Ragoon Mimose-Marie Gontier
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Mimose-Marie Gontier
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Chapitre 1er
Le ciel se plombait de gris. À l’horizon, des éclairs blanchâtres se battaient sans relâche. Puis, tout à coup, le tonnerre comme une bombe éclata zébrant de feu la mer de jade de l’île de Java. Le paysage sauvage, la plage idyllique se muèrent en un décor fantasmagorique. Une frêle silhouette féminine apparut tout en haut du sentier escarpé, comme sortie de la jungle verte inhospitalière. Elle se plia en deux sous la force de la bourrasque, essayant d’avancer, ralentissant sa course éperdue. La respiration courte, les longs cheveux noirs s’envolant dans le vent, elle tentait de les retenir de ses mains aussi pâles que son visage d’odalisque, trempée par l’averse diluvienne, sa robe blanche qui la moulait, comme si elle était nue. Asry était seule face à l’enfer vert et à ses poursuivants armés de machettes meurtrières. Elle n’avait plus de choix, et dégringola le sentier abrupt sans réfléchir. La peur au ventre, s’écorchant les bras et le corps aux branchages contre lesquelles elle se battait telle une forcenée. Devant ses yeux, la mer devenue grise bouillonnait, puis plus loin, elle découvrit enfin la cabane de pêcheur accrochée au ponton qui avançait dans les vaguelettes en désordre. Ses pieds touchèrent le sable fin. D’un geste prompt, la jeune femme enleva ses sandales et se mit à courir à perdre haleine vers le seul abri qui pouvait la sauver. Elle jeta un dernier regard vers la forêt et les aperçut tout en haut, se frayant un passage de leurs sabres aiguisés. C’étaient son concubin et ses fils qui avaient juré de lui faire la peau. Sa fuite de la grande Maison, leur bordel, ne pouvait passer inaperçue. La fuyarde, terrifiée malgré le tonnerre et les bourrasques de vent mêlés à la pluie, avançait le plus vite qu’elle pouvait, tombait et se
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relevait aussi précipitamment, la peur au ventre. Sa vie n’avait plus d’importance, car ils avaient enlevé sa petite fille, son cœur le plus précieux. Elle l’avait perdue à jamais, les autres enfants étaient entre de bonnes mains avec la fidèle servante qui lui avait promis de les protéger. Asry n’avait plus d’autre alternative pour essayer de la retrouver, même au prix de sa pauvre vie. Elle devait s’enfuir très loin et se mettre à l’abri de ces monstres sanguinaires. La cabane de son grand-père disparu devenait son seul refuge, puis prendre la barque à moteur quand tout serait calmé, pour gagner l’autre rive, et enfin la ville. Arrivée au ponton, elle s’accrocha à la rambarde essayant de combattre sa terreur et les éléments qui voulaient l’anéantir. Jamais le chemin ne fut si long, la porte de la cabane n’était pas encore à sa portée, et ils étaient là… Des éclairs fulgurants lui firent fermer les yeux, en même temps, il y eut un grand bruit atroce de lame qu’elle ne comprit pas, tombant brutalement dans la mer houleuse qui l’engloutit, le corps traversé de part en part d’une horrible douleur de feu. Elle glissa doucement comme au ralenti et sa petite robe blanche se teinta d’un rouge flamboyant ainsi que l’eau des vagues. Puis tout s’arrêta. Aucune douleur que le bruit incessant du ressac en colère. La mer devint de couleur cramoisie… Quand Asry ouvrit les paupières, ce fut d’abord une impression de fraîcheur et d’odeur forte de varech de son enfance. Trempée jusqu’aux os, elle parvint à se hisser sur le plancher rugueux du ponton. La robe blanche qu’elle aimait était rouge, ce qui au lieu de l’angoisser la fit sourire tristement. Cela avait toujours été son rêve de vêtir une robe de mariée rouge, comme dans son pays. Le paysage sous le soleil, à nouveau idyllique, baignait dans une aura lumineuse qui lui fit ciller les yeux. Encore sous le choc, la jeune femme ne comprenait pas, aucun souvenir de la veille ne venait heurter sa mémoire. Elle regarda ses mains si fines belles et blanches, se frôla le visage, aucune éraflure ni souffrance. Elle se sentait si jeune tout à coup comme lorsqu’elle avait quinze ans, vivant auprès de son grand-père qui l’adorait. D’une main fébrile, le cœur en alerte, elle poussa la lourde porte qui s’ouvrit en grinçant, un soupir de joie sortit de sa poitrine pigeonnante, à moitié nue dans ce vêtement collant qui la déshabillait insolemment. Rien n’avait changé, la cabane était aussi belle que dans ses souvenirs. La
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grosse table à manger et ses bancs en bois, la vieille armoire debout dans un coin et ce divan si large qui lui tendait les bras. Asry, émerveillée, épuisée, s’allongea avec un soupir de bonheur, puis remonta la couette blanche pour se recouvrir. Elle tremblait de froid et, très vite, tomba dans un sommeil léthargique. Tout était si beau et merveilleux. Quand elle se réveilla, un léger bruissement d’ailes l’étonna. Debout auprès du lit, penché sur son buste, se tenait un jeune homme d’une beauté parfaite. Il était éblouissant de lumière. Asry crut encore rêver se frottant les paupières avec surprise. Dans son émerveillement, elle ne vit pas les larges ailes irisées qui se refermaient doucement pour disparaître. L’étranger, lui-même, ne se rendit pas compte du phénomène, ignorant comment il avait atterri dans cet endroit paradisiaque. Sa mémoire était encore blanche de tout souvenir et il fut le premier surpris de la découvrir, tremblant de froid dans cette robe rouge collante qui ne cachait rien de son corps juvénile de déesse. Ce fut alors qu’il pensa à la réchauffer dans son sommeil l’entourant de ses bras protecteurs, sa métamorphose ne le troubla aucunement. Il s’était endormi à ses pieds et ses ailes étaient apparues naturellement sans qu’il s’en rende vraiment compte, comme dans un rêve. Dhéanaël ignorait tous ses pouvoirs, il était simplement tombé sur cette Terre bénie des dieux et ne savait ni pourquoi ni comment. Son regard clair d’opale ne pouvait s’éloigner de cette créature divine, si jeune, aux longs cheveux de jais. Le visage ciselé était d’une pureté d’odalisque, la bouche en fleur un peu pâle, le teint de porcelaine l’émerveillait. Le corps mince aux courbes délicieuses d’une femme-enfant l’émouvait au plus haut point. Elle était belle à s’évanouir, l’arrivant n’avait jamais été aussi troublé devant une telle découverte. Il ne réalisait pas que sa présence créait un choc identique sur cette inconnue, quand cette dernière ouvrit les paupières. Le visiteur crut se sentir mal à la vue du regard clair de ces yeux de pluie. Jamais cet être hors du commun n’en avait vu d’aussi hypnotique. – Comment t’appelles-tu ? Les joues si pâles rosirent subitement, Asry se crut l’objet d’une illusion. – C’est un ange ! pensa-t-elle, en refermant les paupières, comme pour ne plus se réveiller.
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– N’aie pas peur ! Je suis là pour te protéger, je me nomme Dhéanaël… sourit-il, éblouissant. – Je ne sais plus rien ! Est-ce que je rêve ? Qui êtes-vous vraiment ? Elle se leva un peu, pour s’asseoir encore choquée. Sa robe était sèche, mais toujours rouge. Son rire éclata comme une musique aux oreilles rougissantes de l’inconnu. C’était trop, il s’éloigna d’elle avec émoi et un sourire ironique pour se défendre. – Je te fais peur ? – Euh ! Non, mais tu es si… – Si quoi, petite Ondine ? Tu étais toute trempée, j’ai cru bien faire de te réchauffer. Je… À son tour, il éclata d’un rire franc, libérateur, dévastateur sans le vouloir. Elle le fixa incrédule en se traitant de folle. – Tu es… un ange ? – Moi ? Il se mit à rire de plus belle. – Oui ! Tu es si… beau, souffla la voix féminine enrouée, en tirant le bas de sa robe sur ses jambes ravissantes. – Non ! C’est toi, balbutia-t-il en revenant s’asseoir à ses pieds. Il était grand et parfait en combinaison argentée, les épais cheveux courts, couleur platine au carré. On ne voyait que son regard minéral bridé, si clair sur la peau bronzée de son visage viril à la bouche sensuelle et mince. Un charme sans limites, une voix grave et si douce qui la fit fondre entièrement. Jamais Asry n’avait rencontré un tel être… – Oui ! répéta-t-elle comme en plein sommeil. Ah ! Cette robe rouge, je n’en ai jamais eu… – Cela te va à ravir… Quel âge as-tu enfant ? Quinze ans ? Dix-huit ans ? – J’ai… Mais sa mémoire la trahit. Elle ne savait plus, alors elle se tut pour le regarder avec admiration. – Arrête ! Nous sommes tous les deux sous le choc. Il éclata encore de ce rire blanc qui la fit tressaillir. – Je crois que je m’appelle Asry ! Ici, c’est mon pays. – Asry ! Merveilleux prénom ! Tu es une splendeur comme ton pays. Moi c’est Dhéanaël…
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– Le nom d’un ange ! Mais tu m’avais dit… – Oui ! Tu me troubles Terrienne… – Terrienne ? Mais d’où viens-tu, si ce n’est pas du ciel ? – Si… peut-être du ciel ! plaisanta-t-il moqueur, la laissant dans le doute complet. – Ah ! Tu vois bien que je ne suis pas trompée. – Peut-être… Je ne pense pas que ce soit vraiment ce que tu crois, petite Ondine ! – Le prince d’un Royaume étrange, dans la galaxie immense ! – Tu n’es pas encore prête… N’as-tu pas faim ? Je sais pêcher et je suis aussi un grand… – Mage ! Comme dans les films… J’adore ! Telle une enfant, Asry se prenait au jeu de la devinette sans réponse. Mais, c’était lui le Maître. Ses jambes faiblirent et il s’empressa de la soutenir. – Es-tu une petite sirène ? Elle frémit à son contact si chaud, et lui aussi. Mais il se tut gravement. Il la soutint pour la conduire sur l’embarcadère. La vue était spectaculaire. – C’est magnifique cette mer de jade ! La même couleur que tes yeux… – Je croyais que c’était la pluie ! – Oui aussi. Tu vas mieux ? L’air du large te fera du bien. Respire petite sirène. Tu n’habites plus sous l’eau ? reprit-il riant comme un gamin de vingt-deux ans qu’il était. Il devait les avoir tout juste, d’une beauté à couper le souffle. Debout à côté de lui, Asry tremblait d’émotion. – Non ! Arrête de me fixer ainsi… C’est sans doute toi. – Ah oui, en rouge, se moqua-t-elle avec sérieux. – En rouge ! Pourquoi pas… Puis à son étonnement, il disparut subitement. Elle prit peur et s’accrocha à la rambarde, plongeant son regard dans la beauté des flots verts et du sable infini. Une peur sans nom la saisit. Elle se tourna vers la cabane en fermant les yeux quand une main mouillée lui frôla l’épaule et la fit se retourner. Il était là, auréolé de lumière tenant dans la main des homards frétillants.
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– Tu aimes ça ? On va les faire griller sur la plage ! Viens, suis-moi. Je vais chercher du bois et faire du feu. Nous allons manger sous les cocotiers. Elle le suivit encore à demi inconsciente de ce qui lui arrivait, se disant que ce cauchemar était le plus merveilleux des rêves. Asry ne voulait pas comprendre, et elle était encore loin des surprises que cet être venu d’ailleurs devait lui réserver. Quand il arriva à l’ombre des arbres, il ouvrit les mains et tous les branchages vinrent à lui. Puis des étincelles en sortirent pour créer un feu miraculeux sur lequel il installa les homards rougissants. Elle le regardait avec des yeux émerveillés et il lui sourit simplement. Ils s’assirent l’un près de l’autre comme des vieux amis. – Des homards grillés, j’en raffole ! Je ne poserai plus de questions, cher magicien. – Cela s’appelle ainsi ? D’accord ! Il lui caressa les doigts. C’est vrai que tu es une petite Ondine… – Et toi, un ange… répondit-elle complice. Elle n’avait jamais ressenti un tel bonheur, une telle sécurité. Il lui sourit et la regarda dans les yeux lisant toutes ses pensées. – Non, jeune fille ! Je ne le suis pas. – Peut-être ! Mais on ne m’a jamais… Trop d’émotion lui serrait la gorge, elle en avait les larmes aux yeux. – Désormais je suis là. Tu dois me faire confiance, les yeux fermés. Ce si beau regard couleur de pluie ou de jade selon le temps est trop splendide. Tu es un joyau, Asry ! Et là encore, une angoisse indéfinissable l’étreignit comme un mauvais présage. Il lui prit la main tendrement. – Ne crains rien ! Je te protège. – Je rêve, et j’ai peur de me réveiller Dhéanaël. Il frémit en entendant pour la première fois son prénom, telle une musique, et il mit la main sur son cœur comme pour en comprimer les battements. – Non ! Ou alors, moi aussi je suis dans l’irréel !
Chapitre 2
Jamais une entente ne fut aussi idéale pour Asry. Ils ne se connaissaient pas et même leur silence devenait un bonheur. Après le repas exquis, elle s’éloigna un peu de lui, s’adossant au tronc d’un cocotier, lui jetant des regards à la dérobée. Comme par magie, le visiteur avait fait disparaître le feu et toutes traces des restes, rien qu’en ouvrant les mains. Stupéfaite, elle restait dans l’expectative. Sa façon de procéder n’était pas pour rassurer la femme enfant encore si fragilisée, par cette situation si peu ordinaire. Comme lisant dans ses pensées, Dhéanaël s’assit un peu plus loin sur une pierre. Il la fixait, puis subitement, son regard devenu grave se tourna vers l’horizon. À son tour, elle essaya de percer ses pensées secrètes. Incroyablement, leurs yeux se croisèrent d’admiration réciproque et ils frissonnèrent en même temps, sans doute de l’incompréhension mutuelle sur leur rencontre si complexe. Cet échange muet, empreint de tant de choses et d’anxiété, prouvait que tout n’était pas si clair et paradisiaque. Où se trouvaient-ils ? Dans quel Monde évoluaient-ils ? Trop de beauté pour être vraiment réel ! Le jeune homme eut un sourire amer, il fallait à tout prix entreprendre une quête pour comprendre ce qui leur arrivait à tous les deux. Ressentant si fortement le malaise de sa divine compagne, il se leva pour se rapprocher d’elle et s’asseoir à ses côtés. Un simple regard suffit pour la rassurer, elle lui sourit et le remercia pour tout. Il se contenta de baisser la tête humblement, Asry ne pouvait lire en lui, c’était un être d’un autre Monde tombé ici sur Terre. D’où venait-il ? Pourquoi
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est-ce auprès d’elle, ignorant qui elle était réellement ? Perdus dans leurs pensées obscures, ils ne virent pas une bande d’oiseaux lugubres se posait sur la rambarde de l’embarcadère. Les croassements attirèrent l’attention de ces deux êtres perdus nulle part. Mû par l’instinct, son compagnon se leva en silence percevant tout ce que la jeune fille ne pouvait comprendre. Un bruit feutré de vol lourd lui fit lever les yeux vers le ciel obscurci par une nuée d’oiseaux qui s’abattirent comme une marée sur toute la plage, assombrissant en piaillant la clarté du soleil comme par magie. – Les blacks-birds aux becs rouges ! souffla la voix masculine en la prenant subitement contre lui. – Quoi ? Mais d’où viennent-ils ? fit-elle prise de frayeur en s’accrochant à lui. – Je ne sais pas… Ils vont nous attaquer. On doit se battre. Sais-tu manier une épée ? – Non jamais ! reprit-elle en tremblant. Il la regarda intensément. Et à son grand étonnement, Asry se découvrit vêtue d’une armure étincelante et l’épée à la main tout comme lui. Il s’était écarté d’elle, tout en la protégeant de son corps. – Je ne sais pas me battre, se plaignit-elle en s’accrochant à la main tendue, morte de peur. – Non ! Suis-moi et fais tout ce que je fais. Je t’aiderai par mes pouvoirs. N’aie aucune crainte ! Il avança dans le magma noir, les oiseaux meurtriers les attaquèrent sans répit, les couvrant entièrement pour essayer de les massacrer de leur bec rouge sanglant. Ils arrivaient de toutes parts convergents vers l’île et surtout cette plage déserte. – N’aie pas peur ! Ce n’est qu’un leurre, ils veulent nous impressionner. Mais tu dois frapper ! Tu es un vrai chevalier, je ne le savais pas. – De l’humour en plus… – Regarde ! D’un geste bref, il frappa dans la masse sans se préoccuper de toutes ses blessures qui saignaient marbrant de rouge son habit de lumière. Ils se battirent comme des forcenés contre les blacks-birds qui visaient leur tête et surtout les yeux.
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– Asry protège ta tête et tes yeux ! cria-t-il en venant la sauver faisant des moulinets avec son épée. Courage ! Tu dois y arriver… Écorchés de partout, ils saignaient, mais continuèrent héroïquement faisant le vide autour d’eux. Mais c’était sans compter sur ces volatiles possédés qui se multipliaient à toute vitesse. – Non ! Ils sont trop nombreux, avoua-t-il désespéré en la prenant dans ses bras, s’élevant à son tour au-dessus de la masse massacreuse qui piaillait de rage. Un coup d’épée trancha les derniers accrochés à leurs vêtements. – C’est fini, fier petit chevalier ! Il tendit la main et toutes leurs blessures disparurent ainsi que leurs armures et les armes. – J’aime encore mieux ta robe rouge… Il la serra tendrement. Sous le choc, Asry se cacha le visage tout contre sa joue râpeuse. – Dhéanaël, nous sommes perdus ! Et dire que je viens de te connaître. – Des regrets déjà, chère Ondine ! fit-il, ému en la tenant plus fort. Ferme les yeux, endors-toi. Je t’emmène très loin. Elle lui obéit et tomba dans un sommeil profond. Il sourit et déploya ses grandes ailes, prenant de l’altitude. Cette scène horrible des oiseaux lui envahissait la mémoire. La chaleur de ses bras devenait comme un cocon de douceur, Asry s’endormit avec un reste de sanglot qui lui déchira le cœur. – Ne pleure pas ! Bientôt, quand tu te réveilleras, nous serons sauvés. Il la caressa du regard, elle était si misérable et si belle, cette faiblesse le faisait revivre sans qu’il se l’avoue. Ils avaient vaincu le mal. À présent, Dhéanaël l’emportait chez lui, dans le Monde merveilleux des Sonaps d’or. C’était son seul souvenir, son refuge, ignorant pourquoi il avait occulté tout son passé sauf cette réalité. Il se souvenait d’autres royaumes celui de la Forêt, d’Océanox et des Sables rouges. En un éclair, il traversa l’immensité et passa les portes du temps. Son instinct le guidait aveuglément. Un grand vide obscurcissait sa mémoire sélective, rien d’autre. Qui était-il vraiment, et pourquoi la Terre et ces oiseaux de l’enfer ? Dans quelle dimension évoluaient-ils à présent ?
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Il se posa doucement sur le sable diamanté de l’infinie plage d’Océanox. Kar, le griffon, vint à sa rencontre comme l’attendant, il les prit sur son dos en grognant de joie. – Bonjour mon brave ! Je croyais ne plus jamais te revoir. Le griffon rouge ronronna en signe de bienvenue, puis s’envola en direction du Monde des Sonaps d’or. Asry, près de son cœur battant, dormait toujours, par sa volonté de mage Atléide. Elle n’avait rien vu de leur voyage informel dans l’espace-temps. Il sourit, lui caressa timidement les cheveux si longs, puis la serra contre lui et posa un baiser délicat contre l’oreille nacrée. – Tu es ma révélation ! Et pourtant j’ignore complètement pourquoi tu m’es déjà si précieuse. Je suis ton protecteur, petite sirène rouge, et quoi qu’il arrive, je t’aiderai à franchir les obstacles qui nous attendent. – Où sommes-nous ? Ô Seigneur, on vole sur un lion ailé ? Il lui prit la main pour la rassurer. – C’est Kar, mon griffon, présenta-t-il. L’animal salua poliment en grognant poliment. Rien ne doit t’étonner, ne te trouble pas ! Nous sommes chez moi. Je suis Atléide, chevalier et mage du Monde des Sonaps D’or. Nous vivons dans une dimension différente de la Terre. Ici tu seras en sécurité. – Ce n’est pas vrai ! Dis-moi que je rêve ? – Non ! Kar, mon griffon bien-aimé, m’a reconnu. Tu verras d’autres créatures mythiques sublimes tels que les Sonaps d’or, des oiseaux gigantesques au plumage de paradis. Ce sont nos précieux alliés et amis. Ils représentent les esprits supérieurs. – Je ne comprends plus ! On vole et tout ce que je vois est du pur délire, c’est tellement magique. Comment sommes-nous arrivés dans ton royaume, Dhéanaël ? – Tu n’oublies pas… peut-être que tu dors trop Asry ! plaisanta-t-il en lui embrassant les doigts. – Comment pourrait-il en être autrement ? J’ai l’impression de planer ou d’être folle ! – Ah ! Moi aussi sirène ! rit-il bridant son regard minéral éblouissant. – C’est le comble ! Donc, nous sommes encore perdus tous les deux. Je suis en plein délire ! On vole, on a traversé des portes temporelles… Dhéanaël, qui es-tu vraiment ?
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– Pas ce que tu penses ! Et en vérité à part ce Monde, je suis comme toi. J’ignore tout le reste. – Donc, je disais bien égarés ? – Oui… Mais ensemble ! N’est-ce pas le plus merveilleux des cauchemars, superbe créature ? – Oui… Émue et sous le choc, elle préféra fermer les paupières pour lui cacher ses larmes d’appréhension.
Chapitre 3
– Non, ne pleure pas ! Je jure de trouver la vérité. Je suis prêt à me battre contre tous pour savoir où nous sommes… – Tombés ? Kar atterrit en douceur en plein paradis vert. – Seigneur ! C’est dément et tellement énorme. Je n’ai jamais vu un endroit aussi magique. – Oui ! C’est le mien et peut-être le tien aussi… – C’est un vrai délire, c’est trop beau ! J’en ai le souffle coupé et toi tu es Atléide, tu voles ! Elle se mit à rire comme une petite folle. – Arrête-toi, ici il n’y a pas la mer de jade. Tu te ressourceras d’une autre manière. Il l’aida galamment à descendre du dos de Kar qui s’envola aussitôt, après les avoir salués avec déférence. – Merci mon ami ! Au moins toi tu es toujours là ! – Je ne suis pas le même… entendirent-ils, subitement interloqués. – Quoi en plus, il parle ? Dheanaël, tu as compris, il parle ! Il lui prit la main et ils montèrent en lévitation vers le sublime royaume. – Oui ! Tu n’es pas au bout de tes surprises, Terrienne incrédule et si belle. – Ouais, merci ! Je nage en pleine fantasmagorie, mais c’est si magnifique. Tu es extraordinaire, le Royaume, ton peuple si beau et presque nu en pagne blanc, tout comme toi, en lévitation…
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– Et toi en rouge, si délicieuse ! Je peux t’habiller selon tes désirs, petite rêveuse. Il la porta dans ses bras, en s’élevant vers le ciel et les habitations telles des bulles de cristal irisé qui formaient un décor de ville de lumière, suspendue entre arbres et azur. Des lucioles aux ailes bleues les accompagnaient en chantant sous la musique de tous les cristaux en vibration. Subitement, un gigantesque oiseau de paradis les salua en les frôlant. Elle se retourna éblouie, n’en croyant pas ses yeux. Le plumage était de couleurs chaudes luxurieuses, le bec d’or pur. Une magnificence éblouissante ! – C’est apocalyptique, tellement beau, Dhéanaël ! Dis-moi que j’ai fumé ! – Non ! Ce sont les Sonaps d’or. Nous vivons en symbiose avec la nature, les animaux et tout ce qui est vivant. – Ce n’est pas vrai, je suis au paradis ? Il sourit finement. – On peut dire cela… En haut, dans la forêt infinie, s’accrochait le Royaume, tout en verre translucide sous le ciel lumineux bleu turquoise. Tout se mélangeait dans les couleurs, tellement qu’on aurait pu se croire dans un film virtuel. – C’est si beau que je voudrais mourir de bonheur ! – Non, ne dis jamais cela… Elle fut contrite du ton âpre de la voix un peu cassée. – Tu ne dois pas mourir ! Nous sommes vivants et ensemble. Jamais tu ne mourras avec moi… – Merci, je ne sais plus quoi dire de ta grande sollicitude à mon égard. Je n’ai jamais été traitée de cette manière… – Tu oublies les blacks-birds de l’enfer ! Mais tu t’es battue comme un vrai chevalier et tu m’as époustouflé. Je suis très fier de toi. Elle rougit en le regardant à la dérobée. Jamais Asry ne pourrait se faire à sa grande beauté. Elle soupira et il traversa la paroi de verre d’une habitation toujours en suspension et Asry resta sous le choc de la découverte. – Tu es chez toi, milady.
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Il la déposa dans un fauteuil blanc de ressourcement qui la moula comme un cocon de soie, la massant doucement. Elle s’allongea et se sentit merveilleusement bien comme jamais, à part dans ses bras à lui. Il s’étendit à son tour pas loin d’elle et ferma les yeux. Une oppression le tenaillait. Son Royaume avait changé, excepté Kar et les Sonaps. Tous les gens rencontrés le saluaient avec respect et admiration, mais aucun de ces visages ne lui était familier. Ce n’étaient plus ses amis, sa famille, son peuple qu’il avait toujours adorés. Non, quelque chose ne tournait pas rond dans son Monde aussi. Des larmes de regrets lui vinrent aux yeux. Qu’allait-il advenir d’eux dans ce Royaume qui lui devenait presque inconnu ? Tout ce blanc luxueux d’un stylisme parfait, rien à voir avec ce qu’on trouvait sur Terre. Ce paradis était trop irréel pour la pauvre petite voyageuse dépassée. Elle allait s’endormir quand debout auprès de son fauteuil, il lui toucha l’épaule. – Mange, fit-il. Ce sont des fruits : les sandoras, c’est exquis. Notre nourriture de vie. – Ah ! Quel régal, doux et salé avec ce goût du sang, que j’adore ! – Tu adores le goût du sang ? C’est étrange. Pourtant tu viens bien de la Terre. Il frémit de bonheur. Elle se mit à rire doucement en mettant sa main devant sa bouche, comme culpabilisée. – Je n’ai jamais connu mon père, ma mère est morte à ma naissance. Il était, parait-il, blond clair, bon et très étrange. C’est le seul souvenir qui me vient tout à coup… – Ce n’est pas vrai… Il éclata d’un rire ému, ne pouvant s’empêcher de frémir un peu. – Et tu aimes le goût de ces fruits… Non, rien d’un quelconque vampire même, si nous sommes en… – Enfer ! – Oui, je ne sais plus et toi ? – Rassure-toi, je ne suis ni ange ni vampire. Mais… vivants, nous buvons le sang de notre alter ego pour notre survie, une sorte d’élixir de jeunesse. Asry, sous ces paroles incongrues, se recroquevilla dans son fauteuil en pâlissant. Il blêmit à son tour le cœur en débandade. Il l’avait choquée et en fut fort malheureux, et même déçu.
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– Rassure-toi, je ne le serai jamais, mais tout le contraire, un être de lumière. Cela n’arrive que lorsqu’on trouve son alter ego, acheva-t-il amer en regagnant son fauteuil, fermant les paupières. – Et si j’étais… osa-t-elle malheureuse de sa déception, devant sa réaction si violente. – Tu n’es pas de ma race, remarqua-t-il agacé. – Et si je l’étais… D’un geste, il se leva pour se pencher sur son visage encore plus pâle et éclata de rire devant sa réaction tout à fait humaine. – Ne crains rien ! Je ne le ferai pas, bien que j’en meure d’envie… – Un chevalier sans peur et sans reproche ! le nargua-t-elle, éclatant de victoire. Alors tremblant du manque et de sa folie d’enfant, sans qu’elle ne s’y attende, il l’embrassa avec passion, la mordit doucement et s’enivra de son sang vermeil, avec l’impression de mourir et de vivre, un gouffre de sensations ultimes. À son tour, elle mordit la bouche sensuelle et but le sang avec avidité le faisant gémir de félicité. Puis leurs visages marbrés de rouge se séparèrent à regret, comme pris dans un tourbillon. Il disparut et elle ferma les paupières, les larmes coulaient sur ses joues, ne comprenant plus. Tout allait trop vite. Asry avait l’impression de perdre la tête au sens propre comme au figuré. Cet être d’exception la rendrait sûrement folle… Tout à coup, il réapparut, s’allongea un peu confus. – Cela ne me gêne pas ! Si je peux t’aider… affirma-t-elle comme sous l’effet d’une drogue magique. – Quoi ? susurra-t-il en se levant pour la regarder avec attention. Tais-toi… Tu m’as provoqué et fait perdre la tête. Une chose est certaine, tu es aussi de ma race. – Des Atléides canons, aux baisers rouges délicieux. – Tu es une perturbation. Je dois te protéger, pas boire ton sang. J’ai les sandoras pour cela… – D’accord, comme tu le voudras, Dhéanaël. Je serai sage. – Alors ferme les yeux. Demain je vais voir la femme de ma vie. – Ah ! Tu es marié, si jeune ? s’étonna Asry bouleversée. Et tu m’as embrassée ? Je devrais te battre… Il ne put s’empêcher de sourire ironiquement.
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– Je serai toujours jeune, Miss provocatrice, et toi aussi à présent. – C’est pas vrai, la jeunesse éternelle ? Et tu as ce pouvoir ? – Si je te disais oui… proposa-t-il en la regardant de biais. Elle ferma les yeux pour lui cacher toutes les contradictions qui la harcelaient. Il reprit plus sérieux. – Non, Asry. C’est seulement ma nounou, enfin si je la retrouve, car je ne connais plus personne ! Elle pourra peut-être m’expliquer. Je suis un étranger ici. – Tu n’es pas un étranger. À présent je suis comme toi ! Tu sais, de ta race… comme par miracle ! C’est vrai que je déconne ferme en ce moment. – Non, tu es ma sauvegarde. Merci à toi aussi. Une boule lui serrait la gorge et il ne sut pas pourquoi. Lui faire de la peine était si atroce. – Je ne veux pas que tu souffres. – Moi non plus. Demain tu m’emmèneras voir ta nounou, et je suis sûre qu’elle te reconnaîtra. – Oui, je le souhaite. Dors bien petite sirène ! – Bonne nuit, cher ange… Il ne put s’empêcher de sourire.