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TRANSCRIPTION DYNAMIQUE DE
CANTIQUE DES CANTIQUES, JOB, PROVERBES, ECCLÉSIASTE
CANTIQUE DES CANTIQUES, JOB, PROVERBES, ECCLÉSIASTE
sagesse vivante
ISBN 978-2-36249-241-9
sagesse vivante
Sous la direction d’Alfred Kuen
CANTIQUE DES CANTIQUES, JOB, PROVERBES, ECCLÉSIASTE
Cette réédition de Sagesse et poésie pour notre temps est une version revue, corrigée et agréable à lire. Ses notes en font un outil idéal pour compléter votre étude de la Bible.
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Sagesse vivante communique avec fraîcheur le message des livres de sagesse et de poésie de l’Ancien Testament. Sa particularité ? Cette version rassemble les variantes de plus de 57 traductions, dans un langage facilement compréhensible, pour renouveler votre méditation quotidienne.
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LA RICHESSE DE 57 TRADUCTIONS. LA SIMPLICITÉ D’UNE VERSION.
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cantique des cantiques, job, proverbes, ecclĂŠsiaste
Sous la direction d’Alfred Kuen
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CANTIQUE DES CANTIQUES, JOB, PROVERBES, ECCLÉSIASTE
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BLF Éditions • Rue de Maubeuge 59164 Marpent • France
sagesse vivante
cantique des cantiques, job, proverbes, ecclésiaste
Sous la direction d’Alfred Kuen Édition revue et corrigée publiée en langue française : Sagesse vivante : Transcription dynamique de Cantique des cantiques, Job, Proverbes, Ecclésiaste Transcrits et introduits par Alfred Kuen Ancienne édition parue sous le titre : Sagesse et poésie pour notre temps © 2015 • BLF Éditions © 1982, 2001 • ELB BLF Éditions • Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France info@blfeditions.com • www.blfeditions.com Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Couverture et mise en page : BLF Éditions Impression n° XXXXX • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc ISBN 978-2-3624-9241-9 broché ISBN 978-2-3624-9244-0 relié ISBN 978-2-3624-9242-6 ebook
Dépôt légal 3e trimestre 2015 Index Dewey (cdd23) : Mots-clés :
220.5 1. Bible. Versions modernes. 2. Poésie biblique. 3. Ecclésiaste. Job. Cantique des cantiques. Proverbes.
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Table des matières Introduction générale……………………………………………………………… 7 Versions utilisées ou consultées………………………………………………… 10 Introduction au Cantique des cantiques…………………………………………… 15 Cantique des cantiques………………………………………………………… 27 Introduction à Job……………………………………………………………… 49 Job …………………………………………………………………………… 61 Introduction aux Proverbes……………………………………………………… 115 Proverbes……………………………………………………………………… 121 Introduction à Ecclésiaste………………………………………………………… 191 Ecclésiaste……………………………………………………………………… 199
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Introduction
Sagesse et poésie, raison et fantaisie, réflexion et rêverie : quoi de plus opposé ? D’un côté, c’est l’expérience, le bon sens, la pondération de l’âge mûr ; de l’autre, l’évasion, le fantasque, l’inspiration du moment. « Si j’avais à choisir entre la vérité et la beauté, me disait quelqu’un, j’opterais pour la beauté ». Mais pourquoi choisir ? Est-il nécessaire que la réalité soit toujours qualifiée de « dure » ou de « triste » ? Quelqu’un nous a-t-il prouvé que la poésie ne pouvait pas nous entraîner vers une réflexion valable ? Le dilemme n’existait pas dans la littérature antique. L’art pour l’art est une théorie récente, née au moment où l’homme avait déjà perdu le sens de sa vocation éternelle. Les écrits anciens, quel que soit leur contenu, se présentent souvent sous une forme poétique, qui n’est jamais là pour elle-même, mais pour donner une autre dimension aux réalités de la vie. Même la nature ne choisit pas entre l’utile et l’agréable : la fleur pourpre épanouit sa corolle éclatante au milieu de beaux épis aux grains dorés. Dans la Bible, un bon tiers de l’Ancien Testament se présente sous forme de poésie : cantiques, prières, prophéties, drames, maximes, chants d’amour, tous se coulent dans le moule d’une langue rythmée et se plient aux règles de la poésie hébraïque : parallélismes, images, vocabulaire spécial, parfois assonances et acrostiches alphabétiques. En particulier, ce qu’on appelle « la littérature de sagesse » (ces écrits qui nous transmettent le fruit de la réflexion et de l’expérience de nombreuses générations de sages) a été rédigée presque entièrement sous forme poétique (Job, Proverbes, Cantique des cantiques et certains des Psaumes). L’aspect formel de ces livres nous avertit déjà qu’il ne faut pas nécessairement séparer sagesse et poésie, vérité et beauté, réflexion et inspiration. De quoi s’agit-il dans ces quatre livres rassemblés dans ce volume ? D’un poème d’amour, d’un essai philosophique, de plusieurs recueils de maximes et de pensées et d’une œuvre dramatique à fondement historique. C’est du moins ainsi que l’on classerait ces œuvres dans la littérature actuelle. C’est dire la diversité des genres littéraires
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de ces écrits qui, fait surprenant, nous apportent, sous des formes variées, des leçons convergentes. En effet, ces différents livres ont plus d’un point commun : • La vénération du Dieu unique, fondement de la sagesse (Job 1 : 1 ; 2 : 3 ; 28 : 28 ; Ecclésiaste 3 : 14 ; 12 : 13 ; Proverbes 1 : 7 ; 9 : 10 ; 15 : 33 ; cf. Cantique des cantiques 8 : 6) ; • Un souffle d’universalisme marqué par l’absence d’allusions aux rites et aux cérémonies ordonnés par la loi de Moïse.
• Et, d’une façon générale : • L’absence de références à la situation particulière du peuple juif ; • Une élaboration littéraire plus poussée que dans d’autres écrits bibliques ; • Une parenté plus proche de la littérature d’autres peuples de l’Ancien Orient ; et surtout, • L’appel à la réflexion et à l’expérience pour confirmer les données de la révélation.
C’est de ce dernier trait commun qu’ils tirent leur nom : écrits de sagesse (hokma). Comme nous le verrons dans l’introduction au livre des Proverbes, hokma désigne une sagesse toute pratique, orientée vers la conduite de la vie individuelle, familiale et sociale. Elle ne spécule pas, comme la sagesse grecque (et à sa suite, toute la philosophie occidentale) en se demandant : « Qu’est-ce que la vérité ? » Elle part de ce qu’elle considère comme une donnée digne de confiance (hokma vient de hakam : « ce qui est solide ») : l’existence et le caractère de Dieu, pour en tirer des conclusions applicables dans la vie de tous les jours. Les Grecs recherchent la sagesse (1 Corinthiens 1 : 22), mais sans guide sûr ; les Juifs ont une révélation et peuvent s’appuyer sur elle. Cependant, elle n’a pas tout dit, il reste des choses cachées (Deutéronome 29 : 29), des doutes, des luttes, et parfois des conflits entre les données de la révélation et la réalité vécue. La réflexion des sages cherche à combler ces lacunes. Qu’est-ce qui distingue ces livres entre eux ? Leurs réflexions s’orientent dans des sens différents. • L’Ecclésiaste a passé au crible la connaissance, le plaisir, la puissance de l’argent et la sagesse elle-même. « Tout est futile et inutile », tel est son verdict. Aucune de ces valeurs n’apporte la réponse finale que l’homme attend. Mais à la fin de ses réflexions, après avoir triomphé des tentations du matérialisme, du fatalisme et du pessimisme, il confirme la pensée fondamentale qui a servi de point de départ à l’auteur des Proverbes (12 : 13 ; cf. Proverbes 1 : 7). • Job clame en des accents pathétiques : « J’ai observé tout ce qui m’était demandé, pourquoi dois-je endurer toutes ces souffrances ? » Mais au plus fort de l’épreuve, il
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Introduction arrive à reconnaître qu’il a parlé de choses qui le dépassaient sans les comprendre (42 : 3), et il se courbe devant la majesté et la sagesse de Dieu. • Le Cantique des cantiques nous présente une jeune fille qui se retrouve dans une situation difficile, soumise à une épreuve qui, par moments, la dépasse. Mais grâce à sa fidélité envers son ami absent, elle triomphe de la tentation. Si Sulamith représente la communauté croyante, elle apporte un témoignage supplémentaire à la valeur d’une sagesse s’appuyant sur l’amour du souverain berger pour résister aux séductions de la sensualité, de la richesse et du pouvoir.
Les trois livres nous aident à ne pas formuler des conclusions hâtives quand les expériences douloureuses, les influences corruptrices ou les tentations de la vie nous plongent dans le désarroi. Ils nous apportent finalement, chacun de son côté, la preuve que la sagesse définie par les Proverbes est un roc solide sur lequel on peut bâtir sa vie. alfred kuen
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Versions utilisées ou consultées Françaises 1. André Tony 2. Barucq 3. P. de Beaumont 4. Bible annotée (Neuchâtel) 5. A. Chouraqui 6. Crampon 7. Darby 8. Fossard–Gérard 9. Glasser 10. Jérusalem 11. Zadoc Kahn (Rabbinat) 12. Lamorte 13. Lausanne
14. W. Lüthi 15. D. Lys 16. A. Maillot 17. Maredsous 18. Osty 19. Pléiade (Dhorme) 20. Rehan 21. Segond 22. Segond révisée 23. Steinmann 24. Synodale 25. Traduction œcuménique 26. J.J. Weber
Allemandes 27. H. Bruns 28. M. Buber 29. Elberfelder 30. Luther
31. Menge 32. Schlachter 33. Zinck 34. Zürcher
Anglaises 35. American Standard Version 36. Amplified Bible 37. Authorized Version 38. Berkeley 39. Good News Bible 40. R. K. Harrison 41. Jerusalem Bible 42. M. R. Knox 43. Lamsa 44. Modern Language Bible 45. J. Moffatt 46. New American Bible
47. New English Bible 48. New International Version 49. Old Testament from 26 Translations 50. Revised Version 51. Revised Standard Version 52. Rotherham 53. Smith, Powles, Godspeed 54. H. Spurrell 55. K. Taylor (Living Bible) 56. Ch. Thomson 57. R. Young
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cantique des cantiques
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Introduction au Cantique des cantiques
Le plus beau des chants Le titre traditionnel auquel nous sommes habitués est la transcription littérale du titre original. C’est la forme hébraïque du superlatif et signifie : « le cantique par excellence » ou « le plus beau d’entre eux ». En fait, il ne s’agit pas à proprement parler d’un cantique, puisque Dieu n’y apparaît guère, mais d’un chant qui célèbre l’amour. Il serait plus heureux de le traduire ainsi : « Le plus beau des chants ». S’agit-il d’un chant d’amour profane ? D’un poème allégorique ? D’une pièce dramatique dont chaque personnage a une valeur symbolique ? La première découverte de ces poèmes d’amour dans le recueil des Saintes Écritures peut dérouter et l’on comprend que, dès les premiers siècles, certains chrétiens voulaient l’écarter du canon biblique. Si nous voulons tirer un profit spirituel de la méditation du Cantique, il nous faut une clé pour l’interpréter en harmonie avec l’ensemble des écrits bibliques. Nous ne trouverons cette clé qu’en découvrant l’intention primitive de l’auteur du livre et la raison pour laquelle l’Auteur divin a permis son insertion dans le recueil des écrits inspirés. Mais si nous voulons connaître cette intention, il nous faut d’abord déterminer le genre littéraire de l’écrit : s’agit-il d’une anthologie de poèmes lyriques, d’une pièce de théâtre, d’un texte allégorique, symbolique ou mythologique ? D’où notre besoin, avant de passer à l’interprétation, d’examiner quelques questions de forme : unité du livre, genre littéraire, nombre de personnages.
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Unité du livre Un certain nombre d’interprètes n’ont vu dans le Cantique qu’un recueil plus ou moins hétéroclite de chants d’amour de diverses provenances dont la composition se serait étalée sur une demi-douzaine de sièclesa. Cependant, l’unité du livre apparaît nettement dans des éléments communs revenant du début à la fin (comme la mention des « filles de Jérusalem » : 1 : 5 ; 2 : 7 ; 3 : 5 ; 5 : 8, 16 ; 8 : 4), dans les répétitions (2 : 5 à 5 : 8 ; 2 : 6 à 8 : 3 ; 2 : 16 à 6 : 3 ; 4 : 1-3 à 6 : 5-7 ; 4 : 5 à 7 : 4), dans le refrain (2 : 7 ; 3 : 5 ; 8 : 4), enfin, dans l’identité de ton et d’inspiration, qui frappe lors d’une lecture cursive du livre (contrairement aux livres des Psaumes ou des Proverbes).
Une œuvre dramatique ? Un autre caractère du livre apparaît de manière tout aussi évidente : il s’agit non d’un monologue, mais de dialogues. Dialogues entre un homme et une femme (1 : 15-16) ou entre elle et un groupe (7 : 1). Il est question des frères et de la mère de la jeune fille (1 : 6 ; 3 : 4 ; 6 : 9 ; 8 : 1 et 8), des compagnons du jeune homme (1 : 7), des gardes de la ville (3 : 3 ; 5 : 7). Tout porte donc à croire que nous avons affaire à une œuvre dramatique comportant un certain nombre de personnages. Le théâtre proprement dit n’existait pas en Israël. Il est né dans les temples païens pour représenter les histoires des dieux. Il restait intimement lié au culte des divinités étrangères. Mais il est fort possible qu’au cours des mariages qui duraient plusieurs jours (cf. Genèse 29 : 27 ; Juges 14 : 17) et donnaient lieu à diverses réjouissances (Genèse 31 : 27 ; 2 Samuel 19 : 35 ; Ésaïe 5 : 12 ; 16 : 10), on ait récité des poèmes et joué de petites pièces célébrant l’amour conjugal, comme on le faisait encore au siècle dernier en Syrie, où les coutumes n’avaient guère changé depuis les temps bibliquesb.
A-t-on deux ou trois personnages principaux ? Les avis des théologiens sont partagés. Les auteurs anciens et un certain nombre d’exégètes modernes voient dans cette pièce deux acteurs principaux : Salomon et Sulamith. D’autres optent résolument pour un drame à trois personnages. D’après eux, a
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Otto Eissfeldt (The Old Testament, New York : Harper and Row, 1965, p. 489s) y voit vingt-cinq chants différents, tandis que Robert Gordis (The Song of Songs, New York : : Harper and Row, 1954) en propose vingt-neuf. Vers 1850, J. C. Wetzheim y a découvert la coutume de réciter des poèmes appelés wasf lors des mariages : l’on y chantait la beauté et les perfections physiques des deux époux appelés « roi » et « reine ». Si une coutume semblable existait en Israël, il n’est pas impossible que des fragments de tels poèmes aient été intégrés au Cantique des cantiques (cf. 4 : 1-7 ; 5 : 10-16 ; 7 : 2-7). En effet, celui-ci fut élaboré ultérieurement comme pièce destinée à être jouée lors des mariages.
Introduction au Cantique des cantiques
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un certain nombre d’indices permettent de conclure à la présence de deux personnages masculins. –– D’une part, il est question du roi Salomon (1 : 5 ; 3 : 7, 9, 11 ; 8 : 11-12) et de ses soixante reines et quatre-vingts concubines (6 : 8) ; il a une jument attelée aux chars de Pharaon (1 : 9) ; il propose à son amie un palanquin magnifique entouré de soixante gardes armés (3 : 7-10), des colliers d’or avec des points d’argent (1 : 11). –– Mais il est aussi question d’un berger qui fait paître son troupeau sur des prés couverts de lis (2 : 16 ; 6 : 2-3) ; il a des compagnons, bergers comme lui (1 : 7) ; il se plaît à la campagne (2 : 10-14 ; 4 : 6 ; 6 : 3 ; 7 : 12-14), dans son vignoble (2 : 4) et son verger (6 : 2).
Or, Salomon n’a jamais été berger. Il n’avait pas non plus l’habitude de se déguiser en berger pour jouer avec des reines-bergèresa. Comparons ces deux phrases suivantes : –– « Nous te ferons des colliers d’or avec des points d’argent » (1 : 11) ; et –– « Quand un homme offrirait toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour, il serait repoussé avec mépris » (8 : 7).
Il faut bien admettre « l’impossibilité d’identifier Salomon avec le bien-aiméb ». Par conséquent, il est nécessaire de distinguer trois personnages principaux dans le Cantique. Celui que Sulamith appelle vingt-neuf fois le « bien-aimé » ne serait donc pas Salomon, mais un berger qu’elle connaîtrait bien et qu’elle aimerait. Cette théorie des trois personnages a été lancée pour la première fois en 1771 par le pasteur hanovrien Jacobi, elle est actuellement adoptée par de nombreux exégètesc.
L’argument dramatique Sulamith elle-même nous explique ce qui s’est passé et qui a amené le déroulement de la situation : « J’étais descendue au jardin des noyers, pour voir les jeunes pousses du ravin, pour voir si la vigne bourgeonne, si les grenadiers fleurissent. Je ne sais pas comment mon âme (ou : mon désir) m’a poussée vers (ou : m’a fait monter sur) les chars des nobles (ou : princes) de mon peuple ». Ou : « Imprudente ! voilà que mon caprice m’a jetée parmi les chars d’un cortège de princes » (6 : 11-12). Cette phrase constitue la clé de l’action dramatique. La jeune campagnarde descendue dans son verger a été poussée par sa curiosité vers le cortège royal passant près de là. Le détail de la suite
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b c
Comme le supposait Bossuet, en transposant au temps de la royauté en Israël les lubies royales de son siècle : « Quittant le trône pour un peu de temps, il se déguise en pasteur et la fille du Pharaon en bergère » (Bossuet, Œuvres complètes, , vol. 1, Paris : Louis Vivès, 1862, p. 612). Jean de Saussure, Le Cantique de l’Église, Genève : Labor et Fides, 1957, p. 15. Velthusen (1786), Umbreit (1820), Ewald (1826), Ginsburg (1857), Godet (1900), Pouget, Guitton (1934), J. de Saussure (1957), Harper, Driver, Bullock, Bruston, etc. C’est aussi l’interprétation à laquelle se sont arrêtés des littérateurs comme Renan et Goethe.
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nous échappe : a-t-elle été remarquée pour sa beauté par les serviteurs du roi, par les princes ou par Salomon lui-même ? L’a-t-on fait monter de force sur l’un des chariots de l’escorte royale ou s’est-elle laissé embarquer par toutes sortes d’arguments ou de promesses ? Qu’importe ! Le fait est qu’elle se trouve, au début du livre, au milieu des femmes du harem royal appelées euphémiquement les « filles de Jérusalem ». Le dialogue s’engage tantôt avec ces filles qui chantent le bonheur d’être aimées par un si grand personnage, tantôt avec le roi lui-même qui essaie, par toutes sortes d’éloges et de promesses, de gagner son cœur. Cependant, certaines phrases de la jeune fille ne peuvent s’appliquer à l’interlocuteur présent. Les adresse-t-elle, comme en rêve, à son bien-aimé absent (F. Godet), ou faut-il imaginer un « harem de campagne, qui n’est pas entouré de murs comme celui de Jérusalem, mais qui est clos par une sorte de treillis à travers lequel on peut voir » (J. Guittona) et où le berger peut venir parler avec sa fiancée quand elle est seule ? La première solution paraît plus plausible, mais les détails importent peu une fois que les lignes générales de l’action sont tracées. La situation des personnages et la répartition des répliques entre eux diffèrent d’un auteur à l’autre et l’on ne saurait guère être dogmatique sur ce point. L’essentiel est de voir le nœud du drame qui consiste dans la lutte intérieure entre la tentation de céder aux promesses de Salomon et le désir de rester fidèle au berger absent. L’action dramatique progresse par degrés avec des tentations chaque fois plus attirantes : déclarations d’amour faciles, offres de bijoux, démonstration de l’apparat royal accompagné de la promesse d’occuper le rang suprême parmi les reines, pour aboutir au moment où le roi, sûr de sa victoire, se fait vivement remettre en place (7 : 10). À la fin du drame, la bergère paraît, appuyée sur son bien-aimé : elle a reconquis sa liberté et tire la leçon de son épreuve (8 : 6-7). Le détail, conjectural, des scènes apparaîtra dans les notes du texte qui suivront, en grande partie, celles de La Bible annotée.
Les interprétations du livre C’est certainement l’une des marques d’un chef-d’œuvre de donner lieu à des interprétations multiples : chaque âge, chaque tempérament, chaque époque s’y retrouve et lui donne un sens correspondant à ses tendances profondes. Plus un livre est énigmatique, plus les interprétations sont divergentes et parfois même bizarres, témoignant à la fois de la fertilité de l’imagination de l’homme et de son profond désir de comprendre. C’est ainsi que l’on a interprété le Cantique tour à tour dans un sens littéral, allégorique, symbolique, typologique, mythologique, etc. Et qu’on y a vu un épithalame célébrant
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Guillaume Pouget, Jean Guitton, Le Cantique des cantiques, p. 51.
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le mariage de Salomona, un pamphlet politique justifiant le schisme des dix tribusb ou une liturgie du culte de Tammuz-lstarc. Nous n’examinerons ici que les trois principales interprétations (littérale, allégorique et parabolique) entre lesquelles se partagent encore aujourd’hui la majorité des exégètes.
1. L’interprétation littérale Dans l’interprétation littérale on prend le texte tel qu’il est. Il chante l’amour d’un homme et d’une femme sous tous ses aspects : joie de la présence, jouissance commune des beautés de la nature, admiration de toute la personne de l’être aimé, attrait physique. À ce titre, le Cantique a parfaitement sa place dans les Saintes Écritures : La création de l’homme sous deux formes : « homme et femme » (Genèse 1 : 27) et leurs relations sexuelles faisaient partie de l’ordre originel et non d’une altération qui aurait succédé à la chute. […] L’Écriture exalte la relation d’amour entre le mari et sa femme et nous ne devrions pas dénigrer un livre qui présente un tel amour idéal ni accuser ceux qui, pour des raisons exégétiques sérieuses, choisissent d’interpréter le Cantique littéralement et renoncent à y chercher une signification plus profonde, même si cette option ne nous semble pas viabled. Cette interprétation emporte d’ailleurs la faveur de beaucoup de commentateurs modernese, ce qui n’a rien d’étonnant en un siècle qui exalte le corps et les plaisirs sensuels. Découvrir que la Bible, non seulement ne lance pas d’anathème contre le sexe, mais qu’elle chante l’attrait physique, peut servir de point de contact entre les tendances de notre temps et la foi biblique. Cette faveur de l’exégèse littérale est une juste réaction contre des siècles d’allégorisation qui risquaient, pour finir, de dissoudre et d’éliminer le sens matériel du poème comme s’il était indigne d’un texte inspiré par Dieu : On ne peut s’empêcher, en effet de pressentir sous cette élimination du sens littéral un mépris de la matière en général et de la vie physique en particulier, qui relève bien moins de l’optique biblique que de l’optique grecque, c’est-à-dire païennef.
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Robert Lowth, Lectures on the sacred poetry of the Hebrews, vol. 2, p. 298. Leroy Waterman, American Journal of semitic languages and literature, n° 35, 1919, p. 104. T. J. Meek, American Journal of semitic languages and literature, n° 39, 1922-1923, p. 1-14. Clarence Bullock, An Introduction to the OId Testament poetic books, Chicago : Moody Press, 1979, p. 231. Christian Ginsburg la fait remonter à Moïse Mendelssohn (1729–1786, grand-père du génial musicien). Cf. The Song of Songs and Qoheleth, 1re édition en 1857, New York : Qtav, 1970, p. 58-59. Jean de Saussure, op. cit., p. 8, 10.
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Ne séparons pas « ce que Dieu a uni », entre autres, l’âme et le corps. Si « le corps est pour le Seigneur, le Seigneur » est aussi « pour le corps » (1 Corinthiens 6 : 13). Ce sens littéral est encore plus parlant et plus conforme au dessein général des Écritures si nous optons pour le drame à trois personnages. Alors le Cantique devient l’apologie de l’amour fidèle, de la monogamie telle qu’elle a été instituée au commencement (Genèse 2 : 23-25). Il célèbre la victoire de l’amour pur et désintéressé sur les attraits de la passion égoïste et sensuelle. Sulamith « a préféré l’amour pauvre, mais sincère, à la passion magnifique, mais sensuelle. L’amour de celui qui ne donne rien… que lui-même, lui a paru meilleur que l’amour de celui qui donne tout, sauf lui-mêmea ». Par là, nous dit J. Guitton, le Cantique inaugure « une tradition concernant l’amour de l’homme et de la femme qui est bien différente de la pensée des Grecs à ce sujet, et qui est devenue la charte de l’amour occidentalb ». Dans un peuple où le divorce était devenu facile (cf. Matthieu 19 : 3), où l’exemple de la polygamie venait de haut, où la morale sexuelle risquait de se calquer sur celle des peuples environnants, un livre chantant l’amour exclusif, volontaire et permanent d’un homme et d’une femme était non seulement bienvenu, mais avait sa place parmi les écrits normatifs de ce peuple. Il en est de même pour nous : même si le Cantique n’avait d’autre signification que d’exalter cet amour-là, il mériterait de figurer dans la Bible. Et s’il a encore d’autres sens, ces derniers ne peuvent être que brodés sur une trame matérielle réelle : l’histoire de Salomon et de Sulamith peut servir de support à des applications symboliques, mais elle doit demeurer littéralement vraie sous peine de faire s’écrouler tout l’édifice. Le sens premier du Cantique est donc certainement l’exaltation de l’amour humain dans sa forme la plus pure. Mais n’a-t-il que ce sens ?
2. L’interprétation allégorique et parabolique Ce qui nous incite à chercher au-delà, c’est l’introduction de ce livre dans le canon des Écritures et la vénération dont la Synagogue l’a entouré. S’il était uniquement, comme le pensent certains théologiens, « une collection de chants d’amour exaltant la beauté et la nostalgie de deux jeunes amoureux, […] célébrant le joyeux don de soi et le plaisir de tous les sens, la nostalgie amoureuse et la soif de beauté� », il est peu probable que les prêtres et les sages responsables du canon biblique l’auraient inclus dans la Bible ou qu’on lui aurait accordé une place d’honneur dans la liturgie juive en le lisant
a
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Frédéric Godet, Étude sur le Cantique des cantiques, in Études bibliques 1re série, Ancien Testament, 5e éd., 1re éd. en 1873 (Paris–Neuchatel : Sandoz), Neuchatel ; Paris : Delachaux et Nestlé : Fischbacher, 1900, p. 293. Jean Guitton, op. cit., p. 13. Voir aussi son Essai sur l’amour humain, Paris : Aubier, 1948.
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Introduction au Cantique des cantiques
entièrement à chaque fête de la Pâque. Le plus ancien commentaire juif qui soit connu, celui de Rabbi Aquiba (135 apr. J.-C.), ne lui ménage pas ses éloges : Tous les siècles ne valent pas le jour où le Cantique des cantiques a été donné à Israël ; car toutes les Écritures sont saintes, mais le Cantique des cantiques est le saint des saintsa. Rabbi Aquiba (50–132), comme ses contemporains juifs et chrétiens, pouvait parler ainsi du Cantique parce qu’il y voyait une allégorie, c’est-à-dire un écrit composé en vue d’une signification spirituelle cachée sous le sens ordinaire des motsb. À chaque détail du texte correspondait donc, pour lui, une réalité spirituelle : Salomon représentait Dieu, Sulamith, la communauté croyante. Les déclarations d’amour de Salomon sont interprétées par les croyants comme des gages de l’affection de Dieu, celles de Sulamith comme une expression de leur dévotion. Les mystiques de tous les temps, juifs, catholiques et évangéliques, se sont nourris de la méditation allégorisante du Cantique, qui devenait pour eux le support du dialogue amoureux de l’âme croyante avec Dieu ou Jésus-Christ. Cette méthode d’interprétation ouvre à l’exégèse des perspectives intéressantes et certainement conformes à l’esprit sémite. Pour l’Hébreu, toute la création était signe de la réalité transcendante. Donc toutes choses avaient une signification spirituelle aussi bien que physique. Le symbole (de synballô : « jeter ensemble ») c’est-à-dire la jonction de la réalité et d’un sens spirituel apparaît très souvent dans la Bible : la vigne représente le peuple d’Israël, le berger : Dieu, le vin : la joie, le renard : l’ennemi, la biche : la grâce, etc. Or, le Cantique est rempli de ces mots évocateurs chargés de signification symbolique. Son thème essentiel, l’amour conjugal, est maintes fois utilisé dans l’Écriture pour représenter les relations entre Dieu et son peuple (Exode 20 : 5 ; Jérémie 3 : 6 ; Osée 2 : 16-25 ; Jean 3 : 29 ; Éphésiens 5 : 22-33 ; Apocalypse 19 : 7-8 ; 22 : 17). Il y a donc de fortes chances pour que les Hébreux aient immédiatement discerné, derrière cette simple histoire d’amour, une signification plus profonde – tout comme les auditeurs d’Osée ont compris ses allusions au mari et aux amants d’Israël (Osée 2 : 5-20). Lorsque plusieurs symboles sont rassemblés en une histoire, on obtient une parabole (du grec parabolê : « jeté à côté », parallèlement au sens matériel du récit court une signification spirituelle). Le récit peut être vrai ou inventé, peu importe, l’essentiel est la leçon cachée sous le signe. Toute l’histoire du peuple d’Israël est interprétée par les auteurs du Nouveau Testament comme représentant des réalités spirituelles actuelles :
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La Michna, Traité Yadaim, 3.5. « L’allégorie ne sert que de comparaison pour donner l’intelligence d’un autre sens qu’on n’exprime point » (Littré) ; « Suite d’éléments descriptifs ou narratifs dont chacun correspond aux divers détails de l’idée qu’ils prétendent exprimer » (Robert) ; « Elle est une forme d’expression littéraire […] qui veut suggérer une signification cachée sous la donnée sensible du langage » (D. Porion, Encyclopédie Universalis).
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la marche à travers le désert, la traversée de la mer Rouge, le don quotidien de la manne, etc., sont des faits historiques réels, mais lorsque l’apôtre Paul les évoque (1 Corinthiens 10 : 1-4), il y voit une image de notre marche à travers le désert de ce monde, une préfiguration du baptême et de la cène. L’interprétation allégorique du Cantique (comme celle des paraboles de Jésus) devient dangereuse lorsqu’au lieu de voir l’histoire comme un tout correspondant à la réalité spirituelle, on veut donner un sens précis à chaque détail, par exemple à chaque partie du corps de Sulamith évoquée dans les descriptions de Salomon. De plus, dans la perspective du drame à deux personnages, Salomon est l’image de Dieu. Mais on peut se demander si ce roi dont « le cœur n’était pas entièrement droit envers l’Éternel son Dieu » (1 Rois 11 : 4) est vraiment un représentant valable du Seigneur ou de Jésus-Christ ? Si Sulamith représente l’Église, celle-ci peut-elle se sentir honorée d’être admise dans un harem peuplé déjà de soixante reines et quatre-vingts concubines (6 : 8) ? Heureusement, l’hypothèse des trois personnages et l’application des principes d’interprétation des paraboles ouvrent à la lecture spirituelle du Cantique des perspectives nouvelles et plus conformes au message général des Écritures. En effet, si nous considérons l’histoire dans son ensemble comme une lutte de Sulamith entre l’attrait du monde représenté par Salomon et la fidélité à son berger, elle devient pour nous une parabole pleine d’enseignements.
Le Cantique et l’histoire du peuple de Dieu L’histoire de la petite paysanne égarée dans le palais fastueux du grand roi est d’abord celle du peuple de Dieu, l’humble peuple de bergers et de paysans qui a voulu être comme les autres nations d’alentour et avoir son roi (1 Samuel 8 : 5). Sulamith représente alors « l’instinct israélite dans toute sa pureté » (F. Godet), et Salomon personnifie la royauté terrestre. Le berger qui possède tous les attributs de la perfection : beauté accomplie (5 : 10-16), liberté infinie (2 : 9-17 ; 5 : 4-6) et sagesse parfaite (6 : 2), qui n’apparaîtra visiblement qu’à la fin du drame, c’est Dieu lui-même dont le nom Jéhovah ne signifie pas seulement « Celui qui est » mais encore : « Celui qui vient ». Les filles de Jérusalem, par opposition à la petite campagnarde, se sont d’ores et déjà laissé fasciner par l’éclat de Salomon. Elles jouent le rôle du chœur dans les tragédies antiques, c’est-à-dire qu’elles nous aident à comprendre ce qui se passe dans l’âme de Sulamith, mais reflètent aussi les sentiments de « l’Israël charnel » qui s’est laissé séduire par le luxe et le faste de la royauté. Comme dans Hamlet, tout le drame est dominé par un personnage qui ne se montre jamais. Il oriente les réactions et les pensées de la jeune fille soumise à l’épreuve :
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Introduction au Cantique des cantiques
lui restera-t-elle fidèle devant les promesses du monarque ? Déjà, elle est ornée de perles et de coraux, bientôt ses poignets seront chargés d’or et d’argent (1 : 10-11) ; se laissera-t-elle complètement paralyser à force de parures ? L’idéal de richesse et de grandeur terrestre dont Salomon est la réalisation historique la plus parfaitea a exercé une puissante fascination sur le cœur israélite. Les filles de Jérusalem sont totalement subjuguées par l’éclat d’une gloire qui n’est pas seulement extérieure : il possédait toute la science de son temps (1 Rois 4 : 33) et plus de sagesse qu’aucun de ses contemporains (1 Rois 4 : 29-32 ; 2 Chroniques 9 : 23). Il est le prospère, le parfait, l’accompli (d’après la signification de son nom). Comment lui résisterait-on ? Une seule échappatoire s’offre à Sulamith : enfermée dans le palais de Salomon, elle s’évade par la pensée et rejoint son bien-aimé en évoquant ses perfections à lui et le souvenir de ses rencontres heureuses avec lui dans la nature printanière. Cette évocation est si intense qu’elle perd totalement conscience de la réalité ambiante et échappe ainsi à son emprise. Comment ne pas voir dans ces visions une allusion à celles des prophètes au cours desquelles ils contemplent la beauté de la personne et des plans de Dieu ? Ce sont elles qui permettent à la conscience israélite de résister aux tentations de leur temps. L’histoire d’Israël est-elle autre chose, en effet, dans son essence la plus intime, que la lutte entre le vrai et le faux idéal de gloire messianique ? Et la grande catastrophe, qui mettra fin pour un temps à son existence nationale, ne résultera-t-elle pas de la préférence pour la fausse gloire à laquelle il se sera laissé momentanément entraînerb ? Si l’élue de Dieu reste fidèle à son divin berger, elle le verra paraître à la fin de l’histoire, elle montera du désert appuyée sur lui et goûtera les joies d’un amour éternel (8 : 5-7). Les différentes énigmes qui parsèment et closent le livre s’expliquent dans la perspective de cette application politique du dramec. Le message du Cantique, au temps où il fut composé, était avant tout un appel au choix : Israël, quelle voix écouteras-tu ? Celle du Berger qui t’aime et qui t’invite à une vie cachée avec lui, loin du faste et de la gloire mondaine, ou celle du monarque qui, par l’apparat extérieur, t’entraîne dans son luxe vers la domination politique ? Choisiras-tu les richesses de ce monde et la fausse gloire visible ou l’attachement à Celui qui refuse tout moyen charnel pour t’attirer à lui ?
a b c
« Salomon rendit l’argent et l’or aussi communs à Jérusalem que des pierres » (2 Chroniques 1 : 15 ; cf. 1 : 12 ; 9 : 24). « Il dominait sur tous les rois » (2 Chroniques 9 : 26). Frédéric Godet, op. cit., p. 313. Voir les notes correspondantes.
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Le Cantique de l’Église Les composantes spirituelles du drame sont, en fait, « les trois grandes puissances de la vie humaine : l’amour divin pour le peuple choisi, la liberté humaine dans son plein exercice et la séduction mondaine dans ce qu’elle a de plus attrayant » (F. Godet). Ces composantes sont de tous les temps. La « jeune sœur » (8 : 8) de Sulamith, l’Église, a été tout au long des siècles, exposée à la même tentation que le peuple de Dieu de l’ancienne alliance. Trop souvent, elle a succombé à l’attrait de la richesse, du faste et du pouvoir. Pour pouvoir dire « Je suis assise en reine » (Apocalypse 18 : 7), elle a oublié qu’elle appartenait au pauvre berger en Judée. L’attrait de l’or et de l’argent, de la vigne de Baal-Hamon (maître d’une multitude), c’est-à-dire de la domination sur les foules et de la gloire temporelle, a souvent été fatal à l’épouse du bon berger parce qu’elle n’a pas su écouter l’avertissement contenu dans le Cantique des cantiques en restant fidèle au Maître absent, à l’Époux qui se fait attendrea. L’Église de notre temps reste exposée aux mêmes tentations et la leçon du Cantique garde toute son actualité.
Le Cantique et nous Quel profit le croyant individuel tirera-t-il de la lecture du Cantique des cantiques ? En premier lieu, il découvrira l’un des plus beaux poèmes de la littérature mondiale, et un peu de véritable beauté n’est pas un luxe en notre temps. Ensuite, il y verra comment la Bible voit l’amour conjugal, et il constatera que cette vision est aussi éloignée de la pudibonderie que de la divinisation d’Éros. À travers la grille de la lecture à trois personnages, il aura une leçon de fidélité. À côté des tentations auxquelles Sulamith a résisté, celles que son amour aura à affronter sont peu de chose. Finalement, le conflit devant lequel se sont trouvés Israël et l’Église est aussi le sien. Lui aussi est appelé à choisir chaque jour entre deux amours. • D’un côté : Dieu, l’éternel absent qui n’apparaît que dans des visions intérieures, qui habite sur les montagnes parfumées et possède beauté accomplie, liberté infinie et sagesse parfaite. Le bon berger (comme Jésus lui-même s’est présenté) n’a rien à offrir de glorieux ici-bas, mais un jour, il apparaîtra sur la scène de l’Histoire pour récompenser ceux qui auront fidèlement tenu leur serment d’amour. • D’un autre côté : Salomon, le monde, la grandeur selon la chair, la force, la richesse et la gloire visibles. Entre les deux, le croyant se trouve engagé dans l’épreuve : restera-til fidèle au berger pauvre et absent, devant la sollicitation des plaisirs et des honneurs d’ici-bas ? a
Jean de Saussure souligne la fréquence de ce thème dans les Évangiles : les paraboles des mines, des talents, des vignerons, des dix vierges, des serviteurs attendant le retour de leur maître, etc. (op. cit., p. 63-64).
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Introduction au Cantique des cantiques
Le monde aussi nous prodigue parfois son admiration (« Avec vos talents… ») et nous comble de promesses (« Vous serez heureux, libre, tranquille »), il essaie de nous séduire par ses démonstrations de grandeur (comme Salomon par son cortège) : déploiement de luxe, parade du nombre, faste de ses solennités. « Tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie » (1 Jean 2 : 16), conjuguait ses efforts pour séduire Sulamith. Où trouvait-elle la force d’y résister ? Dans le souvenir de son ami, dans les entretiens intérieurs avec lui et dans le rappel de sa beauté et de ses perfections. C’est à ces mêmes sources que nous pourrons puiser pour tenir ferme contre les assauts du monde : dans le souvenir de notre divin Ami, de tout ce qu’il a fait pour nous racheter de « la vaine manière de vivre héritée de nos pères », dans les entretiens avec lui, dans la prière et dans l’adoration de ses perfections. Dans cette communion invisible avec lui, nous verrons les attraits du monde pâlir (1 Jean 2 : 17). « L’amour est fort comme la mort » (Cantique des cantiques 8 : 6). Par amour pour nous, il a passé par la mort de la croix. Notre amour pour lui peut nous permettre d’affronter la même mort pour lui rester fidèle. Son amour n’est pas possessif comme celui du monde, il est désintéressé, il ne demande rien pour lui, sinon un chant, c’est-à-dire la louange et l’adoration. Et encore ce n’est pas pour lui qu’il le demande, c’est pour ses « amis » (8 : 13), c’est-à-dire pour les légions célestes auprès de qui nos louanges le glorifient. Saurons-nous, dans notre vie de tous les jours, relever le défi que nous lance « le plus beau des chants » ?
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Cantique des cantiques
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Le plus beau des chants composés par Salomon.
Acte 1. Exil dans le palais royal Scène 1. Sulamith et les jeunes fillesa Le chœur des jeunes filles Ah ! que ta bouche me couvre de baisers, 2 Car
1 2 3 4 (5 6)
aucun vin ne saurait me ravir autant que ton amour,
3 Aucun
parfum n’égale tes senteurs ! Ton nom est comme un baume répandu sur le cœur. Est-il si étonnant de voir toutes les filles être éprises de toi ?
a
Sulamith, une jeune fille de Sulem, d’une beauté parfaite, a été rencontrée par Salomon lors d’une course qu’il faisait avec sa cour. Il l’a fait conduire dans son palais. Dans cette première scène, elle s’entretient avec les jeunes filles qui composent le harem et qui célèbrent la joie d’avoir été remarquées par un prince tel que Salomon. Exprimant leur enthousiasme, l’une d’elles s’adresse à lui, bien qu’il ne soit pas encore présent. Dans notre traduction, le rythme des trois premiers chapitres est constitué par l’accentuation des syllabes paires : 1 2 3 4 (5 6 (7 8)).
Cantique des cantiques 1
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4 Entraîne-moi, oui, prends-moi avec toi ! Que je suive tes pas ! Viens et courons ensemble.
Sulamitha Le roi m’a fait entrer dans ses appartements. Le chœurb Sachons trouver en toi la joie et l’allégresse et nous exulterons ! Célébrons ton amour qui vaut mieux que le vin ! C’est donc avec raison qu’on est épris de toi. Sulamithc 5 Ô filles de Jérusalem, je suis bronzée, et pourtant, je suis belle, Pareille aux tentes de Kédar, aux pavillons de Salomon. 6 Ne vous étonnez pas si je suis bien brunie, Ne me méprisez pas à cause de mon teint : Le soleil m’a hâlée, les enfants de ma mère, Irrités contre moi, m’ont fait garder les vignes,
— Oui, mais ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardéed ! 7Ô
toi que mon cœur aimee, dis-moi où tu fais paître ton troupeau de brebis, Où tu feras la halte à l’heure de midi, Pour que je ne sois pas comme une femme errante Rôdant près des troupeaux que gardent tes amis.
a
b c d
e
Sulamith interrompt le chœur : elle se rend compte de sa situation. C’est comme si elle sortait d’un rêve. Le changement de personnage se remarque au fait que le roi est nommé ici à la troisième personne et non plus à la deuxième comme dans les versets précédents. Les jeunes filles, sans tenir compte de cet aparté, continuent à célébrer l’amour de leur maître. En se voyant l’objet de l’attention des jeunes filles, Sulamith compare son teint bruni aux frais visages des citadines. J. de Saussure applique cette parole à l’Eglise : noire, mais belle (Le Cantique de l’Église, p. 25). Dans le symbolisme biblique, la vigne représente généralement la terre de Canaan. Comme « fille de prince » (7 : 1), Israël l’avait reçue en héritage (cf. 6 : 11-12 ; 8 : 12), mais dans un mouvement d’imprudente précipitation, elle l’a aliénée entre les mains d’un souverain terrestre. On peut aussi y voir le peuple d’Israël. À la fin de l’histoire, Sulamith prend la ferme décision de garder désormais sa vigne (8 : 12). Sulamith s’adresse à présent à son ami absent qu’elle voudrait aller rejoindre sur la montagne où il fait paître son troupeau.
Cantique des cantiques 1
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Le chœur 8 Si tu ne le sais, toia, la plus belle des femmes, Va donc suivre les traces du troupeau de brebis, Fais paître tes chevrettes près des huttes des pâtres !
Scène 2. Salomon et Sulamithb 9 Ô mon amie, ma bien-aimée, Je te compare à ma cavale, Aux attelages du Pharaon. 10 Tes
joues sont belles entre les perles qui les encadrent ! Ton cou est beau sous tes colliers ! 11 Nous
te ferons des pendants d’or Tout incrustés de points d’argent.
Sulamithc 12 Jusqu’à ce que le roi parvienne à son enclos, Mon nard exhale son parfum. 13 Mon
ami est pour moi comme un bouquet de myrrhe ; Placé entre mes seins, il y passe la nuit. 14 Mon
ami est pour moi Comme un bouquet de fleurs des vignes d’En-Guédi.
Salomon : 15 Que tu es belle, ma bien-aimée, Que tu es belle ! Tes yeux ressemblent à des colombes.
a
b c
Les jeunes filles entrent complaisamment dans la pensée de Sulamith et lui répondent : si elle est assez simple pour préférer sa condition de bergère à celle de bien-aimée du brillant monarque, qu’elle aille donc conduire son troupeau de chèvres sur les pâturages. Salomon entre en scène, il comble Sulamith de louanges sur sa beauté et lui promet d’autres bijoux. Sulamith, nullement troublée par le langage de Salomon, se parle à elle-même : il ne sera pas si facile au roi de parvenir à l’enclos qu’il croit déjà sien, car l’amour de Sulamith pour son berger absent est comme un parfum qui chasse toutes les autres senteurs. Même en présence du roi, elle n’est remplie que de la pensée de celui qu’elle aime.
Cantique des cantiques 2
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Sulamith (à son berger absenta) 16 Oui, tu es beau, mon bien-aimé et tu es plein de grâce ! Notre lieu de repos est un lit de verdure. 17 Les solives de nos maisons, ce sont les cèdres (du Liban), Et les cyprès sont nos lambris.
2
Je suis la fleur des champs, la rose des vallées.
Salomonb 2 Comme une rose parmi des ronces Est mon amie parmi les jeunes filles. Sulamithc 3 Comme un pommier parmi les arbres De la forêt est mon ami parmi les jeunes gens, Et je n’ai qu’un désir : c’est m’asseoir à son ombre. Combien son fruit est doux à mon palais ! 4 Il
m’a conduited en son vignoble Et, au-dessus de moi, Il fait flotter son étendard qui est l’amour. 5 Restaurez-moie avec
des gâteaux de raisins, Soutenez-moi avec des pommes, Car je suis malade d’amour.
a
b c d e
Aux exclamations d’admiration du roi, Sulamith répond en adressant les siennes au berger absent. Aux appartements lambrissés où elle est enfermée, elle compare les demeures champêtres où elle vit d’habitude avec son berger. Elle justifie cette préférence en expliquant qu’elle est une fleur de la campagne (2 : 1). Salomon entre dans la pensée de Sulamith, mais la corrige en opposant la rose aux ronces. Sulamith continue à faire l’éloge de son ami, proclamant que son seul désir est de retourner auprès de lui. Oubliant sa captivité, elle se voit dans le vignoble avec son berger, protégée contre les assauts de Salomon par l’étendard de son amour. L’effort qu’elle a fait pour lutter contre la séduction du monarque l’a épuisée. Elle se sent défaillir et demande aux jeunes filles qui l’entourent de la soutenir et de la restaurer. Elle se voit couchée dans le vignoble, enlacée par son ami et glisse dans un doux rêve. Elle supplie les jeunes filles de ne pas la réveiller avant qu’elle ne le désire. Ce refrain reviendra chaque fois que Sulamith tombe ou se replonge dans un état d’extase (3 : 8 ; 8 : 4). J. Balchin (New Bible commentary, p. 602) voit dans ce refrain le verset-clé du poème qui permet de comprendre ce qu’est le véritable amour conjugal, qui doit naître spontanément et non d’une fausse stimulation érotique. Calvin Seerfeld l’interprète ainsi : « N’excitez pas mes sens en faveur de quelqu’un que je ne suis pas disposée à aimer » (C. Seerfeld, The Greatest song, p. 69). L’amour ne peut pas être fabriqué.
Cantique des cantiques 2
31 6 Sa main gauche est sous ma tête, Et sa droite m’enlace !
7 Ô filles de Jérusalem, je vous supplie Par les gazelles ou par les biches de la campagne : N’éveillez pas, oh ! ne réveillez pas l’amour avant qu’il ne le veuille !
Scène 3. Sulamith et son bien-aimé (Elle lui parle comme dans un rêvea) 8 J’entends
mon bien-aimé, oui, c’est sa voix : il vient, Franchissant les montagnes, sautant sur les collines.
9 Mon
bien-aimé ressemble à la gazelle agile ou à un jeune faon. Le voici : il est là, derrière la paroi, guettant par les fenêtres Et lançant des regards à travers les treillis. 10 Mon
bien-aimé me parle, il m’appelle et me ditb : « Lève-toi, ma compagne, viens donc, ma belle amie,
11 Car
l’hiver est passé et la pluie a cessé ; elle a cédé la place.
12 On voit des fleurs éclore à travers le pays, Et le temps de chanter est revenu pour nous. La voix des tourterelles retentit dans les champs. 13 Tous les figuiers bourgeonnent, leurs premiers fruits mûrissent. La vigne en fleur embaume, exhalant son parfum. Lève-toi, ma compagne, ma belle, mon amie, Viens donc, ma belle amie, 14 Ma
colombe nichée aux fentes du rocher, Cachée au plus secret des parois escarpées,
a
b
Tout ce qui suit, jusqu’à 3 : 5, est prononcé par Sulamith dans une sorte d’extase. Selon un procédé commun à toute la poésie orientale, on identifiait la vision du bien-aimé avec sa présence réelle. L’extase était considérée comme une maladie sacrée qui mettait à l’abri de toute violence. Dans toute cette scène, et dans les suivantes, Sulamith est plongée dans une douce rêverie : elle voit son bien-aimé et s’entretient avec lui comme s’il était réellement présent. Les scènes qu’elle évoque se passent au-dedans d’elle et perdent ainsi ce que certains traits pourraient avoir de choquant. Le bien-aimé invite Sulamith à une promenade à travers la campagne printanière.
Cantique des cantiques 3
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Que je voie ton visage ! Que j’entende ta voix ! Car ta voix est bien douce et ton visage est beau. 15 Prenez-nous
les renardsa, les petits renardeaux Qui ravagent nos vignes quand elles sont en fleur ».
16 Mon
ami est à moi, et moi, je suis à lui, Lui qui paît son troupeau sur les prés pleins de lis. 17 Quand
soufflera la brise à la tombée du jour, Quand les ombres fuyantes s’étendront sur les champs, Reviens, mon bien-aimé, pareil à la gazelle ou à un jeune faon Sur les monts escarpés, les monts qui nous séparent !
Scène 4 : Sulamith et le chœur des jeunes fillesb Sulamith (Le soir, le berger n’est pas venu.)
3 1
Sur mon lit, dans la nuit, j’ai cherché, J’ai cherché celui que mon cœur aime. J’ai cherché, j’ai cherché, je ne l’ai pas trouvé. 2 (Je
me suis dit alors :) Il faut que je me lève, Je parcourrai la ville par les rues et les places, Je chercherai partout celui que mon cœur aime. J’ai cherché, j’ai cherché, je ne l’ai pas trouvé. 3 J’ai rencontré les gardes faisant le tour de la ville. (Je leur ai demandé :) « Celui que mon cœur aime, Ne l’avez-vous pas vu ? » 4 Je
les avais à peine dépassés, Quand j’ai vu celui que mon cœur aime. a
b
Parole énigmatique, peut-être extraite d’un chant sur la vigne. L’ami ou Sulamith se l’approprient pour demander que l’on écarte tout ce qui pourrait endommager leur « vigne en fleur », c’est-à-dire leur jeune vie, leur amour. « Que l’amour soit pur et paisible, ne laissant aucune place à la convoitise, à l’adultère, l’immoralité, la sentimentalité bon marché ou à tout ce qui pourrait ruiner le véritable amour du couple » (Balchin). Dans l’application politique, les renards qui ravagent la vigne (c’est-à-dire la terre de Canaan) seraient les nations d’alentour. Sulamith poursuit son rêve et son monologue. Le bien-aimé n’est pas venu, alors elle part, en songe, à sa recherche.
Cantique des cantiques 3
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Je l’ai saisi bien fort, ne voulant le lâcher Qu’après l’avoir conduit au logis de ma mère, Dans la chambre de celle qui m’a donné le jour. 5 Ô filles de Jérusalem, Je vous supplie par les gazelles ou par les biches de la campagne : N’éveillez pas, oh ! ne réveillez pas l’amour avant qu’il ne le veuille !
Acte II. Tentations Scène 1. Le chœur des habitants de Jérusalem Le chœura 6 Qu’est-ce qui monte du désert comme un nuage de fumée, Au milieu des vapeurs de myrrhe, d’encens et d’aromates, et de tous les parfums ? 7 Voici
le palanquin, le palanquin de Salomon, Escorté de ses soixante hommes d’entre les braves d’Israël. 8 Ils
sont tous armés de l’épée, ils sont initiés au combat. Chacun a l’épée au côté pour parer aux dangers nocturnes. 9 Le
palanquin royal fait sur ordre de Salomon est en bois du Liban. 10 Les
colonnes sont en argent, son baldaquin est tissé d’or, son siège est fait en pourpre. Les filles de Jérusalem l’ont tapissé avec amour. 11 Ô
filles de Sion, sortez et contemplez le grand roi Salomon Portant le diadème dont le ceignit sa mère au jour de son mariage, Au jour où tout son être était rempli de joie.
a
Dans ce deuxième acte, Salomon veut impressionner Sulamith par sa richesse et sa splendeur afin de l’intimider et de gagner son amour. Il la fait monter sur son propre trône portatif (le verset 6 peut aussi se traduire : « Qui est celle qui monte du désert »). L’image est évoquée par le chœur des habitants de Jérusalem.
Cantique des cantiques 4
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Scène 2. Salomon et Sulamitha 1 2 3 4 (5 6 7)
Salomon Que tu es belleb, ma bien-aimée, que tu es belle ! Tes yeux ressemblent à des colombes dessous ton voile ; Ta chevelure est comme un troupeau de chèvres aux flancs du mont Galaad,
4
2 Tes dents ressemblent à des brebis Passées aux mains des tondeurs et remontant du lavoir. Chacune d’elles a sa jumelle, aucune n’est solitaire. 3 Tes lèvres sont comme un ruban écarlate, Et ta parole est charmeuse. Tes joues ressemblent à des moitiés de grenades dessous ton voile. 4 Ton
cou est ferme comme la tour de David, bâtie comme un arsenal : Mille boucliers y sont pendus, tous les pavois des héros. 5 Comme
deux faons, sont tes deux seins, Comme deux jeunes gazelles qui sont jumelles Et qui vont paître parmi les lis.
Sulamithc 6 Quand soufflera la fraîche brise du soir Et quand les ombres s’allongeront, Je m’en irai vers la montagne tout embaumée de la myrrhe, Vers la colline où croît l’encens.
a
b c
Salomon décrit la beauté de Sulamith suivant le modèle des poèmes lyriques encore en usage chez certains peuples orientaux (wasf, de l’héb. « description ») et qui sont récités le jour du mariage : « Le Seigneur n’est pas seulement le Dieu de la vérité : il est aussi celui de la beauté, et celle-ci se reflète dans tous les aspects de la création » (Balchin), en particulier, dans l’homme et la femme créés à l’image de Dieu. L’admiration qui exalte cette beauté joue un rôle capital dans l’amour. Dans ce chapitre, le rythme se fait plus pressant, comme l’exaltation amoureuse de Salomon. C’est pourquoi, nous avons adopté l’alternance suivante, où une syllabe sur trois est accentuée : 1 2 3 4 ; 1 2 3 4 5 6 7. Sulamith interrompt cette description emphatique de sa beauté en souhaitant qu’avant la fin du jour elle puisse s’échapper sur la montagne où son bien-aimé fait paître son troupeau.
Cantique des cantiques 4
35 Salomon 7 Que tu es belle, ma bien-aimée, Tu es parfaitement belle, sans un défaut.
8 Ma fiancée, tu vas venir avec moi, Tu vas venir du Liban, oui, du Liban. Tu contempleras la plaine du sommet de l’Amana, Du Sénir et de l’Hermon. Là les lions ont leur retraite, Et les panthères se cachent dans les montagnes. 9 Tu me fais perdre le sens, ô toi, ma sœur, ma fiancée, Tu me fais perdre le sens d’un seul regard de tes yeux, D’un seul joyau suspendu à ton collier. 10 Que
tes caresses sont douces, ô toi, ma sœur, ma fiancée ! Oui, tes caresses sont bien plus douces qu’un vin exquis, Et la senteur de tes parfums plus délicate que tous les baumes !
11 Tes
lèvres, ma fiancée, distillent un nectar pur, Et, sous ta langue, coulent du miel et du lait, Et le parfum de tes habits est tout pareil à la senteur du Liban. 12 Tu
es un jardin secret et verrouillé, Ô toi, ma sœur, ma fiancéea. Tu es une source close, une fontaine scellée ! 13 Tu
es comme un paradis où croissent des grenadiers Et les fruits les plus exquis : le cyprès et le henné, 14 Le
nard avec le safran et la cannelle odorante, Le cinnamome et toutes sortes d’arbres donnant de l’encens, De l’aloès et de la myrrhe et les plus fins aromates. 15 Tu
es la source en mon jardin, Un puits d’eaux vives, d’eaux ruisselant du Liban. 16 Éveille-toi, Aquilon ! Accours, Autan ! Viens souffler sur mon jardin, et que ses parfums s’exhalent !
a
Salomon commencerait-il seulement à se rendre compte qu’il n’est pas si facile de pénétrer dans cet enclos ?
Cantique des cantiques 4
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Sulamitha Que mon ami, mon bien-aimé, pénètre dans son jardin Et qu’il en goûte les fruits exquis. Salomonb Je viens, ma sœur, ma fiancée, Et j’entre dans mon jardin, Je viens récolter ma myrrhe et mes parfums. Je viens manger mon rayon avec mon miel, Et je viens boire mon vin avec mon lait.
5
Mangez, mes amis, buvezc ! Enivrez-vous, mes bien-aimés, Enivrez-vous de l’amour !
Scène 3. Sulamith et le chœur des jeunes filles 123456
Sulamithd 2 Je me suis endormie, pourtant mon cœur veillait. J’entends mon bien-aimé, c’est lui : voici qu’il frappe : « Ouvre-moi, ma sœur, ma bien-aimée, Toi qui es ma colombe, toi qui es ma parfaite, Car ma tête est mouillée, couverte de rosée. Mes boucles sont trempées des gouttes de la nuit ». 3 (Je
ne peux pas t’ouvrir,) j’ai ôté ma tunique, Comment la remettrais-je ? Et j’ai lavé mes pieds : comment les salirais-je ? 4 Mon
bien-aimé avance sa main par la fenêtre, mon cœur en a
frémi a b c d
Sulamith coupe subitement la parole à Salomon en opposant à ses envolées passionnées un cri d’amour à son bien-aimé absent : elle ne veut appartenir à aucun autre, lui seul aura le droit de pénétrer dans son jardin. Salomon feint de croire que les paroles de Sulamith lui sont adressées, il s’empresse de répondre à l’invitation. Sûr de sa victoire, il invite les jeunes courtisans qui l’entourent à s’associer à sa joie en célébrant d’avance le banquet des noces. Au moment où Salomon pensait venir à bout de ses efforts de séduction, sa captive lui échappe : elle tombe dans une extase semblable à celle qui avait terminé sa première lutte. Elle l’annonce dans ses premières paroles : « Je me suis endormie, cependant mon coeur veille ». Nous revenons ici, pour ce récit plus calme de son rêve, au rythme plus régulier : 1 2 3 4 5 6.
Cantique des cantiques 5
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5 Et je me suis levée pour aller lui ouvrir. De mes mains, goutte à goutte, de la myrrhe a coulé, Mes doigts ont ruisselé de la myrrhe onctueuse Jusque sur la poignée du verrou de la porte. 6 J’ouvre à mon bien-aimé. Hélas, mon bien-aimé était déjà parti : il avait disparu. Et ce qu’il m’avait dit me rendait éperdue. Depuis qu’il m’a parlé, je l’ai cherché partout, je ne l’ai pas trouvé. Puis, je l’ai appelé, il n’a pas répondu. 7 J’ai
rencontré les gardes faisant le tour de la ville, Les gardes m’ont frappée et ils m’ont maltraitée En arrachant mon voile, les gardes des remparts. 8Ô
filles de Jérusalem, je vous en prie : Si vous rencontrez mon ami, Annoncez-lui que je suis malade d’amour !
Le chœur des jeunes fillesa 9 Dis-nous, toi la plus belle parmi toutes les femmes, Qu’a donc ton bien-aimé de plus qu’un autre amant Pour que tu nous conjures, que tu nous pries ainsi ? Sulamithb 10 Mon bien-aimé a le teint clair et rose, On le distinguerait au milieu de dix mille. 11 Car sa tête est précieuse comme un lingot d’or pur. Et ses boucles sont souples comme un rameau de palme, Plus noires qu’un corbeau. 12 Ses
yeux sont des colombes au bord d’un courant d’eau, Ils baignent dans du lait et sont comme enchâssés dans un chaton de bague.
a b
Le choeur entre dans le jeu et, comme on répond à un enfant qui parle en dormant, les jeunes filles lui posent une question bien naturelle. Sulamith répond bien volontiers à cette demande en faisant une description enthousiaste de la beauté de son bien-aimé.
Cantique des cantiques 5
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13 Ses joues sont embaumées Comme un massif de fleurs exhalant leurs parfums. Ses lèvres sont des lis distillant de la myrrhe, la myrrhe la plus pure. 14 Ses mains sont ciselées comme des anneaux d’or incrustés de topazes. Son corps est un chef-d’œuvre, C’est une tour d’ivoire émaillée de saphirs. 15 Ses
jambes sont semblables à des piliers d’albâtre Reposant sur des socles coulés dans de l’or pur. Sa stature est pareille à celle du Liban ; Il est incomparable, noble comme les cèdres. 16 Son
palais et ses lèvres respirent la douceur, Et toute sa personne est empreinte de charme, Tel est mon bien-aimé, tel est mon compagnon, ô filles de Jérusalem !
Le chœur des jeunes fillesa Où est allé ton bien-aimé, ô toi la plus belle des femmes ? De quel côté s’est-il tourné, ton bien-aimé ? Nous t’aiderons à le chercher.
6
Sulamith 2 Mon bien-aimé est descendu dans son verger, À sa terre embaumée pour faire paître son troupeau et pour cueillir des lis. 3 Je suis à mon ami, et lui, il est à moi, Lui qui paît son troupeau sur les prés pleins de lis.
a
Les jeunes filles continuent le dialogue et proposent d’aider Sulamith dans sa recherche. La réponse de Sulamith est tout imprégnée des caprices du rêve.
Cantique des cantiques 6
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Scène 4. Salomon, Sulamith et le chœur des jeunes fillesa (1 2 3 4 (5 6 7)) tu es belle, ma bien-aimée, comme Thirtsa. Tu es superbe tout comme Jérusalem, Mais redoutable comme des troupes sous leurs bannières. 4 Que
5 Détourne
de moi tes yeux, car ils me troublent, Ta chevelure est comme un troupeau de chèvres Aux flancs du mont Galaad. 6 Tes dents ressemblent à des brebis qui reviendraient du lavoir ; Chacune d’elles à sa jumelle, aucune n’est solitaire. 7 Tes joues ressemblent à des moitiés de grenade dessous ton voile. 8 Il
y a là soixante reines et quatre-vingts concubines, sans compter les jeunes filles, 9 Mais
une seule est ma colombe et ma parfaite. Pour sa mère, elle est unique. Les jeunes filles, en la voyant, disent qu’elle est bienheureuse. Toutes les reines, les concubines, font son élogeb :
Le chœur des jeunes filles 10 Qui donc est celle qui apparaît comme l’aurore Et qui est belle comme la lune, brillante comme un soleil Mais redoutable comme des troupes sous leurs bannièresc ?
a
b c
Salomon entre en scène pour tenter un suprême effort. Il renouvelle ses éloges et compare Sulamith aux deux plus belles villes de son royaume : Thirtsa et Jérusalem. Mais la résistance de sa captive à toutes ses avances le trouble (v. 4b-5a). Pour tout ce passage, nous reprenons le rythme passionné : 1, 2, 3, 4, (5, 6, 7). Salomon promet à Sulamith de lui accorder une place unique parmi les reines et les concubines : elle sera pour lui l’épouse de son cœur, aussi chère qu’une fille unique l’est pour sa mère. Les jeunes filles sont impressionnées à la fois par sa beauté et par la résistance inaccoutumée qu’elle offre au roi.
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Sulamitha 11 Je
(1 2 3 4 5 6)
venais de descendre au jardin des noyers Pour regarder les pousses des roseaux du vallon Et pour voir si la vigne avait déjà fleuri, Pour voir si les bourgeons de la vigne s’ouvraient Et si les grenadiers étaient déjà en fleurs. 12 Je ne sais pas comment je me suis retrouvée, Poussée par mon désir, au beau milieu des chars des nobles de mon peuple.
Le chœur des jeunes fillesb Reviens, reviens, ô Sulamith ! Reviens, reviens, que nous puissions te contempler !
7
Sulamith Pourquoi ? Que voulez-vous voir en la Sulamith ? Le chœur On dirait à la voir, la danse des deux campsc. 2 Que
tes pas sont gracieux sans tes sandales, fille de prince ! Le contour de tes hanches ressemble à un calice, œuvre de mains d’artiste ! a
b
c
Les versets 11 et 12 révèlent la clé du Cantique : Sulamith essaie de se remémorer comment elle est arrivée dans cette situation. Elle se souvient alors d’être descendue dans son verger. Lorsqu’elle a vu passer le cortège royal, poussée par sa curiosité, elle s’est approchée, attirant les regards des nobles et du roi. C’est ce qui l’a perdue. Au souvenir de ce regret, elle se met à fuir comme si elle se retrouvait dans la situation qu’elle vient de se représenter. Dans tout ce passage, le rythme est le même que dans l’évocation précédente de Sulamith : 1, 2, 3, 4, 5, 6. Les jeunes filles veulent l’arrêter pour pouvoir la contempler à loisir. Sulamith s’étonne de leur admiration pour une pauvre villageoise comme elle. La jeune fille est ici désignée par son nom, dérivé, selon la plupart des commentateurs, du hameau de Sulem (ou Sunem) en Galilée. D’autres pensent à une forme féminine de Salomon (de « schalom », paix, qui vient lui-même du verbe « schalam » : être intact, accompli). Sulamith signifierait donc : l’Accomplie, la Parfaite ou la Paisible, ce que confirmerait 8 : 10 : « J’ai été, à ses yeux (de Salomon), comme celle qui a trouvé la paix ». Litt. : comme une danse de Mahanaïm. Dans Genèse 32 : 1-2, ce mot désigne les deux chœurs d’anges qui viennent à la rencontre de Jacob à son retour en Canaan. Les jeunes filles, la voyant fuir, comparent sa démarche légère à un vol gracieux, semblable à celui des anges ou encore à une danse tirant son nom de cet épisode. Puis elles se mettent à décrire sa beauté, en commençant (comme cela est naturel pour une danseuse) par les pas qu’elle fait, en remontant progressivement le long du corps. Selon J. Guitton, cette danse était exécutée par la mariée le soir des noces à la tombée du jour.
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3 Ta taille est comme une urne arrondie et remplie de vin aromatique. Ton corps est une meule de blé parée de lis. 4 Tes
deux seins sont deux faons, jumeaux d’une gazelle.
5
Ton cou est une tour, une tour en ivoire. Tes yeux sont des étangs, des étangs d’Hésébon aux portes de la ville, Et ton nez est semblable à la tour du Liban, Qui surveille la plaine du côté de Damas. 6 Ta
tête, sur ton corps, est comme le Carmel Et tes cheveux ressemblent à des rubans de pourpre. Un roi est enchaîné par tes boucles tresséesa.
Salomon 7 Que tu es belle et que tu es gracieuse, Ô mon amour, ô fille délicieuse ! 8 Par
l’élan de ta taille, tu es comme un palmier, Tes seins en sont les grappes. 9 Je
me suis dit : « Il faut que je monte au palmier, j’en cueillerai les fruits ». Que tes seins soient pour moi des grappes de raisin ! L’haleine de ta bouche a le parfum des pommes, 10 Et
ton palais distille le vin le plus exquis…
Sulamithb …Qui coule librement pour mon bien-aimé (seul), Mais glisse sur les lèvres de celui qui s’endortc. a
b
c
Ces dernières paroles prouvent que toute la description admirative qui précède est dans la bouche des jeunes filles. À présent, Salomon reprend la parole et, dans un mouvement passionné, exprime sa ferme résolution de satisfaire son amour. On sent que le roi s’apprête à embrasser Sulamith sur la bouche. Celle-ci interrompt l’expression de plus en plus passionnée et sensuelle de son amour en affirmant qu’elle veut réserver l’expression de son affection à son bien-aimé (cf. 1 : 12 et 4 : 12). Par cette dernière parole, Sulamith repousse un peu rudement les avances du roi. Le P. Lagrange propose de lire ici yachanim : « des vieux », le mot que le Cantique emploie pour désigner les fruits mûrs (7 : 14). J. Guitton adopte cette traduction. Il se peut même que l’expression soit ambiguë (« ceux qui s’endorment » étant opposés aux jeunes, jamais fatigués) comme dans le même verset, l’adverbe « librement » signifie aussi :
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Scène 5. Sulamith et le chœur des jeunes filles Sulamith 11 Je suis à mon amia et c’est moi qu’il désire : il est épris de moi. 12 Viens
donc, mon bien-aimé, sortons à la campagne. Nous passerons la nuit au milieu des hameaux. 13 Et
nous nous lèverons le matin, de bonne heure, Pour aller dans les vignes, pour voir si ses bourgeons Ont déjà éclaté et si les grenadiers commencent à fleurir. Là-bas, je te ferai le don de mon amour. 14 Les mandragores embaument. Nous avons, à nos portes, des fruits de toutes sortes, tant anciens que nouveaux ; Pour toi, mon bien-aimé, je les ai réservés.
8
Ah, que n’es-tu mon frère allaité par ma mère ! Alors, à ta rencontre, au-dehors, dans la rue, Je pourrais t’embrasser sans que l’on me méprise, 2 Je
pourrais t’emmener au foyer de ma mère, Là, tu m’enseignerais et je te ferais boire Du vin aromatique et du jus de grenades. 3 Sa
gauche est sous ma tête et sa droite m’enlace.
4Ô
filles de Jérusalem, je vous en prie N’éveillez pas, oh, ne réveillez pas l’amour avant qu’il ne le veuille !
a
« justement, aisément ». « Il y aurait ainsi une opposition entre le vin qui coule aisément dans le gosier du bien-aimé et celui qui bave sur les lèvres des vieillards. L’allusion, il est vrai, est peut-être un peu rude pour Salomon, mais c’est le dernier mot de la jeune femme, celui qui la délivre : une riposte cinglante n’est pas déplacée » (J. Guitton, op. cit., p. 174). Là-dessus le roi sort et donne l’ordre de laisser partir Sulamith. C’est le cri de triomphe de la jeune fille délivrée du séducteur. Sûre de l’affection de son ami, elle l’appelle et l’invite à une promenade à la campagne (contre-partie de son invitation à lui, 2 : 10-14).
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Acte III. Le triomphe de l’amour Scène 1. La Sulamith et son bien-aimé Chœur des villageois 5 Qui donc est celle-ci qui monte du désert En s’appuyant sur son ami ? Sulamith C’est dessous le pommier que je t’ai réveillé, À l’endroit où ta mère t’avait donné le jour, Au lieu même où souffrit celle qui t’enfantaa. 6 Place-moi
comme un sceau sur ton cœur, sur ton bras. L’amour est fort comme la mort Et la passion est indomptable comme le séjour des défunts. Les flammes de l’amour sont des flammes de feu, Oui, des flammes sacrées venant de l’Éternel. 7 Même
de grosses eaux n’éteindront pas l’amour, Et des fleuves puissants ne sauraient le noyer. L’homme qui offrirait tous les biens qu’il possède Pour acheter l’amour n’obtiendrait que méprisb.
Scène 2. Sulamith et ses frères Les frères 8 Nous avons une sœur, elle est petite encore, elle n’est pas nubile. Que ferons-nous pour elle, le jour où il faudra la donner en mariagec ? a
b c
Le pommier est, en Orient, l’emblème habituel du paradis : « C’est tout à la fois dans le paradis et dans la douleur qu’a été enfanté le Messie, le fiancé d’Israël. N’est-ce pas en effet sous l’arbre de la chute, au milieu des angoisses d’un châtiment mérité, que fut prononcée la promesse qui plane dès lors, comme une nuée bienfaisante, sur toute l’histoire d’Israël et de l’humanité : “La postérité de la femme écrasera la tête du serpent”. Longtemps il dormit sous l’arbre, sous lequel il avait été enfanté, le Sauveur de l’humanité » (Frédéric Godet, op. cit., p. 315). Sulamith tire la leçon de son expérience. Cette phrase prouve que le bien-aimé n’est pas Salomon. La parabole de Sulamith, qui constitue une énigme développée, en contient un certain nombre d’autres. La Bible annotée interprète l’énigme de la jeune sœur ainsi : « Le sort final d’Israël vient d’être glorieusement annoncé : il sera à jamais le peuple du berger céleste dont finalement rien ne le séparera. Mais Israël n’est
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Sulamith 9 Si elle est un rempart, nous bâtirons sur elle des palais en argent. Si elle est une porte, nous dresserons contre elle des madriers de cèdrea. 10 Moi, je suis un rempart, mes seins en sont les tours. Aussi ai-je été, à ses yeux, celle qui a trouvé la paixb.
Scène 3. Sulamith : coup d’œil rétrospectif Sulamith 11 Salomon avait une vigne dans la région de Baal-Hamon, il la remit à des gardiens. Pour en payer le fruit, chacun d’eux lui donnait Un millier de pièces d’argent. 12 Ma
vigne est à moi, je la garde. Toi, Salomon, tu peux avoir ton millier de pièces d’argent, Mais je donnerai deux cents pièces À ceux qui en gardent les fruitsc !
a b
c
pas seul au monde ; il y a, en dehors de lui, une humanité idolâtre qui n’a pas encore reçu la connaissance de Jéhova, de sa loi et du salut promis, et pour qui l’épreuve de la fidélité est encore à venir. Elle ne manquera pas d’y être soumise un jour, et par là décidera elle-même, comme l’a fait Sulamith, de son sort final ». « Si, lorsqu’elle connaîtra Jéhova, elle s’attache à lui et tient ferme pour lui contre les séductions terrestres, elle aura accès à la gloire, comme Israël, sinon, on lui infligera une humiliante réclusion » (La Bible annotée) Sa fermeté devant les assiduités de Salomon peut servir de modèle à sa jeune sœur. Par cette fermeté, elle a été trouvée digne, aux yeux du roi, d’obtenir la paix (ce thème de la paix, qui se retrouve dans les noms de Salomon et de Sulamith, est sous-jacent à tout le livre). Nouvelle énigme : après avoir rappelé son histoire, Sulamith en revient à Salomon. Le nom de Baal-Hamon ne se trouve nulle part, il est probablement utilisé ici à cause de son sens symbolique : possesseur de grandes richesses. Une vigne rapportant plusieurs milliers de sicles d’argent est, en effet, immense. Que Salomon se contente donc de ses richesses et ne convoite pas la vigne de Sulamith (cf. le message de Nathan à David, 2 Samuel 12 : 1-9) ! Sa personne et son amour ne sont pas à vendre. Dans cette énigme, il apparaît que Sulamith personnifie tout le peuple d’Israël : « Par sa bouche, le peuple fait vœu de soumission à la royauté qu’il vient de se donner, mais réserve en même temps le droit de Dieu, auquel est subordonné celui du roi » (La Bible annotée). Le droit de Dieu est représenté ici par les deux cents pièces données à ceux qui gardent les fruits de la vigne, c’est-à-dire les sacrificateurs et les lévites.
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Scène 4. Sulamith et son bien-aimé Le berger 13 Toi qui habites les jardins, mes compagnons prêtent l’oreille, Fais-moi donc entendre ta voixa ! Sulamith 14 Cours, enfuis-toi, mon bien-aimé, et sois pareil à la gazelle ou à un jeune faon de biche, Fuis vers le mont des aromatesb !
:::::
a
b
Dans ce verset, le berger paraît, entouré de ses amis de noce, pensant que le moment est venu de célébrer leur union. Pour la première fois, il prend la parole dans ce poème tout rempli de lui, et c’est pour demander à Sulamith de chanter. Peut-être est-ce une indication de la vocation éternelle du peuple de Dieu : chanter les louanges de Dieu. Énigme finale : au lieu de célébrer leur amour et leur union, Sulamith demande à son bien-aimé de fuir : « Il y a ici le sentiment fortement exprimé que le temps n’est pas encore arrivé où peut se réaliser l’union figurée plus haut de la jeune fille et de son ami, c’est-à-dire, si nous ne nous trompons pas, d’Israël avec Jéhovah… Le vrai berger doit laisser la place au roi terrestre, jusqu’à ce que le terrain soit préparé pour sa propre apparition. En attendant, il doit se retirer dans une demeure supérieure, où Sulamith ne peut le suivre » (La Bible annotée).
Le livre de job
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Introduction à Job
« L’homme naît pour souffrir comme l’étincelle pour voler » (Job 5 : 7). Cette constatation pessimiste d’Éliphaz de Témân reflète la résignation plus ou moins fataliste avec laquelle une bonne partie de l’humanité accepte le fait de la souffrance. Une autre partie, cependant, ne se résout pas si facilement à une telle attitude. Si vraiment Dieu existe, pourquoi permet-il que ses créatures souffrent ? Les écrits les plus anciens soulèvent cette question difficile et poignante. À partir du IIIe millénaire avant JésusChrist, nous découvrons des textes en Égypte, à Sumer, à Babylone, aux Indes, etc., posant nettement cette interrogation : pourquoi Dieu n’empêche-t-il pas la souffrance s’il est puissant et bon ? Les réponses se ramènent généralement à l’alternative suivante : Dieu est puissant, mais il n’est pas bon envers les hommes. Et si l’on veut le fléchir et éviter la souffrance, il faut se soumettre à toutes sortes d’exercices de piété et de punitions qu’on s’inflige. Ou bien, dans une autre perspective : Dieu est bon et puissant, mais la souffrance est une punition méritée pour des péchés publics ou secretsa.
a
Cf. Samuel Kramer : History begins at Sumer, chap. 18, New York : Harper & Brothers, 1961 ; le dialogue sur la misère humaine dans Ancient near Eastern texts relating to the Old Testament par J. Pritchard (éd.), 3e éd. en 1969, p. 60-604 ; Paul Bertie, Le poème de Job, Paris : Rieder, 1929 ; Adolphe Lods, Histoire de la littérature hébraïque et juive, Paris : Pavot, 1950, p. 691s.
Sagesse vivante
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Les écrits rapportant des réflexions de ce genre sont nombreux dans l’ancien Orient. C’est dans ce contexte que se situent la vie de Job et le livre qui en parle. L’auteur connaît les thèses courantes. Elles nous sont présentées par les amis de Job, mais sa réflexion dépasse de loin tous les écrits analogues.
Un livre unique Comparer le livre de Job avec des écrits antérieurs met en évidence son caractère unique dans toute la littérature ancienne et moderne. Unique par son genre littéraire. S’agit-il d’une histoire ou d’une épopée ? D’un poème ou d’une pièce dramatique ? Ou d’un mélange de ces différents genres ? C’està-dire d’un genre littéraire propre au livre comme l’a suggéré le Rabbin Gordisa qui tient à la fois de l’histoire, du poème et des écrits symboliquesb. Unique par sa composition. Le schéma A–B–A (prose–poésie–prose) se retrouve dans beaucoup d’écrits anciens similairesc. –– La structure détaillée est remarquable : deux interventions de Dieu au début et deux à la fin du livre encadrent les discours de Job et de ses amis. –– Le prologue est construit sur un schéma strictement symétrique : deux entrevues de Dieu avec Satan (1 : 6-12 ; 2 : 1-7) suivies de séries de malheurs déclenchés contre Job (1 : 13-19 ; 2 : 7-8) et des réactions de celui-ci (1 : 20-22 ; 2 : 9-13). –– Les discours sont articulés sur le même mode symétrique : quatre cycles de dialogues entre Job et ses trois amis (le quatrième étant un monologue de Job, chap. 29-31, faisant pendant au monologue initial du chap. 3), puis quatre discours d’Élihou (ch. 32-37). Le chiffre 4 revient d’ailleurs fréquemment.
Unique par sa poésie. Son vocabulaire est l’un des plus riches et certainement le plus difficile de tous les livres bibliques, comme c’est le cas des textes poétiques dans toutes les langues. La découverte des tablettes ugaritiques de Ras Shamra a permis de résoudre un certain nombre d’énigmes, elles ont révélé l’ampleur de la culture littéraire de l’auteur. Celui-ci manie avec une maîtrise parfaite tous les procédés stylistiques et poétiques de sa langue : les parallélismes synonymiques, antithétiques et synthétiques, le chiasme, etc. Ce sont surtout les descriptions qui sont d’un lyrisme inégalé et en font « le poème le plus grandiose de tous les temps » (Tennyson) : il chante la beauté de la création (36 : 22 à 37 : 13 ; 38 : 41), il évoque les profondeurs de la souffrance humaine (3 : 6 à 7 : 19). a b c
Voir Robert Gordis, The Book of God and man, Chicago : University of Chicago Press, 1965, p. 7. Jacob Myers, The Linguistic and literary form of the book of Ruth, Leiden : Brill, 1955. Par exemple dans « Le Paysan éloquent », un poème égyptien du XXIIe s. av. J.-C. ; dans le Code d’Hamourabi nous trouvons la même structure, mais inversée : poésie, prose, poésie.
Introduction à Job
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Unique par sa profondeur. Mais ce qui fait surtout le caractère unique de Job, c’est sa profondeur de pensée. Le livre ne nous apporte pas une solution unique au problème de la souffrance, mais un inventaire de toutes les solutions qui y ont été données. Toutes les réponses que l’homme a trouvées à ses pourquoi, mais aussi toutes celles que Dieu lui a fournies dans sa révélation, sont contenues dans ces quarante-deux chapitres. Pas de développements théoriques arides, mais des réflexions intégrées à une histoire vécue, pétries de sentiments et de passions – ce qui est normal chez un homme plongé dans une terrible souffrance.
Tentatives de solutions au problème de la souffrance Le caractère vivant, mais parfois déconcertant, du livre vient de cette confrontation entre les différentes explications de la souffrance : châtiment du péché, correction, enseignement, approfondissement spirituel, défense de l’honneur de Dieu. Est-il juste d’en retenir une seule à l’exclusion des autres ? Tour à tour, la Bible souligne l’un ou l’autre sens de la souffrance : 1. Elle peut être châtiment du péché. Puisque les bénédictions et les malédictions dépendent du comportement de l’homme (Lévitique 26 ; Deutéronome 27 à 30), ce qu’il sème, il le moissonnera (Psaumes 34 : 11-22 ; Galates 6 : 7 ; 1 Pierre 3 : 10). 2. Elle peut être éducatrice : le Fils de Dieu lui-même a appris l’obéissance par les choses qu’il a souffertes (Hébreux 5 : 8) et l’apôtre Paul rend grâces à Dieu pour les maux qu’il a endurés puisqu’ils l’ont rendu plus apte au ministère de la compassion et de la consolation (2 Corinthiens 1 : 3-7). Les années d’épreuve ont été pour Joseph, pour Moïse, pour David, pour Jérémie comme pour Daniel, un temps de maturation et de croissance spirituelle qui les ont préparés pour les tâches que Dieu leur avait réservées. L’épreuve comme la correction « produit plus tard chez ceux qui ont été ainsi exercés (ceux qu’elle a formés) un paisible fruit de justice » (Hébreux 12 : 11).
1. La souffrance comme châtiment Avec de légères variantes, les trois amis de Job défendent surtout la thèse traditionnelle : la souffrance est le châtiment du péché. Pour Job, une série de catastrophes aussi terribles que celles qui ont déferlé sur lui doivent être l’indice de péchés exceptionnels : –– Éliphaz, vénérable sage, déclare que tout homme est pécheur, donc chacun doit souffrir, mais le coupable qui s’humilie sera pardonné et rétabli ; –– Bildad est le savant versé dans la tradition des pères, il insiste surtout sur la justice de Dieu qui ne saurait punir un innocent ; –– Tsophar représente le dogmaticien raisonneur que son impétuosité pousse vers une certaine intolérance. Si Dieu voulait lui parler, renchérit-il, il montrerait à Job qu’il l’a même traité avec indulgence.
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Devant les protestations d’innocence de Job, les positions des trois amis se raidissent et les accusations se font plus sévères : il ne veut pas reconnaître ses torts, donc il s’endurcit contre Dieu. Qu’il prenne garde : il sera brisé d’un seul coup.
2. La souffrance comme éducation La seconde explication de la souffrance, celle qui éduque, qui reprend l’homme, est évoquée brièvement par Éliphaz (5 : 17-27) et sera surtout défendue par Élihou (33 : 14-20).
Bonnes intentions, fausse théologie On a pris l’habitude d’être assez dur avec les amis de Job. Il ne faut cependant pas être injuste envers eux : ils sont venus de loin pour consoler leur ami éprouvé. Pendant sept jours et sept nuits, ils lui tiennent silencieusement compagnie, et lorsqu’ils lui parlent, c’est pour essayer de l’aider. D’ailleurs, ce qu’ils disent n’est pas faux en soi : lorsqu’on lit leurs discours en faisant abstraction de la situation de Job, il n’y a rien à objecter (seulement leurs théories qui ne correspondent pas à la situation de leur ami). Selon leur théologie, Job doit avoir péché ; donc, au lieu de le consoler, ils vont l’accuser. En toute bonne conscience, d’ailleurs. En effet, n’est-ce pas pour lui le seul moyen de guérir ? Car Dieu est juste, il n’envoie pas la souffrance sans raison ; l’infortune de leur ami est la preuve de fautes cachées : qu’il reconnaisse son péché et Dieu le rétablira. On s’est demandé pourquoi les amis de Job parlaient si longuement pour ne rien dire de neuf. Mais il faut comprendre leur propos : ils voudraient aider leur ami, ils ne peuvent le laisser dans sa détresse. Selon leur théorie, il y a une seule voie de salut pour lui : qu’il se repente et tout ira de nouveau bien. C’est pourquoi les premiers discours se terminent tous par une note positive et encourageante (5 : 17-27 ; 8 : 20-22 ; 11 : 13-20). Il faut aussi comprendre leur angoisse : si Job est innocent, comme il le prétend, toute leur théologie s’écroule : sur quoi pourront-ils encore s’appuyer ? Si de telles calamités peuvent arriver à un juste, quelle assurance leur restera-t-il pour euxmêmes ? Ils ne peuvent retourner chez eux soulagés avant d’avoir arraché à Job une confession de culpabilité qui sauverait leur théologie et étayerait la barrière de sécurité dont ils se sont crus entourés. Leurs efforts en vue d’une « autocritique » de Job ne réussissant pas, ils s’acharnent et finalement se taisent mais sans lâcher prise. L’un des buts du livre de Job est de montrer combien une telle position théologique absolue est fausse. L’innocence de Job est clairement attestée par l’auteur (1 : 1), par Job (6 : 30 ; 9 : 15) et confirmée par Dieu lui-même (42 : 7s), mais tous les personnages ignorent la situation réelle. Le livre se situe donc dans la même ligne que certains psaumes (37 ; 49 : 5s ; 73), que Jérémie (12 : 1 ; 31 : 29s) et Habakuk
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Introduction à Job
(1 : 13s) qui, tous, affirment que la souffrance n’est pas toujours méritée et que nous ne pouvons pas nous attendre à voir triompher à tout coup la justice dans cette vie. Il montre aussi combien cette théologie trop étroite peut être néfaste pour ceux qu’elle prend pour cible. Au lieu de soulager leur ami, les trois « consolateurs » n’ont fait que l’accabler de souffrances supplémentaires, parce qu’ils étaient prisonniers de leur système déterministe : péché-souffrance, donc souffrance = péché. Mais Job ne voyait pas comment concilier avec son expérience ce que disaient ses amis (et qui était juste à ses yeux). Dieu n’a pas pu lui révéler la véritable raison de sa souffrance avant – ou pendant – son épreuve. Il n’a pas jugé utile de le faire après. D’où la perplexité de Job et son désarroi intérieur. Il en vient à maudire le jour de sa naissance (3 : 11, 20) ; donc, indirectement, il reproche à Dieu de l’avoir fait naître. Ainsi, il arrive très près du point où Satan voulait l’amener, à savoir : qu’il maudisse Dieu. Cependant, il ne le maudit pas. Au contraire, il reste ferme et il affirme que l’Éternel est juste. C’est à lui qu’il en appelle contre ses accusateurs (23 : 3-17). Peu à peu, nous le voyons croître intérieurement vers une assurance et une sérénité qui le préparent à la confrontation avec le Seigneur. Dans son désarroi, il exprime une intuition à laquelle seul le Nouveau Testament répondra : le besoin d’un médiateur entre Dieu et l’homme, un « rédempteur » (le goël : celui qui rachète et réconcilie, cf. Romains 5 : 1-5). Vers la fin (chap. 28), il se tourne vers la sagesse dont le principe même est de révérer Dieu (v. 28). C’est aussi l’un des thèmes des discours d’Élihou, le jeune interlocuteur qui apparaît à la fin, lorsque les trois amis n’ont plus rien à dire. Il est indigné « contre Job qui n’a su se justifier qu’en accusant Dieu, et contre les amis qui n’ont su se justifier qu’en accusant Job » (Oehler). Après avoir affirmé la valeur purificatrice de la souffrance, il développe l’idée que toute la nature témoigne de la grandeur et de la sagesse de Dieu (36 : 22-37, 13) ; même si nous ne parvenons pas à comprendre ses voies, il ne saurait être injuste. On peut donc faire confiance à sa droiture dans l’usage qu’il fait de sa puissance. Par là, Élihou prépare les discours de Dieu lui-même qui développent le même thème sous forme de questions posées à Job : « Toi qui prétends me juger, comprends-tu l’univers ? Sais-tu le gouverner mieux que moi ? » Les deux animaux qu’il décrit avec plus de détails, le behemoth et le leviathan (termes difficiles à traduire, et que nous avons choisi de rendre par « hippopotame » et « crocodile ») sont des échantillons pris dans sa création pour démontrer sa puissance et sa sagesse, comme pour dire à Job : « Tu crois que je ne connais pas mon métier ? » Ces chapitres, nous dit Campbel Morgan, sont « une satire aussi douce que le baiser d’une mère quand elle se rit de son enfant ». En fait, Job sortira grandi de cette expérience. Même un homme juste et sage comme lui peut donc parvenir, au travers de la souffrance, à de nouveaux sommets de maturité humaine et spirituelle.
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Le dépouillement de tout ce qui constituait sa vie d’antan place Job dans un dénuement total devant Dieu : il a tout perdu : richesses, enfants, santé, soutien de sa femme, réconfort de ses amis. Il lui restait encore la certitude de l’amour de Dieu et de la justice de sa providence lorsqu’il disait : « Nous recevons de Dieu le bien, et nous ne recevrions pas aussi le mal ? » (2 : 10). Mais peu à peu, il perd même la conviction d’un juste gouvernement de Dieu. Il se laisse tenter par l’idée que Dieu ne l’aime plus puisqu’il l’a pris, lui le juste, pour cible de ses flèches (10 : 13-17 ; 13 : 24). Sur quoi peut-il encore s’appuyer ? Sur sa propre justice ? Il sait bien que l’homme ne saurait être juste devant Dieu et que si celui-ci voulait contester avec lui, il ne pourrait même pas se justifier dans un cas sur mille (9 : 2-3). Sur sa foi ? Mais que lui reste-t-il de sa confiance en un Dieu qui semble le poursuivre injustement de son animosité (16 : 11-17) ? Il n’a plus rien du tout pour s’y appuyer. Finalement, son seul recours, c’est Dieu lui-même, c’est devant lui qu’il veut plaider sa cause (13 : 3)… même s’il n’est plus sûr de pouvoir compter sur lui (13 : 15). Dépouillement total d’un homme devant Dieu. Mais pas de n’importe quel homme : Job a été préparé peu à peu à ce dépouillement. Pas non plus devant n’importe quel Dieu : un Dieu tout-puissant, qui peut mettre fin à l’épreuve quand il juge qu’elle a atteint son but, mais surtout un Dieu qui aime ses créatures comme un père et leur redonne, au moment opportun, tout ce qui contribue à leur bonheur terrestre. La fin du livre, qui se lit comme celle d’un conte de fées, est la contrepartie du prologue. Elle nous apporte le gage de la bonté et de la fidélité de Dieu : il prendra soin de nous en temps voulu et saura nous donner, ici-bas ou au-delà, tout ce qu’il nous a réservé dans son amour.
Le nœud du problème Dieu n’avait pas à se justifier devant Job. Il pouvait encore moins condescendre à lui révéler la scène racontée dans le prologue. Pourtant c’est dans le défi que Satan a lancé à Dieu que se trouve la véritable raison de l’épreuve de Job. C’est aussi la cause de certaines souffrances qui ne rentrent dans aucune des autres catégories d’explications. Dans le prologue se trouve la pièce la plus importante du puzzle que les quatre amis ont cherché vainement à reconstituer avec celles qu’ils avaient en main. En fait, l’accusation lancée par Satan (1 : 9) atteint Dieu lui-même bien plus que Job : Car si le plus pieux des hommes est incapable d’aimer Dieu gratuitement, c’est dire que Dieu est impuissant à se faire aimer. Or, si la perfection d’un être est d’aimer, sa gloire est d’être aimé. Par conséquent, le coup le plus sensible que l’on puisse porter à l’honneur divin, c’est de prétendre que le plus pieux adorateur de Dieu sur la terre le sert avec cette unique pensée : « Que m’en reviendra-t-il ? » S’il en est ainsi, Dieu n’est plus qu’un
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puissant, flatté par des lâches, il n’a pas d’amis, pas d’enfants ; il n’a que des mercenaires et des esclaves. […] En décochant le trait enflammé qui réduit en cendres la piété de Job, c’est réellement au cœur de Dieu qu’il a visé… et il a frappé au buta. L’épreuve seule pourra faire éclater la vérité. Dieu est contraint de relever le défi de Satan et de lui donner carte blanche pour démontrer si son insinuation est vraie. Ainsi, Job devient le « champion » de Dieu, dans le sens que ce mot avait au Moyen Âge : il devra défendre l’honneur de Dieu. Ce sens suprême de la souffrance nous explique peut-être pourquoi tous les héros de la foi d’Hébreux 11 ont dû passer par l’épreuve, pourquoi Dieu a permis que l’Église subisse tant de persécutions au cours des siècles, pourquoi aujourd’hui encore tant de fidèles croyants endurent des souffrances non méritées. Par leur constance et leur fidélité au milieu des tribulations, ils apportent la démonstration péremptoire que Dieu leur est plus précieux que n’importe quoi ; il est, pour eux, le bien suprême, l’unique objet de leur affection. Dans cette perspective, le livre de Job est une critique fondamentale de la philosophie hébraïque de ce temps qui avait enfermé la vie dans une orthodoxie rigide où il n’y avait place que pour deux destins : celui du juste, assuré d’obtenir sa récompense dans cette vie, et celui du méchant, sûr de sa destruction. Sous l’influence d’une telle philosophie, la piété devenait un calcul intéressé, la bonne conduite une monnaie pour acheter le bonheur, la sagesse elle-même n’était plus qu’un moyen de s’assurer une existence sans problème. Quand Dieu a créé l’homme à son image, l’a-t-il donc doté d’un esprit si bassement commercial pour communier avec lui ? Est-il incapable de susciter en lui une affection sincère et désintéressée ? Ainsi la question de Satan : « Est-ce donc pour rien que Job te sert ? » atteint à la fois Dieu et l’homme. […] À Dieu : « Est-ce vraiment toi qu’il aime, ou ton argent, ta puissance, tes bienfaits, ton titre ? » Satan conteste la possibilité de ce rien, de cette gratuité (de l’amour de Job). Il défie Dieu d’être parvenu à créer cet amour au cœur de l’homme. […] Le problème de Job n’est pas tant celui de la souffrance que celui de l’amour. Dieu et Satan luttent pour le cœur de l’hommeb. Mais la question de Satan atteint aussi l’homme en plein cœur de sa dignité. Est-ce que l’homme n’est vraiment rien de plus qu’un consommateur qui marchande les faveurs de Dieu par sa piété ? Est-il, comme le veut Satan, uniquement préoccupé de ses intérêts, ou comme le pensent les amis de Job, entièrement dépravé et corrompu ? a b
Frédéric Godet, Études bibliques, op. cit., p. 208-209. Roland de Pury, Job : ou l’homme révolté, Genève : Labor et Fides, p. 12s.
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La vie et l’attitude de Job sont la réponse à cette question et sauvent la dignité de l’homme en même temps que l’honneur de Dieu. Dans ce sens, on a pu dire du livre qu’il était autant une défense de l’homme qu’une justification de Dieu. La sagesse elle-même sort purifiée de cette épreuve : elle n’est plus seulement monnaie d’échange pour acquérir des bonheurs terrestres, elle a soutenu son champion Job dans cette épreuve suprême et lui a inspiré l’attitude qui lui attirera la faveur divine.
Comment souffrir ? Si le théologien trouve dans ce livre plusieurs réponses au problème de la souffrance, l’homme qui souffre découvre dans l’attitude de Job un modèle approuvé par Dieu (Jacques 5 : 10-11). Pour lui la question est moins : « Pourquoi la souffrance ? » que : « Comment souffrir ? Dans quel esprit ? Que dois-je, que puis-je faire si je souffre ? » Là aussi, Job nous apporte plusieurs réponses : son acceptation calme de la volonté souveraine de Dieu (1 : 21 ; 2 : 10) est restée pour beaucoup de chrétiens la réplique de la foi aux coups inattendus qui les ont frappés. Sa reconnaissance pour les bienfaits du passé lui permet de dépasser le mal présent et de continuer à voir, dans la main qui le frappe, celle d’un Dieu d’amour. Mais pour Job, comme pour tous ceux qui sont atteints au tréfonds de leur être, vient un moment où il n’arrive plus à assumer son mal avec calme et foi. Que fait-il alors ? Il épanche toute l’amertume de son âme (7 : 11), il crie ses protestations et son désarroi, mais il les crie à Dieu. Il ne s’en prend pas aux causes secondaires (les Sabéens, les forces de la nature), il remonte à la véritable origine et clame son innocence et son incompréhension à Dieu lui-même. C’est parce qu’il est resté attaché à l’Éternel que celui-ci se révèle à lui (38 : 41) et le proclame juste (42 : 7).
Origine du livre D’où nous vient-il ? Le nom de Job apparaît déjà au IIe millénaire avant J.-C. dans les lettres d’Amarna, dans des textes imprécatoires égyptiens, à Mari, à Alalakh et dans des documents ugaritiques. C’était donc un nom ancien très répandu. Il signifiait : « Où est (mon) père ? » ou : « Pas de père ». Il s’appliquait soit à des orphelins, soit à des enfants illégitimes. Job était certainement un homme qui a réellement existé puisqu’Ézéchiel (14 : 14, 20) et Jacques (5 : 11) y font allusion non comme à une fiction littéraire, mais comme à un personnage historique. Il a sans doute vécu à l’époque des patriarches dont il partage la longévité, le mode de vie et le rôle sacerdotal. Sa richesse est évaluée en troupeaux et il a connu les mêmes dangers qu’eux (les razzias des bandes de Sabéens et de Chaldéens, peuplades restées nomades jusque vers l’an 1 000 av. J.-C.)
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Introduction à Job
Son histoire a sans doute circulé sous forme orale, peut-être même en dehors d’lsraël, ce qui expliquerait la saveur araméenne de bien de détails du récit (Outs, cf. Genèse 10 : 23 ; 22 : 20-24 ; Éliphaz, Téman pris dans la généalogie d’Ésaü, Genèse 36 : 15 ; et de nombreux aramaïsmes). Edom était réputé pour sa sagesse (Jérémie 49 : 7 ; Abdias 8 : 9) ; or, d’après Lamentations 4 : 21, Uz = Édom. Cette histoire a dû être rédigée plus tard sous la forme élaborée que nous lui connaissons par un Hébreu écrivant sous l’inspiration de l’Esprit saint. Le livre de Job est donc « un poème dramatique à fondement historique » (C. Morgan). Toutes les époques, de Moïse à Esdras, ont été proposées comme dates de rédaction. En effet, les écrits de sagesse remontent au-delà de l’an 2 000 av. J.-C. dans l’ancien Orient. Certains détails témoignent d’une origine très ancienne, comme l’usage de la Kesitah (42 : 11), une pièce de monnaie datant d’avant l’époque de Josué (Genèse 33 : 19 ; Josué 24 : 32). On ne saurait toutefois remonter trop haut vu l’absence des formes de langage antiques caractérisant le Pentateuque et le développement de la réflexion philosophique dont témoigne le livre. On ne peut, d’autre part, assigner une date trop tardive, car des fragments de Job en paléo-hébreu ont été trouvés parmi les manuscrits de la mer Morte. La plupart des auteurs pensent que l’époque de Salomon (ou peu après) conviendrait le mieux pour un écrit caractérisé à la fois par l’élégance de la langue, la profondeur de la pensée et la perfection de l’élaboration littéraire. Que l’auteur soit resté inconnu se conçoit le mieux à une époque où il pouvait se perdre au milieu d’une pléiade de sages formés à l’école de Salomon, partageant son intérêt pour les problèmes humains et pour la nature (cf. 36 : 22 à 37 : 13 ; 38 à 41). Il a la même réaction que ses contemporains devant les injustices sociales (24 : 2-12 ; cf. Ésaïe et Michée). Dans ce cas, le livre daterait environ du VIIIe siècle av. J.-C. Mais comme le dit Davidson, la datation dépend davantage des impressions que des arguments. D’autres auteurs pensent qu’en 12 : 17-25, l’auteur décrit la déportation des conseillers, des nobles et des sacrificateurs avec une précision seulement possible de la part d’un témoin oculairea. Le livre aurait donc été rédigé par quelqu’un qui a vu la déportation par les Chaldéens en 587 av. J.-C. (cf. 2 Rois 24 : 13-15).
Valeur actuelle du livre Ce livre garde une valeur actuelle incontestable. Ceux qui passent par l’épreuve trouvent en Job un compagnon de misère et un exemple de constance rare (cf. Jacques 5 : 11) qui leur permet d’exprimer leur souffrance en des termes véhéments peut-être, a
Jon Genung, International standard Bible encyclopedia, III, 1915, p. 1687. URL : http://www.internationalstandardbible.com/J/job.html (page consultée le 23 janvier 2015).
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mais non blasphématoires puisque Dieu a pu les accepter. Avoir la foi ne veut pas dire évacuer les questions qui se posent à nous, se soumettre sans comprendre. C’est l’une des leçons audacieuses de ce livre. Autre leçon du livre : lorsqu’on passe par l’épreuve, Dieu seul peut apporter une consolation juste et efficace. En effet, aucun des amis de Job ne l’a réellement soulagé, il a fallu que Dieu lui-même lui parle pour qu’il trouve la paix intérieure. Les croyants éprouvés font parfois la même expérience que Job : tout ce que leurs amis trouvent à dire tient dans le résumé des discours des quatre interlocuteurs du livre : « Dieu est juste, si tu souffres c’est qu’il y a un interdit dans ta vie, sonde-toi, repens-toi et il te rétablira ». Il est toujours bon de s’examiner devant Dieu et chaque épreuve est une invitation à le faire et à le refaire avec honnêteté et courage, mais le livre de Job nous enseigne qu’il est faux de lier toute souffrance à un péché. Peut-être certains conseillers se hausseront-ils au niveau d’Élihou en parlant de la souffrance comme moyen d’éducation. Et c’est juste : nul ne sort de l’épreuve comme il y est entré. Mais si elle affine les uns, la souffrance endurcit les autres. Elle est épreuve dans le plein sens du terme, c’est-à-dire examen : on peut le réussir ou le rater. Rien n’est automatique sur le plan spirituel. Si Job a grandi peu à peu au cours de son épreuve vers une maturité qui lui a permis de prier pour les amis qui l’ont blessé sans le vouloir (42 : 10 ; cf. Luc 6 : 28), c’est bien sûr par la grâce de Dieu, mais c’est aussi par les expériences qu’il a vécues, expériences souvent contradictoires où le désespoir alternait avec l’espérance, où tantôt il suppliait Dieu de s’éloigner de lui (7 : 17, 21 ; 10 : 20 ; 19 : 22), tantôt il l’appelait à ses côtés (14 : 15). Si, pour un observateur extérieur, la caractéristique de l’homme qui vit en communion avec Dieu est la paix intérieure, Job ne réussit pas l’examen, car son esprit est agité et troublé. Il ne dédaigne pas les biens matériels, il ne refoule pas stoïquement ses émotions par peur de perdre son image de marque. Il est pleinement homme et rien de ce qui est humain ne lui est étranger. Par là, il est infiniment proche de ceux qui souffrent et refusent de voir la victoire dans la négation d’une partie de leur humanité – qui est aussi un don de Dieu. Le livre de Job a été vraiment un grand réconfort pour de nombreux croyants. Il nous donne un aperçu de ce qui se passe au-delà du voile. Il nous révèle aussi les pensées qui peuvent agiter le cœur des humains en face des souffrances qui sont souvent notre lot, sur l’attitude à prendre dans la tourmente incompréhensible et dévastatrice qui peut nous assaillir à tout moment. « L’Éternel a donné, l’Éternel a ôté, que le nom de l’Éternel soit béni » : une phrase que l’on ne peut pas prononcer à la légère ni spontanément, mais que ce livre nous prépare et nous aide à dire lorsque cela sera nécessaire. Finalement, Job est une préfiguration de Jésus-Christ, l’« homme de douleur, habitué à la souffrance, semblable à celui dont on détourne le visage » (Ésaïe 53 : 3). Tous les sens de la souffrance dont il est question dans ce livre convergent vers lui : il a été édu-
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Introduction à Job
qué par elle (Hébreux 5 : 8), il fut tenté comme nous en toutes choses (Hébreux 4 : 15), il a souffert de l’incompréhension de ses amis (Marc 9 : 32), de l’abandon de Dieu luimême (Matthieu 27 : 46), il a subi l’épreuve suprême comme châtiment du péché, mais là, sa souffrance avait un caractère unique, car il a subi ce châtiment pour nos péchés : Ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ; et nous l’avons considéré comme puni, frappé de Dieu et humilié [comme l’ont fait les amis de Job]. Mais il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités ; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. (Ésaïe 53 : 4-5) La valeur suprême du livre réside non dans les discours, mais dans l’histoire, c’est-àdire dans le prologue qui nous donne la clé de l’épreuve de Job, associé aux discours de Dieu dans les derniers chapitres : l’Éternel est souverain, il connaît son métier de Dieu, il sait pourquoi il envoie cette épreuve. Si j’ai examiné mon passé sous son regard, si j’ai placé tous mes péchés sous la croix de Christ, je peux aussi lui confier mon épreuve : il saura l’utiliser pour ma sanctification et pour sa gloire. Cette vision positive de la souffrance m’aidera à traverser victorieusement l’épreuve. Parce qu’il a porté lui-même le châtiment de nos péchés, nous n’avons plus à le porter, car Dieu est juste et il ne punit pas deux fois. Nous pouvons donc accueillir toute épreuve positivement et y voir une marque de la bonté de notre Dieu et de sa sollicitude à notre égard. C’est pourquoi Jacques pouvait écrire : Mes frères, regardez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés… Heureux l’homme qui supporte patiemment l’épreuve ; car après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment. (Jacques 1 : 2, 12) La lecture et la méditation de ce livre nous préparent à affronter les plus grandes épreuves ou à les traverser victorieusement. Nous en avons fait l’expérience.
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Job
Un homme intègre et droit 1 2 3 4 5 6 (7 8)
1
Il y avait, au pays d’Outs, un homme qui s’appelait Job. C’était un homme intègre et droit, un homme qui révérait Dieu et qui se détournait du mal. 2 Il avait sept fils et trois filles, 3 et ses troupeaux étaient nombreux : troupeaux de sept mille moutons, de trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, cinq cents ânesses. Il possédait aussi des serviteurs en très grand nombre. Cet homme était le personnage le plus respecté de l’Orient. 4 Or,
ses fils allaient, chaque année, faire un festin, à tour de rôle, dans la maison de chacun d’eux, et ils envoyaient inviter leurs trois sœurs à manger et à boire avec eux. 5 Sitôt qu’ils avaient terminé la série des jours de festin, Job appelait ses fils, il se levait de grand matin afin d’offrir des holocaustes d’après leur nombre à tous, car il disait : « Peut-être mes fils ont-ils péché, et offensé Dieu dans leur cœur ». Job agissait toujours ainsi.
Job 1
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Première attaque 6 Or,
il advint un jour que les fils de Dieu vinrent se présenter à l’Éternel ; Satan se trouvait parmi eux. 7 Et Dieu dit à Satan : — D’où viens-tu donc ? Et Satan répondit à Dieu : — Je viens de parcourir la terre et de m’y promener. 8 Et
Dieu dit à Satan : — As-tu porté ton attention sur mon serviteur Job ? Il n’a pas d’égal sur la terre, car c’est un homme intègre et droit, un homme qui révère Dieu et qui se détourne du mal. 9 Et
Satan répondit à Dieu :
— Est-ce vraiment pour rien que Job vénère Dieu ? 10
N’as-tu pas élevé comme un rempart de protection autour de lui, autour de sa maison, et de tout ce qui est à lui ? Tu as béni ses entreprises : ses troupeaux couvrent le pays ! 11 Mais veuille étendre un peu ta main, touche à ce qui lui appartient, et l’on verra s’il ne te maudit pas en face. 12 Et
l’Éternel dit à Satan :
— Tous ses biens sont en ton pouvoir, mais n’étends pas la main sur lui ! Alors Satan se retira de la présence du Seigneur. 13 Or,
il advint un jour que les fils et les filles (de Job) étaient tous attablés pour manger et boire du vin dans la maison du frère aîné. 14 Soudain, un messager vint trouver Job et dit : — Les bœufs étaient en train de labourer, les ânesses, à leurs côtés, paissaient tranquillement. 15 Les Sabéens sont survenus, ils ont fondu sur eux, ils ont enlevé le bétail et massacré tes serviteurs. J’étais le seul à pouvoir m’échapper pour t’annoncer cette nouvelle. 16 Comme
il parlait encore, un autre messager survint et annonça :
— Un éclair est tombé des cieux, il a foudroyé tes brebis et tes garçons de ferme, et tout a été consumé. J’étais le seul à pouvoir m’échapper pour t’annoncer cette nouvelle.
Job 2
63 17 Comme
il parlait encore, un autre messager survint et annonça :
— Les Chaldéens, répartis en trois troupes, se sont jetés sur les chameaux, ils les ont enlevés et massacré tes serviteurs. J’étais le seul à pouvoir m’échapper pour t’annoncer cette nouvelle. 18 Comme
il parlait encore, un autre messager survint et annonça :
— Tes fils avec tes filles étaient tous attablés pour manger et boire du vin dans la maison du frère aîné, 19 lorsqu’un vent très violent survint du côté du désert. Il ébranla les quatre coins de la maison qui s’abattit sur tes enfants et ils ont tous péri. J’étais le seul à pouvoir m’échapper pour t’annoncer cette nouvelle. 20
Alors Job se leva et déchira ses vêtements, puis il se rasa les cheveux. Et, se jetant à terre, il resta prosterné. 21 Ensuite il dit :
— C’est nu que je sortis du ventre de ma mère, nu, je retournerai dans le sein de la terre. Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris : que son nom soit béni. 22 En
dépit de tous ses malheurs, Job ne commit point de péché et n’attribua rien d’injuste à l’adresse de Dieu.
Deuxième attaque
2
Or, il advint un jour que les fils de Dieu vinrent se présenter à l’Éternel, Satan se trouvait parmi eux et se présenta devant Dieu. 2 Et
Dieu dit à Satan :
— D’où viens-tu donc ? Et Satan répondit à Dieu : — Je viens de parcourir la terre et de m’y promener. 3 Et
Dieu dit à Satan :
— As-tu porté ton attention sur mon serviteur Job ? Il n’a pas d’égal sur la terre, car c’est un homme intègre et droit, un homme qui révère Dieu et qui se détourne du mal. Il persévère encore dans son intégrité, et c’est donc sans raison que tu m’as incité à l’accabler.
Job 2 4 Et
64 Satan répondit à Dieu :
— Donnant, donnant ! Tout ce qui est à lui, l’homme y renoncera pour conserver sa vie. 5 Mais veuille étendre un peu ta main, touche à ses os et à sa chair et l’on verra s’il ne te maudit pas en face ! 6 Et
Dieu dit à Satan :
— Voici qu’il est en ton pouvoir, respecte seulement sa vie ! 7 Alors
Satan se retira de la présence du Seigneur. Et il affligea Job d’un ulcère malin de la plante des pieds au sommet de la tête. 8 Job, assis dans la cendre, prit un tesson pour se gratter. 9 Et sa femme lui dit : — Toujours, tu persévères dans ton intégrité ? Maudis donc Dieu et meurs ! 10 Et il lui répondit : — Tu parles comme une insensée ! Si nous acceptons le bonheur comme venant de Dieu, n’accepterions-nous pas aussi le malheur de sa main ?
En tout cela, dans ses propos, Job ne commit aucun péché.
Trois vrais amis 11
Or, trois amis de Job apprirent les malheurs qui venaient de fondre sur lui. Chacun partit de son pays. C’était Éliphaz de Témân, et Bildad de Chouah et Tsophar de Naama. Ensemble ils décidèrent de lui rendre visite pour le plaindre et le consoler. 12
En l’ayant aperçu de loin, ils ne le reconnurent point, et ils se mirent à pleurer et à déchirer leurs tuniques, jetant de la poussière en l’air, pour qu’elle tombe sur leurs têtes. I3 Puis ils se tinrent près de lui, assis par terre, à ses côtés, pendant sept jours, pendant sept nuits. Nul d’entre eux ne lui dit un mot, car ils voyaient combien sa douleur était grande.
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CANTIQUE DES CANTIQUES, JOB, PROVERBES, ECCLÉSIASTE
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ISBN 978-2-36249-241-9
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Sous la direction d’Alfred Kuen
CANTIQUE DES CANTIQUES, JOB, PROVERBES, ECCLÉSIASTE
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