Ils étaient frères de sang • Jan Vermeer

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J A N

V E R M E E R

Inspiré de faits réels en Corée du Nord

JAN VERMEER

J A N

V E R M E E R

« Ce livre – à la fois tragique et porteur d’espérance – montre comment le Seigneur travaille au cœur de ce pays de ténèbres […] Je prie qu’en le lisant et par la grâce de Jésus, vous entendiez l’appel de Dieu. »

—FRÈRE

AND RÉ ,

Fondateur de Portes Ouvertes

L’avenir de Zhang dans l’armée nord-coréenne semble tout tracé. Il a 19 ans et toute la vie devant lui au service du régime. Mais, un jour, une famine vient bouleverser tous ses plans. Sa famille est contrainte de partir en Chine pour survivre. Zhang se résout finalement à les rejoindre et prend avec lui son meilleur ami. Là-bas, c’est le déclic : il sait qu’il a besoin de Christ. Il doit prendre une décision qui est sur le point de bouleverser son existence. Une décision qui le poussera même à revenir en Corée du Nord. Osera-t-il suivre Dieu dans les ténèbres les plus profondes de son pays d’origine ? JAN VERMEER

est journaliste. Il travaille pour Portes Ouvertes et a écrit de nombreux articles de journaux sur des pays tels que le Kosovo, l’Irak, Israël, la Chine ou la Corée du Nord. Son premier livre Ils étaient frères de sang s’inspire de personnes et de faits réels.

ISBN 978-2-9513368-7-2 9

782951

336872

ISBN 978-2-36249-437-6 9

782362

494376

14,00 €

Inspiré de faits réels en Corée du Nord PR ÉFAC E

DE

F R ÈR E

ANDR É





J A N

V E R M E E R

Inspiré de faits réels en Corée du Nord PRÉFACE

DE

FRÈRE

ANDRÉ


Édition originale publiée en langue anglaise sous le titre : Friends forever • Jan Vermeer © 2011 • Open Doors International P.O. Box 27001 • Santa Ana, CA 92799 • USA www.OpenDoors.org Traduit et publié avec permission. Tous droits réservés. Édition en langue française : Ils étaient frères de sang • Jan Vermeer © 2017 • BLF Éditions • www.blfeditions.com Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés. Une coédition BLF Éditions et Portes Ouvertes Traduction : Anne Worms Couverture : Seegn. Mise en page : BLF Éditions Impression n° XXXXX • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc • France Sauf mention contraire, les citations bibliques sont tirées de la Bible version Segond 21, © 2007 Société biblique de Genève. Reproduit avec aimable autorisation. Tous droits réservés. Coédition BLF Éditions ISBN 978-2-36249-437-6 ISBN 978-2-36249-438-3

broché numérique

Coédition Portes Ouvertes ISBN 978-2-9513368-7-2

broché

Dépôt légal 4e trimestre 2017 Index Dewey : 272 (cdd23) Mots-clés : 1. Église persécutée. Corée du Nord. 2. Roman. Témoignages.


C’est un monde plein de joies, Un monde plein de larmes. C’est un monde plein d’espoir Et un monde plein de craintes. Nous avons tant à partager, Il est temps de le comprendre. Après tout, le monde est petit. Traduction de la chanson de la célèbre attraction de Disneyland : It’s a small world.

«  «  « C’est moi, moi seul qui suis l’Éternel, et il n’y a aucun sauveur en dehors de moi. ÉSAÏE 43 : 11



À Marjolein, Michaela et Gabriëlla qui donnent du sens à toute chose. Susan, Jean et frère Simon sans qui ce livre n’aurait pas été écrit. Joo-Eun, Kim Tae-Jin, Kim Jin-Chul, Park Joo-Chan, Lim Mose, Hyok Kang, Kim Hyon-hi, Lee Soon-Oket Chol-Hwan Kang, qui, par le récit de leurs vies, ont transformé mon regard sur Dieu et sur le monde. Jong-Cheol qui, à l’âge de onze ans, a donné sa vie à Christ.



TABLE DES MATIERES Préface......................................................................... 11 Prologue.. ..................................................................... 13 Chapitre un. . ............................................................... 17 Chapitre deux............................................................ 45 Chapitre trois. . .........................................................103 Chapitre quatre. . .....................................................131 Chapitre cinq...........................................................167 Chapitre six..............................................................199 Chapitre sept...........................................................233 Chapitre huit............................................................263 Chapitre neuf...........................................................293 Épilogue.....................................................................299 Postface.....................................................................305 Portes Ouvertes : une mission . . ................................ « au service des chrétiens persécutés »!......311



PREFACE Ce livre émouvant évoque une réalité qui m’est familière. J’ai participé à plusieurs conférences chrétiennes en Corée du Sud en 1988, pendant les jeux Olympiques de Séoul et une chose m’a frappé. Avant cette année olympique, personne dans le Sud ne parlait de la Corée du Nord. Mais il semblerait que les jeux Olympiques aient sorti les Sud-Coréens de leur cloisonnement : ils se sont mis à porter plus d’attention à leurs voisins du Nord. La même chose s’est produite dans les Églises. De nombreux orateurs ont soudainement commencé à lancer des défis « impossibles » aux chrétiens, des défis qui visaient un objectif : faire entrer l’Évangile en Corée du Nord. J’ai moimême été l’un de ces orateurs. J’ai osé mettre les gens au défi parce que nous servons un Dieu à qui rien n’est impossible. Cela fait maintenant plusieurs années que la Corée du Nord se trouve en tête de notre Index mondial de persécution des chrétiens. Soyons honnêtes : ce pays semble réellement constituer un monde à part. Un monde de persécution, de pauvreté, de peur et de faim. Pourtant, même dans ce monde-là, Dieu est tout-puissant. 11


Ce livre – à la fois tragique et porteur d’espérance – montre comment le Seigneur travaille au cœur de ce pays de ténèbres. Vous ne comprendrez pas tout. En particulier pourquoi certains font tant de mal à d’autres et pourquoi Dieu ne semble pas toujours intervenir. J’insiste sur le terme « semble », car les pensées de Dieu sont bien plus élevées que les nôtres. Il peut aussi bien transformer les Nord-Coréens que nous-mêmes en de nouvelles personnes. C’est là le plus grand des miracles. Avec les chrétiens nord-coréens – si remarquablement décrits dans ce livre – nous sommes des pèlerins sur le chemin du royaume. Là, règnent la justice et la droiture. J’espère que ce livre sera un élément utile à la construction de l’Église de Dieu. Je prie qu’en le lisant et par la grâce de Jésus, vous entendiez l’appel de Dieu. Priez sans cesse pour vos frères et sœurs persécutés en Corée du Nord et dans le reste du monde. Frère André

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PROLOGUE Zhang inspira profondément. L’odeur de l’herbe envahit ses narines. De l’autre côté de la colline, dissimulés parmi les arbres, se trouvaient les ennemis. Son ami Jin et lui étaient les derniers survivants. Tous les autres avaient succombé sous les obus de mortiers, les attaques aériennes ou les mitrailleuses. Les tirs avaient maintenant cessé. Le silence était devenu leur ami. Est-ce qu’il se trompait ou avait-il bien entendu le son perçant des chenilles de chars ? Les Américains étaient-ils tout proches ? Zhang jeta un coup d’œil derrière lui. Il apercevait Unsung, son village. Aucun Américain ne mettrait jamais les pieds làbas. Jin se retourna et donna le signal. À l’attaque ! Il se redressa et Zhang bondit derrière lui. Les deux garçons zigzaguaient d’arbre en arbre. Le sable entre leurs pieds rendait l’ascension de la pente escarpée encore plus difficile. Plus que trois mètres et ils seraient au sommet de la colline. Encore ce grondement terrifiant. Zhang l’avait entendu si souvent ! C’était le sifflement aigu des tirs de mortiers qui se rapprochaient : — Bombes ! hurla Zhang, les yeux levés vers le ciel. 13


Alors qu’ils plongeaient tous les deux au sol, pratiquement en même temps, Zhang ne vit pas les obus de mortier, mais il perçut des explosions sur sa droite et sur sa gauche : « Tant que tu entends les obus de mortier, il n’y a rien à craindre, lui avait un jour confié son grand-père. Mais ceux que tu n’entends pas, ce sont ceux-là qui te tuent ». En tombant sur le ventre, Zhang plaqua son casque d’une main sur sa tête, tandis que de l’autre, il serrait fermement son petit fusil en bois. — N’abandonnez pas, soldat Zhang ! Nous sommes les seuls à pouvoir encore arrêter les impérialistes ! Pensez aux gens d’Unsung ! — Affirmatif, lieutenant Jin ! Nous allons les avoir ! Zhang se leva à nouveau et parcourut en courant les trois derniers mètres jusqu’au sommet de la colline, tout droit vers l’ennemi. Il n’y avait plus la moindre cachette, plus un arbre pour les protéger. Ils se jetaient dans la gueule du loup. Zhang pointa son arme. Il n’y en avait plus pour longtemps. Les attaques au mortier allaient s’arrêter. Autrement, ils risquaient de toucher leurs propres troupes. Les Américains étaient stupides, mais pas complètement fous. — Camarade Zhang, peut-être est-ce la dernière fois que nous nous voyons, lança Jin. Il sortit un canif de sa poche et se fit une petite incision à l’index droit. — Donnez-moi votre doigt, ordonna-t-il. Zhang posa son fusil et tendit sa main droite. Jin lui entailla rapidement le doigt. La douleur fut plus vive qu’il ne l’avait pensé. Ils se serrèrent la main. — Promettez-moi de ne jamais me laisser tomber, camarade Zhang ! 14


P ro l o g u e

— Je le promets, camarade Jin. Frères de sang pour toujours ! — Pour toujours. Les tirs de mortier avaient cessé. Jin donna une tape sur le casque de son ami : — Prêt ? À l’attaque ! Zhang agrippa son fusil et courut derrière Jin vers la vallée. Les Américains furent trop surpris pour répondre à l’attaque. Les imbéciles ! Ils n’avaient pas anticipé l’exceptionnelle bravoure de deux simples soldats. En quelques minutes, la bataille fut terminée. Les survivants s’enfuirent, en laissant derrière eux leurs morts et leurs blessés. Ils avaient réussi ! Zhang et Jin avaient changé le cours de la guerre. L’avancée des Américains avait été stoppée. Après cette bataille héroïque, la puissante armée nord-coréenne repousserait l’ennemi jusqu’à la mer. Épuisé, Jin s’effondra dans l’herbe sèche. Zhang se tenait à ses côtés. Au loin, il pouvait apercevoir la statue du Grand Dirigeant. Zhang posa sa main droite sur son cœur et s’inclina. On aurait dit que le Grand Dirigeant hochait la tête pour approuver ce brave petit soldat qui fêterait ses huit ans la semaine d’après.

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CHAPITRE UN Si seulement la radio pouvait se taire ! Père Kim Il-Sung était mort. L’Étoile du matin avait disparu. C’était la fin de la nation glorieuse telle qu’on l’avait connue. Pour la première fois de sa vie, Zhang aurait souhaité qu’il y ait un bouton « arrêt » sur la radio. Même si elle n’avait fait que diffuser hommage sur hommage au Grand Dirigeant depuis quelques jours, seul un silence éternel semblait convenir à ces funèbres circonstances. — Camarade Zhang ! Mère posa son index sur le menton du jeune homme. Elle le fixa avec ses yeux rougis : — Tu as dix-neuf ans maintenant, tu es un homme. Un soldat ! Tu n’as pas le droit de pleurer. Ton pays a besoin de toi. Zhang acquiesça en s’essuyant les yeux. Les mains tremblantes, mère boutonna son uniforme et balaya de ses doigts une poussière invisible sur l’épaule de son fils. Elle était encore plus faible que lorsqu’il l’avait vue six mois auparavant. La maladie semblait la consumer de l’intérieur. Si seulement ils pouvaient savoir de quoi elle souffrait exactement, afin de pouvoir l’aider. 17


Zhang se regarda dans le miroir. Il releva le menton et plissa les yeux. Ne te laisse pas aller à la tristesse. Un soldat ne pleure pas. Son bel uniforme vert foncé était en parfait état. Hier soir, il avait utilisé tout le savon qu’il possédait pour effacer la moindre tache. Vêtu de son costume bleu marine, père fit son entrée dans le salon, tout en resserrant le nœud de sa cravate. Puis il lissa ses manches et le revers de sa chemise. Il avait l’air si élégant ! Personne n’aurait pu deviner qu’il était ouvrier d’usine. Derrière lui se tenait Hea-Woo. Elle baissait la tête, comme si cela pouvait suffire à dissimuler les larmes qui coulaient en torrent sur ses joues. Elle était superbe avec sa jupe noire impeccable et son chemisier blanc. La sœur de Zhang méritait un bon mari, une grande maison en ville et beaucoup d’enfants. Il faut qu’elle sorte de ce trou, pensait Zhang. Il n’y avait qu’à jeter un coup d’œil aux murs nus, au vieux canapé usé jusqu’à la corde et à cette horrible table en bois qui devait avoir au moins quinze ans. Leurs repas ici étaient bien maigres et toujours composés de maïs. Dans leur village d’Unsung, on ne mangeait du riz que pour les grandes occasions, comme les fêtes nationales et les enterrements. Pourquoi le Parti n’a-t-il pas distribué de riz aujourd’hui ? se demanda Zhang. — Prêt à partir, mon fils ? La voix de père était rocailleuse, trahissant son goût prononcé pour le cigare. — Dis-moi, tu as choisi de bien belles fleurs pour rendre un dernier hommage au Grand Dirigeant ! Zhang perçut un soupçon de sarcasme dans la voix de son père. Il se raidit. Ne réponds pas. Pas aujourd’hui. Au-dessus de la radio, dans le salon, trônaient les photos de Kim Il-Sung et de son fils, Kim Jong-Il. Comme toujours, les portraits étaient soignés dans les moindres détails. Ce matin, mère s’était appliquée plus que d’habitude à bien dépoussiérer 18


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le portrait du Grand Dirigeant et celui du Cher Dirigeant. Mère était une vraie patriote. Contrairement à père. Zhang craignait parfois que l’« humour » de ce dernier ait un jour des conséquences terribles pour lui. Et pas seulement pour lui. Zhang frémit à l’idée qu’un membre du Parti apprenne que son père avait traité Kim Il-Sung de « Président pas si génial que ça ». La famille tout entière serait envoyée dans un camp. Et même s’ils survivaient à cela, la vie de Zhang serait ruinée à jamais. Il pourrait définitivement dire au revoir à une carrière militaire. Impensable ! C’était la seule voie possible vers une vie meilleure et il ne pouvait pas laisser son père gâcher cette chance ! Il allait devenir général, vivre à Pyongyang et conquérir une gloire éternelle en battant les Américains. Voilà quel était son objectif. Mère passa la main sur la poitrine de Zhang, pour montrer qu’elle en avait fini avec son uniforme. Zhang fit un demi-tour pour faire face au portrait du Grand Dirigeant. Il n’arrivait tout simplement pas à croire que Kim Il-Sung n’était plus en vie. L’homme qui avait libéré la Corée du Nord de ces traîtres de Japonais, et par la suite de l’impérialisme américain, le dieu qui avait fait de la Corée du Nord un paradis, n’était plus de ce monde. Le pays était perdu, même si Zhang parvenait un jour à devenir général. La mort de Kim Il-Sung ne faisait pas partie du plan. Zhang devait humilier les Américains sous les ordres du Président éternel. Comment pourrait-il accomplir cela sans l’inspiration et la conduite de Kim Il-Sung ? J’y vais. Zhang refit un demi-tour comme s’il venait d’être mis au repos par le commandant. Il ramassa le bouquet de kimilsungias sur la table, mais il trouvait ridicule qu’un soldat se promène dans les rues avec des fleurs plutôt qu’avec un fusil. Secouant la tête, il se reprit. Il se devait de rester soumis au Grand Dirigeant. Il enfonça sa casquette et sortit de la maison en refermant doucement la porte derrière lui. Devant lui, dans la rue, une longue file de gens avançait lentement. En temps 19


normal, les gens des villages étaient vêtus de haillons, mais pas aujourd’hui. Tout le monde s’était mis sur son trente-et-un. Mais ces beaux vêtements ne parvenaient pas à dissimuler leur extrême maigreur. Zhang était plus grand et aussi mieux nourri qu’eux. Rien de surprenant à cela : il avait accompli des tâches importantes au sein de l’armée. Et ceux qui servaient les intérêts du pays avaient tout naturellement droit à plus de nourriture. La large rue montait en pente raide jusqu’à l’extrémité du village, continuant dans les collines. Elle se terminait au pied de la statue de Kim Il-Sung. La main droite de cette statue de bronze, haute de vingt mètres, indiquait le chemin à suivre. Zhang salua plusieurs connaissances d’un hochement de tête et se joignit à la procession. Il fut vite englouti par la foule et se sentit plus que jamais uni à tous ces villageois. Quel privilège de pouvoir faire partie de ce peuple supérieur ! Ils étaient si disciplinés, toujours prêts à faire des sacrifices. À travers tout le pays, des files de gens se formaient sur des kilomètres pour venir déposer des fleurs devant la statue du Grand Dirigeant Kim Il-Sung. Ces images allaient être retransmises dans le monde entier et donneraient des sueurs froides aux Américains. Si seulement Zhang pouvait se trouver à Pyongyang en ce moment. La capitale était le véritable joyau de la République populaire démocratique de Corée, et même du monde. À se demander si ce n’était pas que pour elle que le soleil se levait chaque matin. Il ne faisait aucun doute que, là-bas, les files de gens s’étalaient sur des dizaines de kilomètres. En comparaison, la procession dans laquelle il se tenait était ridicule. — Hé, Zhang ! Camarade Zhang ! Un jeune homme trapu se frayait un chemin à travers la foule pour l’approcher. Il fallut un moment à Zhang pour le voir enfin. — Jin ! s’exclama-t-il en embrassant son ami. 20


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— Tu as l’air en pleine forme, mon gars ! On dirait qu’ils te nourrissent bien à Pyongyang. Tu es revenu quand de l’université ? — Seulement hier soir. Juste à temps pour venir rendre hommage au Grand Dirigeant dans mon village. Comment ça va ? Le regard de Zhang s’assombrit. — Si tout allait bien, on ne serait pas ici avec nos fleurs. On serait en train de préparer une attaque contre les Américains. Jin hocha la tête. — Ne désespérons pas, camarade Zhang. Notre Grand Dirigeant est peut-être mort, mais le Général Kim Jong-Il est bien vivant. Et il sait ce qui est bon pour nous tous. Il égalera la gloire de son père, c’est certain ! — Tu as raison. Zhang se chuchota à lui-même : Un vrai Nord-Coréen ne désespère jamais. Un Nord-Coréen ne baisse pas les bras. C’est ce que le directeur de l’école leur avait transmis de la part de Kim Il-Sung, à lui et à ses camarades de classe, il y avait de cela des années. Cela aurait tout aussi bien pu être hier. Merci père Kim Il-Sung, pour toutes vos sages paroles et vos merveilleux accomplissements. Zhang et Jin étaient maintenant presque arrivés au pied de la statue. Les gens prenaient le temps de s’incliner, de pleurer, de déposer leurs fleurs et de prier en silence. Personne ne parlait à voix haute. Seul un silence sacré convenait à un tel moment. Le vent se mit à souffler et, à l’horizon, de gros nuages noirs approchaient. Il allait peut-être pleuvoir. Zhang espérait qu’il pleuvrait. Un temps de deuil si profond méritait que même le ciel se voile de tristesse. Finalement, les deux jeunes hommes se retrouvèrent devant la statue. Combien de fois Zhang s’était-il déjà tenu au même endroit, inclinant la tête en signe de respect ? Jin et ses amis 21


avaient parfois joué en secret autour de la statue lorsqu’ils étaient enfants. Les adultes considéraient cela comme un manque de respect, mais père Kim Il-Sung n’avait jamais cessé de les regarder avec affection. Ils n’avaient jamais pensé devoir un jour venir rendre un dernier hommage à leur Grand Dirigeant. Kim Il-Sung ne pouvait tout simplement pas mourir. Si seulement il n’y avait pas autant de monde derrière moi, pensait Zhang. Si seulement il pouvait se retrouver seul pour dire adieu à celui qu’il considérait comme son véritable père. Zhang et Jin déposèrent leurs fleurs en même temps. Ils reculèrent ensuite d’un pas, d’une manière militaire. Zhang s’inclina longuement. Une larme salée glissa dans sa bouche. Cela n’avait pas d’importance. Plus rien n’avait d’importance. Il redressa la tête et fit le salut militaire. Kim Il-Sung le regarda droit dans les yeux. Zhang savait ce que le Grand Dirigeant lui disait. Le pays a besoin de toi, camarade Zhang. Zhang acquiesça et affirma en son cœur : Je jure de défendre votre héritage au prix de ma vie.

«  «  « Les cris des mouettes déchirèrent le silence glacial qui enveloppait la place. Les soldats étaient en position, derrière Zhang et ses deux collègues tireurs d’élite. Zhang inspira profondément, l’air glacé emplissant ses poumons, puis il expira sans bruit. Sa main droite tenait fermement le canon de son arme. C’était un Mosin-Nagant, un fusil à verrou fabriqué en Russie. Le chargeur pouvait contenir cinq cartouches. Ensuite, il fallait le recharger. C’était son fusil préféré. Lorsqu’il tirait la culasse après chaque tir, il avait l’impression d’être un tueur implacable. Et bientôt, il saurait vraiment ce que cela faisait de voir un homme tomber sous ses balles. 22


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Encore une fois, Zhang inspira profondément. Il faisait partie des meilleurs tireurs d’élite de sa compagnie, peut-être même le meilleur de son bataillon. Mais il s’agissait de sa première exécution. S’il ratait sa cible, il en entendrait parler pendant longtemps. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, il avait la gorge sèche. Il était face à un moment décisif de son existence. Hors de question de laisser ses émotions le distraire de sa tâche. S’il faisait du bon travail aujourd’hui, Zhang pourrait rester membre du peloton d’exécution et il pourrait continuer à se spécialiser en tant que tireur d’élite. Cela lui donnerait plus de chances d’accéder à une promotion. Il pourrait peut-être diriger un groupe de tireurs d’élite, puis une compagnie d’élite, voire un bataillon. Il se marierait, aurait des enfants et vivrait à Pyongyang. Zhang devait se concentrer. Ce n’était pas le moment de rêvasser. Il avait un travail essentiel à accomplir s’il voulait se construire une vie meilleure. Il y a trois mois, quand on avait annoncé la mort de Kim Il-Sung, il avait brièvement abandonné ses rêves, mais Kim Jong-Il était lui aussi un dieu. Zhang était heureux de ne plus se sentir perdu. Ses idéaux étaient encore à portée de main ; il lui suffisait d’atteindre sa cible aujourd’hui. Au loin, un hurlement vint couvrir le vacarme des mouettes. Alors que le bruit se rapprochait, un lieutenant qui se tenait devant Zhang cria : — Sergent ! Faites taire le condamné ! Immédiatement, trois soldats armés de matraques quittèrent le bataillon pour se précipiter vers leurs deux collègues qui tenaient, non sans mal, un homme par les bras, essayant de le faire avancer vers le lieu d’exécution. Le traître tentait de donner des coups de pied à ses gardes et de libérer ses bras. — Noooooonn ! hurlait-il. 23


Il devait avoir la vingtaine, à peu près le même âge que Hea-Woo. — Je n’ai rien fait ! Je ne suis pas coupable ! Je n’ai rien fait. Aaaaahhh ! Les soldats, matraques levées, se rapprochèrent de lui pour le frapper jusqu’à ce qu’il arrête de crier. Ils lui remplirent alors la bouche de gravier avant de lui couvrir la tête d’un sac, attaché autour de son cou par une corde. Ils arrivèrent ensuite sans peine à le traîner sur la place et à le ligoter fermement au poteau. Un trou avait été creusé devant le poteau : la tombe du traître. L’homme avait les mains liées dans le dos. Une corde lui fut passée autour du front, une autre autour de sa poitrine et la dernière autour de ses cuisses. Le sergent vérifia que les cordes étaient solidement en place et fit un petit signe de tête au lieutenant. Les soldats se placèrent en ligne. — Lee Chin-Hwa, aboya le lieutenant, vous avez été reconnu coupable de haute trahison ! Vous avez tourné en ridicule la confiance que le Cher Dirigeant Kim Jong-Il avait placée en vous. Vous avez agi de manière anti-révolutionnaire en déshonorant l’image de notre Commandant en Chef, camarade Kim Jong-Il. Le lieutenant continuait à vociférer, mais Zhang portait peu d’intérêt aux charges énoncées. Dans son esprit, il visait déjà avec son fusil pour loger sa première balle en plein milieu du sac de jute, juste au niveau de la première corde. C’était le tir le plus délicat. Mais après celui-ci, il n’avait pas intérêt à perdre sa concentration. Le deuxième tir devait toucher la corde qui passait sur la poitrine du condamné et le dernier viserait à couper la corde autour de ses jambes. Trois tireurs pour trois chances de faire tomber la cible bien proprement dans le trou. Ils se trouvaient à vingt mètres du poteau. Une légère brise soufflait, mais pas suffisante pour perturber les tirs. D’abord le front, puis la poitrine. En dernier les jambes et retour en position. — Tireurs d’élites ! cria le lieutenant. 24


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Zhang réagit immédiatement. — Levez vos armes ! Il plaça son fusil contre son épaule droite. — Visez ! Zhang ferma l’œil gauche et fixa sa cible par-dessus son canon. — Feu ! Il appuya sur la gâchette. Touché ! Zhang ramena la culasse vers lui et la douille tomba par terre. — Visez ! cria à nouveau le lieutenant. Zhang abaissa un peu le canon de son arme. — Feu ! Encore touché. — Visez ! La cible était maintenant largement affalée sur elle-même, ce qui empêchait Zhang de bien voir la dernière corde. — Feu ! Il tira pour la troisième fois. Le corps tomba tout droit dans le trou. Zhang ramena son fusil bien droit contre lui. Il avait réussi. Les trois fois ! Le canon de son arme était chaud contre sa jambe. — Quiconque calomnie le nom du Secrétaire Général Kim Jong-Il subira le même sort ! Le lieutenant regardait ses troupes d’un air sévère, mais Zhang n’écoutait déjà plus. Il avait réussi ses trois tirs. Peutêtre devait-il vérifier si les deux autres membres du peloton d’exécution avaient eu autant de succès que lui. — Rompez les rangs ! Les soldats derrière lui s’éloignèrent. Les trois tireurs d’élite restèrent en position. Le lieutenant les rejoignit. Son uniforme 25


était plus épais et d’un vert plus foncé que celui des autres soldats. Ses médailles étaient là pour rappeler ses impressionnants états de service. Il portait une casquette un peu trop grande pour lui. — Lee Bo-Hwa, Kim Dak-Ho, Kim Zhang. Excellents tirs. Vous avez prouvé que vous pourrez être très utiles lorsque l’invasion américaine viendra. Avec des tireurs d’élite comme vous, ils n’ont aucune chance. Sécurisez vos armes, finissez d’enterrer ce traître et présentez-vous à votre commandant d’ici une demi-heure. — Bien, lieutenant ! répondirent-ils à l’unisson. Le lieutenant s’éloigna à pas de géant, comme s’il était en train de défiler devant Kim Jong-Il. Bo-Hwa et Dak-Ho tapèrent amicalement Zhang sur l’épaule. — Bien tiré, mon gars ! assura Bo-Hwa. — Ouais, pas mal pour un petit nouveau, ajouta Dak-Ho. Zhang sourit timidement, appréciant les compliments de ses aînés. — Voyons maintenant comment tu te débrouilles avec une pelle, sourit Bo-Hwa. — Tu viens de la province de Hamgyung-nam, non ? Il y a pas mal de mines là-bas. Tu dois bien avoir appris à creuser. — Sécurisons d’abord nos armes, proposa Dak-Ho. — Oui, camarade patron, répliqua Bo-Hwa. Zhang retira le chargeur de son fusil avant de mettre la sécurité en place. Clic-clic ! Clic-clic ! Bo-Hwa avait du mal avec son arme. Il jura tout en tirant sur son chargeur. Les balles restantes ne voulaient pas sortir. — Besoin d’aide ? demanda Zhang. On dirait que tu t’es emmêlé les pinceaux avec ton arme toute pourrie ! 26


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— Ouais, ouais, va donc plutôt creuser, paysan. Remplismoi cette tombe, comme ça au moins je n’aurai pas à me salir les mains. Dak-Ho et Zhang se dirigèrent vers le trou, attrapèrent chacun une pelle et se mirent à jeter du sable dans la tombe. Zhang regarda l’homme au fond du trou. Les mains attachées dans le dos donnaient à ce corps un côté humain, mais c’était bien les mains d’un traître : il avait pris un journal avec la photo du Cher Dirigeant Kim Jong-Il en première page et l’avait plié. Le simple fait de s’asseoir sur ledit journal aurait été une offense bien plus grave ! Quiconque ayant l’audace de traiter le Général avec un tel manque de respect ne méritait rien moins que la mort. Zhang espérait que le jeune homme n’avait pas d’enfant. Personne n’aurait voulu être l’enfant d’un tel criminel ! Dak-Ho travaillait vite. Il était aussi grand que Zhang, mais beaucoup plus large d’épaules, plus costaud. Tout le monde lui témoignait un grand respect. On le mettait sur un piédestal et tout le monde était content de faire pour lui les tâches subalternes. Dak-Ho n’abusait pas de ce statut. Il se montrait toujours sympathique envers les autres soldats. Peut-être que cela expliquait pourquoi il n’avait pas encore été promu. Un officier de l’armée ne devait pas avoir peur de se montrer dur envers ses hommes. Zhang ne savait pas trop quoi dire à Dak-Ho. À côté de ce vétéran, il était particulièrement conscient de sa position inférieure. Il n’était qu’un garçon de dix-neuf ans, venu de l’insignifiant village d’Unsung. Il voulait pourtant rompre le silence et dire quelque chose. La situation l’exigeait. — Combien de fois as-tu déjà, hum… Dak-Ho termina sa question : — Fusillé quelqu’un ? Attends un peu… Cela faisait trois ans que j’étais dans l’armée quand je suis entré dans le peloton d’exécution. Ensuite, il y a eu les deux… Et l’année suivante… 27


Dak-Ho comptait sur ses doigts. Zhang continua à jeter du sable dans le trou. — En comptant les déserteurs ? Je pense que ça fait neuf. J’en ai peut-être oublié un ou deux. Mais ils n’ont pas tous été aussi faciles que celui-là. Un jour, j’en ai tué un qui n’était pas attaché à un poteau. C’était un fugitif… pardon, un déserteur. Il avait même déjà traversé la frontière avec la Chine. Voilà ce que j’appelle un beau tir. Le gars avait déjà traversé la rivière quand je l’ai repéré. Il zigzaguait sur la rive chinoise pour essayer d’éviter nos balles. Les autres gars tiraient un peu partout sans réussir à le toucher. J’ai visé tranquillement et j’ai tiré une seule fois. Bang ! Le type s’est effondré. Mort sur le coup. Le sergent était comme fou. Il hurlait : « Récupérez-le, récupérez-le ! ». Évidemment, il avait une peur bleue que les soldats chinois trouvent le corps de ce déserteur. — Et comment vous avez fait ? — Eh bien, on n’avait pas de bateau ni rien de ce genre. Heureusement que c’était l’été et qu’il faisait chaud. On a enlevé nos vestes, nos bottes et nos chaussettes et on a nagé jusqu’à l’autre rive. Le courant était très fort. Évidemment, le fugitif pensait que personne ne vérifierait cet endroit où la rivière est tellement difficile à traverser. Et justement, nous nous sommes retrouvés à patrouiller à cet endroit-là au même moment. — C’était un soldat ? — Non, un civil. — L’imbécile ! soupira Zhang. — Plutôt deux fois qu’une, renchérit Dak-Ho. Pourquoi s’enfuir ? Le monde entier regarde avec envie la Corée du Nord et les grandes vertus de notre peuple. La petite armée de notre Grand Dirigeant a repoussé les Japonais hors de nos frontières. Et quand les Américains nous ont attaqués, nous les avons aussi repoussés au prix de nombreuses vies humaines. 28


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— Personne ne peut supporter autant que ce que notre peuple a supporté. — Exactement. Pourquoi quelqu’un voudrait-il quitter ce pays ? Il y a à manger tous les jours. Pas seulement pour les riches, mais pour tout le monde. Tout le monde a du travail. Tout le monde a un toit sur la tête. Tout le monde peut aller à l’école. Et bientôt, quand nous aurons remporté la guerre contre les Américains, ce sera encore mieux. Le monde entier nous rendra hommage. Une image se forma immédiatement dans l’esprit de Zhang. Les dirigeants du monde entier déposaient des fleurs devant la statue de Kim Il-Sung à Pyongyang. Le dernier à s’avancer était le président de la Corée du Sud. Non seulement il s’inclinait, mais il tombait même à genoux, pleurant sans retenue. La tombe était rebouchée. Zhang aplanit un peu le sable et, en compagnie de Dak-Ho, rejoignit Bo-Hwa. Il était encore en train de se battre avec son arme. Il balança son fusil sur le sol en jurant. — Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Dak-Ho. — Je n’arrive pas à enclencher la sécurité. Elle ne bouge pas. Saleté de truc ! — Laisse-moi essayer, proposa Zhang en ramassant le fusil. Mais cela ne fit qu’augmenter la colère de Bo-Hwa. Il lui arracha l’arme des mains et la secoua en l’air en jurant. — Calme-toi ! s’exclama Zhang en élevant un peu la voix. — Attention mec ! hurla Dak-Ho. Soudain le coup de feu claqua et Zhang ressentit une violente douleur au pied gauche. Il tomba à terre en gémissant. — Aaah ! Je suis touché. Mon pied, espèce d’idiot ! Dak-Ho se pencha sur lui : — Reste calme ! Reste calme ! 29


— Oh non ! Oh bon sang, non ! criait Bo-Hwa. — Calme-toi, soldat Lee ! Calme-toi et appelle le médecin ! Zhang regarda le trou dans sa botte, qui devenait de plus en plus rouge. Il avait du mal à faire le lien entre ce qu’il voyait et l’intense douleur qu’il ressentait. Était-ce bien réel ? Mais la douleur, elle, était réelle. Dak-Ho saisit Bo-Hwa par les bras, le plaçant à quelques centimètres devant lui. — Le mé-de-cin, prononça-t-il calmement, mais d’une voix forte. — Oui, caporal. Bo-Hwa se retourna et se dirigea vers le camp. Dak-Ho prit Zhang dans ses bras pour le soutenir. — Ne t’inquiète pas, camarade Zhang. Tout va bien se passer. Tout va bien aller. Zhang ferma les yeux. Il se mordit la lèvre en gémissant. C’était la fin de sa carrière de soldat. La fin de son rêve.

«  «  « Hea-Woo se pencha sur le lit pour essayer de faire avaler un peu de soupe à sa mère. Après en avoir pris une cuillerée, elle se mit à tousser et recracha le tout. Elle adressa un regard gêné à sa fille qui souriait. Zhang observait la scène du coin de l’œil. Mère ne s’était pas aussi mal portée depuis longtemps. La nuit, elle toussait tellement qu’elle s’en étouffait presque. Personne ne savait de quoi elle souffrait. Le médecin ne venait même plus lui rendre visite. Quand elle put enfin reprendre son souffle pour parler, mère murmura : — Tu peux arrêter, ma chérie. J’en ai eu assez. Prends-en toi aussi. Zhang, tu veux le reste de ma soupe ? Tu dois avoir faim. 30


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Zhang secoua la tête. — Et toi, père ? — Mange-la, Hea-Woo, répondit Chin-Cho en posant son journal. Hea-Woo sortit de la chambre de ses parents pour aller prendre une cuillère propre dans la cuisine. Puis elle rejoignit son père et son frère dans le salon. — Vingt heures, annonça père. L’heure des informations. Zhang, tu peux aller allumer la télé ou ça fait trop loin avec ton pied blessé ? — Très drôle, père. Plus tu le dis et plus ça devient hilarant ! Il alla allumer le téléviseur. — Tu veux écouter avec nous, mère ? Zhang l’entendit répondre quelque chose, mais il ne comprit pas quoi. Il se tourna vers sa sœur. Elle lui fit signe que oui. Alors, il monta le son pour que mère puisse entendre les nouvelles. Le journal venait de commencer. — Camarades, c’est avec une immense tristesse… Zhang se pencha en avant. Une seule fois auparavant, il avait entendu le journal commencer par ces mots : le jour où le Grand Dirigeant était mort. —… que je dois vous annoncer cette nouvelle. Les Américains nous ont attaqués. Non ! Pas maintenant ! Zhang venait de recevoir son congé obligatoire de la part de l’armée : il était trop gravement blessé pour porter les armes. Ils n’avaient plus besoin de lui. — Des espions ont pénétré dans notre pays… Seulement des espions ? La véritable invasion va-t-elle suivre ? se demandait Zhang. —… et ils s’avancent dans nos rizières et nos champs. Une fois qu’ils y sont, ils déversent un poison terrible sur nos cultures. Environ 85 % de nos récoltes sont perdues. 31


85 % ? Ça fait combien exactement ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Hea-Woo se plaqua la main sur la bouche en secouant la tête. — Non, non, non, murmurait-elle. Père se tenait assis là, sans la moindre expression. — Les Américains paieront très cher cet acte de haute trahison. Malheureusement, cette attaque signifie qu’à partir d’aujourd’hui, il n’y aura plus de distribution de nourriture au peuple. Ces derniers temps, ils avaient déjà reçu très peu de nourriture, à peine la moitié de ce qu’on leur donnait auparavant. Et maintenant il n’y aurait plus rien du tout ? Même pas de maïs ? — Notre Cher Dirigeant Kim Jong-Il a exprimé sa profonde confiance dans les forces de son peuple. Il conseille à tous les citoyens d’aller ramasser de l’herbe dans les montagnes et d’en faire de la soupe en y ajoutant du sel. Une telle soupe contient tous les nutriments dont une personne a besoin pour vivre. — C’est ridicule ! Hea-Woo sursauta à la réaction de son père. Il se précipita d’un pas lourd vers la télé et l’éteignit. — C’est vraiment n’importe quoi ! — Kim Chin-Cho ! l’interpella mère depuis la chambre. Un peu de retenue ! Les voisins pourraient t’entendre. — Et après ? Ce n’est plus qu’une question de temps. De toute façon, nous serons bientôt tous morts ! Il n’y a plus rien à manger. Le Grand Dirigeant est mort en oubliant d’expliquer à son fils comment faire pousser du riz. — Père ! gronda sévèrement Zhang. Tu as bien entendu. Ce sont les espions américains et leur poison qui sont coupables. C’est comme ça qu’ils ont prévu de nous anéantir. 32


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Père poussa un profond soupir et regarda tristement son fils. — Tu crois vraiment à tout ça ? Que notre « grande » armée permettrait à autant d’espions de pénétrer sur notre sol sans les arrêter ? Non, mon fils. Cela n’a rien à voir avec des puissances étrangères. Ce sont… nos propres erreurs. C’est de notre faute. Zhang se mit à parler un peu plus fort : — Et quand tu dis « nous », tu veux dire Kim Jong-Il ? Il sacrifierait sa propre vie pour nous protéger. Tu es complètement aveugle. Les gens doutent déjà de ta loyauté. Un jour, tu vas être obligé de confesser tout ça et nous serons tous… Il ne put pas dire ce à quoi il pensait : envoyés dans un camp. —… punis. — Chut ! lui fit signe Hea-Woo. Pense à mère, elle est si faible maintenant. Les yeux de père étaient fixés sur Zhang. On aurait dit qu’il allait dire quelque chose, mais il resta silencieux. — Combien de nourriture nous reste-t-il ? demanda mère depuis sa chambre. — Rien du tout, murmura Hea-Woo. — Demain, j’irai dans les montagnes, proposa Zhang. Après ma session au centre de recherche. — Très bien, ironisa son père. La balade te fera du bien. Il ouvrit le placard du salon où ils gardaient leurs réserves de nourriture. Il ne s’y trouvait que des bouteilles et des pots vides, ainsi que deux bouteilles de soju, une bière locale. Il prit l’une des bouteilles ainsi qu'un verre, et se servit une bière. Il leva son verre en direction de Zhang et de Hea-Woo : — À notre Cher Dirigeant, trinqua-t-il avant de boire goulûment. 33


Zhang détourna la tête. — Aaah ! Exactement ce dont j’avais besoin, s’exclama père.

«  «  « — Kim Zhang ! Alors que Zhang s’avançait d’un pas, Jin lui chuchota à l’oreille : — Je vais te massacrer. Zhang lui envoya un coup de poing à l’épaule en essayant de ne pas éclater de rire. La séance de critique hebdomadaire du samedi, qui se déroulait dans la salle de conférence du centre de recherche Kim Il-Sung, n’était pas le moment préféré de Zhang. Mais cela faisait longtemps que ce n’était aussi plus une source d’inquiétude pour lui. En temps normal, il se mettait d’accord à l’avance avec Jin sur les critiques qu’ils allaient s’adresser. Mais cette fois, ils n’en avaient pas eu le temps. Zhang se retourna pour faire face aux trente autres jeunes hommes de son âge présents dans la salle. Les néons n’avaient pas été allumés aujourd’hui. Une faible lueur provenait des trois fenêtres sur sa gauche. L’officier du Parti qui l’avait appelé à s’avancer était son ancien instituteur de primaire. On l’appelait M. Ahn. En se retrouvant face à lui, Zhang se remémora un désagréable souvenir d’école. Un jour, M. Ahn lui avait hurlé dessus : — Comment oses-tu dessiner notre Grand Dirigeant ? Espèce de petit réactionnaire ! Une telle offense pourrait t’envoyer au peloton d’exécution ! Même un petit monstre tel que toi devrait savoir cela ! — Mais… mais… je l’ai fait pour l’honorer, avait bégayé Zhang. — Et en plus tu as le culot de me répondre ? Tu es coupable ! Coupable, camarade Zhang ! Tu devrais savoir que seuls des 34


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artistes particulièrement talentueux ont le droit de faire des portraits de notre Grand Dirigeant, le camarade Kim Il-Sung. Tous les autres méritent d’être punis. Il l’avait alors attrapé par l’oreille et l’avait forcé à se mettre à genoux. Zhang avait passé le reste de l’après-midi à genoux au beau milieu de la classe. Et après cela, il avait dû rester en retenue. En haut d’une feuille blanche, il avait écrit : « Lettre de critique ». Plus la lettre était longue et mieux c’était. Il était donc entré dans les moindres détails : « En ce 6 avril de l’année 1981, à 13 h 05, alors que se déroulait le cours d’histoire, j’ai été pris en train de commettre un acte profondément honteux. Malgré les avertissements répétés de mon respecté professeur, le camarade Ahn Bong-Chol, j’ai commis le crime de dessiner notre Grand Dirigeant Kim Il-Sung. Je n’avais pas conscience des conséquences d’un acte aussi déplacé… ». Le jour suivant, Zhang et ses camarades de classe avaient dû, à tour de rôle, venir devant la classe pour critiquer un autre élève. Zhang avait été la cible de tous. Seul Jin avait choisi une autre victime. Après les cours, Zhang et Jin avaient cherché à se venger. Ils s’étaient bagarrés avec les trois garçons qui avaient le plus sévèrement critiqué Zhang. — Camarade Zhang ? La voix de M. Ahn ramena le jeune homme à la réalité. — Allez-y. Zhang prit sa voix la plus sérieuse : — Cette semaine, j’ai été coupable d’avoir insulté le camarade Lee Jin. Sans aucune bonne raison, je l’ai traité d’âne. Juste à cause de ses grandes oreilles. Légers rires. M. Ahn secoua à peine la tête. — C’est tout ? — Oui, camarade. 35


— Je vois que chaque semaine, vous avez des soucis avec le camarade Lee Jin. Ne serait-il pas temps que vous deveniez amis tous les deux ? — Vous avez raison, camarade. Seulement, il ressemble un peu trop à un âne. Nouveaux rires. — Ça suffit maintenant. Il s’agit d’un exercice très sérieux. M. Ahn se tourna vers la salle. — Qui a vu ou entendu le camarade Zhang commettre une offense ou mal se comporter cette semaine ? Jin leva immédiatement la main. — Le camarade Zhang m’a traité d’âne. — C’est noté. Quelqu’un d’autre ? Personne ne dit rien. Zhang s’avança donc pour se rasseoir. — Kim Zhang m’a volé mes chaussures. Zhang fut estomaqué. Qui a dit ça ? M. Ahn s’approcha rapidement de celui qui avait parlé. — Qu’avez-vous dit ? Est-ce bien la vérité ? — Tout à fait, camarade Ahn. Je l’ai vu s’enfuir ce vendredi avec mes chaussures à la main. Et il a même l’audace de les porter aujourd’hui. — Camarade Zhang, qu’avez-vous à dire pour votre défense ? Est-ce vrai ? Non ! Bien sûr que non, ce n’est pas vrai, pensait Zhang sans pouvoir parler. Comment pourrais-je courir avec mon pied gauche blessé ? Je ne courrai peut-être plus jamais ! Il avait passé toute la journée de la veille avec ses parents. Jamais Zhang n’avait été aussi humilié au cours d’une séance de critique. Il devait absolument se défendre. Mais comment ? S’il niait les faits, il serait probablement puni encore plus sévèrement que s’il avouait. 36


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— Oui, murmura-t-il. — Qu’avez-vous dit ? — Oui, répéta-t-il plus fort. J’ai bien commis cette offense. J’ai volontairement volé les chaussures du camarade Kim T’an Gong. — Et comment allez-vous corriger cette situation ? — Je vais lui rendre ce qui lui revient de droit et je promets de ne plus jamais succomber à une telle tentation à l’avenir… — Il s’agit d’une offense grave, Kim Zhang, l’interrompit M. Ahn. — J’en suis conscient, camarade. Je suis coupable. — Très bien. Rendez-lui les chaussures et je ne ferai pas de rapport. Zhang retira ses chaussures et marcha en chaussettes jusqu’à T’an Gong, qui évitait soigneusement son regard. T’an Gong ne méritait aucune compassion, même si quelqu’un avait peut-être volé sa seule paire de chaussures. Zhang lui tendit les chaussures, et au moment où T’an Gong allait les attraper, il les fit tomber par terre. Lorsque les deux garçons se penchèrent en même temps pour les ramasser, Zhang lui souffla : — Tu vas me le payer ! T’an Gong ne répondit rien. Il s’assit et enfila les chaussures. Elles étaient visiblement trop grandes pour lui. Les pavés froids sous ses pieds énervaient Zhang. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas marché pieds nus dans la rue, mais aujourd’hui, il n’avait pas le choix. Il ne pouvait pas se permettre d’abîmer ses chaussettes. — Quel sale coup ! fulminait Jin. Mais on les aura récupérées avant ce soir. Ça, je peux te le promettre. Même si on doit entrer par effraction chez lui. Zhang acquiesça. Entrer par effraction ? Ce n’est pas suffisant. T’an Gong méritait une bonne raclée. 37


— Tu devrais aller emprunter les chaussures de ton père et on ira faire un tour en montagne, continua Jin. Un quart d’heure plus tard, ils cherchaient de la nourriture sur la colline. L’automne allait bientôt arriver, mais pour le moment, les nombreux arbres étaient encore couverts de feuilles et l’herbe était bien verte. Le soleil donnait à tout le paysage un éclat magnifique. Zhang regarda l’herbe comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Comme de la nourriture. Les deux garçons s’étaient munis de paires de ciseaux pour pouvoir la couper. — On va d’abord remplir ton sac et ensuite on s’occupera du mien, d’accord ? — Ok, répliqua Zhang en se mettant au travail. Tout à coup, un vieux slogan lui revint en mémoire et il le prononça à voix haute : Nous faisons ce que le Parti décide. — Quoi ? Qu’est-ce que tu marmonnes ? demanda Jin. — Nous faisons ce que le Parti décide ! s’exclama Zhang. — Tout à fait, camarade ! Nous le faisons ! Qu’importe si nous devenons des balles et des bombes humaines ! Sans craindre la mort, protégeons notre Cher Dirigeant ! — Unis pour notre patrie ! — Cent batailles, cent victoires ! Zhang se redressa et leva le poing au ciel. — Un seul Coréen est aussi fort que cent de nos ennemis ! Jin se mit à chanter : — Les baïonnettes resplendissent, nos pas résonnent à travers les champs… Zhang se joignit à lui : — Nous sommes les soldats du Grand Général ! Qui peut nous arrêter ? Nous sommes l’armée du camarade Dirigeant ! 38


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— Voyons maintenant de quoi tu es capable petit soldat ! cria Jin. Il sauta sur son ami, le poussant dans l’herbe verte. — Attends un peu pour voir, répliqua Zhang en le repoussant. Jin était plus petit et plus rapide, mais il ne pouvait rivaliser avec la force de Zhang. Pendant plusieurs minutes, ils s’amusèrent à se battre dans l’herbe. — Ok, ok, c’est bon. Ça suffit ! haleta Jin. Après la lutte, ils restèrent tous les deux allongés dans l’herbe, reprenant leur souffle. — Je suis content que tu sois revenu de l’armée, Zhang. Tout ça m’avait manqué. — Moi aussi. Ils se turent un instant, puis Zhang demanda : — C’est comment Pyongyang ? — Ah ! Pyongyang, soupira Jin. Tu te rappelles combien de fois on a rêvé de cette ville ? Comme elle avait l’air extraordinaire quand on la voyait à la télé ? Eh bien, Pyongyang est encore bien plus belle que tout ce qu’on avait pu imaginer. Plus resplendissante que ce que la télé ne pourra jamais montrer. Les monuments, les rues, les parcs, le fleuve… Aucune ville au monde n’est comparable à Pyongyang. Les gens sont tous très bien habillés et on y voit des voitures tous les jours. Et puis il y a le métro. C’est une sorte de train qui passe sous terre et qui peut t’emmener très rapidement d’un bout à l’autre de la ville. Dans le métro, il y a une grande carte sur le mur. Les points te montrent les différents trajets du métro. Tu peux appuyer sur un bouton correspondant à ta destination et on t’indique le trajet à suivre. On te montre même quand tu dois changer de ligne. Les stations ressemblent à d’immenses salles voûtées, magnifiquement sculptées. Un escalier qui avance tout seul te fait descendre. Tu n’as même pas besoin de marcher. Tout en bas 39


de la station, de très belles statues de soldats ont été sculptées dans les murs. Et de l’autre côté, il y a d’immenses portraits de Kim Il-Sung. — J’aimerais tellement vivre là-bas, dans une belle maison, soupira Zhang. — Avec une voiture, ajouta Jin. — Avec une voiture, oui. C’est bien dommage que tu aies dû quitter l’Université Kim Il-Sung. Jin approuva. — Mes parents avaient besoin de moi. Je ne pouvais pas les laisser tomber. Et tu sais bien qu’une absence de plus de trois mois d’affilée entraîne un renvoi automatique de l’université. Et toi Zhang, qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? — Je vais travailler à la mine. Mon pied est suffisamment remis maintenant. Et je vais réfléchir à d’autres options parce que je n’ai plus du tout envie de vivre ici. Je voudrais travailler pour le Parti. Comme ça, je pourrais assurer un avenir meilleur à mes enfants. Peut-être que je pourrais travailler pour Kukga Bowibu, le ministre de la Sécurité nationale. — Tu peux toujours rêver mon vieux. Tes grands-parents t’ont définitivement privé de ce genre d’espoir quand ils ont essayé de s’enfuir avec les Américains vers le sud, pendant la guerre. Quelqu’un avec tes antécédents familiaux n’ira jamais bien loin dans le Parti. Zhang ne dit plus rien. Pourquoi est-ce qu’il avait fallu que ça tombe sur lui, cette balle dans le pied ? L’armée était sa seule chance de progresser dans l’échelle sociale. Le meilleur moyen pour lui de montrer au Parti de quoi il était capable. Maintenant, s’il voulait faire carrière, ce serait une lutte de tous les instants. Jin avait raison. Ses grands-parents avaient fui quand les Américains étaient entrés dans le pays en 1950. Ils avaient tenté de rejoindre l’occupant. Zhang avait honte de 40


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l’histoire de sa famille. Et puis il y avait son père, qui n’était pas un grand fan de la révolution. Un jour, ses critiques finiraient par lui être fatales, à lui et à toute sa famille. Zhang s’imagina, avec ses parents et sa sœur, debout sur le quai de la gare de Hamhung, avec chacun une valise à la main, attendant le train qui les emmènerait vers le camp de rééducation. Ce train partait une fois par semaine. Zhang l’avait aperçu plusieurs fois, quand il était en ville avec sa mère. — Les imbéciles, sifflait sa mère avec dédain. Avec un peu de chance, on ne les reverra jamais. Zhang secoua la tête. Quelle honte ! Quelle humiliation s’il devait un jour se tenir à cet endroit-là. Il se suiciderait sur le champ. — Allez viens ! On a encore plein d’herbe à ramasser, dit Jin en se relevant. Nous faisons ce que le Parti décide. Zhang suivit l’exemple de son ami. Il respira l’air frais et se remit à couper de l’herbe avec motivation. C’est ça le destin du peuple coréen ? C’est ça le rêve de Kim Il-Sung pour nous ? Zhang ferma les yeux et secoua la tête pour se débarrasser de ces pensées. Jin le remarqua. — Qu’est-ce qu’il y a ? — Rien. Deux heures plus tard, ils se rapprochaient des maisons pauvres et délabrées d’Unsung. Le soleil était bas sur l’horizon et n’éclairait plus que faiblement les petites bâtisses rectangulaires qui perdaient peu à peu toute leur couleur. Dans quelques minutes, il ferait complètement nuit. — Attends-moi là, ordonna Jin. — Qu’est-ce que tu vas faire ? — Récupérer tes chaussures, espèce d’idiot. Ne bouge pas. Je reviens dans quelques minutes. 41


Jin tourna au coin de la rue et Zhang le suivit de loin. Il frappa à la porte de la maison de T’an Gong. Peinte en blanc, avec un toit en tuiles orange, elle ressemblait à toutes les autres. La femme de T’an Gong ouvrit la porte. Jin lui dit quelque chose et, quelques secondes plus tard, T’an Gong se tenait dans l’entrée. Il dépassait Jin d’une bonne tête. Zhang vit T’an Gong gesticuler furieusement tandis que Jin se tenait là, les bras croisés. Soudain, sa femme tomba à genoux, implorant Jin qui l’ignora complètement. T’an Gong disparut dans la maison et revint avec les chaussures. Il inclina la tête et les donna à Jin. Jin ne lui rendit pas son salut en partant. Zhang en fut choqué : c’était d’une impolitesse extrême ! T’an Gong aida sa femme à se relever et ils disparurent tous deux dans la maison. L’air triomphant, Jin revint vers Zhang, les chaussures à la main. — Et voilà, camarade. Une nouvelle paire de chaussures. Zhang n’en revenait pas. — Comment diable as-tu réussi à faire ça ? Qu’est-ce que tu leur as dit ? — Eh bien… Tu sais combien je peux me montrer convaincant !

«  «  « Hea-Woo déposa avec soin les quatre bols de soupe sur la table en bois. Ce soir, mère s’était jointe à eux à table. — Je ne voudrais pas rater ce repas de fête, sourit-elle. — J’ai fait de mon mieux, murmura Hea-Woo. Ça n’a pas été facile. Zhang regardait par la fenêtre. Il aurait tout simplement dû voler du riz cet après-midi, si antipatriotique que cela soit. 42


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Kim Jong-Il lui aurait pardonné d’avoir voulu nourrir sa sœur décemment. — Ma fille chérie, nous avons reçu ce repas de la part de notre Cher Dirigeant. Comment cette soupe pourrait-elle ne pas nous satisfaire ? affirma mère. Eh bien, nous allons le remercier pour ce repas. Elle se leva tout doucement. Lorsqu’elle se mit à vaciller, père lui attrapa le coude juste à temps pour éviter qu’elle ne tombe. Elle s’appuya sur son épaule pour trouver son équilibre et étendit ensuite ses deux bras vers les portraits de Kim Il-Sung et Kim Jong-Il. — Nous vous remercions Cher Dirigeant pour ce repas et pour toutes les bonnes choses que vous nous donnez. Elle se rassit, soutenue par père. Sa figure toute pâle révélait sa vulnérabilité. Il n’y avait que ses yeux qui montraient encore un peu de force. Elle avait une telle volonté ! Rien ne pouvait détruire cette femme. Si ce n’est la maladie. — Bon appétit ! Elle se tourna vers père. — À toi aussi, vieux râleur. Les brins d’herbe flottaient dans le bouillon comme des vers sans vie. Père fut le premier à empoigner sa cuillère. Il la plongea dans l’étrange liquide et la porta à sa bouche. Il pesta : — Bah ! Dégoûtant ! Il se leva brusquement de table et envoya valser son bol. Sans un mot, il se dirigea vers le placard, se versa un verre de soju et l’avala d’une traite. Puis il sortit. — Je trouve cela plutôt bon, déclara mère en portant une seconde cuillerée à sa bouche. Zhang prit un peu de soupe. C’est vraiment salé ! Peut-être que la deuxième cuillerée aurait meilleur goût. Pas du tout. Que c’est amer ! Pendant combien de temps on va devoir manger ça ? 43


— Oui, délicieux, ajouta Hea-Woo. Il est clair que nous pouvons tenir longtemps avec ça. Elle n’était pas douée pour mentir. — Qu’en penses-tu, Zhang ? interrogea mère. Elle était tellement faible. Combien de temps pourrait-elle supporter un tel régime ? Il sourit. — Fantastique ! On sent combien c’est nourrissant. Mère avait terminé sa soupe. — Vous pouvez me raccompagner au lit ? Zhang et sa sœur l’aidèrent à s’allonger. Soudain, leur mère se mit à vomir. Elle rendit toute sa soupe et se mit à pleurer. — Ça va aller, mère, dit doucement Hea-Woo. Nous devons tous nous y habituer. Zhang serra les poings ; ses bras étaient tellement tendus qu’ils finirent par lui faire mal. Il devait rester calme et ne pas montrer combien il était en colère. Pourquoi cela leur arrivait-il à eux ?

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V E R M E E R

Inspiré de faits réels en Corée du Nord

JAN VERMEER

J A N

V E R M E E R

« Ce livre – à la fois tragique et porteur d’espérance – montre comment le Seigneur travaille au cœur de ce pays de ténèbres […] Je prie qu’en le lisant et par la grâce de Jésus, vous entendiez l’appel de Dieu. »

—FRÈRE

AND RÉ ,

Fondateur de Portes Ouvertes

L’avenir de Zhang dans l’armée nord-coréenne semble tout tracé. Il a 19 ans et toute la vie devant lui au service du régime. Mais, un jour, une famine vient bouleverser tous ses plans. Sa famille est contrainte de partir en Chine pour survivre. Zhang se résout finalement à les rejoindre et prend avec lui son meilleur ami. Là-bas, c’est le déclic : il sait qu’il a besoin de Christ. Il doit prendre une décision qui est sur le point de bouleverser son existence. Une décision qui le poussera même à revenir en Corée du Nord. Osera-t-il suivre Dieu dans les ténèbres les plus profondes de son pays d’origine ? JAN VERMEER

est journaliste. Il travaille pour Portes Ouvertes et a écrit de nombreux articles de journaux sur des pays tels que le Kosovo, l’Irak, Israël, la Chine ou la Corée du Nord. Son premier livre Ils étaient frères de sang s’inspire de personnes et de faits réels.

ISBN 978-2-9513368-7-2 9

782951

336872

ISBN 978-2-36249-437-6 9

782362

494376

14,00 €

Inspiré de faits réels en Corée du Nord PR ÉFAC E

DE

F R ÈR E

ANDR É


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