Primum vivere

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Eric Sergent

Primum vivere

nouvelles





Primum vivere


Š Éric Sergent, Primum vivere, 2014.


Éric Sergent

Primum vivere



Aujourd’ hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Lettre de Missak Manouchian à sa femme Mélinée le 21 février 1944, quelques heures avant son exécution au Mont Valérien.



Préface Ceci n’est pas un roman. Faussement un recueil de nouvelles. Peut-être un essai. L’ouvrage que vous tenez entre vos mains n’est pas une histoire, linéaire et stérile. Rien n’est fixé. Tout se passe, se déroule. C’est tout. Il n’y a pas d’autres règles que celles de la vie. Ce sont des histoires, des vies, des destins, des réflexions, des instants couchés sur papiers, liés ou indépendants. Suivant les vers d’Aragon, « Je dirai malgré tout que cette vie fut belle », et j’écris au fil des jours les instants beaux de notre existence quotidienne, réflexion sur la vie ou la mort… Car même dans la mort, la maladie ou le désespoir, il faut trouver la beauté. Parfois cachée. Mais toujours véritable. Il faut voir la beauté dans la dureté de la vie.

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Ce livre n’est pas un livre de morale et je ne prétends pas ici vouloir changer l’existence humaine ou professer une quelconque leçon de vie. À chacun d’en faire ce qu’il voudra, comme bon lui semblera. Comme un peintre, non avec des couleurs, mais avec des mots, je peins la vie, éphémère, mais belle, remplie de bonheurs quotidiens, qu’aveuglés par les mouvements de la vie moderne nous ne voyons plus. Ces scènes de vie sont liées, parfois. Pas toujours. Et quand il y a un lien, celui-ci n’est pas toujours évident. Parfois, je le vois. Parfois pas. Peut-être le trouverez-vous. Peut-être pas. Là encore, voyez ce qui vous plaît, ce qui vous réconforte et vous fait du bien. Une chose est sûre, ces instants écrits sont liés en cela qu’ils existent grâce au bien le plus précieux que l’on possède : la vie. Sur Terre, un seul précepte compte : primum vivere, vivre d’abord. Éric Sergent


À la vie, à la mort « Je suis proche de la mort. Je ne saurais dire combien de temps il me reste à vivre, mais je sais que pour moi, tout sera bientôt fini… Ou alors peut-être est-ce maintenant que tout va commencer. Ma vie aura été une succession de malheurs selon beaucoup, bien que je préfère parler d’évènements malheureux. Et pourtant, j’arrive à trouver à mon existence terrestre quelque chose de joyeux. Aujourd’hui cependant, je suis fatigué, usé. Je veux attendre la Grande Faucheuse et l’accueillir comme une amie de longue date. Si je couche sur le papier ces quelques mots, ce n’est pas pour vous dévoiler mes dernières volontés ni pour me plaindre.

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Je suis né en 1918, juste après l’armistice de la Grande Guerre. J’ai vécu une enfance heureuse, bien que troublée par les récents évènements, aujourd’hui considérés comme historiques. Je qualifie mon enfance d’heureuse, mais beaucoup de gens la trouvent atroce. Je n’ai jamais connu mon père. Mort pour la France, au front, à quelques mois de ma naissance. Je ne voyais pas beaucoup ma mère, car elle travaillait jour et nuit pour nous faire vivre, ma sœur, ma grand-mère et moi. C’est ma grand-mère qui, trop âgée pour travailler, s’est occupée de moi. Et c’est pour cela que je considère mon enfance comme heureuse. Cette grand-mère, ma grand-mère, m’a tout donné. C’est grâce à elle que dès mon plus jeune âge je fus prêt à affronter la Terre entière. Cette femme qui m’a toujours paru vieille, mais immensément sage. C’est elle qui m’a préparé à affronter la vie, et c’est grâce à elle que j’ai réussi à survivre à toutes les difficultés auxquelles j’ai dû faire face. Cette pauvre femme que j’ai tant aimée est morte en déportation, assassinée par les nazis, pour la simple raison qu’elle était juive. Mais je peux l’affirmer aujourd’hui alors que je


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vais bientôt mourir, c’est la seule femme qui, dans ma vie, a vraiment compté pour moi. Bien sûr, j’ai aussi connu l’amour. Ou plutôt les amours, car jamais je n’ai rencontré l’Amour avec un grand A. Plusieurs relations parfois assez longues, mais souvent de quelques mois au plus, qui ne m’ont finalement pas conduit bien loin. Certains disent que j’ai connu tous les malheurs du monde. C’est vrai qu’avec mes compagnes, j’ai connu la mort par accident, le suicide, la maladie. D’ailleurs j’écris « j’ai connu », mais je devrais plutôt écrire « j’ai côtoyé », car ce sont elles qui ont connu tout cela. Moi, j’étais là, à côté, triste spectateur de ce désolant spectacle. Mais peut-être est-ce grâce à ces nombreuses épreuves que j’appréhende aujourd’hui si peu le moment où je vais devoir quitter cette Terre. Après tout, ce n’est qu’un passage. Et qui sait ? Ce n’est peut-être pas un si mauvais moment. Nous n’en savons rien, il n’y a pas de témoin du trépas. Personne ne peut rien en dire. Même si aujourd’hui je garde une belle image de la vie, de ma vie, comprenez que ces épreuves m’ont transformé et ont fait de moi ce que je

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