Hervé Vankriekingen
Des peurs de l’an mil aux excès des Borgia ! Histoire des papes de 999 à 1503
- Papes - A ntipapes - États Pontificaux - L a prophétie de Saint M alachie - Ce qu’en pensait Dante A lighéri -
Des peurs de l’an Mil aux excès des Borgia Histoire des papes de 999 à 1503
Hervé Vankriekingen
Des peurs de l’an Mil aux excès des Borgia Histoire des papes de 999 à 1503
Papes (Définition – Annuario pontifico) Antipapes États Pontificaux (Saint-Siège – Vatican – pouvoir temporel) La prophétie de Saint Malachie Ce qu’en pensait Dante Alighéri
Index/numérotation des pages
Pape – Origine du mot – Origine de la fonction du pape romain – Premiers siècles – Émergence des métropolites – Lente prééminence – Plusieurs facteurs ont favorisé cette évolution – Fonction politique – Titres pontificaux – Le pape est en plus – Insignes pontificaux – Mode d’élection – Collège électoral – Éligibilité – Processus électoral Les cardinaux – Le Collège cardinalice – Structure du Sacré-Collège – L’ordre protocolaire s’établit ainsi – Rôle en temps ordinaire – Gouvernement de l’Église – Nombre – Insignes – Titulature
7
Hervé Vankriekingen
– Privilèges Archevêque – En France – Dans l’Église anglicane – Dans les Églises luthériennes Camerlingue – Désignation – Fonction pendant la vacance du Siège apostolique – Titulaires de la charge Antipape – Papes et antipapes – Antipapes imaginaires
8
Nom de règne des papes – Formes et variantes des noms de papes – Des noms et des langues – Ambiguïté de certains noms – Noms des premiers papes – Origine du changement de nom des papes – Signification du nom de règne Numérotation des papes – Anomalies de numérotation – Tableaux synoptiques – Quel sera le nom du prochain pape ? Souveraineté temporelle des papes – Moyen-âge – Temps modernes Saint-Siège – Statut juridique – Les États pontificaux
Des peurs de l’an Mil aux excès des Borgia
– Jusqu’à la Révolution Française – Sous la Révolution Française – Fin des États Pontificaux – Le Vatican – Histoire – Politique – Géographie/Économie – Démographie – Culture – La bibliothèque apostolique vaticane – Collections – Musée de la bibliothèque apostolique – École vaticane La Secrétairerie vaticane depuis 1988 – Depuis 1988 – Section des Affaires Générales – Section des Relations avec les États – Histoire La donation de Pépin ou Traité de Quierzy Le Privilegium Ottonianum – Étymologie – Politique – Diplomatie Petit dictionnaire des termes religieux courants Encyclique Ralliement Quelques encycliques importantes Vicaire Église catholique Empire romain et empire romain germanique Synode Concile Rôle et tenue des conciles
9
Hervé Vankriekingen
Classement des conciles et des synodes Conciles généraux Liste des conciles à partir du Grand Schisme d’Orient 1054 Conciles généraux Conclave – Histoire – Modalités Pontife Rôle des pontifes dans la religion romaine Dans la religion catholique Quattuor amplissima collegia À Rome Période républicaine
10
Liste détaillée des papes et antipapes – Problèmes pour établir une liste – Annuario Pontificio – À propos de cette liste – Quand commence le pontificat ? – Les papes de l’an 1.000 Liste des papes de 999 à 1503 – Les papes de l’An mille Sylvestre II Jean XVII Jean XVIII Serge IV Grégoire VI antipape Benoit VIII Jean XIX Benoit IX – L’Égliseaux trois papes et le Synode de Sutri Sylvestre III
Des peurs de l’an Mil aux excès des Borgia
Benoit IX Grégoire VI Clément II Benoit IX antipape Damase II – Les papes du Grand Schisme d’Orient – Vacance du Saint-Siège – Un an de vacance du Saint-Siège Leon IX – saint Victor II Étienne IX Benoit X antipape Nicolas II Alexandre II Honorius II antipape – Les papes de Querelle des Investitures – Les papes de la Réforme Grégorienne Grégoire VII – saint – Un an de vacances du Saint-Siège Clément III antipape Victor III – saint – Les papes des Croisades Urbain II – bienheureux Pascal II Theodoricus antipape Albert antipape Sylvestre IV antipape Gélase II Grégoire VIII antipape
11
Hervé Vankriekingen
Calixte II Célestin II Honorius II Anaclet II antipape Innocent II Victor IV antipape Célestin II Luc II Eugène III – bienheureux Anastase IV
12
– Les papes de la lutte du sacerdoce et de l’Empire Adrien IV Victor IV antipape Pascal III antipape Calixte III antipape Alexandre III Innocent III antipape Luc III Urbain III Grégoire VIII Clément III Célestin III – Les papes de l’Inquisition Innocent III Honorius III Grégoire IX Célestin IV -2 ans de vacance du Saint-Siège Innocent IV Alexandre IV Urbain IV Clément IV
Des peurs de l’an Mil aux excès des Borgia
-3 ans de vacance du Saint-Siège Grégoire X – bienheureux Innocent V – bienheureux Adrien V Grégoire XI Jean XXI Nicolas III Martin IV Honorius IV Nicolas IV -2 ans de vacance du Saint-Siège Célestin V – saint Boniface VIII Benoit XI – bienheureux Les papes d’Avignon Clément V -2 ans de vacance du Saint-Siège Jean XXI Nicolas V antipape Benoit XII Clément VI Innocent VI Urbain V – bienheureux Grégoire XI – Les papes du Grand Schisme d’Occident Urbain VI Clément VII antipape Boniface IX Innocent VII Benoit XIII antipape – Trois papes à nouveau et trois Saint-Sièges Grégoire XII
13
Hervé Vankriekingen
Alexandre V antipape Jean XXIII antipape Martin V -2 ans de vacance du Saint-Siège Clément VIII antipape Benoit XIV antipape Eugène IV Félix V antipape Nicolas V Calixte III Pie II Paul II Sixte IV Innocent VIII Alexandre VI Prophétie de Saint-Malachie La Divine Comédie Dante Aligheri Tableau synoptique des 74 papes
Pape
On appelle pape un certain nombre de chefs d’Églises chrétiennes. Parmi celles-ci, l’Église catholique romaine dont le pape est l’évêque de Rome, chef spirituel des catholiques dits romains et chef temporel de l’État du Vatican. Le pape catholique actuel est François, élu à l’âge de 77 ans le 13 mars 2013. L’Église copte dont le pape était Chenouda III d’Alexandrie (+ 17/03/2012) ; elle affirme que sa lignée remonte à Marc l’évangéliste. Certaines Églises orthodoxes dont le patriarche porte entre autres le titre de pape, en particulier celle d’Alexandrie dont le pape patriarche actuel est Théodore II. Seuls les deux premiers utilisent le titre de pape comme titre principal. Pour les autres, ce n’est qu’un titre annexe rarement employé. Dans l’usage français reconnu par tous les dictionnaires usuels, le terme de pape employé sans plus de précision désigne exclusivement le chef suprême de l’Église catholique. C’est dans ce sens seul que ce terme est employé dans cet article ainsi que dans les autres articles traitant des papes, sauf mention contraire. Pour les catholiques, la lignée des papes remonte à l’apôtre Pierre qui aurait été le premier évêque de Rome jusqu’à sa mort en 64 ou 67. Selon l’évangile, le rôle de dirigeant de l’Église a été énoncé par le Christ : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église... je te donnerai les clefs du Royaume des cieux » (Mt 16,18-19) et par les paroles : « Pais mes agneaux... Pais mes brebis... » (Jn 21,15. 16.17). Cela explique que l’Église catholique romaine considère que les papes se sont succédé en une lignée ininterrompue depuis Pierre, bien que sa primauté sur l’Église, ses fonctions et pouvoirs actuels et son titre même de pape ne soient apparus que plus tard dans l’histoire du ca-
15
Hervé Vankriekingen
tholicisme. On reconnaît donc rétroactivement le titre de pape à des personnes qui ne l’utilisaient pas de leur vivant.
Origine du mot
16
Le mot pape (πάππας, pappas) n’a rien d’un titre officiel, c’est une appellation d’affection respectueuse, celle que l’enfant donne à son père « papa ». La première attestation de ce mot pour désigner un chef religieux de premier plan remonte à 306 à Alexandrie : la population chrétienne de cette ville le décerna comme titre à son évêque Pierre d’Alexandrie. Il n’est pas impossible que cette simple appellation familière soit devenue par la suite traditionnelle à propos du titulaire du siège d’Alexandrie. À l’origine, le titre « Pape » était attribué à tous les évêques, comme une marque d’affection. En Occident, il fut progressivement réservé à l’évêque de Rome, vers le IVe siècle. Aujourd’hui encore, les Grecs appellent pappas les simples prêtres de l’Église orthodoxe. Ce mot grec est aussi à l’origine du mot russe pop utilisé péjorativement pour désigner les prêtres orthodoxes, qui est lui-même à l’origine du mot français « pope ». L’application du même titre à l’évêque du siège de Rome s’est faite parallèlement ou par imitation de ce qui prévalait à Alexandrie, suite au Ier concile de Nicée en 325.
Origine de la fonction du pape romain Le prestige éminent que l’évêque de Rome a tenu dans l’Église catholique depuis la plus haute antiquité (voir par exemple l’épître de saint Clément Romain de la fin du 1er siècle) tient avant tout à la présence des tombeaux des coryphées des apôtres, Pierre et Paul, l’un au Vatican, près de l’ancien cirque de Néron, et l’autre sur la voie d’Ostie, aux portes de Rome. Cette Église a toujours affirmé une fondation apostolique, que dans l’Église ancienne on ne contestait pas, ni en Occident ni en Orient. D’où son autorité magistérielle, que d’autre part les titulaires du siège de Rome ont toujours affirmée tranquille-
Des peurs de l’an Mil aux excès des Borgia
ment. Il ne faut pas oublier qu’en quittant Rome l’empereur Constantin a remis, de fait, à l’évêque de Rome non seulement le palais du Latran, mais encore les insignes de la dignité impériale : le manteau rouge qu’on voit encore aujourd’hui sur les épaules du pape, et qui procède donc, en droite ligne, de Jules César. (À ne pas confondre avec la Donation de Constantin, qui est une légende, voir États pontificaux.) L’origine de la fonction papale est avant tout d’ordre spirituel, ou mystique, bien avant d’être politique (elle ne l’est que secondairement). C’est la fonction pétrinienne de pasteur universel. Dans l’Église catholique, si le pape a une quelconque autorité c’est uniquement parce qu’il est l’Évêque de Rome. De là découle qu’il est successeur de saint Pierre, et donc Vicaire de Jésus-Christ, et donc chef visible (à la place du Christ invisible) de l’Église universelle. La seule titulature officielle du pape, dans l’antiquité, c’était le mot « Évêque » (sous-entendu : de la Ville). Aujourd’hui encore, dans ses bulles les plus solennelles, le pape signe de ce seul titre d’« Évêque », accompagné de la formule grégorienne : « Ego, N., episcopus, servus servorum Dei ». 17
Premiers siècles L’origine de la fonction papale est avant tout d’ordre spirituel, ou mystique, bien avant d’être politique (elle ne l’est que secondairement). Ainsi, la théologie catholique fait remonter la lignée des papes à l’apôtre Pierre. Elle affirme que le rôle de l’apôtre de présider à l’unité de l’Église a été énoncé par le Christ. Au IIe siècle de notre ère, il existe des manifestations du prestige de la communauté chrétienne de Rome, ainsi qu’en atteste une lettre d’Ignace d’Antioche adressée à cette communauté, évoquant la mémoire des enseignements apostoliques dont elle est détentrice. À la fin du siècle, Irénée de Lyon souligne lui aussi l’importance de cette tradition romaine dans son Contre les hérésies (III, 3, 2). Irénée – dans un texte qui entend combattre les gnostiques – présente le canal de la succession épiscopale comme le garant de la vérité apostolique pour chaque Église et pointe pour son exemplarité Rome, « cette Église très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul [y] fondèrent et [y]
Hervé Vankriekingen
18
établirent (...) [car] en raison de son origine plus excellente doit nécessairement s’accorder [avec elle] toute Église, c’est-à-dire les fidèles de partout, elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la tradition qui vient des apôtres ». La revendication d’apostolicité de Rome, qui est la seule ville occidentale de l’Empire à le faire, n’est pas contestée, pas plus que ne l’est celle d’autres villes orientales comme Corinthe ou Antioche ; ce n’est pas le cas de la revendication d’autorité et de primauté auxquelles elle prétend qui occasionnera nombre de débats, voire de schismes. En 195, sollicité par des adversaires de l’évêque Polycrate d’Éphèse, l’évêque de Rome Victor, dans ce qui peut être lu comme un exercice de l’autorité romaine sur les autres Églises, rompt la communion avec les quartodécimans parce que ces derniers fêtent Pâques le 14 Nisan, même jour que la Pâque juive – une tradition transmise par Jean l’évangéliste – tandis que les chrétiens de Rome la fêtent un dimanche. Si cette première tentative est sans portée réelle, des documents attestent de la continuité dans cette souveraine prétention de l’Église de l’Urbs dans les décennies qui suivent. Jean Guyon définit Victor Ier comme le premier évêque monarchique de Rome.
Émergence des métropolites Du point de vue de l’administration civile, l’Empire romain était divisé en provinces, chacune étant dirigée à partir de sa métropole (littéralement « ville-mère », en grec). Du point de vue de l’administration des églises, cette désignation ne s’appliquait qu’à Antioche, Alexandrie, Nicomédie puis Constantinople qui la remplace. À la fin du IIIe siècle ou au tout début du IVe siècle, l’évêque de chaque métropole, ou métropolite a pris de l’ascendant sur les autres évêques de la province. En 325, le Concile de Nicée entérine cet état de fait : nul évêque ne peut ordonner un prêtre ou un autre évêque sans l’accord de son métropolite. Le même concile affirme aussi, pour trancher le conflit mélitien et en se référant, dit-il, à un usage déjà constitué, que trois métropolites ont des compétences qui dépassent le cadre de leur province, ceux d’Alexandrie, de Rome et d’Antioche. La circonscrip-
Des peurs de l’an Mil aux excès des Borgia
tion qui dépend d’Alexandrie regroupe toutes les provinces d’Égypte et de Libye. Bien que le concile ne précise pas quelles sont les limites des deux autres, on peut supposer qu’Antioche avait la responsabilité de la Syrie, de la Palestine et des provinces limitrophes, et que Rome dominait l’Italie. Les conciles de Constantinople (381) et de Chalcédoine (451) accordèrent le même statut de « super métropolite » (ce qui devait devenir la dignité de patriarche) aux sièges de Jérusalem et de Constantinople. Le premier échappait au pouvoir d’Antioche, arien, et devenait autonome, le second obtint un rang égal à celui de Rome, celui-ci ne gardant qu’une « primauté d’honneur ». Ce système était calqué sur l’administration civile : Constantinople était la capitale de l’empire d’Orient, Rome se voulait son égale en Occident, insistant spécifiquement sur une première place symbolique, tandis qu’Alexandrie demeurait une capitale économique incontournable. Au même moment, le siège d’Antioche voyait sa circonscription rognée par ses deux voisines (Constantinople et Jérusalem). Le conflit mélitien : Évêque de Lycopolis (aujourd’ hui Assiout), Mélitios fut l’ initiateur d’un schisme interne à l’Église d’Égypte. Les Mélitiens revendiquaient l’autonomie des Églises de Moyenne-Égypte et de Haute-Égypte par rapport à Alexandrie. Mélitios aurait procédé à des ordinations non seulement dans sa propre province, mais un peu partout en Égypte et jusque dans la capitale, soit par ambition personnelle, soit par revendication autonomiste et défiance de l’ intérieur du pays à l’ égard de la cité grecque. Il n’apparaît pas, dans ces documents et au début du moins, de référence à un antagonisme doctrinal.
Lente prééminence Pendant le IVe siècle, le siège de Rome resta un peu à l’écart des principaux débats théologiques. Pour des raisons linguistiques et géographiques, les principaux conciles eurent lieu en Orient et en grec ; le pape n’y envoya souvent que de simples prêtres ou des évêques mineurs pour le représenter et ceux-ci ne prenaient pas part aux votes. Malgré cette faible implication et l’absence d’autorité sur la chrétienté orien-
19
Hervé Vankriekingen
tale, Rome réclamait un certain prestige, équivalent à celui des métropoles orientales. Sa faible implication conduisit à lui demander à plusieurs reprises son arbitrage, lors de la crise arienne, puis à propos des discussions sur la nature du Christ (ce qui ne veut pas dire que ses avis aient été écoutés). Elle servit surtout de soutien, dans les querelles doctrinales, au siège d’Alexandrie et Théodose, à son avènement, proclama pour loi religieuse de tout l’empire, « la foi de l’évêque de Rome et de l’évêque d’Alexandrie ». Au cours des siècles suivants (Ve siècle – VIIe siècle), le siège de Rome prit de plus en plus d’autonomie et d’influence en Occident.
20
La crise arienne : L’arianisme est un courant de pensée théologique des débuts du christianisme, dû à Arius, théologien alexandrin au début du IVe siècle1, et dont le point central concerne les positions respectives des concepts de « Dieu le père » et « son fils Jésus ». La pensée de l’arianisme affirme que si Dieu est divin, son Fils, lui, est d’abord humain, mais un humain disposant d’une part de divinité. Le premier concile de Nicée, convoqué par Constantin en 325, rejeta l’arianisme. Il fut dès lors qualifié d’ hérésie par les chrétiens trinitaires, mais les controverses sur la nature divine et humaine du Christ se prolongèrent pendant plus d’un demi-siècle.
Plusieurs facteurs ont favorisé cette évolution 1– Le prestige de Rome, ancienne capitale de l’Empire, et qui le resta dans les esprits longtemps après la chute de l’Empire d’Occident. À ce prestige s’ajoutait celui conféré par le titre de « successeur de saint Pierre » (qu’il fût ou non justifié). Et également en tant que lieu de sépulture des apôtres Pierre et Paul, les fondateurs de l’Église selon le mot de saint Irénée. Rome était, et reste encore, un lieu de pèlerinage très fréquenté sur la tombe des apôtres : « Ad timina apostolarum ». 2– L’éloignement de la puissance civile et militaire : les empereurs s’installèrent d’abord à Ravenne, puis il ne resta plus que l’empereur installé à Constantinople.
Des peurs de l’an Mil aux excès des Borgia
3– L’absence d’autre chef religieux de premier plan en Occident. Tous les patriarches sont en Orient et le seul siège de métropolite qui eût quelque importance, celui de Carthage, fut longtemps entre les mains des Vandales ariens, puis perdit sa puissance. 4– la politique active menée par des papes de forte personnalité, en particulier Grégoire le Grand, qui fut l’instigateur de la conversion des Anglo-Saxons, ou encore Léon dont l’épisode le plus connu est la rencontre avec Attila. Si le pape peut lancer des missions de conversion dans des pays lointains ou négocier face à Attila, cela montre également qu’il a acquis une indépendance politique, contrairement à celui de Constantinople qui est étroitement contrôlé par l’empereur.
Fonction politique (catholiques romains) Le pape est le souverain des États pontificaux, actuellement l’État de la Cité du Vatican. Il est aussi le chef de l’Église catholique romaine. Son mode de désignation est électif sur le mode oligarchique par le collège de ses électeurs, les cardinaux de la Sainte Église romaine, réunis en conclave (lieu fermé). Les cardinaux ont eux-mêmes été créés par les papes, et sont électeurs jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 80 ans. Le pape est élu à vie, même si certains ont démissionné, tel le pape Célestin V pour aller vivre dans un monastère — il y fut peut-être incité par son successeur, Boniface VIII. Un autre pape a démissionné : Grégoire XII en 1415 au sein du Concile de Constance, dans le but de mettre fin au grand schisme. Il l’a fait non pas en personne, mais par la voix d’un procurateur, le 4 juillet 1415. Son successeur fut Martin V élu plus de deux ans après, le 11 novembre 1417. Le règne d’un pape se nomme pontificat. L’origine de ce mot tient à l’un des titres des papes : souverain pontife. La filiation de cette expression doit se trouver dans le titre du principal prêtre dans la Rome antique pontifex maximus, porté jusqu’au VIe siècle par l’empereur de Byzance. C’est seulement à partir du XIe siècle que l’élection du pape fut réservée aux cardinaux romains (décret de Nicolas II en date du 13 avril 1059). Antérieurement, pendant le premier millénaire, l’élection du pontife romain revenait canonique-
21
Hervé Vankriekingen
ment à l’Église de Rome, clercs et laïcs confondus. Mais bien souvent, le pouvoir politique interférait et se prévalait de ce droit. Formellement, le pape n’est pas un chef spirituel. Il reçoit mission, en tant qu’évêque de Rome, successeur de l’apôtre Pierre, de veiller à l’unité de toutes les Églises catholiques, c’est-à-dire des diocèses gouvernés par les évêques. L’Église catholique ne se reconnaît en effet qu’un seul chef spirituel, Jésus Christ.
Titres pontificaux
22
• Évêque sous-entendu du diocèse de la Ville de Rome : (Urbis) episcopus • Vicaire de Jésus-Christ : Vicarius Christi (réservé au pape depuis le XIIIe siècle) • Successeur du prince des apôtres : Successor principis apostolorum • Chef suprême de l’Église : Caput universalis ecc/esiae • Souverain Pontife de l’Église universelle : Pontifex Maximus • Primat d’Italie : Primatus Italiae • Archevêque métropolite de la Province romaine : Archiepiscopus ac metropolitanus provinciae ecc/esiasticae Romanae • Souverain de l’État de la Cité du Vatican : Princeps sui iuris civitatis Vaticanae • Serviteur des serviteurs de Dieu : Servus servorum Dei • Patriarche d’Occident : Patriarcha Occidentis (titre abandonné par Benoît XVI en 2006, qui n’a toutefois pas supprimé le Patriarcat d’Occident, dont il est titulaire en tant que Pape) ;
Le pape est en plus • Souverain de l’Ordre de Malte. En droit canonique, le pape est désigné sous l’appellation de « Pontife romain » (Pontifex Romanus), dérivé de l’appellation du grand prêtre romain (et plus tard, l’Empereur) représentant de Dieu sur terre : « Pontifex Maximus» . La signa-
Des peurs de l’an Mil aux excès des Borgia
ture papale prend la forme « NN. PP. X)} c’est-à-dire « Un tel, Pontifex Primus [premier pontife], numéro tant » (ainsi, le pape Paul VI signait « Paulus PP. VI}), et son nom est fréquemment accompagné dans les inscriptions par les abréviations « Pont. Max » ou « P.M » – abréviation de l’ancien titre hérité de l’Antiquité latine Pontifex Maximus, littéralement « le plus grand bâtisseur de ponts ». Le Pontifèx Maximus ou Grand Pontife était le plus haut prêtre de Rome et était nommé par l’Empereur. Concernant le pape, ce titre est habituellement traduit en français par « Souverain Pontife ». Les bulles papales sont signées « NN. Episcopus Ecclesia Catholicœ » (« NN. Évêque de l’Église catholique »), alors qu’elles débutent par l’appellation « NN. Episcopus Servus Servorum Dei » (<< NN. Évêque serviteur des serviteurs de Dieu »), ce dernier titre datant du pape Grégoire 1er le Grand. D’autres circonstances officielles voient l’usage de titres tels que Summus Pontifex, Sanctissimus Pater (Très Saint-Père – cette formule est d’usage en France pour la correspondance adressée au Pape), Beatissimus Pater, Sanctissimus Dominus Noster (Notre Très Saint-Père), et à l’époque médiévale Domnus [et non Dominus] Apostolicus (Seigneur Apostolique).
Insignes pontificaux Dans l’Église catholique romaine, un certain nombre d’insignes sont réservés au pape : – la tiare : coiffure non liturgique, à triple couronne (pouvoir terrestre sur les États pontificaux, pouvoir spirituel sur les âmes, pouvoir moral sur les princes). Elle n’est plus portée depuis Paul VI. Dans la première version publiée des armoiries pontificales de Benoît XVI, elle était remplacée par une mitre ; depuis, le Vatican a en certaines occasions, utilisé une version avec tiare, bien que la version avec mitre semble la plus officielle. – l’anneau du Pêcheur (en or), symbolisant saint Pierre, utilisé pour sceller les brefs et les encycliques, personnel à chaque pape (le cardinal camerlingue le brise solennellement après la mort du pape en titre). – les clefs de Saint Pierre : elles figurent sur les armes pontificales.
23
Hervé Vankriekingen
24
– la soutane blanche, depuis Pie V, en hommage à son origine dominicaine (autrefois le pape était vêtu de rouge, comme le sont, depuis Paul II, les cardinaux romains). Mais bien d’autres prêtres, ou évêques portent une soutane blanche. – la calotte et la ceinture blanche. Si beaucoup d’évêques, surtout dans les pays de mission, arborent la soutane blanche, de fait l’évêque de Rome est le seul à mettre une calotte blanche. C’est donc bien pour lui un signe distinctif. – les mules de velours rouge, en référence à la pourpre impériale. Depuis Paul VI, ces chaussures sont remplacées par des escarpins de couleur brun rouge, fabriqués par un orthopédiste romain. Parallèlement, le même Paul VI supprime le rituel du baisement de pied. – le manteau et le chapeau rouge, car la couleur impériale, pourpre, fut léguée à l’évêque de Rome par l’empereur Constantin quittant Rome pour l’Orient. – le camauro, ou bonnet rouge, plus guère porté par les papes depuis Clément XIV, au XVIIIe siècle, mais remis épisodiquement en usage par Jean XXIII, et maintenant par Benoît XVI. – la sedia gestatoria : chaise à porteurs, qui n’est plus utilisée depuis la mort de Jean-Paul Ier (qui ne l’appréciait d’ailleurs pas, et qui ne l’utilisait que sur le conseil de son maître de cérémonie, dans le seul but de pouvoir être vu de tous), et que Jean-Paul II a remplacée par la papamobile. – le flabellum : éventail à long manche, en plumes d’autruche, supprimé par Paul VI – le gonfalon : étendard des armées pontificales dans le domaine liturgique, seul le pape a le droit de célébrer sur l’autel pontifical des quatre basiliques majeures : basilique Saint-Pierre, basilique Saint-Jean de Latran, basilique Saint-Paul-hors-les-murs, et basilique Sainte-Marie-Majeure. Jusqu’à Paul VI, qui en abandonna l’usage, le pape possédait des ustensiles particuliers : – la nappe Incarnatus est : nappe constituée de 13 morceaux de toile damassée et frangée d’or. Repliée au début de la messe, elle était dépliée après l’« Incarnatus est » du symbole de Nicée-Constantinople – le chalumeau en or utilisé pour boire au calice.
Des peurs de l’an Mil aux excès des Borgia
• Les clefs de Saint Pierre qui figurent sur les armes pontificales sont un emblème héraldique dont la signification est purement symbolique. Ces clefs ne correspondent à aucun objet matériel dont le pape userait dans ses fonctions.
Mode d’élection : La Constitution apostolique Universi dominici gregis publiée par Jean-Paul II le 22 février 1996 règlemente dans les détails la procédure à suivre à la mort d’un pape jusqu’à l’élection du suivant.
Collège électoral Il est composé des cardinaux âgés de moins de quatre-vingts ans. Le pape Paul VI en avait fixé le nombre maximal à cent vingt, nombre que Jean-Paul II a confirmé par la constitution apostolique du 22 février 1996.
Éligibilité Elle n’est pas précisée par Universi dominici gregis. Néanmoins, la constitution apostolique sous-entend : – que le pape est forcément un homme (et non une femme). – qu’il est prêtre catholique (le document n’envisage pas le cas contraire) ! En revanche, Universi dominici gregis envisage que le nouveau pape ne soit pas évêque (l’ordination épiscopale immédiate est prévue). Elle mentionne également qu’il n’est pas nécessaire d’être présent au Vatican pour être élu, ce qui implique nécessairement de ne pas être cardinal. Par ailleurs, la constitution apostolique, en utilisant le terme “Cardinaux prêtres” (§ 74), envisage la possibilité qu’il y ait des cardinaux non prêtres.
25