Louise Achard
Retrouvailles
nouvelle
Retrouvailles
Š Retrouvailles, Louise Achard, 2014.
Louise Achard
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Le réveil vient de sonner, la matinée est douce, Miami au printemps est superbe, les arbres en fleurs, la mer calme et reposante comme un bain d’huile, le ciel d’un bleu transcendé se confond avec la mer, les buildings argentés qui réverbèrent la lumière, les joggers en sueur et les promeneurs chiens créent de l’animation au milieu des touristes qui se prélassent le long de la jetée. Allongée dans son lit Camille vient de se réveiller. Elle aime prendre son temps le matin avant de se lancer corps et âme dans ses journées bien remplies. Depuis deux ans les heures de bureau rythment ses journées et rares sont ses moments de plaisir. Après avoir regardé les infos sur la chaine nationale, fait un peu de gym et pris un bon petit déjeuner, Camille se dirige vers la salle de bains, son portable sonne :
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- Bonjour maman, comment vas-tu ? - Bien ma chérie, j’appelle pour Pâques, toute la famille sera réunie et si tu pouvais te joindre à nous ce serait magnifique pour nous et ta sœur, tu lui manque énormément, cela fait 8 mois que tu n’es pas rentrée. - Je sais maman, je vais voir comment m’organiser mais je ne te garantis rien pour l’instant, nous sommes en plein bilan annuel, je fais des doubles journées, c’est compliqué tu sais. - Prends du temps pour toi ma chérie quand même, le travail ne fait pas tout, tu as rencontré quelqu’un ma puce ? Depuis deux ans que tu es installée là-bas, quand même il serait temps ! - Je le case quand maman ???? de 8h à 20h je bosse et le soir tu sais bien que je ramène du boulot à la maison alors une relation… - Je sais bien ma chérie mais tu mérites d’avoir quelqu’un quand même, une jeune fille comme toi ne devrait pas être seule à ton âge ! - Oui, oui je sais tout ça maman, je te tiens au courant pour Pâques, je dois me préparer, je t’embrasse fort maman - Gros bisous ma chérie.
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Merci maman !!!! Et tu es jolie, et il te faut quelqu’un, et brillante comme tu es, tu mérites un homme bien, et nanananananana ! Arghhhhh !!!! Allez Camille, reprends-toi et fonces, réunion avec le grand boss dans une heure et demie !!! Camille aime bien ses collègues, pour la plupart américains, ils l’ont bien intégrée deux ans auparavant lorsqu’elle est arrivée au sein de la Financial Rowen. Camille est née en Inde mais a été élevée dans les traditions occidentales. Sa mère d’origine française, femme au foyer, est impliquée au quotidien, de façon très engagée, au sein d’une association qui favorise l’éducation et l’accès à la scolarité pour les jeunes femmes. Son père lui, ingénieur dans l’industrie des télécoms, est d’origine Irlandaise. Il est venu s’installer en Inde à la fin des années 80 pour la société qui l’emploie. Lui et sa femme ont eu le bonheur durant leur expatriation d’avoir deux filles, Camille et Joyce sa sœur cadette. L’une et l’autre sont très différentes mais elles s’adorent sincèrement. Camille, plutôt timide, posée et intellectuelle, a pris de sa maman un large sourire chaleureux, une ouverture innée aux autres, de son père elle a hérité d’une
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magnifique chevelure châtain aux reflets cuivrés et orangés qui font ressortir ses grands yeux verts rieurs. Elancée, gracieuse, Camille est une très belle jeune femme mais qui ne se prend pas pour autant au sérieux. Joyce, de 5 ans sa cadette, ressemble traits pour traits à sa mère. Brune, le visage allongé, de petits yeux bleus en amande, Joyce est une artiste dans l’âme, elle aime papillonner, explorer, découvrir, pour elle, les études ont été secondaires et elle préfère aborder la vie de façon moins terre à terre que sa sœur. Bien que très différentes, Joyce voue un amour inconditionnel à Camille et a toujours su trouver les bons mots pour réconforter sa grande sœur quand elle n’allait pas bien. Joyce sait à quel point pourquoi sa grande sœur s’est mis à fond dans le travail, a gravi les échelons aussi vite, comme une revanche prise sur la vie. Camille s’était confiée à sa petite sœur deux ans avant, elle lui avait alors dit qu’elle se sentait brisée en deux, vide de vie, d’envies, morte dedans, morte dehors, une vie sans horizon, sans futur à long terme, sans issues, jamais, plus jamais, elle ne pourrait refaire sa vie. Avec
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un inconnu, quelqu’un qui ne serait pas lui, un « autre » que lui, inenvisageable... Lui… Ce regard qui plonge dans mon âme, sa peau si parfaite contre la mienne, ses mains jouant avec tendresse sur mon corps, son sourire ineffable, qui renverse mon cœur, sa voix chaude et rassurante qui me faisait oublier le reste du monde, et ses mots, tous ses mots, ces trois mots que je n’entends plus… Malgré les six années écoulées entre la France et les Etats-Unis, malgré les voyages, les rapports, les déplacements à répétition, l’absence est ancrée, pesante et sournoise. Camille n’oublie pas, Camille n’oublie rien. Leurs moments privilégiés, intenses de complicité, leurs fous rires à répétition, l’amour sensuel et doux comme du coton qui les lie. Leurs longues discussions sur la vie et le monde, leurs débats animés et enjoués. Ils refaisaient le monde, ensemble, yeux dans les yeux, la nuit, à l’abri de la chambre d’hôtel de Camille, quand les klaxons de la ville cessaient enfin. Ils s’étaient découverts les mêmes valeurs, les mêmes convictions, la même vision de la vie, de la famille, de l’avenir mais surtout et plus que
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tout, ils étaient tombés follement amoureux l’un de l’autre. Ils s’aimaient tout simplement. Six ans auparavant, lors d’un séjour au Népal, elle l’avait rencontré. Elle profitait de ses congés pour enfin aller passer du temps avec son amie d’enfance. Moya avait quitté sa ville natale à 22 ans, tout juste à la fin de ses études en agroalimentaire. Pays parmi les plus pauvres au monde, elle avait accepté un poste pour une société internationale implantée à Kathmandu et qui œuvrait à l’accroissement de l’agriculture dans les pays démunis. Elle aimait venir en aide, elle avait cette intuition depuis toute petite que sa vocation aux autres la mènerait dans des contrées pauvres où elle pourrait apporter quelque chose de bon. Camille elle, avait bouclé son cursus en finance un an après Moya et était partie s’installer dans la région de Marseille. Les relations de son père en France avaient favorisé son embauche dans un cabinet de gestion de portefeuilles. Cela faisait 4 ans que Camille et Moya ne s’étaient plus vu à cette époque, elles attendaient toutes les deux ce moment avec une grande impatience. L’avion se pose enfin à Kathmandu, revoir Moya me remplit de bonheur, quatre années de
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Skype ne remplace pas une longue étreinte affectueuse. J’ai emporté de la lavande dans mes bagages, Moya adore remplir des petits sachets de ces fleurs séchées pour embaumer ses placards. Nous avons convenu de nous retrouver au bar de mon hôtel. Mon amie a posé elle aussi une semaine de congés et elle compte bien mettre à profit ce temps avec moi pour me faire découvrir la région. Nous nous retrouvons comme si nous nous étions quittées la veille, souvenirs du bon vieux temps, nos études respectives, nos familles, nos boulots et notre célibat prolongé. Prises entre nos études et nos vies professionnelles, les traditions de l’Inde en fond de tableau, nous n’avions accordé que peu de temps à nos vies sentimentales. En arrivant à Kathmandu je venais de terminer une relation sympathique mais sans avenir avec Paul, un collègue Marseillais, qui attendait de moi d’être plus souvent à sa disposition, ce qui était très loin d’être mon souhait. Ma carrière était en plein envol, j’avais 26 ans et il était hors de question que je me détourne de mes plans de carrière. Je me devais de faire les choses correctement, ne serait-ce que pour mes parents qui
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