l existence de Jésus ?
JOHN DICKSON
Avec rigueur, pédagogie... et humour, John Dickson montre les raisons solides que nous avons de prendre au sérieux les témoignages à propos de la vie, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth. Son ouvrage s'appuie sur des sources sérieuses et une argumentation solide tout en restant très accessible. Il est tout à fait approprié pour le lecteur chrétien, désireux d'affermir sa foi, comme pour le lecteur sceptique prêt à se pencher sur la question la plus importante qui soit : « qui est vraiment Jésus ? »
Matthieu Sanders
Pasteur à Paris, professeur associé à l’Institut Biblique de Nogent et chargé de cours à la Faculté Libre de Théologie Évangélique à Vaux-sur-Seine, auteur de Peut-on croire à la résurrection de Jésus ?
John Dickson présente la boîte à outils de l’historien avec une remarquable pédagogie. Il montre honnêtement la valeur des témoignages et des méthodologies historiennes et sait signaler où s’arrête l’histoire et où commence la foi. Il propose des indices de vraisemblance plutôt que des preuves et, en ce sens, travaille en historien consciencieux. Ce petit livre invite le lecteur à se faire sa propre opinion.
Michaël Girardin
Maître de conférence en histoire ancienne à l'université du Littoral Côte d'Opale et auteur du livre Au temps de Jésus
Ce livre, dont la lecture est facile, est une justification claire et pratique de la foi dans le Jésus de l’histoire. Elle s’appuie sur les études académiques les plus récentes sans pour autant embrouiller le lecteur avec des arguments inutiles. Je recommande fortement cet ouvrage.
Alanna Nobbs
Professeure émérite du département d’histoire ancienne à l’université de Macquarie à Sydney
John Dickson est aujourd’hui l’un de nos plus fiables guides concernant l’arrière-plan historique de la vie de Jésus. Il réunit en lui les aptitudes académiques d’un historien et la pédagogie concrète d’un enseignant. Ce livre est extrêmement instructif : de nombreux lecteurs seront surpris de savoir à quel point les recherches historiques contribuent à notre connaissance de l’homme qui se tient au centre de la foi de plus de deux milliards de personnes aujourd’hui.
Sam Allberry Pasteur, conférencier et auteur de nombreux livres dont Pourquoi Dieu se mêlerait-il de ma vie sexuelle ?
Avec la clarté et l’excellence qui caractérisent les études académiques, John Dickson examine les preuves historiques concernant Jésus. Son style accessible et ses sources actualisées font de ce livre un incontournable pour tous ceux qui veulent se pencher sérieusement sur Jésus.
Dr Amy Orr-Ewing
Directrice du Centre pour l’apologétique chrétienne à Oxford et auteure du livre Où est Dieu dans nos souffrances ?
Voici une introduction éminemment lisible et très pertinente qui réfute de nombreuses idées erronées concernant le récit que les Évangiles font de Jésus.
Dr David Wenham
Faculté de théologie protestante Wycliffe Hall à Oxford
L Histoire peut-elle prouver
l existence de Jésus ?
JOHN DICKSON
Les éditeurs remercient chaleureusement tous les relecteurs et relectrices pour leur précieuse collaboration à cet ouvrage : Martine, Ludvine, Myriam et François.
Édition originale publiée en langue anglaise sous le titre : Is Jesus history ? • John Dickson © 2019 John Dickson
The Good Book Company Limited Blenheim House, 1 Blenheim Road Epsom, Surrey, KT19 9AP, Royaume-Uni
Traduit et publié avec permission. Tous droits réservés.
Édition publiée en langue française :
L’Histoire peut-elle prouver l’existence de Jésus ? • John Dickson © 2024 • BLF Éditions • www.blfeditions.com
Rue de Maubeuge, 59164 Marpent, France
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Traduction : Claire Romerowski
Couverture : BLF Éditions (design original : André Parker)
Mise en page : BLF Éditions
Sauf mention contraire, les citations bibliques sont tirées de la Bible version
Segond 21. © 2007 Société biblique de Genève. Les caractères italiques ou gras sont ajoutés par l’auteur de cet ouvrage. Les citations des livres deutérocanoniques sont tirées de la TOB.
© 2010 Bibli’O - Société biblique française. Les caractères italiques ou gras sont ajoutés par l’auteur de cet ouvrage.
Reproduit avec aimable autorisation. Tous droits réservés.
ISBN 978-2-36249-969-2 broché
ISBN 978-2-36249-970-8 numérique
Imprimé en France par Evoluprint
Dépôt légal 3e trimestre 2024
Table des matières
INTRODUCTION
L’incontournable problème du christianisme
Le christianisme a un sérieux problème.
« Un seul ? » me direz-vous.
À la différence des autres religions, la crédibilité du christianisme repose sur des faits historiques présumés. Les chrétiens ne se contentent pas de prononcer des formules spirituelles telles que « Dieu vous aime », « nous avons tous besoin d’être pardonnés » ou « le paradis est accessible à tous ». Aucune de ces affirmations n’est vérifiable. Nous pouvons facilement nous en moquer, mais il est difficile de les contredire à l’aide d’un raisonnement logique.
Pourtant, les chrétiens ne parlent pas exactement de cette manière. Écoutez avec attention, et vous entendrez souvent ces affirmations : « Jésus vivait dans le village de Nazareth, en Galilée », ou « Jésus avait la réputation de pouvoir guérir les malades », ou « Il a causé un énorme scandale dans le temple de Jérusalem dans les années 30 », ou encore « Il a été exécuté par le gouverneur romain Ponce Pilate », et même « Quelques jours après sa crucifixion, ses disciples ont découvert que son tombeau, situé à l’extérieur de la ville, était vide, et ils ont ensuite vu Jésus vivant ».
Ces affirmations sont vérifiables, au moins en partie. Celles-ci concernent en effet des lieux et des époques qui nous sont connus. Elles sont en lien avec des personnages historiques (Pilate, par exemple) sur lesquels nous sommes bien informés. Ces événements particuliers se déroulent dans un contexte politique et social multiculturel : la Galilée et la Judée sous domination romaine. Ce contexte, nous le connaissons grâce à des milliers de vestiges archéologiques et des centaines de milliers de mots gravés sur d’anciennes inscriptions ou consignés dans des documents écrits.
En proclamant « l’amour universel de Dieu », le chrétien reste à l’abri des investigations historiques. Mais dès qu’il affirme que Jésus a été crucifié par le cinquième gouverneur de Judée, il entre dans la sphère publique et s’expose à être contredit. Et contredit, il sera.
Des attaques répétées
Depuis plusieurs années maintenant, certains ouvrages à succès s’attaquent vigoureusement à la foi chrétienne. Ils sont rédigés par les athées les plus brillants de notre époque : Richard Dawkins, Christopher Hitchens, Michel Onfray, Lawrence Krauss et bien d’autres. Hitchens, qui est malheureusement décédé en 2011, parle de la « très hypothétique existence de Jésus » et de « tout un processus de fabrication » concernant le récit de la vie de Jésus, raconté dans les Évangiles. Les Évangiles sont les biographies de Jésus et font aujourd’hui partie du Nouveau Testament, la seconde moitié de la Bible chrétienne. Hitchens1 poursuit :
Soit les Évangiles établissent en un certain sens une vérité littérale, soit ils sont foncièrement une imposture, qui plus est peut-être immorale. Eh bien, on peut affirmer avec certitude, à partir de leur propre témoignage, que les Évangiles
L’incontournable problème du christianisme
ne constituent certainement pas une vérité littérale. Autrement dit, nombre des « paroles » et enseignements de Jésus sont des ouï-dire de troisième ou quatrième main, ce qui explique en partie leur nature confuse et contradictoire.
Hitchens y va fort ! Et ce genre d’argumentaire abonde dans la littérature athée en vogue ces deux dernières décennies. Et c’est tellement bien écrit — en tout cas, le style de Hitchens est prodigieux — qu’il est facile de se laisser emporter et de croire que de nombreux spécialistes soutiennent ces détracteurs.
Fausses
impressions
Les auteurs de ces livres nous donnent, volontairement ou non, l’impression que les historiens eux-mêmes parlent de la « très hypothétique existence de Jésus » et de « tout un processus de fabrication » des Évangiles. C’est complètement faux ! Il suffit de s’intéresser un peu à la littérature académique pour découvrir que les historiens compétents, quelles que soient leurs convictions religieuses, estiment que les connaissances au sujet de l’homme de Nazareth sont nombreuses.
La pratique minutieuse de la double vérification des affirmations concernant Jésus de Nazareth s’est développée au cours des deux cent cinquante dernières années. L’étude du « Jésus historique » est aujourd’hui une importante discipline académique séculière. Elle se pratique dans les grandes universités du monde entier, y compris celles avec lesquelles je travaille : l’université Macquarie et l’université de Sydney en Australie.
De nombreux chrétiens convaincus sont certainement impliqués dans cette sous-discipline de l’histoire ancienne. Cependant, de nombreux spécialistes chrétiens non-pratiquants, ex-chrétiens, juifs ou encore agnostiques et athées sont
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également impliqués dans ce champ de recherche. Il est donc très difficile de faire passer une publication théologique pour un document historique. Impossible également de privilégier les sources bibliques au détriment d’autres documents, ou encore de prétendre être en mesure de « prouver » tout ce que le Nouveau Testament affirme concernant Jésus.
Dans le milieu académique, avant de faire paraître le résultat de ses recherches dans une revue professionnelle, le chercheur fait examiner son travail par au moins deux autres pairs reconnus (indépendants l’un de l’autre et anonymes). Ce processus d’évaluation par des pairs n’est pas infaillible, mais permet d’éviter toute propagande. Il réduit également le risque de tromperie et force les historiens à rester attentifs aux règles de la recherche historique.
Trop d’implications personnelles
Dans le même temps, en dehors du monde académique, dans la sphère publique, ce sujet suscite énormément d’émotion et beaucoup de gens s’impliquent très personnellement. C’est pour cela que certains choisissent de nier en bloc absolument tout ce qui semble appuyer, de près comme de loin, l’historicité de Jésus. Il y a quelque temps, j’ai publié sur les réseaux sociaux une célèbre citation de l’illustre Albert Einstein concernant Jésus. Et cela n’a pas manqué de faire réagir mes amis et abonnés sceptiques.
En 1929, le journaliste George Viereck a interviewé Einstein au sujet de la religion, notamment. Il est bien connu que le grand physicien méprisait la « religion révélée » : il la trouvait trop enfantine. Il n’aimait pas non plus l’idée d’un Dieu personnel. Tout au plus possédait-il la vague intuition qu’à l’origine des lois naturelles devaient se trouver « un esprit
L’incontournable problème du christianisme
infiniment supérieur et une puissance douée de raison ». Ce n’est pas surprenant !
Mais ce qui posait problème à mes amis athées, c’était l’admiration d’Einstein pour le personnage historique (oui, j’ai bien dit historique) dont parlent les Évangiles. Voici un extrait de l’interview2 :
Viereck : Comment le christianisme vous influence-t-il ?
Einstein : Enfant, j’ai reçu une éducation basée sur la Bible et le Talmud. Je suis Juif, mais je suis fasciné par ce personnage lumineux qu’est le Nazaréen.
Viereck : Vous admettez l’existence historique de Jésus ?
Einstein : Sans aucune hésitation ! On ne peut pas lire les Évangiles sans y sentir la présence palpable de Jésus. Son caractère fait vibrer chaque mot. Il n’existe pas de mythe imprégné d’une telle vie. C’est très différent de l’impression que peut nous laisser le récit de héros légendaires de l’Antiquité tels que Thésée ! Ni Thésée ni aucun héros de ce genre ne possède cette vitalité authentique que l’on trouve chez Jésus.
L’admiration du physicien pour Jésus et sa conviction qu’il s’agit bien d’un personnage historique contrastent fortement avec l’idéologie répandue chez les auteurs à succès d’aujourd’hui. Cela explique peut-être pourquoi mes amis sceptiques étaient si réticents à croire que le grand Einstein ait pu parler du fondateur du christianisme en des termes aussi élogieux.
J’avais pris soin de préciser que cette interview avait été publiée dans l’un des magazines américains les plus lus du XXe siècle. Malgré cela, certains de mes amis sont allés jusqu’à prétendre qu’elle n’était qu’une invention.
J’ai dû fouiller les archives et publier des captures d’écran des pages de l’interview pour les convaincre qu’Einstein avait bel et bien dit cela. Je ne suis même pas sûr que de telles preuves soient suffisantes pour convaincre tout le monde. Nos préférences façonnent nos croyances ! Mais nous reparlerons de cela plus tard.
Ce livre a pour objectif de défendre activement la discipline historique et d’offrir un résumé objectif (je l’espère) de la vie d’un personnage historique précis. J’aborderai dans ce livre deux questions : d’abord « Jésus a-t-il vraiment existé ? », mais aussi « Comment et pourquoi pratiquons-nous la recherche historique ? ».
Nous examinerons des documents antiques ainsi que des méthodologies modernes. Nous évoquerons le rôle de la « foi » ou de la « confiance » dans les disciplines académiques, y compris en science. Et nous passerons en revue les faits admis à propos de l’empereur Tibère, de Ponce Pilate, du grand-prêtre Caïphe et, bien sûr, de Jésus de Nazareth. En effet, leurs chemins se sont brièvement croisés à la fin des années 20 et au début des années 30 de ce que nous appelons le premier siècle.
Histoire et réalité
Depuis environ dix ans, je porte autour de mon cou un denier d’argent. Au Ier siècle, cette pièce de monnaie romaine équivalait à peu près au salaire d’une journée de travail. Aujourd’hui, elle vaut, évidemment, un peu plus que cela. Le côté face de mon pendentif porte l’effigie de l’empereur Tibère, et le côté pile, celle de sa mère Livie. Nous connaissons avec certitude les dates du règne de Tibère et nous pouvons donc estimer que cette pièce a été frappée entre l’an 14 et l’an 37 (à l’Hôtel des monnaies de Lyon, pour être précis).
Je porte ce vestige de l’histoire romaine autour du cou, notamment pour des raisons sentimentales. Dans un célèbre épisode du Nouveau Testament, Jésus de Nazareth utilise ce denier pour répondre à une question piège — un denier semblable, et non le mien, évidemment. Lorsque ses interlocuteurs lui demandent si les Juifs de Judée doivent s’acquitter de l’impôt romain, Jésus leur montre le denier.
Jésus leur demanda : « De qui porte-t-elle l’effigie et l’inscription ? » « De l’empereur », lui répondirent-ils. Alors il leur dit : « Rendez à l’empereur ce qui est à l’empereur et à Dieu ce qui est à Dieu. »
MARC 12.16-17
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Quelle réponse intelligente ! Elle a eu une influence colossale dans la réflexion concernant la séparation de l’Église et de l’État. Au fil des années, mon pendentif antique a suscité de belles conversations. Elles débutaient souvent ainsi : « Qu’est-ce que tu as autour du cou ? Saint-Christophe ? »
Une fenêtre sur le passé
Mais je porte aussi ce pendentif pour des raisons plus intellectuelles. Il me permet de ne pas oublier que notre passé est aussi réel et concret (ou du moins qu’il a un jour été aussi réel et concret) que ce morceau de métal pendu à mon cou.
Il m’arrive souvent de le regarder en laissant libre cours à mon imagination. Peut-être qu’un ouvrier l’a reçu comme salaire après douze heures de dur labeur dans les mines de charbon de Naples. Peut-être qu’un sénateur l’a offert à ses musiciens pour les remercier d’une interprétation particulièrement réussie de la Chanson de Seikilos (un tube de l’époque qui répète en boucle : « Profite de ta vie tant qu’elle dure. »). Qu’at-on acheté avec mon denier ? Combien de coupes de vin a-t-on bues grâce à lui et dans combien de villes ? Quelles sombres manigances a-t-il financées ? A-t-il été volé ? Et enfin, quel est le pauvre fou qui l’a perdu dans la poussière où les archéologues l’ont retrouvé près de vingt siècles plus tard ?
Nous pourrions évidemment faire mille et une suppositions, mais il y a une réalité plus fondamentale. Au Ier siècle, le travail, la vie, l’amour, la musique, la nourriture, les scandales et les accidents étaient bien réels. Ils étaient aussi réels que la pièce que je porte autour du cou et aussi concrets que tout ce que nous sentons, goûtons, touchons, entendons et voyons aujourd’hui.
Mon denier nous ouvre une fenêtre sur le passé. Les inscriptions qui ornent la pièce témoignent de la vision que les Romains avaient de leurs empereurs. Au bord de la pièce figurent les mots latins divi Augusti filius, fils du dieu Auguste (le père adoptif de Tibère).
Le style des portraits présents sur les pièces de monnaie romaine est semi-réaliste. Pour un même empereur, l’effigie pouvait varier considérablement d’une pièce à une autre. Et il faut admettre qu’ils sont plutôt laids, selon nos critères actuels. Entrez les mots « denier empereur Néron » sur Google Image et vous comprendrez ce que je veux dire. Tibère a choisi de représenter sa mère sous les traits de la déesse Pax (la paix) côté pile de la pièce. Voilà qui est touchant ! En fait, l’histoire est un peu plus compliquée. Selon la rumeur, Tibère était redevable envers sa mère : elle aurait « écarté » plusieurs rivaux potentiels. Aujourd’hui, la présence de Livie sur une pièce aussi couramment utilisée dans l’Empire romain confirme ce que nous apprennent les sources écrites. Cette femme a joué un rôle crucial dans les affaires politiques de Rome. Elle divorce d’avec son premier mari pour épouser Auguste en 39 avant Jésus-Christ. À partir de ce moment, elle sera incontournable, et ce jusqu’à sa mort en l’an 29 de notre ère. Nous pouvons affirmer cela avec une grande certitude.
L’Histoire est réelle. Elle n’a rien à voir avec l’île mystérieuse de Jules Vernes ou avec l’astéroïde B612 du Petit Prince. Il s’agit de notre histoire, celle qui a eu lieu sur notre planète. Nous sommes tous les descendants de ceux qui ont vécu à l’époque — voire peut-être à l’endroit même — que je vous propose de découvrir dans ce livre. Chacun de nous a une arrière arrière (environ 40 fois arrière) grand-mère qui a vécu, travaillé, espéré, souffert et ri à la fin des années 20 du Ier siècle, sous le règne de Tibère. C’était l’époque de la mort de Livie, quand Ponce Pilate opprimait les habitants de Judée, quand Jésus enseignait les foules en Galilée et quand Pline l’Ancien, un auteur romain productif (23-79 après Jésus-Christ), entrait à l’école primaire.
Ce que nous apprend 1 % de notre passé
L’Histoire est plus qu’une réalité ; c’est une réalité que nous pouvons connaître. Pas de manière exhaustive, bien sûr. Nous estimons que moins de 1 % des vestiges du passé parviennent jusqu’à nous. Mais 1 %, c’est déjà suffisant pour avoir accès à de précieuses informations sur le quotidien des hommes et des femmes du Ier siècle. Pour le prouver, je vous propose une petite expérience :
Imaginez que dans deux mille ans, les archéologues réalisent des fouilles à l’endroit où se situe aujourd’hui la ville de Paris. Imaginez qu’ils y découvrent 1 % des exemplaires du Figaro, 1 % des statues et des inscriptions figurant sur les monuments de la ville, 1 % des tickets de caisse issus des enseignes Monoprix, 1 % des documents parlementaires conservés à l’Assemblée nationale et 1 % du courrier non distribué. Évidemment, la majeure partie du quotidien des Parisiens vivant en 2023 resterait inconnue des historiens du futur. Mais ils auraient tout de même une idée assez précise sur beaucoup d’autres aspects.
Ils pourraient identifier plusieurs hommes politiques français ainsi que ceux d’autres pays. Ils auraient une idée du type de personnalités et de compétences que nous encourageons et admirons. Ils pourraient savoir quels aliments consomment les Parisiens, en déduire le coût de la vie et avoir une idée de la façon dont ils dépensent leur argent. Quelques extraits de textes législatifs et de correspondances privées suffiraient à leur donner un bon aperçu de certains aspects de la vie en 2023.
En plus de cette rapide ébauche du Paris du XXIe siècle, ces historiens des années 4000 disposeraient de descriptions très détaillées de certains individus, célèbres ou inconnus. Ils découvriraient beaucoup d’informations fiables sur le Premier ministre et sur le président, évidemment. Mais, avec un peu de chance, ils trouveraient aussi une série de lettres très personnelles. Ils seraient alors capables de reconstituer en détail la vie d’un homme ou d’une femme ordinaire dans toute son intimité.
Des découvertes limitées, et pourtant très intimes
Telle est l’histoire ancienne. Nos connaissances sont si limitées que cela en est frustrant. Et, pourtant, ce qu’elles nous révèlent s’avère très intime ! Nous possédons, par exemple, plusieurs récits biographiques officiels de l’empereur Tibère. Nous avons aussi des pièces de monnaie à son effigie et des inscriptions qui mentionnent son nom et ses titres. Mais nous ne disposons pas d’une seule de ses lettres personnelles. Pourtant, nous avons retrouvé cent vingt et une lettres de Pline le Jeune (le neveu de Pline l’Ancien), qui a vécu peu après Tibère. Elles étaient adressées à des amis et à des collègues. Parmi ces lettres figurent même des réponses de Trajan, l’empereur de l’époque. Ce sont là de véritables mines d’or pour les historiens.
Elles nous offrent un aperçu du quotidien d’un aristocrate romain : ses pensées, son travail, ses parties de chasse, ses lectures, ses vacances, ses amours, ses espoirs et ses peurs.
Prenons un exemple qui nous rapproche des chrétiens du Ier siècle : des preuves solides indiquent que le rabbin le plus influent de la Judée lors de la domination romaine était un érudit du nom de Hillel. Nous ne disposons malheureusement d’aucune lettre de ce rabbin qui, selon tous, était un homme à l’intelligence exceptionnelle et une figure incontournable du parti des pharisiens.
Par contre, nous possédons près de trente mille mots issus de la correspondance d’un membre plus jeune du parti des pharisiens. Il s’appelle Saul de Tarse et a vécu quelques dizaines d’années après Hillel. Plus connu sous le nom de l’apôtre Paul, il est l’auteur de nombreuses lettres qui font désormais partie du Nouveau Testament. Aujourd’hui, ces lettres sont essentiellement lues à cause de leur valeur théologique. Mais elles nous donnent de précieux renseignements sur la vie au Ier siècle. Elles nous informent sur la langue, la rhétorique, la religion, les relations sociales, la manière de voyager et les traditions (juives, grecques et romaines). Elles nous donnent également un aperçu de la façon de penser d’un Juif ayant reçu une éducation grecque. Cet homme est ensuite parti répandre le message du christianisme dans toute l’Asie Mineure (c’est-à-dire en Turquie), en Grèce et au-delà.
Nous pourrions multiplier les exemples, mais je crois que vous avez compris mon message. Le passé historique possède bel et bien des coordonnées géographiques concrètes sur la carte de l’expérience humaine. Il est aussi réel que le denier que je porte autour du cou. Bien évidemment, la vie dans la Rome antique ou à Jérusalem nous restera en grande partie
inconnue. Mais nous disposons de suffisamment d’objets et de documents du Ier siècle pour nous permettre d’énoncer un certain nombre de certitudes concernant cette période. Or, plusieurs de ces certitudes sont au cœur de notre sujet.
Comment savons-nous ce que nous savons ?
Tacite et Suétone, deux auteurs romains, nous ont laissé de précieuses biographies de l’empereur Tibère. De la même façon, au moins quatre personnes ont écrit des biographies de Jésus de Nazareth. Les nombreuses lettres de Pline le Jeune, écrites en latin, nous renseignent sur la vie et les pensées d’un Romain haut placé et de ses amis. De la même manière, les lettres de Paul (anciennement Saul), écrites en grec, offrent des indices détaillés concernant les débuts de ce que l’on appellerait plus tard le « christianisme ».
Au niveau de la méthode et de l’évaluation historique, ces deux exemples sont équivalents. La seule différence, c’est que notre analyse historique de Pline est dénuée de tout biais psychologique ou moral. Qui se soucie, par exemple, du fait que Pline conseillait d’emporter des livres à la chasse en cas d’ennui ? L’évaluation historique du personnage de Jésus devrait se faire aussi facilement que dans le cas de Pline. Mais elle est chargée de toutes sortes d’idées et d’émotions encombrantes concernant Dieu, ce qu’est une vie juste, le paradis, l’enfer et beaucoup d’autres sujets !
Le plus difficile, c’est de savoir porter un jugement historique sans laisser nos émotions ou notre sens moral nous aveugler ou nous entraîner dans la mauvaise direction. Nous ne pouvons pas, sous prétexte que nous ne croyons pas en Dieu ou au « péché », remettre en question les faits établis : Jésus a parlé de péché et a enseigné que Dieu nous offrait le pardon.
Un livre d’histoire
Ce livre est un livre d’histoire. Il tente d’expliquer comment se constituent nos connaissances concernant des personnages de l’Antiquité tels que Jésus ou Paul. J’essaierai aussi d’expliquer ce que nous savons d’eux. J’utilise le verbe « savoir » intentionnellement : les conclusions que nous tirons de la recherche historique, y compris la recherche relative à Jésus de Nazareth, sont des certitudes. C’est pour cela que l’Histoire a longtemps été considérée comme une science : du latin scientia, qui signifie « connaissance ». Les historiens spécialistes du Ier siècle, qu’ils s’identifient ou non à une religion, sont unanimes : nous en savons beaucoup sur Jésus. Je pense que tous approuveraient la conclusion offerte par E. P. Sanders, de l’université de Duke, dans son livre The Historical figure of Jesus1 [Le Personnage historique de Jésus] :
Il n’existe aucun doute majeur quant aux principaux événements de la vie de Jésus : quand et où il a vécu, la date et le lieu approximatifs de sa mort, ainsi que le genre d’actions qu’il a accomplies durant son activité publique .
Sanders n’est pas un amateur d’apologétique chrétienne ni de théologie déguisée en recherche historique. Il a été, pendant plus de trente ans, l’un des acteurs principaux de la recherche laïque concernant le personnage historique de Jésus. À ce titre, il n’a aucun scrupule à écarter l’une ou l’autre portion du Nouveau Testament. Mais Sanders considère les Évangiles et les lettres de Paul comme d’importantes sources humaines, nécessaires pour comprendre les événements qui se sont déroulés en Galilée et en Judée dans les années 20 et 30 du Ier siècle. Cette période correspond à l’époque du règne de Tibère, alors que la vie de sa mère Livie touchait à sa fin, que Pline (l’Ancien) apprenait à lire et que l’on frappait à Lyon le denier d’argent aujourd’hui pendu à mon cou.
EN RÉSUMÉ
Il fut un temps où ce que nous appelons le passé était aussi réel que les expériences que nous vivons aujourd’hui. Les événements du passé ne sont en rien différents de ceux d’hier : ils ne sont plus présents, plus ici. Dans un certain sens, seul le présent immédiat existe dans « l’ici et le maintenant ». Et pourtant, ces événements passés sont bien réels : ils ont eu lieu sur la même terre que celle que nous habitons. La recherche historique est la science et l’art de discerner la part de ces événements passés qu’il nous est possible de connaître.
À LIRE
Jésus
et le denier d’argent raconté dans l’Évangile selon Marc
Ils envoyèrent auprès de Jésus quelques pharisiens et des hérodiens, afin de le prendre au piège de ses propres paroles. Ils vinrent lui dire : « Maître, nous savons que tes paroles sont vraies et que tu ne te laisses influencer par personne, car tu ne regardes pas à l’apparence des gens et tu enseignes le chemin de Dieu en toute vérité. Est-il permis, ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? Devons-nous payer ou ne pas payer ? » Mais Jésus, connaissant leur hypocrisie, leur répondit : « Pourquoi me tendez-vous un piège ? Apportez-moi une pièce de monnaie afin que je la voie. » Ils en apportèrent une. Jésus leur demanda : « De qui porte-t-elle l’effigie et l’inscription ? » « De l’empereur », lui répondirent-ils. Alors il leur dit : « Rendez à l’empereur ce qui est à l’empereur et à Dieu ce qui est à Dieu. » Et ils furent dans l’étonnement à son sujet.
MARC 12.13-17
Contexte historique de l’Évangile selon Luc
La quinzième année du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate était gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de la Galilée, son frère Philippe tétrarque du territoire de l’Iturée et de la Trachonite,
Lysanias tétrarque de l’Abilène, et Anne et Caïphe étaient grandsprêtres. C’est alors que la parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert, et Jean parcourut toute la région du Jourdain ; il prêchait le baptême de repentance pour le pardon des péchés.
LUC 3.1-3
Lettre du gouverneur romain Pline le Jeune à sa femme Calpurnie2
On ne saurait croire à quel point je souffre de votre absence : d’abord parce que je vous aime ; ensuite, parce que nous n’avons pas l’habitude d’être séparés. De là vient que je passe une grande partie des nuits à penser à vous ; que pendant le jour et aux heures où j’avais coutume de vous voir, mes pieds, comme on dit, me portent d’eux-mêmes à votre appartement ; et que, ne vous y trouvant pas, j’en reviens aussi triste et aussi honteux que si l’on m’avait refusé la porte. Le seul temps où je suis affranchi de ces tourments, c’est lorsque, au barreau, les affaires de mes amis viennent m’assaillir et m’accabler. Jugez quelle est la vie d’un homme, qui ne trouve de repos que dans le travail, de soulagement que dans les soins et les fatigues.
La foi et l’Histoire
Ces dernières vingt-quatre heures, j’ai eu d’innombrables occasions d’exercer ma foi. Hier matin, à mon réveil, j’ai entendu à la radio qu’il y avait eu d’épouvantables coulées de boue en Californie. Je n’ai pas vu les images, mais je crois ce que j’ai entendu — j’ai foi en ce reportage.
J’ai aussi cru ma fille quand elle m’a téléphoné, au cours de la journée, pour me dire qu’elle était sortie faire son jogging, mais qu’elle se sentait tout à coup très mal. Je n’avais aucune preuve qu’elle me disait la vérité, pourtant je me suis dépêché d’aller la chercher. Dans l’après-midi, mes meilleurs amis Ben et Karen ont pris l’avion à l’aéroport de Sydney pour rentrer au Royaume-Uni — du moins, c’est ce qu’ils m’ont dit. Je n’ai pas demandé à voir leurs billets ou leur itinéraire de vol. Ils avaient l’air de bonne foi. Je les ai donc embrassés, je leur ai dit au revoir et j’ai promis de leur rendre visite en mai, quand je serai de retour à Oxford. Je pense qu’ils m’ont cru, eux aussi.
Le soir (quelle journée !), j’étais au restaurant avec des amis lorsqu’un collègue m’a téléphoné pour m’apprendre que la fille de six ans d’un couple de notre Église était décédée. J’ai tout de suite remis ma « casquette » de pasteur pour passer plusieurs appels, envoyer des messages et prendre les dispositions nécessaires.
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Une fois au lit, vers onze heures, j’ai écouté un podcast. Il était question des négociations de Donald Trump avec le parti démocrate au sujet de l’immigration. Mais plus rien n’avait d’importance après la triste nouvelle que je venais de recevoir. Lorsque je me suis réveillé ce matin, je croyais toujours tout ce à quoi j’avais prêté foi hier. Et je ne m’en porte pas plus mal. En fait, je préfère ne pas penser à ce qui se serait passé si j’avais choisi de ne pas ajouter foi à ce que l’on m’avait dit. Comment ma journée se serait-elle déroulée si j’avais exigé des preuves avant de croire quoi que ce soit ?
La foi au quotidien
Je parie que, comme la plupart des lecteurs de ce livre, vous avez cru sur parole tout ce que vous venez de lire. D’ailleurs, je vous assure que tout est vrai. Je n’ai pas inventé ces anecdotes pour illustrer mon propos et ajouter du piquant à mon livre. Mais sur la base de quoi me croyez-vous ? Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Si vous n’avez jamais rien lu de moi auparavant, alors, je ne suis pour vous qu’un Australien lambda passionné d’Histoire.
Alors, comment expliquer ma foi dans les divers comptes-rendus des événements d’hier et votre foi dans l’exposé que j’ai fait de ces comptes-rendus ? C’est très simple : la longue expérience que nous avons des relations humaines nous a appris que, la plupart du temps, il est sage de faire confiance au témoignage d’autrui, à condition qu’il nous paraisse de bonne foi. Puisque votre « foi » a fait ses preuves et vous a permis d’accéder à une plus grande connaissance du monde qui vous entoure, vous considérez donc désormais que la confiance dans le témoignage d’autrui est, de manière générale, un chemin sûr vers la connaissance.
Témoignage de confiance
Avoir confiance dans le témoignage d’autrui est nécessaire pour acquérir des connaissances, que ce soit dans le domaine académique ou dans la sphère personnelle. Presque tout ce que nous avons appris à l’école et à l’université, nous l’avons accepté de bonne foi. Nous avons fait confiance aux témoignages de notre professeur parce que nous n’avions pas un accès direct aux informations. En cours de littérature, nous avons cru ce qui nous a été enseigné sur Molière : sa vie, son œuvre ainsi que le nom des procédés comiques qu’il employait (le comique de geste, de situation, de mot ou de caractère).
En cours d’histoire, c’est pareil. Tout ce que nous prétendons « connaître » concernant la bataille de Waterloo en 1815 (y compris cette date), nous le savons seulement parce que nous avons jugé raisonnable de croire notre professeur et nos manuels d’histoire. En cours de science aussi, presque tout ce que nous tenons pour vrai au sujet de la vitesse de la lumière, de la biologie cellulaire ou de la mécanique quantique, nous l’avons cru, et nous le croyons encore, purement et simplement sur la base de la foi. Nos connaissances reposent sur le principe que nos professeurs et nos manuels scolaires étaient de bonne foi et dignes de confiance.
Et cela est valable même parmi les scientifiques reconnus, toutes disciplines confondues. Les biologistes, par exemple, font confiance à leurs collègues astrophysiciens au sujet du cosmos. Ils ne perdent pas leur temps à reproduire leurs expériences et à vérifier leurs calculs. De même, les astrophysiciens font confiance aux affirmations des biologistes sur le fonctionnement de la cellule. Ils n’éprouvent pas le besoin de remettre la lame sous le microscope et de refaire les observations. Et c’est tout aussi vrai pour moi, historien de l’Antiquité. J’ai un accès direct à certaines connaissances (des langues, des