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Rahab
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Ruth
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Marie
Cinq femmes choisies par Dieu. Chacune eut à relever des défis extraordinaires. Chacune prit de grands risques personnels pour répondre à son appel. Chacune fut destinée à jouer un rôle clé dans la généalogie de Jésus-Christ, le Sauveur du monde. Francine Rivers, fidèle à l’Écriture, donne vie à ces femmes, et les amène à nous parler d’une façon nouvelle et bouleversante.
9 782910 246020 ISBN 978-2-910246-02-0
RIVERS
Dans ce livre, vous découvrirez Marie. Cette humble jeune fille répondit à Dieu par une obéissance tout simple et porta en son sein le Messie tant attendu. Elle ignorait toutefois que cette lourde tâche briserait son cœur et changerait la face du monde à tout jamais.
LA LIGNÉ E DE L A GRÂCE
Tamar
Marie Une femme d’ obéissance
La lignée de la grâce
Tamar
Rahab
Ruth
Bath-Chéba
Marie
Marie Une femme d’ obéissance F R A N C I N E
R I V E R S
Marie Une femme d’ obÊissance
L A
Tamar
L I G N É E •
Rahab
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D E
Ruth
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G R Â C E
Bath-Chéba
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Marie
Marie Une femme d’ obéissance
F R A N C I N E
R I V E R S
Éditions BLF • Rue de Maubeuge 59164 Marpent • France
Marie, une femme d'obéissance Édition originale publiée en langue anglaise sous le titre : Unafraid • Francine Rivers © 2001 Francine Rivers Traduit et publié avec permission. Tous droits réservés. Édition en langue française : Marie, une femme d'obéissance • Francine Rivers © 2002 BLF Europe • Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés. Traduction : Sabine Bastin Impression nº 93591 • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc Sauf mentions contraires, les citations bibliques sont extraites de la Bible du Semeur. Texte copyright © 2000 Société Biblique Internationale. Avec permission. ISBN 978-2-910246-02-0 Dépot légal 3e trimestre 2012 Index Dewey (CDD) : 220.922 Mots-clés : 1. Bible. Nouveau Testament. 2. Femmes dans la Bible. Biographie. Marie. 3. Fiction.
J
e dĂŠdie ce roman Ă Jane Jordan Browne, une femme de foi.
Rick, merci pour nos rencontres quotidiennes de prière et de discussion. Ces moments me sont précieux et donnent le ton au reste de la journée. Merci aussi d’avoir partagé ton bureau, entretenu le feu les matins d’hiver, moulu le café et marqué une pause dans le rythme effréné de tes propres responsabilités professionnelles pour prendre le temps de m’écouter. Merci à Jane Jordan Browne pour son amitié et ses encouragements constants au fil des années. J’ai toujours pu compter sur toi. Merci à Scott Mendel pour son aide continue. Au cours de la rédaction de ces cinq romans, de nombreuses questions se sont posées. Tu as toujours veillé à y répondre rapidement par des informations précieuses. Merci à Jeffrey Essmann pour m’avoir transmis des informations historiques, des sources, des adresses internet et des réflexions sur Marie.
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Marie
Merci à Peggy Lynch, ma chère amie et sœur en Christ. Tu es une bénédiction pour moi depuis le jour de notre rencontre. Tu as toujours soulevé la lampe de la Parole de Dieu devant moi et ta vie demeure un témoignage vivant de foi. Je sais que les études bibliques que tu as composées pour accompagner ces romans seront une bénédiction pour tous les lecteurs qui les utiliseront. Je remercie particulièrement Rick Hahn, pasteur de l’église de Sebastopol. J’ai toujours su qui appeler pour retrouver la référence d’un passage biblique qui m’occupait l’esprit. Merci à Kitty Briggs pour avoir partagé ses informations sur Marie. Et merci particulièrement à Gary et Patti LeDonne qui ont médité sur le sujet avec moi. Merci à Peter Kiep d’Interfaith Books à Santa Rosa pour m’avoir indiqué des ouvrages de référence intéressants et avoir partagé avec moi ses réflexions sur Marie. Merci à Kathy Olson pour avoir peaufiné les manuscrits et pour sa passion des Écritures. Merci aussi à tout le personnel de Tyndale, qui poursuit la mission initiée par Kenneth Taylor à la gloire de Dieu. Au fil des années, j’ai été bénie au sein de votre équipe. Le Seigneur m’a bénie à travers chacun de vous. Que ces bénédictions rejaillissent sur vous au centuple.
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introduction
Cher lecteur, Vous tenez entre les mains le cinquième d’une série de cinq romans consacrés aux femmes issues de la généalogie de Jésus. Ces femmes vécurent en Orient en des temps anciens et pourtant, leur vie s’applique à la nôtre et aux problèmes complexes auxquels nous sommes confrontés dans notre société moderne. Elles se tinrent sur la brèche. Elles firent preuve de courage. Elles prirent des risques. Elles réussirent l’inattendu. Elles menèrent une existence audacieuse, commettant parfois des erreurs, de graves erreurs. Ces femmes n’étaient certes pas parfaites. Pourtant Dieu, dans son infinie miséricorde, les inscrivit dans son plan parfait visant la naissance du Christ, le Sauveur de l’humanité. Nous vivons à une époque marquée par le désespoir et l’agitation. Des millions d’individus cherchent des réponses à leurs questions. Ces femmes nous indiquent la voie à suivre. Les leçons qu’elles nous enseignent sont tout aussi perti9
Marie
nentes aujourd’hui qu’elles le furent jadis, il y a des milliers d’années. Tamar est une femme d’espoir. Rahab est une femme de foi. Ruth est une femme d’amour. Bath-Chéba est une femme qui reçut une grâce illimitée. Marie est une femme d’obéissance. Ces personnages historiques ont véritablement vécu. J’ai raconté leur histoire en m’appuyant sur les textes bibliques. Certains de leurs actes peuvent nous heurter, mais il nous faut replacer ces femmes dans le contexte de leur époque. Ce livre est une œuvre de fiction historique. La trame de l’histoire nous est fournie par la Bible et j’ai commencé par rapporter les faits que nous livre le texte sacré. À partir de telles bases, j’ai créé une action, des dialogues, des motivations personnelles et, dans certains cas, des personnages supplémentaires tout à fait compatibles, selon moi, avec le texte biblique. Je me suis efforcée de demeurer fidèle en tout point au message biblique, n’ajoutant que ce qui s’avérait nécessaire à sa compréhension. À l’issue de chaque roman, nous avons inclus une petite section d’étude. L’ultime autorité concernant les personnages bibliques est la Bible elle-même. Je vous encourage donc à la lire pour une meilleure compréhension. Et je prie qu’à la lecture de la Bible, vous preniez conscience de la continuité, de la cohérence et de la confirmation du plan de Dieu au fil des siècles, un plan qui vous inclut personnellement. Francine Rivers
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plantons le décor…
« C’est encore une fille ». La sage-femme brandit fièrement l’enfant qui poussait ses cris de nouveau-né tandis qu’Anne retombait lourdement sur sa paillasse, épuisée par un travail de plusieurs heures. Son cœur chavira à cette annonce. Elle détourna le visage, se refusant à regarder la femme couper le cordon, laver le bébé et frictionner de sel le petit corps frissonnant pour prévenir toute infection. – Voici ta fille, dit la vieille femme. Anne prit tendrement dans ses bras ce tout petit être aux traits ratatinés et laissa, elle, couler ses larmes, sachant que son époux serait amèrement déçu. Il avait jeûné et prié pour avoir un fils. Anne embrassa le bébé puis le rendit à la sage-femme. – Apporte l’enfant à son père pour qu’il la bénisse. Alors que la sage-femme s’éloignait, Anne se retourna en grimaçant de douleur. Elle tendit l’oreille, redoutant la 11
Marie
réaction de son époux, mais ce fut la voix excitée de leur fille aînée, Marie, qui lui parvint. – Puis-je la prendre, père ? Oh, s’il te plaît, elle est si mignonne ! Joachim répondit d’une voix si basse qu’Anne ne put l’entendre. Lorsqu’il entra dans la pièce, elle le dévisagea. Son regard ne trahissait aucun reproche, mais elle perçut toutefois sa déception. Il se pencha et déposa leur nouveauné dans ses bras. Que pouvait-il dire pour apaiser leur chagrin à tous les deux ? Dieu n’avait pas jugé bon de leur donner un fils. – Je l’aime, moi, dit Marie, en entrant à son tour. – Nous l’aimons tous, rétorqua rapidement Joachim. Mais Anne comprenait. Un fils aurait pu travailler aux côtés de son père. Un fils se serait rendu à la synagogue et aurait fait honneur à sa famille. Un fils aurait pourvu aux besoins de sa mère si son père venait à mourir. Devenu adulte, un fils aurait pu s’élever contre les oppresseurs d’Israël. Peut-être même aurait-il été le libérateur tant attendu, le Messie pour la venue duquel tout Israël priait. Mais une fille ? À quoi pouvait bien servir une fille, à part assumer quelques corvées ménagères ? Elle ne serait qu’une bouche de plus à nourrir jusqu’au moment où son père lui trouverait un époux qui lui convienne. – J’ai songé à Débora, dit doucement Anne, tête baissée. Cette enfant était plus délicate que son aînée et ses traits affichaient une douceur qui émut le cœur de sa mère. – Nous l’appellerons Marie. – Mais Marie est mon prénom…, s’écria l’aînée en regardant tour à tour son père et sa mère. – Eh bien, ta sœur sera la petite Marie, répondit doucement Joachim en posant une main sur sa tête. 12
une femme d’obéissance
Anne tendit la main vers sa fille aînée. – Ne sois pas triste, ma chérie. Laisse-nous un instant pour que je puisse parler à ton père. Lorsqu’elle fut seule avec Joachim, elle leva les yeux vers lui. – Ne voudrais-tu pas envisager un autre nom, mon époux ? Débora est un prénom fort. Et il y a déjà tant de Marie ! Ce prénom est devenu le plus courant en Israël. – Et lorsqu’il y en aura assez, peut-être que le Seigneur entendra enfin notre cri ! La voix de Joachim se brisa. Il détourna le visage et le rouge lui monta aux joues. – Elle s’appellera Marie ! Sur ces mots, il quitta la pièce. Anne l’entendit dire à leur fille aînée d’aller jouer avec ses amies pour que sa maman puisse se reposer. Anne examina le visage de son nouveau-né. – Marie, murmura-t-elle. Ma précieuse petite Marie, ditelle le cœur lourd, car ses deux filles portaient à présent un nom signifiant « amertume et souffrance ». Ce nom témoignait de la profondeur du désespoir qu’éprouvait chaque Juif sous l’oppression romaine. Marie était un cri lancé vers Dieu pour obtenir la délivrance. Anne releva légèrement les genoux et cala son bébé sur ses cuisses. Elle défit son vêtement et lui caressa les bras. Elle regardait, étonnée, ses petites jambes recourbées par neuf mois passés dans son ventre. Anne posa ses lèvres sur les petits doigts fermement enroulés autour du sien. La peau de la petite Marie était plus douce que de la soie. – Seigneur, oh Seigneur, que son nom signifie enfin plus qu’amertume et souffrance. Au contraire, que son sens soit « La force nous vient du Seigneur ». Qu’il signifie « L’amour 13
Marie
du Seigneur nous soutient », ou encore : « Confiance et foi inébranlables en Dieu ». Oh ! Seigneur… Elle soupira en nichant à nouveau son bébé tout contre sa poitrine. – Que son nom nous rappelle d’obéir sans crainte…
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chapitre un
Assise sous un olivier, Marie se couvrait le visage de ses mains. Toutes les fiancées éprouvaient-elles les mêmes sentiments dès que les contrats étaient signés, les cadeaux échangés et leur avenir scellé par la volonté d’autrui ? Elle tremblait à l’idée de partager la vie d’un homme dont elle ignorait presque tout, bien que son père l’eût admiré et apprécié dès son arrivée à Nazareth trois ans auparavant. – Il est de notre tribu, Anne, avait annoncé Joachim à la suite de sa première rencontre avec Joseph à la synagogue. Et directement issu de la lignée royale de David. – Est-il marié ? s’enquit sa mère, avec un regard en coin vers Marie. Leurs projets pour l’avenir de Marie s’étaient ensuite rapidement concrétisés car son père découvrit très vite que Joseph cherchait une épouse issue de la tribu de Juda, descendante de David, d’une vertu et d’une foi irréprochables. Marie n’ignorait pas les espoirs nourris par ses parents. Sa 15
Marie
sœur aînée avait épousé un Nazaréen et ses parents espéraient marier leur cadette à un homme de leur propre tribu. Bien sûr, il devrait être pieux, aimable et en mesure d’offrir un foyer décent à son épouse et aux enfants qu’elle lui donnerait. Ils invitèrent donc fréquemment le charpentier, et Joseph répondit positivement à toutes leurs attentes. – Pourquoi n’a-t-il pas cherché une jeune fille à Bethléhem ? s’étonna un jour Marie. – À quoi bon se poser de telles questions ? avait répondu impatiemment sa mère. Accepte simplement que Dieu l’ait envoyé ici, à Nazareth. Quant à son père, il ne pensait pas vraiment que Dieu pouvait s’entremettre pour rapprocher un humble charpentier ou un pauvre homme à la santé défaillante et une fille bientôt en âge de se marier. – Joseph a besoin de travailler, comme n’importe lequel d’entre nous, et Sepphoris se développe. Les charpentiers et les tailleurs de pierre peuvent y gagner davantage d’argent qu’à Bethléhem. Les hommes avaient entamé des pourparlers de mariage, mais Joachim mourut inopinément. L’avenir de Marie échut alors entre les mains de sa mère, qui tenait à régler la question au plus vite. – Ton père voulait te laisser plus de temps, Marie, mais le temps peut s’avérer un ennemi. Tu es prête à te marier et, étant donné les circonstances, inutile de tarder davantage. J’en ai déjà parlé à Joseph et il accepte de t’épouser. Tout ira bien désormais, Marie. Nous ne resterons pas livrées à notre sort. Assise sous l’olivier, Marie enfouit son visage au creux de ses bras. Auraient-elles vraiment dû se débrouiller seules ? 16
une femme d’obéissance
Dieu avait promis de prendre soin de ceux qui se confient en lui. Et Marie croyait en ces promesses. Son plus profond désir avait toujours été d’être proche du Seigneur. Son cœur avait soif de lui, une soif semblable à celle d’une biche qui soupire après des torrents d’eau. Comme elle aurait voulu marcher parmi le peuple d’Israël délivré de l’esclavage en Égypte ! Combien ses ancêtres avaient été bénis d’assister aux miracles de Dieu dans le désert, d’entendre la loi pour la première fois, de voir l’eau jaillir du rocher et de goûter à la manne descendue du ciel ! Il lui arrivait même parfois de regretter de ne pas être un homme, car elle aurait pu alors se rendre dans les falaises désertiques de Qumrân et consacrer sa vie à Dieu. Son impétuosité était-elle due à sa jeunesse ? Sa soif ardente du Seigneur la frustrait. Comment pouvait-elle aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces en épousant un homme ? Comment pouvait-elle aimer Dieu parfaitement tout en honorant son époux comme il convenait ? Toutefois, elle comprenait le côté pratique du mariage. Les femmes étaient vulnérables. Combien de fois n’avaitelle pas entendu les cavalcades des soldats romains déboulant dans son petit village de Nazareth ? Souvent elle les avait vus au puits, remplissant leurs outres. Ensuite ils faisaient main basse sur ce qui leur convenait parmi la population amère et opprimée. Il leur arrivait aussi de prendre les jeunes filles, les laissant ensuite abusées et sans avenir. La vie pouvait devenir insupportable pour une femme sans protection, en particulier si elle était jeune. La mère de Marie lui avait appris à s’enfuir et se cacher dès qu’elle entendait le martèlement des sandales ou le bruit des sabots des chevaux 17
Marie
romains. Son cœur se serrait d’angoisse car leurs incursions devenaient plus fréquentes. La Pax Romana avait tout apporté sauf la paix en Israël, car la révolte couvait. Ne serait-il pas plus sage pour elle de demeurer célibataire plutôt que de se marier et d’engendrer des enfants dans un monde aussi hostile ? Beaucoup d’Hébreux luttaient de toutes leurs forces contre les influences hellénistes, nourrissant leurs rancunes amères et attisant leur haine jusqu’à la violence. D’autres trahissaient, rejetant le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, en adoptant les coutumes de leurs conquérants. Où était Dieu dans tous ces événements ? Marie savait qu’il était aussi puissant aujourd’hui que lors de la création du monde. Était-il déloyal de sa part de se demander si son peuple avait attiré ces malheurs sur lui ? Elle connaissait l’histoire d’Israël. Elle savait comment Dieu l’avait discipliné par le passé pour le ramener vers lui. Pourquoi son peuple répétait-il le cycle incessant de la désobéissance, génération après génération ? Et combien de temps faudrait-il encore attendre avant que Dieu envoie à nouveau un libérateur ? Aussi loin que remontaient ses souvenirs, Marie avait entendu son peuple implorer Dieu pour la délivrance de l’oppression romaine. Un jour, le Seigneur enverrait le libérateur, celui qui avait été promis après la chute d’Adam et d’Ève, celui qui ferait toutes choses justes et nouvelles. Le Messie. Chaque jour, Marie priait pour sa venue… comme elle le faisait aujourd’hui encore, à l’ombre de l’olivier. Elle était envahie de questions dépassant son entendement. Déchirée par ce monde agité qui l’enveloppait, comme par son propre avenir désormais fixé, Marie implorait la venue d’un sauveur. 18
une femme d’obéissance
Oh Seigneur, quand nous enverras-tu un libérateur ? Sauvenous des oppresseurs étrangers qui brandissent leurs idoles en or et proclament avec arrogance la divinité de leur empereur fantasque ! Elle devait cesser de se torturer. Elle épouserait Joseph. La question était réglée. Marie honorerait sa mère et obéirait. Oh Seigneur, Dieu d’Israël, je ne comprends pas toutes ces choses. Est-ce mal de vouloir t’appartenir ? Mon âme soupire après toi. Aide-moi à être obéissante, à être une épouse convenable pour Joseph, car tu es souverain et tu dois donc avoir choisi cet homme pour moi. Fais de moi une femme selon ton cœur. Crée en moi un cœur purifié et renouvelle mon esprit. Soudain, un étrange picotement la parcourut toute entière. Lorsqu’elle releva la tête, elle vit un homme debout devant elle. Ses cheveux se dressèrent. Le cœur saisi d’une grande frayeur, elle fixa sur lui des yeux écarquillés car elle n’avait encore jamais vu d’être semblable. Était-ce l’éclat du soleil derrière lui qui lui donnait cet aspect aussi terrifiant ? – Je te salue, toi qui jouis de la faveur de Dieu ! Le Seigneur est avec toi ! Tremblante et immobile, Marie gardait le silence. Elle se demandait ce que pouvaient bien signifier ces paroles. Elle ferma un instant les yeux, puis les rouvrit. L’homme était toujours là, posant sur elle un regard empreint d’une douce patience. Qu’avait-il voulu dire ? Tous les élus de Dieu n’étaient-ils pas l’objet de sa faveur ? Et pourquoi disait-il que Dieu était avec elle ? Était-il le Seigneur ? La crainte la submergea et elle ferma à nouveau les yeux car assurément nul ne pouvait voir le Seigneur sans mourir sur-le-champ. – Ne crains rien, Marie, car Dieu a décidé de te bénir ! 19
Marie
Un sanglot s’étrangla dans sa gorge, la prenant de court, car elle ne désirait rien de plus que de plaire à Dieu ! Mais le Seigneur savait à quel point elle était indigne. Elle rougit, se souvenant qu’un instant auparavant, elle avait résisté à l’idée d’épouser Joseph, alors qu’il aimait le Seigneur autant qu’elle. Et voilà que cet homme prononçait des paroles si précieuses qui la remplissaient de joie ! L’étranger s’approcha davantage et pencha la tête vers elle. – Tu vas devenir enceinte et tu auras un fils, que tu appelleras Jésus. Jésus… ? Ce nom signifiait « L’Éternel sauve »… L’ange poursuivit. – Il sera très grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de son ancêtre David. Et il régnera sur Israël à jamais ; son royaume n’aura pas de fin ! Marie eut du mal à avaler sa salive. Ses pensées s’entrechoquaient en entendant ces paroles : il était en train de lui annoncer qu’elle enfanterait le Messie ! Dès qu’il eut fini de parler, elle fut assaillie par un chœur de voix sinistres. Toi ? Pourquoi le Seigneur choisirait-il un être aussi vil ? Le Messie ne sera pas enfanté par une vulgaire paysanne nazaréenne. Quelle abomination ! Qu’une fille si indigne ose imaginer pouvoir porter le Messie ! Ignore ce fou. Détourne-toi de lui ! Rejette ses paroles. Ferme les yeux ! Et ne dis rien ! Mais une autre voix lui parlait, plus paisible, une voix connue de son cœur. Quelle est ta réponse, Marie ? Elle se leva et rejeta la tête en arrière pour regarder l’ange. – Mais comment pourrais-je avoir un enfant ? Je suis vierge. 20
une femme d’obéissance
L’ange sourit tendrement. – Le Saint-Esprit descendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira. Ainsi l’enfant qui naîtra de toi sera saint et il sera appelé Fils de Dieu. Par ailleurs, ta parente Élisabeth est devenue enceinte dans sa vieillesse ! Les gens la disaient stérile, mais elle a déjà atteint son sixième mois. Car rien n’est impossible à Dieu. Marie retint son souffle. Elle était ravie et joignit les mains en souriant. Oh ! Elle savait à quel point Élisabeth avait espéré la venue d’un enfant. Rien n’était impossible à Dieu ! Élisabeth serait comme Sarah, qui enfanta Isaac à un âge avancé. Elle serait comme Anne, qui consacra son fils au Seigneur. La nouvelle galvanisa la foi de Marie. Elle aurait voulu courir vers Élisabeth et voir le miracle de ses propres yeux, mais l’ange demeurait face à elle, attendant silencieusement sa réponse. Si elle acceptait, elle deviendrait la mère du Messie tant attendu. Pourquoi le Seigneur l’avait-il choisie pour participer à un plan qui dépassait son entendement ? Elle ne possédait aucune instruction, elle était pauvre et vivait dans un obscur village, méprisé par la majorité des Juifs. Mais elle savait aussi, pour avoir entendu les Écritures lues à la synagogue, que Dieu utilisait souvent les plus inattendues et les plus indignes de ses brebis pour accomplir ses desseins. Peu importait qui elle était. Dieu accomplirait son plan à sa manière. L’ange du Seigneur lui demandait de prendre part au plan de Dieu et tout dans son cœur et son âme poussait un « oui » joyeux. Penses-tu vraiment pouvoir être la mère du Messie ? Penses-tu savoir comment préparer le Fils de Dieu à régner sur tout Israël ? Encore ces voix ténébreuses. 21
Marie
Non. Je l’ignore, répondit son cœur. Mais Dieu, lui, le sait. Alors Marie rassembla tout son courage et leva les yeux. – Je suis la servante du Seigneur, dit-elle en tendant les mains. Et je suis prête à accepter ce qu’il voudra. Que tout ce que tu as dit s’accomplisse. Dès qu’elle eut pris sa décision, l’ange disparut. Elle poussa un cri de surprise. Elle aurait pu croire que son imagination lui avait joué des tours si l’air ambiant n’était encore agité d’un infime tremblement. Ébranlée, Marie pressa ses mains contre sa poitrine tout en se rappelant que le Seigneur lui avait dit de n’avoir aucune crainte. Elle s’efforça de calmer les battements désordonnés de son cœur et s’agenouilla en levant les yeux. Elle ouvrit les mains et les tendit vers le ciel. Seigneur, que ta volonté soit faite. Sa peau fut parcourue d’étranges fourmillements tandis qu’un nuage descendait vers elle. Elle posa les mains sur son cœur au moment où l’ombre d’un nuage vint la couvrir. Elle ferma les yeux et inspira le parfum des fleurs printanières. Envahi d’une douce sensation, son corps se réchauffa. Elle inspira profondément et retint son souffle. L’espace d’un instant, la création tout entière se figea et suspendit son activité dans un silence absolu. Dans le ventre d’une pauvre paysanne d’un obscur village de Galilée, le Fils de Dieu venait de s’unir à la semence d’Adam. ◆ ◆ ◆
Joseph fixait sur Marie un regard incrédule. – Comment peux-tu imaginer un seul instant que je croie cette histoire ?
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une femme d’obéissance
Tous ses espoirs de bonheur futur étaient soudain anéantis. Il n’aurait jamais pensé qu’une fille comme Marie (si jeune, si douce, si pieuse) pût le trahir d’une façon aussi odieuse. Enceinte ! Joseph était submergé par l’émotion, ébranlé par le choc qu’il venait de subir. Il ferma les yeux, en proie à de violentes pensées : Dénonce-la ! Répudie-la ! Dénonce-la auprès du rabbi ! Fais-la lapider ! – Non ! s’écria-t-il, en posant les mains sur ses oreilles. Il rouvrit les yeux et vit Anne, la mère de Marie, qui se couvrait la tête en sanglotant dans un coin. Seule Marie demeurait calme. – Tu croiras, Joseph, dit-elle, en levant vers lui son beau regard sombre et innocent. Tu croiras. Je sais que tu croiras. Comment pouvait-elle conserver son calme alors que, d’une seule parole, il pouvait la faire tuer ? – Il n’y a qu’une seule façon pour la femme de concevoir. – Rien n’est impossible à Dieu. – Et Dieu te choisirait toi pour porter le Messie ? Elle rit de son sarcasme, le visage inondé de joie. – Dieu n’a-t-il pas toujours choisi les choses faibles du monde pour confondre les puissantes ? Oh, Joseph, s’écriat-elle en serrant les mains, submergée par l’excitation. Songes-y. Dieu ne choisit jamais comme l’homme choisit. – Je ne peux pas le croire. Je ne peux pas ! Cela défie toute logique ! Il devait sortir de cette maison. Il ne pouvait pas la regarder et réfléchir clairement. – Joseph ! cria Anne en se précipitant vers lui. Joseph ! S’il te plaît ! Elle cria encore lorsqu’il franchit la porte, la laissant entrouverte derrière lui. « Joseph ! » 23
Marie
Il se précipita au coin de la rue et s’éloigna à la hâte, empruntant une étroite ruelle qui menait à l’extérieur du village. Il voulait éviter d’afficher son désarroi et de susciter des questions. Il avait besoin de réfléchir ! Une fois à l’écart de Nazareth, il se mit à pleurer. Que devait-il faire à présent ? Oublier qu’elle était la fille d’un homme qui était son ami, un homme issu de sa propre tribu ? Pouvait-il ignorer qu’elle portait l’enfant d’un autre ? Elle avait commis un péché abominable ! Elle était désormais impure ! S’il l’épousait dans cet état, les gens le montreraient du doigt. Leur réputation à tous deux serait ruinée. Les ragots perdureraient pendant des années. Et lorsque l’enfant naîtrait, que se passerait-il ? Tous devineraient qu’il avait été conçu avant les noces et murmureraient sur son passage. Pourquoi les femmes étaient-elles si faibles et se laissaient-elles si aisément berner ? Il donna un furieux coup de pied dans la poussière. Qui avait pu faire une telle chose ? Qui avait osé profiter d’une jeune fille innocente, orpheline de père ? Et pourquoi inventait-elle une histoire aussi grotesque, un mensonge aussi incongru pour dissimuler son péché ? Il grimaça. Un ange venu du ciel pour lui annoncer qu’elle porterait le Fils de Dieu ! Quel homme sain d’esprit croirait une telle ineptie ? Lorsque Joachim lui avait proposé la main de Marie, Joseph avait cru se voir offrir un avenir et un espoir. Il ne lui restait plus désormais qu’un désastre sur les bras. S’il la dénonçait, il devrait assister à la lapidation de la fille de Joachim pour péché de fornication. Et l’enfant qu’elle portait mourrait avec elle. Oui ! Fais-le ! ragea la sombre voix étrangère. Pourquoi ne mourrait-elle pas pour t’avoir trahi, ainsi que son père ? 24
une femme d’obéissance
Pourquoi ne serait-elle pas retranchée d’Israël pour avoir rejeté la loi en vertu de laquelle vous vivez ? Tue-la ! Tue cet enfant ! La violence de ses pensées l’effraya et il s’écria : « Oh, Dieu, aide-moi ! Que dois-je faire ? Pourquoi précipites-tu cette catastrophe sur ma tête ? Ne me suis-je pas efforcé toute ma vie de faire ce qui est juste ? De vivre conformément à ta loi ? » Il s’assit et passa nerveusement ses mains dans ses cheveux. Il serra les dents et pleura amèrement. – Pourquoi Seigneur ? Dis-moi pourquoi ! Le soleil se couchait, mais Joseph ignorait toujours quelle décision prendre. Épuisé, il se leva et rentra en ville. Les rues étaient vides car il était tard et tout le monde était rentré chez soi. Il pénétra dans son atelier et s’assit à sa table de travail. Jamais encore il ne s’était senti aussi seul. – Où es-tu Seigneur ? Où es-tu quand j’ai besoin de ton conseil ? Il envisagea un instant de solliciter l’avis du prêtre, mais on ne pouvait pas toujours se fier aux rabbis pour garder un secret. Joseph ne voulait pas que quiconque connût la situation de Marie avant d’avoir pris une décision. Il caressa de la main le joug qu’il venait de façonner et prit ses outils. Le travail apaiserait peut-être le tourbillon de ses pensées. Qui était-il pour condamner Marie ? Joseph respectait la loi, mais il savait en son cœur que son obéissance était superficielle. Derrière les heures de présence fidèle à la synagogue, derrière les dîmes et les offrandes, son cœur se rebellait contre le joug romain, contre le joug des rabbis corrompus et contre le joug de la loi elle-même. Que pouvait y faire un simple homme ? Le péché titillait Joseph chaque fois qu’il voyait un soldat 25
Marie
romain importuner une femme au puits ou un rabbi culpabiliser une pauvre veuve au sujet de la dîme ou un riche client ignorer la juste rétribution de son travail ou un mendiant qui le maudissait parce qu’il ne lui donnait rien. Au fil des années, Joseph avait amené un grand nombre d’agneaux au Temple de Jérusalem pour y être sacrifiés, mais il ne s’était jamais vraiment senti purifié du péché pour autant. Le sang de l’agneau du sacrifice le couvrait, puis il péchait de nouveau. Il voulait faire le bien, mais se surprenait à pécher encore et encore. Joseph s’étendit sur sa paillasse et se couvrit les yeux de son bras, hésitant toujours sur le sort à réserver à Marie. La loi était claire, mais son cœur était déchiré. Il ferma les yeux en espérant que le sommeil éclaircirait ses idées, mais il fut rapidement tourmenté par des cauchemars. Il entendait des voix furieuses et le hurlement d’une jeune fille. Il se mit à crier et voulait courir, mais ses pieds s’enfonçaient dans le sable. Il luttait contre les ténèbres qui l’enveloppaient. Une voix s’en échappa et s’adressa à lui : Tue la fille. Tue-les, elle et son rejeton ! « Joseph, fils de David », appela une autre voix qu’il n’avait jamais entendue auparavant, mais qu’il reconnut instantanément. Un homme au vêtement blanc éblouissant se tenait devant lui. « Ne crains pas d’épouser Marie, car l’enfant qu’elle porte a été conçu par le Saint-Esprit. Et elle enfantera un fils que tu devras appeler Jésus parce qu’il sauvera son peuple de ses péchés ». Joseph s’empara des paroles de l’ange et son cœur fut saisi de joie. Toute sa vie, il avait entendu parler de la venue du Messie. Depuis l’époque de David, les Juifs attendaient la venue d’un autre roi qui triompherait des ennemis d’Israël. Et plus encore, le Messie promis régnerait sur la terre 26
une femme d’obéissance
entière. Le temps était désormais venu et Dieu envoyait l’Oint de l’Éternel. Et Joseph le verrait. Il se tiendrait aux côtés de la mère du Messie et protégerait l’Élu comme son propre fils. Toi, un vulgaire charpentier ? Protecteur ? Des rires sombres et obscènes l’environnèrent soudain et Joseph gémit dans son sommeil. Je vais les tuer. Et toi aussi, si tu te tiens en travers de mon chemin. Joseph gémit à nouveau et se retourna sur sa couche. Il ouvrit les yeux et sentit l’oppression de l’obscurité ambiante. La peur l’étreignit, mais un murmure dissipa les ténèbres. Il sauvera son peuple de ses péchés… Sa soif de justice s’accumula soudain en lui, aussi forte que la soif d’un homme égaré dans le désert. Il se souvint des paroles de son ancêtre David, qu’il murmura dans l’obscurité : « Celui qui s’abrite tout près du Très-Haut repose en lieu sûr, à l’ombre du Tout-Puissant… Je ne craindrai pas les terreurs de la nuit car Dieu ordonnera à ses anges de protéger son Fils. L’Éternel en personne sera son protecteur ». Les ténèbres se dissipèrent. Joseph entrevit les étoiles par la fenêtre ouverte. Il les contempla un long moment, puis se rendormit le sourire aux lèvres. ◆ ◆ ◆
Anne versa des larmes de soulagement, mais Marie ne parut pas le moins du monde étonnée par la décision de Joseph de l’épouser rapidement. Elle traversa la pièce à la hâte, posa la main sur son bras, et lui annonça tout de go : – Je dois rendre visite à ma parente Élisabeth. Sa mère protesta. 27
Marie
– Pourquoi tiens-tu à te rendre là-bas ? Le voyage par la montagne est si pénible… – Oh mère, cela n’a pas d’importance. Élisabeth est enceinte ! – Ne sois pas ridicule ! Elle a depuis longtemps passé l’âge de porter des enfants. – L’ange m’a dit qu’elle était enceinte. – Et à ton avis, que diront les gens en apprenant que tu épouses aussi soudainement Joseph, et que tu t’en vas sitôt après dans les montagnes de Judée ? – Qu’importe ce que disent les gens si c’est la volonté du Seigneur que j’y aille ? Joseph comprit que le voyage pourrait résoudre plusieurs problèmes. L’ange n’avait rien dit quant au fait d’annoncer aux habitants de Nazareth que Marie était enceinte par la volonté du Saint-Esprit et qu’elle donnerait naissance au Messie. Et si la nouvelle se répandait malgré tout ? Quels dangers pourraient menacer l’enfant ? Lorsque la grossesse de Marie deviendrait visible, les ragots seraient inévitables. Mais s’ils partaient ensemble en voyage… – Dès que nous serons mariés, j’emmènerai Marie chez sa parente. – Les gens parleront, dit Anne. Oui, les gens parleront, mais leur condamnation tomberait sur lui plutôt que sur Marie. ◆ ◆ ◆
Lorsque la grossesse de Marie devint manifeste, certains à Nazareth crurent soudain comprendre la hâte de Joseph pour l’épouser. Les femmes murmuraient autour du puits et les hommes hochaient la tête et se poussaient du coude à la synagogue. Que savaient-ils exactement de Joseph, à part 28
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qu’il était un charpentier venu de Bethléhem ? Pauvre Joachim. Il avait accordé sa confiance au charpentier vu qu’il lui était apparenté et qu’il descendait, comme lui, de David. De sa tombe, Joachim devait crier son dépit puisqu’il était évident que Joseph avait exercé ses droits conjugaux avant qu’ils lui fussent dus. Certains allèrent voir le rabbi et exigèrent que le couple fût soumis à la discipline afin de montrer aux autres jeunes qu’un tel comportement n’était pas permis à Nazareth ! Le rabbi répondit que Joseph avait agi en vertu de ses droits par contrat, puisque les présents avaient été échangés et les documents signés. Mais une voix s’éleva dans l’ombre, tout au fond de la synagogue. – Ne détruirez-vous donc pas le mal qui est présent parmi vous ? Le rabbi releva la tête de dessus la Torah. – Qui parle ? – Les Écritures ne disent-elles pas que le Seigneur déteste le regard hautain et la langue mensongère ? siffla la voix, aux intonations connues de quelques-uns. Nous devons détruire la perversité présente parmi nous. Les hommes échangeaient des regards et des voix de plus en plus nombreuses s’élevaient, tandis que l’accusateur demeurait dans l’ombre. – Qui est donc ce charpentier qui défie la loi ? Qui est cette fille qui se comporte comme une prostituée ? Un homme se leva, le visage en feu. – Il a raison ! Et d’autres marquèrent leur approbation. Le vieux rabbi leva les mains en tremblant. – La loi dit aussi qu’il doit y avoir deux témoins. Qu’ils s’avancent. 29
Marie
Un faible murmure parcourut l’assemblée des hommes, mais nul d’entre eux n’osa s’avancer. Ils regardaient autour d’eux. Alors le rabbi déroula la Torah. – L’Éternel a également en horreur le faux témoin qui profère des mensonges et l’homme qui sème la discorde entre des frères. Il s’exprimait calmement, mais ses paroles résonnaient clairement. L’accusateur prit la fuite. Peu de temps après, tous les commérages au sujet de Joseph et Marie cessèrent au moment où des soldats romains apportèrent à Nazareth un décret de César Auguste. Un recensement de tous les habitants de la terre avait été ordonné. Les hommes manifestèrent bruyamment leur incrédulité. Cette espèce de « dieu » romain comprenait-il le chaos qu’engendrerait son décret ? Car les ordres étaient que chacun se rende dans son village natal pour s’y faire recenser.
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chapitre deux
Joseph redoutait ce moment depuis sa connaissance du décret. Il observa les deux femmes assises à table près de lui, l’une si jeune et si belle que son cœur en était chaviré, l’autre âgée et peinée par les calomnies répandues sur sa fille pendant toutes ces dernières semaines. – Nous devons aller à Bethléhem, dit-il en brisant le silence. Il exposa la situation aux deux femmes. Marie jetait des regards en coin vers sa mère, mais Anne hochait obstinément la tête. – Marie est proche du terme, Joseph. – Nous devons obéir à la loi. – À quelle loi ? Tu ne vas quand même pas mettre en péril la vie de ma fille pour satisfaire la volonté d’un empereur romain, un païen idolâtre qui se prend pour un dieu ? Joseph se pencha vers sa belle-mère et posa la main sur la sienne. – Les Écritures s’accomplissent, mère. 31
Marie
Depuis son enfance, il avait entendu dire que Bethléhem serait un jour le lieu de naissance du Messie. – Le prophète Michée l’a dit : « Et toi, Bethléhem Éphrata, la plus petite des villes de Juda, de toi sortira celui qui régnera sur Israël, dont l’origine remonte aux temps passés… Il paîtra son troupeau, revêtu de la force de l’Éternel ». Les yeux de Marie s’illuminèrent à l’écoute de la prophétie. Elle se tourna vers sa mère avec exaltation. – Tu peux nous accompagner, mère. Viens assister à l’accomplissement du grand jour de l’Éternel. – Oui, dit Joseph, en serrant légèrement la main d’Anne. Viens avec nous. – Non, dit-elle en retirant brusquement sa main. Ma place est ici, à Nazareth. Et celle de Marie aussi ! Furieuse, elle se leva et tourna le dos à son beau-fils. Anne croisa les bras et redressa la tête. – Comment peux-tu même envisager un tel voyage alors que Marie est si proche du terme ? Joseph comprenait. Anne était mère avant tout et répugnait à l’idée de laisser partir sa fille préférée. – Si tu refuses d’y voir l’accomplissement des Écritures, considère ce voyage comme le moyen d’échapper aux ragots sur notre mariage. Anne fit volte-face. – Tu ne penses donc qu’à toi ! Tu te moques bien des risques encourus par ma fille. – Mère ! protesta Marie, ébahie. Anne lui adressa un regard suppliant. – Tu ne dois même pas l’envisager, Marie. Et toi…, dit-elle à l’adresse de Joseph… Je ne peux pas croire que tu 32
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songes à m’enlever Marie au moment où elle va avoir le plus besoin de moi. Marie cilla et regarda Joseph. Il baissa les yeux, s’interrogeant désespérément sur la pertinence des propos d’Anne. Son interprétation du décret était-elle erronée ? Menaçaitil la vie de Marie pour satisfaire la lubie d’un empereur étranger ? Lui fallait-il ignorer la prophétie sur Bethléhem et reporter le voyage d’une semaine ? Marie pencha la tête. – Je dois aller où va mon époux. – Tu dois rester ici et attendre la venue de l’enfant. – As-tu oublié Ruth ? – Ne me parle pas de Ruth, répondit impatiemment sa mère. C’était il y a longtemps. Et elle quittait un pays païen dans l’intérêt de sa belle-mère qui lui avait appris à connaître le Seigneur. – Mère, s’il te plaît, écoute… plaida doucement Marie. – Non ! Anne se couvrit le visage, les épaules secouées par les sanglots. – Je pensais qu’il n’y aurait pas de plus grand honneur pour ma fille que de porter l’Élu de Dieu, mais mon cœur est déchiré. Comment saurai-je si tu vas bien et si tu es en sécurité ? Marie prit la main de sa mère et la pressa tout contre sa joue. – Le Seigneur ne gardera-t-il pas lui-même son propre Fils ? Le Seigneur a-t-il jamais fait une promesse qu’il n’ait pas tenue ? Joseph perçut l’angoisse dans le regard de sa belle-mère qui prit le visage de sa fille entre ses mains. Joseph avait entendu dire qu’un accouchement était un processus 33
Marie
pénible, qui mettait en péril la vie de la mère comme celle de l’enfant. Qui assisterait Marie dans ces moments délicats ? – S’il te plaît, Anne. Accompagne-nous. Sa belle-mère réfléchit un instant, puis hocha lentement la tête, avec détermination. – Joachim est né à Nazareth, Joseph, tout comme moi. Je dois demeurer ici, aussi sûrement que tu dois retourner à Bethléhem. Peut-être est-ce là le moyen utilisé par Dieu pour me contraindre à laisser ma fille se détacher de moi, dit-elle avec un sourire amer. Les Écritures ne disent-elles pas que l’homme et la femme doivent quitter leurs parents et s’unir l’un à l’autre ? Tu as raison, ma chérie, poursuivit-elle en caressant le visage de Marie, tu dois suivre ton époux. Ta sœur et son mari veilleront sur moi. L’expression de Marie s’éclaira soudain. – Bien sûr. Et tu viendras avec eux à Jérusalem pour la Pâque. Nous nous reverrons tous là-bas. Le regard d’Anne s’emplit de larmes, mais elle ne dit plus mot. Elle se força à sourire, puis se détourna, désespérée, alors que Marie se tournait vers Joseph et lui prenait les mains. – Nous irons à Bethléhem, Joseph. Nous nous inscrirons pour le recensement, puis nous nous installerons en vue des murailles de Jérusalem, à l’ombre du Tout-Puissant. À cette perspective, Joseph éprouva une bouffée de joie… rapidement tempérée par la sinistre voix venue des ténèbres : Oui, viens donc à Bethléhem, où l’enfant verra le jour à l’ombre de mon serviteur Hérode. ◆ ◆ ◆
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Après y avoir soigneusement réfléchi, Joseph jugea plus sage de se procurer une place au sein de l’une des caravanes mésopotamiennes qui traversaient régulièrement Nazareth. Puisque Marie était proche du terme, ils devaient suivre la route la plus rapide vers le sud. Plutôt qu’emprunter le chemin de la mer et les plaines plus accessibles qui bordent la Méditerranée ou la vallée du Jourdain, ils prendraient donc l’ancienne route commerciale qui traversait les montagnes. Il n’aimait pas l’idée de voyager en compagnie d’étrangers, mais au moins ils seraient sous bonne garde et protégés contre les bandits et les lions des montagnes. Les larmes de Marie attristaient Joseph. Il ne dit pas un mot le jour où ils quittèrent Nazareth. Ils descendirent les hautes collines galiléennes, bordées à l’est par le Mont Tabor. Toutes les quatre ou cinq minutes, Joseph jetait un coup d’œil vers sa jeune femme, juchée sur le dos de leur âne. Elle gardait la tête baissée, mais il remarqua qu’elle serrait de plus en plus étroitement la selle à mesure que défilaient les heures. Elle n’émit toutefois pas la moindre plainte et, une fois seulement, elle leva silencieusement vers lui un regard empreint de désespoir, laissant clairement paraître sur ses traits l’épuisement et l’inconfort du trajet en montagne. – Oh Joseph, laisse-moi marcher un peu. Mais une fois à terre, elle fut vite à bout de forces. Ils firent arrêt pour la nuit. Elle mangea très peu et finit par se recroqueviller sur elle-même. Elle sourit enfin en posant une main protectrice sur l’enfant à naître et elle s’endormit. Joseph s’assit à ses côtés et se mit à prier. Puis la nuit tomba. Marie frissonnait. Joseph se coucha contre elle et étendit son manteau sur elle pour lui tenir chaud. Le lendemain, ils traversèrent la magnifique plaine de Jizréel. 35
Marie
– Hume cet air à pleins poumons, Joseph, dit Marie, rayonnante. Ils traversaient en effet des forêts verdoyantes. Joseph fit arrêter l’âne sur le bas-côté du chemin tout près d’un parterre de fleurs pour permettre à Marie de se reposer. Elle cueillit un lis sauvage qu’elle posa sur l’oreille de son époux et son cœur se serra. – Entends-tu la terre crier son impatience, Joseph ? Son regard brillait et elle tendit la main vers le ciel sans nuage. – Oh Seigneur, notre Dieu, la majesté de ton nom remplit la terre ! Ta gloire est plus élevée que les cieux ! Joseph lui prit la main et l’embrassa. Oh, comme il l’aimait ! ◆ ◆ ◆
Pendant les quelques jours qui suivirent, ils campèrent au bord d’un torrent. Puis commença une longue et pénible ascension dans les montagnes. Le septième jour, ils laissèrent la caravane poursuivre sa route sans eux car ils voulaient observer le sabbat. Joseph, le regard sombre, la regardait s’éloigner. Il savait qu’ils la rattraperaient le lendemain car le train des animaux lourdement chargés n’était pas aussi rapide que celui d’un âne robuste, dont l’unique fardeau était une jeune femme et de la nourriture pour le voyage. Toutefois, Joseph s’inquiétait. Marie rompit du pain et lui tendit sa part. Ses doigts frôlèrent tendrement sa main. – Dieu nous garde, Joseph. Son regard était aussi doux que celui de la biche et sa foi aussi forte que celle du lion. Ils rejoignirent la caravane le lendemain dans l’aprèsmidi, puis accordèrent leur allure à celle des animaux plus 36
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lents et fortement chargés. Ils passèrent le Mont Guilboa, où le roi Saül et son fils Jonathan avaient été tués par les Philistins. Ils traversèrent Dotân, où Joseph, le fils de Jacob, avait été vendu comme esclave par ses frères. Ils passèrent la journée à évoquer sa vie et l’esclavage des Hébreux en Égypte. Plus de quatre siècles s’étaient écoulés avant que l’Éternel s’adresse à Moïse dans le buisson-ardent et se serve de lui pour délivrer Israël. Et la génération désobéissante avait encore erré quarante ans dans le désert, avant qu’enfin, ses enfants pussent pénétrer en terre promise. – Bientôt la terre promise nous appartiendra à nouveau, dit Marie, en caressant la courbe de son ventre. Dieu va rétablir toutes choses. ◆ ◆ ◆
Son terme approchait. Chaque jour était plus pénible que le précédent pour Marie. Quand il la voyait se tenir courbée, Joseph éprouvait de l’angoisse. Elle parlait peu, mais il devinait aux mouvements incessants de ses lèvres qu’elle priait avec autant de ferveur que lui pour qu’ils atteignent Bethléhem au plus vite et trouvent du repos et un abri avant la naissance de l’enfant. La caravane installa son campement aux abords de la ville fortifiée de Sébaste. Joseph priait pour que les marchands vendent rapidement leurs marchandises pour pouvoir reprendre la route. Certains Samaritains auraient sans hésitation tué un Juif sans éprouver la moindre pitié pour une femme enceinte. Ils descendirent ensuite vers Sichem, une autre ville samaritaine riche et peuplée de païens arrogants. Et dire que le puits de Jacob se trouvait là ! Lorsqu’ils quittèrent la Samarie, Joseph secoua la poussière impure de ses sandales. 37
Marie
La caravane contourna Silo. L’endroit avait jadis accueilli l’arche de l’alliance. Il s’y trouvait désormais une nouvelle cité, bâtie avec des matériaux provenant de la démolition d’édifices et d’autels. Joseph et Marie s’écartèrent de la caravane pour dire quelques prières dans la synagogue de Béthel, car c’était là qu’Abraham avait offert des sacrifices à Dieu et que Jacob avait vu en rêve des anges monter et descendre sur une échelle dont le sommet atteignait les cieux. Enfin, à Rama, ils aperçurent la ville sainte de Jérusalem et les pinacles du grand Temple resplendissant à la lueur du soleil couchant. – Plus qu’un jour, Marie, dit Joseph, inquiet de son malaise croissant. ◆ ◆ ◆
Ils atteignirent enfin Jérusalem, les allées pavées étaient bondées. Joseph tirait sur les rênes de son âne pour lui faire traverser la foule. Un groupe de soldats romains les regardaient passer. La forteresse romaine (baptisée en l'honneur de Marc Antoine) et le Temple (avec ses avant-toits et ses pinacles couverts d’or) surplombaient les rues. Joseph prit la main de Marie et l’embrassa sur la paume. – Les voies de Dieu dépassent mon entendement car j’aurais pensé que le Messie naîtrait dans la ville de Sion, dans le Saint des saints. La nuit tombait lorsqu’ils arrivèrent enfin à Bethléhem. Bethléhem était d’ordinaire une petite bourgade peuplée principalement de bergers et de fermiers, mais elle regorgeait littéralement de monde à ce moment alors que tous les membres de la tribu de David rentraient au bercail pour le recensement romain. La file d’enregistrement fut aisée à trouver. Joseph attendit patiemment que son tour vînt de 38
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donner son nom et le nombre des membres de sa famille. Marie s’appuyait contre l’âne. – Joseph, de la tribu de Juda, et Marie, ma femme. Le Romain leva la tête un instant, juste le temps de constater l’état de Marie. Il ajouta une croix dans la colonne des enfants. Pas de petit profit pour les impôts. – Suivant ! appela-t-il impatiemment en les congédiant sans un autre regard. – Oh, Joseph, gémit Marie ramassée sur elle-même, les mains crispées sur son ventre proéminent. – Je vais nous trouver un logement, dit-il en passant un bras autour de sa taille pour l’aider à avancer. À tous les coins de rue, des hommes murmuraient contre le décret impérial et la foule envahissante des voyageurs. Joseph installa à nouveau Marie à dos-d’âne, mais chaque pas augmentait la souffrance qu’il devinait dans ses yeux. Il s’arrêta une demi-douzaine de fois, mais la réponse des aubergistes était invariablement la même. – Il n’y a pas de place ici. Allez voir ailleurs ! – Joseph ! haletait Marie, pliée en deux par la douleur. Oh, Joseph ! Il n’avait jamais perçu de panique dans son regard et il en fut très troublé. Craignant de tomber, la jeune femme serrait frénétiquement la bride de l’âne. Joseph la souleva promptement de dessus l’animal et l’adossa au mur de la dernière auberge qu’ils découvrirent. Il cogna à la porte. – S’il vous plaît ! dit-il à l’homme qui venait ouvrir. S’il vous plaît, avez-vous une place pour nous ? Ma femme est près d’accoucher. L’homme jeta un œil par-dessus l’épaule de Joseph et grimaça à la vue de Marie. – Il n’y a pas de place pour vous ici. Allez-vous-en ! 39
Marie
– Ayez pitié ! dit Joseph en agrippant le bord de la porte avant qu’elle ne se referme. De grâce ! Je vous en supplie ! – Suppliez tant que vous voudrez, gronda l’homme, cela ne changera rien ! Maudits soient ces Romains qui poussent des gens comme vous à prendre la route, dit-il avec un air de regret en direction de Marie. Puis il repoussa Joseph et referma bruyamment la porte. Ils perçurent encore le bruit sourd d’un verrou, qui interdisait définitivement l’entrée à qui que ce soit. Joseph se tourna vers Marie en tremblant. Ses yeux s’écarquillèrent. – Ohhh… La voix déchirée par la douleur, la jeune femme serrait les bras autour de son ventre et ployait les genoux. Il se baissa promptement et la prit par les bras. – Attends, Marie, attends. La douleur s’apaisa un moment et elle posa sur lui un regard apeuré, mêlé de larmes. – Il sera bientôt là, Joseph, peu importe où nous nous trouverons. Oh, Seigneur, aide-nous ! Joseph fixa les rênes de l’âne à sa ceinture et souleva Marie dans ses bras. Seigneur, Seigneur, montre-moi où aller ! – Le Seigneur va nous aider, Marie, dit-il pour la rassurer. Il va nous aider. Il luttait contre les doutes qui l’assaillaient. Marie gémit et tout son corps se raidit dans ses bras. La peur envahissait Joseph alors qu’il regardait éperdument autour de lui et cherchait frénétiquement de l’aide. Une vieille femme assise contre un mur, enveloppée dans une couverture toute râpée l’interpella. – Essayez les grottes par là. 40
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Une main noueuse apparut de dessous la couverture souillée et un doigt décharné leur indiqua une route en contrebas. – Les bergers y gardent leurs troupeaux l’hiver, mais ils seront dans les collines à cette époque de l’année. – Que le Seigneur vous bénisse ! s’écria Joseph. Il transporta son précieux fardeau en bas de la ruelle et traversa une prairie. Il aperçut alors l’entrée d’une petite grotte en surplomb et s’y précipita. Il fronça le nez en pénétrant dans le sombre renfoncement car l’air y était humide et chargé de l’odeur fétide des fientes et des cendres refroidies. L’âne le suivit dans la grotte et se dirigea tout droit vers une mangeoire à l’arrière. Marie se raidit dans ses bras et se mit à nouveau à crier. La peur envahit Joseph à la vue du sol jonché de détritus répugnants. Est-ce donc l’endroit où le Messie doit voir le jour ? songea-t-il, les larmes aux yeux. Ici, Seigneur ? – Il arrive…, dit Marie. Oh, Joseph… Jésus arrive. Que savait-il de l’aide à apporter aux femmes en pareilles circonstances ? Aurait-il le temps de trouver une sagefemme ? Où pouvait-il aller et que ferait Marie en son absence ? – Reste ici un moment, dit-il en la déposant avec précaution. Appuie-toi sur ce pilier pendant que je te prépare une place. Il trouva une fourche et étendit de la paille dans la salle à l’arrière, puis il sortit sa couverture de leurs bagages et l’étendit sur la paille. Il aida Marie à se coucher. – Essaie de te reposer pendant que je fais du feu et que je cherche de l’eau. Il y avait du petit-bois empilé d’un côté de l’entrée de la grotte et un tonneau rempli d’eau tout près d’un abreuvoir. 41
Marie
Il goûta l’eau et fut surpris de la découvrir étonnamment fraîche. En quelques minutes, il avait allumé un petit feu dans la cavité creusée au centre de la grotte. À cet endroit, le plafond était noirci par d’épaisses couches de suie, tandis que le sol était couvert des déjections des centaines d’animaux qui s’étaient abrités ici au fil des années. – Je suis désolé, Marie, dit-il en s’agenouillant auprès d’elle, les larmes lui coulaient sur les joues et jusque dans sa barbe. Je suis désolé de n’avoir pas pu trouver un meilleur endroit pour sa naissance. Elle lui prit la main et la pressa contre sa joue. – Dieu nous a amenés ici. Ses doigts se crispèrent et elle se mit à haleter et à gémir. Il ressentit sa douleur comme si elle était sienne. Pour la première fois de sa vie, Joseph aurait voulu être quelqu’un d’autre qu’un charpentier qui ignorait tout de ces choses. Il supplia Dieu de lui donner de la sagesse, de l’aider, de soulager Marie de sa souffrance et de veiller à ce que l’enfant naisse en bonne santé. Puis, Marie ressentit un spasme violent et Joseph vit de l’eau maculer la couverture sous ses hanches. – Dis-moi ce que je peux faire pour t’aider ! – Rien, répondit-elle en relâchant son étreinte sur sa main et en souriant malgré la douleur. Les femmes ne connaissent-elles pas les mêmes choses depuis le jardin d’Éden ? Elle ferma les yeux. Une autre contraction succédait à la première. Ses doigts se crispèrent à nouveau douloureusement autour des siens. Puis la douleur s’estompa. Elle respirait avec difficulté. – Ma mère m’a donné un petit sac de sel, un morceau d’ardoise tranchant, un peu de fil et des bandes de tissus. Ils sont dans le bagage. 42
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Il les lui apporta. – Je vais avoir besoin d’eau, Joseph. – Il y a de l’eau fraîche dans le tonneau. Je vais remplir l’outre. – Mets-la ici, tout à côté de moi. Maintenant sors de la grotte. – Mais Marie… Elle n’avait que quatorze ans, c’était encore une enfant. Comment pourrait-elle s’en sortir toute seule ? Elle l’interrompit avec autorité. – Va Joseph ! Je sais ce que j’ai à faire. Mère m’a donné des instructions avant notre départ de Nazareth. Et le Seigneur me guidera dans tout ceci comme il nous a guidés jusqu’à présent. Va maintenant ! répéta-t-elle en serrant les dents et en soulevant ses épaules du sol. Va ! Joseph sortit. Trop nerveux pour s’asseoir, il marcha de long en large, priant à voix basse. Il entendait Marie gémir puis se calmer, et tendait l’oreille au cas où elle changerait d’avis et appellerait à l’aide. Les mouvements de Marie sur le sol de la grotte provoquaient un bruissement continu qui parvenait jusqu’à lui. Il leva les yeux vers les points lumineux qui parsemaient le ciel sombre. Il devina que des forces se rassemblaient autour de lui, comme si des êtres invisibles étaient venus assister à l’événement. Anges ou démons ? Il n’en savait rien. Le cœur battant, Joseph implora l’aide de Dieu tout en revenant à l’entrée de la grotte. Le vent se leva et l’espace d’un bref instant, il crut entendre des rires narquois et la voix sombre qui disait : Penses-tu vraiment pouvoir les protéger de moi ? Joseph tomba à genoux et leva les mains vers le ciel, où Dieu se tenait sur son trône, et il se mit à prier avec ferveur. 43
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– Tu es le Seigneur notre Dieu, le créateur des cieux et de la terre. Protège Marie et ton Fils de celui qui tente de les détruire tous deux. Et il tendit les mains comme s’il voulait seul faire front à la menace qui pesait sur eux. Le vent glacial tomba subitement et l’atmosphère se réchauffa à nouveau. Son cœur s’apaisa en percevant un frémissement d’ailes. Un passage des Écritures lui vint à l’esprit : Ne crains rien, car je suis avec toi. Je suis avec toi. ◆ ◆ ◆
Accroupie, Marie poussa un dernier cri et le Fils de Dieu, baigné d’eau et de sang, glissa hors de son corps. Marie s’affaissa sur ses genoux. Elle souleva son fils et le tint tout contre sa poitrine, l’accueillant au monde avec de douces larmes de joie. Les cris du nouveau-né déchirèrent la nuit glaciale. Marie agit au plus vite, se servant du fil pour nouer le cordon qu’elle coupa ensuite. Elle contempla son fils avec adoration, lava son petit corps lisse et tout plissé, puis répandit un peu de sel sur sa peau pour prévenir toute infection. Elle était surprise qu’il ressemblât à n’importe quel autre bébé. Il ne portait pas la moindre trace de la gloire et de la majesté de son Père tout-puissant. Dix doigts, dix orteils, une touffe de cheveux noirs, deux petites jambes et deux petits bras maigrichons et le visage chiffonné d’un nouveauné qui vient de passer neuf longs mois dans l’eau. Elle riait en l’enveloppant douillettement dans des bandes de tissu et le tint à nouveau contre elle, couvrant son visage de baisers et le berçant tendrement dans ses bras. – Jésus, murmura-t-elle, mon précieux Jésus. Elle était submergée par l’émotion. Elle tenait entre ses 44
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bras l’espoir d’Israël, l’Élu de Dieu, le Fils de l’homme, le Fils de Dieu. Elle ferma les yeux et pria avec ferveur. – Aide-moi à être sa mère, Seigneur. Oh, aide-moi. Quand tout fut fait comme sa mère le lui avait indiqué, Marie se redressa, les jambes tremblantes. – Joseph, appela-t-elle doucement. Viens le voir. Joseph entra immédiatement dans la grotte, le visage pâle et en sueur comme s’il avait lui-même enduré le travail à la place de Marie. Elle rit et baissa les yeux vers Jésus, endormi dans ses bras. – N’est-il pas magnifique ? Jamais elle n’avait éprouvé pareil amour pour un être humain. Elle avait l’impression que son cœur allait éclater. Joseph approcha et contempla l’enfant. Son visage marquait la surprise. Les genoux de Marie tremblaient d’épuisement. Elle aurait voulu un lit chaud et confortable pour son fils. Il n’y avait que la mangeoire. – Ajoutes-y du foin, Joseph, il aura bien chaud. Alors que Joseph préparait la mangeoire, Marie embrassa le visage de l’enfant, sachant qu’un jour, ce bébé grandirait et tiendrait le destin d’Israël entre ses mains. – C’est prêt, annonça Joseph. Marie alla déposer Jésus dans la mangeoire remplie de foin. En se retournant, elle perdit l’équilibre. Joseph la prit dans ses bras et l’étendit délicatement sur un lit de paille fraîche. Ses paupières étaient alourdies par la fatigue. – Je suis désolé, mon amour, dit Joseph, la gorge nouée. Il n’y a personne d’autre ici que moi pour t’aider. Il lui ôta sa robe toute souillée, lui fit sa toilette avec délicatesse et la revêtit, comme une enfant, de la légère chemise de laine moelleuse que sa mère avait confectionnée pour 45
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elle. Puis il l’enveloppa dans une couverture et la borda tout comme elle venait de border Jésus dans son petit lit, humble mais douillet. Comblée, Marie soupira d’aise. – Tout va bien, n’est-ce pas, Joseph ? Il l’embrassa tendrement. – Oui, mon amour. Tout va bien. ◆ ◆ ◆
Joseph se leva et s’approcha de la mangeoire. Le cœur battant à tout rompre, il contempla l’enfant. Il passa délicatement un doigt sous la couverture et l’abaissa légèrement pour admirer le visage de celui qui sauverait son peuple. – Jésus, murmura-t-il. Jésus. Il effleura la peau de velours du bébé et caressa sa main minuscule. Les doigts du petit se refermèrent autour du sien ; alors le cœur de Joseph se mit à battre encore plus vite. Jamais il n’avait éprouvé pareille joie, et en même temps pareille terreur. Dois-je être son père terrestre, Seigneur ? Moi, un simple charpentier ? Assurément ton Fils mérite mieux que cela ! Joseph parcourut du regard les parois sombres de la grotte des bergers et des larmes lui brouillèrent la vue. Submergé par la honte, il baissa à nouveau les yeux et ravala péniblement sa salive. – Pardonne-moi. Cet enfant méritait de naître dans un palais. – Pardonne-moi, répéta-t-il, le visage inondé de larmes. L’enfant ouvrit les yeux et le regarda. La honte de Joseph fondit comme neige au soleil et fit place à de l’amour. Il se pencha pour embrasser la main qui serrait son doigt, et tout son être s’abandonna à la volonté de Dieu. 46
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Il perçut soudain un bruit de pas derrière lui, se détourna brusquement, et se planta fermement devant la mangeoire. Un vieux berger se tenait à l’entrée de la grotte, suivi de près par un autre, plus jeune. Ils contemplaient l’endroit, avec curiosité et ravissement. – L’enfant est-il ici ? demanda le vieil homme, en pénétrant à l’intérieur de la grotte. L’enfant dont ont parlé les anges ? – Les anges ? Joseph aperçut d’autres bergers derrière ceux-ci et, derrière eux encore, un troupeau de moutons paissant dans le pré en contrebas. – Un ange du Seigneur est apparu parmi nous et la gloire du Seigneur nous a soudain environnés, expliqua le berger, alors que les autres s’entassaient à l’entrée. Nous étions terrorisés, mais l’ange nous a dit de ne pas avoir peur. – Il a dit : « Je vous apporte une bonne nouvelle d’une immense joie pour tous ! », ajouta le plus jeune. Un autre s’avança. – « Le Sauveur… Oui, le Messie, le Seigneur… est né cette nuit à Bethléhem, la ville de David ! » Le vieux berger regardait tour à tour Joseph et Marie, qui dormait sur son lit de paille, puis la mangeoire tout au fond de la grotte. Son regard brillait d’espoir. – « Et voici comment vous le reconnaîtrez : vous trouverez un nouveau-né couché dans une mangeoire, enveloppé dans des bandes de tissu ! » Soudain l’ange fut rejoint par une multitude d’autres, l’armée des cieux, qui louait Dieu : « Gloire à Dieu dans les cieux très hauts, et paix sur la terre à tous ceux qu’approuve le Seigneur ». Le visage inondé de larmes, Joseph se retourna et prit Jésus de la mangeoire. 47
Marie
– Il s’appelle Jésus. À l’annonce de son nom, les bergers tombèrent à genoux, le visage illuminé à la lueur des flammes. Marie s’éveilla. Surprise par la présence d’étrangers, elle se releva. Joseph se pencha vers elle, tenant Jésus dans les bras. – Le Seigneur a annoncé la naissance de Jésus, Marie. Et il lui expliqua comment les bergers les avaient trouvés. Marie salua les bergers et se recoucha, à bout de forces. Joseph plaça le Fils de Dieu dans ses bras. Elle lui sourit doucement. Et Joseph et les bergers observèrent silencieusement Marie et Jésus qui s’endormaient tous deux. – Le Seigneur est venu, dit calmement Joseph. Le vieux berger ferma les yeux, des larmes de joie se mêlant à sa barbe, et dit : « Béni soit le nom de l’Éternel ! » ◆ ◆ ◆
Les pleurs de Jésus éveillèrent Marie aux petites heures du matin. Elle le prit près d’elle et le nourrit, s’émerveillant de ce que Dieu avait fait pour elle. Chaque traction sur son sein la remplissait d’un émerveillement croissant et la liait plus étroitement encore à son fils. Elle câlinait Jésus. La nuit était calme et silencieuse. Elle perçut une lueur à l’entrée de la grotte et s’en étonna. Lorsque Jésus fut repu, elle se leva doucement, la douleur lancinante dans ses reins la faisait grimacer. Elle plaça l’enfant dans le foin de la mangeoire et le borda. Marie se couvrit de son châle et alla jusqu’à l’entrée de la grotte pour contempler le ciel nocturne. Son imagination lui jouait-elle des tours ou cette étoile brillait-elle vraiment plus fort que toutes les autres ? Comme un rai de lumière perçant la voûte céleste, l’astre éclairait la ville de David. 48
une femme d’obéissance
Le prophète Joël n’avait-il pas annoncé que le Seigneur afficherait des prodiges dans les cieux et sur terre à la venue du Sauveur ? Marie rabattit son châle sur ses cheveux. « Seigneur TrèsHaut, Créateur de tous les peuples, toi qui habites dans les cieux si haut, loin de nous, toi qui es saint, je t’aime ». Elle pressa ses mains jointes contre son cœur. « Je t’adore. Nul n’est semblable à toi dans tout l’univers ». Elle ferma les yeux, le cœur gonflé d’un espoir confiant. « Tu as fait de moi un vase pour ton Fils. Ton royaume viendra. À travers lui, tu régneras sur la terre comme dans le ciel ». Elle leva à nouveau les yeux. « Béni soit le nom du Seigneur et béni soit le nom de ton Fils, Jésus ». La froide brise nocturne transperçait sa fine tunique. Elle serra les bras autour d’elle. Elle frissonnait, mais elle demeura à l’entrée de la grotte un moment encore, songeant au jour où l’ange du Seigneur était venu lui annoncer qu’elle porterait le Fils de Dieu. Elle songea au rêve de Joseph et à la manière dont il l’avait acceptée elle, mais aussi à l’enfant miraculeux qu’elle avait porté. Comment même un empereur romain avait involontairement obéi à la volonté du Seigneur en ordonnant le recensement qui avait contraint Joseph à rentrer chez lui, à Bethléhem, afin que la prophétie sur le lieu de naissance du Messie puisse s’accomplir. Elle revit les bergers auxquels des anges avaient appris la naissance du Messie. Et plus elle songeait à tout ce qui était arrivé, plus elle comprenait que son intelligence ne pouvait mesurer tout ce que le Seigneur avait prévu et accomplirait à travers son fils. Elle parcourut le paysage du regard et leva les yeux vers le palais d’Hérode, bâti sur le mont qui surplombait Bethléhem. Là-haut vivait un roi terrestre tellement jaloux de sa 49
Marie
puissance qu’il avait assassiné sa femme, Mariamne, et deux de ses fils. Marie frissonna en fixant les fenêtres éclairées du grand palais. Celles-ci semblaient l’observer. L’épuisement la gagna et elle se détourna pour rentrer dans la grotte. Elle devait se reposer pour être prête lorsque Jésus aurait à nouveau faim. Elle s’étira et revint vers le lit aménagé par Joseph. En s’asseyant, elle fit crisser la paille. Son mari s’éveilla. Il voulut se lever, mais elle posa une main sur son épaule. – Tout va bien, Joseph. Rendors-toi. Elle se coucha et il l’attira plus près de lui, remontant la couverture sur chacun d'eux. Il lui demanda si elle avait assez chaud et elle resserra son étreinte. ◆ ◆ ◆
Dehors, les sentinelles de Dieu montaient la garde contre celui qui voulait détruire l’enfant. Ne trouvant aucun moyen de pénétrer dans l’humble sanctuaire, Satan se détourna en ruminant froidement sa fureur. Je trouverai une autre façon de tuer celui qui menace mon territoire ! Ses laquais lui rapportèrent que des hommes voyageaient depuis les confins de la terre pour voir le roi annoncé par la nouvelle étoile. Je vais les écarter de leur route pour les amener vers Hérode, car alors ma volonté sera accomplie sur la terre. Des rires macabres résonnèrent dans la nuit tandis que Marie et Joseph dormaient paisiblement. Seul Jésus s’éveilla et entendit.
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chapitre trois
Marie pénétra dans le Temple avec Joseph. Elle serrait Jésus tout contre elle. Ils venaient offrir un sacrifice à Jérusalem pour la naissance de leur fils, conformément à la loi juive. Joseph parcourut plusieurs échoppes avant de trouver deux tourterelles qu’il estimait suffisamment parfaites pour les amener au sacrificateur. Il examina les deux volatiles et soupira avec regret. – Si seulement j’avais assez d’argent pour acheter un agneau ! L’humilité de son mari émouvait Marie ; elle lui sourit. – Ce fut une tourterelle qui annonça à Noé que Dieu avait suspendu son jugement. L’expression de Joseph s’adoucit et il passa un bras autour des épaules de sa femme. En gravissant les marches, Marie écarquilla les yeux devant l’immensité du Temple bâti par Hérode. L’appel puissant du schofar attira son regard vers le haut et elle aperçut les sacrificateurs sur leur estrade, 51
Marie
portant les longues cornes de bélier à leurs lèvres. Le bruit sourd émis par l’instrument fit trembler Marie. Sa gorge se noua. Une foule de pèlerins entraient et sortaient des parvis, emplissant les couloirs du brouhaha de milliers de voix. Des agneaux bêlaient, des bœufs meuglaient. Les changeurs cherchaient avidement à faire des affaires et la monnaie tintait dans les timbales tandis que l’on négociait les taux de change. – Penses-tu que le Seigneur ignore la façon dont tu me voles ? cria quelqu’un en colère. – Si mon prix ne te plaît pas, va donc trouver mieux ailleurs ! – Que le Seigneur soit juge entre toi et moi ! Joseph éloigna Marie de l’incident et la guida le long des galeries jusqu’à l’entrée du parvis des femmes, où d’autres mères attendaient avec leurs enfants. Il la laissa là, avec Jésus, et s’en alla présenter les tourterelles à un prêtre pour qu’il les sacrifie. Un vieil homme déambulait parmi les femmes et prenait les bébés dans ses bras en examinant attentivement leur visage. Il prononçait une douce bénédiction sur les fières mamans en allant de l’une à l’autre. Une vieille femme l’interpella, « Siméon… », et ils s’entretinrent brièvement. Puis le vieillard se détourna et son regard se posa sur Marie. – Qui est cet enfant ? dit-il d’une voix chevrotante qui trahissait son âge avancé. – Son nom est Jésus. Marie caressa fièrement son fils et entrouvrit suffisamment la couverture pour que le vieil homme pût l’admirer. Qui pouvait deviner qu’elle tenait entre ses bras le Messie, elle, une pauvre paysanne de Nazareth ? 52
une femme d’obéissance
– Jésus, répéta doucement Siméon. « Le Seigneur sauve ». Un nom courant en Israël car c’est le désir de toute jeune fille pieuse de porter celui qui sauvera son peuple de ses péchés. Le cœur de Marie tressaillit étrangement en sondant le regard fermé du vénérable vieillard. Bien qu’il fût presque aveugle, il semblait chercher quelque chose avec un désir ardent. Elle se sentit poussée à en dire davantage. – Je ne lui ai pas donné ce nom. Jésus est son nom. Siméon fronça légèrement les sourcils et fixa à nouveau toute son attention sur l’enfant. Il se pencha plus près pour mieux distinguer ses traits. Marie sourit car Jésus émit un léger vagissement en s’éveillant. Le visage du vieil homme s’enflamma. – Puis-je le prendre ? dit-il en tendant ses mains tremblantes. Marie n’hésita qu’un bref instant avant de lui confier Jésus. Elle scruta le visage de Siméon pendant qu’il tenait son fils, récompensée par l’émotion croissante et manifeste du vieillard. Jésus tendit la main et agrippa de ses doigts minuscules la longue boucle blanche qui descendait sur la tempe de Siméon. Siméon retint son souffle et étrangla brusquement un sanglot. Alarmée, Marie se rapprocha, craignant que le vieil homme puisse laisser tomber l’enfant. Siméon leva la tête et Marie eut le souffle coupé à son tour, car elle vit immédiatement le changement qui s’était produit en lui. Les yeux de Siméon n’étaient plus laiteux, mais d’un brun profond et illuminés d’une joie intense. Son cœur s’emballa. Jésus lâcha la boucle de cheveux de Siméon et le vieil homme embrassa respectueusement la petite main du bébé. 53
Marie
– Seigneur, dit Siméon d’une voix hésitante, désormais je peux mourir en paix ! Comme tu me l’avais promis, j’ai vu le Sauveur que tu as donné à tous les peuples. Il est une lumière pour révéler Dieu aux nations et il est la gloire de ton peuple Israël ! Il riait et pleurait à la fois, sans détacher les yeux de Jésus comme s’il ne pouvait se lasser de le regarder. – Seigneur, Seigneur… – Marie ? s’enquit doucement Joseph, de retour à ses côtés. – Tout va bien, dit-elle, sans se rendre comte que les larmes inondaient son propre visage. Cet homme pieux qui vivait dans le Temple reconnaissait en son fils le Messie. Siméon leva la tête et les regarda tous deux. – Que le Seigneur vous garde et vous protège quand vous élèverez cet enfant dans les voies de son Père. Il sera rejeté par beaucoup en Israël et ce sera leur ruine. Le mot « rejeté » frappa Marie en plein cœur. Qui en Israël rejetterait le Messie ? Tous les Juifs n’aspiraient-ils pas à voir toutes choses rétablies entre Dieu et les hommes ? Assurément, les prêtres et les anciens se réjouiraient. Même le souverain sacrificateur viendrait le saluer. Siméon ne commenta pas ses propos. Il contemplait toujours Jésus. – Mais il sera la plus grande joie de beaucoup, conclut-il. Il rendit l’enfant à Marie puis, prenant la jeune femme au dépourvu, il tendit les mains et lui prit tendrement le visage, comme un père l’eût fait à l’égard de sa fille préférée. L’expression du vieil homme était empreinte de tristesse et de compassion. 54
une femme d’obéissance
– Alors, les pensées les plus profondes de nombreux cœurs seront révélées et une épée te percera l’âme. Troublée par ses paroles, Marie voulait lui demander de s’expliquer, mais la main de Joseph la pressait doucement de s’en aller. – Nous devrions partir, Marie. Obéissant à son ordre, elle baissa la tête devant Siméon et se détourna. Dans le couloir, Marie vit que les pèlerins s’écartaient sur le passage d’une vieille courbée par l’âge et vêtue d’une robe de veuvage. Elle se précipitait vers le parvis des femmes. Près du couple, des gens murmuraient : « C’est Anna, fille de Phanuel de la tribu d’Aser… Ma mère dit qu’elle est venue au Temple à la mort de son mari… Elle a consacré sa vie à servir Dieu nuit et jour par le jeûne et la prière… On dit qu’elle est prophétesse ». Marie se retourna. Siméon, debout dans l’allée, avait toujours le regard fixé sur Jésus. En se détournant à nouveau, elle vit que la vieille femme se dirigeait tout droit vers elle. « Il vient ! » s’écria-t-elle posant un regard d’adoration sur Jésus, niché dans les bras de Marie. Elle tendit les bras, ferma les yeux, leva la tête et se mit à parler d’une voix exaltée. – Sur l’arbre de la famille de David croîtra un rejeton, oui, une nouvelle branche portant du fruit de l’ancienne racine. Et l’Esprit du Seigneur sera sur lui, l’Esprit de sagesse et de discernement, l’Esprit de conseil et de puissance, l’Esprit de connaissance et la crainte de l’Éternel. Il se réjouira d’obéir au Seigneur. Il ne jugera jamais selon les apparences, les fausses preuves ou les ouï-dire. Il défendra le pauvre et l’exploité. Il régnera contre les méchants et les détruira du souffle de sa bouche. 55
Marie
Oui ! Marie aurait voulu crier. Mon fils brisera nos chaînes. Rome ne régnera plus sur le monde. Mon fils régnera. Mon fils rétablira toutes choses. Mais la main de Joseph lui étreignit le bras pour calmer son élan. – Nous devons y aller, Marie. Nous devons y aller maintenant. – Mais elle annonce le jour du Seigneur. – Oui, et les espions d’Hérode sont partout, même dans l’enceinte du Temple. Marie saisit immédiatement sa mise en garde. Hérode avait tué son épouse favorite et deux de ses fils parce qu’il croyait qu’ils menaçaient son trône. Le Messie était un rival, car il priverait un jour tous les rois de la terre de leur pouvoir. – Oui, bien sûr, dit-elle, en s’appuyant sur Joseph qui la guidait à travers la foule. Elle devait protéger son fils jusqu’à ce qu’il fût en âge de prendre la place qui lui revenait. Ils se noyèrent donc dans la foule qui se pressait pour écouter la prophétesse annoncer la venue du Messie. Le cœur de Marie continuait de battre très fort car le Seigneur avait fait en sorte que la naissance du Messie fût annoncée au Temple. Alors qu’ils approchaient de la porte donnant au dehors, Marie remarqua un homme qui se tenait à l’entrée. Il plongea son regard dans le sien, un regard tel que ses yeux laissaient découvrir son âme noire. Elle n’avait jamais décelé pareille haine ni pareille violence dans un regard. « Joseph ! » s’écria-t-elle, effrayée, et le bras de son époux l’enlaça fermement. Elle serra Jésus contre sa poitrine et ils dévalèrent les marches du Temple en toute hâte. 56
une femme d’obéissance
– Qu’as-tu vu ? demanda Joseph alors qu’ils quittaient rapidement le mont du Temple. – Un homme, Joseph, juste un homme, dit-elle, à bout de souffle. Un homme qui avait le regard de la mort. ◆ ◆ ◆
Joseph jugea que le mieux pour eux était de demeurer à Bethléhem, loin des ragots qui couraient sur leur mariage précipité à Nazareth. Peu après leur visite au Temple, il trouva une petite maison aux abords de la ville dans laquelle ils pourraient vivre confortablement. Elle était assez spacieuse pour y installer son atelier de charpentier et entreprendre ses affaires. Ils emménagèrent avec leurs maigres biens. Joseph partit quelques jours avec l’âne pour déterrer des souches d’arbre et ramener du bois. À son retour, il se mit immédiatement au travail et se mit à fabriquer des ustensiles, des bols et des plats qu’il espérait vendre sur les marchés de Jérusalem. Chaque matin, Marie portait Jésus jusqu’au puits dans une couverture nouée en écharpe et puisait de l’eau fraîche pour les besoins de la journée. En s’acquittant de ses diverses tâches ménagères, elle gardait Jésus à ses côtés dans un berceau que Joseph avait confectionné. Souvent, elle amenait Jésus dans l’atelier pour que son mari constate les changements qui s’opéraient en lui. – Il sourit, Joseph ! Regarde ! Et Joseph riait en se réjouissant avec elle. Jésus s’assit à six mois. À sept mois, il rampait. À dix mois, il agrippait les doigts de Joseph et se hissait pour se redresser. Joseph aimait son babillage de bébé et son intérêt marqué pour tout ce qui l’entourait. À onze mois, 57
Marie
il trottinait derrière Marie et, à douze, il se fit sa première égratignure sur le genou. La plupart du temps, Jésus était comme n’importe quel autre enfant mais il arrivait que Joseph éprouvât de la crainte respectueuse lorsque Jésus posait sur lui son regard empreint à la fois d’innocence et de sagesse. Chaque matin et chaque soir, Joseph déroulait les parchemins transmis dans sa famille depuis l’époque de David et leur faisait la lecture. Un soir, Jésus jouait calmement sur le sol. Il remplissait un bateau de couples d’animaux sculptés. Joseph suspendit sa lecture pour l’observer, le cœur gonflé d’émotion. Le petit plaça deux moutons dans le bateau, verrouilla la porte et, tout heureux, frappa ses petites mains l’une contre l’autre. Joseph posa le rouleau sur ses genoux. – Te demandes-tu jamais tout ce qu’il sait, Marie ? – Chaque jour, dit-elle, observant elle aussi les jeux de Jésus. Joseph sourit d’un air contrit. – Je me demande pourquoi le Seigneur n’a pas choisi un homme plus érudit, qui aurait procuré un meilleur foyer à Jésus. – Regrettes-tu de n’être pas plus fortuné ? – Le fils de Dieu mérite assurément mieux. – Dieu n’a-t-il pas toujours choisi les choses que le monde juge insensées pour confondre ceux qui se disent sages ? Peut-être que Dieu a choisi une paysanne pour être sa mère et un charpentier pour être son père terrestre parce que le Messie est destiné à tout notre peuple, et pas seulement à ceux qui habitent les plus belles maisons dans les provinces ou les palais de Jérusalem. Un coup frappé à la porte les fit sursauter. – Qui peut venir à cette heure ? 58
une femme d’obéissance
Marie souleva Jésus et le serra contre elle. Joseph rangea précipitamment le rouleau dans un coffre contre le mur. Il ouvrit ensuite. Marie perçut des voix étrangères, s’exprimant dans un araméen hésitant avec un fort accent. Elle entendit Joseph dire « oui » et les hommes poussèrent des cris joyeux. Joseph se retourna vers elle, le regard brillant d’excitation. – Ces hommes viennent d’Orient. – Qui sont-ils ? – Des savants qui étudient le ciel. Ils ont suivi une nouvelle étoile dont ils disent qu’elle annonce la naissance du roi des Juifs. Ils sont venus pour l’adorer. Marie s’avança. – Invite-les à entrer, Joseph. – Ce sont des païens, Marie, ils souilleront notre maison. – Comment pourraient-ils souiller la maison alors que le Seigneur en personne les a envoyés jusqu’ici ? Joseph acquiesça. Il se retourna et ouvrit la porte toute grande. Des hommes en tenues étranges s’entassèrent dans la petite maison. Marie s’effaça pour leur faire place, car ils étaient quatre, chacun accompagné d’un serviteur. Ils fixaient Jésus avec un mélange de joie et de crainte. Un par un, ils s’agenouillèrent et courbèrent la tête jusqu’au sol devant lui. Jésus s’agita dans les bras de sa mère lui faisant comprendre qu’il voulait descendre. Elle le posa sur ses pieds, surveillant attentivement les étrangers et son fils. – Nous avons apporté des présents, dit l’un d’eux avec un fort accent. Il se tourna vers son serviteur, prit une boîte sculptée et l’ouvrit. Étonnée, Marie vit qu’elle était remplie de pièces d’or. Elle n’avait jamais vu autant de monnaie, sauf à la 59
Marie
table des changeurs dans le Temple. Il y avait plus dans cette boîte que tout ce que Joseph pourrait gagner en l’espace de toute une vie. L’autre homme lui remit un sac de cuir ouvragé. – De l’encens. Le troisième apporta une autre boîte remplie de pièces et le quatrième déposa à ses pieds une bouteille d’albâtre scellée sur le tapis de sol. – De la myrrhe, dit-il. Marie s’émerveilla de tels présents. Ils avaient apporté de l’or en tribut à son fils qui deviendrait roi, de l’encens pour qu’il le brûle en offrande au Temple et de la myrrhe comme baume parfumé pour oindre son corps. Jésus ne prêta pas la moindre attention aux présents, mais trottina parmi les hommes venus pour l’adorer. Il touchait leur visage et leurs turbans, et plongeait son regard dans le leur. Il alla même parmi les serviteurs, qui enfouirent leur tête contre le sol de terre battue plutôt que de se laisser toucher par lui. Jésus s’assit parmi eux et ouvrit son petit bateau en bois, et répandit à nouveau ses animaux par terre. Joseph rit. – Venez, mettez-vous à l’aise. Nous ne possédons pas grand-chose, mais ce que nous avons, nous vous l’offrons volontiers. Il versa du vin et rompit le pain. Puis il écouta, fort intéressé, ces hommes raconter leur long périple vers la Judée. Marie s’assit sur le tapis aux côtés de Jésus qui jouait avec son bateau et ses animaux. Elle écoutait tout ce qui se disait. Les bâillements répétés de Jésus décidèrent Marie de le coucher. 60
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Alors seulement, la conversation aborda les dangers qui menaçaient le petit. – Nous sommes allés voir Hérode et nous lui avons demandé : « Où se trouve le roi des Juifs qui vient de naître ? » Nous lui avons parlé de la nouvelle étoile et de notre si long voyage pour venir adorer ce roi nouveau-né. Joseph blêmit. – Et que vous a-t-il répondu ? Le plus âgé des quatre voyageurs parla avec gravité. – Il a appelé les principaux prêtres et enseignants de votre peuple et les a questionnés à ce propos. Ils ont dit que le Messie devait naître à Bethléhem de Judée. Car l’un de vos prophètes a dit : « Et toi, Bethléhem, petit village de Judée, tu n’es certes pas le plus insignifiant des chefs-lieux de Juda, car c’est de toi que sortira le chef qui, comme un berger, conduira Israël mon peuple ». – Nous nous préparions à quitter le palais lorsque le serviteur d’Hérode vint vers nous, dit un autre. Il nous a parlé à voix basse pour préserver le secret de ses propos. – Le roi Hérode nous a fait dire d’aller et de chercher soigneusement l’enfant, puis lorsque nous l’aurions trouvé, de revenir vers lui pour le lui annoncer afin qu’il puisse, lui aussi, aller l’adorer. Marie vit la peur envahir le regard de Joseph. – Et quand le ferez-vous ? – Ne sois pas inquiet, Joseph, dit le plus âgé. La réputation du roi Hérode est connue parmi les nations. Et puis, ajouta-t-il en se penchant et en claquant ses mains entre ses genoux, un messager de Dieu est venu à nous et nous a dissuadés de retourner au palais. Marie regarda Joseph, mais toute son attention restait fixée sur les quatre hommes. 61
Marie
– Nous avons pour habitude de dormir le jour pour pouvoir suivre l’étoile la nuit, dit un autre. Et hier, après avoir quitté le palais du roi, nous nous sommes arrêtés dans une auberge à Jérusalem. – Et nous avons tous fait le même rêve. – Exactement le même rêve. Le plus âgé leva la main pour calmer l’excitation de ses compagnons. – Nous avons tous reçu pour consigne de ne pas retourner vers Hérode, mais de rentrer chez nous par un autre chemin. – Hérode vous fera rechercher, dit amèrement Joseph. – Il enverra des hommes à la recherche d’un groupe de mages, accompagnés de leurs serviteurs, mais il ne nous trouvera pas, car nous prendrons chacun une direction différente. Babylone, Assyrie, Macédoine et Perse. Mais vous ne disposerez que de quelques jours avant que le roi comprenne que nous sommes partis. Alors, il se mettra à la recherche de l’enfant. La peur étreignit le cœur de Marie. Elle leva les yeux vers Joseph ; son visage était tendu. – Il est temps, décréta le plus âgé, et ils se levèrent tous. L’ancien étreignit les bras de Joseph. – Que le Dieu de vos pères vous protège et protège votre fils. Ils sortirent dans la nuit. Joseph referma la porte derrière eux. Marie se leva, tremblante. – Qu’allons-nous faire, Joseph ? – Nous allons attendre.
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– Tu m’as dit un jour qu’Hérode avait des espions partout, même dans le Temple. N’aurait-il pas fait suivre ces hommes ? Ils savent sûrement où nous vivons. Il vint vers elle et prit son visage dans ses mains. – Et qui me répète depuis des mois que Jésus est l’enfant du Dieu Très-Haut ? Mais elle était incapable de maîtriser son tremblement. Comment pourraient-ils protéger Jésus si le roi Hérode l’envoyait chercher ? Joseph l’attira tout contre lui. – J’ai peur, moi aussi, Marie, mais le Seigneur est assurément capable de protéger son propre Fils. – Nous devrions retourner à Nazareth. – Non. Nous attendrons ici… Ils avaient tous deux besoin de se rappeler l’essentiel. –… que Dieu dirige nos pas. ◆ ◆ ◆
Cette nuit-là, couché sur sa paillasse aux côtés de Marie, Joseph entendit à nouveau la voix. – Joseph, dit l’ange éblouissant de lumière et de force, mais rassurant. Joseph ? – Oui, Seigneur, répondit Joseph dans son sommeil. – Lève-toi et fuis en Égypte avec l’enfant et sa mère, dit l’ange. Restes-y jusqu’à ce que je te dise de revenir, car Hérode va chercher à tuer l’enfant. Joseph s’éveilla brusquement dans l’obscurité. Tout était calme dehors dans la rue. Il se leva doucement pour ne pas éveiller Marie, prit les présents offerts à Jésus par les mages et les rangea délicatement dans le coffre qui contenait déjà les rouleaux qu’il avait hérités de sa famille. Il se rendit dans l’étable qu’il avait bâtie à l’arrière de la maison et harnacha 63
Marie
son âne, fixant des sangles à sa selle pour pouvoir accrocher des paniers de chaque côté. Dans l’un, il plaça la boîte contenant les précieux rouleaux et les cadeaux offerts à Jésus et, dans l’autre, ses outils, son tablier de cuir et des carrés de bois d’olivier. Puis il remplit deux outres d’eau et fourra suffisamment de grain dans un sac pour nourrir sa famille pendant une semaine. – Marie, chuchota-t-il en l’embrassant sur le front. Marie, réveille-toi. Elle s’assit et se frotta les yeux comme une petite fille. Il écarta les mèches de cheveux tombées sur son visage. – Un ange du Seigneur m’a parlé dans un rêve. Nous devons quitter Bethléhem sur-le-champ. Elle fixa sur lui des yeux écarquillés, remplis d’espoir. – Retournons-nous à Nazareth ? – Non, mon amour, nous allons en Égypte. Il vit la consternation, puis la peur dans son regard, mais le temps lui manquait pour dissiper ses craintes. – Allons viens, dit-il, en lui prenant la main. Nous devons partir. Dès qu’elle fut debout, il prit les couvertures et rapidement les plia. – Prépare Jésus pour le voyage. Il fixa les couvertures sur le dos de l’âne. Marie sortit peu de temps après. Jésus était enveloppé chaudement et s'était déjà rendormi dans l’écharpe qu’elle avait nouée autour de ses épaules. Ainsi, elle pourrait le nourrir aisément pendant le voyage. Ils partirent dans la nuit. Joseph n’éprouvait pas le moindre regret de laisser la maison qu’il avait achetée pour sa famille ni l’affaire qui commençait à peine à prospérer. Sa 64
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seule pensée était de faire sortir Jésus de Bethléhem avant qu’Hérode envoyât ses soldats pour le trouver et le tuer. – Seigneur, donne-nous la force nécessaire pour le voyage, murmura Joseph. Donne-nous la force et le courage nécessaires pour ce qui nous attend. Ils suivaient une route secondaire tracée par le passage des pèlerins venus des régions d’Asdod, d’Askalon et de Gaza. Le soleil se levait devant eux. Jésus s’éveilla et se mit à pleurer. – Il a faim, dit Marie. Ils s’arrêtèrent et elle le nourrit. – As-tu jamais songé que la route que nous suivons pourrait être celle empruntée par Joseph lorsque ses frères l’ont vendu aux Ismaélites ? Joseph fut ému par la sensibilité de sa femme. Elle pensait à tant de choses, en les méditant pour trouver leur signification cachée. – Non. Je songeais seulement à nous faire sortir de Bethléhem le plus vite possible, dit-il en la regardant poser Jésus sur ses pieds. Elle riait en voyant le petit garçon trotter joyeusement vers un parterre de coquelicots. Il arrivait que Joseph eût du mal à croire que cet enfant était le Fils de Dieu. La plupart du temps, il ressemblait à n’importe quel autre petit garçon de son âge, fasciné par tout ce qui l’entourait, ayant besoin d’être protégé et guidé. Mais, certaines fois, une lueur s’éveillait dans son regard, comme surpris par un lointain souvenir. Était-il purement humain ? Ou la sagesse incarnée, croissant chaque jour davantage jusqu’à ce que la pleine conscience de ce qu’il était vraiment frappât dans toute sa force ? Que se passerait-il alors ? Ce petit garçon que Joseph aimait comme sa propre chair et son propre sang 65
Marie
deviendrait-il le roi guerrier que tout Israël aspirait à voir monter sur le trône ? Ou… ? Joseph éprouva une étrange sensation qui lui glaça lentement l’échine. Sa gorge se noua. Où Jésus grandirait-il pour devenir le serviteur éprouvé dont parlait le prophète Ésaïe ? Comme il observait Jésus, des larmes troublèrent sa vision. Parfois Joseph devait se rappeler que cet enfant qui jouait comme n’importe quel autre était le Fils du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et Hérode, l’homme le plus puissant de toute la Judée, essayait de le tuer. À quel genre d’opposition Jésus devrait-il faire face une fois adulte ? Tous les prophètes, à l’exception de Moïse et d’Élie, n’avaient-ils pas connu une mort violente ? – Jésus, viens ici ! Joseph le prit dans ses bras et le tint serré contre lui, submergé d’amour au point d’en avoir mal. Les yeux humides, il embrassa Jésus et le souleva dans les airs pour que l’enfant pût se percher sur ses épaules. Jésus serra ses petits bras autour de son cou et Joseph éprouva une bouffée de plaisir. Il prit les mains de l’enfant et embrassa chaque paume, puis les souleva vers le ciel. Les yeux de Marie brillaient de plaisir. – Il a l’air de vouloir embrasser le monde entier. Oui, songea Joseph. Mais le monde voudra-t-il l’embrasser ? ◆ ◆ ◆
Vingt longs mois s’écoulèrent. Bien que Joseph prospérât, il se sentait mal à l’aise parmi tous ces adorateurs d’idoles. La loi exigeait qu’il emmène sa famille à Jérusalem pour un pèlerinage au moins une fois tous les deux ans. Or, le moment approchait. Et ce n’était pas simplement la 66
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loi qui lui donnait l’envie de partir. Il aspirait à entendre à nouveau le son des cors et le murmure de voix araméennes dans les rues. Il priait constamment, demandant à Dieu de les appeler hors d’Égypte. Chaque soir, au coucher du soleil, Joseph ouvrait la boîte contenant les précieux rouleaux et appelait Jésus auprès de lui. Le petit garçon grimpait sur ses genoux et Joseph lisait la Torah à voix haute ou un texte contenant les paroles du roi David ou du prophète Ésaïe. Puis il serrait l’enfant contre lui et priait. Un jour, Joseph se reposait dans la chaleur de l’aprèsmidi lorsque l’ange du Seigneur lui apparut. – Lève-toi, prends l’enfant et sa mère et retourne dans le pays d’Israël, parce que ceux qui voulaient tuer l’enfant sont morts à présent. Joseph se redressa le cœur battant. – Marie ! Il bondit sur ses pieds et sortit la rejoindre. Elle était assise à l’ombre et observait Jésus qui dessinait avec un bâton dans le sable. – Marie ! s’écria-t-il, débordant de joie. Nous rentrons à la maison ! annonça-t-il en la soulevant dans ses bras. ◆ ◆ ◆
Une fois encore, Joseph et Marie laissèrent tout derrière eux, à l’exception de leurs biens les plus précieux, et s’en allèrent là où le Seigneur les guidait. Le voyage de retour par le chemin de la mer fut rapide car ils se hâtaient, pressés de rentrer au pays. Joseph pensait ramener Marie et Jésus à Bethléhem, où avait vécu son ancêtre David. La ville était proche de Jérusalem et proche du Temple. Le Fils de Dieu 67
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ne devait-il pas vivre là où l’on venait adorer Dieu ? Ne devrait-il pas vivre au sommet de la montagne ? Mais lorsqu’ils parvinrent à la frontière sud d’Israël, Joseph dut s’acquitter d’une taxe à un poste de péage. Il repéra un insigne qui l’inquiéta et il fronça les sourcils. – Qui règne à la place d’Hérode ? demanda-t-il. Le soldat romain leva les yeux vers lui en ricanant. – Où étais-tu donc passé, Juif ? C’est Archélaüs, fils d’Hérode. Qui d’autre ? La peur saisit Joseph au ventre. Marie l’attendait à l’écart en tenant Jésus par la main. Lorsqu’il approcha, elle leva vers lui un regard interrogateur. – Qu’est-ce qui ne va pas, Joseph ? Joseph aurait parfois souhaité que sa femme fût moins perspicace. – C’est Archélaüs qui règne à Jérusalem. Son visage blêmit. Elle savait comme lui que le sang d’Hérode coulait dans les veines d’Archélaüs. Ce roi seraitil, lui aussi, un ennemi impitoyable ? Marie souleva Jésus et le cala sur sa hanche. – Faut-il retourner en Égypte ? Il réfléchit un instant et prit les rênes de l’âne. – Non, nous continuons. – Mais Joseph, ne devrions-nous pas y réfléchir un instant jusqu’à ce que nous connaissions la volonté de Dieu ? Joseph tourna l’animal dans la direction de Jérusalem. – Rien n’a changé, Marie. Dieu nous a dit de retourner en Israël et nous irons en Israël tant qu’il ne nous dira pas le contraire. Il jeta un regard vers son épouse et comprit d’emblée que ses pensées couraient dans toutes les directions, envisageant 68
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toutes les alternatives possibles. Marie examinait tous les aspects de la situation. – Le Seigneur nous protégera maintenant, comme lors de notre séjour à Bethléhem. Au fur et à mesure que se déroulait le voyage, l’excitation du retour au pays fit progressivement place à une crainte grandissante. Dieu les avait fait fuir en Égypte à cause d’Hérode. Archélaüs se montrerait-il moins jaloux de son pouvoir que son père avant lui ? À leur arrivée à Bethléhem, les gens se rappelleraient-ils l’attention que Jésus avait attirée de la part de Siméon et d’Anne dans le Temple ? Se souviendraient-ils de l’étrange visite des mages qui avaient parcouru ce si long chemin pour voir l’enfant dont la naissance avait été annoncée par les astres ? Un tel événement se répéterait. Les rumeurs abonderaient. Le nouveau roi en aurait vent. Et, comme son père avant lui, Archélaüs voudrait éliminer quiconque oserait contester son autorité, même le Fils de Dieu. Seigneur, Seigneur, je crains pour la vie de ton Fils et de sa mère ! Joseph se gardait de prier davantage, car l’ordre de l’ange avait été clair. Retourne dans le pays d’Israël. Pourtant, à chaque pas, l’appréhension de Joseph grandissait. Seigneur, Seigneur, j’ai peur. Aide-moi à obéir. – Joseph, pouvons-nous nous reposer un instant sous ces arbres ? souffla Marie. Il se retourna et vit la sueur perler sur son visage. Elle n’avait pas déposé Jésus depuis qu’ils avaient quitté le péage. Il mena l’âne sur le bord de la route et laissa les rênes pendre sur le sol pour permettre ainsi à l’animal de se nourrir tandis qu’ils se reposaient à l’ombre. Marie posa Jésus sur ses pieds et se laissa tomber sur le sol avec un soupir de soulagement. Elle ferma les yeux et inspira profondément en souriant. 69
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– Chaque pays possède son propre parfum. Jésus jouait tout près d’eux. Joseph promenait ses doigts dans les fils de son châle de prière. Seigneur, Seigneur… Marie s’assit à ses côtés. – Repose-toi, Joseph. Il se refusait à partager les pensées qui le tourmentaient. Il voulait qu’elle se sente en sécurité en dépit du danger qui les menaçait. – Je ne suis pas fatigué. Elle posa une main sur la sienne. – Ferme les yeux un instant, Joseph. Pour me faire plaisir. Elle se leva et alla vers Jésus. Lorsqu’ils revinrent ensemble et s’allongèrent à l’ombre, Joseph se détendit. La chaleur de la mi-journée s’abattit sur lui comme une couverture pesante. Il était fatigué, si fatigué qu’il avait l’impression de se fondre dans la terre. La voix familière se fit à nouveau entendre, si faiblement que son âme dut se pencher davantage vers elle. – Joseph, fils de David, ne retourne pas à Bethléhem, car Jésus y serait en danger. Retourne plutôt dans la région de Galilée et installe-toi à Nazareth. Il s’éveilla, s’assit. Il vit à la position du soleil que plusieurs heures s’étaient écoulées. Jésus dormait encore dans les bras de sa mère. – Marie, appela doucement Joseph, le cœur battant. Elle ouvrit les yeux encore alourdis par le sommeil, et le regarda. Elle cligna des paupières et se redressa. – Le Seigneur t’a parlé à nouveau. Je le devine. – Nous devons aller à Nazareth et nous y installer. – Oh ! s’écria-t-elle, le visage illuminé par la joie. Elle serra contre elle Jésus, qui s’éveillait aussi. 70
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– Nous rentrons à la maison, mon amour. À la maison, auprès de ta grand-mère, ta tante et ton oncle. À la maison ! ◆ ◆ ◆
À leur arrivée à Nazareth avec Jésus, Marie et Joseph trouvèrent inchangé le modeste village situé en bordure des routes commerciales. Mais la maison d’Anne était déserte et le jardin à l’arrière laissé à l’abandon. Dépités, Marie et Joseph se hâtèrent jusqu’à la maison de sa sœur et de son beau-frère. Ils se saluèrent joyeusement. Après quoi, Clopas, son beau-frère leur annonça : – Ta mère est morte l’année qui a suivi le recensement. – Nous avons tous pensé que quelque chose de terrible vous était arrivé, expliqua la sœur de Marie. Lorsque nous avons appris ce qu’Hérode avait fait, nous vous avons crus perdus. – Perdus ? Que veux-tu dire ? demanda Marie, confuse. – Qu’a fait Hérode ? dit Joseph, debout à ses côtés. – Il a fait tuer tous les enfants mâles de Bethléhem, dit Clopas. Tous, sans exception ! Entre zéro et deux ans. Chacun d’entre eux. Ainsi que tous ceux qui tentèrent de s’opposer aux soldats du roi chargés d’exécuter ses ordres. Marie se sentit défaillir. Elle serra étroitement Jésus dans ses bras tout en prenant brusquement conscience de ce qui était arrivé. Si Joseph n’avait pas immédiatement obéi à l’Éternel, Jésus se serait trouvé parmi les enfants massacrés par les soldats d’Hérode. Voilà pourquoi il l’avait réveillée au milieu de la nuit et emmenée loin de la ville avec Jésus. Il ignorait ce qui allait se passer, il savait seulement que Dieu avait ordonné de fuir en Égypte. Par la grande miséricorde 71
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de Dieu, la vie de Jésus avait été épargnée, et les plans d’Hérode avaient échoué. Sa gorge se serra sous l’effet de la douleur. Dieu avait sauvé son fils, mais qu’en était-il de tous ces pauvres enfants innocents qui avaient été massacrés sur l’ordre d’Hérode ? Et leurs pauvres pères et mères endeuillés ? Comment une telle abomination pouvait-elle exister dans le monde ? Marie pleurait. Elle laissait courir ses mains sur Jésus. – Maman ? Elle se mit à pleurer au creux de son cou. Sa sœur vint vers elle. – En ne vous voyant pas revenir à Nazareth, nous avons supposé que vous étiez morts à Bethléhem avec votre enfant, expliqua-t-elle en pleurs, en embrassant Marie et Jésus. Mais vous voilà tous ici sains et saufs. Dieu soit loué ! – Ta mère est morte persuadée que vous aviez tous été tués, dit Clopas. Elle est morte, vous croyant morts. Marie perçut le soupçon de reproche dans la voix de son beau-frère et leva le menton pour défendre son époux. – Dieu a dit à Joseph que nous devions aller en Égypte et attendre là-bas. Clopas fronça les sourcils en regardant Joseph. – Dieu t’a dit d’aller en Égypte ? Joseph serra les mâchoires, mais ne répondit pas. Dépitée, Marie considéra les deux hommes. L’hostilité de Clopas était manifeste. La colère de Marie était mêlée d’embarras. Joseph ne se défendrait pas, il ne tenterait pas de se justifier. Sa famille pensait-elle qu’elle avait menti sur la venue de l’ange du Seigneur pour lui annoncer qu’elle porterait le Messie ? Préféraient-ils croire les rumeurs prétendant que Joseph l’avait séduite avant leur mariage et qu’ils avaient inventé cette histoire ridicule pour éviter d’être lapidés ? Les rumeurs 72
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sur l’enfant qu’elle portait allaient-elles être ravivées à présent que Joseph et elle avaient ramené Jésus à Nazareth ? Tenant fermement Jésus contre elle, elle se tourna vers sa sœur. Cette femme la connaissait mieux que quiconque, à l’exception de Joseph. Elle la croirait assurément. – Quand Jésus est né à Bethléhem, des bergers sont venus le voir. Ils nous ont dit que l’ange du Seigneur était apparu parmi eux, et que la gloire du Seigneur les avait entourés. L’ange leur dit de ne pas avoir peur, car il apportait la bonne nouvelle d’une grande joie. Cette nuit-là à Bethléhem, le Sauveur, le Messie, était né. Et l’ange leur dit qu’ils trouveraient le bébé couché et emmailloté dans une mangeoire. – Une mangeoire ? répéta tristement sa sœur. Était-ce là tout ce qu’elle avait entendu ? Ne comprenaitelle pas l’accomplissement de la prophétie ? Clopas s’éclaircit la voix. – Le Messie, né dans une étable ! Et vous espérez nous faire croire ça ? Marie luttait contre les larmes. – Des mages se sont présentés dans notre maison à Bethléhem, Clopas. Ils ont dit avoir suivi une nouvelle étoile apparue dans le ciel au moment de la naissance de Jésus. Ils ont apporté des présents. Ils ont d’abord été voir le roi, pour demander où le Messie devait naître. – Marie… appela sa sœur pour tenter de l’apaiser. Clopas fixait Joseph. – Comment as-tu pu la convaincre de tout cela ? – Je dis la vérité ! cria Marie. Pourquoi refuses-tu de me croire ? – Tais-toi, Clopas, dit sa sœur. Je t’en prie. – Ne me dis pas que tu la crois ! 73
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– Je connais ma sœur, dit-elle en serrant Marie contre elle. Elle n’a jamais menti auparavant. – Je ne mens pas davantage à présent, dit Marie furieuse. Jésus est le Messie. Oui, il l’est ! Clopas hocha la tête. – Elle a perdu la tête. – Elle dit la vérité, dit calmement Joseph. Clopas le regarda un long moment et fronça les sourcils. – Même si je croyais cette histoire, quelle importance ? C’est ce que tout le monde croit dans le village qui importe. Clopas regarda Jésus et grimaça. – Un fils né trop tôt après la cérémonie de mariage, d’une fille si imbue d’elle-même qu’elle est convaincue avoir donné la vie au Messie, n’est rien d’autre qu’un scandale. Le Messie, né d’une paysanne à Nazareth. Personne ne croira jamais ça. Ébahie, Marie ne pouvait que le regarder, mortifiée. Joseph se pencha vers elle et prit Jésus dans ses bras. – Viens, Marie, dit-il en passant son bras autour d’elle. – Je suis désolée, murmura sa sœur. – Ne t’avise pas de t’excuser auprès de lui, dit Clopas, menaçant. Il est la cause de tous nos problèmes et la raison de la honte qui s’est abattue sur notre famille. – Tu as tort, dit Marie, d’une voix tremblante. Joseph est au-dessus de tout reproche et Jésus est l’Oint de l’Éternel. Un jour, tu verras la vérité ! Un jour, elle serait vengée. Ils verraient tous son fils sur le trône, régnant avec justice ! – Je croirai qu’il est le Messie lorsque je le verrai mener une armée derrière lui, et chasser tous les Romains de Jérusalem ! 74
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Marie sentit l’étreinte de Joseph se resserrer pour la tirer vers la porte. Elle résista, tenant à répondre à sa sœur et à son beau-frère. Elle était submergée par la colère, mais Joseph était ferme. Un bras passé autour d’elle pour la protéger, il l’emmena dans le dédale des rues étroites. – Oh, Joseph. Je n’aurais jamais cru que cela se passerait ainsi. Pourquoi préfèrent-ils les mensonges à la vérité ? Jésus ne va tout de même pas grandir dans des ténèbres aussi… profondes. – C’est Dieu qui nous a amenés ici, Marie. Ce qui arrivera désormais, je l’ignore, mon amour. Mais nous devons vivre avec la force que nous donne le Seigneur. – Maman ? dit Jésus, effrayé par ses larmes de douleur et de colère. Joseph, le regard inquiet, passa tendrement la main dans ses cheveux. Lorsque Jésus leva les yeux vers lui, Joseph lui sourit et lui caressa la joue du revers de la main. Marie découvrit l’amour de son mari dans son regard. Elle souffrait pour lui. Sa réputation avait été ruinée autant que la sienne. Les gens croyaient qu’il l’avait séduite. Bénis Joseph, Seigneur. Oh, de grâce, bénis-le pour ce qu’il va endurer pour ton Fils et pour moi. Combien d’hommes accepteraient de bonne grâce de perdre ainsi leur réputation, tout en sachant que leurs actes étaient dirigés par Dieu ? Combien d’hommes se lèveraient aux premiers murmures de Dieu et quitteraient maison et biens pour partir dans un pays étranger ? Ou quitteraient maison et biens pour revenir dans une ville où tous étaient persuadés qu’il avait séduit une jeune vierge et lui avait rempli la tête d’histoires d’anges et de naissance messianique ? Chaque jour qui passait augmentait l’amour de Marie pour l’homme que Dieu avait choisi pour elle. Elle l’avait apprécié dès leur première rencontre. Elle l’avait respecté 75
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d’autant plus à chacune des épreuves qu’ils avaient dû surmonter et elle l’aimait désormais plus qu’elle ne l’aurait cru possible. Oh, Seigneur, tu as déversé sur moi bénédiction après bénédiction. Joseph déposa Jésus à terre et Marie lui prit la main. Ils marchèrent ensemble, tous les trois, dans la rue. Jésus prit la main de Joseph. Marie sourit à son mari et elle sentit son cœur plus léger. – Un jour, ils verront Jésus dans toute sa puissance, Joseph. Alors ils sauront tous quel tort ils nous ont causé. Elle ravala ses larmes, releva la tête et poursuivit sa marche en silence. ◆ ◆ ◆
La petite maison de Joseph était restée dans l’état où ils l’avaient quittée. Il y installa son atelier et gagna humblement sa vie en confectionnant des jougs, des charrues et des échelles. Lorsqu’il était sans travail, il se levait tôt et se rendait à Sepphoris pour louer ses services à des intendants qui louaient de bons charpentiers pour construire des treillages, des portes et des meubles destinés aux riches. La vie devint routinière, avec ses périodes de difficultés et de dur labeur. Chaque matin, Marie et Joseph se levaient ensemble, faisaient une rapide toilette. Marie prononçait la bénédiction sur la maison et sortait nourrir et abreuver l’âne. Joseph partait alors travailler dans son atelier ou à Sepphoris. Ensuite Jésus et Marie descendaient au puits pour y puiser l’eau de la journée. Elle travaillait dans le potager ou le parterre de fleurs. Elle pressait l’huile pour les lampes, pilait les épices, ramassait du bois pour le feu, lavait le linge, maniait le fuseau et le métier à tisser, préparait les repas et étalait les paillasses. 76
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Par égard pour Jésus, Marie n’évoquait jamais la visite de l’ange du Seigneur, ni sa conception miraculeuse, ni la venue des mages, ni les présents que Joseph gardait pour lui. À quatre occasions, le Seigneur s’était adressé à Joseph, mais elle n’en dit rien. Un jour, lorsque Jésus révélerait sa puissance et le but de sa venue, les gens écouteraient le récit de sa conception, mais pour le moment elle ne parlerait pas des miracles de Dieu. Elle ne laisserait pas en pâture des choses saintes à des incrédules et ne donnerait aucune opportunité à ceux qui se moquaient du Fils de Dieu. Il arrivait que l’ordinaire de leur vie la laisse perplexe. À maints égards, Jésus était comme n’importe quel enfant. Il avait rampé avant de marcher. Il avait trébuché en faisant ses premiers pas. Il avait babillé avant de pouvoir articuler des mots et former des phrases. Il était curieux, cherchant à toucher et à saisir tout ce qui se trouvait à sa portée. Toutes les autres mères se vantaient de leurs fils, mais Marie savait qu’aucun n’aurait pu être comparé au sien. Aucun enfant n’était si parfait, si tendre, si respectueux du monde et des gens autour de lui. Il observait, écoutait et se réjouissait facilement. Il ne se plaignait jamais, ni ne geignait, mais exprimait ses besoins simplement. Il ne tentait jamais de manipuler sa mère par des larmes ou des caprices. Certains disaient qu’il lui ressemblait. – Jésus a ton menton, Marie… Il a ton nez… Mais personne ne disait jamais que Jésus avait ses yeux. Ce fut Joseph qui coupa les boucles de Jésus lorsqu’il ne fut plus un bébé. Ils firent une fête ce jour-là avec tous les parents et anciens amis de Marie. Des gâteaux de noix et de raisins furent distribués aux enfants venus participer à cette journée particulière. 77
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Lorsque Joseph s’en allait à Sepphoris pour trouver du travail, Marie se rendait avec Jésus jusqu’aux abords de la ville au coucher du soleil. – Le voilà, mère ! Jésus pointait le doigt vers l’horizon lorsque Joseph apparaissait, en contrebas de la route menant à Nazareth. – Père ! Il courait pour l’accueillir et revenait à ses côtés comme Joseph gravissait la colline. Chaque soir, Joseph installait Jésus sur ses genoux et lui faisait la lecture dans les rouleaux. Il connaissait par cœur bon nombre de psaumes écrits jadis par son ancêtre, le roi David. Marie aimait l’écouter. Ils prenaient le simple repas préparé par Marie et évoquaient les événements de la journée. Elle était reconnaissante lorsqu’il y avait assez de travail pour garder Joseph à Nazareth, qui emmenait alors Jésus dans son atelier. Elle leur apportait du pain et de l’eau et les observait un moment. Joseph utilisait la moindre occasion pour enseigner à Jésus comment manier les outils de son art : marteau, ciseau, maillet et alêne. Il lui apprit l’utilisation du rabot et le système des mesures. Lorsqu’il serait plus grand, Jésus apprendrait à manier l’herminette et la hache. Ils travaillaient bien ensemble : Joseph en maître patient et Jésus en élève motivé et assidu. Concentré sur son ouvrage, Jésus fronçait les sourcils tout en ciselant sur une planche un motif dessiné par Joseph : une vigne courbe avec une grappe de raisins, une étoile de David ou une grenade. – Lorsque nous retournerons au Temple pour la Pâque, disait Joseph, je te montrerai les grandes colonnes dorées. Ces colonnes sont l’œuvre de charpentiers de grand talent qui les ont façonnées, puis couvertes de fines feuilles d’or pour qu’elles paraissent faites d’or massif. 78
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Le soir, derrière son métier à tisser, Marie écoutait Joseph lire la Torah, les prophètes, et les psaumes de son ancêtre David. Joseph enseigna à Jésus comment lire et écrire. Et ce fut aussi Joseph qui prit Jésus par la main à l’âge de six ans et le présenta au précepteur de la synagogue pour que l’éducation de leur fils soit correctement suivie. Peu de temps après, les prières de Marie furent exaucées. Elle se tint dans l’embrasure de la porte de l’atelier de Joseph tout en le regardant tailler une coupe, et lui dit : – Tu n’as jamais dit une seule fois vouloir un fils de toi, Joseph. Il jeta un coup d’œil vers elle et hocha la tête. – Devrais-je souhaiter plus que ce que Dieu m’a donné ? Chaque jour, je regarde Jésus et je vois grandir l’espoir d’Israël. – Ce serait bien pour lui d’avoir des frères et des sœurs qui l’aimeraient comme nous. Certains dans le village continuaient de jaser sur la naissance précipitée de Jésus. Ils le méprisaient, et ils incitaient leurs enfants à faire de même. – Mais toi, qu’en penses-tu ? dit-elle, refusant de lui révéler son secret trop vite. Les enfants sont une bénédiction du Seigneur. Il leva la tête et sourit. – Je ne demanderai pas plus de bénédictions que tout ce que le Seigneur m’a déjà donné. – Le Seigneur bénit ceux qui l’aiment, Joseph. Il les bénit abondamment. Amusée, elle le regardait arracher un copeau de bois. Elle aimait le regarder travailler, car il prenait tant de soin à tout ce qu’il faisait ! C’était un époux et un père fort, tendre et 79
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aimant. Il s’appuyait sur le Seigneur, cherchant sa face le matin, le midi et le soir. – Bénédiction sur bénédiction, Joseph. Le cœur rempli de joie, elle avait hâte de voir s’éveiller dans son regard la même étincelle d’émerveillement et de reconnaissance. Joseph la regarda à nouveau, fronça les sourcils, le regard empreint d’interrogation. Elle sut alors que son mari n’avait jamais rien demandé de plus à Dieu. Mais elle, au contraire, avait demandé bénédiction sur bénédiction pour cet homme que Dieu avait placé à ses côtés. Et pour Jésus aussi. Ne devrait-il pas connaître le plaisir d’avoir des frères et des sœurs ? – Oui, Joseph. Le Seigneur nous a bénis, dit-elle le regard brouillé de larmes en voyant la joie de son époux. Notre enfant naîtra lorsque le froment sera mûr pour la moisson. Et elle éclata de rire lorsque Joseph la souleva joyeusement dans ses bras.
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Cinq femmes choisies par Dieu. Chacune eut à relever des défis extraordinaires. Chacune prit de grands risques personnels pour répondre à son appel. Chacune fut destinée à jouer un rôle clé dans la généalogie de Jésus-Christ, le Sauveur du monde. Francine Rivers, fidèle à l’Écriture, donne vie à ces femmes, et les amène à nous parler d’une façon nouvelle et bouleversante.
9 782910 246020 ISBN 978-2-910246-02-0
RIVERS
Dans ce livre, vous découvrirez Marie. Cette humble jeune fille répondit à Dieu par une obéissance tout simple et porta en son sein le Messie tant attendu. Elle ignorait toutefois que cette lourde tâche briserait son cœur et changerait la face du monde à tout jamais.
LA LIGNÉ E DE L A GRÂCE
Tamar
Marie Une femme d’ obéissance
La lignée de la grâce
Tamar
Rahab
Ruth
Bath-Chéba
Marie
Marie Une femme d’ obéissance F R A N C I N E
R I V E R S