Soo-Hyun Moret
Merci la cigogne
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Soo-Hyun Moreta
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Ce récit est autobiographique. L’auteure parle à la première personne. Les noms des personnages (excepté Andrès Viret et Patrick Pichard) ont été modifiés. En revanche, les noms de lieux sont réels.
Introduction
Lorsque j’ai eu l’idée d’écrire ce livre, je voulais que ce soit un récit d’aventures en Corée, durant mon congé sabbatique. Je tenais à ce que le texte soit léger et qu’il parle des tribulations d’une adoptée retournant dans son pays d’origine pour y découvrir le mode de vie, y rencontrer les gens et relater ses impressions. J’avais envie que le livre soit plaisant, drôle et délassant. Mais je me suis rendu compte que si je gardais cette trame, je continuais à porter mes masques, ceux au travers desquels je montre uniquement les beaux aspects de ma vie... Comportement que j’ai adopté pendant de si nombreuses années et que je ne souhaite plus garder aujourd’hui. Alors je me suis souvenue que, lorsque j’étais adolescente, j’étais entrée dans une libraire pour trouver des témoignages d’enfants adoptés. À l’époque, on m’avait dit qu’il n’y en avait pas. J’étais déçue, car je passais par une période difficile et je voulais à tout prix lire des récits de personnes vivant les mêmes émotions que moi. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, j’ai décidé d’évoquer une partie de ma vie depuis mon premier
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voyage en Corée. J’inclus toutes les facettes, notamment celles que j’ai si longtemps cachées car j’en avais honte.
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À part le fait d’avoir romancé mon histoire, j’ai gardé la nature des sentiments et des impressions. Je conserve sciemment, pour ce témoignage, un vocabulaire familier, dur et parfois vulgaire, car je retranscris les émotions telles que je les ai vécues à l’époque. À l’heure actuelle, j’ai un regard différent sur cette période, mais pour moi, la valeur de cet ouvrage réside dans l’émotion vécue au moment des faits. J’avais confié mes pensées à des cahiers et je les ai reprises telles quelles. Je le fais, car c’est un livre semblable à celui que je recherchais étant plus jeune. Un livre dans lequel je puisse retrouver des sentiments concrets, bruts et sans réflexion après coup. Je parle de ma vie dont certains passages peuvent être pénibles à lire. Je précise que c’est mon ressenti, mon vécu et que ça ne représente pas forcément une généralité parmi les adoptés. Je reconnais avoir eu, dans le passé, de fausses idées sur les autres et sur moi-même (d’ailleurs, j’en ai encore aujourd’hui). Alors, il ne faut pas prendre mes mots au pied de la lettre. C’est mon interprétation des faits, ma vision de la vie et non une vérité. C’est mon témoignage et je ne peux parler que de MA vie. Certains d’entre vous se rendront compte qu’on n’est pas seul à traverser des moments douloureux et qu’en être conscient peut parfois aider. Si j’avais pu lire un tel
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livre pendant mon adolescence, je me serais certainement sentie moins perdue, j’aurais pu trouver quelqu’un à qui m’identifier et j’aurais eu moins peur de devenir « folle ». Le but de ce témoignage est de permettre une certaine compréhension de ma vie d’enfant adoptée. J’explique pourquoi j’ai développé certains mécanismes : ma fameuse quête d’identité, les différentes blessures intérieures et ce besoin d’identification. Je ne dis pas que mon écrit parlera à tout le monde. Mais si vous prenez des petits morceaux ici et là, que ça vous aide à mieux vous comprendre ou comprendre l’autre, si vous avez simplement du plaisir à lire mon histoire, ce sera une grande joie pour moi. Je partage avec vous ma transformation intérieure. Je passe d’un regard intransigeant sur moi-même (donc forcément aussi sur les autres) à une acceptation et à une libération. C’est un processus qui a pris du temps, mais qui en vaut largement la chandelle car c’est magnifique pour moi de vous en faire part aujourd’hui. Cela fait de nombreuses années que j’ai ce projet. J’ai attendu d’avoir 34 ans pour me lancer dans la rédaction. En fait, je manquais de courage. Par courage, j’entends qu’il a été difficile de me replonger dans des périodes remplies de souffrances et d’incompréhensions. En relisant quelques phrases écrites à l’époque, je retombais dans cette atmosphère pesante et je la vivais comme si elle était d’actualité. Il a fallu que l’eau coule
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sous les ponts pour que je puisse revisiter ces moments passés. L’été 2009, j’étais avec deux adolescents qui me sont chers. Ils m’ont encouragée à écrire, m’ont dit qu’ils se réjouissaient de lire mon histoire et surtout qu’ils croyaient en moi. Cela fait plus de quinze ans que j’ai cette idée de livre en tête, mais je n’ai jamais entrepris de démarches pour agir. Grâce à leurs encouragements, ils m’ont aidée à concrétiser ce rêve.
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En juillet 2010, j’ai terminé mon écrit et je l’ai envoyé à plusieurs maisons d’édition. Toutes les réponses étaient négatives, elles ne souhaitaient pas éditer mon livre. A ma grande surprise, plusieurs maisons ont mentionné qu’elles ne ressentaient pas les émotions ! Je n’en revenais pas. Sur le coup, ça n’était pas facile à lire car je pensais que ce que j’avais énoncé dans mon témoignage était poignant (oui, ça vient des tripes et surtout des choses que je n’ai jamais vraiment osées dire avant et encore moins en public). D’ailleurs j’avais un peu peur d’avoir écrit comme je l’ai fait car je pensais que ça serait trop émotionnel. Donc heureusement que les mois ont passé car je comprends mieux aujourd’hui certaines choses. Il est vrai qu’il n’y a pas d’émotions, surtout lors du premier voyage en Corée. C’est pratiquement que de la description.
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Je me permets d’expliquer pourquoi mon texte est comme ça. J’ai repris les cahiers de ce voyage avec ma maman. La première fois que je suis allée à Séoul, je regardais autour de moi ou j’écoutais. J’écrivais sur la découverte du paysage, des gens, des odeurs… Mais mon cœur était fermé, j’étais coupée de mes émotions. Et je pense que ça n’est pas pour rien que dès mon retour, j’ai vécu un tsunami durant 6 mois. Tout ce que je n’arrivais pas à vivre ou ressentir durant le voyagemême était ressorti après. Le fait de rester dans ce qui était purement descriptif, m’aidait à cadrer mon esprit sans lui laisser l’occasion de vagabonder vers des pensées ou sentiments qui m’auraient troublée, émue, énervée, rendue triste. J’étais un automate, sans la fonction ressenti. Mais c’est mon vécu, et c’est pour cela que les premières pages du récit sont complètement détachées d’émotions. Décrire ce que je voyais, permettait d’occuper ma tête. C’était factuel. Je transcrivais ce que j’avais vu durant la journée. Cela ne laissait pas de place à des pensées évasives ou à écouter mon corps et mon cœur. D’une certaine façon, le fait de ne pas entrer dans le ressenti me permettait d’avoir le rôle d’observatrice et non actrice. C’était comme si je découvrais un pays en tant que touriste et même plus encore, avec détachement. Alors, ne souhaitant pas dénaturer mon expérience, je maintiens l’état descriptif tel qu’il est à l’origine.
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Par contre, j’espère que mon commentaire a apporté un éclaircissement sur l’absence d’émotions de cette période.
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Brève présentation Je suis née le 25 janvier 1975 à Pusan, en Corée du Sud. J’ai été adoptée à l’âge d’un an par une famille suisse. Mon grand frère, le fils biologique de mes parents a six mois de plus que moi. La famille s’est agrandie avec l’arrivée de mon petit frère qui vient de l’Inde. Il est mon cadet de quatre ans. Ma maman est svelte, assez grande, blonde aux yeux bleus. C’est une femme douce, facile à vivre et qui a une capacité à s’adapter à toutes sortes de situations. Quant à mon papa, il est brun et ses yeux sont couleur noisette. C’est un épicurien qui a l’âme d’un meneur et qui s’intéresse à grand nombre de choses. Il est remarié depuis plusieurs années. J’ai vécu, jusqu’à mes 18 ans, dans un petit village de la campagne vaudoise (Suisse). Pour moi, cela a été un bonheur de grandir dans cette belle famille où je n’ai manqué de rien. J’ai été à l’école de commerce à Nyon et ensuite j’ai décidé de voyager durant trois ans et demi afin de perfectionner mes connaissances linguistiques. En effet, depuis mon jeune âge, je souhaitais être hôtesse de l’air. Après mes séjours à l’étranger, je suis revenue en Suisse et j’ai travaillé cinq ans pour deux compagnies
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aériennes jusqu’à la fin de l’année 2001. Cette vie m’a permis de vivre des moments inoubliables. Pendant mon enfance, il ne fallait pas me parler de mon pays natal. Cela ne m’intéressait pas. Plus les années passaient et plus je refusais catégoriquement mes origines, car cela éveillait trop d’émotions que je n’arrivais pas à saisir. En 2004, durant l’année de mes 29 ans, j’étais dans un centre commercial et je parlais avec ma maman. Je me souviens de lui avoir posé la question sur un ton désinvolte (comme si je lui proposais de venir au cinéma avec moi) : « Dis maman, j’aimerais bien retourner en Corée, est-ce que tu voudrais bien venir avec moi ? ». Elle m’a répondu oui sans aucune hésitation. Cette conversation a duré à peine deux minutes. Il n’y avait eu aucune préméditation de ma part. Pourtant, cette demande spontanée correspondait à un besoin vital. Le récit commence le premier jour de notre voyage en Corée.
Premier voyage en CorĂŠe