Vincent Morvan Les migrations sont au cœur des préoccupations et des débats. Nos sociétés occidentales les présentent le plus souvent comme des problèmes, sans se questionner sur leur sens profond et leur part d’espérance. Vincent Morvan a étudié en profondeur la question de l’hospitalité envers l’étranger et propose d’en saisir les enjeux en abordant quatre dimensions interdépendantes : oo La théologie chrétienne de l’hospitalité, pour comprendre la relation entre le Dieu trinitaire et l’étranger tout au long de l’histoire de la rédemption ; oo L’éthique chrétienne de l’hospitalité, pour vivre l’hospitalité en tant qu’Église et dans nos foyers tout en restant centré sur l’Évangile ; oo La spiritualité chrétienne de l’hospitalité, pour cultiver notre communion avec le Dieu trinitaire et être ainsi capable d’accueillir l’étranger et de cheminer avec lui ; oo La missiologie chrétienne de l’hospitalité, pour accomplir notre mission dans notre société et parmi tous les peuples. Des personnes venues d’une grande diversité de nations se trouvent dans nos villes. Accomplissons avec foi, amour et espérance, au sein de cette humanité en mouvement, la mission confiée par Jésus-Christ à l’Église. Et ce, jusqu’au jour où nous prendrons part à cette vision céleste de l’hospitalité divine : « Je vis une foule immense que personne ne pouvait compter. C’étaient des hommes de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue […] Ils criaient d’une voix forte : “Le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône et à l’Agneau” » (Apocalypse 7 : 9-10).
Vincent Morvan est marié à Anja et il est père de trois enfants. Il est l’un des fondateurs de l’association Un cœur pour le monde, qui a pour objectif de pratiquer l’hospitalité envers les étudiants et chercheurs internationaux à travers les Églises locales. Cette association est active dans plusieurs grandes villes de France.
21,90€
ISBN 978-2-36249-468-0
9
782362
494680
accueillir l’étranger avec Christ
Vincent Morvan
accueillir l’étranger avec Christ
Vincent Morvan
accueillir l’étranger avec Christ une approche théologique, éthique, spirituelle et missiologique de l’hospitalité
« Nous vivons aujourd’hui dans un village mondial qui se trouve affecté et dominé par la peur grandissante de l’étranger et des migrants qui arrivent en nombre. Ils viennent de cultures et d’arrière-plans religieux peu familiers. Ils sont perçus comme des gens qui nous envahissent et qui menacent nos habitudes, nos quiétudes et prétendues sources de sécurités. Certaines de nos réactions glissent dans la xénophobie, sous ses formes nues ou maquillées. Tout cela nous amène, même en tant que chrétiens appelés à communiquer l’espérance chrétienne “jusqu’aux extrémités de la terre”, à nous enfermer, à ignorer les opportunités que Dieu nous donne en rapprochant géographiquement et miraculeusement l’étranger de nous. Le livre exceptionnellement riche de Vincent Morvan nous présente un regard chrétien sur l’hospitalité qui ne peut pas nous laisser indifférent ou neutre. Car il nous plonge dans la profondeur de l’hospitalité exemplifié par Dieu lui-même en Jésus-Christ incarné, lui qui nous ouvre son cœur et ses bras pour nous accueillir et pour nous offrir une demeure, une espérance. Par sa profondeur et grâce à ses illustrations pratiques, ce livre éveille notre conscience chrétienne à la nécessité de l’accueil des étrangers. Il nous encourage à sortir de nous-mêmes, à dépasser nos peurs et à oser ouvrir nos portes : celles de nos cœurs, de nos maisons, de nos Églises et communautés chrétiennes pour accueillir l’autre et offrir l’hospitalité. Impliqué personnellement au quotidien dans l’accueil des étrangers, l’auteur nous offre des aides pratiques, des suggestions concrètes et éprouvées pour oser et réussir un ministère d’accueil. En lisant ce livre, j’ai compris que l’hospitalité, l’accueil de l’étranger, loin d’être une perte, est en vérité un enrichissement, un chemin de croissance et une bénédiction spirituelle qui nous transforme nous-mêmes, profondément, à l’image de Christ. »
Daniel Bourdanné
Secrétaire général de l’IFES de 2007 à 2019 Prix Abraham Kuyper 2018
« Le livre de Vincent Morvan est un ouvrage de référence pour tous les chrétiens confrontés à l’accueil des personnes étrangères dans leur famille, leur communauté ou plus largement dans la société ; c’est aussi un outil pertinent pour faire avancer les Églises, non seulement dans leur réflexion mais dans leur pratique de l’hospitalité. Grâce aux quatre axes proposés, Vincent Morvan explore en profondeur toutes les dimensions de l’hospitalité à travers les Écritures, en s’appuyant sur l’expérience d’un ministère auprès des étudiants étrangers qu’il développe depuis plusieurs années. Très documenté sur le plan théologique et sociologique, nourri d’exemples et d’illustrations personnelles, ce livre nous contraint à des tas de déplacements culturels, intellectuels, spirituels, et nous oblige à nous poser les bonnes questions… Il n’est jamais trop tard pour revisiter nos pratiques et surmonter nos défaillances : pour le chrétien, l’hospitalité est tout sauf une option ! »
Caroline Bretones
Pasteure du Temple du Marais à Paris (EPUdF)
« En 2009, ma femme et moi avons été appelés par Dieu d’une manière très claire pour accompagner les femmes victimes de la traite humaine et prises dans les réseaux de prostitution, sur le chemin de la liberté en Christ. La majorité d’entre elles viennent de pays étrangers. Depuis, plusieurs Églises à Nantes se sont jointes à nous pour faire partie du réseau de Dieu. Dans son livre, Vincent affirme qu’accueillir l’étranger, c’est lui montrer qu’il peut être accueilli par Christ. L’accueil de ces femmes de manière désintéressée et pratique joue un rôle majeur dans la guérison, la restauration et la libération que leur apporte le Christ. Certaines d’entre elles qui avaient totalement perdu confiance ont, à travers l’accueil des chrétiens, retrouvé l’espoir. Ce livre montre qu’il y a un lien évident entre l’accueil de l’étranger et la perception que cet étranger aura du Christ lui-même. Je prie que ce livre aide l’Église à saisir cette opportunité de témoigner auprès de ceux qui, dans la souveraineté de Dieu, sont à nos côtés aujourd’hui. Je recommande vivement ce livre ainsi que son auteur. »
Marcel Georgel
Expert des actions contre la traite humaine (OM France)
« Je me réjouis de la publication du plaidoyer de Vincent Morvan, qui est une réelle bénédiction pour la francophonie chrétienne. L’ouvrage est le fruit d’une maturation perceptible à la lecture. L’auteur partage sa vision en livrant avec sincérité et humilité son expérience de l’hospitalité, ses joies et ses difficultés. Mais le propos est aussi abondamment nourri par une vaste et stimulante rumination de l’Écriture, déployant au niveau éthique, spirituel et missiologique une théologie trinitaire qui manifeste précisément la vertu dont le livre fait l’éloge. C’est une théologie hospitalière qui, avec discernement et sensibilité, fait bonne place à l’altérité. Le style du livre, accessible et plaisant, permettra d’atteindre un large public, et le lecteur suivra aisément le cheminement que propose Vincent Morvan. Il sera peut-être surpris de se retrouver lui-même saisi par la redécouverte de l’hospitalité divine que nous montre la Bible, qui s’exprime en Jésus-Christ et qui se manifeste de façon si diverse dans l’accueil de l’étranger. L’hôte qui accueille l’étranger dans l’esprit de l’Évangile est un modeste mais réel relais de l’archétype divin, et se trouve lui-même abondamment enrichi en portant de façon incarnée l’Évangile qu’il désire ardemment partager. »
Jacques Nussbaumer
Professeur-assistant de théologie systématique à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine
Vincent Morvan
accueillir l’Êtranger avec Christ
Accueillir l’étranger avec Christ : Une approche théologique, éthique, spirituelle et missiologique de l’hospitalité Vincent Morvan © 2019 • BLF Éditions • www.blfeditions.com Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Couverture : Seegn. • seegn.fr Mise en page : BLF Éditions Impression n° XXXXX • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc • France Sauf mention contraire, les citations bibliques sont tirées de la Bible version Segond 21, © 2007 Société biblique de Genève. Reproduit avec aimable autorisation. Tous droits réservés. Les caractères italiques sont ajoutés par l’auteur du présent ouvrage. Les autres versions sont indiquées en abrégé de la manière suivante : la Bible du Semeur (BDS), Parole de vie (PDV), la Nouvelle Bible Segond (NBS), la Nouvelle Édition de Genève (NEG). Reproduit avec aimable autorisation. Tous droits réservés. Les citations issues de livres anglophones sont librement traduites par l’auteur. Les noms de tous les hôtes accueillis et cités en exemple dans ce livre ont été changés par souci de protection. ISBN 978-2-36249-468-0 ISBN 978-2-36249-469-7
broché numérique
Dépôt légal 2e trimestre 2019 Index Dewey : 259.411 (cdd23) Mots-clés : 1. Hospitalité chrétienne. 2. Ministère auprès des étrangers.
Table des matières Préface.......................................................................... 11 Introduction................................................................... 15
Première partie Une théologie chrétienne de l’hospitalité Chapitre un
L’hospitalité dans le plan de Dieu................................ 35
Chapitre deux
L’hospitalité dans l’Évangile de Christ.......................... 69
Chapitre trois
L’hospitalité dans l’œuvre de l’Esprit............................ 95 Une Église née de l’Esprit............................................ 117
Deuxième partie Une éthique chrétienne de l’hospitalité Chapitre quatre
Ouvrir la porte de nos Églises..................................... 127
Chapitre cinq
Ouvrir la porte de nos foyers...................................... 145
Chapitre six
Frapper à la porte de l’étranger................................. 163 Une Église qui s’ouvre par l’Esprit............................... 177
Troisième partie Une spiritualité chrétienne de l’hospitalité Chapitre sept
Une Église purifiée....................................................... 187
Chapitre huit
Une Église reposée...................................................... 203
Chapitre neuf
Une Église rassasiée.................................................... 223 Une Église habitée par l’Esprit.................................... 239
Quatrième partie Une missiologie chrétienne de l’hospitalité Chapitre dix
Une écoute attentive de l’étranger............................ 249
Chapitre onze
Une vision juste de l’humanité................................... 265
Chapitre douze
Une parole de vie pour les exilés............................... 287 Une Église envoyée avec l’Esprit................................. 313
Conclusion.................................................................. 317 Remerciements........................................................... 327 Accueillir avec Christ.................................................. 329 Notes........................................................................... 331 Index des références bibliques.................................. 347
Je dédie ce livre à nos enfants Aina, Avana et Felana. Que toutes les bénédictions en Jésus-Christ vous accompagnent : il est la vie, la lumière et le chemin de tout épanouissement véritable.
« Cantiques pour moi, que tes volontés, en ma demeure d’étranger. » Psaumes 119 : 54 – Bible de Jérusalem
« S’il y a bien un concept auquel il faut rendre la profondeur d’origine et le potentiel évocateur, c’est le concept de l’hospitalité. C’est l’un des termes bibliques les plus riches qui permet d’approfondir notre connaissance et d’étendre notre discernement dans nos relations avec nos semblables. » Henri J. M. Nouwen 1
Préface Nous l’avons tous entendu. Les médias nous ont prévenus. La vague migratoire actuelle transformera à jamais nos sociétés européennes. Les images nous ont choqués. Les récits troublés. Quitter famille, patrie, pour chercher ailleurs ce qui ne peut être reçu là-bas. Alors, ils viennent ici. Qui est cet étranger ? Que veut-il ? Faut-il l’accueillir ? À qui la responsabilité ? Ces questions font remonter en nous le meilleur et le pire. Partagés entre la compassion et la peur, nous hésitons. La vague semble trop grande. Invasion ! Le repli identitaire pointe son nez, nourri par les discours haineux des extrêmes populistes. D’autres bravent l’interdit et accueillent l’étranger en situation illégale. Procès pour « aide directe ou indirecte en bande organisée à l’entrée irrégulière d’étrangers sur le territoire national ». Délinquance solidaire ? Le Conseil constitutionnel a tranché : « Au nom du principe de fraternité, une aide désintéressée au séjour irrégulier ne saurait être passible de poursuites, l’aide à l’entrée restant illégale1 ». Au nom du principe de fraternité. Principe de fraternité. Fraternité. L’étranger serait-il un frère ? Mon frère ? Le Conseil constitutionnel, les sages, ont tranché. Oui, l’étranger est un frère, un frère en humanité. Suis-je gardien de mon frère pour autant ? Il y a les images à la télévision, et la réalité. Aujourd’hui, dans notre Église de la rue Vernier à Nice, nous accueillons plus 11
Accueillir l’étranger avec Christ
d’une trentaine de nationalités au culte du dimanche. Afrique, Asie, Europe, Amériques, Moyen-Orient. Il y a le groupe des « Iraniens » comme on les appelle. Toujours assis au même endroit, à gauche, près du mur. Ils suivent religieusement le culte, sans rien comprendre. Ils n’ont pas le même alphabet pour commencer ! Mais ils sont là, chaque dimanche. Quand on fait l’effort de mettre la traduction en farsi pour les versets qui rythment la prédication, il y a ce sourire qui inonde leur visage. Comme pour dire « Merci de penser à nous aujourd’hui ». Est-ce que je pense à eux ? Aujourd’hui ? Lui là-bas, assis de l’autre côté du temple, est-il mon frère en humanité ? Mon frère en Christ ? Irai-je à sa rencontre à la fin du culte ? Ayant vécu au Tchad quelques années, mon épouse et moi prenons part à leur agape. L’Afrique nous a éduqués, tout jeunes mariés que nous étions. Elle nous a appris le don de l’hospitalité, l’art du silence et de la retenue, du retrait de soi, pour donner à l’autre toute sa place. Vingt ans plus tard, les réflexes transculturels reviennent : une invitation à déjeuner iranien, dans la cour de l’église bercée par le soleil méditerranéen, ne se refuse pas ! Ils sont confus, gênés. Ils n’ont que des couverts et assiettes en plastique. La table est bancale. Ils se confondent en excuses. Ce n’est pas comme cela que l’on doit recevoir un invité, un ami, un frère. Stop. Au nom du principe de fraternité. Principe de fraternité. Fraternité. Suis-je un frère pour cet étranger ? Son frère ? Les tables tournent. L’étranger devient l’hôte, l’hôte l’invité. Renversant ! On me demande de prier en français, suivi par une autre prière en farsi. Je m’exécute. Il s’exécute. Mon hôte sourit. « Vous avez prié la même prière, le saviez-vous ? » Je souris. Comme si 12
Préface
nous avions finalement le même Père. Un seul père, cela fait donc de nous… des frères. C.Q.F.D. Peut-être que l’accueil de l’étranger vous interroge. Il est bon de s’interroger, de se laisser reprendre dans ses certitudes. Qui est-il pour vous, cher lecteur ? J’aime ce livre. Je l’ai tout de suite adopté à la lecture des premières pages. Ce livre vient vous chercher, au plus profond de vous-même. Accueillir l’étranger, c’est désirer rencontrer l’autre, dans sa différence. Moi l’accueillant, lui l’accueilli. Accueillir l’étranger avec Christ, c’est encore différent. Comme si finalement, Christ nous accueillait tous les deux, lui et moi, tous les deux étrangers, tous les deux accueillis. Renversant ! Qui de mieux pour parler de ce sujet que Vincent Morvan, ami et collègue d’Un cœur pour le monde. À la fois pasteur, chercheur, sondeur des cœurs, érudit, Vincent nous amène sur ce chemin de l’accueil de l’étranger. Réflexions théologique, éthique, spirituelle et missionnelle s’entremêlent pour démêler le vrai du faux. Par-dessus tout, Vincent est un sage qui, comme les fils d’Issacar, a l’intelligence des temps pour savoir ce que devrait faire l’Église de cette vague migratoire. Opportunité ? Menace ? Son analyse est pointue, son regard aigu. Il ne botte pas en touche, il creuse, fouille au fond des Écritures, nous livre sa vie, son expérience, son expertise. Au travers des pages, il nous accueille, nous, lecteurs. Il nous accueille en Christ et nous présente l’autre, l’étranger, au nom du principe de fraternité. La table est mise, il nous invite, il vous invite. Prenez part à ce festin littéraire. Le repas peut commencer ! Raphaël Anzenberger
Directeur RZIM. fr, professeur-adjoint des universités en études interculturelles (Columbia International University)
13
Introduction Nous sommes dans les locaux d’une Église, près du campus principal de Nantes. Un repas d’accueil y est organisé pour les étudiants internationaux de tous les peuples et de toutes les croyances. Deux étudiants de nationalité tchadienne viennent d’arriver : Ayman et Abdel. — Soyez les bienvenus ! s’exclame avec un large sourire notre équipe d’accueil. À l’entrée, une table est recouverte d’une grande carte du monde : — Vous pouvez mettre ici un point de couleur pour situer votre ville ou village d’origine. Et voici un badge pour vous. Vous pouvez écrire dessus votre prénom et le pays que vous représentez. Ayman et Abdel entrent ensuite dans la salle. Elle est décorée pour l’occasion avec des tissus du monde entier. Spontanément, tous les invités interagissent avec les membres des communautés chrétiennes venus les servir. Chacun admire la diversité des nationalités présentes : Kazakhstan, Mauritanie, Moldavie, Koweït, Wallis, Chine, Ghana, Brésil, Inde, Mexique, Éthiopie, Italie, Guinée, Vietnam… — Tchad ! Bienvenus Ayman et Abdel ! saluent chaleureusement William et Larissa. Ce couple fait connaissance avec eux et s’enthousiasme : — Votre langue maternelle est le naba ! Avec nos enfants, nous prions pour le monde et régulièrement pour les gens qui parlent le naba ! 15
Accueillir l’étranger avec Christ
Ayman et Abdel sont émus de recevoir un tel accueil en France. Ils sont touchés d’apprendre qu’une famille chrétienne aime prier pour leur peuple entièrement musulman. Un de leurs amis soudanais, Ahmed, est également présent à ce repas. Il n’est pas venu en France premièrement pour étudier, mais pour y chercher refuge. Ahmed a été forcé de fuir à cause de la crise humanitaire au Darfour. Il nous confie qu’il a déjà un bagage universitaire et une expérience d’enseignant. En tant que réfugié, Ahmed projette à présent de poursuivre ses études en France. Ainsi, tout au long de cette soirée, nous comprenons que toutes les régions du monde et presque toutes les croyances y sont représentées. Une véritable terre en miniature dans toute sa diversité. Les nations sont invitées au sein d’une Église locale et accueillies à sa table.
Le défi à relever Chacun d’entre nous fait face au même défi en permanence : celui de comprendre le monde dans lequel nous vivons. JeanChristophe Victor, expert en géopolitique et relations internationales1, le souligne : Tout est désormais lié sur cette planète et, pourtant, tout semble être abordé et compris en fragments, en segments. Pourquoi les liens sont-ils si difficiles à percevoir, ou seulement à comprendre ? […] On perçoit maintenant que le « progrès » – cette direction donnée au temps forcément orientée vers le mieux, vers le plus – n’est pas le 2 seul sens de l’histoire .
Il existe un autre sens à l’histoire de l’humanité. Mais lequel ? Il est crucial de le découvrir, d’autant plus qu’aujourd’hui nous faisons un autre constat. Jamais auparavant une telle possibilité de rencontre entre les peuples n’a été atteinte. Depuis nos villes, nous sommes presque à un pas de rencontrer des gens de toute 16
Int ro du c t io n
nation, de tout peuple, de toute langue. Et nous sommes là, à cette période de l’histoire ! Grâce à la présence de l’étranger, nos villes rassemblent cette diversité inégalée de nationalités. Cette réalité n’est-elle pas porteuse d’espérance ? Aujourd’hui, les migrations sont au cœur des préoccupations et des débats. Leurs parts d’espérance sont très peu abordées. Nos sociétés occidentales les présentent le plus souvent comme des problèmes, sans se questionner sur leur sens profond. Nous n’ignorons pourtant pas tout des phénomènes migratoires. Depuis le début de l’humanité, les hommes se déplacent. Les migrations n’ont jamais cessé, de tout temps et jusqu’aux extrémités de la terre. Elles sont la base de toutes les cultures. Mais qu’y a-t-il de nouveau aujourd’hui ? Qu’est-ce qui explique cette diversité inégalée ? Considérons ensemble trois constats d’experts. Catherine Wihtol de Wenden3, spécialiste des migrations au CNRS, considère que la « question des migrations est l’un des grands enjeux du xxie siècle […] Les grandes lignes de fracture du monde, ainsi que les liens transnationaux favorisent cette rencontre du monde dans le monde4 ». Pour la sociologue Sylvie Mazzella5, les migrations internationales sont « le reflet ainsi que le pouls et le moteur d’un monde interdépendant […] La nouveauté se situe dans la nature des flux migratoires qui a changé aussi bien par son ampleur que par la diversité même des catégories de migrants […] L’évolution des migrations touche et relie les cinq continents […] Elle touche toutes les classes des sociétés et tous les motifs de l’action humaine6 ». Le sociologue Abdelmalek Sayad7, quant à lui, déclare : « Le phénomène migratoire ne peut trouver une intelligence totale qu’à la condition que la science renoue les fils rompus et recompose les morceaux brisés8 ». Recomposer les morceaux, renouer les liens. C’est un même défi, que ce soit en abordant nos histoires individuelles ou l’his17
Accueillir l’étranger avec Christ
toire de notre monde. C’est un seul et même puzzle à rassembler : celui de l’humanité. Nous sommes appelés à nous rencontrer, à nous réunir, mais nous ne savons pas comment le vivre. Le défi de la rencontre s’accroît et se fait plus pressant dans notre monde globalisé. Nous nous posons alors ces questions : comment pouvons-nous vivre des rencontres empreintes de paix et d’espérance ? Comment nouer des liens avec des personnes d’arrière-plans culturels et religieux si différents ? Comment pouvons-nous relier nos parcours de vie entre eux ?
La pratique à ne pas oublier Il existe pour cela une pratique porteuse de vie. Elle rend possible la véritable rencontre entre les hommes. Elle croise leurs parcours. Elle réunit leurs histoires. Elle favorise leur compréhension. Elle permet d’orienter l’histoire de l’humanité vers une autre direction. Cette pratique est l’hospitalité. Ce mot évoque une grande variété de concepts philosophiques et théologiques et n’a donc pas de définition unique universellement reconnue. Nous pouvons tout de même dresser les contours du don de l’hospitalité : la rencontre de l’autre, l’accueil, le dialogue, le partage d’une boisson et d’un repas, l’offre d’un refuge, les rôles d’hôtes réversibles selon les situations. La manière de penser et de vivre le don de l’hospitalité nous place au cœur du rapport à l’altérité, de la relation à l’autre différent de soi. Qui donc est l’étranger aujourd’hui ? Derrière le mot « étranger » se cachent des profils et des parcours très variés les uns des autres. Beaucoup migrent pour poursuivre, en tant qu’étranger, leurs études universitaires ou leurs travaux de recherche. D’autres sont forcés de migrer à cause de conditions politiques désastreuses ou de conditions humanitaires insoutenables. Les raisons peuvent être également professionnelles, familiales, médicales. Certains voyagent aussi du fait de l’attrait culturel, 18
Int ro du c t io n
linguistique ou économique. À ceci s’ajoute malheureusement l’engrenage du trafic humain. Dans tous les cas, il s’agit de vies humaines d’une valeur inestimable. La définition juridique actuelle du terme « étranger » est simple : il désigne tout être humain qui ne possède pas la nationalité du pays dans lequel il réside de manière temporaire ou per9 manente . Chaque être humain peut être en position d’étranger s’il vit en dehors des frontières de sa nation, ou de ses nations s’il possède plusieurs nationalités. En parallèle, une deuxième définition classique et générale doit être retenue : est « étranger » celui qui vient « d’ailleurs » et qui n’est pas encore connu. L’accueil d’un étranger s’effectue lorsqu’une véritable rencontre a lieu, à travers un dialogue et, si cela est possible, autour d’un repas. Hôtes accueillants et accueillis apprennent les uns des autres. Nous verrons, dans cet ouvrage, comment Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, œuvre dans cette hospitalité en vue de créer une communion. L’hospitalité envers l’étranger est une responsabilité collective et une pratique liée à la vocation de l’Église en tant que corps du Christ dans le monde. C’est pour cela que les Églises locales se trouvent au centre de la réflexion de ce livre. Par ailleurs, les foyers sont compris comme des expressions de celles-ci. Les vérités exposées dans cet ouvrage sont valables pour tout accueil, dialogue, relation et don entre êtres humains, avec des personnes qui nous sont étrangères ou non.
La réflexion à entreprendre L’hospitalité est un des thèmes majeurs de la Bible : hospitalité de Dieu envers les hommes, hospitalité des hommes envers Dieu, hospitalité des hommes entre eux. Pourtant, j’ai longtemps ignoré, en tant que chrétien, l’ampleur de la portée spirituelle de l’hospitalité lorsqu’elle est comprise et vécue avec Christ. 19
Accueillir l’étranger avec Christ
Tout comme moi, vous vous demandez peut-être en quoi Jésus-Christ apporte une lumière unique dans l’accueil de l’étranger. Que souhaite-t-il dire à son Église sur l’accueil des étrangers ? Quel éclairage la foi chrétienne apporte-t-elle sur la situation actuelle de l’humanité ? Quelles sont les actions que Dieu mène en matière d’hospitalité dans ce monde ? Comment y prendre part ? Les réponses ne sont pas forcément évidentes, car nous vivons dans un monde complexe. C’est pourquoi j’ai entrepris pendant plusieurs années une réflexion approfondie qui, après avoir mûri, a donné naissance à ce livre. La situation du monde actuel et le questionnement au sein de l’Église nous poussent à rétablir l’hospitalité chrétienne sur ses solides fondations théologiques. Cela est nécessaire en vue de la restauration de la pratique de l’hospitalité chrétienne, porteuse de la vie spirituelle dans le monde. J’expose donc dans cet ouvrage quatre disciplines complémentaires, étroitement liées, qui s’accueillent et se nourrissent mutuellement : • Une théologie chrétienne de l’hospitalité : qui est Dieu ; ce que Dieu fait pour l’humanité ; le sens des actions du Dieu trinitaire accomplies pour l’étranger, par l’étranger et au travers de l’hospitalité (et par extension, ce que cette réflexion sur l’hospitalité et sur la figure de l’étranger apporte à la théologie). • Une éthique chrétienne de l’hospitalité : qui est notre prochain ; ce que l’Église vit, offre et reçoit au contact de l’étranger et dans l’union avec Christ ; le sens que Dieu donne aux actions d’hospitalité de l’Église dans notre contexte contemporain (et par extension, ce que l’hospitalité apporte à l’éthique). • Une spiritualité chrétienne de l’hospitalité : les rapports d’hospitalité que nous sommes appelés à vivre intérieurement dans notre marche de foi à la suite de Christ ; ce qu’il veut accomplir en nous et au cœur de son Église par la pratique de l’hospitalité ; la manière 20
Int ro du c t io n
dont la spiritualité chrétienne est offerte à l’étranger au cœur de l’hospitalité (et par extension, ce que l’hospitalité apporte à la spiritualité). • Une missiologie chrétienne de l’hospitalité : la mission de l’Église auprès de ceux qui ne connaissent pas JésusChrist dans nos sociétés et parmi tous les peuples ; son rôle qui consiste à susciter et à former des disciples de Christ au cœur de contextes culturels diversifiés et en mutation ; la manière dont ce mandat missionnaire peut se vivre au travers de l’hospitalité envers l’étranger dans un monde caractérisé par les migrations (et par extension, ce que l’hospitalité apporte à la missiologie). Ces quatre disciplines sont en réalité quatre « lentilles » qui révéleront les contours de l’hospitalité chrétienne. Elles sont renvoyées par les écrits bibliques se rapportant aux thèmes de l’hospitalité, des migrations et de la condition d’étranger, ainsi que de l’œuvre de Jésus-Christ parmi les nations. Au fil de la lecture, nous prendrons conscience de la richesse et de la nécessité d’adopter une approche à la fois théologique, éthique, spirituelle et missiologique de l’hospitalité ; c’est la première spécificité de ce livre. Cette méthodologie est fondée sur l’hospitalité des intelligences et des disciplines chrétiennes entre elles. Toutes s’accueillent, dialoguent, s’éclairent et se nourrissent les unes les autres. La réflexion pourra ainsi inspirer durablement l’enseignement et la vie de l’Église pour l’aider à surmonter de manière intégrale les défis actuels et futurs. Prenons l’exemple de la voiture : la théologie est le moteur, l’éthique est le volant, les roues représentent la missiologie et le carburant la spiritualité. Nous ne pouvons pas présenter un véhicule sans expliquer avec quel carburant il roulera, sans un moteur bien fixé pour que le véhicule tienne la route, sans roues pour qu’il aille loin et sans volant pour le manœuvrer. 21
Accueillir l’étranger avec Christ
La première partie théologique présente l’origine et l’importance dans les Écritures des points développés dans les trois autres parties. En effet, toute vérité théologique fondamentale a des répercussions éthiques, spirituelles et missiologiques. Un texte biblique peut avoir été proclamé et rédigé avec un angle spécifique : pour inspirer une nouvelle éthique du rapport à l’étranger, pour enrichir la vie spirituelle de l’Église à travers l’hospitalité même de Dieu ou encore pour élargir la vision missionnaire de l’Église. L’exégèse d’un texte peut faire ressortir plusieurs couches de sens.
Les « angles morts » à considérer Les intentions et les pratiques liées à l’hospitalité sont souvent influencées par notre éducation et par la culture de notre communauté chrétienne. C’est pourquoi il est important d’examiner nos actes et nos modèles afin de recevoir tout ce que nous avons encore à apprendre de Christ. Ne faisons pas l’erreur de mettre de côté des vérités bibliques, parce qu’elles ne font pas partie de notre arrière-plan culturel. Cet ouvrage est conçu pour favoriser ce discernement et mettre à la lumière de l’Évangile nos « angles morts culturels ». Certains ne se rendront pas compte du caractère unique de l’hospitalité par rapport à l’avancée de l’Évangile dans le monde. D’autres développeront un service d’hospitalité avec leur Église sans pour autant comprendre les visions du monde et les parcours de ceux qui sont accueillis. Certains ne comprendront pas ce que Dieu souhaite d’abord produire dans leur propre vie spirituelle au travers de cette pratique. D’autres s’engageront dans l’accueil de manière individuelle en négligeant la dimension communautaire de l’Église. Au fur et à mesure, le lecteur pourra mieux discerner sa vocation spécifique et celle de l’Église concernant l’accueil de 22
Int ro du c t io n
l’étranger. Il aura une meilleure compréhension des dimensions qu’il n’a pas intégrées jusqu’à présent dans sa réflexion et sa pratique. Chacun d’entre nous pourra développer son discernement pour comparer les différentes conceptions existantes de l’hospitalité avec la révélation de Jésus-Christ, selon les Écritures. Nous aborderons également les textes bibliques en prenant en compte l’ensemble de cette révélation pour éviter toute instrumentalisation.
Le cheminement à suivre L’approche théologique, éthique, spirituelle et missiologique de l’hospitalité est la première spécificité de ce livre. La seconde se situe dans sa finalité : « accueillir l’étranger avec Christ ». Il s’agit pour l’Église de comprendre et de connaître davantage les dimensions de l’amour hospitalier de Christ. C’est en étant fondés dans cet amour que nous pourrons ensemble être « remplis de toute la plénitude de Dieu » (Éphésiens 3 : 19). Pour grandir dans cette connaissance, chacune des quatre disciplines (théologique, éthique, spirituelle et missiologique) fera l’objet d’une partie composée de trois chapitres. La théologie apportera la hauteur de la perspective divine et de son projet de rédemption pour tous les peuples, accompli en Jésus-Christ. L’éthique apportera la largeur, l’étendue de la grâce divine exprimée dans l’accueil offert et reçu en action et en vérité. La spiritualité apportera la profondeur pour fortifier l’être intérieur du chrétien où Christ vient faire sa demeure, et pour affermir les fondations de l’Église vivant de l’hospitalité de Christ. La missiologie apportera la longueur par la portée de l’Évangile de Christ qui franchit les frontières, réforme les sociétés et bénit les cultures, pour s’étendre à tous les peuples en vue d’une espérance commune en Dieu. Cette réflexion est un cheminement aux côtés de Christ, une marche avec Christ. C’est là que l’Église de Christ se tient 23
Accueillir l’étranger avec Christ
pour être elle-même, pour saisir avec justesse sa pensée et agir au nom de Jésus. C’est pourquoi nous sommes appelés à vivre l’hospitalité toujours avec Christ. Lorsque nous recevons l’étranger, veillons donc à accueillir également la présence de Christ ; demeurons « en lui ». De ce fait, les enseignements bibliques doivent être compris et intériorisés dans un esprit de prière tout en étant unis à Christ. Pourquoi veiller à ne pas dissocier réflexion théologique approfondie et prière ? Le théologien protestant Karl Barth écrivait : « Nous prions pour que la couverture qui voile encore la réalité du royaume soit enlevée, pour que la réalité de toutes choses déjà changées en Jésus-Christ se fasse voir. Toute la profondeur 10 de Dieu est là ». De même, le théologien catholique Hans Urs von Balthasar conseille : « S’écouter soi-même ensemble avec le Verbe qui sort du Père est à l’origine de toute “écoute” biblique 11 de Dieu ». Ainsi, l’étude est depuis longtemps un chemin de contemplation pour les chrétiens de toute tradition : « L’interprétation biblique ne peut donc accomplir fidèlement sa tâche que dans la mesure où elle émane d’une vie de prière. Cette vérité allait 12 de soi pour les Pères de l’Église ». Évagre, qui était l’un d’entre eux, a écrit ceci : « Si tu es théologien, tu prieras vraiment ; et si 13 tu pries vraiment, tu es théologien ». Le théologien orthodoxe Hilarion Alfeyev commente : « Pour les Saints Pères, la théologie n’était pas une théorisation abstraite sur “le Dieu inconnu” : elle cherchait une rencontre personnelle avec lui. La vraie théologie n’est pas un discours sur Dieu mais en Dieu, elle ne considère pas Dieu comme un objet étranger, mais elle s’entretient avec Dieu 14 comme avec un être personnel ». Accueillir l’étranger avec Christ : voici une piste ouverte pour chacun dans son cheminement spirituel. Je n’ai moi-même pas couru sur cette voie sans un bouleversement intérieur, sans un 24
Int ro du c t io n
retournement de la pensée et du cœur. Car Christ se révèle au cœur de l’hospitalité, il se fait connaître. Puissions-nous, en répondant avec hospitalité au visage de l’étranger, être saisis par le visage de Christ.
La diversité des penseurs à accueillir Ce livre traite de l’hospitalité chrétienne, c’est-à-dire l’hospitalité pratiquée par ceux qui suivent Christ. Il prend donc en compte l’Église universelle et ses expressions locales au-delà des barrières des dénominations et des traditions. C’est la troisième spécificité de ce livre. Dans cet esprit d’honnêteté et d’hospitalité intellectuelle, la réflexion est alimentée par des citations de théologiens et de penseurs provenant de la diversité des courants présents au sein du christianisme. Les richesses spirituelles des grandes familles chrétiennes nous permettront de saisir davantage « avec tous les saints », « la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur de l’amour de Christ » (Éphésiens 3 : 18). Une hospitalité réfléchie et consciente des défis de notre monde est indispensable aux chrétiens d’aujourd’hui. Ce livre est donc enrichi de propos d’experts et de références d’auteurs publiés en anglais ou en français et issus de diverses nationalités. Comme le souligne l’un de ces chercheurs : Nous faisons bien de nous familiariser nous-mêmes avec les histoires des Écritures, avec nos propres histoires et celles des autres dans la vie contemporaine – des histoires des personnes qui se déplacent. C’est seulement à partir de là que nous pourrons commencer notre cheminement au travers du labyrinthe des complexités qui entourent nos frontières modernes15.
Nous trouverons également, tout au long des chapitres, certains propos de Pères de l’Église d’Orient et d’Occident du ive au viie siècle. Leurs enseignements constituent un héritage commun 25
Accueillir l’étranger avec Christ
à tous les chrétiens. Ces hommes de foi ont vécu pour la plupart la condition d’étranger. Ils ont aussi fortement exhorté les Églises à pratiquer l’hospitalité dans un contexte sociétal marqué par le passage incessant et l’installation d’étrangers et de migrants. L’hospitalité constituait pour eux la réponse chrétienne face aux migrations d’individus et de peuples. Chaque lecteur est convié à entrer dans un dialogue avec les textes bibliques et les auteurs cités. Plusieurs histoires « d’étrangers » accueillis et devenus amis ponctueront la réflexion. En effet, ma femme et moi participons depuis plusieurs années au développement d’une initiative, en partenariat avec des Églises, qui accueille et accompagne des étudiants et chercheurs de toutes nationalités et croyances. C’est ainsi que nous offrons l’hospitalité, avec nos enfants, à des personnes venues de tous les continents. Ce livre est écrit pour encourager et équiper l’Église afin qu’elle prenne sa place avec Christ au sein de l’humanité. Une place essentielle, porteuse de grâce et de vérité, dans le puzzle de l’histoire. L’histoire, c’est aussi par l’Église qu’elle parviendra à son accomplissement. Car nous écrivons tous par nos vies l’histoire d’aujourd’hui et l’espérance de demain.
26
P rem i ère par ti e
Une théologie chrétienne de l’hospitalité
La théologie est la science de Dieu et de ses relations avec la création. La doctrine de la Trinité est la réalité la plus profonde de Dieu. Elle permet de développer toute la richesse de la théologie et de ne pas négliger l’œuvre d’une des personnes de la Trinité. Cette partie pose un fondement trinitaire indispensable pour une juste théologie de l’hospitalité. Père, Fils et Saint-Esprit sont présents tout au long de la révélation biblique et déploient leurs œuvres d’hospitalité. Pour faciliter la compréhension, le déroulement pédagogique de cette partie est chronologique : Ancien Testament, Évangiles, Actes des apôtres et leurs lettres. Il est approprié au thème de l’hospitalité, dont l’ensemble des données bibliques a fait l’objet de peu d’attention, et qui est étroitement lié à l’histoire de la rédemption, à la nature humaine et à la façon dont Dieu agit au travers et en faveur des étrangers. En regardant à la révélation du Dieu trinitaire et à ses œuvres dépeintes dans les Écritures, nous serons en mesure de mieux comprendre la place centrale de l’hospitalité chrétienne dans son plan pour les nations. Quel repère supplémentaire choisir pour une réflexion théologique dans notre contexte multireligieux et multiethnique ? Dans son ouvrage dédié à la question, le théologien Benno van den Toren apporte ce conseil : « Nous proposons la communion comme motif intégrant pour une théologie chrétienne dans notre monde multiculturel […] Le motif de la communion nous semble particulièrement apte à la communication de la richesse et de la particularité de l’Évangile dans notre contexte contemporain multiculturel et multireligieux1 ». Voici un précieux éclairage, d’autant que le moyen d’entrer en communion, qu’elle soit divine ou humaine, est toujours une démarche d’hospitalité. 31
Accueillir l’étranger avec Christ
La communion est impossible sans hospitalité, et l’hospitalité a pour but ultime la communion. Le terme « communion » (en grec koinônia) est employé dans cet ouvrage pour désigner le fait : • d’être animé ensemble de la vie spirituelle offerte par le Dieu trinitaire ; • de vivre des relations mutuelles marquées par la grâce et la vérité, le don réciproque et la liberté dans le service ; • d’avoir part à une même communauté centrée sur le Dieu trinitaire et l’espérance d’une humanité nouvelle rassemblée en Christ. Le défi de la communion nous exhorte à sonder le mystère de la Trinité : La doctrine de la Trinité nous révèle l’origine la plus profonde de cet amour de Dieu qui l’anime dans sa recherche de la communion entre lui et l’humanité, et dans sa recherche d’une vraie communion dans la famille humaine. Cette origine se trouve dans la nature de Dieu qui est communion dès l’éternité, une communion d’amour entre Père, Fils et Saint-Esprit que Dieu désire 2 partager avec ses créatures .
Le dernier repère, mais pas le moindre, est la centralité de la bonne nouvelle de Jésus-Christ dans cette révélation. Le survol biblique de l’histoire de la rédemption peut se définir comme une vue panoramique de l’Évangile de Christ. Dans cette partie théologique, cette vue panoramique s’accompagne également d’un gros plan sur l’Évangile, nécessaire à tout être humain pour accueillir l’œuvre de Christ et prendre part à cette rédemption. Ainsi, la vue panoramique et le gros plan vont de pair et équilibrent notre connaissance de l’Évangile. Pourquoi est-ce si important pour notre réflexion ? Matt Chandler dans son livre L’Évangile, tout l’Évangile, rien que 32
U ne t hé o l o g i e Int c hrét ro du i en c tne io nd e l ’ ho s p it al ité
l’Évangile cite les dangers d’un seul gros plan prolongé3. Cela peut provoquer une compréhension d’un Évangile centré sur soi et nous faire manquer de participer à la grande œuvre du Seigneur au sein des nations. « L’hostilité par principe » envers l’étranger provient de l’absence d’une vue panoramique de ce que Dieu accomplit pour l’humanité. A contrario, un des dangers d’une seule vue panoramique prolongée serait de minimiser l’influence du péché dans nos cœurs et la nécessité d’une formulation explicite de l’Évangile communiquée à tout être humain. Le gros plan sur l’Évangile permet donc de garder Christ au centre de notre vision de l’homme et du monde, mais aussi de notre hospitalité chrétienne. Nous considérerons le sujet de l’accueil de l’étranger avec l’éclairage d’une vision complète de l’Évangile de Christ, et au travers de la contemplation de celui qui révèle à la fois le Dieu véritable et l’homme véritable. Le théologien Graeme Goldsworthy en souligne l’importance pour recevoir de Christ une juste compréhension : « Puisque le Christ est le but vers lequel toute la révélation dirige nos regards, il est lui-même, dans sa personne et dans ses actes, celui qui nous ouvre l’interpréta4 tion de toute l’Écriture ». C’est pourquoi nous marcherons par la foi et l’émerveillement tout au long de notre chemin d’accueil de l’étranger avec Christ. Comme l’atteste le théologien Bernard Sesboüé, « il y a théologie lorsque la réflexion de la raison se fait à la lumière de la foi […] L’intelligence obtenue est “très fructueuse”, car elle est une aide pour vivre de la foi et dans la foi et parce qu’elle conduit l’homme à ce qui est sa fin dernière, 5 la vision de Dieu ».
33
Chapitre un
L’hospitalité dans le plan de Dieu Nous sommes assis dans un 9 m². Ce n’est pas le logement d’un étudiant, mais celui d’une famille entière : les parents et leurs trois enfants. Ma femme et moi sommes en Inde à New Delhi, au milieu de cette agglomération de près de vingt millions d’habitants. Eux, ils sont réfugiés. Ils viennent de l’État Chin en Birmanie. La pièce dans laquelle nous sommes est sobre. Des couvertures et quelques affaires sont empilées et bien rangées. Le réchaud brûle à l’angle. Ce sont là tous les biens qu’ils possèdent. Le tchaï, thé chaud indien, nous est offert avec des petits gâteaux. Un autre couple est là aussi. Ils traduisent pour nous. Nous sommes neuf personnes au total dans cet espace exigu. Attentivement, nous prenons le temps de les écouter : « Aucune école n’a accepté nos enfants, car ils sont étrangers. Ils jouent dehors avec des déchets… C’est aussi très difficile pour nous d’obtenir du travail en tant qu’étrangers », nous confient-ils. Salai, le père de cette famille, est le président d’une Église constituée de réfugiés chin-birmans. Alors que nous sommes de passage, il s’est empressé de nous inviter. Le pasteur assistant, quant à lui, s’est fait matraquer dix jours avant notre venue. Ses agresseurs le lui ont bien fait comprendre : en tant qu’étranger, il n’est pas le bienvenu. Dans cette Église, tous sont démunis, vulnérables et souffrent d’une grande discrimination. Pourtant, à la fin de chaque rencontre de cette Église, une partie des dons est 35
Accueillir l’étranger avec Christ
redistribuée pour servir les plus pauvres et une autre est donnée pour soutenir l’œuvre d’un pasteur indien. Quant à ma femme et moi, étrangers nous aussi sur ce sol, posant pour la première fois le pied en Inde, nous sommes invités chaleureusement à plusieurs reprises par les chrétiens de cette communauté. Le couple pastoral nous hébergera même chez eux pendant une semaine. Nous sommes à l’école de l’hospitalité chrétienne. Cette discipline ne dépend ni d’une situation personnelle stable, ni de ressources confortables, ni d’un environnement favorable. Elle dépend du Dieu que nous adorons, du Christ que nous suivons, du Saint-Esprit qui nous unit.
L’hospitalité divine, source de l’hospitalité humaine Un Dieu trinitaire et hospitalier Voici ce que dit l’Éternel, le créateur du ciel, le seul Dieu, qui a façonné la terre, l’a faite et l’affermit, qui l’a créée pour qu’elle ne soit pas déserte, qui l’a formée pour qu’elle soit habitée : c’est moi qui suis l’Éternel et il n’y en a pas d’autre. Ésaïe 45 : 18
Tu envoies ton souffle, et ils sont créés ; tu renouvelles ainsi la surface de la terre. Psaumes 104 : 30
Le Fils est l’image du Dieu invisible […] Tout a été créé par lui et pour lui. Il existe avant toutes choses et tout subsiste en lui. Colossiens 1 : 15, 16-17
36
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
J’ai été établie depuis l’éternité, dès le début, avant même que la terre existe […] Lorsqu’il a disposé le ciel, j’étais là […] j’étais à l’œuvre à ses côtés. Je faisais tous les jours son plaisir, jouant constamment devant lui, jouant dans le monde, sur sa terre, et trouvant mon plaisir parmi les hommes […] Heureux l’homme qui m’écoute, qui veille chaque jour sur mes portes et qui garde l’entrée de ma maison ! Proverbes 8 : 23, 27, 30-31, 34
Dieu avait pour objectif de créer un espace d’accueil et d’habitation commune pour l’humanité. La Trinité divine est encore aujourd’hui à l’œuvre dans la création, afin de maintenir l’humanité sur cette terre où elle est hôte. Tout existe et subsiste pour Christ et en lui, l’image de Dieu et la Sagesse en personne. Les délices au sein de la communion du Père et du Fils rejaillissent dans la relation du Fils avec les êtres humains. Il trouve son plaisir lorsqu’il est en communion avec eux. L’Esprit saint « créateur », présent au commencement et envoyé par le Père, œuvre toujours en faveur de l’humanité. Il assure par providence la pérennité de son existence dans ce monde créé. Voici l’objectif du plan de Dieu pour l’homme : la joie partagée dans une communion possible avec Christ et l’ensemble de la Trinité divine. La création de l’humanité par le Dieu trinitaire et son existence sur la terre constituent donc un acte constant d’hospitalité. La terre appartient à Dieu, et il y accueille gratuitement, tel un hôte, l’être humain. De plus, Dieu l’invite à un vrai dialogue et lui offre eau, nourriture et repos. L’homme créé demeure au bénéfice de l’hospitalité de Dieu. La réflexion sur l’accueil est bâtie sur cette vérité existentielle : originairement, tout être humain étranger ou non est d’abord accueilli. Chaque personne est avant tout un être 37
Accueillir l’étranger avec Christ
désiré, invité et aimé de Dieu. L’homme et la femme subsistent toujours par son amour. De ce fait, l’Éternel aime l’étranger, car il aime l’homme. Il ne fait aucun favoritisme. Tous les êtres humains sont frères et sœurs en humanité. Ils ont la même origine : venus au monde par l’amour créateur de la Trinité divine. Ainsi, l’histoire biblique et continue de la création proclame l’unité du genre humain. Malgré cela, les êtres humains sont tous uniques et différents, ce qui contribue au développement de l’amour dans leurs relations. D’après l’analyse clairvoyante de l’éthicien Éric Fuchs, 1 l’amour suppose trois conditions : • la reconnaissance que l’autre soit autre (respect de l’altérité) ; • la proximité, c’est-à-dire de se faire proche et d’être approché ; • l’engagement dans une relation qui est créatrice et porteuse de vie (cette relation de qualité assume la fidélité dans le temps). D’une part, la reconnaissance de l’altérité est primordiale pour vivre une relation de qualité fondée sur la vérité et la liberté de chacun. D’autre part, la proximité peut se vivre uniquement par un acte d’hospitalité. Ce rapprochement des cœurs permet la connaissance et l’estime mutuelles. Ces conditions réunies sont parfaitement remplies par la Trinité divine à l’encontre de l’homme. Dieu assume pleinement l’engagement et la fidélité dans cette relation créatrice de vie. Avant même la fondation du monde, la Trinité elle-même démontre déjà en son sein des relations parfaites d’amour. Depuis toujours « l’amour véritable existe parce que, dans la 2 communauté trinitaire, on démontre l’amour parfait ». Dieu le Père, le Fils et l’Esprit saint vivent de toute éternité des relations 38
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
empreintes de reconnaissance, d’accueil et de proximité, de fidélité, d’honneur réciproque. La Trinité démontre également la possibilité d’une unité dans la diversité. Éternellement, Dieu donne et se donne. Dieu est amour (agapè en grec biblique). Comme l’explique Dominique Greiner, « l’amour agapè exprime essentiellement en grec ancien, l’acte d’hospitalité par lequel on accueille l’étranger, l’autre, et par lequel on lui fait place. L’agapè 3 est reconnaissance et accueil d’une différence ». Comme l’a confirmé Ceslas Spicq par ses travaux théologiques, le sens premier de agapè est bien « accueillir à bras 4 ouverts, recevoir chaleureusement un hôte, fêter un hôte ». Cette dynamique d’accueil de la différence et du don de soi à l’autre est au cœur de l’hospitalité biblique. Dieu est amour. Cet attribut de Dieu s’exprime notamment par son hospitalité. Dieu est hospitalier. Cette expression de son amour est éternelle, car le Dieu trinitaire est en lui-même en parfaite communion depuis toute éternité. C’est pour cela que le théologien Jean Zizioulas affirme : « Sans le concept de communion il ne serait pas possible 5 de parler de l’être de Dieu ».
Créé à la ressemblance du Dieu hospitalier Cette communion d’amour entre Père, Fils et Saint-Esprit a ensuite été partagée avec l’homme depuis sa création. La communion que Dieu désire établir entre le Fils et l’homme est bien plus qu’un espace d’hospitalité. En effet, Dieu marque du sceau de sa ressemblance l’être intérieur de l’homme : personnalité tournée vers l’autre et libre d’exercer l’hospitalité, personnalité prenant plaisir dans une communion. Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu. Il créa l’homme et la femme. Genèse 1 : 27
39
Accueillir l’étranger avec Christ
Lorsque Dieu créa l’homme, il le fit à la ressemblance de Dieu. Il créa l’homme et la femme et les bénit. Il les appela êtres humains lorsqu’ils furent créés. Genèse 5 : 1-2
Qu’implique la création de l’homme et de la femme « à l’image de Dieu » et selon sa « ressemblance » ? « L’image de Dieu » présente une palette de sens complémentaires : • image de l’amour de Dieu, qui donne et se donne dans ses relations ; • image d’un Être relationnel, hospitalier et qui aspire à la communion ; • image d’une altérité insaisissable, où la vérité de l’identité de l’autre est irréductible ; • représentant de Dieu mandaté pour prendre soin de la création, y compris l’humanité créée ; • image dans le temple de la création qui invite à l’union avec le Fils et à l’adoration de Dieu. Dans son étude sur la Trinité, David Brown écrit : Le Dieu trinitaire décide alors de créer l’espèce humaine à son image, ce qui implique entre autres une complexité relationnelle qui reflète son caractère singulier/pluriel : « Faisons les humains à notre image, selon notre ressemblance » (Genèse 1 : 26). Parce que Dieu vit en quelque sorte en communauté, il nous a créés pour que nous vivions également en communauté. Hommes, femmes, de cultures et de groupes ethniques différents, avec des personnalités et des caractères variés ; néanmoins tous unis dans notre humanité6.
Nous portons tous en nous l’empreinte de la relation et de la communion entre les personnes du Père, du Fils et de l’Esprit. Dans notre rapport au Dieu trinitaire comme au sein de la communauté humaine, les rôles d’hôtes accueillants et accueillis 40
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
sont réversibles. Chacun est en mesure d’accueillir, d’écouter une parole ou d’exprimer une pensée, de servir et d’honorer l’autre. Notre vocation d’humain est ainsi mise en lumière : vivre des relations humaines marquées par l’agapè et le don. C’est pourquoi nous exprimons notre reconnaissance à Dieu et à nos hôtes étrangers en les accueillant. C’est une grâce qui nous est faite de les recevoir, car ils sont dons et nous permettent de devenir dons. De même, ils nous honorent par leur présence, eux qui sont à la ressemblance de Dieu. Honorer, selon la sagesse de la langue hébraïque, c’est reconnaître la beauté du visage de l’autre. Nous reconnaissons chez nos hôtes la beauté de la réalité de « l’image de Dieu ». De manière complémentaire, Bernard Sesboüé, dans son livre L’Homme, merveille de Dieu, explicite la création comme un don multiple dans le dessein d’une alliance, c’est-à-dire d’une union avec Dieu : Que signifie « image et ressemblance » ? L’expression dit une proximité particulière entre Dieu et l’homme, et elle entre en tension avec la différence absolue entre Créateur et créature. Cette proximité signifie que l’homme est suffisamment un « autre » au regard de Dieu pour devenir son partenaire et entrer en dialogue avec lui. Dieu, qui fait en lui-même l’expérience de l’altérité par la distinction de ses trois personnes, pose une nouvelle relation d’altérité avec un être créé, qu’il invite par là même à partager sa vie dans la connaissance et l’amour […] C’est dire que la création est un don, don du cosmos à l’homme et don de l’homme à lui-même, c’est dire aussi que la création s’inscrit déjà dans le vœu d’une alliance. Elle est déjà une 7 alliance entre l’homme et Dieu .
L’être humain a la capacité de pratiquer l’hospitalité, car il a été créé pour vivre en communion et pour jouir de l’alliance entre Dieu et l’humanité. De ce fait, les doctrines de la Trinité 41
Accueillir l’étranger avec Christ
et de la création placent l’hospitalité et la communion au cœur de l’existence humaine. Elles mettent en lumière le caractère unique et précieux de l’autre et de soi-même, avec la possibilité de relations marquées par l’accueil et l’unité. À l’origine, l’homme est donc hospitalier. Par conséquent, le besoin d’être accepté et accueilli est au cœur de l’existence humaine, tout comme le souci de la reconnaissance de l’altérité et la recherche d’une joie dans le partage réciproque de dons accordés et reçus. Les relations humaines résultent d’une aspiration à la réciprocité et au service mutuel propres à la communion. Le théologien Sié Mathias Kam résume cela avec justesse : « Le lien social ainsi orienté entre l’humain et le divin constitue la dimension principale de l’hospitalité. Traiter de l’hospitalité nous semble donc exiger la non-séparation des réalités humaines d’avec les réalités divines. Il n’est donc pas possible d’avoir […] une hospitalité, réalité humaine sans lien avec Dieu, comme une fraternité humaine sans paternité divine8 ». C’est pourquoi, d’après Jean Zizioulas, « il n’y a pas de modèle pour la bonne relation entre communion et altérité, que ce soit pour l’Église ou pour l’être humain, à part le Dieu trinitaire9 ». La Trinité divine est la référence incontournable pour appréhender et vivre l’hospitalité, l’accueil de l’autre différent de soi. Reconnaissons-nous comme don l’existence de tout être humain ? Nous reconnaissons-nous nous-mêmes comme don pour l’autre ? C’est dans les Écritures saintes que se trouvent le collyre et le remède pour la guérison de notre regard et de notre cœur : regard posé sur le visage de l’être humain, cœur ouvert pour accueillir la présence de Dieu. En effet, qui peut se prévaloir, face à l’éclat de la révélation divine, de ne pas être atteint par l’aveuglement et le voilement de cette image de Dieu en nous ? 42
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
Une hospitalité corrompue Fondamentalement, la connaissance de l’existence humaine passe par la reconnaissance de l’autre comme don venant de Dieu, l’hôte divin. Dans son livre The Gift of the other [Le don de l’autre], Andrew Shepherd propose cette analyse : « Dans une telle lecture, la corruption de la chute est par conséquent comprise fondamentalement comme l’échec de l’humanité à 10 recevoir sa vie comme don ». L’irruption du diable et du péché dans le monde et le cœur de l’homme exerce une double influence. Ils produisent l’hostilité de l’homme vis-à-vis de Dieu et attisent l’hostilité de l’homme envers son frère en humanité. Littéralement, le mot « diable » signifie « qui désunit ». Le Dieu trinitaire unit, Satan divise. Satan et le péché sont vides de tout amour agapè. Ainsi, le péché se caractérise notamment par l’altération de l’accueil bienveillant dans le cœur de l’homme. Il altère, corrompt et voile l’image de Dieu présente dans l’homme, signe de l’hospitalité divine. Le péché est tapi à la porte du cœur de l’homme. Il se doit de ne pas l’accueillir, car il provoque une séparation entre Dieu et l’être humain. Accueillir le péché, c’est refuser la responsabilité de prendre soin de son frère en humanité, le refus d’être « gardien de son frère » (Genèse 4 : 9). Satan insuffle autant le mépris et l’indifférence au sort d’autrui qu’à la présence de Dieu. Accueillir le mal plutôt que l’être humain avec Dieu, c’est mépriser sa vocation à vivre en communion avec lui. C’est également ne pas honorer Dieu, hôte sur sa terre, hôte de mon prochain comme de moi-même. Pourquoi la reconnaissance de l’être humain avec le Dieu trinitaire est-elle fondamentale ? Dans la Genèse, l’homme est tenté de posséder une connaissance totalisante en rejetant la connaissance reçue de Dieu. Ainsi, l’être humain cherche à obtenir la connaissance par son propre regard, sans prendre en compte le regard de Dieu sur 43
Accueillir l’étranger avec Christ
l’autre. L’autre n’est plus reconnu comme un don de Dieu. La joie et la vulnérabilité paisible dans les relations humaines sont alors remplacées par la convoitise, la honte, la jalousie, l’hostilité. En cherchant à connaître l’autre par sa propre perception, l’ouverture bienveillante laisse place à l’opposition, l’harmonie à une vie qui se cache de Dieu et des autres11. Cette distance vis-à-vis du regard du donateur divin et omniscient est dévastatrice, car elle génère une distorsion de la connaissance. Dans les relations humaines, le caractère unique de l’autre se trouve nié, méprisé et détruit. Lorsque nous reconnaissons l’hôte divin et donateur, nous reconnaissons les êtres humains comme dons, et nous-mêmes comme un don pour l’humanité. Cela nous empêche de percevoir l’autre comme un objet, et d’interagir avec lui de façon néfaste. Nous sommes appelés à la vigilance : percevons-nous notre prochain de manière distordue, totalisante et indépendante de Dieu ? Croyons-nous pouvoir connaître l’autre sans dépendre de la révélation de Dieu sur l’existence humaine ? Dans la pensée biblique, l’ingratitude et l’inhospitalité, la jalousie et l’hostilité sont étroitement liées. En faisant place au péché, Caïn désire une identité totalement indépendante de son frère. Il ne perçoit ni le caractère relationnel de son être, ni l’empreinte hospitalière de son identité, ni l’appel d’Abel d’être reconnu comme un don de Dieu. Caïn accueille l’œuvre de celui qui désunit et se fie à sa propre perception. Il tue son frère, don honoré de Dieu, et détruit ainsi l’appel à la communion que Dieu a placé au centre de sa propre existence. Voilà pourquoi Andrew Shepherd conclut : « Notre propension à voir l’autre au travers de nos propres yeux, stimulé par notre désir d’une identité auto-constitué, conduit de manière ultime à notre propre perte d’identité12 ». De ce fait, l’aveuglement et le voilement de la beauté relationnelle de l’image de Dieu en l’autre et en soi sont des marques 44
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
du péché. Le théologien Henri Blocher enseigne cette réalité du péché qui corrompt l’homme : « Il faut dire que l’homme reste image de Dieu, inviolable et responsable, mais qu’il est devenu une image contradictoire, caricature si l’on veut, témoignage 13 contre soi-même ». Nous ne sommes plus capables d’accueillir avec réciprocité et reconnaissance Dieu et notre hôte connu ou étranger. Dans le défi d’une hospitalité responsable envers l’étranger, ces mêmes questions de Dieu résonnent comme à l’origine : « Où es-tu ? Où est ton frère ? ». Où nous situons-nous lorsque nous accueillons nos hôtes étrangers ? Avec Christ et en lui, l’Éternel prend la place de l’hôte. Il nous aide à dominer sur le péché, et à apprendre en action et avec vérité ce qu’est l’amour agapè. Lorsque nous sommes sensibles à son regard sur l’humanité créée, nous découvrons que sa volonté comprend les migrations et la diversité des peuples sur toute la surface de la terre. Cette intention de Dieu est proclamée dans les Écritures : Il créa l’homme et la femme. Dieu les bénit et leur dit : « Reproduisez-vous, devenez nombreux, remplissez la terre… ». Genèse 1 : 27-28
Dieu bénit Noé et ses fils. Il leur dit : « Reproduisez-vous, devenez nombreux et remplissez la terre ». Genèse 9 : 1
Il a fait en sorte que tous les peuples, issus d’un seul homme, habitent sur toute la surface de la terre, et il a déterminé la durée des temps et les limites de leur lieu d’habitation. Actes 16 : 26
45
Accueillir l’étranger avec Christ
À l’échelle de la diversité au sein des peuples, nous sommes avertis sur les dangers de l’ethnisme, de l’ethnicisme et du tribalisme. Le théologien Abel Ndjerareou explicite ainsi l’importance de reconnaître en premier lieu l’image de Dieu inhérente en chacun : « Quand l’identité ethnique et tribale supplante celle qui est inhérente à tout être humain, les conséquences sociales sont graves. Car c’est ce renversement de l’ordre identitaire qui justifie injustement la violence ethnique comme naturelle14 ». Selon lui, « il n’y a rien de plus cruel que d’être ignoré par son vis-à-vis surtout au moment où on a besoin de l’autre […] Les conflits toujours sanglants contre des étrangers et des personnes d’autres tribus doivent interpeller les hommes et les femmes de bonne volonté, surtout les chrétiens, à devenir “les gardiens” de leurs frères et sœurs en danger15 ». De plus, la question « Où es-tu ? » interpelle sur la relation de l’être humain à son environnement d’accueil et aux ressources terrestres mises à sa disposition. Est-elle marquée encore par la reconnaissance à Dieu, l’hôte accueillant, et le partage avec le prochain ? Ou bien les choses créées ont-elles été faites idoles par la convoitise de l’homme ? Comme l’indique le théologien Olivier Clément dans une description du péché : « La déviance, c’est l’établissement d’un lien de possession réciproque entre l’âme et le créé, en dehors de Dieu, dans le rejet de sa présence16 ».
Un exil porteur d’espérance L’humanité déchue est incapable, par elle-même, d’accéder à nouveau à l’hospitalité divine. En effet, l’homme pécheur ne se trouve plus en communion avec Dieu. L’homme a refusé d’honorer son hôte divin, et a préféré la division. Se séparer de Dieu, rejeter l’autre, c’est tuer sa propre âme. En quelque sorte, cela revient à un exil spirituel volontaire. Pour autant, Dieu n’a pas abandonné l’homme. Il désire instaurer une relation de qualité avec l’homme et entre les hommes. D’après Olivier Clément, 46
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
« lorsque l’homme se détourne de [Dieu], Dieu l’écarte de l’arbre de vie pour éviter […] qu’il ne soit plongé dans une plénitude éternelle alors qu’il se trouve dans un état de séparation et de mensonge17 ». De même, Irénée de Lyon, Père de l’Église, a donné cette précision : « Il l’a fait par pitié, pour que l’homme ne demeurât pas éternellement transgresseur, pour que le péché dont il se trouvait grevé ne fût pas immortel, pour que le mal ne devint pas sans fin et sans remède18 ». Selon le Dictionnaire de théologie biblique, « l’exil, sur le plan théologique, c’est éprouver la douleur et la souffrance de savoir qu’il y a un lieu où l’on est chez soi, mais dans lequel il nous est impossible pour le moment d’y retourner […] L’expulsion d’Adam et Ève du jardin d’Éden est l’archétype de tous les exils qui allaient suivre […] Tout au long du récit biblique, le peuple de Dieu va vivre une condition de profond exil […] à la recherche d’un monde qui n’est pas encore advenu19 ». Ainsi, l’humanité déchue est incapable, par elle-même, de restaurer le sens de cette hospitalité parfaite avec la Trinité divine et dans les relations humaines. Mais, dans son grand amour, l’Éternel prend les devants pour offrir et rétablir l’humanité au cœur de son hospitalité divine. L’humanité se laissera-t-elle approcher et soigner par son amour agapè ? Accueillera-t-elle l’alliance avec Dieu dans laquelle elle est appelée à entrer ? La diversité de l’humanité est chérie par Dieu. Sur elle repose l’alliance et la grande promesse du Père associée au Christ : « Toutes les nations de la terre seront bénies en ta descendance » (Genèse 22 : 18). C’est au travers de cette promesse faite à Abraham que les Écritures nous invitent à regarder les migrations et la diversité humaine. Par cette bénédiction, Dieu nous appelle à nous reconnaître étrangers sur la terre, à migrer, à être accueilli ou à accueillir l’étranger sous la protection divine. Ainsi, la création, la corruption et la rédemption se poursuivent 47
Accueillir l’étranger avec Christ
et s’entremêlent dans l’histoire humaine ; par Christ, l’humanité peut entrer en communion avec Dieu. Voilà pourquoi son exil est un exil porteur d’espérance.
Choisis par Dieu et étrangers sur la terre Dieu a choisi de se révéler et d’œuvrer à travers des personnes de foi qui vivent une condition d’étranger ou qui exercent l’hospitalité. Un survol de l’Ancien Testament met en lumière ce choix délibéré : • des patriarches et des pionniers ont vécu une condition d’étranger ou en errance : Abraham et Sara, Isaac et Rebecca, Jacob, Rachel et Léa, Joseph et ses frères (puis le peuple d’Israël étranger en Égypte pendant 400 ans), Moïse, Aaron et Myriam, Josué (avec tout le peuple en migration pendant quarante ans) ; • des femmes étrangères ont été honorées pour leur noblesse et leur foi (Séphora, Rahab, Ruth, la reine de Saba) ; • des hommes étrangers ont servi de modèles pour leur sagesse et leur foi (Job, Melchisédek, Jéthro) ; • des exilés haut placés ont conduit à un renouveau spirituel (David lorsqu’il fuyait l’oppression, Daniel, Hanania, Michaël et Azaria, Néhémie et Esdras, Esther et Mardochée) ; • des étrangers haut placés ont été mis en avant pour leur conversion (Nabuchodonosor, Naaman) ; • des prophètes ont connu la condition d’étranger ou d’exilé (Élie, Jonas, Ézéchiel, Jérémie à la fin de sa vie) ; • d’autres encore ont fait preuve d’hospitalité (Booz, Élisée, Ésaïe par ses prophéties). Intéressons-nous de plus près à ces personnalités bibliques pour mieux comprendre comment Dieu a déployé son plan 48
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
de rédemption. Nous saisirons alors pourquoi toute la pensée biblique est marquée par la condition d’étranger et l’espérance messianique en faveur des nations.
Abraham : la foi agissante d’un migrant L’appel de Dieu à Abraham était un appel à devenir un étranger : L’Éternel dit à Abram : « Quitte ton pays, ta patrie et ta famille et va dans le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai ton nom grand et tu seras une source de bénédiction […] Toutes les familles de la terre seront bénies en toi ». Genèse 12 : 1-3
Originaire d’Ur en Chaldée (Tell al-Muqayyar en Irak actuel), Abraham est devenu migrant. Après un long voyage avec sa femme Sara, il est arrivé au pays de Canaan. Une famine est survenue, et ils ont dû migrer en Égypte en tant que réfugiés. De retour à Canaan, Abraham et Sara ont rencontré Mamré l’Amoréen qui les a accueillis sur ses terres, près de Hébron en Cisjordanie actuelle. C’est à cette période que trois étrangers se sont approchés de la tente d’Abraham : Il leva les yeux, et regarda : et voici, trois hommes étaient debout près de lui. Quand il les vit, il courut au-devant d’eux, depuis l’entrée de sa tente, et se prosterna à terre. Et il dit : Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe point, je te prie, loin de ton serviteur. Permettez qu’on apporte un peu d’eau, pour vous laver les pieds ; et reposez-vous sous cet arbre. J’irai prendre un morceau de pain, pour fortifier votre cœur ; après quoi, vous continuerez votre route ; car c’est pour cela que vous passez près de votre serviteur. Genèse 18 : 2-5a – NEG
49
Accueillir l’étranger avec Christ
Voici comment Abraham pratiquait l’hospitalité envers l’étranger. Courant au-devant d’eux, il s’empresse de les accueillir. Il voit au-delà de sa propre personne : il a les yeux ouverts sur les étrangers en chemin et recherche activement l’hospitalité. Abraham ignore l’identité de ses hôtes lorsqu’il les accueille20. Selon Jean Chrysostome, « le propre de l’hospitalité, ce n’est pas de poser de telles questions, mais de faire part de sa bonté à tous les hôtes21 ». En effet, dans cette hospitalité orientale, le devoir et l’attitude envers l’hôte était d’abord « de le restaurer par la nourriture et le repos, après quoi on s’enquérait auprès de lui de ses origines, on lui demandait ses intentions22 ». Abraham n’a donc pas de pré-requis dans l’accueil bienveillant envers l’étranger. À ses yeux, il se doit de leur fournir trois services concrets : l’eau pour se laver les pieds, le repos, la nourriture pour fortifier leur cœur23. Mais qui sont-ils ? « Abraham voit dans ces visiteurs de simples hommes et accomplit ce que les règles de l’hospitalité des nomades lui commandaient. La suite du récit nous révèle que deux d’entre eux étaient en fait des anges ; quant au troisième, le texte suggère que c’était l’Éternel lui-même24. » Le texte le déclare bel et bien : « L’Éternel apparut à Abraham […] Abraham continuait à se tenir en présence de l’Éternel » (Genèse 18 : 1, 22 – BDS). L’Éternel apparaît à Abraham alors qu’il est lui-même en condition d’étranger et qu’il exerce l’accueil de l’étranger. Selon Ambroise de Milan, « Dieu lui apparut donc au chêne de Mambré, tant il désirait le fruit de l’hospitalité25 ». Les chrétiens des premiers siècles ont abondamment prêché l’hospitalité en se fondant sur ce passage des Écritures. Césaire d’Arles, par exemple, voit le lien direct à l’enseignement de Christ : Écoutez bien ces propos, frères, vous qui ne voulez pas vous montrer hospitaliers, vous qui recevez votre hôte comme un ennemi. En fait, eu égard à son hospitalité, 50
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
le bienheureux Abraham méritait de recevoir Dieu en personne tandis qu’il mettait tant de ferveur à accueillir ces trois hommes. Ce que confirme le Christ aussi quand il dit dans l’Évangile : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Matthieu 25 : 35). Ne négligez donc pas les voyageurs, de peur que ce ne soit Dieu en personne que 26 vous refusiez d’accueillir .
Dieu s’identifie personnellement à l’étranger. Il a choisi de se révéler au patriarche Abraham, un étranger résident temporaire, au travers d’un autre étranger en quête d’hospitalité. Avons-nous déjà médité sur les implications de ce choix délibéré ? Voici un extrait d’un commentaire de Jean Chrysostome : Il était assis en plein midi sur une terre étrangère ; il n’avait pas où poser le pied – il était étranger, et lui, l’étranger, il donnait l’hospitalité à des étrangers […] Celui qui donne l’hospitalité doit avoir toutes ces qualités : l’empressement, la gaieté rayonnante, la libéralité […] Et nous, ne sommes-nous pas en terre étrangère ? Si nous le voulons, nous pourrons imiter Abraham […] Il y a une maison commune : l’église, ou ce que nous appelons l’hôtellerie : mêlez-vous-en, vous aussi, asseyez-vous devant la porte, 27 recevez ceux qui arrivent !
D’où venait la « gaieté rayonnante » d’Abraham, cette joie qui animait son cœur hospitalier ? Ne prenait-elle pas sa source dans l’espérance de Christ ? Ainsi que le révéla Jésus lui-même : « Votre ancêtre Abraham a été rempli de joie à la pensée de voir mon jour ; il l’a vu et il s’est réjoui » (Jean 8 : 56).
Sara : la vulnérabilité d’une femme étrangère Sara, la femme d’Abraham, était en danger durant leurs migrations. C’est une lecture oubliée de son histoire. Étrangère, elle est remarquée par des hommes mal intentionnés. Elle a été 28 enlevée à deux reprises par des chefs qui la convoitaient , une 51
Accueillir l’étranger avec Christ
première fois en Égypte et une autre fois dans le pays de Guérar, au sud-ouest d’Israël. Avons-nous conscience des angoisses que cette femme a connues ? Regardée comme un objet de désir, elle se retrouve entre les mains d’hommes de pouvoir. Séparée des siens, sans protection. Les ressentis de la personne victime ne lui sont pas étrangers : sentiments mêlés de peur, de honte, de culpabilité. Comment s’est terminée la vie de Sara ici-bas ? Elle est morte sur une terre où elle n’avait aucun droit, ni aucune reconnaissance. Elle avait toujours le statut d’étranger. Endeuillé, Abraham a souffert d’une double peine. La dignité de Sara sera-t-elle encore bafouée, même dans sa mort ? Il ne pouvait préparer les funérailles de sa femme sans en supplier 29 les autochtones . La Bible nous rapporte les mots d’Abraham : « Je ne suis qu’un étranger chez vous ; accordez-moi parmi vous une propriété funéraire pour que je puisse enterrer ma femme qui est morte » (Genèse 23 : 4 – BDS). Le propriétaire du tombeau ne fera preuve d’aucune compassion, lui faisant comprendre qu’il devra payer le « prix fort : 400 pièces d’argent 30 équivalaient à cinq kilos ». Sommes-nous conscients du poids de la souffrance liée à leur condition d’étranger ? Connaissons-nous et enseignons-nous les réalités de vie de nos modèles bibliques ? Elles sont indissociables de leurs parcours de foi et du choix de Dieu. Faisons-nous le lien avec les situations actuelles lorsque nous lisons la Bible ? La vie de Sara fait écho à la vulnérabilité des femmes étrangères de notre époque, et nous sommes appelés à agir face à de telles situations. Aujourd’hui, les femmes migrantes sont les premières victimes. La géographe Camille Schmoll est allée à la rencontre de femmes somaliennes et érythréennes. Elle raconte : « Ces femmes connaissent également, dans les pays de transit, les emprisonnements multiples, les prises d’otages, les violences sexuelles de la part de la police et des gardes-frontières. Nombre d’entre elles 52
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
poursuivront leurs routes enceintes, en gardant ainsi une trace indélébile31 ». L’association spécialisée La Cimade considère que les femmes migrantes sont doublement vulnérables. Quant aux victimes de la traite ou du proxénétisme, 82 % sont des femmes étrangères32. Malgré la condition de Sara, Dieu s’est révélé avec puissance à travers elle et a accompli sa volonté souveraine. Il continuera son œuvre rédemptrice à travers la descendance d’Abraham, et notamment dans la vie d’un autre exilé : Joseph.
Joseph : le secours d’un homme exilé et rejeté L’Éternel avait averti Abraham de la longue condition d’étrangers, et même d’esclaves, de ses descendants : « L’Éternel dit à Abram : Sache que tes descendants seront étrangers dans un pays qui ne sera pas à eux. On les réduira en esclavage et on les opprimera pendant 400 ans » (Genèse 15 : 13). La réalisation de cette prophétie commencera par la vie de Joseph, son arrière-petit-fils. À l’âge de dix-sept ans, Joseph vit le rejet et la violence de ses frères, puis l’exil entre les mains de trafiquants. Le racisme dans son pays d’arrivée sera une épreuve supplémentaire : « Les Égyptiens ne pouvaient pas manger avec les Hébreux : c’est une pratique abominable à leurs yeux » (Genèse 43 : 32). Mais au cœur de ce douloureux voyage et des difficultés liées à son intégration, quelqu’un d’autre a migré avec lui. Alors qu’il se trouvait dans une situation de rétention injuste, « l’Éternel fut avec Joseph et étendit sa bonté sur lui » (Genèse 39 : 21). L’Éternel a vécu avec Joseph sa condition d’étranger et a souffert avec lui. La suite de l’histoire nous enseigne que le pharaon de l’époque a reconnu avec humilité, au-delà des préjugés sur les étrangers hébreux, que Joseph portait l’Esprit de Dieu : « Le pharaon dit à ses serviteurs : “Pourrions-nous trouver un homme tel que 53
Accueillir l’étranger avec Christ
celui-ci, qui a en lui l’Esprit de Dieu ?”. Et le pharaon dit à Joseph : “Puisque Dieu t’a fait connaître tout cela, il n’y a personne qui soit aussi intelligent et aussi sage que toi” » (Genèse 41 : 38-39). Le pharaon, au milieu de la xénophobie ambiante, a dû reconnaître en cet étranger quelqu’un d’unique. Ce chef d’État, le plus puissant de l’époque, a reconnu que Dieu parlait par la bouche d’un modeste étranger. L’hospitalité de ce pharaon envers Joseph sera salutaire. Le pays d’accueil sera sauvé de sept années de famine grâce au discernement et à l’intelligence de cet étranger hébreu. Le pays vers lequel les frères de Joseph l’ont exilé deviendra leur propre pays d’accueil : suite à cette grande famine, ils y viendront eux-mêmes comme réfugiés. La souveraineté de Dieu au travers des migrations est mise en lumière dans l’histoire de Joseph. Lui-même transmettra cette lecture de sa propre histoire à ses frères : « C’est pour vous sauver la vie que Dieu m’a envoyé ici avant vous […] Dieu m’a envoyé ici avant vous pour vous permettre de subsister dans le pays et pour vous faire vivre en vous accordant une grande délivrance » (Genèse 45 : 5, 7). Il pardonnera la cruauté de ses frères et les accueillera avec bienveillance : « N’ayez pas peur ! Suis-je en effet à la place de Dieu ? Vous aviez projeté de me faire du mal, Dieu l’a changé en bien pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux » (Genèse 50 : 19-20). Par la foi, Joseph discerne que Dieu a agi à travers son exil pour sauver les hommes. Le récit de la vie de Joseph invite également à rejeter les préjugés, à reconnaître que l’étranger est à l’image de Dieu et qu’il peut avoir en lui l’Esprit de Dieu. Plus qu’une invitation, cette vérité se retrouve dans les commandements de Dieu relatifs à l’accueil de l’étranger, que Moïse transmettra au peuple d’Israël.
54
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
Moïse : le guide d’un peuple apatride L’identité renouvelée d’un peuple en exil
Quatre siècles après Joseph, la vie de Moïse devient à son tour une vie de migrations. À quarante ans, ayant fui seul l’Égypte, il arrive dans le territoire d’une tribu madianite. Le prêtre Jethro, d’un autre arrière-plan religieux, s’empresse de lui offrir l’hospitalité. Il encourage ses filles : « Où est-il ? Pourquoi avez-vous laissé cet homme ? Allez l’appeler pour qu’il vienne prendre un repas » (Exode 2 : 20). Ce repas partagé sera le début d’une belle histoire familiale. Moïse demeura parmi eux et épousa Séphora. « Elle mit au monde un fils, qu’il appela Guershom “car, dit-il, je suis en exil dans un pays étranger” » (v. 22). Le nom de son fils 33 en dit long sur ses luttes intérieures liées à son déracinement . C’est dans ce contexte que l’Éternel l’appelle : « Les cris des Israélites sont venus jusqu’à moi, j’ai aussi vu l’oppression que leur font subir les Égyptiens. Maintenant, vas-y, je t’enverrai vers le pharaon et tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les Israélites » (Exode 3 : 9-10). L’appel de Dieu est un appel à faire migrer un peuple entier. À l’époque de la traversée de la Mer Rouge, il quitte l’Égypte avec une population comptant un à deux millions de personnes. Sous l’oppression cruelle des Égyptiens, les Hébreux fuient pour préserver leur vie. Une foule de migrants « de toutes sortes » (Exode 12 : 38) se joignent à eux pour différentes raisons. Errants dans le désert du Sinaï, ils se dirigent tous vers une terre de refuge. Un peuple entier en migration, apatride : c’est dans ce contexte que l’Éternel décide de conclure une alliance avec ce peuple et de l’instruire sur son identité. Ce « peuple de l’alliance » reçoit une identité à la fois enracinée dans l’hospitalité de Dieu et dans la responsabilité vis-à-vis des autres peuples. L’Éternel leur enseigne une vision de leur propre histoire empreinte de son hospitalité divine et de sa souveraineté sur les migrations 55
Accueillir l’étranger avec Christ
des hommes. Une autre vision du monde, la rédemption en vue, le rassemblement d’une humanité nouvelle dans la présence de Dieu. « L’Éternel allait devant eux, le jour dans une colonne de nuée pour les guider sur leur chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils puissent marcher jour et nuit » (Exode 13 : 21). Non seulement Dieu guide leur migration, mais il migre aussi avec eux34. Dans cette préparation de l’alliance, la perspective d’une communion divine et humaine autour d’un repas partagé est déjà présente (Exode 18 : 11-12). Un second événement de communion, où adoration et repas fraternel vont de pair, est relaté dans le contexte du Sinaï : « Moïse monta avec Aaron, Nadab et Abihu ainsi que soixante-dix anciens d’Israël. Ils virent le Dieu d’Israël. Sous ses pieds, c’était comme une œuvre en saphir transparent, comme le ciel lui-même dans sa pureté. Il ne porta pas la main contre les personnalités israélites. Ils virent Dieu, puis ils mangèrent et burent » (Exode 24 : 9-11). La sainteté, fondement de l’amour pour l’étranger
L’alliance avec l’Éternel est établie afin que ce peuple soit une nation sainte (Exode 19 : 6). Le code de cette alliance dans le livre d’Exode interdisait, entre autres, la maltraitance et l’oppression du migrant (Exode 22 : 20 ; 23 : 9). Celui qui portait atteinte à l’étranger était même maudit (Deutéronome 27 : 19). De plus, dans le Lévitique, le code de sainteté reprend l’exigence spirituelle et morale : « Vous serez saints, car je suis saint, moi, l’Éternel, votre Dieu » (Lévitique 19 : 2). La participation à la sainteté de Dieu se manifeste dans les aspects pratiques de la vie sociale et quotidienne35. C’est dans cette loi de sainteté que nous trouvons pour la première fois le célèbre commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19 : 18). Dans le même passage, Dieu le reformule de cette manière : « Vous 56
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
traiterez l’étranger en séjour parmi vous comme un Israélite, comme l’un de vous ; vous l’aimerez comme vous-mêmes, car vous avez été étrangers en Égypte » (Lévitique 19 : 34). L’amour pour le prochain et l’amour pour l’étranger sont mis sur un pied d’égalité. Ils sont tout aussi importants l’un que l’autre aux yeux de Dieu. Tous deux sont vus comme une implication essentielle de sa communion. Ce sont les signes d’une véritable connaissance et d’un amour révérencieux pour Dieu. À l’approche de la Terre promise, Dieu rappelle à la deuxième génération d’Israélites la nécessité de circoncire leur cœur, l’amour de Dieu lui-même pour l’étranger, le commandement d’aimer l’étranger et de rendre un culte à l’Éternel seul (Deutéronome 10 : 16-20). Cela montre que l’hospitalité provient d’un cœur rendu capable d’aimer, un cœur saint en communion avec l’Éternel. L’accueil de l’étranger permettait aussi aux Israélites de se remémorer leur ancienne condition d’immigré36. La forte demande éthique dans leur loi (celle d’exercer la compassion et la justice envers les étrangers et les migrants) se base sur des fondations théologiques et historiques solides. Aujourd’hui, la pratique de l’hospitalité est également un moyen de se souvenir de l’action de Dieu dans l’histoire biblique. C’est en considérant l’étranger que nous nous rappellerons l’hospitalité rédemptrice de Dieu.
Les modèles d’hospitalité par excellence Le refuge de Ruth et l’accueil de Booz Après la migration forcée de Naomi hors de la Terre promise, c’est à sa belle-fille Ruth de faire le choix de migrer. Ruth, une étrangère inconnue et sans droit, issue d’un peuple ennemi, est honorée telle une femme de valeur. Le texte biblique souligne la qualité hors du commun de sa fidélité, de son amour patient 57
Accueillir l’étranger avec Christ
et désintéressé. En parallèle, Booz incarne l’interprétation et la mise en application parfaite de la loi relative à l’étranger (code de l’alliance et loi de sainteté). Il connaît le Dieu hospitalier et comprend que l’Éternel offre son hospitalité et son secours à cette femme étrangère (Ruth 2 : 9-12). C’est pourquoi Booz devient un modèle d’hospitalité en entrant dans cette action hospitalière de Dieu. D’après le commentaire biblique de Daniel Arnold, Ruth à la croisée des chemins, « Ruth a tout quitté pour le Dieu d’Abraham. “Un tel geste la rend digne d’Abraham et des croyants d’Israël” et la situe directement dans la lignée spirituelle du grand patriarche. “Le Dieu d’Israël, sous les ailes duquel tu es venue te réfugier !” (Ruth 2 : 12b). Cet idiome évoque un petit oiseau se blottissant sous les ailes de sa mère (Deutéronome 32 : 11), une image poignante pour représenter l’accueil réservé par le Dieu rédempteur. Le verset résume admirablement un enseignement37 clé de ce livre sur la personne de l’Éternel ». Ainsi, Booz montre une grande sensibilité spirituelle face à l’épreuve de la migration, en assurant protection et nourriture dans ses champs. Par ailleurs, Booz discerne la grande noblesse morale chez Ruth. Dans son livre Bible et migrations, Pierre Trudeau note avec finesse : « La relation entre Booz et Ruth s’engagea sous le signe du dialogue et non pas de la séduction ; il y avait derrière cela une grande pureté et un grand respect de 38 l’un et de l’autre ». Leur rencontre puis leur mariage se fondent sur l’amour agapè de Dieu. Cette union porte une dimension prophétique, puisqu’il élève, bien au-dessus d’une pureté ethnique, la pureté de la foi vivante vécue dans l’hospitalité de Dieu, le divin refuge. Dans la communauté, Ruth devient la femme de valeur par excellence. La louange la plus haute lui sera donnée, lorsque les femmes du peuple attesteront devant Naomi : « Elle qui vaut mieux pour toi que sept fils » (Ruth 4 : 15b). 58
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
Dieu choisit à nouveau des personnes de foi étrangères ou hospitalières pour mener à bien son plan de rédemption. Booz, quant à lui, préfigure Christ en pratiquant la justice selon Dieu et en accordant une forme de grâce et de rédemption à Ruth. Cette dernière devient, d’après la généalogie de l’Évangile selon Matthieu, l’ascendante du Messie et une bénédiction pour les nations. Arrière-petit fils de Booz et de Ruth, le roi David sera lui aussi animé d’une foi profonde, liée à la reconnaissance de sa propre condition d’étranger sur la terre. D’autant plus qu’il erra de nombreuses années pour chercher refuge. En prière, il a déclaré : « Nous sommes devant toi des étrangers et des immigrés, comme tous nos ancêtres » (1 Chroniques 29 : 15).
La dépendance d’Élie à l’hospitalité divine L’histoire du prophète Élie révèle également l’étendue de l’hospitalité divine. Élie reçoit à plusieurs reprises l’appel à migrer pour dépendre de l’hospitalité. D’un point de vue théologique, c’est Dieu le Fils « parole de l’Éternel » qui le convie à suivre ce chemin. Dans ces situations, le prophète est instruit sur l’hospitalité divine qui se manifeste à travers la création et l’accueil d’une veuve étrangère : Puis la parole de l’Éternel fut adressée à Élie : « Pars d’ici en direction de l’est et cache-toi près du torrent de Kerith, qui se trouve en face du Jourdain. Tu boiras de l’eau du torrent et c’est aux corbeaux que j’ai ordonné de te nourrir là » […] Alors la parole de l’Éternel lui fut adressée : « Lève-toi, va à Sarepta, qui appartient au territoire de Sidon, et installe-toi là. J’y ai ordonné à une femme veuve de te nourrir » […] Voici ce que dit l’Éternel, le Dieu d’Israël : « La farine qui est dans le pot ne manquera pas et l’huile qui est dans la cruche ne diminuera pas, jusqu’au jour où l’Éternel fera tomber de la pluie sur le pays ». 1 Rois 17 : 2-4, 8-9, 14
59
Accueillir l’étranger avec Christ
Ce temps d’hospitalité humaine vécu entre la veuve et Élie, deux personnes étrangères l’une vis-à-vis de l’autre, est doublement « prophétique ». En effet, l’Esprit du Seigneur a inspiré chez l’une comme chez l’autre l’obéissance d’une l’hospitalité vécue avec foi. De plus, le Père, Dieu d’Israël, révèle à chaque hôte, par le miracle d’une provision abondante, l’espérance de l’hospitalité divine. C’est ce qu’enseignait Saint Augustin dans ses sermons : C’est donc sous l’inspiration du Seigneur que cette femme veuve avait un cœur prêt à obéir […] Celui qui était en Élie pour qu’il adresse sa requête, celui-là même était en la veuve pour qu’elle obéisse […] Ce signe que Dieu lui avait offert pour un temps limité était le signe de la vie future, où notre récompense ne peut faire défaut. Notre farine sera Dieu. De même que ces biens n’ont pas fait défaut en ces jours-là, de même lui ne fera pas défaut pour l’éternité39.
Par la suite, face à la persécution religieuse, le prophète Élie migre encore pour sauver sa vie. C’est alors qu’il bénéficie, au cœur de sa douleur et de son désespoir, de la manifestation concrète de l’hospitalité divine à travers « l’ange de l’Éternel » : Il se coucha et s’endormit sous un genêt. Et voici qu’un ange le toucha et lui dit : « Lève-toi et mange ». Élie regarda et vit à son chevet un gâteau cuit sur des pierres chauffées ainsi qu’une cruche d’eau. Il mangea et but, puis se recoucha. L’ange de l’Éternel vint une deuxième fois, le toucha et dit : « Lève-toi et mange, car le chemin est trop long pour toi ». 1 Rois 19 : 5-7
Le récit du prophète dresse donc avec concision les multiples actions d’hospitalité du Dieu trinitaire. Il invite également à entrer en communion avec Dieu, à reconnaître la voix divine dans son « murmure doux et léger ». Selon l’étude approfondie 60
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
de Christophe Pichon, la figure de l’étranger dans le cycle d’Élie « est indexée à l’identité même de Yahvé et de son peuple […] Le cycle d’Élie a pu être entendu par des auditeurs du temps de l’exil comme un message d’espérance. Avec force, ressort de ces textes la conviction que Yahvé ne laisse pas mourir ses fils en terre étrangère (1 Rois 19 : 3-8). Bien plus, le passage par l’étranger permet à Israël de recouvrer son identité de peuple de Yahvé, de faire alliance avec son Dieu : l’expérience de Moïse et d’Élie en témoigne40 ».
Le geste prophétique d’Élisée et l’accueil des ennemis Élisée, disciple et successeur du prophète Élie, a expérimenté l’hospitalité dans un contexte bien différent. Alors que le roi de Syrie est en guerre avec Israël, Élisée, conscient de son ministère prophétique, se confie avant tout en Dieu dans la prière (2 Rois 6 : 8-23). Sa foi en Dieu lui fait refuser la peur : éclairé par la connaissance divine, il comprend que Dieu est souverain sur la situation. À l’inverse, le serviteur du prophète est aveuglé : il considère les circonstances à travers sa propre perception craintive. Saisi par la peur, il est incapable de discerner l’issue divine. L’Esprit qui « parle par les prophètes » pousse alors Élisée à accomplir un geste prophétique, un geste d’hospitalité. Élisée prie Dieu le Père que la violence des ennemis soit canalisée par un autre aveuglement. L’aveuglement des soldats en terre inconnue est une confusion, une perte de repères qui rend leur cœur hostile malléable à l’action rédemptrice de Dieu. Élisée ne se trompe pas de combat, il n’entre pas dans un rapport de haine et de vengeance. Ses armes sont la prière puis l’action prophétique de l’hospitalité. Il déclare au roi : « Donne-leur du pain et de l’eau, afin qu’ils mangent et boivent » (v. 22). Ses paroles font écho à un texte des Proverbes : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire, car ce 61
Accueillir l’étranger avec Christ
sont des charbons ardents que tu amasses sur sa tête et l’Éternel te récompensera » (Proverbes 25 : 21-22). L’accomplissement de la loi s’effectue dans l’amour du prochain, même s’il est un ennemi. L’action symbolique d’Élisée devient alors une parabole vivante, une « image » de l’hospitalité divine sur la scène de l’humanité. D’après l’analyse d’Henri Mottu dans son ouvrage Le Geste prophétique, il existe selon la perspective chrétienne quatre critères du geste prophétique41 : • l’autorisation divine : « Le “signe” doit correspondre à la cohérence de l’être, de la vie et de l’œuvre de Jésus de Nazareth. Ce qui est fait ne peut être que ce qui est dit et demandé par Dieu dans sa Parole vivante inscrite dans les Écritures, elles-mêmes interprétées dans l’Esprit saint » ; • l’accomplissement total du geste ; • les gestes symboliques sont menés publiquement devant témoins : « Les signes ne sont là qu’en vue de l’activation du peuple de Dieu et de sa prise de responsabilité ». • les gestes sont accomplis pour le monde : « Les gestes sont faits en fonction d’une situation humaine donnée, fort d’un discernement théologique et éthique ». Le don de l’hospitalité à l’étranger inconnu, et à ceux qui sont hostiles, est un symbolisme authentique qui puise ses ressources dans la loi de Dieu et dans la personnalité de Christ. Nous verrons par la suite que Jésus-Christ choisira un geste prophétique d’hospitalité similaire pour se faire reconnaître ; il l’instituera même comme ordonnance en signe du don sacrificiel de sa vie pour tous les hommes. Ainsi, cette séquence de la vie d’Élisée comporte une dimension typologique et prophétique indiquant l’espérance et l’alliance messianique à venir. « Suivez-moi et je vous conduirai vers l’homme que vous cherchez » (2 Rois 6 : 19). Cette parole d’Élisée adressée aux 62
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
soldats ennemis souligne le sens de ce geste prophétique. Vers qui Élisée les conduit-il sinon vers celui qui sera prêt à exercer une hospitalité sacrificielle envers ses ennemis ? Christ, l’homme par excellence, est l’« image de Dieu » recherché inconsciemment par tous les hommes. Par l’action prophétique, Élisée donne vie à l’annonce de l’espérance messianique. Selon Henri Mottu, « un geste prophétique est un acte symbolique qui exprime, dans la fidélité au témoignage biblique et au sein d’une situation humaine déterminée, l’humanité de Dieu dans le Christ Jésus, 42 et atteste l’espérance messianique du royaume ». Dans une autre situation, le prophète Élisée ne refuse pas non plus à Naaman, chef de l’armée du roi de Syrie, la bénédiction et le conseil pour sa guérison. C’est à travers cette hospitalité prophétique que Naaman connaîtra l’Éternel. Ce choix souverain de Dieu en faveur de personnes étrangères est un signe d’ouverture du salut aux nations. C’est aussi un jugement sur le peuple d’Israël qui peine à reconnaître son identité propre dans le plan rédempteur et hospitalier de Dieu. Jésus affirmera luimême en ces termes : Je vous le déclare en toute vérité : il y avait de nombreuses veuves en Israël à l’époque d’Élie, lorsque le ciel a été fermé trois ans et six mois et qu’il y a eu une grande famine dans tout le pays. Cependant, Élie n’a été envoyé vers aucune d’elles, mais seulement vers une veuve de Sarepta, dans le pays de Sidon. Il y avait aussi de nombreux lépreux en Israël à l’époque du prophète Élisée, et cependant aucun d’eux n’a été purifié, mais seulement Naaman le Syrien. Luc 4 : 25-27
63
Accueillir l’étranger avec Christ
L’espérance de l’hospitalité divine Fondamentalement, la théologie et la spiritualité biblique sont marquées par le vécu de l’étranger, par son cheminement douloureux sur la terre et par la pensée de l’exil. Elles sont animées par la justice et la grâce souveraine de Dieu envers tous les peuples. En effet, l’Esprit messianique qui inspire les paroles prophétiques met en lumière une riche espérance : • des cœurs changés par l’Esprit de Dieu, rendus capables d’aimer Dieu et le prochain ; • des nations réunies sous l’autorité de Christ, • des étrangers accueillis par la foi dans la présence hospitalière de Dieu, • la fin de l’exil dans une double perspective (historique et spirituelle) • une prise de position forte contre l’injustice sociale, et entre autres, contre l’oppression et le mépris de l’étranger au sein du peuple. Pour continuer à dessiner les contours d’une théologie de l’hospitalité envers l’étranger, nous suivrons donc ce conseil de l’apôtre Pierre : Il a reçu de Dieu le Père honneur et gloire quand la gloire magnifique lui a fait entendre une voix qui disait : « Celuici est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation ». Cette voix, nous l’avons nous-mêmes entendue venir du ciel lorsque nous étions avec lui sur la sainte montagne, et nous considérons comme d’autant plus certaine la parole des prophètes. Vous faites bien de lui prêter attention comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’étoile du matin se lève dans votre cœur. 2 Pierre 1 : 17-19
64
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
Un festin préparé pour les peuples L’Esprit de Dieu promet à tout étranger invoquant Dieu le Père qu’il bénéficiera de l’hospitalité de Dieu. Voilà l’espérance biblique. Quant aux étrangers qui s’attacheront à l’Éternel pour lui rendre un culte, pour aimer son nom, pour être ses serviteurs, tous ceux qui respecteront le sabbat au lieu de le violer et qui resteront attachés à mon alliance, je les amènerai sur ma montagne sainte et je les réjouirai dans ma maison de prière. Leurs holocaustes et leurs sacrifices seront acceptés sur mon autel, car mon temple sera appelé une maison de prière pour tous les peuples. Déclaration du Seigneur, de l’Éternel, de celui qui rassemble les exilés d’Israël : j’en rassemblerai d’autres en les ajoutant à lui, aux siens déjà rassemblés. Ésaïe 56 : 6-8
Ce texte montre que l’Esprit saint aspire à la communion des nations avec la Trinité divine. L’espérance des nations et la victoire sur la mort s’expriment alors par une scène d’hospitalité multiethnique : Sur cette montagne, l’Éternel, le maître de l’univers, prépare pour tous les peuples un festin de plats succulents, un festin de bons vins, de plats succulents, pleins de moelle, de bons vins clarifiés. Sur cette montagne, il détruira le voile qui est tendu sur tous les peuples, la couverture qui est déployée sur toutes les nations. Il engloutira la mort pour toujours. Le Seigneur, l’Éternel, essuiera les larmes de tous les visages, il fera disparaître de la terre la honte de son peuple. Oui, l’Éternel l’a décrété. Ésaïe 25 : 6-8
65
Accueillir l’étranger avec Christ
L’humanité rassemblée dans la communion de Dieu se réjouit de l’alliance célébrée par un grand festin. Au sein de cette hospitalité éternelle, la mort est engloutie ; la malédiction de la mort, conséquence du péché, n’a pas de place dans l’accomplissement de cette nouvelle union. De plus, dans la prophétie, nous découvrons que « l’alliance est quelqu’un. Le serviteur est appelé, destiné à être l’alliance […] Sa présence est révélation de l’alliance de Dieu avec l’humanité43 ».
Le don de Christ pour une humanité libre d’aimer Les « chants du serviteur » du livre d’Ésaïe sont remarquables, témoins de l’hospitalité sacrificielle du Christ. Les hommes accepteront-ils d’être guidés dans leur aveuglement vers l’image de Dieu par excellence, vers leur hôte divin ? Lui, « lumière des nations », est dépeint tel l’étranger méprisé, habitué à la souffrance, face auquel on détourne le regard, qu’on ne peut plus supporter. Pourtant, notre accès à la communion divine dépend du Christ. Véritable « bouc émissaire », il porte le péché des hommes et leur condamnation ; il subit la pire exclusion afin d’offrir la guérison du cœur, la restauration de l’image de Dieu (Ésaïe 49 : 6b-7 ; 53 : 3-8). Christ se donne pour ramener les hommes dans sa communion et les rendre libres de prendre part à l’amour agapè. Par ce survol du ministère prophétique, nous effleurons ce qui fait l’originalité de la personne de l’Esprit. Il renouvelle l’humanité sur la terre et intercède aussi pour son entrée dans l’hospitalité finale de Dieu. De plus, l’alliance du Fils, préparée par le Père, est annoncée par l’Esprit. En effet, il montre le seul chemin du salut complet des hommes, fin de l’exil spirituel : l’union à Christ. Comme l’enseignait l’apôtre Pierre sur les prophètes, « ils cherchaient à découvrir l’époque et les circonstances indiquées par l’Esprit de Christ qui était en eux lorsqu’il attestait 66
L’ ho s p i t a l i té da ns l e p l an d e Die u
d’avance les souffrances du Messie et la gloire dont elles seraient suivies » (1 Pierre 1 : 11).
L’espérance du Christ au cœur des douleurs de l’exil Cette espérance est indissociable de l’épreuve de l’exil historique. Selon le Dictionnaire de théologie biblique, « reconnaître que Dieu avait envoyé son peuple en exil à cause de son péché provoqua chez les exilés non seulement le deuil mais aussi l’espérance […] L’exil ne pouvait pas être la fin de l’histoire d’Israël. Le hesed tenace du Seigneur, son amour allianciel constituait la base de leur espérance pour l’avenir (Lamentations 3 : 21-22)44 ». Daniel, autre modèle de foi, a subi l’exil. Il a été choisi par Dieu en vue de l’accomplissement de son projet pour les peuples et est devenu l’un des hommes les plus influents de l’empire babylonien. C’est dans ce contexte que Daniel a reçu cette révélation : tous les peuples, les nations, les langues se mettront à servir le Messie, formant ainsi un royaume qui ne sera jamais détruit (Daniel 7 : 13-14).
La communion des peuples dans la relation à Dieu Que dire de Jonas ? Hostile aux habitants de Ninive, le prophète apprend à travers une périlleuse migration que la compassion de Dieu s’étend envers tous les peuples étrangers, même ennemis (Jonas 4 : 10-11). De manière complémentaire, le prophète Amos atteste quant à lui la présence de l’Éternel au sein de migrations d’autres peuples : « N’êtes-vous pas pour moi comme des Éthiopiens, vous les Israélites ? L’Éternel le demande. N’ai-je pas fait sortir Israël de l’Égypte, les Philistins de Crète et les Syriens de Qir ? » (Amos 9 : 7). D’après les commentateurs, « si la sortie d’Égypte est bien pour les Israélites la marque de la bienveillance divine, le prophète souligne qu’ils ne sont pas les seuls à avoir bénéficié d’une œuvre divine en leur faveur45 ». 67
Accueillir l’étranger avec Christ
Quant à Sophonie, il annonce la communion des peuples dans une même relation de dialogue et de service avec le Dieu trinitaire : « Alors je donnerai aux peuples des lèvres pures afin qu’ils fassent tous appel au nom de l’Éternel pour le servir d’un commun accord » (Sophonie 3 : 9). Progressivement, l’accueil bienveillant du Dieu trinitaire envers les nations se révèle.
68
Vincent Morvan Les migrations sont au cœur des préoccupations et des débats. Nos sociétés occidentales les présentent le plus souvent comme des problèmes, sans se questionner sur leur sens profond et leur part d’espérance. Vincent Morvan a étudié en profondeur la question de l’hospitalité envers l’étranger et propose d’en saisir les enjeux en abordant quatre dimensions interdépendantes : oo La théologie chrétienne de l’hospitalité, pour comprendre la relation entre le Dieu trinitaire et l’étranger tout au long de l’histoire de la rédemption ; oo L’éthique chrétienne de l’hospitalité, pour vivre l’hospitalité en tant qu’Église et dans nos foyers tout en restant centré sur l’Évangile ; oo La spiritualité chrétienne de l’hospitalité, pour cultiver notre communion avec le Dieu trinitaire et être ainsi capable d’accueillir l’étranger et de cheminer avec lui ; oo La missiologie chrétienne de l’hospitalité, pour accomplir notre mission dans notre société et parmi tous les peuples. Des personnes venues d’une grande diversité de nations se trouvent dans nos villes. Accomplissons avec foi, amour et espérance, au sein de cette humanité en mouvement, la mission confiée par Jésus-Christ à l’Église. Et ce, jusqu’au jour où nous prendrons part à cette vision céleste de l’hospitalité divine : « Je vis une foule immense que personne ne pouvait compter. C’étaient des hommes de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue […] Ils criaient d’une voix forte : “Le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône et à l’Agneau” » (Apocalypse 7 : 9-10).
Vincent Morvan est marié à Anja et il est père de trois enfants. Il est l’un des fondateurs de l’association Un cœur pour le monde, qui a pour objectif de pratiquer l’hospitalité envers les étudiants et chercheurs internationaux à travers les Églises locales. Cette association est active dans plusieurs grandes villes de France.
21,90€
ISBN 978-2-36249-468-0
9
782362
494680
accueillir l’étranger avec Christ
Vincent Morvan
accueillir l’étranger avec Christ
Vincent Morvan
accueillir l’étranger avec Christ une approche théologique, éthique, spirituelle et missiologique de l’hospitalité