mi-terrien, mi-saturnien, avait été emporté sur Mars dès sa naissance par sa mère, une Saturnienne aux cheveux noirs comme le vide sidéral. Elle préférait la vie sur Mars aux rigueurs saturniennes. Et puis, c’était plus près de la Terre, où le père d’Arros, un entrepreneur du continent eurasien, dirigeait ses affaires. Il avait partici-
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