pragmatic anarchism

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Romain Szudarovits

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novella





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Photo : Š Michel Nguie


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né à Saint-Claude.



Aaron, 17 ans et demi, est italien à l’intérieur. Des taches de rousseur s’épanouissent sur son visage. On est dimanche soir et Ronaldo a encore marqué. De ça, Aaron s’en fout comme un empereur ; il se balade. Ses petites mèches blondies enflamment souvent le regard des femmes, voilà une chose qui l’intéresse. Cette source de lumière, il en a fait une nourriture. Il joue au soccer, numéro 6, et ses cousines et sa sœur viennent le soutenir au club du coin, un illustre club centenaire. Un club aux couleurs noires, écusson Dragon, un club sans FIFA, sans fédération et sans licence. Pas de copine, pas de tablette, pas de montre, pas de board, possède du chocolat et des platines, pas de microscope mais des jumelles. Il a un autographe de Lauryn Hill, cadeau de son père, qui doit valoir cent dollars. Il touche un salaire sobre : l’humanité citoyenne est désormais payée pour vivre, c’est un

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minimum. Il habite chez ses parents, sa sœur est partie depuis quelques temps. C’est une famille qui aime se retrouver au bord de l’océan, pour ne rien dire et prendre le vent, pour resserrer les liens du sang. Là il traîne en ville. Demain sa sœur dévoilera une performance artistique remarquable. Aaron essaye de motiver les gens qu’il croise : - Viens voir ma sista, toi ! La communication événementielle n’est pas son fort. Les minutes sont molles, et rares sont les personnes réceptives à l’invitation. Aaron se décide à rentrer chez lui. Sa sœur est une star qui manipule la réussite, avec toute la vie devant elle. La nuit est bleue marine et la Lune si mystérieuse. Ses cratères apparaissent et on se sent bien minuscule. Aaron marche à reculons, pour le plaisir, de toute façon il n’y a personne. Il a rabattu sa capuche sur sa tête et s’entraîne à retenir sa respiration. Ses épaules de nageur se sont formées à la boxe, ses cuisses ne sont pas celles d’un footballer, le bas de son corps est plutôt celui d’un fantassin. Dans son sommeil il s’imagine aux commandes du grand condor, en train d’absorber la puissance du Soleil.


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* Marion est une fille sublime qui n’aime pas sortir avec les Romain, à cause de l’anagramme. Elle a toujours su ce qu’elle voulait faire et être. Elle s’est lancée dans des études de droit et a fini par devenir avocate d’affaires. Elle a longtemps remercié Dieu, son père et le tennis. Les jeux décisifs, elle les gagne. Déjà en troisième année, elle se rêvait au prétoire nue sous la robe. Son intégration à l’Ordre s’est passée en douceur, mais elle a vite déchanté sur les plaisirs du travail salarié imposable. Ses yeux sont turquoises. Elle a passé ses dernières 48h à faire de la voile dans la rade. Il faisait beau, presque chaud, son cœur est frais. Elle a tenu la barre de son ami Primo. Elle vit seule dans le hangar de son grand-père. Meublé au minimum et plutôt moderne, elle y a souvent épinglé ses meilleurs amis, au milieu des lianes et des poutres industrielles. Ouvrir une galerie fait partie de ses projets, un jour. Quand elle y réfléchit ; elle a envie de tout plaquer. Pour ne pas trop y penser, ou d’une manière impossible alors, elle apprécie les petites pilules négociées avec quelques filous de ses connaissances.

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Ce soir, la bonne fatigue marine annihile ses envies de meurtres, pour une fois. Oui, il lui arrive d’avoir des envies de meurtre. Elle ne sait pas si c’est la profession qui la transforme. On l’avait pourtant prévenue que la Loi pouvait être écœurante. On ne lui a pas tenu ce propos sur la vida. Papa et maman sont restés discrets ou inconscients sur ce sujet. Mamie a décroché depuis longtemps. Marion rêvasse et soupire, demain c’est lundi, il va falloir parler et sourire à tout le monde. Elle envoie des cryptés à n’importe qui : - Ça va ? - Ouais et toi ? - Ouais, j’ai fait du bateau c’était trop bien. - T’es où ? - Hangar. - Je peux passer ? - Si tu veux. - J’ai une surprise pour toi, tu vas adorer. - Je veux un dauphin. * « Aaron, tu peux aller chercher le pain s’il te plaît ? Et reviens vite on a rendez-vous avec ta direc-


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trice.» «Oui maman, t’as qu’à te lisser les cheveux en attendant.» Edith en a assez de toutes ses bouclettes insoumises. Malgré tout, cette remarque au ton moqueur lui convient. Rien de nouveau sur le chemin du pain si ce n’est le nouvel accoutrement des gens. Sous sa capuche et les mains dans les poches, Aaron traîne son temps. Deux chats sont fidèles au poste. Un Siamois et un rouquin. « Vous aurez droit à une madeleine chacun, elles sont très très bonnes. » Un des deux chats miaule. - Ça va mon pote ? - Ouais, tranquille, comme un lundi. Sans s’arrêter ils se toisent et font mine de rien. C’est Musid, un type qu’Aaron salue depuis trop longtemps. La boulangerie est à l’ancienne. - Bonjour, deux baguettes por favor. L’autre chat miaule à son tour. - Et deux madeleines, une aux fruits rouges, l’autre au chocolat. Merci. Salut Zoé. Bonne journée. « Voilà mes canailles ! » Vraiment deux aristochats ces matous, pense Aaron. Il accélère le pas.

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C’est parti pour le lycée. En route, la radio diffuse Stromae Papaoutai. « Tu connais ce chanteur » ? « Non. » « C’est un As, il a une espèce de dream team et ils font tout à fond. 29 ans ». Belge, car la Belgique existe encore. « Il porte des polos trop stylés, un motif genre casse-tête byzantin je ne me souviens plus du nom. Un truc de calcul. » - Je lui dis quoi à ta directrice ? « Je sais pas moi, c’est toi la personne responsable , ne t’inquiète pas on sera pas tout seuls ». Le titre suivant : Que je t’aime de Johnny. Edith est heureuse et bat la mesure sur le volant. L’ambiance descend de plusieurs crans dans le bureau de la directrice. Trois couples parents enfants y subissent la promiscuité d’un lundi matin. La directrice ne supporte plus son propre parfum. Isabelle est avec sa mère, Tom avec la sienne. C’est marrant comme toutes les mères ne se ressemblent pas. Chacun se demande pourquoi cette convocation dans le bureau directorial. Les trois mères font grise mine. - Il s’est passé quelque chose de grave ? Essaye celle d’Isa, embarrassée. Isa ne sait plus vraiment où se mettre, du coup, elle se fige sur sa chaise, pour de bon. Une authentique chaise d’époque, faite pour l’assiduité.


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La directrice prend la parole : - Non mesdames, absolument rien de grave ! J’ai souhaité vous rencontrer pour une raison simplissime : vous ignorez sûrement que mon violon d’Ingres est la peinture, et j’aimerais réaliser le portrait de vos jeunes gens. J’ai toujours vu en eux une manière de grâce qui en ferait des modèles rares. Les mères, quoique soulagées, paraissent perplexes. Les trois jeunes gens, eux, restent interloqués. Le silence du fiasco envahit alors la pièce et pèse. L’assurance de la directrice en a pris un coup. On la distingue nettement se faisant la malle. Aaron en profite : - Oui ben puisqu’on en est à se dire des choses, moi je souhaite passer mon bac en liberté. - Tu veux dire en candidat libre ! - C’est ça, librement. Les deux autres jeunes saisissent l’occasion et libèrent deux moi aussi ! déterminés. Trois « all right » leurs succèdent. La messe est dite. Retour au bercail. Dans la voiture, la radio diffuse Stromae Tous les mêmes. « Candidat libre… Tu m’en diras tant ! Tu ne feras pas de bêtises, hein Aaron. » « T’inquiète, rien d’illégal. » « Rien de dangereux, Aaron. »

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Marion au travail. « Bon les gens comptez pas sur moi aujourd’hui je suis terriblement ennuyée, je pense même prendre un congé maladie. » « T’as un cancer? » « Non. » « Puisque t’es là, tu veux pas faire le brief de la semaine ? » Ça c’est le boss, un mec impeccable. Marion fait le brief et puis s’en va. Sur le chemin du retour on lui signifie sur son portable qu’elle est avertie et que c’est la dernière fois. « Qu’ils aillent ailleurs. » Marion retourne chez elle et se remet au lit. Elle rêve qu’elle rêve qu’elle rêve. Elle désire profondément un combat vital, engagé mais gagné d’avance. Une victoire acquise sur l’inconnu. Elle s’agite et s’enroule dans ses draps toujours frais. Sa peau se rétracte. Ses seins sont parfaits, et connus de pas mal de monde. Elle fait de l’apnée dans l’espace, blanc, rouge, elle respire aussi du soufre. Le M, le A, le R, le I, le O, le N disjonctent et les besoins de nourriture l’épuisent. La Loi des garanties se transforme en verrou, en triple verrou méga blindé. Elle rêve qu’elle rêve d’un mauvais rêve. Sa robe l’enveloppe d’un voile noir. Amertume. Chute. Travail. Dans le lit, le corps de Marion est à l’envers.


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À la fenêtre, un colibri la contemple en attendant un compère, ses plumes sont si infimes. Marion replonge sous ses paupières, à la manière d’un bébé phoque qui s’enfuit sous la banquise. L’ours blanc est dans la place. On aperçoit la nudité éparse de Marion. Une eau glacée a pétrifié ses poumons. À la fenêtre il n’y a plus rien. * - Maman mon ordinateur est mort, c’est catastrophique. - T’as qu’à retourner au lycée. - Ne dis pas de bêtises, je ne peux pas m’en sortir tu le sais très bien. - T’as qu’à retourner au lycée. Agité par cette déficience, Aaron sort de sa bulle et passe dans le camp des chapardeurs. Il ne lui en faut pas beaucoup. Il claque la porte et pense aux prophètes. Dans la rue un ami lui dit de laisser tomber les prophètes et surtout son ordi. L’ami c’est Zack, il lui propose une mission : une solution temporaire quoi. La discussion ne va pas plus loin car Zack n’a pas le temps et s’éloigne déjà. Aaron redevient cérébral et contemplatif. Il observe son ami au loin et hurle : « on se revoit quand mon frère !? » « Quand tu

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veux mon frère ! » Ensemble ils aperçoivent le grand guépard, le chat le plus rapide du bloc, du feu dans les pattes. La pluie s’est mise à tomber sans prévenir. Elle coule de partout, il faut partir. Une pluie froide. Aaron décide de suivre le chat mais trop tard. Pas beaucoup d’abris par ici. Pensée pour les stars du foot qui doivent avoir d’autres problèmes. Je joue, je joue pas, je marque, je marque pas. Je le tue, je le tue pas. - Eh Zaacchh ! Ça va aller !? - Ouais ! J’adore les déluges ! - Je vais écrire une lettre à Ronaldo, tu vas voir ! - Viens me voir où tu sais ! Cher Ronaldo, Je vous adore. Vous êtes un immense champion et vos buts sont beaux. Je jouais au football avant mais un accident m’a fait perdre l’usage de mes jambes. Mes parents n’ont pas survécu. Aujourd’ hui c’est mon ordinateur qui est mort. Aidez-moi. Vous comprendrez que sans interface je ne suis rien. Aaron. P.S. : Vive le Portugal ! Aaron ne se confessera jamais.


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* Zack a des pensées crépusculaires : « Je suis Belzébuth le roi du monde. Je suis en chacun d’entre vous. Je domine toutes les cultures et ma pensée est absolue. Je suis rouge frisson. N’aie pas peur, ne sois pas effrayé ; ceci est un message pour t’indiquer la voie à suivre. En fait, continue comme ça, ne change rien à ta vie. Ce passage est simplement pour le plaisir, pour te remercier aussi de cautionner Satan. Mes démons sont aux anges... Oui, je me le permets. Je me permets tout mon petit si tu n’avais pas compris. Je possède le monde et le dirige. Satan le rouge possède le monde et le dirige. Même quand tu es bon, moi je sais que ton cœur est mauvais. Ahahah ! Hahaha ! Quel bonheur d’être ton ami. Parfois tu t’éloignes de moi mais au fond mon pouvoir d’attraction surpasse tout. Je suis le king de la distraction. Je suis le génial inventeur du jeu de massacre. Les règles sont ignobles mais bien humaines. Hahah ! Haha ! Bien mal à toi ! Esprit jeune. Reste attentif. Sois hermétique et chasse Satan. Cette tâche n’est pas insurmontable. Fouette Satan et respire ton propre souffle. C’est une question de vie ou de mort. »

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Marion a dormi tout le jour, c’est le vacarme de la rue qui la surprend. Les débauchés sont à la fête. Des chants régionaux, des comptines, des déclarations d’amour et des bagarres, des cris, des stupidités, des erreurs de jeunesse, des drames, le tube du moment, des tubes plus anciens, des pots trafiqués, des sonnettes bloquées, des traités d’esthétique, des futurs commerciaux, la liste est infinie. Il y a des lundis soir comme ça. La bonne surprise, c’est quand un ténor de renommée mondiale a bu le verre de trop et que les autres se taisent et applaudissent, et qu’il ne manque plus qu’un violoncelle. Il faut dire aussi que le hangar de papy est l’un des derniers grands espaces de l’hypercentre. This is the place to be. Il est mal placé pour le silence. Mais un lundi quand même... Marion rouspète. Les convois de la voirie municipale ne sont pas en reste. Marion aime bien ceux qui diffusent du parfum. Heureusement qu’ils sont là mais bon dieu que de bruit ! Marion pense à déménager et ses envies de meurtre frappent à la porte. Réveil difficile. Sur son répondeur, une voix stressée lui explique un problème de succession. Apparemment on a besoin d’elle. Sur son répondeur,


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Lili l’a invitée à sortir. « Mais qu’est-ce-qu’ils ont tous, ce soir ? » Rendez-vous dans deux heures pour un événement inratable, un show tout nouveau tout chaud. Lili est toujours au courant des derniers trucs en vogue, des soirées inratables... Elle ne s’est jamais trompée. « Il se passe quelque chose de spécial ce soir, rien ne sert d’attendre mardi pour profiter, on n’est pas fatiguées. L’artiste s’appelle Elsa. Elle est épatante, je le jure ! » Marion est convaincue, Lili est loin d’être une ringarde, un simple « OK » pour confirmer suffit. Enfin, Marion sort de ses draps et s’applique à des assouplissements qui font du bien au corps. Elle est rencardée sur les méditations transcendantales et tibétaines, mais elle pense que c’est pour les gens qui travaillent trop. Elle écoute Björk. Cette femme possède une île, un rocher vert, rien que pour elle. Ça a du bon d’être une rock star, faire le yo-yo dans les extrêmes. Peut-être que non. La succession du monsieur ce sera pour plus tard. « De toute façon ma gueule et mon charme valent bien toutes les plaidoiries. » La Loi est mal faite aussi de toute façon. Tout ça est intégré pour Marion, elle s’en fiche et passe au maquillage. Lili est en avance. Elle a apporté de l’eau gazeuse. C’est le début de la fête.

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