Tout est fluide

Page 1

Franรงoise Paule

Tout est fluide





Tout est fluide



Franรงoise Paule

Tout est fluide



À mes nouveaux héros Élise et ses frères et sœurs à venir, ainsi qu’à Michel et Patrice.



Le 31 Octobre 2009

Le voyage a été agréable Départ St Ex, direction Zurich Zurich via Bangkok Bangkok via Siem Réap Passeport, Visa 20 $ Taxe de sortie 25 $ ??? On paye pour sortir. Juste la petite frayeur d’arrivée ou la valise d’Anne est arrivée par l’avion suivant. Dans l’avion, durant le trajet, j’ai revu « Quand Sam rencontre Sally » et le film avec Will Smith où John Travolta prend un Tram en otage. « Metro 123 » Le plaisir des longs courriers, voir ou revoir des films sympas. À Seam Rea, Antonin et Jean Michel nous attendent avec Blanco un chien blanc type grand Nord tout neuf, qui apprécie les canapés surtout de couleur blanche et de préférence lorsqu’il a plu.

11


Françoise Paule

Les 1 et 2 Novembre 2009

12

Deux jours se sont écoulés depuis notre arrivée dans cette belle demeure du bout du monde où Jean-Michel et Antonin, nos hôtes, s’évertuent à nous faire de belles vacances. Hier, lundi, nous sommes allées au marché couvert de Seam Rea. Les sons, les odeurs et les images m’ont laissée éperdue d’admiration, de curiosité et de dégoût. Tout dépend des étalages. Après le marché, nous avons pris le thé dans la boulangerie française de la ville tenue par Soccun et Ravan, deux Cambodgiens diplômés en France qui fabriquent du pain et des viennoiseries comme à la maison. Ensuite, nous avons découvert des saveurs inédites dans le restaurant Khmère, « Kmère Kitchen » dans lequel nous irons plusieurs fois nous étonner et nous régaler durant notre séjour. Le thé, de l’après-midi nous l’avons pris aux Orientalistes. Le restaurant que Jean-Michel et Antonin avaient ouvert à leur arrivée à Seam Rea, qu’ils n’exploitent plus, mais qui reste si accueillant qu’ils y emmènent leurs visiteurs. C’est un endroit magique, coloré et très convivial. Nous y découvrirons d’autres saveurs cambodgiennes et aussi un menu français. Un grand moment au début de ce séjour, la Fête des Eaux.


Tout est fluide

Le 2e jour après notre arrivée était le dernier jour de cet événement. C’est une immense réunion des gens de la campagne qui viennent en ville, juste après la saison des pluies. La pluie a cessé depuis quelques jours seulement, des journées de pluie d’inondation, de difficultés, de détresse pour certains. Alors cette grande fête et bien, on la fête vraiment. Jolies tenues vestimentaires, cadeaux aux enfants, sorties en famille, agapes diverses et variées. Selon les moyens des uns et des autres. Tous sont dehors, souriant à leur manière, durant plusieurs jours d’affilés, les cambodgiens se préparent à la saison nouvelle. À Seam Rea nous avons assisté à des courses de bateaux plats qui avancent à la force des bras des rameurs encouragés depuis les rives par l’assistance. Il y a des cris, des paris, des applaudissements, des mouvements de foules. Participer à cet événement est vertigineux, fascinant et fatigant. En compagnie de Sim, Signe, Try et Rin, la petite famille d’adoption de nos hôtes, nous avons goûté à toutes sortes de mets fabriqués, vendus et mangés dans la rue. Des beignets, des crêpes, des fruits, des jus de fruits, du thé … une journée à manger, à ouvrir grands les yeux et les oreilles. Enivrante et éprouvante Fête d’Eaux, avec les pieds en compote et l’estomac en vrac. Mais inoubliable et émouvante de ferveur, avec le plaisir et la joie partagés avec des gens simples. Pas la même ambiance qu’en France, parce que la pauvreté rend les étalages plus sobres, les effets sonores plus

13


Françoise Paule

rudimentaires, les manèges des enfants plus artisanaux et pourtant, pourtant que d’émerveillement, de lueurs de joie dans les yeux des grands et des petits. Étonnante Fête des Eaux avec les petites bougies flottantes sur l’eau et qui glissent dans la nuit. Pas de problème pour m’endormir.

14

À mon réveil, je fais la connaissance de Toit ,on prononce Toite, il était absent à notre arrivée, c’est l’homme de garde, un peu jardinier, un peu homme d’entretien, un peu homme à tout faire.(J’ai fredonné « Toi Toi Mon Toi « durant tout le séjour) Très souriant, il va encore à l’école, Jean- Michel et Antonin y tiennent, il apprend avec eux le français, nos hôtes font en sorte que les gens qu’ils « emploient », s’élèvent socialement. Try dont j’ai parlé plus haut était à leur service aux Orientalistes et ils ont fait en sorte qu’il « s’établisse ». Idem pour les 2 boulangers Soccun et Ravan, ils les ont aidés à faire leurs études en France pour avoir une affaire qui marche au Cambodge. Donc au réveil, il y a Toit et aussi Samat qui vient le matin pour l’entretien du linge et le ménage de la maison. Elle a lavé à la main mon jean blanc, ils ont bien un lave-linge, mais elle préfère laver à même le sol, à la main, le linge des garçons et des invités. Après le petit déjeuner pris au bord de la piscine, comme il pleuvait, nous sommes allées acheter les cartes postales et découvrir un peu l’artisanat local, puis


Tout est fluide

boire un thé à la boulangerie et rentrer pour écrire nos premières émotions. Et puis, parce que nous avions la chance d’avoir des hôtes cinéphiles, nous avons commencé une « cure » de films tous plus beaux les uns que les autres et qui a duré tout le séjour. Regarder aussi les films merveilleux tournés et montés par Jean-Michel durant leurs voyages sur le continent asiatique et notamment au Yunnan, ainsi qu’un montage photo sur la construction d’une pagode par des bonzes une pure merveille que j’ai rapporté sur ma clé USB. Découvrir, parler, boire du thé parler encore.. Écouter de la très bonne musique, les sons du monde, des vieux tubes, du jazz des séances de karaoké. Le 3e jour nous nous sommes baignées et, parce qu’il pleuvait, nous avons parlé, regardé des films, bu de thé et préparé notre départ pour Phnom Penh. Notre retour à Seam Rea est prévu pour samedi. Soit 4 jours dans la capitale. Le car démarre à 6h30. Nous logerons aux « Mystères du Mékong » tenu par Pascal Brissot, un expatrié ami des garçons, qui a redécoré une ancienne demeure coloniale avec un goût exquis. Capitale du Cambodge nous voilà pour faire du shopping, visiter et rêver. Le 4 novembre après 5 h de route et 20 min de « Tuctuc » prononcé touc touc Nous découvrons nos chambres, l’hôtel est situé en

15


Françoise Paule

centre-ville à deux pas du Palais Royal et du Musée, mais il est au centre d’un îlot de verdure. Durant le voyage, j’ai pu voir les villages en bord de route, les enfants magnifiques jouant dans des mares douteuses, les vaches d’une race inconnue sous nos latitudes, les écoliers vêtus de marine et blanc (réminiscence coloniale) à pied ou à vélo, en grappes rieuses, les mobylettes chargées de colis improbables, les Tuc Tuc doublant en 3e position. À la halte, la nourriture locale à laquelle nous n’avons pas touché, l’eau utilisée n’était pas sûre et l’hygiène nécessaire à nos organismes pas suffisante. J’ai pu regarder vivre les voyageurs. Les pères qui s’occupent aussi bien que les mères des enfants et la prévenance des jeunes pour les anciens. 16

À Phnom Penh nous visitons « Wat Penh » la colline sur laquelle fut érigée la demeure de Madame Penh qui créa la ville. Il y a des singes en liberté, des bonzes tondus, jeunes, beaux et d’orange vêtus. Dans la pagode qui est au sommet brûle jour et nuit de l’encens. On y trouve une multitude de Bouddhas de toutes tailles et de toutes valeurs comme des ex-voto. Les jardins entourant la Pagode sont entretenus par l’Association des Maires de France. On ne présente jamais les talons de nos pieds à Bouddha, mais on peut photographier l’intérieur des Pagodes. Il y a un miroir au fond de la Pagode, pour que Bouddha se contemple. En descendant de la colline, nous avons traversé


Tout est fluide

l’ancien quartier colonial et aperçu la maison d’André Malraux, qui est en très mauvais état. De retour à l’hôtel nous avons pris un peu de repos sur notre admirable terrasse privée, mais les moustiques nous en ont délogées et nous nous sommes copieusement parfumées à l’insecticide pour aller dîner, pas très glamour mais vraiment nécessaire. Antonin et Pascal nous ont entraînés dans un restaurant khmère. J’ai adoré le Praok et la Kama, ne me demandez pas ce que c’est, mais c’est très bon. Le lendemain, le marché russe, c’est le palais des 1001 nuits du shopping pour les touristes. Artisanat cambodgien : Tissus, Sculptures, Vanneries, Poteries, Bijoux, ensembles beaux, colorés, rangés ou en vrac, odorants, étonnants, poussiéreux ou brillants. Combien d’heures avons-nous passées dans ce marché couvert, mal ventilé et sombre ? Petites vendeuses à peine sorties de l’enfance mais tellement matures pour vendre, montrer, déplier, saluer les mains en prière devant le visage, efficaces pour vous dénicher la bonne taille, la bonne couleur et patienter devant notre indécision , souriantes et polies même si la vente n’était pas conclue. On paye en Dollars, parfois en Riel. On tend les billets avec les deux mains, jamais de la main gauche qui est la main de la toilette intime. Le lendemain, visite du Palais Royal dans lequel on entre avec les épaules et les bras complètement recouverts et pour les hommes les jambes couvertes. Pas de short, ni de jupe courte.

17


Françoise Paule

18

L’ensemble est imposant, immense, coloré et les visiteurs nombreux, silencieux et respectueux. Très beaux jardins à la française, colonies obligent, inspiration très net de détails architecturaux français. Un joli pavillon Napoléon III pourri lentement au milieu du parc, c’est un cadeau fait par l’Empereur au Roi du Cambodge de l’époque, mais que les Cambodgiens n’ont pas les moyens d’entretenir. Nous visitons le Musée National, les autres marchés de la Capitale, à savoir le Marché National, sans caractère, fait de produits importés dont les Cambodgiens sont friands et puis le Marché cambodgien où l’on ne voit pas de touriste et où les commerçants cambodgiens viennent s’approvisionner pour leurs petits commerces de rue. Nous effectuons les déplacements en Tuc-Tuc toujours le même, notre petit chauffeur de l’arrivée ne nous a pas quitté, il faut bien vivre, pas très dégourdi, parfois nous lui indiquons le chemin, mais il avait un super sourire et il nous a vraiment attendri, alors on l’a gardé les 3 Jours. Bien vu, pourquoi trois jours, parce qu’Antonin s’est enrhumé et que nous sommes rentrés à Seam Rea 1jour plus tôt. Il y a tellement de pollution à Phnom Penh que nous n’avons pas regretté notre retour prématuré et nous avons compris pourquoi les Cambodgiens portent des masques. Nous avons fini par mettre nos foulards sur nos bouches, tellement l’air est saturé dans les encombrements. Cependant la veille du départ, Antonin nous a


Tout est fluide

emmenés chez un ami, Olivier, Prof de Français et qui nous a régalé d’un repas Indien. Avant de prendre le car pour Seam Rea le vendredi, repas pris dans un restaurant Chinois où, j’ai découvert d’autres saveurs comme il se doit. De retour à Seam Rea nous reprenons nos « habitudes ». Petit-déj près de la piscine, visites diverses, films, discussions, musique… J’ai vu avec ravissement « les 2 frères » de JJ Annaud et qui a été tourné à Seam Rea et Angkor dans lequel Jean-Michel a joué comme figurant. À notre arrivée, nos hôtes venaient de perdre leur petite chatte, qu’ils ont aussitôt remplacée par une paire d’adorables chatons tout juste sevrés, le frère et la sœur n’étaient pas encore baptisés après une semaine . À notre retour, les jeux étaient faits, Zoé et Félix étaient là, un peu grandis et surtout répondant presque à leur nom. J’ai découvert qu’au Cambodge, on ne pose pas la main sur la tête d’un enfant. Il n’existe pas de sexe en matière de prénom, le même prénom est donné indistinctement à un garçon comme à une fille. Les autres films « Le voile des Illusions » « Lost Caution » « Black Book » « Shall we danse ? » dont la bande-son est géniale, « La 3° fille » d’après Agatha Christie « Le pavillon des femmes » « Black Rain » avec K. Douglas et A. Garcia La plupart des films ont une base ou un pied sur le continent asiatique.

19


Françoise Paule

20

Un soir Jean-Michel nous a emmené au Marché de Nuit, j’ai découvert le bain de pied façon Cambodge. Après que nos pieds eussent été lavés, nous les trempons dans un bassin. Des dizaines de petits poissons viennent alors nous les picorer, cela m’a déclenché un fou rire qui a mis en joie les tenanciers du bassin. Après avoir surmonté le fou rire, je reconnais que le « grignotage » de mes pieds est devenu agréable. 20 minutes se sont écoulées, les pieds retirés de l’eau et essuyés = des pieds tout doux, tout lisses, tout propres, tout légers. Voilà une expérience inédite, qui me laisse un bon souvenir. Le marché de nuit était essentiellement artisanal, bien sûr j’ai encore craqué pour les bracelets, les écharpes, les bougeoirs. Bien sur pas moyen de se raisonner, je commence quand même à songer à ma valise de retour et à son poids. En arrivant chez nos hôtes, je pensais rencontrer des gens hors du commun, j’y ai rencontré des Personnages. Pour les remercier, le jour où nous sommes allés chez le pépiniériste j’ai choisi pour leur jardin les plans de Bignones qui vont couvrir très vite un pan de mur et qui portent mon nom. Youpi il y a dans un coin du Cambodge une arbuste qui se nomme Françoise, elle est pas belle la vie ! Chez les Cambodgiens le temps de gestation des enfants compte, les enfants ont donc un an à leur naissance.


Tout est fluide

Jean-Michel est un fan de Gall et Berger, il a monté avec une partie de ses élèves la comédie musicale « Star mania ». Des mois de travail, car la plupart ne parlent pas couramment français, il a filmé le spectacle, nous avons apprécié. Une fin de journée, nous sommes parties, Anne et moi, faire le tour du hameau dans lequel résident nos hôtes. Voir de tout, tout prés les enfants, les hommes, les femmes, les animaux, presque dans leur intimité, ils vivent plus dehors que dedans. Sentir les vraies odeurs, la nourriture qui mijote, les petits pieds nus dans les rizières, les minuscules échoppes de proximité avec presque pas de stock, avec des sachets de choses inconnues couverts de poussière, avec de loin en loin une déco de Noël, une ou deux vaches, des canards à la queue leu leu, des poulets maigres , l’eau des rizières dans laquelle je n’aimerais vraiment pas tomber tant elle est nauséabonde, le riz qui pousse quand même et devant chaque maison, demeure ou cabane, un joli mini temple doré et brillant avec l’encens qui brûle et les offrandes déposées là chaque jour. Les bâtons d’encens que l’on allume cinq par cinq pour que Bouddha veille sur la demeure et ses habitants. Dans le langage courant lorsque les Khmères posent une question, ils emploient la tournure suivante : « Est ce que tu veux du riz ou bien non ? » Alors que nous demandons « Est ce que tu veux du riz ? »

21


Françoise Paule

L’alphabet khmer comporte 33 signes symbolisant les consonnes, 28 signes symbolisant les voyelles simples et 12 signes symbolisant les voyelles « complètes ». J’ai aimé recopier les signes qui ont un graphisme particulier se rapprochant plus du hiéroglyphe que des caractères que nous utilisons. Les Cambodgiens utilisent au quotidien un genre de « sel » 100% chimique qui sert d’activateur de goût. Ils s’y habituent et augmentent progressivement la dose, au point d’être complètement accros. Ce « sel » est interdit en Europe, il est fortement cancérigène, mais ici qui s’en préoccupe ?

22

Le mardi 10 novembre 2009 nous entamons nos 3 jours de visite sur le cite d’Angkor, désormais déminé et sécurisé. Nous avons négocié un Tuc Tuc pour la durée de la visite. Aî est donc venu à 7 h, pour un trajet de 35 minutes le 1er jour, 35 minutes de chemin « Soutien – Gorge » par rapport à l’état des routes. Les trois jours de visite sont vendus 40 $, nous sommes photographiées et nous circulons librement avec notre « passeport » dans cette immensité où les temples par grappes ou éparpillés étonnent, fascinent, éblouissent et fatiguent le visiteur. Dés l’entrée sur le site, nous nous offrons un plaisir inédit, 20 minutes sur le dos d’un éléphant qui va nous bercer jusqu’au 1° temple. Un éléphant sympa et gourmand que nous avons régalé d’un régime de bananes. Pas le même pas que


Tout est fluide

le chameau, ni que l’âne, ni que celui du cheval, un balancement, comme une houle, à plusieurs mètres du sol, comme le faisaient les dignitaires Cambodgiens de l’époque, la lenteur et la sécurité. 1er jour, 7 temples, tous plus haut les uns que les autres, avec des marches à escalader et des points de vue à couper le souffle qui récompensent chaque effort. 7 temples en assez bons états, certains en cours de rénovation. Leurs âges, les conditions climatiques extrêmes et les guerres ont laissé à ces constructions leur grandeur initiale. Aussi impressionnants que les pyramides d’Égypte, nous restons sans voix devant les énormes blocs, hissés très haut avec les bras des hommes et la bienveillance de Bouddha. « La forêt dans le temple » où l’on voit des arbres immenses de la variété « Chambak » très courante ici. Des arbres qui enroulent leurs racines dans les interstices des pierres et les déséquilibrent jusqu’à les faire tomber, mais pas seulement, mais pas tout le temps, parfois les blocs se positionnent différemment, de manière harmonieuse, un rien surprenante , un rien fantaisiste, selon l’humeur du ciel ou de Bouddha. Les noms « Bayon » « Angkor Vat » « Angkor Thom » « Thommanon » « Ta Prohm » « Prarou » « Banteay Srei » (temple en pierres roses dédié aux femmes ,décoré de Canards) « Loleî » « Preah Ko » « Bakong », et pleins d’autres.. À « Angkor Vat » j’ai remarqué des sortes d’ «Arc boutant » que je n’avais encore jamais rencontré en

23


Françoise Paule

architecture, à angle droit, ils ne connaissaient pas encore la clé de voûte à la construction et donc pas les « Arrondis ». Parfois les entrées des temples sont ornées de lions assis, parfois d’hommes assis en tailleur à tête de singe. Le 2e jour à Angkor, après plusieurs kilomètres de montée, dans une humidité maximum, un admirable torrent nous est apparu avec à fleur d’eau, des sculptures, des bas reliefs, encore très visibles malgré l’érosion. Que de beauté. En descendant, nous étions de si bonne humeur que nous avons révisé les chants qui étaient prévus au concert du 28 novembre. Retrouver notre guide. 24

Retour direction Seam Rea, heureuses de s’asseoir dans le Tuc Tuc et ravies de la fraîcheur due à la vitesse. Sauf qu’ Aî nous a fait « le coup de la panne » puisque nous avons crevé. Comme dans tous les endroits pauvres du monde, les gens sont débrouillards et efficaces, dépannage rapide et en route pour la piscine de nos hôtes et le poulet au curry promis par Antonin. Le 3e jour, visites des derniers temples, il fait lourd et humide. Nous demandons à Aî de nous arrêter au marché couvert de Seam Rea, pour quelques emplettes. Nous allons du côté de l’alimentation, il est entre 15 et 16 h, les étalages de viandes, poissons et autres denrées fraîches sont en place depuis le matin. Il n’y a ni


Tout est fluide

climatisation, ni frigo, tout juste quelques ventilateurs. En quelques minutes, les odeurs nous saisissent, nous enveloppent, c’est surtout les odeurs de viandes mortes, de poissons qui saturent l’air. Nous faisons demi-tour, au bord de la suffocation, au bord de la nausée. En fin de journée nous retournons à Seam Rea avec les garçons, ils s’arrêtent prendre un peu d’essence, le pompiste leur donne des quarts d’eau en bouteille, « Bonne idée d’avoir acheté de l’eau » « Non, ici, c’est la coutume, on te remet 1 quart d’eau pour 5 litres d’essence » Étonnante coutume, il est vrai qu’il fait toujours très chaud, mais je n’avais vu cela nulle part ailleurs. En visitant Seam Rhéa, j’ai aperçu des vendeurs de quelques choses ressemblant à des petits cailloux. « Surtout ne goûte jamais à cela » me prévient Antonin. Les petits cailloux sont en fait des coquillages que les Cambodgiens ramassent dans les « cours d’eau » aux alentours des rizières. Les coquillages sont ensuite séchés au soleil, puis roulés dans sel et épices. Les Cambodgiens en sont friands. C’est pourtant du poison pur, les escargots se décomposent dans leurs coquilles leur ingestion provoque des hépatites et de toute façon endommage gravement le foie. Cela sent très bon, les spécialités à très-hauts risques, je me contente de les respirer, de les admirer et d’en parler. Vendredi 13 novembre 2009, Antonin nous emmène de bonne heure dans son 4 x 4 pour un petit

25


Françoise Paule

26

trajet « Soutien-Gorge ». Visite prévue le lac « Nole Sap ». Nous sommes à quelques semaines de la fin de la saison des pluies, le lac est haut, nous prenons place dans une petite embarcation à moteur, très artisanale, nos sièges ont été sûrement récupérés dans un autocar, très bien fixés au fond du bateau, avec un toit nous protégeant du soleil et un moteur bruyant, impossible de commenter ce que l’on découvre, pas grave, on se parlera plus tard. Nous avançons vers la mangrove, « la forêt dans l’eau » et nous arrivons à la cité lacustre. Le bateau ralenti, nous pouvons prendre des photos, les gens nous sourient et nous saluent, il y a des barques à fond plat qui se déplacent de maison en maison à la perche, ce sont des vendeurs de légumes, de fruits ,de produits courants. Les maisons sont alignées et toutes sur pilotis. Prêt ou sous les maisons, nous apercevons des « radeaux » sur lesquels se trouvent des plantations, des cages contenant des poules ou des cochons. Tout se passe sur l’eau, les femmes rejettent l’eau de la lessive, les eaux usées du ménage, mais puisent aussi cette eau pour faire, je n’imagine pas quoi, mais je le devine, il n’y a pas l’eau courante. Au Cambodge et ici plus qu’ailleurs, les gens boivent de l’eau en bouteille, ils achètent des conteneurs de 5 litres d’eau pour 1 €. Ici dans la cité lacustre, il n’y a pas d’électricité, aucun confort, tel que nous l’entendons en Europe, les gens vivent là, il y a une pagode, une école, quelques « bars », les gens paraissent heureux, assez bien portant, c’est une autre vie.


Tout est fluide

Au retour, le bateau s’arrête, nous sautons sur un ponton, qui avance jusqu’à la terre où se trouve la pagode, en saison sèche, l’eau du lac est plus basse et l’endroit n’est pas immergé toute l’année. La pagode est très belle, les gens donnent pour l’entretien de leur lieu de culte et l’entretien des moines qui prient pour eux. À la sortie, il y a une jolie maman avec un très beau bébé dans les bras et chose rarissime, elle me laisse le prendre, c’est une mignonne petite fille de 8 ou 9 mois que j’embrasse, qui sent bon le bébé et qui me sourit. Il y a aussi 2 jeunes filles qui nous proposent d’acheter pour 1 € un lot de cahier d’écolier ou de crayons à papier. L’idée, c’est d’acheter des fournitures et de les porter à l’école. Super idée, nous nous rendons jusqu’à l’école et nous dérangeons les institutrices qui s’apprêtent à se rendre dans leur classe. L’une d’elles nous guide vers sa classe, cité lacustre oblige, nous escaladons une échelle très rudimentaire pour nous retrouver à l’entrée de la classe. Les élèves se lèvent tous ensemble et nous disent toujours tous ensemble quelques choses en cambodgien qui doit signifier « Bonjour ». Ils se rassoient toujours ensemble en s’agitant de curiosité. J’ai les poils qui se dressent sur les bras d’émotion. Les enfants ont entre 6 et 8 ans, assis sur des bancs sommaires devant des bureaux de la même veine. Ils sont beaux, la classe est mixte, les uns après les autres, ils se relèvent en saluant les mains en prière devant le visage, en s’inclinant, en remerciant en cambodgien, car la maîtresse nous a fait signe de distribuer les cahiers et les crayons individuellement. Je rencontre le regard

27


Françoise Paule

28

de chaque enfant, je peux plonger directement dans ces yeux immenses et souriants pas intimité mais tellement plein de gratitude. Je suis à la fois émue aux larmes et très heureuse de ce moment d’échange. BON VENDREDI 13. Nous retrouvons Antonin et notre bateau. C’était notre antépénultième journée sur le sol Cambodgien, ce fut pour moi la plus belle et l’une des expériences les plus fortes qu’il m’ait été permis de vivre. De retour chez les garçons, il s’agissait de faire nos valises et de rester dans un poids correct pour la compagnie aérienne. Je passe sur les étapes diverses qui conduirent à laisser chez nos hôtes, qui une serviette de bain, qui une paire de chaussures, pour ramener les merveilles du marché. Beaucoup de leurs visiteurs en ont fait autant. Ma serviette éponge à gros poissons exotiques qui faisait rêver Toit est donc restée au bord d’une piscine cambodgienne : pour ramener 26 bracelets, 4 écharpes, 12 boîtes en rotin remplies d’encens et d’épices, 6 housses de coussins en soie et 10 chemins de table, éventails, poteries, statuettes, masque, pantalons khmers, serpent en bouteille, bateau en bois, xylophone, sacs, pochettes, cabas et étuis à bijoux, thé et … un raton laveur. Les bagages bouclés et pesés, attendent dans un coin. Encore une chose à découvrir au Cambodge et c’est pour demain, le massage. Yen, qui masse Jean-Michel et est devenu un ami, va venir nous masser. La prestation devait durée 3h, 2h m’ont suffi. Yen est un khmer qui parle peu, mince, long, assez beau, musclé. Il m’installe sur un matelas à même le sol dans


Tout est fluide

ma chambre, en sous-vêtements. Il utilise un mélange de Baume du tigre et d’huile. Il masse une jambe puis l’autre, un bras, l’autre, la tête et le dos. Il frotte fort et longtemps la peau de la partie qu’il se prépare à masser. Il appuie sur des zones précises jusqu’à la douleur. Ces doigts sont comme des pointes, avec une force prodigieuse, il fait « rouler » les muscles, les tendons, c’est sensible et agréable à la fois. Chaque membre y compris la tête et le visage est malaxé, trituré, décortiqué. Il utilise ses coudes, ses avant-bras, ses mains, ses paumes, ses doigts, ses ongles qu’il porte long. Je pensais me relever rouge et tuméfiée, il n’en fut rien. Le lendemain, juste quelques points étaient « présents » mais je me sentais bien. Il faut se laisser porter et se détendre le plus possible, si on se contracte les points « appuyés » sont douloureux. J’ai gardé les yeux fermés tout le temps et j’ai tout bien ressenti. Merci Yen, réputation non usurpée. Il restait quelques heures avant le décollage, une soirée, une nuit, une matinée et l’aéroport pour 18 h de voyage. Quelques jours longs comme des mois venaient de s’écouler et pourtant trop vite passés. Nos hôtes nous ont reçues telles les filles de la maison installées dans ces jolies chambres décorées avec goût. Entourées de Blanco le chien, Félix et Zoé les chatons, de la volière remplie d’Inséparables, du gecko qui « coasse » chaque soir depuis la poutre de la terrasse (nombre impair cela porte chance) et de Toit, Samet, Try, Sym, Signe, Ryn,

29


Françoise Paule

Soccun, Ravan, Chris la restauratrice des orientalistes, les expatriés croisés dont je n’ai pas retenu les noms et bien sûr Antonin et Jean-Michel , tous éléments de la trame de notre voyage, de nos découvertes, de nos souvenirs. Les odeurs, les sons, les saveurs, les émotions, les paysages, les visages, les regards, les sourires, les silences, les bruits, la trame, la trame inédite de ce beau voyage. Les échanges, les rencontres et toutes les découvertes gustatives, la nourriture, la cuisine, ce terrain qui réunit si bien les gens du monde. Très belle aventure, que j’ai eu plaisir à me remémorer et à relater.

Françoise Gamba novembre 2009


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.