Dans quel cadre se vit cette liberté sur la voie publique, dans les lieux publics ? Ce manuel pratique guide tous ceux (individus, associations, Églises) qui veulent exprimer leurs convictions dans l’espace public : leurs droits, leurs devoirs, mais aussi les restrictions et les opportunités.
dans l’espace public Dans la rue, les lieux publics et en public
ISBN 978-2-36249-303-4
9 782362 493034
Libre de le dire dans l’espace public
La liberté religieuse ne se cantonne pas à la vie privée. Bien au contraire, la liberté d’expression implique par définition la possibilité de s’exprimer dans l’espace public et de diffuser ses convictions.
4,90 €
dans l’espace public
Libre de le dire dans l’espace public : Dans la rue, les lieux publics et en public • Cnef © 2015 • BLF Éditions Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France www.blfeditions.com Collection Libre de le dire • www.libredeledire.fr Édité sous la responsabilité du Cnef : Conseil national des évangéliques de France 123 Avenue du Maine • 75014 Paris • France www.lecnef.org • contact@lecnef.org • 01 43 21 12 78 Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Maquette : Jean Schott • www.studiozede.com Mise en page : BLF Éditions Impression n° XXXXX • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc ISBN 978-2-36249-303-4
broché
Dépôt légal 2e trimestre 2015 Index Dewey (CDD 23) : 261.72 Mots-clés : 1. Liberté religieuse. Laïcité. 2. Liberté de conscience et de culte. Liberté d’expression.
dans l’espace public Dans la rue, les lieux publics et en public
Sommaire • Introduction
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• Libre de le dire dans l’espace public : les grands principes
13
• Libre de le dire dans un État laïque
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• Libre de le dire par une activité ou un signe religieux
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?
Paroles de croyants
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5 clés pour être libre de le dire dans l’espace public
67
Libre de le dire dans l’espace public : vrai ou faux ?
75
6/
Introduction Dans l’espace public, des personnes aux convictions diverses, sur les plans culturel, politique, philosophique et religieux, se côtoient, interagissent et échangent. Si tous ne partagent évidemment pas les mêmes idées, la liberté d’opinion et d’expression demeure, en France, un droit précieux, commun à tous, garant du pluralisme nécessaire dans une société démocratique. De la libre circulation des idées, de la diversité des opinions et des convictions naissent la richesse dans l’échange et un esprit critique, mais tolérant à l’égard des autres. De fait, les croyants ne sont pas exclus de la libre expression de leurs convictions dans l’espace public. Les libertés de conscience, de pensée et de religion permettent la manifestation des convictions en public ou en privé, à titre individuel ou collectif. La liberté d’expression s’étend également aux convictions religieuses, celles qui transmettent des visions du monde où la transcendance tient une place particulière. Toutefois, la libre expression des convictions, qu’elles soient politiques, philosophiques ou religieuses, ne peut être accueillie dans l’espace public qu’à condition de respecter l’ordre public et les libertés de chacun. L’État français, dans sa mission de garant des libertés individuelles, doit veiller à cet équilibre en toute neutralité. L’État et ses services sont soumis au principe de laïcité et doivent traiter les administrés et les usagers sans discrimination. Comment, dès lors, exercer la liberté d’opinion et d’expression dans l’espace public au sein d’une République laïque ? Voici quelques clés pour trouver le juste équilibre.
Introduction
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Déclaration universelle des droits de l’homme (Nations Unies, 10 décembre 1948) Article 18 Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. Article 19 Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.
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Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (4 août 1789)
Article 10 Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. Article 11 La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
Introduction
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Mes convictions religieuses restent-elles à la maison, dans la sphère privée ? Vous ne laissez pas vos convictions derrière la porte de chez vous. Elles vous accompagnent dans l’espace public. Comme une partie intrinsèque de vous-même (comme le fait d’être parent ou originaire d’une région particulière), vos convictions religieuses vous suivent dans l’espace public. Leur expression est possible dans l’espace public, sous réserve du respect de l’ordre public et des libertés d’autrui. L’expression des convictions n’est en effet pas réservée à votre vie privée ou à votre cercle familial ou intime ni même au cercle de ceux qui partagent vos convictions. Exprimer ses convictions religieuses peut prendre diverses formes : parole, écrit, art, pratique, action sociale ou humanitaire, témoignage, enseignement, célébrations cultuelles, vêtements, rites, etc. Vous pouvez utiliser tous les supports de communication : conversation, livre, débat, chansons, expositions, conférences, presse, flyers, internet, films, radios, télé, spectacles, marches et manifestations, etc. L’expression peut être individuelle ou collective (en groupe, en association, etc.), avoir lieu en en public ou en privé. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme le prévoit expressément dans ses articles 9 et 10.
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Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (4 novembre 1950) Article 9. Liberté de pensée, de conscience et de religion 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
Introduction
Article 10. Liberté d’expression
1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
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Personne ne peut régir ce que vous pensez ou croyez dans votre for intérieur. Seule l’expression de vos convictions peut subir des restrictions, dans un cadre bien défini. Selon la CESDH, ces limites doivent être : 1. Prévues par la loi, 2. Nécessaires, 3. Proportionnées au but poursuivi, qui ne peut être que la sécurité publique, la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou la protection des droits et libertés d’autrui1, 4. Justifiées dans une société démocratique. La Cour européenne des droits de l’homme utilise ces critères pour déterminer si une restriction à la liberté d’exprimer ses convictions religieuses est justifiée ou non, en vertu de la liberté de pensée, de conscience et de religion et de la liberté d’expression selon le cas. L’espace public ne fait pas exception à ces principes. Rappelons que la liberté est le principe et que la restriction est l’exception. Ainsi pour instaurer une limitation à la liberté, l’État doit justifier d’un motif précis et légal, de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure décidée. Comme l’indiquent précisément les alinéas 2 des articles 9 et 10 de la CESDH.
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Libre de le dire dans l’espace public : les grands principes
L’espace public : une définition ?
Il n’existe pas de définition juridique générale de l’espace public. La définition actuelle la plus précise est établie à l’article 2 de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, pour les besoins de l’application de cette loi. L’espace public est ainsi constitué : 1. Des voies publiques (rues, routes et chaussées publiques), 2. Des lieux ouverts au public, que l’accès soit libre (plages, jardins, promenades publiques) ou soumis à condition, dans la mesure où toute personne qui le souhaite peut remplir cette condition2 (magasins, restaurants, théâtres, cinémas, etc.). Comme précisé par les circulaires d’application des 2 et 31 mars 2011 du ministère de l’Intérieur, relatives à la mise en œuvre de la loi n° 2010–1192.
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3. Des lieux affectés à un service public. Il s’agit des implantations des institutions, juridictions et administrations publiques ainsi que des organismes chargés d’une mission de service public. Ce sont, par exemple, les administrations de l’État et des collectivités territoriales, les préfectures, mairies, bureaux de poste, établissements d’enseignement, tribunaux, commissariats de police, brigades de gendarmerie, établissements de santé, musées, bibliothèques, stades et gymnases ainsi que les gares et transports collectifs. Cette définition met donc en contraste l’espace public et l’espace privé. Celui-ci est composé du domicile, des véhicules ou des lieux dont l’accès est réservé à une catégorie particulière de personnes, comme les chambres d’hôtel, les locaux d’une association ou d’une entreprise (sauf pour les parties dédiées à l’accueil du public). Cette définition s’appuie essentiellement sur le critère factuel de l’ouverture du lieu au public, indifféremment de la nature de la personne propriétaire du lieu. Elle est particulière à la loi de 2010 qui s’appuie sur un motif de sécurité publique.
L’espace public : une définition ?
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D’une manière plus générale, en abordant la notion d’espace public, précisons : 1. La distinction de fait entre espace ouvert au public et espace privatif,
2. La distinction personnelle entre la vie privée des individus (le cercle familial et intime) et la vie publique (vie en société, médias, politique),
3. La distinction liée à la nature des sujets de droit, personnes morales de droit public (État, collectivités publiques, et leurs établissements publics) et agents publics ou personnes assurant un service public d’un côté, et personnes privées (individus et personnes morales de droit privé) de l’autre.
Sauf motif d’ordre public et respect des droits d’autrui, l’expression des convictions, notamment religieuses, est largement permise dans l’espace public, puisqu’elle n’est pas réservée à la vie privée des individus ni aux espaces privatifs. Dans l’espace public, la liberté d’expression des convictions est le principe pour les individus et les personnes morales de droit privé. Les agents de l’État et des collectivités publiques, et de leurs établissements, ainsi que les personnes qui assurent le service public sont, quant à eux, soumis à un devoir de réserve en application du principe de laïcité.
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L’ordre public : que recouvre-t-il et qui le protège ? La notion juridique d’ordre public rejoint traditionnellement celle du sens commun. Il s’agit premièrement d’assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques3 ». La sécurité publique recouvre donc la prévention des risques d’accidents, de dommages aux personnes et aux biens. La tranquillité publique consiste à préserver le « calme des citoyens » par la lutte contre les nuisances sonores, les tapages nocturnes ou contre les troubles liés au déroulement de manifestations par exemple. La salubrité publique couvre la prévention des risques en matière d’hygiène et de santé publique. La police administrative se définit comme « activité spécifique de prescription, consistant à règlementer les activités privées en vue du maintien de l’ordre public dans le respect des libertés individuelles4 ». Le Premier ministre dispose du pouvoir de police administrative au niveau national, le préfet et le maire5 au niveau local. Certaines autorités administratives indépendantes disposent d’un pouvoir de police spéciale, comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel, par exemple.
Loi du 5 avril 1884, puis code général des collectivités territoriales (CGCT), article L.2212–2.
3
Agathe Van Lang et all., Dictionnaire de droit administratif, 3e éd., Paris : Armand Colin, 2005.
4
L’article L.2212–2 du Code général des collectivités territoriales rappelle les différents pouvoirs de police du maire qui doit assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.
5
L’espace public : une définition ?
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Les autorités disposent du pouvoir de police administrative générale ou spéciale et peuvent, selon leurs compétences, restreindre certaines libertés pour préserver l’ordre public. Les mesures de police, prises « pour des exigences d’ordre public », « doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées6 ». Le juge administratif contrôle l’application de ces critères a posteriori en cas de contentieux, particulièrement en cas d’interdiction générale et absolue. Les mesures de police doivent en effet ménager, autant que faire se peut, l’espace maximal à l’exercice de la liberté, l’interdiction ou la restriction demeurant l’exception. Aujourd’hui, la notion d’ordre public7 comprend également le respect de la dignité humaine8. L’ordre public9, qui était, à l’origine, nécessairement « matériel et extérieur » a connu un certain renouveau, notamment suite à la décision du Conseil constitutionnel évoquant « les exigences minimales de la vie en société ». Et ce, à l’occasion de la loi de 2010 interdisant la dissimulation du
La jurisprudence « Benjamin » est donc toujours d’actualité. Cf. CE, 19 mai 1933, Recueil, p. 541 ; D. 1933, 3, p. 354, conclusion Michel : S. 1934, 3, p. 1, concl., note A. Mestre.
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S’agissant de la moralité publique, la jurisprudence a largement évolué pour n’en retenir aujourd’hui qu’une notion restrictive. Ne préjugeant pas de ce qui est « immoral » ou non, la jurisprudence exige l’existence soit d’un risque de troubles sérieux en matière de sécurité publique , soit de circonstances locales particulières, pour accepter des mesures prises sur le fondement de l’ordre public moral. Conseil d’État, 18 décembre 1959, Société les films Lutetia ; 8 avril 1998, n° 165034.
7
Arrêt d’Assemblée du Conseil d’État en date du 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge.
8
Jurisprudence Dieudonné, CEDH, gde ch., 1er juill. 2014, n° 43835/11, SAS c. France, sur l’ordre public économique, question prioritaire de constitutionnalité, n° 2012–280, du 12 octobre 2012.
9
18 / visage dans l’espace public10 puis à l’affaire Dieudonné en 201411. L’évolution de cette notion nécessite une certaine vigilance comme le soulignent certains auteurs.
Pierre-Henri Prélot, Francis Messner (dir.), Dictionnaire du Droit des religions (Paris : CNRS, 2010, p. 540, 541) En revanche, lorsqu’une pratique ou une activité – qu’elle soit religieuse ou non – s’inscrit en contradiction avec les sentiments ou les valeurs sociales dominants, alors, l’invocation de l’ordre public constitue un moyen privilégié d’y faire obstacle […] Le risque est donc réel qu’à travers l’ordre public, ce soit en réalité une certaine conception de l’organisation sociale et des rapports interindividuels, ou en-
Le Conseil constitutionnel a confirmé cette évolution dans sa décision du 7 octobre 2010 relative à la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public n° 2010–613 DC.
10
CE, ord. du 9 janv. 2014, n° 374508, Min. Intérieur c. Sté Les Productions de la Plume et Dieudonné M’bala M’bala. Ce développement vers un ordre public immatériel, lié sans doute au cas d’espèce de l’affaire Dieudonné, ne devrait pas se confirmer (comme l’indique la décision du Conseil d’État : CE, ord. du 6 février 2015, n° 387726, Commune de Cournon d’Auvergne). À défaut, certains auteurs craignent le développement d’un certain ordre public moral. Cf. Gweltaz Éveillard, « Le Conseil d’État et l’affaire Dieudonné », revue Droit administratif, n° 5, mai 2014, comm. 33, p. 43. Certains auteurs mettent en garde contre une possible utilisation dévoyée de l’ordre public dans sa dimension morale.
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L’espace public : une définition ?
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core de la personne humaine et de son autonomie – on pense ici aux choix en matière bioéthique – et donc finalement une certaine morale normative, que le système juridique prétende imposer à tous dans des domaines (vie privée, religion, mariage, famille, libre disposition de soi) qui relèvent d’abord et avant tout de la conscience libre.
Libre de tout dire, non ? Comment respecter les droits d’autrui ? Comme dit l’adage « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres ». Si l’autre dispose d’un droit égal au mien au respect de sa liberté de conscience et d’expression, de sa vie privée, de sa réputation, du secret des correspondances, de sa dignité humaine, de son droit d’auteur, du droit à la présomption d’innocence, etc., je devrai répondre des abus de l’usage de ma propre liberté à son égard. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen l’exprime ainsi : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. » La loi française établit ainsi des cas dans lesquels la liberté d’expression peut être limitée et sanctionnée.
20 / La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime plusieurs infractions qui ne concernent pas uniquement les organes de presse et leurs agents, mais toute personne qui s’exprime publiquement, de façon orale ou par écrit. Il s’agit notamment des délits12 de :
• Provocation aux crimes et délits, notamment à la haine ou à la violence ou à la discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap, à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (art. 24). • Contestation d’un crime contre l’humanité (art. 24 bis). • Diffamation : toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé (art. 32). • Injure publique (art. 33).
Plusieurs articles traitent de cas divers : respect de la présomption d’innocence (art. 35ter et quarter), du secret de l’instruction (art. 38), du secret de la filiation des personnes adoptées (art. 39 quarter), du secret de l’identité des personnes victimes d’agressions sexuelles (art. 39 quinquies), ou des agents travaillant dans certains services de sécurité de l’État (art. 39 sexies). L’article 41 prévoit en outre une immunité qui couvre les débats parlementaires et leurs retranscriptions, ainsi que les débats judiciaires s’agissant de l’outrage, l’injure et la diffamation dans certaines circonstances.
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L’espace public : une définition ?
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Le respect de la vie privée13 des personnes interdit également la communication d’images ou d’informations privées sans l’accord des personnes. Le droit d’auteur14 protège celui-ci contre toute reproduction d’œuvres de l’esprit sans son accord, sauf exception (citation, parodie, etc.). La jurisprudence et le développement de la notion de « discours de haine15 » soulèvent régulièrement les difficultés inhérentes à l’appréciation des limites. Doit-on prendre en compte les sentiments ou le ressenti des personnes ou des groupes visés par les paroles, textes, images ou chants incriminés ? Ou doit-on juger à partir des conséquences tangibles, objectives sur l’ordre public, sur la violence réellement engendrée ? Pourquoi tolérer les opinions minoritaires ou majoritaires qui « heurtent, choquent ou inquiètent » une partie de la population ? Qu’en est-il lorsque des croyants manifestent pour une éthique familiale fondée sur l’union d’un homme et d’une femme ? Ou que des journaux publient des textes ou des dessins critiquant les religions ? Où s’arrête la liberté de dire ce que l’on pense ? Comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’homme, le droit à la libre expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quel Code civil, art. 9.
13
Code de la propriété intellectuelle, art. L.122–1 et suivants.
14
15
Sur le discours de haine, cf. Paul Coleman, Censored : How european « hate speech » laws are threatening freedom of speech, Vienne : Kairos Publications, 2012.
22 / conque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique16 ». En effet, le délit d’opinion serait incompatible avec les valeurs de la société démocratique, dans laquelle, par définition, coexistent de multiples conceptions du bien. Comme le disait Voltaire, « le droit de parler prime sur le contenu des opinions exprimées ». La libre circulation des idées, opinions courantes ou dissidentes, est nécessaire, sous la seule interdiction du recours à la violence, qu’elle soit physique et directe ou qu’elle prenne la forme d’une violation d’un droit fondamental. Dans l’espace public, la liberté d’expression reste première. Les opinions doivent pouvoir circuler librement, pour permettre le débat d’idées, pluraliste et démocratique. La loi instaure des infractions spécifiques. Ce faisant, elle ne protège pas les idées en tant que telles, mais bien les personnes et le droit de chacun d’exprimer ses opinions. Cela vaut également pour les convictions religieuses, par exemple lorsqu’il s’agit de l’éthique familiale, sexuelle, économique ou éducative. Dans cet équilibre entre les droits de chacun, la loi établit, parallèlement à la répression des délits d’abus de la liberté d’expression, le délit d’entrave à la liberté d’expression.
Cour EDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, op. cit., § 49.
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L’espace public : une définition ?
Code pénal, Art. 431–1 : entrave à la liberté d’expression
Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation ou d’entraver le déroulement des débats d’une assemblée parlementaire ou d’un organe délibérant d’une collectivité territoriale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code, l’exercice d’une des libertés visées à l’alinéa précédent est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
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Libre de le dire dans un État laïque Jean Picq17, La liberté de religion dans la République : l’esprit de laïcité (Paris : Odile Jacob, mai 2014) La laïcité est, avant toute chose, la reconnaissance d’un espace public pluraliste dans lequel coexistent et s’affrontent des convictions philosophiques et religieuses. Cela signifie qu’aucune d’entre elles, fût-elle majoritaire, ne peut prétendre obturer l’espace à elle seule. Car la laïcité, ce n’est pas d’établir une nouvelle religion laïque, qui proscrirait toute religion, c’est permettre à toutes les religions sans
Magistrat à la Cour des comptes, professeur à Sciences Po, Paris.
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exception (y compris donc aux fidèles d’une religion « laïque ») de vivre dans l’espace public et d’y faire entendre leur voix dans le respect de l’ordre public et des règles du débat démocratique.
Puis-je exprimer mes convictions religieuses dans l’espace public alors que la France est un État laïque ?
Constitution française du 4 octobre 1958 Art. 1 (extrait) La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.
Libre de le dire dans un État laïque
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Si la République française est laïque, c’est-à-dire astreinte à la neutralité religieuse, les individus et les personnes privées ne le sont pas. Le champ d’application de la laïcité se limite à l’État, aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics et aux personnes morales de droit public ainsi qu’à leurs agents et aux personnes morales de droit privé, chargées d’une mission de service public et à leurs personnels. Si la société française peut être attachée au principe de laïcité comme une valeur saine pour le vivre ensemble18, elle reste, par définition, plurielle quant aux croyances des individus et des groupes qui la composent. Il y a donc une différence entre la neutralité religieuse imposée aux personnes qui exercent une activité dans la fonction publique ou dans un service public et la liberté des citoyens de manifester leurs convictions religieuses, notamment dans l’espace public. Au sein du service public, on distinguera donc les agents ou personnels affectés au service public, soumis à la laïcité, et les usagers du service public, en principe libres d’exprimer leurs opinions, sauf exception prévue par la loi.
Dans le Rapport public 2004 : jurisprudence et avis de 2003. Un siècle de laïcité, le Conseil d’État indique que le principe de laïcité repose sur trois piliers : la neutralité de l’État vis-à-vis des cultes, la liberté religieuse et le pluralisme (cf. p. 272, 1.4 : les différents aspects de la laïcité).
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Émile Poulat19, Notre laïcité ou les religions dans l’espace public (Paris : Desclée De Brouwer, 2014) L’espace public n’est pas « neutre » de convictions. Le terme est mal choisi. Il abstrait trop la question. Les acteurs de la laïcité peuvent faire valoir leurs convictions et divergences dans l’espace pour tous qu’est la laïcité. Elle est aussi, en ce sens, un lieu de communication. (p. 58) Nous sommes dans un temps de laïcité libérale. Personne ne remet en cause la liberté de conscience. Dans le régime de laïcité, l’expression publique de la foi personnelle peut avoir lieu. L’espace public n’est donc pas si neutre que cela, pourvu que les pouvoirs publics aient donné leur accord pour manifester, par exemple. L’espace public est commun. (p. 70) La laïcité est inclusive : elle laisse de la place au soleil à tous. (p. 73)
Sociologue, historien et juriste.
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Dans le service public, quand je suis usager, suis-je libre de le dire ? Les usagers des services publics n’abandonnent pas leurs convictions religieuses en poussant la porte du service public. Ils conservent au sein du service leur droit à la liberté de conscience et d’expression. Ils peuvent notamment porter un signe d’appartenance religieuse, si cela ne contrevient pas au bon fonctionnement du service. Par exemple, un hôpital ne peut exiger que les usagers ne portent pas de signes d’appartenance religieuse pour avoir accès aux soins. Si le personnel de l’hôpital est astreint à la neutralité religieuse, les usagers ne le sont pas20. Il en va de même dans les lieux publics servant de bureaux de vote. Les citoyens sont libres de porter un signe d’appartenance religieuse lorsqu’ils accomplissent leur devoir de citoyen et vont voter21. Néanmoins, les usagers doivent tenir compte de la spécificité du service public et des nécessités de celui-ci. Le service public accueille toutes les personnes, En mars 2015, l’hôpital de Villeneuve Saint-Georges a dû retirer une affichette apposée à l’entrée de l’établissement qui demandait aux patients de ne pas porter de signe religieux. Cette affichette était contraire au principe de laïcité. Article disponible en ligne sur le site du journal Libération. URL : http:// www.liberation.fr/societe/2015/03/25/a-villeneuve-saint-george-l-hopital-demande-aux-patients-dene-pas-afficher-leur-religion_1228205 (consulté le 16 avril 2015).
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Une plainte pour discrimination dans l’accès à un lieu public a été déposée par un rabbin de Toulouse auprès du tribunal de grande instance de Toulouse, car un membre du bureau électoral l’avait sommé de retirer sa kippa pour pouvoir voter lors des élections départementales d’avril 2015. Article disponible en ligne sur le site du Nouvel Obs. URL : <tempsreel.nouvelobs.com/societe/20150327.OBS5792/lerabbin-de-toulouse-empeche-de-voter-pour-port-de-kippa.html> (consulté le 16 avril 2015).
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30 / sans distinction, notamment religieuse. Il convient donc que les usagers soient à même de vivre la diversité au sein du service public, en côtoyant les autres usagers dans un égal respect. Ainsi, s’ils peuvent exprimer leurs convictions dans leurs échanges, par exemple, cela ne doit pas porter atteinte à la liberté des autres usagers ni susciter une contrainte. Dans le cadre de l’accueil de la diversité, la tolérance réciproque induit un respect mutuel. Les agents du service public, astreints à la laïcité, mais également aux règles générales de bon fonctionnement du service, ne peuvent tenir compte de toutes les particularités des usagers. S’ils s’efforcent de prendre en considération chaque personne pour lui rendre le service attendu dans les meilleures conditions, ils ne sont pas obligés de répondre à toutes les exigences. Il s’agit en effet de conserver l’efficacité du service pour le bien de tous. Afin d’assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hôpitaux, asiles et prisons, des services d’aumôneries sont mis en place et financés par l’État aux termes de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905. Les usagers peuvent ainsi exercer leur liberté de culte dans ces lieux dits « d’enfermement ».
Libre de le dire dans un État laïque
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Charte de la laïcité dans les services publics22 (extraits) La liberté de religion ou de conviction ne peut recevoir d’autres limitations que celles qui sont nécessaires au respect du pluralisme religieux, à la protection des droits et libertés d’autrui, aux impératifs de l’ordre public et au maintien de la paix civile. La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes dans les conditions fixées par la loi du 9 décembre 1905. Les usagers du service public Tous les usagers sont égaux devant le service public. Les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène.
Circulaire du Premier ministre, n° 5209/SG du 13 avril 2007 relative à la Charte de la laïcité dans les services publics.
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Les usagers des services publics doivent s’abstenir de toute forme de prosélytisme23. Les usagers des services publics ne peuvent récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public. Cependant, le service s’efforce de prendre en considération les convictions des usagers dans le respect des règles auquel il est soumis et de son bon fonctionnement. Lorsque la vérification de l’identité est nécessaire, les usagers doivent se conformer aux obligations qui en découlent. Les usagers accueillis à temps complet dans un service public, notamment au sein d’établissements médico-sociaux, hospitaliers ou pénitentiaires ont droit au respect de leurs croyances et peuvent participer à l’exercice de leur culte, sous réserve des contraintes découlant des nécessités du bon fonctionnement du service.
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Le terme de « prosélytisme » n’est sans doute pas approprié. Les usagers conservent en effet leur liberté d’expression et de religion, notamment par le port des signes d’appartenance religieuse. Ils peuvent parler de leurs convictions aux autres usagers, dans la mesure où ils n’abusent pas de leurs droits au détriment de ceux des autres. Il aurait été plus heureux d’utiliser le terme de « prosélytisme abusif » en référence à la jurisprudence de la CESDH ou d’ajouter à l’alinéa précédent « du respect des libertés des autres usagers » à l’énumération des limites dans lesquelles peuvent s’exprimer les convictions religieuses.
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Ai-je le droit de témoigner de mes convictions dans l’espace public pour convaincre les autres (j’ai peur qu’on m’accuse de prosélytisme) ?
Cour européenne des droits de l’homme, Affaire Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993 Telle que la protège l’article 9, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société. Si la liberté religieuse relève d’abord du for intérieur, elle « implique » de surcroît, notamment, celle de « manifester sa religion ». Le témoi-
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gnage, en paroles et en actes, se trouve lié à l’existence de convictions religieuses. Aux termes de l’article 9, la liberté de manifester sa religion ne s’exerce pas uniquement de manière collective, « en public » et dans le cercle de ceux dont on partage la foi : on peut aussi s’en prévaloir « individuellement » et « en privé » ; en outre, elle comporte en principe le droit d’essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d’un « enseignement », sans quoi du reste « la liberté de changer de religion ou de conviction », consacrée par l’article 9, risquerait de demeurer lettre morte.
Vous êtes libre de répandre vos convictions par tous moyens, dans la mesure où vous respectez la liberté de conscience et d’expression des autres et l’ordre public. Vous avez même le droit de tenter de convaincre votre prochain, à condition de respecter sa liberté de tenter de vous convaincre à son tour ou de ne pas vous écouter. S’il est normal de débattre et de vouloir convaincre de ses idées, il est interdit d’abuser de la liberté d’expression pour contraindre quelqu’un à adhérer à sa cause, qu’elle soit religieuse, politique, philosophique ou idéologique. Le prosélytisme (le fait de tenter de convaincre autrui d’adhérer à ses idées) n’est pas fautif en lui-même. Il s’exerce d’ailleurs de manière générale partout
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où il y a débat. C’est le comportement abusif qui pourrait l’accompagner qui peut être sanctionné. Exposer les convictions et opinions religieuses dans l’espace public n’est ainsi contraire ni à la laïcité ni à la démocratie. Cette communication permet l’exercice d’un des droits les plus fondamentaux : celui de changer d’opinion ou de convictions. Car, sans exposition publique à la diversité des opinions et des religions, la liberté de changer d’opinions ou de religion ne pourrait s’exercer. Ainsi, à l’instar des autres opinions, il est permis d’exprimer ses convictions religieuses sur la voie publique, par exemple, en parlant aux personnes dans la rue, en distribuant des imprimés sur un marché, en manifestant, en chantant, etc., pour autant que l’on respecte l’ordre public et la liberté des passants d’écouter ou non, de refuser, de critiquer, d’adhérer ou de passer leur chemin.
L’expression des convictions religieuses est légitime à condition qu’elle respecte les libertés des personnes ciblées : 1. Liberté de circulation : la personne ne doit pas être forcée d’assister à un événement, d’écouter un discours, de s’arrêter pour recevoir un tract. Elle doit pouvoir choisir de partir ou d’interrompre l’entretien et ne doit en aucun cas être captive.
2. Liberté d'opinion : la personne doit conserver à tout moment son
libre-arbitre, et donc être à l’abri de toute manipulation ou lavage de cerveau, de tout chantage, de tout endoctrinement ou conditionnement,
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3. Liberté d'expression : la personne doit pouvoir exprimer son
désaccord et ne peut donc être réduite au silence. L’échange, la critique et le débat doivent toujours être possibles.
4. Liberté d'éducation : s’agissant des mineurs, les enfants et adoles-
cents sont soumis à l’autorité parentale en ce qui concerne l’exercice de leur liberté de religion. Les parents doivent les guider dans leur choix de convictions, en tenant compte de leur maturité24. Il est important que les parents soient informés et autorisent toute démarche de tiers vis-à-vis de leurs enfants dans le domaine religieux.
5. Liberté d'association : la personne doit rester libre d’adhérer ou de refuser d’adhérer à une association culturelle ou cultuelle ; cela relève de sa liberté contractuelle qui nécessite un consentement libre et éclairé25.
6. Protection de la vie privée : la personne ne doit pas subir d’at-
teinte à sa vie privée26. Elle bénéficie du droit à l’image, du droit à l’intimité de son domicile. Elle est libre de répondre ou non aux questions personnelles qu’on lui pose, etc.
Code civil, art. 371–1 et suivants ; Convention internationale des droits de l’enfant (ONU, 20 novembre 1989), art. 14.
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Art. 1 de la loi du 1er juillet 1901 ; Code civil, art. 1109 et suivants, pour les associations cultuelles : art. 31 de la loi du 9 décembre 1905.
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Code civil, art. 9.
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7. Protection de sa propriété privée27 : la personne doit décider librement de donner ou non lors de sollicitations ou d’appels aux dons pour une association.
Cour européenne des droits de l'homme Affaire Larissis et autres c. Grèce, 24 février 1998 La Cour souligne d’emblée que si la liberté religieuse relève d’abord du for intérieur, elle implique de surcroît, notamment, celle de « manifester sa religion », y compris le droit d’essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d’un « enseignement ». L’article 9 ne protège toutefois pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une croyance. Ainsi, il ne protège pas le prosélytisme de mauvais aloi, tel qu’une activité offrant des avantages matériels ou sociaux ou l’exercice d’une pression abusive en vue d’obtenir des adhésions à une Église.
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Code civil, art. 544 ; pour les associations cultuelles : art. 31 de la loi du 9 décembre 1905.
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Puis-je témoigner de mes convictions à des personnes d’autres religions ? La liberté de pensée, de conscience et de religion n’attache pas les convictions religieuses à une appartenance nationale, ethnique ou familiale, ou à un groupe de personnes. Elle considère que les convictions peuvent relever d’un choix personnel. Ce choix n’est pas définitif, mais peut évoluer au cours de la vie de l’individu. Le pluralisme n’est donc pas uniquement la diversité des religions ou des croyances au sein de la société, mais aussi la diversité des convictions religieuses au cours de la vie d’un individu. Chacun est ainsi libre de changer de convictions au gré des informations reçues, expériences et rencontres vécues tout au long de sa vie. Le « droit de changer de religion ou de convictions » est expressément mentionné par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et figure également à l’article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU. La Cour européenne des droits de l’homme a rappelé que la liberté de manifester sa religion ne s’exerce pas uniquement « dans le cercle de ceux dont on partage la foi ». Elle peut s’exercer vis-à-vis des personnes d’autres religions ou convictions. Témoigner de ses convictions auprès des personnes d’autres religions est donc tout à fait permis. Sur la scène internationale, le droit de changer de religion ou de convictions est d’ailleurs souvent invoqué comme un droit précieux, fragile et souvent menacé par les États autoritaires.
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La liberté de pensée, de conscience et de religion ne prévoit pas que les fidèles d’une religion soient « enfermés dans une bulle » ou vivent « en vase clos ». Les fidèles d’une religion peuvent tout à fait être confrontés à d’autres opinions, visions du monde ou croyance. Face à l’annonce d’une nouvelle façon de croire par des tiers, les fidèles d’une religion réagiront d’ailleurs tous différemment : indifférence, renforcement de leurs propres convictions ou bien début de remise en question vers un changement de convictions. Ce choix reste entièrement personnel.
Dans une république laïque, le débat public peut-il accueillir les opinions fondées sur des convictions religieuses ? En politique ? Dans les médias ? Philippe Portier28, entretien dans le journal La Croix du 12 mars 2015 (extrait) Conformément à la loi de 1905, les pouvoirs publics accordent aux religions un droit de cité dans l’espace public. Mais, de l’espace public social, elles sont souvent invitées Sociologue, directeur d’études à l’École pratique des hautes études et directeur du groupe Sociétés, Religions, Laïcités.
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à intervenir dans l’espace public politique, y compris dans le processus d’élaboration de la norme. On le voit dans les différentes consultations législatives où les religions sont convoquées au titre des acteurs de la société civile, mais aussi comme acteurs susceptibles d’avoir une véritable expertise, notamment sur les domaines éthiques. Étudiant actuellement les grandes métropoles régionales, je suis aussi frappé par la place accordée aux religions dans la mise en œuvre du lien social à travers les activités culturelles ou sociales ou pour répondre aux difficultés de l’État providence.
Le débat public est, par excellence, l’espace de confrontation des opinions. S’y affrontent les idéaux, les valeurs, les visions du monde, les méthodes, les projets et les ambitions de chaque protagoniste. La République (la « chose publique ») intéresse chaque citoyen, quelles que soient ses origines, ses convictions religieuses, ses idées politiques ou philosophiques, son identité ou son orientation sexuelle.
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Par conséquent, le débat public se veut un espace de communication ouvert à tous. C’est un espace où personne n’impose, mais où chacun expose sa manière de penser, de croire ou de vivre, avec l’éclairage de son histoire, son vécu et sa perception du monde. Les croyants, tout comme les athées, les agnostiques ou les indécis, peuvent exprimer leurs opinions sur les grandes questions de société, avec cet apport particulier de leurs convictions intimes. C’est donc au titre de leur appartenance à la société civile que les croyants peuvent, comme d’autres acteurs du corps social, participer activement au débat public. Un double mouvement se met ainsi en place : le citoyen s’exprime sur les questions de société, avec l’arrière-plan de ses convictions religieuses, alors que la classe politique consulte les différents acteurs de la société civile, parmi lesquels les représentants des confessions religieuses. En écoutant l’avis de tous, la République obéit ainsi à la règle démocratique qui prend en compte le pluralisme. Elle n’enfreint pas le principe de laïcité, mais au contraire le fait vivre. Ayant pris acte du débat public ouvert à tous et de ses conclusions, le Parlement prend ensuite une décision, après débats et votes, en faveur de ce qu’il estime être le bien commun. Les convictions religieuses n’occupent pas de place particulière dans ce processus, elles sont une donnée parmi tant d’autres.
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Jean Picq, La liberté de religion dans la République : l’esprit de laïcité (Paris : Odile Jacob, mai 2014, p. 20) L’exigence éthique qui surgit de plus en plus dans l’espace public répond au souci de pouvoir mieux apprécier et juger en conscience des choix essentiels – qu’ils soient individuels, professionnels ou collectifs – qui s’offrent à nous. Dès lors, sur toutes les questions qui touchent à la vie et à la mort mais aussi sur beaucoup d’autres comme l’accueil de l’étranger et le droit d’asile, la solidarité à l’égard des plus démunis, le rôle de la famille, le respect de la création et la protection de l’environnement, le citoyen désireux de participer à la vie de la cité peut difficilement faire abstraction de ses convictions philosophiques ou religieuses et les taire sous prétexte que l’espace public exigerait la neutralité.
Dans quel cadre se vit cette liberté sur la voie publique, dans les lieux publics ? Ce manuel pratique guide tous ceux (individus, associations, Églises) qui veulent exprimer leurs convictions dans l’espace public : leurs droits, leurs devoirs, mais aussi les restrictions et les opportunités.
dans l’espace public Dans la rue, les lieux publics et en public
ISBN 978-2-36249-303-4
9 782362 493034
Libre de le dire dans l’espace public
La liberté religieuse ne se cantonne pas à la vie privée. Bien au contraire, la liberté d’expression implique par définition la possibilité de s’exprimer dans l’espace public et de diffuser ses convictions.
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