La divinité du Christ face à l'Islam • Rémi Gomez

Page 1

Rémi Gomez

La divinité du Christ face à l’islam

Préface de Karim Arezki


Rémi Gomez ose ! Il ose s’attaquer au malentendu le plus épais, le plus durci, comme fossilisé, du dialogue entre chrétiens et musulmans, celui de la divinité de Jésus-Christ – que les musulmans appellent ’Isa et disent « messie » dans un sens affaibli. L’audace de Rémi Gomez procède de son expérience : athée au départ, il a été saisi, vaincu et libéré, par la parole de Dieu ; il a depuis des années des échanges nourris avec des croyants et des érudits de confession islamique. Lui-même se montre un bon connaisseur du Coran et de sa tradition, comme de la Bible qu’il cite avec une belle compétence. Il combine la courtoisie de l’ami respectueux et la franche droiture qui exprime aussi l’amitié. Son exemple, qui évite tout compromis, devrait faire progresser, enfin, la compréhension mutuelle : qu’on le lise et qu’on le suive !

Henri Blocher

Théologien évangélique, professeur de théologie, notamment en christologie (FLTE de Vaux-sur-Seine, Wheaton College aux États-Unis). Auteur notamment de La Doctrine de Christ et Le mal et la croix.

Un livre bien informé, utile, solide. L’auteur met à la disposition de tous son expérience de terrain du dialogue islamo-chrétien, ainsi qu’une bonne connaissance de la foi chrétienne et de l’islam.

Alain Nisus

Diplômé en philosophie et théologie (FLTE, doctorat de l'institut catholique de Paris). Pasteur, professeur de dogmatique (FLTE). Contributeur dans le Dictionnaire de théologie pratique, dir. édit. de Pour une foi réfléchie.

Ancien rugbyman, Rémi connaît le combat et l’évitement des pièges. Fort d’une expérience spirituelle de terrain, Rémi, ancien athée flirtant avec l’islam, n’a pas eu peur de « se mêler » à la communauté musulmane auprès de laquelle il apprend beaucoup ! L’amour de la vérité et la compassion pour les musulmans le poussent à dévoiler les paradoxes et conjectures de l’islam. Il opte pour un style offensif, en démontant point par point les attaques de l’adversaire. Rémi livre un combat au point où la lumière de la vérité triomphe. Béni-oui-oui s’abstenir, ce livre est un véritable événement théologique.

Joël Thibault

Aumônier international des sportifs, accrédité dans les compétitions sportives mondiales (Rio 2016, Londres 2017, etc.). Diplômé en religion et laïcité et participant de la plateforme de débats inter-religieux Apologia.


Rémi Gomez

La divinité du Christ face à l’islam


La divinité du Christ face à l’islam • Rémi Gomez © 2020 • BLF Éditions • www.blfeditions.com Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Couverture : ETINciel Mise en page : BLF Éditions Impression n° XXXXX • Sepec •Rue de Prony • 01960 Péronnas Sauf mention contraire, les citations bibliques sont tirées de la Bible Nouvelle édition de Genève (NEG) © 1979 Société biblique de Genève. Avec permission. Parmi les autres versions employées, celles indiquées en abrégé sont la Bible version Segond 21 (S21), © 2007 Société biblique de Genève ; la Nouvelle version Segond révisée (Bible à la Colombe, COL), © 1978 Société biblique française ; la Bible du Semeur (BDS) © 2000, Société biblique internationale : la Bible en français fondamental « Parole de Vie » (PDV) © 2000 Société biblique française ; la Bible annotée (BBA) ; la Bible Darby (DRB) ; la Bible Ostervald (OST) ; la Bible de Jérusalem (BDJ) et la Bible Louis Segond 1910 (LSG). Les versets coraniques sont tirés du site Coran-français. URL : <www.coran-francais.com> (consulté le 13/2/2020). Tous les caractères italiques sont ajoutés par l’auteur du présent ouvrage. ISBN 978–2–36249–500–7 ISBN 978–2–36249–501–4

broché numérique

Dépôt légal 3e trimestre 2020 Index Dewey (CDD) : 261.27 Mots-clés : 1. Apologétique et polémique. Dialogue inter-religieux. 2. Christianisme et islam.


Ă€ mon ami et frère d'armes Manuel



TABLE DES MATIÈRES

Préface Une question essentielle......................................................................................................................... 9 Avant-propos Un athée se met à défendre Jésus parmi les musulmans.................................... 13 Introduction Un livre d’apologétique........................................................................................................................ 19

PREMIÈRE PARTIE Preuves bibliques attribuées à Jésus Chapitre un Jésus dans l’islam........................................................................................................................................31 Chapitre deux Les noms divins attribués à Jésus.............................................................................................. 43 Chapitre trois Les attributs divins de Jésus dans la Bible...................................................................... 139 Chapitre quatre Les œuvres divines de Jésus dans la Bible...................................................................... 197 Chapitre cinq Les honneurs divins rendus à Jésus dans la Bible....................................................211


SECONDE PARTIE Faiblesses de l’argumentation islamique Chapitre six La faille de l’interprétation musulmane.......................................................................... 231 Chapitre sept 40 réponses courtes aux affirmations les plus courantes................................ 255 Conclusion................................................................................................................................................... 297 ANNEXES Annexe 1 La critique textuelle chez les polémistes musulmans.......................................... 301 Annexe 2 Occurrences de proskuneô dans le NT...............................................................................331 Annexe 3 Extra calvinisticum par André Gounelle......................................................................... 335 Annexe 4 Jésus dans le Coran............................................................................................................................... 341 Annexe 5 La divinité de Jésus selon la règle de Colwell (Jean 1 : 1).................................. 347 Annexe 6 Tableau récapitulatif des références bibliques par thème................................ 353 Annexe 7 Jésus possède les 99 noms et attributs d’Allah........................................................... 359 Glossaire......................................................................................................................................................... 371 Bibliographie............................................................................................................................................. 375 Remerciements........................................................................................................................................ 381


Préface

Une question essentielle « Et vous, qui dites-vous que je suis ? », demande Jésus à ses disciples (Matthieu 16 : 15). Cette question fait partie des plus importantes, si ce n'est la plus importante, à laquelle l’être humain est invité à répondre.

Pour vous, qui est Jésus ? Pierre répond au nom des disciples, formulant une confession aussi précise que concise sur l’identité de Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Matthieu 16 : 16). Cette déclaration fait partie des nombreuses autres du Nouveau Testament au sujet de Jésus. Toutes conduisent à un enseignement unique sur la personne de Jésus, le distinguant de toutes les autres conceptions de Jésus, aussi bien religieuses que philosophiques. La christologie est au cœur de la foi chrétienne puisque c’est d’elle que dépend la connaissance de Jésus, Sauveur et Seigneur. Elle est aussi l’un des terrains les plus propices pour le dialogue avec les autres religions, car de nombreuses conceptions de Jésus ont été développées depuis le premier siècle. L’enjeu pour le chrétien est de discerner la spécificité du Jésus évangélique (biblique) et de montrer sa pertinence.

9


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

L’occasion d’un vrai dialogue avec les musulmans L’une des christologies les plus développées, en dehors de la sphère chrétienne, c’est la christologie musulmane. De nombreux textes sont consacrés à Jésus dans le Coran, première source scripturaire de l’islam. Des titres spécifiques et très honorifiques sont attribués à Jésus, et à lui seul, dans le Coran, comme le titre de « Parole de Dieu ». Ces titres invitent le lecteur attentif à déduire que Jésus est plus qu’un homme ! Mais est-il Dieu pour autant ? C’est le cœur du débat ! Aussi bien du côté chrétien que musulman, et au-delà des interprétations diverses sur les titres coraniques de Jésus, la place importante donnée à Jésus dans le Coran, comme dans la tradition (les hadiths), ne peut qu’encourager le croyant musulman à aller vers les sources primaires, les Évangiles et les écrits des apôtres (rassemblés dans le Nouveau Testament) pour se faire une vision plus complète de Jésus, le Christ.

Un auteur avec une belle expérience Dans son livre, Rémi Gomez présente le Jésus biblique avec un langage clair, simple et à la portée de tous. Pour ce faire, il s’appuie sur de grands classiques de théologie systématique évangélique et mentionne les textes musulmans majeurs sur Jésus. Rémi a acquis une belle expérience du terrain. Il entretient aussi de bonnes relations avec les musulmans, en particulier en région parisienne et lyonnaise – pour y avoir vécu. Dans son parcours, il a développé des relations amicales avec les musulmans de toutes tendances théologiques, comme vous pouvez le lire dans les premières pages de cet ouvrage. Après sa rencontre avec Jésus-Christ, il se tourne tout naturellement vers ses amis musulmans pour leur parler de cette rencontre qui a bouleversé sa vie. Rémi s’engage alors dans un ministère d’évangéliste et d’apologète. Ses nombreux débats, dont certains filmés et accessibles sur le net, montrent son souci de rejoindre les musulmans dans un amour vrai et en toute vérité. Fort de cette expérience et connaissance du terrain, Rémi propose un texte riche en données bibliques et islamiques. Le chrétien y trouvera des éléments lui permettant, d’une part, de préciser sa pensée sur le Christ biblique et, d’autre part, de découvrir la conception musulmane sur Jésus. Le musulman y trouvera une vision claire de Jésus tel qu’il est révélé dans la Bible.

10


Préf a c e

Voilà pourquoi je me fais une réelle joie de recommander cet ouvrage aux lecteurs aussi bien chrétiens que musulmans avec l’assurance que votre lecture en sera récompensée ! Karim Arezki Doctorant à l’EPHE, Sorbonne Enseignant « Islam et religions comparées » à HET-PRO, Suisse, www.het-pro.ch Président de l’Association des Chrétiens Nord-Africains

11



Avant-propos

Un athée se met à défendre Jésus parmi les musulmans Dieu n’a jamais eu de place dans mon éducation. Ma famille était athée. En particulier mon père, qui m’a beaucoup influencé. Pire, notre foyer respirait l’anticléricalisme. Celui que tant de Français partagent, lassés par l’histoire de France et ses guerres de religions. Lassés par ses monarques faussement dévots. Lassés par les scandales incessants qui jalonnent l’histoire de l’Église catholique. Dans sa jeunesse, mon père a suivi le mouvement anarchiste, influencé par le marxisme. Cela a certainement orienté la façon dont je me suis représenté Dieu. Je me revois, à six ans à peine, au milieu de la cour de l’école primaire de la Habette, à Créteil, les deux majeurs pointés vers le ciel pour signifier à mon ami Bouzid, qui m’avait parlé de Dieu, ce que j’en pensais. Au début de mon adolescence, je portais fièrement ma revendication antireligieuse. Je la voyais comme un cri de liberté. Elle me permettait aussi d’affirmer haut et fort ma loyauté envers les valeurs transmises par mon père. La religion ? Un simple opium du peuple ! Et son objet que l’on appelle Dieu ? Une légende ! Tout cela ne pouvait être qu’une vaste fumisterie pour des esprits fébriles. Un système de contrôle des consciences insupportable. Je le haïssais… sans rien connaître ni des textes fondateurs ni des détails de l’histoire. Mon père n’était pourtant jamais excessif dans sa critique du religieux. Il se moquait évidemment des prêtres en soutane qu’il voyait officier de 13


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

temps en temps à la télé, le dimanche matin. Tout comme il se moquait des militaires qui défilaient le 14 juillet. Les instances de pouvoir n’étaient pas sa tasse de thé. Malgré cela, il ne m’a jamais empêché de me forger mon propre avis, bien au contraire. À bien des égards, il reste le héros de mon enfance. Quand il a appris que mon meilleur ami, Benjamin, était le fils d’un pasteur évangélique, il n’a pas tiqué. J’ai ainsi pu bénéficier des invitations de cette famille attachée à Dieu. J’ai pu profiter de leurs repas chaleureux, entendre leurs prières à table et donner la réplique à toute la fratrie au sujet de mes convictions athées. Plus tard, Benjamin m’a invité à construire des cabanes dans les bois avec l’association des Flambeaux, son réseau de scouts protestants. Mon père savait que lors de chaque journée et chaque week-end, l’association réunissait les enfants autour de la Bible. Il m’avertissait simplement : « N’écoute pas leurs bêtises et amuse-toi ! ». Ce que j’ai bien pris soin de faire… jusqu’à ce qu’un évènement vienne perturber le cours de mon existence. Le séjour se déroulait dans les Pyrénées espagnoles. Il était organisé par le mouvement des Flambeaux. Là, sous une tente trempée par la pluie, au cœur d’une conversation d’enfant, il s’est manifesté à moi. Yann, le grand frère de Benjamin était seul avec moi ; il a prié durant quelques secondes et le ciel s’est ouvert. Une présence immense, colossale, élevée bien au-dessus des montagnes, est venue me cueillir et m’étreindre le cœur. Aucun doute, c’était Dieu. Je l’ai tout de suite su. Pour moi, c’est une expérience intime et inexplicable, qui a remis en cause mes certitudes. Trois ans plus tard – j’avais alors 16 ans – mon ami Benjamin m’a invité à l’Église alors qu’un prêtre hindou du nom de Ram Babu, converti à la foi chrétienne, faisait une campagne d’évangélisation. Là, cette présence inimitable s’est à nouveau manifestée. Elle m’a poussé à sauter le pas. Ram Babu a prié pour moi et une cascade de vie et de joie s’est déversée en moi. Elle a laissé l’empreinte inaltérable de l’assurance que le Dieu bon et tout-puissant venait de me visiter à nouveau. L’expérience était si exceptionnelle que je ne pouvais plus tenir dans le cadre rationalisant de l’athéisme militant. L’amour de Jésus-Christ, sa force, sa vérité, ses promesses… tout chez lui m’appelait. Comme les disciples de Jésus qui ont laissé leurs filets pour le suivre, je n’ai pas hésité ! Je ne voulais être qu’avec lui. J’ai décidé de lui abandonner ma vie et mes projets, même si cela m’a coûté quelques amitiés précieuses, la complicité avec mon père (complicité retrouvée depuis) et mes frères et ma passion pour le rugby. C’est à l’âge de 18 ans que, par le baptême, je suis officiellement entré dans la famille de Dieu, l’Église de Jésus-Christ. Je n’ai pas compris tout de suite que l’islam allait devenir pour moi une question centrale. J’aurais pourtant dû être alerté. Il y avait d’abord eu les paroles de Bouzid, le petit musulman qui m’avait parlé de Dieu dans la cour de l’école. Suite à mon geste blasphématoire, il m’avait regardé 14


Avant -prop os

droit dans les yeux et m’avait lancé : « En 2000, tu vas mourir ! ». La sentence a d’ailleurs bel et bien été exécutée ! C’est en effet en 2000 que j’ai abandonné ma vie à Dieu par la prière du fervent évangéliste indien, et, dans la Bible, Jésus nous demande de mourir à nous-mêmes pour naître de nouveau ! Un an plus tard, Rachid, un très sympathique moniteur de colonie, a été surpris de voir l’adolescent que j’étais, lire la Bible au bord de l’eau pendant les temps libres. Il m’a alors invité à poursuivre mon chemin spirituel en m’intéressant à l’islam. Mais Rachid n’a pas su répondre à ma question. Il n’a pas su m’expliquer qui avait raison au sujet de la lapidation de la femme adultère : Jésus, qui faisait grâce, ou Mohammed, qui était sans pitié. La miséricorde de Dieu ouvre chaque sourate du Coran (sauf une). Je ne pouvais pas imaginer qu’elle ne soit qu’un slogan : elle devait obligatoirement se manifester en actes. J’ai toujours compris l’importance de la sanction dans l’acte de justice, mais un Dieu uniquement animé par sa justice ne pouvait saisir mon cœur. La croix, où Jésus est mort pour le péché des hommes, a tout résolu : « Son sang parle beaucoup mieux que tous les vains discours, entendus sur la terre », comme le dit mon cantique préféré. Jésus est celui qui met en œuvre toute la miséricorde de Dieu pour les hommes tout en établissant sa justice. Il meurt, je vis ! Quelle grâce ! En 2011, alors que je reprenais les études à mi-temps, c’est Sadok, mon collègue de travail qui m’a interpellé. Il lisait la biographie du colonel Massoud et nous débattions de nos religions respectives, dans une ambiance de bonne entente et de respect. Il m’a ouvert les portes de la mosquée, un bâtiment flambant neuf, construit au bord du lac de Créteil. 2 En plus de sa salle de prière de 1 200 m (pouvant accueillir 4 000 fidèles), elle comprend des espaces culturels, une fontaine, un restaurant et un salon de thé, ainsi qu’un hammam. Depuis 2008, ce nouveau bâtiment remplace la salle de prière que les musulmans occupaient au pied d’une grande tour (à 500 mètres de la mosquée) et qui ne pouvait plus accueillir tous les fidèles – ce pourquoi une partie faisait la prière du vendredi sur le parking de l’immeuble. C’est donc dans cette mosquée que je rencontrai Raphaello, le libraire, et quelques « frères Muz ». Nous nous réunissions dans le restaurant halal « Les Deux Rives », qui jouxtait la mosquée. C’est là, autour des tables du restaurant, que je leur donnais la réplique, Bible ouverte sur le prologue de Jean. Dans ce cadre agréable, Raphaello m’avait offert un ouvrage de la librairie : Au-delà des caricatures, le vrai visage du prophète Mohammed. Ce livre répond de manière pacifique et argumentée, aux douze caricatures du prophète parues dans le Jyllands-Posten en 2005 (nous n’avions pas encore vécu l’attentat de Charlie Hebdo). J’ai alors pu inviter Sadok à participer à l’un de nos séminaires d’étude biblique sur la grâce de Dieu, animé par Terry Virgo, le fondateur de notre famille d’Églises. Sadok est venu avec un ami. Je leur avais aménagé un 15


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

espace dans une salle annexe pour qu’ils puissent y dérouler leurs tapis de prière. Cela a été un temps de découverte mutuelle très enrichissant. 1 Sadok m’a aussi invité à la fête de rupture du jeûne. La chorba que j’ai dégustée à cette occasion, assis sur les tapis de la mosquée d’Ivry-surSeine, est inoubliable ! Là, au milieu de mes frères de banlieue, j’ai pu, dans le plus grand respect, parler de l’Évangile.

Les croyants de cette mosquée m’ont, un jour, invité à poser des questions à l’Imam Muhammad Bajrafil. J’étais avec Benjamin, mon ami d’enfance, devenu un arabophone aguerri. Nous avons pu l’interpeller, devant tous les autres croyants, sur la question de l’expiation : — Quels sont les moyens d’expiation en islam ? Par quels moyens un musulman est-il purifié de ses péchés ? L’imam nous a répondu : — Les souffrances quotidiennes que le musulman subit ainsi que certains châtiments qui surviendront après la mort (comme les violences expiatoires du « pont de l’enfer »), voilà ce qui rend le croyant acceptable aux yeux de Dieu. Nous avons ensuite témoigné de la valeur expiatoire du sacrifice de Jésus-Christ et de l’acceptation que Dieu nous accorde sans mérite, par pure grâce. — La miséricorde d’Allah, nous a-t-il rétorqué, n’est pas, en islam, une doctrine secondaire. Elle est le seul moyen de salut et les châtiments ne suffisent pas. Là où les mérites des hommes ne font que peser dans la balance du jugement d’Allah, sa grâce reste l’ultime critère pour être sauvé : Inch’Allah, nous verrons le paradis ! Mais Dieu est un Dieu miséricordieux. Par conséquent, aucune certitude ! Qu’en avons-nous conclu ? Que les musulmans espèrent une grâce alors que les chrétiens l’ont déjà reçue. Nous sommes alors repartis, plus déterminés que jamais à annoncer la Bonne Nouvelle à nos amis de confession musulmane. C’est dans ces mêmes locaux attenants à la mosquée que j’ai rencontré pour la première fois le débatteur musulman Karim Al Hanifi, pour un débat intimiste sur l’autorité de la Bible ; il était alors inconnu du grand public. J’avais déjà constaté que sa méthodologie était efficace mais défaillante, et que plusieurs de ses arguments étaient à charge. Le temps viendrait où je devrais défendre l’espérance chrétienne face à ce genre de prédicateurs. Plus tard, j’ai travaillé comme développeur social urbain en banlieue parisienne. Dans ce cadre, j’ai rencontré Samia. Cette collègue, très 1

NDÉ : soupe traditionnelle du Maghreb, à base de blé vert concassé.

16


Avant -prop os

intelligente et pleine d’humour, m’a offert mon premier vrai Coran. J’ai commencé à l’étudier avec une nouvelle assiduité. Fin 2013, j’ai quitté Paris pour Lyon. Mon but : implanter une Église avec une équipe d’amis. J’ai travaillé trois ans, en parallèle, comme éducateur dans un quartier marqué par l’influence grandissante du salafisme. Beaucoup de jeunes m’ont interpellé sur la question religieuse. Ils étaient en crise de représentation et appréciaient, dans nos échanges, ma connaissance de la Bible et du Coran. J’avais le sentiment de saisir de nombreux enjeux qui échappent parfois aux travailleurs sociaux. J’osais ouvrir le dialogue sur la question religieuse, dans un esprit d’écoute. J’ai interrogé un grand nombre de ces jeunes, j’ai débattu avec eux, pour qu’ils apprennent à mener une réflexion complexe et contradictoire. Je voulais susciter leur esprit critique. Pourquoi ? Pour les garder de l’influence des gourous de l'internet. Ces gourous proposent une vue déshumanisée de l’engagement religieux. Ils prônent un repli sectaire à tendance djihadiste. Durant la période des attentats de 2015, je faisais donc partie de la poignée d’acteurs sociaux lyonnais qui ont véritablement interpellé les jeunes sur l’influence grandissante de l’islam radical et sur le phénomène des départs en Syrie. J’ai aussi participé à l’organisation, sur le territoire lyonnais, de la prévention des dérives sectaires et de la radicalisation religieuse. Tout au long de mon parcours, j’ai appris à répondre à mes interlocuteurs musulmans, tantôt comme éducateur dans le cadre séculier, tantôt comme croyant dans un cadre privé. J’ai découvert que le regard de nombreux musulmans sur la Bible et les croyances chrétiennes dépend beaucoup du discours de quelques savants, spécialisés dans l’attaque de la doctrine chrétienne. Les mêmes noms reviennent toujours. Je me suis mis à étudier les arguments de ces experts. Ce sont des hommes très éloquents, capables de mémoriser des batteries impressionnantes de versets. Mais leur compréhension des textes est inexacte. De plus, leurs méthodes sont équivoques. Ils veulent faire valoir à tout prix la supériorité de la doctrine musulmane sur celle du texte biblique, au détriment de la précision et de la vérité. Limité dans mon rôle d’animateur social, j’ai alors décidé de démissionner pour mener des actions de formation sur l’islam dans les Églises. Je développe aussi des actions d’annonce de l’Évangile auprès des musulmans. Cet ouvrage est donc le fruit d’un long parcours qui a enraciné en moi une conviction : les chrétiens devraient être capables de répondre de manière efficace à leurs amis musulmans. De leur côté, les musulmans ne devraient pas se contenter de préjugés à propos de la doctrine biblique, ils devraient la connaître. Cela ne sera possible que par une lecture personnelle de la Bible. Je pense qu’une réponse argumentée aux principales affirmations des savants musulmans peut être une accroche pour susciter ce désir chez eux. 17



Introduction

Un livre d’apologétique L’Occident a largement oublié le message de la Bible – ce texte plurimillénaire – et nombre de savants musulmans en déforment dramatiquement la pensée. L’objectif de ce livre est d’informer le lecteur sur son véritable contenu. Depuis le milieu des années 1980, le débat islamo-chrétien jouit d’un regain d’intérêt. L’impulsion a été donnée par le célèbre télé-polémiste Ahmed Deedat : ses éloquentes réfutations de la foi chrétienne ont suscité dans le monde musulman de nombreuses vocations pour une apologétique1 anti-biblique. La France sécularisée a plutôt été tenue à l’écart de ces débats qui se sont tenus en langues anglaise et arabe. De nos jours, la jeunesse musulmane française est pourtant bien informée de ces débats et les joutes oratoires entre chrétiens et musulmans, autrefois cantonnées au monde anglo-saxon, se répandent de plus en plus dans l’univers francophone. Un mouvement est en marche dans une partie de la jeunesse française pleine d’admiration pour la foi musulmane, qui s’approprie la logique argumentaire dans la ligne de Deedat, à des fins prosélytes. La jeune génération ne recherche généralement pas une connaissance théologique éprouvée. Elle reprend des slogans dans une démarche de « prêt-à-prêcher ». Les vidéos d’Ahmed Deedat, découpées en tranches de cinq minutes, ne sont désormais plus les seules disponibles sur internet. 1

L’apologétique, du grec apologia, s’applique notamment aux sciences philosophique et religieuse. Elle vise principalement à défendre un point de vue face à ses contradicteurs.

19


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

D’autres stars ont vu le jour, comme Zakir Naïc, dont les torsions du texte biblique font école. Ou encore, en langue française, le brillant Abdul Majid Kasogbia qui, néanmoins, n’use pas avec autant de zèle des mêmes sophismes. Toutefois, même dans la jeunesse, les lignes tendent à bouger : une élite théologique se forme parmi les débatteurs musulmans de la mouvance salafiste ou ceux issus des écoles traditionnelles de l’islam. C’est ainsi que des « Deedat made in France » émergent sur la scène publique, bien déterminés à tordre le cou à la foi chrétienne. En tant que chrétiens, nous ne pouvons plus nous contenter d’entrer en dialogue avec nos voisins et amis musulmans. Ni de débattre avec les imams de première génération (dont certains avaient peu de formation théologique et ont incarné « l’islam modéré » dans les mosquées de la République française). Cet islam-là existe toujours, mais il tend à être marginalisé par la base des fidèles. L’ADN des chrétiens engagés dans l’interreligieux doit changer. Le dialogue entre personnes de bonne volonté reste nécessaire, mais cela ne suffit plus. Prenons au sérieux les prétentions de la prédication musulmane portée par ces jeunes savants. Ils se sont approprié la logique spéculative occidentale. Ils maîtrisent la théologie et les outils de la rhétorique souvent mieux que leurs aînés. L’enjeu est de fournir, avec douceur et respect, une réponse biblique claire aux affirmations erronées de ces savants. Contrairement à leurs aînés, ces polémistes musulmans n’ont pas la préoccupation d’être bien vus des autorités : ils sont français, musulmans et fiers de l’être. Et ils parlent sans détour. La France est désormais leur champ de mission et ils l’assument sans complexe. Plus encore, avec les réseaux sociaux, c’est la francophonie tout entière qu’ils cherchent à convaincre. Soit, la liberté de culte et de conscience est une valeur promue par la France et j’y suis attaché. Mais ne soyons pas naïfs : parce qu’il contient suffisamment de beauté et de force, l’islam est attractif. Il offre notamment une perspective transcendante du monde et de l’histoire qui répond bien mieux aux aspirations humaines que le vide du nihilisme occidental. Les chrétiens ne peuvent donc pas rester muets devant la méthode de certains débatteurs. Ils doivent eux aussi parler sans détours. Nous devons premièrement démontrer que la beauté de l’islam prend sa source dans la Bible, à l’instar des récits des patriarches (Adam, Noé, Abraham, etc.), des rois d’Israël (David, Salomon), de la vie de Jésus et de ses apôtres qui forment une grande part de la littérature coranique. Nous devons aussi démontrer les nombreux points sur lesquels la Bible se distingue du Coran. C’est particulièrement le cas au sujet de l’identité et de l’œuvre de JésusChrist. Nous devons finalement révéler les faussetés et les caricatures que véhiculent ces polémistes musulmans au sujet de la foi chrétienne. Les musulmans s’enthousiasment pour la réfutation de la foi biblique, et peu d’ouvrages chrétiens leur donnent la réplique. Qui montrera les 20


Int ro du c t i on

failles du raisonnement des savants et leurs erreurs d’interprétation ? Elles sont légion et le chantier est immense pour les révéler. Je me propose de rétorquer en m’appuyant abondamment sur le texte biblique lui-même (trop souvent laissé de côté au profit de la philosophie et des sciences humaines). Mon approche est délibérément théologique. Il n’est toutefois pas question d’un ouvrage savant, garni de termes experts, mais bien d’un ouvrage accessible. Se joindront aux références bibliques celles du 2 Coran et de la sunna , ainsi que les données fournies par l’histoire des religions et la critique textuelle3. Je crois, en effet, qu’une présentation de la Bible, éclairée par le travail des historiens et d’autres scientifiques, est décisive pour permettre de juger de son contenu4. Pour les citations bibliques, j’ai privilégié la version Segond révisée de 1979 (NEG), tout en faisant appel parfois à la Segond 21 (S21) et celle du « Semeur » (BDS), fréquemment utilisées par les évangéliques. Les citations du Coran proviennent de la traduction française, fidèle au texte, du professeur Muhammad Hamidullah. Ce livre est donc un petit manuel de religions comparées et j’espère qu’il sera utile. Utile aux curieux de tous bords, avec ou sans formation. Utile aussi aux étudiants en sciences religieuses désireux d’approfondir leurs connaissances.

La vérité avec grâce Ma démarche suit le raisonnement des deux traditions religieuses. La Bible déclare à ce propos : Mais sanctifiez dans vos cœurs Christ le Seigneur, étant toujours prêts à vous défendre [apologian] avec douceur et respect, devant quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous. 1 Pierre 3 : 15

2

La sunna, appelée aussi « tradition prophétique », est l’ensemble des actes et paroles du prophète Mohammed tels qu’ils sont rapportés dans les recueils de hadiths. Les musulmans sunnites portent ce nom en référence à la sunna qu’ils suivent en complément du Coran. Chaque croyant est appelé à imiter au mieux le prophète dans son comportement et ne peut le faire sans référence à la sunna (Coran 24 : 54 ; Coran 3 : 32). Chaque hadith est composé d’une chaîne de transmission (sanad ou isnâd) remontant jusqu’à Mohammed et d’un contenu précis (matn). Une science élaborée du hadith permet d’évaluer le degré d’authenticité de chaque hadith.

3

Science règlementée dont l’objet est d’observer, comparer et évaluer les textes, utilisée notamment pour l’analyse des manuscrits anciens de la Bible, afin d’aboutir à une traduction de la Bible la plus proche possible de l’original.

4

Signalons, à ce sujet, la parution de La Bible Segond 21 avec notes d'étude archéologiques et historiques (2015). Elle montre la richesse des données historiques dont nous disposons en lien avec les textes bibliques.

21


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Mon intention est de défendre l’espérance chrétienne. Avec l’aide de Dieu, j’espère remplir les exigences de douceur et de respect envers tous, sans tomber d’aucune manière dans l’hypocrisie ni l’autocensure. Si l’argumentaire semble parfois musclé, ce n’est pas par défiance : j’aime les musulmans, mais j’aime tout autant la vérité qui doit être défendue. Quiconque y verrait une incitation à mépriser ou calomnier les musulmans serait entièrement en dehors de l’Esprit du Christ. Le but est d’informer et de corriger ce que je considère être des erreurs manifestes. En tant que chrétiens, nous devons veiller à garder nos cœurs dans l’amour lorsque nous défendons notre espérance, car toute la loi de Dieu se résume au commandement de l’amour. — Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? Jésus lui répondit : — Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes. Matthieu 22 : 36- 40

Sur le plan des convictions, la dispute théologique est assumée. Mais sur le plan des relations, nous désirons véritablement une entente respectueuse. C’est l’équilibre fragile entre « grâce et vérité » (Jean 1 : 14) que je poursuis constamment. L’éthique de l’épître de Jacques balise le chemin : La sagesse d’en haut est premièrement pure, ensuite pacifique, modérée, conciliante, pleine de miséricorde et de bons fruits, exempte de duplicité, d’hypocrisie. Jacques 3 : 17

Le Coran déclare à son tour : Et si tu es en doute sur ce que Nous avons fait descendre vers toi, interroge alors ceux qui lisent le Livre révélé avant toi. La vérité certes, t’est venue de ton Seigneur : ne sois donc point de ceux qui doutent. Coran 10 : 94

Dans ce verset, les musulmans (en particulier le prophète Mohammed) sont invités à prendre connaissance, auprès des Juifs et des chrétiens, des révélations divines parvenues avant le Coran, c’est-à-dire des prophéties et des textes de la Torah (Tawrâh), des Psaumes (Zabûr) et des Évangiles (Injîl). C’est effectivement ce que je propose de faire, avec la légitimité qui m’incombe en tant que chrétien. 22


Int ro du c t i on

Malgré tout, le lecteur musulman ne cherche pas souvent à approfondir ses recherches en religions comparées. Peut-être parce qu’il est prévenu par le Coran de ne pas se laisser convaincre par l’argumentaire des Juifs ou des chrétiens : « Ni les Juifs, ni les Chrétiens ne seront jamais satisfaits de toi, jusqu´à ce que tu suives leur religion. – Dis : “Certes, c´est la direction d’Allah qui est la vraie direction”. Mais si tu suis leurs passions après ce que tu as reçu de science, tu n’auras contre Allah ni protecteur ni secoureur » (Coran 2 : 120). Ce type de mise en garde est fréquent dans le Coran et la sunna. Cela exerce une certaine pression sur celui qui cherche à comprendre. Mon expérience du dialogue avec les musulmans montre malheureusement 5 qu’ils craignent très fortement de subir la punition pour apostasie . De ce fait, beaucoup s’encouragent mutuellement à éviter toute discussion 6 qui pourrait semer le moindre doute dans leur système de pensée . Le domaine des religions comparées est alors largement relégué aux experts de la question. Ceux-là mêmes qui font de la réfutation de la foi chrétienne un jihad à part entière (le terme signifie « effort dans le sentier d’Allah »). Un choix s’offre alors aux musulmans non experts : 1. Interroger le Juif et le chrétien et lire leurs textes pour être informés des enseignements et prophéties contenus dans les livres antérieurs 7 au Coran ; 2. Se contenter de ne rien savoir d’autre que ce que les savants 8 musulmans disent des autres religions . 5

L’apostasie, ridda (‫ )ةدر‬ou son dérivé ’irtidâd (‫)دادترا‬, en arabe, renvoie à la sortie de l’islam pour une autre religion ou pour l’athéisme. Al-Boukhârî recense, dans son célèbre recueil de hadiths, une parole de Ibn Abbas (cousin paternel de Mohammed) selon laquelle Mohammed aurait dit : « Quiconque change sa religion, tuez-le » (AlBoukhârî, n° 3017). De nombreux commentateurs musulmans estiment que cette peine de mort pour apostasie est instituée dans la sourate 4 : 89 du Coran. Ainsi, aujourd’hui, de nombreux pays musulmans appliquent la peine de mort pour apostasie.

6

Pour un exemple de contrôle social qui s’opère dans la communauté musulmane, voir en ligne. URL : <www.yabiladi.com/forum/c-est-decide-vais-lire-Bible-4-4062683. html> (consulté le 13/2/2020).

7

Le Coran déclare à ce propos : « Certes, Nous avons envoyé avant toi des Messagers. Il en est dont Nous t’avons raconté l’histoire ; et il en est dont Nous ne t’avons pas raconté l’histoire » (Coran 40 : 78). En effet l’histoire de beaucoup de prophètes bibliques est passée sous silence dans le Coran. De plus, certains récits bibliques sont réécrits dans le but de légitimer la foi islamique, comme le récit de la construction du cube noir (la Kaaba) de la Mecque qui serait l’œuvre d’Abraham et de son fils Ismaël et sur lequel la Bible reste totalement silencieuse.

8

Les musulmans concluent souvent le débat par la formule « Allah oualem » (« Dieu est plus savant »), ou encore : « À vous votre religion, et à moi ma religion » (Coran 109 : 6). Dire que Dieu sait mieux quand eux-mêmes ne savent pas, c’est pour eux une preuve de sagesse et de science. Le problème est de savoir s’ils sont prêts à dépasser leur méconnaissance de l’Évangile pour le découvrir tel qu’il est enseigné dans la Bible.

23


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Mon avis à ce sujet est résumé dans trois versets bibliques : Mon peuple est détruit, parce qu’il lui manque la connaissance. Osée 4 : 6

Ne méprisez pas les prophéties. Mais examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon ; abstenez-vous de toute espèce de mal. 1 Thessaloniciens 5 : 20 -22

Ces Juifs avaient des sentiments plus nobles que ceux de Thessalonique ; ils reçurent la parole avec beaucoup d’empressement, et ils examinaient chaque jour les Écritures, pour voir si ce qu’on leur disait était exact. Actes 17 : 11

Dans le vif du sujet Les trois doctrines les plus importantes du christianisme sont rejetées par les musulmans : la divinité de Jésus-Christ, la Trinité, la mort expiatoire de Jésus-Christ suivie de sa résurrection9. Elles sont pour eux fausses et blasphématoires, et doivent être combattues avec vigueur. Il est notamment déclaré dans le Coran : Les Juifs disent : « ’Uzayr [le scribe Esdras] est fils d’Allah » et les Chrétiens disent : « Le Christ est fils d’Allah ». Telle est leur parole provenant de leurs bouches. Ils imitent le dire des mécréants avant eux. Qu’Allah les anéantisse ! Comment s’écartent-ils [de la vérité] ? Coran 9 : 30

Pour les chrétiens au contraire, ces trois articles de foi sont garants du salut de l’âme de celui qui s’y attache10, et la prédication musulmane ne peut mener l’homme à la véritable connaissance de Dieu ni au salut :

9

Cette approche suit le « kérygme » (« proclamation à voix haute »), c’est-à-dire la prédication apostolique dont nous trouvons plusieurs expressions dans la Bible. Le kérygme de l’apôtre Paul se trouve en 1 Corinthiens 15 : 1-8 et celui de l’apôtre Pierre en Actes 2 : 22-40.

10

Concernant la divinité, voir Jean 8 : 24, 28 ; 2 Corinthiens 5 : 19 ; Romains 10 : 9 ; Actes 2 : 21 ; 16 : 31 ; Luc 2 : 11 ; Tite 2 : 10-13 ; 2 Pierre 1 : 11 ; 2 : 20. Concernant la Trinité, voir Actes 2 : 38 ; Matthieu 28 : 19-20 ; 1 Pierre 1 : 3 ; Tite 3 : 4-7. Concernant l’expiation, voir Hébreux 9 : 22 ; Romains 5 : 19 ; Jean 12 : 32 ; 1 Corinthiens 1 : 18-21.

24


Int ro du c t i on

Jésus lui dit : « Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi ». Jean 14 : 6

Les principaux arguments avancés par les musulmans, sur la base du Coran et de la sunna, pour mettre en cause ces trois doctrines sont-ils recevables ? Je crois profondément que l’islam ne connaît pas la pensée biblique au sujet de Jésus, tant au niveau de sa personne que de ses œuvres. Le Coran conserve, certes, certains attributs et œuvres glorieuses de Jésus le Messie. Mais ce n’est que pour mieux rejeter l’essentiel le concernant. Aucun musulman ne peut connaître la foi chrétienne en lisant le Coran. Ce livre déforme le message du Christ. Nous verrons que le christianisme rejeté par le Coran n’est tout simplement pas le christianisme biblique ! Seule la Bible exprime clairement la foi chrétienne. C’est donc bien une ré-information qu’il faut effectuer auprès des musulmans. En tant que chrétien et après une étude attentive des arguments de l’islam à ce sujet, je me dois de signaler aux lecteurs que je considère la Bible comme pleinement inspirée par Dieu et sans erreurs dans les originaux. Je me démarque donc clairement de la pensée musulmane selon laquelle la Bible 11 aurait été falsifiée . Le lecteur indécis ou opposé à ce postulat trouvera ici des éléments qu’il n’aura probablement jamais considérés, tant sur la foi chrétienne que sur la foi musulmane : chacun pourra ainsi se forger ses propres convictions.

Le cœur de tous les débats Si vous avez un jour assisté à un débat islamo-chrétien, vous savez que, de toutes les doctrines chrétiennes fondamentales contestées par le dogme islamique, la divinité de Jésus-Christ tient la première place. Depuis 2000 ans, Jésus est, pour les chrétiens, pleinement Dieu et pleinement homme, en une seule personne, et il le restera éternellement. Je ne m’attarderai pas à démontrer l’humanité de Jésus-Christ : les preuves bibliques et historiques sont abondantes et, sur ce point, les musulmans et les chrétiens sont d’accord. La question est plutôt : n’était-il qu’un simple homme, prophète de Dieu, ou bien Dieu fait homme ? Beaucoup de musulmans pensent que, dans la Bible elle-même, Jésus n’affirme nulle part sa divinité, alors qu’elle affirme clairement son humanité. Et, en effet, nous pouvons le lire :

11

Voir Coran 2 : 75. Le Coran ne propose aucun verset clair sur la falsification textuelle de la Bible. Il est plutôt question de substitutions orales et de formulations tronquées dans la lecture des textes parmi les Juifs et les chrétiens (Coran 2 : 59, 75 ; 3 : 78). Le Coran affirme en revanche que « Nul ne peut changer les paroles de Dieu » (Coran 6 : 34).

25


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi [un homme] qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l’a point fait. Jean 8 : 40 (BDJ)

Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Jean 20 : 17

Jésus ne serait donc, selon la Bible, qu’un homme qui croyait en Dieu comme tous les Juifs de son époque. Cela validerait alors ce que le Coran dit de Jésus : Ce sont, certes, des mécréants ceux qui disent : « En vérité, Allah c’est le Messie, fils de Maryam [Marie] ». Alors que le Messie a dit : « Ô enfants d’Isra’il [Israël], adorez Allah, mon Seigneur et votre Seigneur ». Quiconque associe à Allah (d’autres divinités) Allah lui interdit le Paradis ; et son refuge sera le Feu. Et pour les injustes, pas de secoureurs. Coran 5 : 72

Le Messie, fils de Maryam, n’était qu’un Messager. Des messagers sont passés avant lui. Et sa mère était une véridique. Et tous deux consommaient de la nourriture. Vois comme Nous leur expliquons les preuves et puis vois comme ils se détournent. Coran 5 : 75

La demande souvent formulée par les musulmans est simple et légitime : Donnez-nous un verset clair dans lequel Jésus dit de lui-même qu’il est Dieu ! S’ensuivent généralement, chez les débatteurs musulmans, de nombreuses démonstrations où les caractères humains de Jésus (fatigue, soif, angoisse) sont mis en avant pour prouver son humanité exclusive. Cet ouvrage cherche à répondre à leur demande. Nous montrerons d’abord l’identité de Jésus dans le Coran et la sunna. Cette connaissance est fondamentale : elle explique pourquoi les polémistes musulmans insistent autant sur l’humanité de Jésus et rejettent sa divinité lorsqu’ils tentent d’interpréter la Bible. Nous montrerons ensuite, Bible en main, que Jésus porte des noms divins, puis qu’il possède des attributs divins, ensuite qu’il accomplit des œuvres divines, et finalement que des honneurs divins lui sont rendus. De cette manière, tout en validant la pleine humanité de Jésus, sa pleine divinité sera démontrée. Cette présentation en quatre points correspond à la présentation classique de la théologie 26


Int ro du c t i on

chrétienne, telle qu’elle se présente dans des livres de doctrine chrétienne, 12 en particulier dans celui d’Henri Blocher intitulé La Doctrine du Christ . De nombreuses considérations propres au dialogue islamo-chrétien enrichiront cette présentation classique. La parole sera donnée aux argumentations des musulmans par lesquelles ils réfutent la divinité de Jésus. Une réponse sera donnée à leurs objections, point par point. Des indices laissés dans le Coran au sujet de la divinité de Jésus seront relevés. Après l’exposé des données bibliques, nous aborderons plus précisé13 ment la question de l’incarnation de Jésus, qualifiée d’innovation par certains contradicteurs musulmans. Nous ferons ressortir ce qui semble être le problème principal de l’interprétation musulmane au sujet de Jésus. L’ouvrage se terminera par une série de réponses courtes aux affirmations les plus courantes que les musulmans opposent à la divinité de Jésus. Vous ne profiterez vraiment bien de cette dernière partie qu’après avoir lu l’ensemble de l’exposé !

12

Henri Blocher, La Doctrine du Christ, Vaux-sur-Seine : Edifac, rééd. de 2014. Le théologien évangélique tient lui-même cette présentation de L’Ancienne dogmatique du luthérien Karl Hase (Hutterus redivivus oder Dogmatik der evangelisch-lutherischen Kirche [Hutterus redivivus ou la dogmatique de l’Église luthérienne évangélique], Leipzig : Breitkopf & Härtel, 1858, p. 225). L’ouvrage d’Henri Blocher me semble, encore aujourd’hui, le plus juste de la littérature francophone sur ce sujet. Je recommande donc chaleureusement cet ouvrage à toute personne cherchant un enseignement approfondi au sujet de la personne du Christ.

13

Dans l’islam, le concept d’innovation (bid’a) est utilisé pour dénoncer ce qui est ajouté à la foi authentique telle que Mohammed l’a annoncée et telle que ses compagnons l’ont pratiquée. Par abus de langage, ce terme est appliqué aux chrétiens pour montrer qu’ils sont sortis de l’adoration du Dieu unique, mentionnée dans la Torah. Muslim rapporte dans son recueil de hadiths, sous le n° 867 : « Cela dit, le meilleur discours réside dans le livre d’Allah et la meilleure direction est celle de Mohammed. Les pires des choses sont les innovations, et toute innovation est une aberration ».

27



Première partie

PREUVES BIBLIQUES ATTRIBUÉES À JÉSUS



Chapitre un

Jésus dans l’islam Nous, les chrétiens, nous caricaturons souvent les enseignements du Coran. Nous le faisons surtout parce que nous en ignorons le contenu véritable. Combien d’entre nous savent, par exemple, ce que dit le Coran sur Jésus ? Il serait facile de faire dire au Coran ce que la Bible enseigne sur Jésus, d’accorder nos croyances à celles des musulmans pour les convaincre de la véracité de nos convictions. C’est ce que l’on appelle le concordisme. Cette pratique n’est, selon moi, ni intellectuellement honnête ni efficace. En effet, ce n’est pas ainsi que nous amènerons les musulmans à croire au Christ tel qu’il est révélé dans la Bible. C’est d’ailleurs ce que plusieurs apologètes musulmans renommés ont tendance à faire : ils citent la Bible pour nous convaincre que Jésus était un bon musulman. Et comment réagissons-nous ? Nous avons, à juste titre, l’impression qu’ils manipulent les données du texte pour leur faire dire ce qu’ils veulent. À l’inverse, lorsqu’on prend le Coran pour prouver la divinité de Jésus, les musulmans le prennent mal. Aussi, soyons précis, évitons raccourcis et caricatures. Nous commencerons par montrer que le Coran renie franchement la divinité de Jésus. Dans un second temps, nous démontrerons comment certaines expressions coraniques égrènent les indices d’une autre conception de Jésus, plus ancienne. Après avoir moi-même lu le Coran et étudié une partie du patrimoine sunnite, j’observe deux décalages. Non seulement la croyance chrétienne se représente un islam qui ne cor31


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

respond pas à l’islam des textes, mais la croyance populaire musulmane aussi s’en fait une mauvaise idée. Que disent donc le Coran et la sunna à propos de Jésus1 ?

1. JÉSUS SELON LE CORAN

Un portrait élogieux : le Messie fortifié du Saint-Esprit De toute évidence, Jésus tient une place éminente dans le Coran. Il se nomme ’Isa. C’est un messager qui a reçu une faveur divine que bien d’autres prophètes n’ont pas reçue. Le chrétien s’en étonnera peut-être, mais le Coran affirme que Jésus a bénéficié de l’assistance du Saint-Esprit d’une manière toute particulière : Parmi ces messagers, nous avons favorisé certains par rapport à d’autres. Il en est à qui Allah a parlé ; et Il en a élevé d’autres en grade. À ’Isa [Jésus] fils de Maryam [Marie], Nous avons apporté les preuves, et l’avons fortifié par le Saint-Esprit. Coran 2 : 253

Les titres élogieux à l’égard de Jésus ne manquent pas et ressemblent à ceux de la Bible : [Rappelle-toi] quand les Anges dirent : « Ô Maryam, voilà qu’Allah t’annonce une parole de Sa part : son nom sera : « Al-Masîh » : «’Isa », fils de Maryam, illustre ici-bas comme dans l’au-delà, et l’un des rapprochés d’Allah. Coran 3 : 45

Jésus est donc appelé « parole de Dieu », « Messie », « Fils de Marie », « illustre ici-bas comme dans l’au-delà », « l’un des rapprochés d’Allah » (voir Coran 4 : 171-172). Il a par ailleurs le statut des « justes » (3 : 46 ; 5 : 110) et des « vertueux » (6 : 85). Jésus est donc un personnage de grande vertu pour les musulmans. Il est reconnu comme « le Messie » envoyé par Dieu, mais le sens du mot « Messie » diffère toutefois de celui que les chrétiens connaissent. Il n’est pas le Messie souffrant. Il n’est pas le Christ rédempteur. Il n’est pas Fils de Dieu.

1

Voir l’annexe n° 4 : « Jésus dans le Coran ».

32


Jésus d ans l 'isl am

Une naissance miraculeuse Comme dans la Bible, la naissance virginale de Jésus est annoncée à Marie dans le Coran (3 : 47 ; voir 19 : 19-21). S’il existe des différences entre les deux récits, il n’en demeure pas moins des similitudes frappantes. Cette naissance est succinctement racontée dans la sourate An-Nissa’. Jésus y est décrit comme le Verbe de Dieu (Kalimat Allah) déposé dans le sein de Marie (4 : 171). À sa naissance, son statut particulier est révélé par le fait qu’il parle miraculeusement dès le berceau (Coran 5 : 110 ; 19 : 24-26), histoire qui ne se trouve pas dans la Bible, mais dans l’Évangile arabe de l’enfance (chap. 1), un apocryphe datant du ve ou vie siècle2.

’Isa thaumaturge ’Isa est, dans le Coran, un faiseur de miracles. Il forme, par exemple, des oiseaux avec de la glaise qu’il modèle et dans laquelle il souffle pour leur donner vie (3 : 49 ; 5 : 110). Il guérit les aveugles, les lépreux et il ressuscite les morts (3 : 49 ; 5 : 110). Et quand Allah dira : « Ô ’Isa, fils de Maryam, rappelle-toi Mon bienfait sur toi et sur ta mère quand Je te fortifiais du SaintEsprit. Au berceau tu parlais aux gens, tout comme en ton âge mûr. Je t’enseignais le Livre, la Sagesse, la Thora et l’Évangile ! Tu fabriquais de l’argile comme une forme d’oiseau par Ma permission ; puis tu soufflais dedans. Alors par Ma permission, elle devenait oiseau. Et tu guérissais par Ma permission, l’aveugle-né et le lépreux. Et par Ma permission, tu faisais revivre les morts. Je te protégeais contre les enfants d’Isra’il [Israël] pendant que tu leur apportais les preuves. Mais ceux d’entre eux qui ne croyaient pas dirent : “Ceci n’est que de la magie évidente” ». Coran 5 : 110

Cette activité miraculeuse de ’Isa suscite encore aujourd’hui une grande admiration chez les musulmans pour ’Isa en tant que prophète, qui « par la permission d’Allah » a accompli des miracles.

’Isa législateur ’Isa est aussi un législateur qui, en son temps, apporta un renouveau en matière religieuse. Il enseigne aux croyants le type d’alimentation et de biens dont ils peuvent jouir :

2

L’Évangile arabe de l’enfance. URL : <http://seigneurjesus.free.fr/evangilearabe.htm> (consulté le 16/6/2020).

33


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Et je vous apprends ce que vous mangez et ce que vous amassez dans vos maisons. Voilà bien là un signe, pour vous, si vous êtes croyants ! Coran 3 : 49

De plus, ’Isa confirme la Torah révélée avant lui (3 : 50 ; 5 : 46), tout en levant certains interdits. Il apporte « un signe » nouveau de la part de Dieu (3 : 50) : Et je confirme ce qu’il y a dans la Thora révélée avant moi, et je vous rends licite une partie de ce qui vous était interdit. Et j’ai certes apporté un signe de votre Seigneur. Craignez Allah donc, et obéissez-moi. Coran 3 : 50

L’islam prête donc à ’Isa un impact majeur auprès des enfants d’Israël.

’Isa prédicateur Dans le Coran, ’Isa est encore décrit comme un prédicateur qui oriente son message vers l’adoration de Dieu qu’il présente comme la voie du salut (3 : 51 ; 43 : 64). Il se proclame lui-même messager de Dieu (61 : 6) venant confirmer la Torah (61 : 6). Plus encore, Allah lui enseigne la Torah, l’Évangile et la sagesse (3 : 48 ; 5 : 46 ; 5 : 110) et c’est avec ces révélations qu’il est envoyé auprès des enfants d’Israël (3 : 49 ; 5 : 46). Ainsi, l’islam est annoncé dans le Coran comme la continuité des révélations passées, transmises par les prophètes, dont ’Isa fait partie : Nous t’avons fait une révélation comme Nous fîmes à Nuh [Noé] et aux prophètes après lui. Et Nous avons fait révélation à Ibrahim [Abraham], à Isma’il [Ismaël], à Ishaq [Isaac], à Ya’qub [Jacob] aux Tribus, à ’Isa [Jésus], à Ayyub [Job], à Yunus [Jonas], à Harun [Aaron] et à Sulayman [Salomon], et Nous avons donné le Zabour à Dawud [David]. Coran 4 : 163

Selon le Coran, l’Évangile révélé à ’Isa serait un guide et une lumière qui confirmerait l’utilité de la Torah pour diriger et exhorter (5 : 46). Selon le Coran, ’Isa a annoncé la venue d’un prophète du nom d’Ahmed (61 : 6), qui doit être interprété comme étant Mohammed, le prophète de l’islam. ’Isa n’est pas un prédicateur solitaire, mais il est entouré d’apôtres. Ils sont ses auxiliaires (3 : 52 ; voir 5 : 111 ; 61 : 14) et le suivent comme un prophète (3 : 53 ; voir 5 : 111 ; 5 : 113 ; 61 : 14). 34


Jésus d ans l 'isl am

’Isa apporte la sagesse ainsi qu’un éclairage sur les questions qui divisent les croyants (Coran 43 : 63). Toutefois, ’Isa n’a pas que des alliés, il subit des persécutions. Il a pour ennemis les « enfants d’Israël » qui complotent contre lui, et disent que ses miracles ne sont que de la magie. Une partie des fils d’Israël se convertit à sa prédication, mais une autre partie refuse. Allah donne finalement la victoire aux croyants (61 : 14). Allah défend ’Isa et déjoue en définitive le complot de ses opposants (3 : 54 ; 5 : 110). ’Isa est donc une source de bénédiction, mais aussi de tension à cause de sa prédication et malgré ses miracles.

’Isa n’est qu’un homme L’humanité de ’Isa ressort très clairement dans le Coran. Malgré sa naissance virginale, le Coran raconte qu’il est né de manière semblable à Adam, celui-ci ayant été façonné d’argile (3 : 59). Il n’était « qu’un prophète » comme tant d’autres avant lui (5 : 75). Il est seulement « un envoyé de Dieu » (4 : 171). Le message est clair : le Messie n’était « qu’un serviteur » (4 : 172 ; 5 : 75), lui et sa mère sont de simples créatures (5 : 75) et Jésus nie lui-même avoir demandé à être pris comme une divinité (5 : 116 et 117). Dans le Coran, ’Isa n’est pas omniscient. Il ne connaît pas la pensée de Dieu, alors que Dieu connaît les pensées de ’Isa (5 : 116). Jésus, comme tout homme, est sujet à la mort et il est soumis à la toute-puissance de Dieu, de telle sorte qu’associer ’Isa à Dieu devient un blasphème : Certes sont les mécréants ceux qui disent : « Allah, c’est le Messie, fils de Maryam (Marie) ! » – Dis : « Qui donc détient quelque chose d’Allah (pour L’empêcher), s’Il voulait faire périr le Messie, fils de Maryam (Marie), ainsi que sa mère et tous ceux qui sont sur la terre ?… À Allah seul appartient la royauté des cieux et de la terre et de ce qui se trouve entre les deux. Il crée ce qu’Il veut. Et Allah est Omnipotent. Coran 5 : 17

Dans ce sens, le Coran semble a priori rejeter la prédication chrétienne de la Trinité et de la filiation divine de Jésus3 : Et ne dites pas : « Trois ». Cessez ! Ce sera meilleur pour vous. Allah n’est qu’un Dieu unique. Il est trop glorieux pour avoir un enfant. Coran 4 : 171 3

Un grand nombre de commentateurs soulignent qu’il s’agirait plutôt de rejeter une hérésie chrétienne : le trithéisme.

35


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

C’est donc en homme qui dirige les croyants vers Dieu et non comme étant Dieu lui-même que ’Isa fait l’objet de la foi. C’est dans ce sens que le Coran affirme que tous, chrétiens et Juifs, croiront en ’Isa avant sa mort (4 : 159). Cette mort annoncée n’a pas encore eu lieu puisque selon la majorité des interprètes, ’Isa n’est pas mort crucifié : ce n’était qu’une illusion. Faute de preuves, les chrétiens ne font que suivre des conjectures : Et à cause de leur parole : « Nous avons vraiment tué le Christ, ’Isa (Jésus), fils de Maryam (Marie), le Messager d’Allah. »... Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié ; mais ce n’était qu’un faux-semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l’incertitude : ils n’en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l’ont certainement pas tué. Coran 4 : 157

Au contraire, Dieu l’a élevé vers lui (4 : 158) sans le tuer. C’est le sens interprété par la majorité des interprètes de la sourate 3 : 55 : (Rappelle-toi) quand Allah dit : « Ô ’Isa (Jésus), certes, Je vais mettre fin à ta vie terrestre t’élever vers Moi, te débarrasser de ceux qui n’ont pas cru et mettre jusqu’au Jour de la Résurrection, ceux qui te suivent au-dessus de ceux qui ne croient pas. Puis, c’est vers Moi que sera votre retour, et Je jugerai, entre vous, ce sur quoi vous vous opposiez4. Coran 3 : 55

La majorité des musulmans attendent un retour physique de ’Isa à la fin des temps. C’est ce qu’ils déduisent des passages qui se réfèrent à ’Isa comme étant « un signe de l’Heure » – un signe de la fin des temps. Il sera un signe au sujet de l’Heure. N’en doutez point. Et suivezmoi : voilà un droit chemin. Coran 43 : 61

Le théologien Yûsuf al-Wabil, s’appuyant sur le commentaire du Coran d’al-Qurtubî, déclare : Ces versets parlent de ’Isa, en fin de citation, il dit : « Il sera un signe pour l’heure », c’est-à-dire la descente d’Isa avant le jour de la résurrection est un signe de la proximité de l’Heure5. 4

5

D’autres traductions portent : « Ô Jésus, Je te ferai mourir et Je t’élèverai à moi » (Hazrat Mirza Ghulam Ahmad, 2012) ; « Je te ferai subir la mort et je t’élèverai à moi » (Albert Félix Ignace Kazimirski, 1840) ; « Ô Jésus, voici que je vais t’achever et t’élever vers moi » (Professeur Hamidullah, préface de Louis Massignon, 1966).

Yusûf al-Wâbil, Les signes de la fin des temps, Bruxelles : Al-Hadith, 2009, p. 291. Il cite lui-même Tafsîr al-Qurtubi, t. 16, p. 105 et Tafsîr al-Tabarî, t. 25, p. 90-91.

36


Jésus d ans l 'isl am

2. JÉSUS SELON LA SUNNA Dans la sunna, deux éléments concernant Jésus ressortent de manière évidentes et ce, malgré la relative discrétion du Coran sur ces aspects.

Les descriptions physiques de ’Isa Je me suis vu une nuit, à la Ka’ba, c’est alors que je vis un homme brun, du plus beau brun que l’on puisse voir ; à la chevelure qui descendait en dessous des oreilles, de la plus belle chevelure que l’on puisse voir, qu’il a peignée et pommadée et laissant tomber des gouttes d’eau appuyé sur deux hommes ou sur les épaules de deux hommes accomplissant le Tawâf [la procession autour de la Maison]. Je demandai : « Qui est-ce ? ». On me répondit : « C’est le Messie, fils de Maryam ». (Sahih Muslim, n° 169, vol. 1, p. 183)

Dans une autre version de ce hadith, il est dit de ’Isa : Les mèches de ses cheveux battaient entre ses deux épaules, cheveux ni crépus, ni tout droits, il arrosait sa tête d’eau et il avait les mains posées sur les coudes de deux hommes. « Qui est-ce ? » demandais-je. « C’est le Messie Fils de Marie ». (Sahih al-Boukhâri, n° 3440, vol. 2, p. 876)

Et une troisième version décrit ’Isa comme : […] un homme roux aux cheveux lisses. (Ibid.)

Certaines traditions décrivent la rencontre entre Mohammed et plusieurs prophètes lors de son voyage nocturne, en particulier avec ’Isa : Je rencontrais ensuite Jésus, poursuivit le prophète. Et il en fit la description disant qu’il était de taille moyenne et rouge. On aurait dit qu’il sortait du Dimâs, c’est-à-dire du bain. (Sahih al-Boukhârî, n° 3437, vol. 2, p. 875) J’ai vu Jésus, Moïse et Ibrâhîm. Quant à Jésus, il était roux, il avait les cheveux frisés et la poitrine large. Moïse, lui était brun, corpulent et il avait les cheveux lisses. On aurait dit un homme de Zott. (Sahih al-Boukhârî, n° 3438, vol. 2, p. 875)

Il est aussi fait mention d’un hadith déclarant : Il y avait aussi ’Isa Fils de Maryam, debout à prier. Celui des hommes lui ressemblant le plus est ’Urwa Ibn Mas’ûd Ath-Thaqafî. (Sahih Muslim, n° 169, vol. 1, p.185) 37


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Dans tous ces récits, les descriptions physiques de ’Isa le montrent comme un simple homme. Cet état est souligné par les caractéristiques physiques telles que la couleur de ses cheveux, la couleur de sa peau ou sa stature. Toutefois, l’exaltation de son apparence physique dans ces textes vient souligner sa dignité prophétique. Il n’est jamais appelé Fils de Dieu, mais uniquement Messie, Fils de Marie.

’Isa, personnage central de la fin des temps La pensée islamique fait mention de sa « descente » et de son rôle d’arbitre : J’en jure par celui qui tient mon âme entre Ses mains, peut n’en faut que le Fils de Marie ne descende parmi vous comme un juge équitable. Il brisera la croix, il fera périr les porcs ; il supprimera la capitation6 et il fera tellement déborder les richesses que personne n’en voudra plus. Ce sera au point qu’une seule prosternation sera préférable à ce bas monde et à tout ce qu’il contient. (Sahih al-Boukhârî, n° 3448, vol. 2, p. 879 ; Sahih Muslim, n° 155, vol. 1, p. 165)

Le ’Isa de la sunna s’opposera à la foi chrétienne ’Isa sera lui-même musulman, combattant aux côtés du dernier calife bien guidé de l’islam, le Mahdî, descendant du prophète Mohammed. Malgré l'absence explicite de la figure du Mahdî dans les deux grands recueils de hadiths d’al-Boukhârî et de Muslim ni dans le Coran, elle prend une place importante dans l’islam sunnite à partir d’autres sources. ’Issâ Ibn Maryam [Jésus fils de Marie] descendra, et leur chef, le Mahdî dira : « Viens et guide notre prière ». Mais il répondra : « Non, les uns sont les chefs des autres, honneur fait par Allah à cette communauté7 ». 8 Celui derrière qui ’Issâ Ibn Maryam priera est des nôtres .

’Isa priera donc selon les prescriptions de l’islam, derrière ce Mahdî, comme un membre parmi d’autres de la communauté. 6 7

8

Capitation : impôt obligatoire collecté notamment par l’empire perse sassanide au début de l’islam.

Yusûf al-Wâbil, op. cit ., p. 238 : « Rapporté par al-Hârith Ibn Abî Usâma dans son Musnad comme le dit Ibn al-Qayyim dans al-Manâr al-Munîf, p. 147-148, il juge la chaîne de transmission bonne ».

Ibid., p. 239 : « Rapporté par Abû Nu’aym dans Akkbâr al-Mahdî, comme le dit al Suyûtî dans al-Hâwi, t. 2, p. 64, jugé authentique par al-Albani dans Sahih al-Jâmi’, t. 5, p. 219, n° 5796.

38


Jésus d ans l 'isl am

Il sera un prophète et un chef de guerre de la communauté musulmane qui détruira l’antéchrist (le faux messie) et qui invoquera Allah pour la victoire contre ses ennemis : Sur ces entrefaites, Allah enverra le Messie, fils de Maryam. Il descendra près du minaret blanc à l’Est de Damas, vêtu de deux vêtements teints au safran et il aura les deux mains posées sur les ailes de deux anges. Quand il baisse la tête, il en tombe des gouttes d’eau et, quand il la relève, elle laisse couler comme des perles. Aucun mécréant ne pourra sentir l’odeur du parfum de son haleine sans tomber raide mort. Or, le parfum de son haleine va aussi loin que son regard. Ainsi, elle court après le Mécréant (Le faux messie, l’Antéchrist) qu’elle rattrape à la porte de Lod où elle le tue. Puis Jésus viendra à un peuple que Allâh a préservé du Charlatan. Jésus leur passera la main sur le visage et leur indiquera les hauts degrés qu’ils occuperont au Paradis. Sur ces entrefaites Allâh inspire à Jésus : « Je viens de faire sortir des êtres que nul ne pourra combattre. Mets mes esclaves à l’abri de leur mal sur le mont Tor ». C’est alors qu’Allâh suscite les peuples de Gog et Magog qui déferleront de toute hauteur. Leurs avant-gardes passeront par le lac de Tibériade et boiront toute son eau. Quand leurs arrière-gardes passeront par-là, elles diront « il y a eu jadis là de l’eau ». Le Prophète d’Allâh, Jésus, sera assiégé avec ses compagnons. À ce moment un seul bœuf vaudra pour l’un d’eux mieux que cent dinars de votre époque-ci. Le prophète Jésus et ses compagnons prieront Allâh exalté qui suscitera contre leurs ennemis ces vers qui infestent parfois le nez des troupeaux. Ces vers s’accrocheront à leurs cous et les dévoreront en un laps de temps. Ils tomberont tous à la fois comme un seul homme. Le Prophète d’Allâh, Jésus, et ses compagnons redescendront alors dans la plaine. Ils n’y trouveront pas la place de la paume de la main qui ne soit pleine de leur charogne infecte. Le Prophète d’Allâh, Jésus, et ses compagnons adresseront alors leurs prières à Allâh exalté qui enverra des oiseaux gigantesques, au cou pareil à ceux des grands chameaux du Khorassan. Ces oiseaux emporteront ces immondices là où Allâh voudra. Puis Allâh honoré et glorifié lâchera une pluie qui n’épargnera ni cité ni campagne. Elle lavera la terre pour la laisser nette comme un miroir. Puis on dit à la terre : « Fais pousser tes fruits, fais revenir ta bénédiction ». Ce jour-là une seule grenade suffira pour rassasier un groupe d’hommes qui trouveront assez d’ombre sous sa coque. Les mamelles seront tellement bénies que la traite d’une seule chamelle suffira à un peuple ; la traite d’une vache suffira à une tribu et la traite d’une brebis suffira à une grande famille. 39


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

C’est alors que Allâh lâchera un vent bénéfique qui les saisira de-dessous leurs aisselles et retirera l’âme de tout Croyant et de tout Musulman. Il ne restera en vie que les méchants de la terre qui s’y accoupleront sans pudeur à la façon des ânes. C’est sur eux que se lèvera l’Heure. (Sahih Muslim, n° 2937, vol. 6 p. 284)

’Isa dans la sunna est donc un héros musulman revenant à la fin des temps avec des pouvoirs remarquables. Il descend du ciel avec le soutien d’anges et, par son souffle, il détruira les mécréants et l’Antéchrist. Par son intercession, Dieu enverra les fléaux qui tueront les peuples impies de Gog et Magog. Après cela, la terre connaîtra des jours de bénédictions et de restauration sans précédent, comme le relaye une certaine compréhen9 sion du « millénium » (Apocalypse 20 : 6-8) chez les chrétiens . Ces évènements arriveront avant un « enlèvement » des âmes des croyants auprès d’Allah, alors que les « méchants » resteront sur terre dans leurs péchés. Dans la sunna, ’Isa est donc la figure eschatologique par excellence : il permet l’avènement final de l’islam, ordre nouveau et globalisé apportant la paix et la justice sur terre avant la fin du monde.

3. JÉSUS, PLUS QU’UN HOMME ? Au regard des données citées ci-dessus, le Coran ne permet pas de défendre l’idée que Jésus soit plus qu’un homme. Ne faisons toutefois pas l’impasse sur plusieurs éléments notables dans le dialogue entre chrétiens et musulmans à propos de l’identité de Jésus dans le Coran. Dans son ouvrage Jésus dans le Coran et dans la Bible, Karim Arezki explique, à juste titre, que certaines déclarations pourraient faire de Jésus plus qu’un prophète. C'est particulièrement le cas de deux d'entre elles : les mentions de Jésus comme « Parole de Dieu » et comme « Esprit de Dieu » (sourate 4 : 171, voir plus loin). La sunna accorde aussi à Jésus un statut qui dépasse celui du simple envoyé humain. Ce que Jésus accomplit avec l’aide d’Allah relève d’un messianisme largement issu des représentations bibliques.

Le concordisme des polémistes musulmans Lors de débats interreligieux, j’ai constaté que les débatteurs musulmans plaquent facilement ces données du Coran et de la sunna sur le texte biblique. Ils partent du principe que la Bible doit confirmer le Coran au sujet de Jésus. Pourquoi ? Parce qu’il est écrit, dans le Coran, 9

L’ordre est inversé par rapport à Apocalypse 20 : 6-8. Ce texte place la grande guerre, impliquant Gog et Magog, après les mille ans de règne des croyants avec Christ.

40


Jésus d ans l 'isl am

que le Coran confirme les révélations passées (Coran 2 : 41 ; 2 : 101 ; 4 : 47 ; 4 : 136, 162 ; 48 : 5 ; etc.). En décembre 2016, j’ai participé à mon premier débat public, sur le thème « Jésus, mission locale ou universelle » aux côtés de Manuel Goncalves. Le camp musulman plaidait que Jésus était venu pour les Juifs seulement et non comme Sauveur du monde entier. Ils ont lu Matthieu 15 : 24 : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ». Ils ont ensuite appliqué la perspective du Coran : « Il (’Isa) n’était qu’un Serviteur que Nous avions comblé de bienfaits et que Nous avions désigné en exemple aux enfants d’Isra’il (Israël) » (43 : 59, voir 5 : 46). Voici leur interprétation : Jésus n’est pas le Sauveur du monde, mais un envoyé pour Israël seulement, selon le principe coranique « à chaque communauté un Messager » (10 : 47) Ils ont donc refusé l’idée selon laquelle, dans l’Évangile, le ministère de Jésus se déploie en deux temps. Dans un premier temps en direction des Juifs (le messager selon Matthieu 15 : 24), puis dans un second temps avec un salut ouvert aux « nations » par la mort de Jésus en tant que rédempteur universel (Jean 12 : 32 ; Éphésiens 2 : 11-13 ; 1 Jean 4 : 14 ; Apocalypse 5 : 9 ; Galates 3 : 26-29 ; etc.). Il faut donc garder en tête cette propension au concordisme lorsqu’un débat s’amorce avec un érudit musulman. Le Coran et la sunna reprennent les données bibliques en les refaçonnant pour élaborer une nouvelle figure de Jésus qui doit laisser place à Mohammed, le seul prophète envoyé pour tout l’univers (Coran 21 : 107). Dans le sillage de leur tradition, les débatteurs musulmans puisent dans les écrits canoniques chrétiens, mais parfois aussi dans les écrits apocryphes tels l’Évangile de Barnabé pour soutenir leur démonstration et valider leur biographie de Jésus. Ils évitent généralement de citer les versets bibliques attestant la divinité de Jésus pour mettre en avant ceux qui démontrent son humanité : « Le risque est 10 grand d’aboutir à un “Évangile selon l’islam” » forgé de toutes pièces pour servir le prosélytisme musulman. De plus, ce concordisme est induit par les sources islamiques ellesmêmes qui, de l’avis d’un nombre croissant d’experts, ont largement puisé dans le patrimoine littéraire juif et chrétien. À la fin de ce débat de décembre 2016, un homme dans le public m’a demandé comment Jésus allait s’y prendre pour vaincre l’antéchrist sans employer la force et les armes ? Resterait-il le Jésus « tout doux » des Évangiles ? Il pensait que les chrétiens adhéraient naïvement à cette idée. Non seulement cela montrait qu’il s’exprimait maladroitement à partir de la conception du Jésus, héros guerrier, que la sunna dépeint, mais aussi qu’il ne connaissait pas les données relatives à l’apparition 10

Maurice Borrmans, Jésus et les musulmans aujourd’hui, Paris : Desclée, 2005 [1996], p. 236.

41


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

glorieuse et victorieuse de Jésus dans la Bible à la fin des temps. Or, je pense que la sunna décrivant Jésus en héros musulman, s’inspire justement des données bibliques à propos du Messie. Pour ce cas précis, l’apôtre Paul expliquait déjà, 600 ans avant la venue de l’islam et 850 ans avant l’édition des recueils de Muslim et d’al-Boukhârî, comment Jésus allait détruire l’Antéchrist. Et alors paraîtra l’impie (l’Antéchrist), que le Seigneur Jésus détruira par le souffle de sa bouche, et qu’il anéantira par l’éclat de son avènement. 2 Thessaloniciens 2 : 8

L’apôtre Jean, pour sa part, écrivait : Puis je vis le ciel ouvert, et voici, parut un cheval blanc. Celui qui le montait s’appelle Fidèle et Véritable, et il juge et combat avec justice. Ses yeux étaient comme une flamme de feu ; sur sa tête étaient plusieurs diadèmes ; il avait un nom écrit, que personne ne connaît, si ce n’est lui-même ; et il était revêtu d’un vêtement teint de sang. Son nom est la Parole de Dieu. Les armées qui sont dans le ciel le suivaient sur des chevaux blancs, revêtues d’un fin lin, blanc, pur. De sa bouche sortait une épée aiguë, pour frapper les nations ; il les paîtra avec une verge de fer ; et il foulera la cuve du vin de l’ardente colère du Dieu tout-puissant. Il avait sur son vêtement et sur sa cuisse un nom écrit : Roi des rois et Seigneur des seigneurs. Apocalypse 19 : 11-16

Il n’est certainement pas anodin de trouver dans la tradition islamique cette mention déjà citée à propos de Jésus : Or, le parfum de son haleine va aussi loin que son regard. Ainsi, elle court après le Mécréant (le faux messie) qu’elle rattrape à la porte de Lod où elle le tue. (Sahih Muslim, n° 2937, vol. 6 p. 284)

L’ensemble de ces données permettent d’entamer la discussion sur la divinité de Jésus dans la Bible sereinement, ayant à l’esprit les représentations courantes que les musulmans ont de Jésus-Christ au travers de leurs sources et de leurs théologiens. Pour rappel, l’enjeu principal est le suivant : les polémistes musulmans réclament aux chrétiens de faire la preuve biblique de la divinité de Jésus. En effet, pour eux, dans la Bible elle-même, Jésus n’est pas Dieu. C’est donc la tâche que je me propose d'accomplir ici, tout en répondant aux arguments des polémistes.

42


Chapitre deux

Les noms divins attribués à Jésus

1. JÉSUS EST APPELÉ « DIEU »

1.1. Témoignages bibliques Commençons par passer en revue les dix versets de l’Écriture qui nomment Jésus « Dieu » de manière directe et non symbolique.

Dans le prologue de Jean Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Jean 1 : 1

Dans le contexte, « la Parole », qui est Dieu, fait clairement référence à Jésus. En effet, l’auteur précise, quelques versets plus bas, qui est cette Parole : « Et la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père » (v. 14). Jésus est donc la Parole éternelle de Dieu qui s’est incarnée : elle a littéralement pris corps. C’est pourquoi les chrétiens déclarent que Jésus possède deux natures : 43


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

1. Une nature divine et éternelle, en tant que Parole de Dieu, 2. Une nature humaine, qu’il revêt ensuite dans son incarnation. Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l’a fait connaître. Jean 1 : 18

Là encore, la notion de Fils de Dieu pointe vers Jésus. Cette expression le désigne d’ailleurs de manière récurrente tout au long du Nouveau Testament. Dire « Dieu, le Fils unique » pour désigner Jésus, c’est dire que Jésus est Dieu1.

Dans d’autres passages Thomas lui répondit : Mon Seigneur et mon Dieu ! Parce que tu m’as vu, tu crois ! lui dit Jésus. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. Jean 20 : 28-29, BDS

Et c’est d’eux qu’est issu le Christ dans son humanité ; il est aussi au-dessus de tout, Dieu béni pour toujours. Amen ! Romains 9 : 5, BDS

Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ, lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu. Philippiens 2 : 5-6, BBA

[…] En attendant que se réalise notre bienheureuse espérance : la révélation de la gloire de Jésus-Christ, notre grand Dieu et Sauveur. Tite 2 : 13, BDS

Mais au sujet du Fils, il dit : Ton trône, ô Dieu, subsiste pour toute éternité, le sceptre de ton règne est un sceptre d’équité. Hébreux 1 : 8, citant Psaumes 45 : 7, BDS

Simon Pierre, esclave et apôtre de Jésus-Christ, à ceux qui ont reçu en partage une foi de pareil prix avec nous, par la justice de notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ. 2 Pierre 1 : 1, DRB

Nous savons aussi que le Fils de Dieu est venu, et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le Véritable ; et nous sommes 1

Voir l’annexe n° 1 : « La critique textuelle chez les polémistes musulmans ».

44


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

dans le Véritable en son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable, et la vie éternelle. 1 Jean 5 : 20

Je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout-Puissant. Apocalypse 1 : 8

Dans le contexte du livre de l’Apocalypse, la mention « Je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu » se rapporte clairement à Jésus selon qu’il est écrit : Or, voici, je viens bientôt, et j’ai mon salaire avec moi, pour rendre à chacun selon que ses œuvres auront été. Je suis l’Alpha et l’Oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin. […] Celui qui rend témoignage de ces choses, dit : Oui, je viens, bientôt. Amen ! Oui, Seigneur Jésus, viens ! Apocalypse 22 : 12-13, 20, OST (voir 1 : 5-8 ; 21 : 3-6)

La Bible appelle Jésus « Dieu » : il est donc injuste de déclarer qu’elle ne le fait pas. Quand les chrétiens affirment que Jésus est Dieu, ils s’appuient sur des éléments textuels et non sur des conjectures et des élaborations détachées des écrits. En revanche, dans aucun de ces versets, Jésus ne se donne lui-même le titre divin. Je n’ai donc pas répondu totalement à la demande des musulmans (« Donnez-nous un verset clair dans lequel Jésus dit de lui-même qu’il est Dieu ! »). Je le ferai plus loin.

Le choix des versions bibliques Certains des versets cités ci-dessus font l’objet de débats entre linguistes ou herméneutes2. Certains manuscrits, par exemple, ne répètent pas le mot « Dieu » en Jean 1 : 18, alors que d’autres le font. Nos traducteurs modernes doivent trancher. Les éditeurs des versions de Genève 1979 (NEG), « Colombe » (COL), « Semeur » (BDS), Segond 21 (S21) ou TOB ont opté pour les manuscrits comportant la répétition. Ils sont, à leurs yeux, plus « forts » que ceux qui ne la contiennent pas. En matière de critique textuelle, une règle communément admise est de privilégier « la leçon la plus difficile » : les spécialistes vont préférer un verset compliqué à un verset simple3. Il est plus probable qu’un copiste enlève un mot qui lui semble redondant plutôt qu’il en ajoute un. C’est le cas dans ce verset 2

Interprètes du texte en langue originelle.

3

Le pendant de cette règle est celle qui privilégie « la leçon la plus courte » : un copiste serait plus tenté d’ajouter du texte que d’en enlever. Ceux qui suivent cette règle choisiront plutôt l’autre traduction du verset.

45


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

en particulier. La version Darby et la Bible de Jérusalem préfèrent, malgré tout, délaisser l’emploi du mot « Dieu ». Ce choix est bien sûr respectable (certains manuscrits le soutiennent), même si ce n’est pas le nôtre. Quoi qu’il en soit, ces traductions appartiennent à des traditions confessant unanimement la divinité de Jésus. Les différences de manuscrits n’entraînent pas de débats entre catholiques, protestants et orthodoxes. Comme nous le verrons, les preuves de la divinité sont si abondantes que le dogme ne peut être remis en cause par ce type de variantes textuelles. Pour certains musulmans, ces différences prouveraient que des textes auraient été ajoutés ou retirés pour coller au dogme. Sur ce plan, ils sont d’accord avec les témoins de Jéhovah. En effet, selon certains polémistes, les chrétiens n’hésiteraient pas à mentir pour préserver le dogme de la divinité de Jésus (ou celui de la Trinité). Cette thèse est-elle plausible ? Elle le serait si nous n’étions pas, avant tout, devant un fait historique. Les manuscrits qui comportent le mot « Dieu » sont là. Et ils sont jugés « forts » par de nombreux spécialistes. À ce jour, les commentaires les plus convaincants me poussent à rejoindre les experts de la critique textuelle 4 et à accepter Jean 1 : 18 comme attestant la divinité de Jésus . 2 Pierre 1 : 1 et 1 Jean 5 : 20 méritent aussi une attention en matière de critique textuelle. Les spécialistes conservent la traduction suivante : • « notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ » (2 Pierre 1 : 1, S21, COL, etc.), et • « nous sommes unis au vrai Dieu si nous sommes unis à son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable » (1 Jean 5 : 20). Pour ce qui est des sept autres versets cités, les polémiques sont d’ordre interprétatif. Elles ne concernent pas une éventuelle présence de variantes textuelles dans les manuscrits. Jésus y est bien appelé « Dieu ». L’annexe 1 fournit une étude détaillée des versets suivants pour répondre aux allégations régulièrement rencontrées dans les controverses théologiques : Jean 1 : 18, Romains 9 : 5 ; Hébreux 1 : 8 ; 2 Pierre 1 : 1 et 1 Jean 5 : 20. Actes 20 : 28, aussi sujet à débat, prouve à merveille la divinité de Jésus. Faites donc bien attention à vous-mêmes et à tout le troupeau dont le Saint-Esprit vous a confié la responsabilité ; prenez soin de l’Église de Dieu qu’il s’est acquise par son propre sang. Actes 20 : 28, S21

Dire que Dieu saigne, c’est affirmer sans l’ombre d’un doute que Jésus est Dieu ! 4

À ce sujet, voir plus loin : « La controverse du monogenês ».

46


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

1.2. Témoignages extra-bibliques La divinité du Christ est professée par les chrétiens depuis l’apparition des premières Églises ! Ce n’est pas une nouveauté survenue dans certains manuscrits tardifs. Pline le jeune, gouverneur romain de la province de Bithynie, en parlait déjà à l’empereur Trajan. C’était en l’an 111, soit quinze ans après la rédaction du livre de l’Apocalypse : Ces chrétiens s’assemblent un jour marqué, avant le lever du soleil, et ils chantent ensemble un hymne au Christ comme à un dieu. (Lettres, X.97)

Les Romains non chrétiens percevaient les chrétiens comme des adorateurs de Jésus. Après la Bible, les plus anciens témoignages chrétiens le confirment.

Ignace d’Antioche (35–113) Dans sa lettre aux Éphésiens, Ignace d’Antioche déclare : Ignace, dit aussi Théophore, à celle qui est bénie en grandeur dans la plénitude de Dieu le Père, prédestinée avant les siècles à être en tout temps, pour une gloire qui ne passe pas, inébranlablement unie et élue dans la passion véritable du Christ, par la volonté du Père et de Jésus-Christ notre Dieu, à l’Église digne d’être appelée bienheureuse, qui est à Éphèse d’Asie, salut en Jésus-Christ et dans une joie irréprochable. (Lettre aux Éphésiens, introduction) Car notre Dieu, Jésus-Christ, a été porté dans le sein de Marie, selon l’économie divine, né « de la race de David » (Jean 7 : 42 ; Romains 1 : 3 ; 2 Timothée 2 : 8) et de l’Esprit-Saint. Il est né, et a été baptisé pour purifier l’eau par sa passion. (Lettre aux Éphésiens, XVIII.2)

La fiabilité de cet évêque est suffisamment reconnue pour qu’il soit nommé, du vivant des apôtres, responsable de l’Église d’Antioche, la plus ancienne Église après celle de Jérusalem. Il est certainement un disciple de Pierre et de Jean. Comment un homme de ce rang, vivant si près de la mort de Jésus, a-t-il pu affirmer une telle doctrine sans créer de scandale ? Tout simplement parce qu’elle correspondait à la foi d’origine ! Il répète que Christ est Dieu dans d’autres lettres (Lettre aux Smyrniotes I.1, Lettre aux Tralliens VII.1, Lettre aux Romains, introduction et 3.3, 6.3). Il le fait encore ci-après, lorsqu’il se réfère à Jésus de cette façon : « Après vous être retrempés dans le sang de Dieu » (Lettre aux Éphésiens, I.1 ; voir chap. cinq, note 10, p. 222). 47


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Irénée de Lyon (130–202) Le fameux apologète parle ainsi de Jésus dans son ouvrage Contre les hérésies : D’une part, en effet, en tant que le Verbe de Dieu était homme, issu de la racine de Jessé et fils d’Abraham, l’Esprit de Dieu reposait sur lui et il était oint pour porter la Bonne Nouvelle aux humbles ; d’autre part, en tant qu’il était Dieu, il ne jugeait pas selon l’apparence et ne condamnait pas d’après un ouï-dire – « il n’avait pas besoin qu’on lui rendît témoignage sur l’homme, parce qu’il savait ce qu’il y a dans l’homme ». (Contre les Hérésies, III.9.3)

Irénée professe donc ici la double nature de Jésus, à la fois humaine et divine. Il a lui-même reçu les enseignements de Polycarpe, un proche de l’apôtre Jean. Sa fiabilité reconnue a fait de lui l’évêque de Lyon, une 5 génération seulement après le temps apostolique . Il s’exprime encore au sujet de Dieu en ces termes dans son Exposé de la prédication des apôtres : 47. Donc le Père est Seigneur, et le Fils est Seigneur. Et le Père est Dieu, et le Fils est Dieu, car ce qui est né de Dieu est Dieu. Donc, si nous regardons l’être de Dieu, sa puissance et sa nature, nous reconnaissons qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Mais, si nous regardons l’œuvre accomplie par Dieu pour notre salut, il y a et le Père et le Fils. Car le Père de toutes choses étant invisible et impossible à atteindre, c’est par l’intermédiaire du Fils que ceux qui doivent s’approcher de Dieu arrivent au Père. 47b. David s’exprime encore plus clairement au sujet du Père et du Fils : Ton trône, ô Dieu, est depuis toujours et pour toujours. Tu as aimé la justice et tu as détesté le mal. C’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a choisi. Sur ta tête il a versé une huile de fête, plus abondamment que sur ceux qui la partagent avec toi (Psaumes 45 : 7-8). Car le Fils, qui est Dieu, a reçu du Père, c’est-à-dire de Dieu, le trône royal pour toujours et il a reçu aussi l’huile de fête plus abondamment que ceux qui la partagent avec lui. L’huile de fête, c’est l’Esprit qu’il a reçu. Et ceux qui la partagent avec lui, ce sont les prophètes, les justes, les apôtres et tous ceux qui 6 participent à sa royauté, c’est-à-dire ses disciples .

Ainsi pour Irénée de Lyon, la prédication apostolique, déléguée par Jésus lui-même (Matthieu 28 : 19-20), contenait à la fois l’affirmation de la divinité du Père et du Fils, et l’affirmation de l’engendrement divin du Fils. Ceci est un témoignage de grande valeur ! 5

Voir Don Carson, Évangile selon Jean : commentaire, Charols : Excelsis, 1991, p. 8.

6

Irénée de Lyon, Exposé de la prédication des apôtres (en ligne). URL : <www.patristique. org/sites/patristique.org/IMG/pdf/Predication.pdf> (consulté le 13/2/2020).

48


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Des auteurs mal intentionnés usent de l’ignorance de leurs lecteurs. Muhammad ’Atar’ur-Rahim et Ahmad Thomson, dans leur ouvrage 7 intitulé audacieusement Jésus, Prophète de l’Islam affirment qu’Irénée « critiquait sévèrement Paul qui était responsable d’avoir intégré dans le christianisme des idées empruntées aux religions païennes ». En réalité, Irénée a dédié une section entière au témoignage de Paul pour fonder la preuve de l’incarnation du Fils de Dieu (Contre les hérésies, III.16.3). Il a même écrit une section nommée « Contre ceux qui rejettent le témoignage de Paul » (ibid., III.15). Franchement, jusqu’où peut aller la manipulation à des fins prosélytes, parmi les apologètes musulmans ? Ces mêmes auteurs suggèrent qu’Irénée ne croyait pas en la divinité de Jésus. Or, comme nous l’avons vu, ce n’est que pure tromperie. Ils affirment : « Irénée croyait en un Dieu unique et approuvait la doctrine qui considérait Jésus comme un être humain ordinaire ». Double mensonge. Les livres sur le christianisme, présentés dans les librairies islamiques francophones, sont non seulement d’une extrême faiblesse argumentative, mais aussi contraires à l’éthique. Je le regrette, mais j’en ai fait l’expérience : ce type d’approche n’est pas une exception. C’est une pratique courante chez certains auteurs musulmans bien en vue. Les témoignages de la divinité de Jésus ne manquent pas, tous plus 8 forts les uns que les autres : De fait, ceux qui soutiennent que le Fils est le Père encourent le reproche de ne pas connaître le Père et d’ignorer que le Père de l’univers a un Fils qui, en tant que Logos et premier-né de Dieu, est Dieu lui aussi. (Justin, iie siècle, Apologie, I, 63, 14-15 – Munier, 2006, p. 299, italiques ajoutés) Le Seigneur, étant Dieu, revêtit l’homme, souffrit pour celui qui souffrait, fut enchaîné pour celui qui était captif, fut jugé pour le coupable, fut enseveli pour celui qui était enseveli. Il ressuscita des morts et déclara à haute voix : Qui disputera contre moi ? Qu’il se présente en face de moi ! C’est moi qui ai délivré le condamné ; c’est moi qui ai rendu la vie au mort ; c’est moi qui ai ressuscité l’enseveli. Qui ose me contredire ? C’est moi, dit-il, qui suis le Christ, qui ai détruit la mort, qui ai triomphé de l’adversaire, qui ai lié l’ennemi puissant, et qui ai emporté l’homme vers les hauteurs des cieux ; c’est moi, dit-il, qui suis le e Christ. (Méliton de Sardes, fin du ii siècle)

7

Muhammad ’Atar’ur-Rahim et Ahmad Thomson, Jésus, Prophète de l’Islam, Riyadh : IIPH, 2011, p. 85-86.

8

D’autres textes du iie siècle permettent également de déduire la divinité de Jésus : Lettre de Barnabé, I.7 ; V.5 ; Pasteur d’Hemas, 89.2 ; 91.5 (ainsi que 78 et 69 selon une forme modaliste) ; Ode de Salomon, 2, 41 ; Tatien, Discours aux Grecs, § 5, 7 ; À Diognète, 7, 11.

49


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

La littérature des deux premiers siècles de l’ère chrétienne contient de nombreuses citations sur la divinité de Jésus. Les héritiers directs de la prédication apostolique confirment régulièrement la primitivité du dogme de la divinité de Jésus. Les premiers dépositaires des enseignements apostoliques ont bien parlé de la divinité de Jésus, même si les musulmans lisent la Bible sans la discerner ! Les chrétiens auraient-ils confessé la divinité de Jésus à partir e e des conciles des iv et v siècles, comme certains polémistes musulmans l’avancent ? Cette idée n’est pas très sérieuse. C’est même tout le contraire ! La confession de foi de l’Église primitive est directement reliée aux données bibliques, comme nous venons de le voir. L’Église primitive confessait déjà Jésus comme Dieu.

2. JÉSUS EST APPELÉ « FILS DE DIEU »

2.1. Une expression controversée L’expression « Fils de Dieu », attribuée à Jésus, est controversée. Signifie-t-elle vraiment que Jésus est de nature divine ? Pour les musulmans, la réponse est claire : c’est non ! Puisque l’expression « Fils de Dieu » n’est pas exclusivement réservée à Jésus dans la Bible, elle ne peut pas prouver qu’il soit Dieu. Cette expression est, en effet, employée à de nombreuses reprises dans l’Ancien Testament, sans pour autant exprimer la divinité. • Elle s’applique à des personnes (Psaumes 29 : 1 ; Daniel 3 : 25) ou à des anges (Genèse 6 : 2 ; Job 1 : 6 ; 2 : 1 ; 38 : 7). • Elle s’applique aux bénéficiaires de l’alliance (2 Samuel 7 : 14 pour Salomon) et à Israël en tant que peuple (Exode 4 : 22 ; Osée 11 : 1). (Notons l’expression similaire : « Vous êtes les enfants de l’Éternel votre Dieu » en Deutéronome 14 : 1 et Osée 1 : 10.) • Le roi David est lui aussi appelé « fils de Dieu » (Psaumes 2 : 7), ainsi que le Roi-Messie à venir (Psaumes 89 : 28). • Adam est appelé « fils de Dieu » dans la généalogie de Luc 3. Tout simplement parce qu’il a été formé par Dieu à partir de la poussière du sol. Certainement, aussi, en vertu de sa qualité de premier chef d’alliance de l’humanité (tandis que Jésus est le « dernier Adam », 1 Corinthiens 15 : 45). • Dans le livre apocryphe de la Sagesse, les fils de Dieu sont les justes attachés au Seigneur (Sagesse 2 : 18 ; 5 : 5 ; 12 : 19). 50


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

• Enfin le titre a aussi été donné à des guérisseurs du ier siècle, quelques années avant Jésus, comme Onias le Juste ou Hanina ben Dosa. L’expression n’est donc pas nouvelle lorsque les auteurs du Nouveau Testament l’appliquent à Jésus. Plusieurs fois, d’ailleurs, elle n’a que le sens messianique (Marc 15 : 39 ; Jean 1 : 49-50). Quand ils l’entener daient, prononcée par Jésus ou ses disciples, les Juifs du i siècle n’y comprenaient donc probablement pas une affirmation de sa divinité. Par conséquent, lorsque Jésus est appelé « Fils de Dieu », cela signifie-t-il qu’il ne possède pas la nature divine ? D’autres passages de l’Écriture dépassent ces différents emplois et ajoutent le caractère divin dans l’expression : Toutes choses m’ont été données par mon Père, et personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père ; personne non plus ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. Matthieu 11 : 27

Mais Jésus leur répondit : Mon Père agit jusqu’à présent ; moi aussi, j’agis. À cause de cela, les Juifs cherchaient encore plus à le faire mourir, non seulement parce qu’il violait le sabbat, mais parce qu’il appelait Dieu son propre Père, se faisant lui-même égal à Dieu. Jean 5 : 17-18

Les Juifs lui répondirent : Nous avons une loi ; et, selon notre loi, il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu9. Jean 19 : 7

Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par lequel il a aussi créé le monde10. Hébreux 1 : 1-2, LSG 9

Voir Lévitique 24 : 16.

10

Certains polémistes musulmans jouent sur le sens du mot « par ». En effet, la préposition διὰ (dia) peut signifier « par » ou « pour ». Karim al Hanifi, par exemple, a employé cet argument lors du débat « Lumière sur la divinité de Jésus » que j’ai mené avec mon collaborateur Manu Goncalves du site almasih.co. Selon lui, le monde a été fait « pour » le Messie (« à cause » de lui) et non « par » le Messie (« au moyen de sa personne »). Ce glissement du « par » vers le « pour » nie la divinité du Christ. En réalité, il en est tout autrement. Dans ce cas précis, la préposition dia doit se traduire par « à cause de, par ». En effet, le sens « pour » n’est valable qu’avec l’accusatif (Wallace, op. cit., p. 409), mais dans cette phrase le mot « qui » de l’expression « par qui », et renvoyant au Fils, est au génitif. Le grec donne δι’ οὗ (di’hou) « par qui » : il s’agit de la préposition élidée διά suivie du pronom relatif οὗ (hou) au génitif. Génitif, et non accusatif, qui aurait été noté ὅν (hon) (voir Wehnam, Initiation au grec du Nouveau Testament, Paris : Bauchesne,

51


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

[…] devenu d’autant supérieur aux anges qu’il a hérité d’un nom plus excellent que le leur. Car auquel des anges Dieu a-t-il jamais dit : Tu es mon Fils, Je t’ai engendré aujourd’hui ? Et encore : Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils ? Et de nouveau, lorsqu’il introduit dans le monde le premier-né, il dit : Que tous les anges de Dieu l’adorent ! Hébreux 1 : 4-6

Mais il a dit au Fils: Ton trône, ô Dieu, est éternel; Le sceptre de ton règne est un sceptre d'équité11. Hébreux 1 : 8

Et Christ ne s’est pas non plus attribué la gloire de devenir souverain sacrificateur, mais il la tient de celui qui lui a dit : Tu es mon Fils, Je t’ai engendré aujourd’hui ! Comme il dit encore ailleurs : Tu es sacrificateur pour toujours, selon l’ordre de Melchisédek. Hébreux 5 : 5-6

En effet, ce Melchisédek, était roi de Salem, sacrificateur du Dieu Très-Haut ; il alla au-devant d’Abraham lorsqu’il revenait de la défaite des rois, il le bénit, et Abraham lui donna la dîme de tout : il est d’abord roi de justice, d’après la signification de son nom, ensuite roi de Salem, c’est-à-dire roi de paix ; il est sans père, sans mère, sans généalogie, il n’a ni commencement de jours ni fin de vie mais il est rendu semblable au Fils de Dieu ; ce Melchisédek demeure sacrificateur à perpétuité. Hébreux 7 : 1-3

Nous savons aussi que le Fils de Dieu est venu, et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le Véritable ; et nous sommes dans le Véritable, en son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable, et la vie éternelle12. 1 Jean 5 : 20

11

1997, p. 78). Ces polémistes trompent ouvertement leur auditoire, sans faire aucun cas de la grammaire. Il est donc logique que les traductions françaises s’accordent : Louis Segond et Segond 21, Semeur, Martin, Darby, Ostervald, TOB, Français courant, Jérusalem, Crampon, portent toutes « par ». Même la Traduction du Monde Nouveau des témoins de Jéhovah, si prompte à amputer le sens des textes grecs à des fins dogmatiques, conserve l’expression « par l’intermédiaire de qui ». La divinité de Jésus est indéniablement soutenue par ce verset.

Voir dans l'annexe 1 pour une explication détaillée de ce verset.

12

Au sujet de la controverse autour de 1 Jean 5 : 20, voir notre analyse dans l’annexe 1, dédiée au mot « Dieu » appliqué à Jésus.

52


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Résumons. Pourquoi les Juifs voulaient-ils tuer Jésus ? La réponse est simple : parce qu’il se faisait l’égal de Dieu en se proclamant Fils de Dieu. C’est par ce Fils que Dieu a créé le monde. C’est ce Fils que les anges doivent adorer. Ce Fils qui sera éternellement le sacrificateur céleste sans commencement de jours ni fin de vie. Ce Fils qui jouit avec le Père d’une intimité sans nulle autre pareille. Ce Fils qui révèle le Père et fait les œuvres mêmes du Père. Ce Fils qui est appelé « le Dieu véritable » et même « ô Dieu ». Être en son Fils permet d’être dans le Dieu Véritable. Si Jésus est Parole de Dieu, le second avec le Père et le Saint-Esprit dans l’unique divinité, comme nous l’indique l’Évangile selon Jean, ces affirmations s’expliquent sans difficultés. Si Jésus n’est qu’un prophète, elles revêtent au contraire un caractère problématique.

L’égal de Dieu, l’engendrement, l’héritier : réfutations des musulmans • Il est dit en Philippiens 2 : 5-6 et Jean 5 : 18 que Jésus est l’égal de Dieu. Mais le Dieu unique ne peut pas avoir d’égal, sinon il n’est plus le Dieu unique confessé par Abraham et Moïse. Croire que Jésus est Dieu est donc une forme d’idolâtrie. C’est ce que déclare le Coran. • Il est dit que Jésus a été engendré par Dieu. Il ne peut donc être Dieu lui-même : Jésus a un commencement alors que Dieu est éternel. De plus, cet engendrement ne convient pas à la nature de Dieu car « il est trop glorieux pour avoir un enfant » (Coran 4 : 171). • Il est écrit que Jésus est l’héritier du Père et que le Père lui a tout donné (Hébreux 1 : 2). Comment comprendre alors qu’il soit Dieu lui-même ? Le Coran s’oppose à toutes ces affirmations en déclarant : Dis : « Il est Allah, Unique. Allah, le Seul à être imploré pour ce que nous désirons. Il n’a jamais engendré, n’a pas été engendré non plus. Et nul n’est égal à Lui ». Coran 112 : 2

L’égal de Dieu, l’engendrement, l’héritier : réponses de la Bible • L’égalité avec Dieu. Il ne s’agit pas d’associer quelqu’un à Dieu (« association » ou shirk dans l’islam) : ce serait une idolâtrie, pour les chrétiens comme pour les musulmans. Jésus est la Parole 53


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

de Dieu, depuis toujours dans le sein du Père (Jean 1 : 18). Il partage donc la nature divine du Père sans être un autre Dieu. Il est en Dieu, il est plus qu’une propriété interne de Dieu, il est la manifestation personnelle du Dieu vivant et non un égal en dehors de lui. Je reviendrai plus en détail sur ce que signifie « Jésus, Parole de Dieu » et sur la notion d’association. Mais notons déjà que l’orthodoxie chrétienne n’a jamais considéré l’égalité de Jésus avec Dieu comme la marque de l’existence de deux divinités, mais bien comme le signe de l’unité de nature entre Dieu et celui qui est sa propre Parole. • L’engendrement du Fils. La réfutation musulmane au sujet de l’engendrement de Jésus reprend mot pour mot « l’arianisme ». Cette doctrine a été condamnée par le concile de Nicée en 325 après Jésus-Christ. Elle affirme que le Père étant le seul inengendré est aussi le seul sans commencement. En effet, puisque le Père a engendré le Fils, Jésus ne peut alors être considéré que comme une créature avec un commencement. Face à cette interprétation d’Arius, il faut rappeler quelques fondamentaux. Appliqué à Jésus, l’engendrement peut avoir quatre sens qu’il est important de distinguer. Le premier sens, et le plus facile à saisir, concerne l’idée que Jésus est né de Marie : il a été engendré dans la chair, par sa mère. Évidemment, la controverse ne porte pas sur ce sens et les chrétiens affirment unanimement que Jésus est né de Marie selon la chair. La controverse porte plutôt sur l’engendrement de Jésus en référence à Dieu le Père. Le deuxième sens vient de ce qui est dit d’Adam dans l’Évangile selon Luc. Le chapitre 3 présente la généalogie de Jésus, qui va de Joseph, son père, jusqu’à Adam. Les derniers mots sont : « fils d’Adam, fils de Dieu » (Luc 3 : 38). Ici, Adam est appelé « fils de Dieu » en vertu de l’usage ancien qui attribue à Dieu le qualitatif de père, en tant que créateur : « Cependant, ô Éternel, tu es notre père ; nous sommes l’argile, et c’est toi qui nous as formés, nous sommes tous l’ouvrage de tes mains » (Ésaïe 64 : 7). Adam a été tiré de la terre : « L’Éternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant » (Genèse 2 : 7, LSG). Jésus, lui aussi, a été créé sans l’intervention d’un père humain. Il est d’ailleurs appelé le 13 dernier Adam (1 Corinthiens 15 : 45) . Ce sens est conservé en substance par le Coran où nous lisons : « Pour Allah, ’Isa [Jésus] est comme Adam qu’Il créa de poussière, puis Il lui dit : « Sois » et il fut » (Coran 3 : 59).

13

Voir Romains 5 : 12-20 sur les vertus de Jésus-Christ comme nouvel Adam rédempteur.

54


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Le troisième sens porte sur le mot « engendré » tel que nous l’avons vu en Hébreux 1 : 4-6 et 5 : 5, où il est écrit : « Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui ! ». Cette expression provient d’un verset de l’Ancien Testament qui s’appliquait premièrement à David, et plus largement au Messie à venir : C’est moi qui ai oint mon roi sur Sion, ma montagne sainte ! Je publierai le décret ; l’Éternel m’a dit : Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, les extrémités de la terre pour possession ; tu les briseras avec une verge de fer, tu les briseras comme le vase d’un potier. Psaumes 2 : 6-9

Dans l’Ancien Testament, lorsque le roi était oint (de l’huile était versée sur sa tête), il était consacré au service de Dieu et recevait l’Esprit de Dieu pour remplir sa mission. C’est ce qui est arrivé à David : « Samuel prit la corne pleine d’huile et il en oignit David en présence de sa famille. L’Esprit de l’Éternel tomba sur David et demeura sur lui à partir de ce jour-là et dans la suite. Après cela, Samuel se remit en route et retourna à Rama » (1 Samuel 16 : 13, BDS). Dans le Nouveau Testament, l’onction n’a plus besoin d’être symbolisée par le versement d’huile. L’Esprit saint est directement déversé sur 14 le croyant sans l’intermédiaire d’un prophète médiateur . Observons ce qui est arrivé lorsque Jésus a été oint de l’Esprit saint : Dès que Jésus eut été baptisé, il sortit de l’eau. Et voici, les cieux s’ouvrirent, et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici, une voix fit entendre des cieux ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. Matthieu 3 : 16-17

Comme David, Jésus est appelé « Fils de Dieu » au moment où l’Esprit de Dieu vient sur lui d’une manière spéciale ou, dit autrement, au moment où Dieu révèle son alliance avec lui. C’est aussi le cas pour tous les chrétiens, quand ils reçoivent le Saint-Esprit, car il est écrit : Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Romains 8 : 14

14

Après sa résurrection, Christ lui-même est le médiateur de la nouvelle alliance. Il envoie l’Esprit saint sur toutes les générations de croyants jusqu’à la fin du monde (Hébreux 12 : 24 ; Luc 3 : 16 ; Jean 15 : 26).

55


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Et vous n’avez point reçu un esprit de servitude, pour être encore dans la crainte ; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, par lequel nous crions : Abba ! Père ! L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, afin d’être glorifiés avec lui. Romains 8 : 15-17

La Bible se réfère donc très nettement à une filiation spirituelle des croyants, ce que le Coran semble ignorer : Créateur des cieux et de la terre. Comment aurait-Il un enfant, quand Il n’a pas de compagne ? C’est Lui qui a tout créé, et Il est Omniscient. Coran 6 : 101

D’après ce verset coranique, les musulmans mentionnent un engendrement charnel de Jésus ; ils pensent, à tort, que les chrétiens partagent ce point de vue. En réalité, être enfant de Dieu signifie avoir reçu son Esprit. Il s’agit d’un engendrement spirituel et d’une alliance entre Dieu et l’homme. Jésus, dans son incarnation, a vécu ce moment comme nous sommes appelés à le vivre à sa suite ! Comment comprendre l’idée de l’engendrement spirituel du Fils ? Grâce aux versets suivants : Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Lorsqu’il profère le mensonge, il parle de son propre fond ; car il est menteur et le père du mensonge. Et moi, parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas. Qui de vous me convaincra de péché ? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Celui qui est de Dieu, écoute les paroles de Dieu ; vous n’écoutez pas, parce que vous n’êtes pas de Dieu. Jean 8 : 44- 47

Bien entendu, les chefs religieux juifs qui voulaient faire mourir Jésus n’étaient pas les enfants du diable au sens charnel. Jésus dit seulement qu’ils sont remplis de l’esprit du diable puisque, comme leur père, ils sont menteurs et meurtriers. En résumé, celui qui a reçu l’Esprit de Dieu est fils de Dieu et celui qui a reçu l’esprit du diable est fils du diable – tout simplement. Au regard de cette conception de l’engendrement, Jésus n’est pas le seul fils de Dieu, nous le sommes aussi ! Précisons que la Bible appelle les croyants les fils adoptifs (Éphésiens 1 : 5) et non les propres fils de 56


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Dieu, comme Jésus (Romains 8 : 32). Mais Jésus possède, en tant que Fils de Dieu, des qualités divines que le reste des hommes ne possède pas (éternité, préexistence glorieuse, dignité d’être adoré, créateur du monde, etc.). C’est à ce propos que je dois mentionner le quatrième sens entendu lorsque Jésus est dit être engendré de Dieu. Le quatrième et dernier sens est le plus polémique. Il concerne les dogmes de filiation divine de Jésus et de l’engendrement éternel du Fils. Il est notamment rendu dans le Symbole dit de Nicée-Constantinople, texte issu des deux premiers conciles œcuméniques (325 et 381 apr. J.-C.). Il e offre une synthèse de la foi chrétienne au iv siècle. Nous y lisons ceci : Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible. Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles. Il est Dieu, né de Dieu, lumière, né de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu, engendré, non pas créé, de même nature que le Père, et par Lui tout a été fait.

Pourquoi les chrétiens du ive siècle déclarent-ils que Jésus est « vrai Dieu, né du vrai Dieu, engendré, non pas créé » ? Selon le texte biblique, Jésus n’est pas devenu Fils de Dieu quand il a été revêtu de l’Esprit saint, lors de son baptême par Jean-Baptiste (Marc 1 : 11). À sa naissance déjà, il était Fils de Dieu, né de l’Esprit saint : « Le Saint-Esprit viendra sur toi (Marie), et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le Saint Enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu » (Luc 1 : 35). Le baptême de Jésus confirme son état initial de Fils et institue la manière dont les chrétiens seront eux-mêmes faits fils : par le baptême dans le Saint-Esprit. Plus décisif encore, le Nouveau Testament déclare que Jésus préexiste comme Fils unique de Dieu, avant sa naissance dans la chair et avant la création du monde dans le sein du Père. Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l’a fait connaître. Jean 1 : 18

Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père. Jean 1 : 14

Jésus a lui-même dit à ce sujet : Et maintenant toi, Père, glorifie-moi auprès de toi-même de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde soit. Jean 17 : 5

57


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Dieu a condamné le péché dans la chair, en envoyant, à cause du péché, son propre Fils dans une chair semblable à celle du péché. Romains 8 : 3

Jésus est donc depuis toujours le Fils de Dieu, un Fils unique en son genre qui partage avec le Père l’essence divine (Hébreux 1 : 2). En bref, Jésus est : • Fils de Marie, sa mère selon la chair (Matthieu 1 : 18). • Fils de Dieu comme Adam, au sens d’une créature de Dieu venue au monde sans père humain (Luc 3 : 38). • Fils de Dieu comme Messie revêtu du Saint-Esprit (Matthieu 3 : 17 ; Romains 8 : 14). • Fils éternellement engendré par le Père (Jean 1 : 18 ; Hébreux 1 : 2 ; Jean 17 : 5 ; Proverbes 8). Par conséquent, si Jésus est Fils de Dieu de toutes les manières qu’un homme puisse l’être, il l’est aussi d’une manière qu’aucun homme ne peut l’être. C’est la raison pour laquelle il est qualifié de « Fils unique », lui qui seul est la Parole par qui tout a été fait (Jean 1 : 3-4). Enseignons à nos amis musulmans à distinguer chacun de ces sens, afin de prolonger le dialogue en accord avec les Écritures.

2.2. La controverse du monogenês Pour mieux saisir les enjeux de notre discussion, arrêtons-nous un instant sur le terme monogenês. Traduit dans nos Bibles modernes par « Fils unique », il a pris une place de première importance dans l’Église e à partir du iv siècle. Nous le trouvons dans la Bible en Jean 1 : 14 (cité plus haut), mais aussi en Jean 1 : 18 ; 3 : 16, 18 et 1 Jean 4 : 9. Le terme a longtemps été traduit « seul (mono) engendré (gennaô) ». Le théologien Wayne Grudem déclare à ce sujet : Les travaux linguistiques du 20 e siècle ont montré que la deuxième moitié du mot était moins étroitement apparentée au mot gennaô (engendrer, porter) qu’au mot genos (classe, genre). Le mot signifierait donc « fils unique en son genre ». […] L’idée de « seul engendré » n’aurait pas été rendue en grec par monogenês mais par monogenetos.

Aujourd’hui, les Bibles comportent assez majoritairement « fils unique » et non « fils seul engendré ». Cela remet-il en cause le dogme de l’engendrement éternel du Fils ? Il est possible d’imaginer qu’à partir de la traduction « seul engendré », les pères nicéens de l’Église, qui parlaient 58


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

latin et non grec, auraient élaboré à tort la théologie de la génération éternelle du Fils ou, dit autrement, du fils éternellement engendré. Pour arriver à cette conclusion, ils ont en effet rapproché cette notion d’engendrement que nous avons vue, de l’ensemble des versets de la Bible dans lesquels il est dit que Jésus est sorti de Dieu (Jean 16 : 28 ; 8 : 23 ; 1 : 9, 14 ; 1 : 18 ; Philippiens 2 : 5-7 ; Ésaïe 55 : 10-11). Ce débat linguistique du temps de l’Église primitive n’est pas parvenu jusqu’à nous. e

Ce sont les pères nicéens qui ont unanimement conclu, au iv siècle, que Jésus est le Fils éternellement engendré ou du moins le Fils engendré avant la création. Si l’on estime que Jean 1 : 18 a été mal traduit (ce que je ne crois pas), les pères nicéens n’ont pourtant pas fait d’erreur théologique en s’y référant. En effet, l’idée d’une génération éternelle du Fils est incluse tout entière dans le titre de Fils. La théologie des pères grecs n’est pas établie sur le seul verset de Jean 1 : 18. La Bible dit que Jésus est « sorti de Dieu » (Jean 16 : 28), qu’il est « venu du Père » (Jean 1 : 18), qu’il est la « Parole de Dieu » possédant la nature divine (Jean 1 : 1) et encore qu’il est le « Fils de Dieu » présent avant la création du monde (Jean 17 : 5). De plus, c’est « par ce Fils que Dieu a créé tout l’univers » (Hébreux 1 : 2), le Fils est « dans le sein du Père » (Jean 1 : 18) et « auprès » du Père « avant que le monde fut » (Jean 17 : 5). Les termes « Père » et « Fils » suggèrent en soi un engendrement. Et puisque cet engendrement n’a pas de commencement, la notion d’engendrement éternel est la plus appropriée. Toutefois, cette thèse n’est pas la seule et l’histoire du dogme révèle qu’elle a eu pour adversaire principal l’arianisme, déjà évoqué. En 312, Arius (256–336), prêtre d’Alexandrie, a commencé à professer une doctrine qui a provoqué une crise théologique majeure : Puisque Dieu le Père est seul inengendré, soutenait Arius, il faut lui reconnaître une existence antérieure à celle du Verbe (terme désignant le Fils de Dieu dans l’Évangile de Jean) : sinon il y aurait deux « inengendrés », ce qui serait contradictoire avec l’unicité de Dieu ; il y a donc eu un temps où le Verbe n’existait pas. En outre, si on le dit Fils de Dieu, il ne peut s’agir que d’une filiation adoptive et non pas naturelle ; celui qui engendre perd en effet quelque chose de sa substance, ce qui est inconcevable pour Dieu ; le Verbe est donc une créature tirée du néant, ce qui ne l’empêche pas d’avoir été exceptionnelle par la sainteté et par sa qualité d’intermédiaire entre Dieu et l’humanité, qu’il a précédé dans l’existence. On ne peut en conséquence adorer le Christ, puisqu’il n’est pas Dieu15.

Si la pensée d’Arius aboutit inévitablement à la négation de la divinité du Christ, elle entérine toutefois l’idée d’une filiation qui démarre avant 15

Théo : L’encyclopédie catholique pour tous, Limoges : Droguet Ardant, 1989, p. 320.

59


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

l’existence humaine. Aujourd’hui, les témoins de Jéhovah, sur les traces d’Arius, voient en Jésus-Christ l’incarnation de l’ange Mickael, ange dont Jéhovah se serait servi pour créer le monde. Ainsi, que Jésus-Christ soit considéré comme une créature surnaturelle participant à la création de l’univers ou comme le Verbe éternel et incréé de Dieu, sa préexistence était la pensée courante dans les premiers siècles de l’Église. La thèse arienne sera balayée par le concile de Nicée (en 325) qui aboutira à la formule suivante : Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, Créateur de toutes choses visibles et invisibles. Et en un seul Seigneur JésusChrist, Fils unique de Dieu, engendré du Père, c’est-à-dire, de la substance du Père. Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré et non fait, consubstantiel au Père ; par qui toutes choses ont été faites au ciel et en la terre. Qui, pour nous autres hommes et pour notre salut, est descendu des cieux, s’est incarné et s’est fait homme ; a souffert et est mort crucifié sur une croix, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, et viendra juger les vivants et les morts. Et au Saint-Esprit.

À cette confession s’ajoute une précision importante : Pour ceux qui disent : « Il fut un temps où il n’était pas » et « Avant de naître, il n’était pas », et « Il a été créé à partir du néant », ou qui déclarent que le Fils de Dieu est d’une autre substance (hypostasis) ou d’une autre essence (ousia), ou qu’il est créé ou soumis au changement ou à l’altération, l’Église catholique et apostolique les anathématise.

La lecture du chapitre huit des Proverbes, sur l’engendrement de la sagesse « depuis l’éternité » (Proverbes 8 : 22-31), a été, parmi d’autres, un appui scripturaire en faveur de l’engendrement éternel. Les pères de l’Église voyaient dans cette sagesse personnifiée, née « depuis l’éternité », une description du Fils de Dieu lui-même. Le concile de Nicée va donc clairement établir, à partir des données bibliques, que le Père et le Fils sont « consubstantiels », c’est-à-dire de même nature divine. La Bible ne mentionne pas littéralement un engendrement éternel du Fils. Mais tous les éléments passés en revue ont poussé, et poussent aujourd’hui encore, l’écrasante majorité des chrétiens à conclure que le Fils est éternellement engendré par le Père. La théologie des pères nicéens, selon laquelle Jésus est coexistant, coéternel et de même nature que le Père, est tout à fait correcte bibliquement. L’idée que Jésus soit « Dieu issu de Dieu », selon un engendrement continuel de son être, est tout aussi biblique. Le Symbole dit de Nicée-Constantinople (381), mentionné plus haut, confirme et affine encore le dogme : 60


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Je crois en un seul Dieu, le Père Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible. Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles16. Il est Dieu, né de Dieu, lumière, né de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu, engendré, non pas créé, de même nature que le Père, et par Lui tout a été fait.

Si le terme monogenês n’avait rien à voir avec l’idée d’engendrement, il faudrait tout de même conclure que l’expression « Fils éternellement engendré » rend correctement compte des données du texte biblique. Malgré l’avis de beaucoup de théologiens modernes sur l’étymologie de monogenês, tous les spécialistes ne jettent pas aux oubliettes la traduction traditionnelle « Fils unique engendré ». Henri Blocher écrit, par exemple, au sujet de monogenês theos (Dieu le Fils unique) : « L’expression confirme que monogenês évoque la génération, car accolé à theos, il ne suffirait pas pour désigner le Fils s’il ne 17 signifiait qu’« unique » (Dieu unique ne spécifierait pas) ». En effet, l’étymologie ne fait pas tout, et l’emploi d’un mot prend son sens tant dans le contexte littéraire que dans le contexte historique. • Concernant l’aspect littéraire, il serait impossible de traduire Jean 18 1 : 18 « Dieu unique qui est dans le sein du Père ». Les traducteurs s’accordent plutôt sur : « Dieu le Fils unique, qui est dans le sein du Père », même si le mot « Fils » n’apparait pas dans le texte grec. En effet, dans le Nouveau Testament, le mot monogenês fait toujours référence au Fils, ou plus largement à la filiation19. L’expression « frère unique », par exemple, ne se rencontre pas dans nos textes. Cela montre clairement que l’engendrement est au minimum supposé par monogenês. En Jean 1 : 18, celui qui est engendré est bel et bien de nature divine. • Concernant l’aspect historique, il est notoire qu’un terme peut revêtir un sens qui surpasse la seule étymologie à une période donnée. L’exemple du mot « attentat », aujourd’hui très connoté, pour-

16

La formule « avant tous les siècles » n’est pas une invention des conciles, mais reprend une formule déjà présente chez Ignace d’Antioche au premier siècle, dans sa lettre aux Magnésiens : « Jésus-Christ, qui avant les siècles était auprès de Dieu, et s’est manifesté à la fin » (Magn. VI.1). Cette mention parmi d’autres atteste la primitivité de la foi en la préexistence de Jésus.

17

Henri Blocher, op. cit., p. 127 ; voir l’annexe n° 1.

18

Les manuscrits remplaçant monogenês theos par monogenês huios (voir l’annexe n° 1) sont probablement le fruit d’une correction indue pour lever la difficulté apparente.

19

Luc 7 : 12 ; 8 : 42 ; 9 : 38 ; Jean 1 : 14, 18 ; 3 : 16, 18 ; Hébreux 11 : 17 ; 1 Jean 4 : 9.

61


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

rait nous l’enseigner20. La question n’est pas seulement de savoir ce que l’étymologie nous apprend, mais de savoir quel sens donnaient les premiers chrétiens destinataires de l’Évangile, à monogenês. Peu de sources, en dehors de la Bible datant des ier et iie siècles, s’intéressent spécifiquement à la question du terme monogenês. Les er débats surgiront de la crise arienne. Chez les pères apostoliques (i e et ii siècles), Jésus est l’engendré de Dieu, le Fils de Dieu et même Dieu, comme nous l’avons vu précédemment.

Les pères avant Nicée e

Avant les grands conciles du iv siècle, que disaient les pères de l’Église au sujet du « Fils unique » ?

Ignace d’Antioche (35–107 ou 113) Ignace, dit aussi Théophore, à l’Église qui a reçu miséricorde par la magnificence du Père très haut et de Jésus-Christ son Fils unique, l’Église bien-aimée et illuminée par la volonté de celui qui a voulu tout ce qui existe, selon la foi et l’amour pour Jésus-Christ notre Dieu ; l’Église qui préside dans la région des Romains, digne de Dieu, digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom du Père ; je la salue au nom de Jésus-Christ, le fils du Père ; aux frères qui, de chair et d’esprit, sont unis à tous ses commandements, remplis inébranlablement de la grâce de Dieu, purifiés de toute coloration étrangère, je leur souhaite en Jésus-Christ notre Dieu toute joie irréprochable. (Lettre aux Romains, I.1)

Jésus est à la fois nommé Fils unique, Fils du Père et Dieu, par deux fois dans le même texte. Il y a ici une conformité exacte avec les données de l’Évangile selon Jean, où Jésus est nommé Dieu et Fils unique comme une seule et même identité. Plus important encore : Il n’y a qu’un seul médecin, à la fois chair et esprit, fait engendré et non engendré Dieu chair, vraie vie au sein de la mort, né de

20

Du latin attentatus, participe passé de attentare (« porter la main sur », « attenter »). Le verbe se compose du préfixe ad– (« vers ») et de temptare (« toucher »). À ce sujet, lire l’article très instructif suivant : Gilles Malandain, « Les sens d’un mot : “attentat”, de l’Ancien Régime à nos jours », La Révolution française, 2012, n° 1 (en ligne). URL : <https://journals.openedition.org/lrf/368> (consulté le 13/2/2020).

62


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Marie et de Dieu, d’abord passible et maintenant impassible, Jésus-Christ Notre-Seigneur. (Lettre aux Éphésiens, VII.2)21 Jésus-Christ qui était auprès du Père avant les siècles et qui s’est révélé à la fin des temps. (Lettre aux Magnésiens VI.2)

Il n’y a pas de doute, Jésus est Dieu fait chair, Fils inengendré, auprès du Père avant les siècles ! Nous avons bien, ici, plus de deux siècles avant le concile de Nicée, l’affirmation de l’engendrement éternel du Fils.

Irénée de Lyon (130–202) Irénée souligne non seulement la divinité du Fils, mais aussi sa préexistence et sa double nature, humaine et divine. Dans sa section appelée « Il fallait que le Fils de Dieu se fit vraiment homme pour sauver l’homme », il déclare : Il a donc mélangé et uni, comme nous l’avons déjà dit, l’homme à Dieu 22. Car si ce n’était pas un homme qui avait vaincu l’adversaire de l’homme, l’ennemi n’aurait pas été vaincu en toute justice. D’autre part, si ce n’était pas Dieu qui nous avait octroyé le salut, nous ne l’aurions pas reçu d’une façon stable. Et si l’homme n’avait pas été uni à Dieu, il n’aurait pu recevoir en participation l’incorruptibilité. Car il fallait que le « Médiateur de Dieu et des hommes », par sa parenté avec chacune des deux parties, les ramenant l’une et l’autre à l’amitié et à la concorde, en sorte que tout à la fois Dieu accueillît l’homme et que l’homme s’offrît à Dieu. Comment aurions-nous pu en effet avoir part à la filiation adoptive à l’égard de Dieu, si nous n’avions pas reçu, par le Fils, la communion avec Dieu ? Et comment aurions-nous reçu cette communion avec Dieu, si son Verbe n’était pas entré en communion avec nous en se faisant chair ? C’est d’ailleurs pourquoi il est passé par tous les âges 21

« Qu’il suffise ici de souligner que le vocabulaire théologique – genitum non factum – tel qu’il se fixera au concile de Nicée (325) n’a pas encore cette précision au début du second siècle. Saint Athanase, qui a pris une telle part à l’élaboration de ce vocabulaire, reconnaît, en s’y arrêtant, la parfaite orthodoxie du texte de S. Ignace : le sens qu’Ignace a en vue, nous dit-il, n’est pas celui-ci : “qui n’a aucune cause, aucun principe”, mais bien celui-ci : “non fait, non créé, éternel”. Emprunté à la langue philosophique grecque, le terme inengendré d’Ignace se rapporte à l’essence divine, sans envisager le mystère de la génération du Verbe procédant du Père », Sœur Gabriel Peters, Les Pères apostoliques, 2e partie : « Ignace d’Antioche » (en ligne). URL : <www.patristique.org/ Les-Peres-apostoliques-II-Ignace-d-Antioche.html#nb24> (consulté le 1/10/2018).

22

Il n’y a pas ici l’affirmation d’un mélange de type monophysite, mais plutôt une formule que le reste de l’argumentation d’Irénée pousse à considérer comme une définition archaïque de ce qui sera nommée, plus tard, « l’union hypostatique », c’est-à-dire l’affirmation de la double nature du Christ, sans fusion ni mélange dans l’essence porté par l’unique personne du Verbe de Dieu.

63


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

de la vie, rendant par là à tous les hommes la communion avec Dieu. (Contre les Hérésies III, 18, 7)

Irénée oppose ici la filiation adoptive des croyants à la filiation du Fils unique, qui est de parenté avec Dieu. Il semble donc qu’Irénée considérait Jésus comme un membre de la famille divine au sens d’une consubstantialité, une égalité de nature. Il poursuit encore en disant : Il adresse ces paroles à ceux qui, refusant de recevoir le don de la filiation adoptive, méprisent cette naissance sans tache que fut l’incarnation du Verbe de Dieu, privent l’homme de son ascension vers Dieu et ne témoignent qu’ingratitude au Verbe de Dieu qui s’est incarné pour eux. Car telle est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l’homme : c’est pour que l’homme, en se mélangeant au Verbe et en recevant ainsi la filiation adoptive, devienne fils de Dieu. Nous ne pouvions en effet avoir part à l’incorruptibilité et à l’immortalité que si nous étions unis à l’incorruptibilité et à l’immortalité. Mais comment aurions-nous pu être unis à l’incorruptibilité et à l’immortalité, si l’Incorruptibilité et l’Immortalité ne s’étaient préalablement faites cela même que nous sommes, afin que ce qui était corruptible fût absorbé par l’incorruptibilité, et ce qui était mortel, par l’immortalité, « afin que nous recevions la filiation adoptive » ? (Contre les Hérésies, III, 19, 1)

Irénée en déclarant que « le Verbe s’est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l’homme » montre que la filiation entre Jésus le Fils unique et le Père préexiste à son humanité. Pour Jésus, « être » Fils de Dieu est autre chose que « se faire » Fils de l’homme : l’un concerne son identité préexistante, l’autre une condition assumée en seconde instance. Notre filiation adoptive n’est que le reflet d’une filiation archétypale, originelle et éternelle. Le Fils est donc engendré avant d’exister en tant qu’homme, il existe donc comme Fils avant la fondation du monde (Hébreux 1 ; Jean 1 : 14 ; 17 : 5 ; Michée 5 : 2 ; Philippiens 2 : 5-7). C’est donc dès l’origine que les chrétiens ont discerné un engendrement bien particulier pour le Fils de Dieu, un engendrement sans commencement puisqu’au commencement était le Verbe (Jean 1 : 1), lui le Fils unique par l’intermédiaire de qui tout est venu à l’existence (Hébreux 1 : 2). Cette foi s’est ensuite traduite très explicitement dans la confession de foi de Nicée (325), puis à Constantinople (381), par l’expression : « Le Fils unique de Dieu, engendré du Père avant tous les siècles ». er e Face à la montée croissante des hérésies entre le i et le iv siècle, cette formulation a permis de réunir dans un texte synthétique et donc accessible, la foi transmise par les apôtres et partagée par les responsables

64


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

des Églises dispersées dans l’Empire romain, comme Ignace d’Antioche et Irénée de Lyon. Pour résumer, je partage le point de vue d’Henri Blocher, même s’il n’est pas celui du plus grand nombre aujourd’hui : • L’étymologie ne détermine pas tout. • Il y a, dans l’usage, une association privilégiée de monogenês avec la filiation : on ne rencontre pas, par exemple, « frère monogenês ». • Pour que monogenês theos désigne le Fils, il faut que monogenês ne signifie pas seulement « unique » ! • Je crois aussi que, pour les premiers chrétiens, monogenês était intimement lié à la génération, et que les pères nicéens n’ont fait que traduire en langage nouveau la pensée du Nouveau Testament, par nécessité apologétique. Faut-il alors utiliser l’expression « Fils éternellement engendré » lors d’une discussion avec les musulmans ? Bien que, dans la plupart des cas, ce ne soit pas une priorité, il semble que oui. Mais assurons-nous d’abord que nos interlocuteurs musulmans ont compris qu’à aucun moment, cet engendrement ne signifie une forme de création ou d’engendrement de type animal. Il faut également bien leur expliquer que l’engendrement ne produit pas un autre Dieu qui serait associé au Père, mais plutôt que Dieu est en lui-même Père, Fils et Saint-Esprit depuis toujours. L’engendrement du Fils et la procession du Saint-Esprit n’impliquent aucunement un ordre dans le temps ou une différence de dignité entre les trois personnes divines. Elles sont toutes consubstantielles, c’est-à-dire de même nature divine et coéternelles. L’ordre trinitaire en Dieu est un ordre de type logique, de sorte que le Père seul engendre, que le Fils seul est engendré, et ce, depuis l’éternité. De même, seul l’Esprit saint procède du Père et du Fils et ce, depuis toujours. Ces éléments sur l’engendrement du Fils sont fondamentaux, car, dans l’islam, le plus grand péché est décrit dans le Coran selon ces termes : Parmi les hommes, il en est qui prennent, en dehors d’Allah, des égaux à Lui, en les aimant comme on aime Allah. Or les croyants sont les plus ardents en l’amour d’Allah. Quand les injustes verront le châtiment, ils sauront que la force tout entière est à Allah et qu’Allah est dur en châtiment ! Coran 2 : 165

Pour un musulman, l’adoration de Jésus-Christ entre dans ce qu’on appelle l’association (shirk) : donner à Allah des égaux qu’on lui associe dans l’adoration. 65


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Dans l’islam, ce péché est pire que le meurtre : Et tuez-les, où que vous les rencontriez ; et chassez-les d’où ils vous ont chassés : l’association est plus grave que le meurtre. Mais ne les combattez pas près de la Mosquée sacrée avant qu’ils ne vous y aient combattus. S’ils vous y combattent, tuez-les donc. Telle est la rétribution des mécréants. Coran 2 : 191

Cette pensée n’est pas loin de ce que la Bible affirme : […] eux qui ont changé la vérité de Dieu en mensonge, et qui ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur, qui est béni éternellement. Amen ! Romains 1 : 25

La différence étant que le Nouveau Testament n’invite jamais à tuer le mécréant ! Nous devons souligner que Jésus est « sorti du Père » (Jean 16 : 28), qu’il est « dans le sein du Père » (Jean 1 : 18), qu’il est la « Parole de Dieu » qui vient de Dieu afin que les musulmans découvrent que Jésus n’est pas un égal pris « en dehors d’Allah » (Coran 2 : 165), mais le Verbe de Dieu qui est « dans le sein du Père » (Jean 1 : 18) depuis toujours.

2.3. Nous récoltons le fruit d’une hérésie chrétienne D’où provient le reproche du Coran aux chrétiens ? C’est peutêtre le fruit d’un manque de compréhension des chrétiens euxe mêmes, de ce que les pères de l’Église ont appelé, au iv siècle, « l’engendrement éternel du Fils ». Nous savons aujourd’hui que les chrétiens présents en Arabie préislamique avaient adopté le monophysisme ou le nestorianisme (voir plus loin). Ils étaient donc de piètres pédagogues pour initier les habitants de cette région à la foi chrétienne.

Sur ce point, l’islamologue Christine Shirrmacher, sur la base d’études réalisées par plusieurs spécialistes (Paret, Müller, Busse, Risse), déclare dans un paragraphe dédié au christianisme dans la péninsule Arabique préislamique : Quant à l’Arabie du sud, elle était surtout influencée par l’Abyssinie (Éthiopie) chrétienne située sur l’autre rive de la mer Rouge : tout comme à Byzance, le christianisme y avait été proclamé religion e d’État au iv siècle. De là, il s’est diffusé vers le sud de l’Arabie. […] Il y avait un important groupement chrétien à Najran, composé de « plusieurs nationalités et dénominations, de Grecs, de Syriens, 66


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

d’Éthiopiens (monophysites) et de nestoriens ». En outre, il y eut, semble-t-il, en Arabie du Nord-Est, en Syrie, au Hedjaz et au Yémen, des groupements chrétiens marqués par le nestorianisme, de sorte qu’au ive siècle au plus tard, le christianisme a dû être présent dans la totalité de la péninsule arabique. […] Malgré la présence chrétienne par fois numériquement importante en Arabie, il faut sans doute partir du principe que Mohammed n’a jamais fait connaissance d’un christianisme vivant, fondé sur la Bible et axé sur la mission, conformément au Nouveau Testament. En revanche, on peut considérer comme certaine l’influence en Arabie d’enseignements particuliers, tels que le monophysisme, et cela est particulièrement vrai pour le Sud de l’Arabie. Le nestorianisme, établi en Mésopotamie, a dû prédominer en Irak. L’influence du monophysisme, tout comme celle du nestorianisme, est attestée dans le Coran, qu’on peut considérer comme un reflet de la doctrine chrétienne du vivant de Mohammed. W. Montgomery Watt a signalé à juste titre qu’en dehors de la crucifixion (traitée en un seul verset), d’une simple allusion aux disciples de Jésus et à quelques-uns de ses miracles, le Coran ne contient aucune des doctrines fondamentales de Jésus telles qu’on les trouve dans le Nouveau Testament et en particulier son message de salut. […] On doit donc reconnaître une tragique défaillance de l’Église chrétienne des premiers siècles dans le fait que la mission n’ait manifestement pas su apporter la doctrine chrétienne sans 23 falsification dans les régions pourtant voisines de la Palestine .

De même, l’introduction de l’Encyclopédie thématique de l’islam, rédigée par l’érudit musulman Tahar Gaïd, enseigne ceci : La chrétienté s’était également implantée dans les tribus de Ghassâne et de Qadâ’a au nord de l’Arabie et au Yémen, dans la partie sud de la péninsule. Elle pénétra dans le pays arabe au ive siècle grâce, au nord par la Syrie aux empereurs de l’État romain, et au sud par la voie de l’Abyssinie. Cependant, les promoteurs de cette religion ne prirent pas entièrement à leur charge sa diffusion et n’y consacrèrent pas de grands efforts. Ce fut pourquoi le christianisme n’attira pas de nombreux adeptes. À cette époque, il était divisé en plusieurs sectes dont les principales étaient l’arianisme (Arius) qui rejetait la théorie de la divinité de Jésus, le nestorianisme qui sépare les deux natures de Jésus (c’était un homme qui devint Dieu), et enfin le monophysisme qui n’attribuait à Jésus que la seule nature divine. 23

Christine Schirrmacher, L’Islam : doctrines, islam et christianisme, Charols : Excelsis, 2016, p. 21-23.

67


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Les divergences aiguës, qui les opposaient, obscurcirent leur doctrine au point que les Arabes ne s’aventurèrent pas trop à en déceler les rouages pour opter pour l’une ou l’autre. Najran était le centre le plus important de la chrétienté. C’était une région fertile et peuplée. Les habitants s’adonnaient à l’agriculture, au tissage de la soie et au commerce du cuir et des armes24.

Enfin, Meryem Sebti, chargée de recherche au CNRS, et Daniel de Smet, directeur de recherche au CNRS, vont eux aussi dans le sens d’une présence chrétienne de type non biblique : La présence chrétienne est très ancienne dans les régions désertiques de la Palestine, sous des évêques itinérants et dans le royaume nabatéen. Pétra est le siège d’un évêché dès le quatrième siècle ; un tombeau royal y a été converti en cathédrale. À l’époque romaine, de nombreux commerçants arabes ont immigré en Syrie. Ils se sont massivement convertis à un christianisme hétérodoxe : monophysite, nestorien, manichéen. Les Ghassanides, des cheiks arabes sympathisants avec la cause monophysite, y ont fondé un royaume nomade à partir du quatrième siècle. À la suite des persécutions byzantines, de nombreuses communautés chrétiennes hétérodoxes, ainsi que des manichéens, se sont enfuis en Iran, surtout dans la ville d’Al-Hira, près de l’Euphrate. Cela explique la composition mixte, monophysite et nestorienne de sa population. Les rois Lakhmides d’Al-Hira ont étendu, sous tutelle persane, leur pouvoir au Golfe (Bahreïn, Qatar et les actuels Émirats), où ont prospéré églises et couvents et où s’est développée une importante littérature syriaque. Par ailleurs, Mani lui-même a fait de la capitale Sassanide, SéleucieCtésiphon (près de l’actuel Bagdad), le centre de son action et de son Église. À partir de là, il a fondé dans le Golfe une communauté qui a servi à son tour de base de départ pour sa mission aux Indes. Ces manichéens du Golfe ont essayé de convertir leurs frères de l’Arabie centrale et occidentale. C’est ainsi que le manichéisme s’est répandu au cours du quatrième siècle en Égypte. Ainsi, tout au long du quatrième siècle, il y avait à la Mecque une forte présence chrétienne et probablement manichéenne. Quand Mohammed entra triomphant dans la Ka’ba, on y découvrit des images d’Abraham, de Marie et de 25 l’enfant Jésus .

24

Tahar Gaïd, Encyclopédie thématique de l’islam, vol. 1 : introduction, 2010, p. 24.

25

Meryem Sebti et Daniel de Smet, 100 fiches pour comprendre l’islam, Levallois-Perret : Bréal, 2015, p. 12-13.

68


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Il semble donc que les chrétiens que fréquentait Mohammed ne confessaient pas le même Christ que nous ou que celui des pères de l’Église. Leur théologie était éloignée des données du texte biblique. À ce sujet, Christine Shirrmacher déclare encore : Tant qu’on n’aura pas trouvé de sources convaincantes, allant dans un autre sens, on peut admettre qu’à Médine, comme à la Mecque, il n’existait pas de communauté chrétienne26 et que les chrétiens – dont certains étaient manifestement orientés de manière unilatérale dans leurs enseignements – n’avaient pas accès à une traduction arabe complète de la Bible. Depuis e le viii siècle, les chrétiens de langue syriaque ne possédaient que des versions arabes des Évangiles, traduits pour une part du grec, pour une autre de la peshitta syriaque et pour une troisième du copte bohaïrique, ainsi que quelques recensions sélectionnées, provenant du patriarcat d’Alexandrie entre autres origines.

Le Jésus qu’ils professaient n’était pas une personne possédant deux natures, l’une divine et l’autre humaine. Ainsi, les chrétiens présents dans cette région n’étaient pas les mieux placés pour présenter la personne de Christ aux populations qui allaient devenir musulmanes. Leurs erreurs théologiques ont sûrement donné lieu à un refus, par les musulmans, de la doctrine faussement chrétienne qu’ils professaient. Le Coran semble rejeter la Trinité en déclarant : Croyez donc en Allah et en Ses messagers. Et ne dites pas : « Trois ». Cessez ! Ce sera meilleur pour vous. Allah n’est qu’un Dieu unique. Coran 4 : 171

Le rejet en question concerne toutefois plutôt une forme de trithéisme (triade de dieux) que la théologie trinitaire elle-même. La Trinité n’est en tout cas jamais décrite dans le texte coranique selon les termes traditionnels de la foi chrétienne. Malgré les controverses théologiques qui ont traversé l’histoire du dogme, personne n’est jamais parvenu à attaquer la cohérence interne du texte biblique lui-même. Impressionnant, n’est-ce pas ? L’Écriture en elle-même reste d’une grande clarté et d’une grande précision au sujet du Fils. Les mauvaises traductions – s’il y en a – ou encore les interprétations erronées n’ont pas pu remettre en cause l’orthodoxie biblique au sujet de la divinité de Christ. 26

La présence chrétienne dans ces régions étant plutôt le fait de nomades et de commerçants que de communautés installées.

69


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Les musulmans s’insurgent donc à tort contre un engendrement qui ferait de Dieu un « être animal » capable de procréer. Ceci est étranger aux données du texte biblique. Bien avant l’arrivée de l’islam, cette idée avait été rejetée par les chrétiens eux-mêmes et ce, officiellement, tant par l’Église d’Orient que par celle d’Occident. Le cas particulier des chrétiens d’Arabie s’est trouvé être une exception malheureuse et leur position a été marginalisée tout au long de l’histoire de l’Église. C’est dans cet interstice que la théologie musulmane semble s’être révélée plus crédible que la théologie chrétienne aux yeux de nombreux Arabes. Finalement, rendons hommage aux pères de l’Église, qui ont su dire, à travers ces controverses, des vérités magnifiques au sujet de Jésus, pour 27 que nous saisissions mieux son identité divine . Leur réflexion sur le texte biblique a progressivement permis à l’Église de Jésus-Christ d’écarter les principales doctrines hérétiques et de renforcer l’unité de l’Église au sujet de l’identité divine de Jésus, révélée dans le Nouveau Testament.

3. JÉSUS EST APPELÉ « L’HÉRITIER » DU PÈRE Ce qui gêne les musulmans dans la notion d’héritage, c’est que l’héritier le reçoit d’un autre, qui le possédait avant lui. Si donc Jésus reçoit du Père un héritage, c’est que Jésus vient après le Père et que, de ce fait, il n’est pas éternel et possesseur de toute chose. Selon la Bible, ce Fils qui reçoit un héritage est aussi celui qui préexiste au monde et par qui le Père a créé le monde. Jésus est la Parole du Père qui agit lorsqu’il déclare au premier jour de la création : « Que la lumière soit ! » (Genèse 1 : 3). Par cette Parole, « la lumière fut » (Genèse 1 : 3). Mais elle n’est pas un simple décret créateur. C’est l’œuvre même du Fils de Dieu, car « Dieu […] par le Fils […] a aussi créé l’univers » (Hébreux 1 : 2). Dieu qui parle, c’est Jésus qui agit. Jésus qui agit, c’est Dieu qui agit. Jean dit à ce sujet : Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. 27

Saint Augustin déclare par exemple dans son De Trinitate : « De la même manière que l’homme engendre l’homme et le cheval engendre le cheval, Dieu s’il engendre ne peut engendrer que la divinité ». Dire de Jésus qu’il est Fils de Dieu en se référant à son essence, c’est déclarer qu’il est consubstantiel à Dieu le Père. Ce qui est créé ne possède jamais la nature de son Créateur. Le vase que je crée n’est pas de nature humaine et l’homme que Dieu crée n’est pas de nature divine. Mais ce qui est engendré est toujours semblable à celui qui engendre. Jésus, en tant qu’homme engendré dans la chair, possède donc les attributs de l’humanité, et en tant que Fils unique venu du Père, possède également les attributs de la divinité. Ainsi Jésus est coéternel avec Dieu. Bien que nommé « Fils », il n’a jamais eu de commencement, car il est éternellement engendré de Dieu comme Parole procédant du Père depuis toujours.

70


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. Jean 1 : 1- 4

L’héritier (le Fils, la Parole) était donc présent dès le commencement. La description des étapes qui se succèdent dans l’incarnation et l’ascension de Jésus permet de comprendre ce qui s’est passé à propos dudit héritage : 28

1. Cette Parole (Jésus) a quitté le ciel et s’est fait chair en JésusChrist. C’est ce que les chrétiens appellent « l’Incarnation » (Jean 1 : 14). 2. Sur la terre, Jésus a rempli sa mission en tant que Messie et Roi, sans jamais cesser d’être la Parole de Dieu. 3. Jésus est mort à la croix, puis il est ressuscité des morts et a retrouvé la gloire qu’il partageait avec le Père avant la création du monde (Jean 17 : 5). Jésus dit à ce sujet : « Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde ; maintenant je quitte le monde, et je vais au Père » (Jean 16 : 28). L’héritage du Fils équivaut donc simplement à cette gloire (honneur, louange) qu’il partageait avec le Père depuis toujours et qu’il retrouve après sa résurrection et son ascension au ciel. En effet, ce qui est au Père est aussi au Fils, selon ce que Jésus a dit : Et tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi. Jean 17 : 10

Je reviendrai plus longuement sur la notion de « gloire de Dieu », que Jésus partage avec le Père, dans la partie dédiée aux attributs de Dieu. Remarquons par ailleurs, à propos de cette notion d’héritage, qu’Allah est lui-même appelé « l’Héritier » (Al-Wârith) dans le Coran. C’est l’un de ses 99 noms dans l’islam. Que ceux qui gardent avec avarice ce qu’Allah leur donne par Sa grâce, ne comptent point cela comme bon pour eux. Au contraire, c’est mauvais pour eux : au Jour de la Résurrection, on leur attachera autour du cou ce qu’ils ont gardé avec avarice. 28

Plus précisément, la Parole de Dieu s’incarne ici-bas. L’idée de « quitter le ciel » doit être comprise comme une image relative à cette incarnation, car la parole de Dieu soutient constamment toute chose et ne peut être confinée en une créature. Pour plus de précision, voir l’annexe 3 sur l’extra calvinisticum.

71


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

C’est Allah qui a l’héritage des cieux et de la terre. Et Allah est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites. Coran 3 : 180

Et c’est bien Nous qui donnons la vie et donnons la mort, et c’est Nous qui sommes l’héritier [de tout]. Coran 15 : 23

Si Allah est « l’héritier de tout » selon le Coran et que Jésus est « l’héritier de tout » selon la Bible, alors Jésus porte un nom perçu par les musulmans comme un nom divin. Serait-ce un indice gracieusement laissé par Dieu dans le Coran pour amener à la confession de la divinité du Christ ? Ce serait peut-être forcer le sens du mot. En effet, nous savons par ailleurs que les chrétiens sont eux-mêmes désignés comme des héritiers et cohéritiers avec Christ (Éphésiens 1 : 11 ; Romains 8 : 17). Puisque celui qui est le premier de toute chose, Allah, possède l’héritage, être l’héritier ne signifie pas, dans le Coran, être un second, un successeur, mais plutôt « tout posséder ». Ainsi, être héritier et être Dieu ne s’opposent pas29. Cette précision devrait aider les musulmans à comprendre le texte biblique qui renvoie au même sens. Dans l’épître aux Hébreux, quand Jésus est désigné comme l’héritier, cela signifie qu’il a repris possession de ce qu’il avait laissé dans les cieux avant son incarnation. Cela n’entrave en rien sa divinité.

4. JÉSUS EST APPELÉ « SEIGNEUR » Le titre « Seigneur » (kurios) a plusieurs sens dans le texte biblique : • C’est d’abord le « maître », à savoir le propriétaire d’esclaves (Éphésiens 6 : 5-9). • En Matthieu 7 : 21-22, appliqué à Jésus, il a le sens de « maître spi30 rituel » ou « détenteur du savoir » . Il n’est, dans ces deux cas, qu’un titre honorifique et ne pointe pas vers la divinité. • Il peut encore signifier quelque chose d’équivalent à notre « monsieur » d’aujourd’hui (qui, étymologiquement, signifie « mon Seigneur » – voir Jean 12 : 21 ; 20 : 15). Au regard de ces données, les musulmans peuvent être amenés à répondre que la désignation de Jésus comme Seigneur ne peut signifier 29

Voir Coran 21 : 89 et 57 : 10.

30

Voir Luc 9 : 33 (epistata : maître dans le sens de la magistrature) et Marc 9 : 5 (Rabbi : maître en enseignement) qui renforcent cette interprétation.

72


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

qu’il est Dieu car ce titre n’est qu’un titre humain, donné en signe de respect. Il est écrit dans le Coran : Il (Jésus) n’était qu’un Serviteur que Nous avions comblé de bienfaits et que Nous avions désigné en exemple aux Enfants d’Israël. Coran 43 : 59

L’emploi du terme « Seigneur » est plus décisif en 1 Corinthiens 8 : 5-6 : Car, s’il est des êtres qui sont appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, comme il existe réellement plusieurs dieux et plusieurs seigneurs [kurioi], néanmoins pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur [kurios], Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes.31 1 Corinthiens 8 : 5-6

Paul commence par employer kurioi pour désigner les divinités païennes. Ce sont des faux dieux, mais ils existent réellement en tant qu’entités démoniaques. Dans ce cas-là, le titre « seigneur » ne s’applique pas à des réalités humaines, mais aux réalités du monde spirituel invisible (voir Éphésiens 6 : 10-12). Le titre kurios est appliqué à Jésus, le seul vrai Seigneur, qui partage avec Dieu le Père son attribut divin de Créateur des hommes et du monde. Le titre « Seigneur » (adon, adoni ou adonai en hébreu) est abondamment employé dans l’Ancien Testament pour désigner Dieu (Yahvé). Mais que revêt l’appellation « Seigneur », qui désigne si fréquemment Jésus dans le Nouveau Testament ? Est-il seulement seigneur sur un plan humain ou Seigneur du ciel et de la terre au sens fort (et c’est ce sens que contestent les polémistes musulmans) ? Les versets suivants appuient la conception chrétienne de l’identification de Jésus à Yahvé. Huit siècles avant Jésus, le prophète Ésaïe annonce ceci : Une voix crie : Préparez au désert le chemin de l’Éternel [yahweh], aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieu [êlōhê].

31

Grec : Ἰησοῦς Χριστός, δι’ οὗ τὰ πάντα καὶ ἡμεῖς δι’ αὐτοῦ (« Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes »). Comme nous l’avons vu plus haut pour le cas d’Hébreux 1 : 2 (voir plus haut, note n° 8) ici δι’ οὗ et δι’ αὐτοῦ, c’est-à-dire littéralement « par qui » et « par lui » avec la préposition διά (qui perd son « a » final devant le son « ou ») et les pronom relatif οὗ « ou » et αὐτοu « autou » sont au génitif. Ils ne peuvent donc pas être traduits « pour qui » ou « pour lui ». Ainsi toutes choses ont été faites « par le Fils » et non « pour le Fils ». Ce Fils est donc le Créateur !

73


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Que toute vallée soit exhaussée, que toute montagne et toute colline soient abaissées ! Ésaïe 40 : 3- 4

Ce texte est repris dans le Nouveau Testament : Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Selon ce qui est écrit dans Ésaïe, le prophète : Voici, j’envoie devant toi mon messager, qui préparera ton chemin ; c’est la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers. Jean parut, baptisant dans le désert, et prêchant le baptême de repentance, pour la rémission des péchés. Marc 1 : 1- 4, LSG

Ésaïe désigne Yahvé par les termes « l’Éternel » et « notre Dieu ». Quant à Marc, il cite cette prophétie en employant le titre « Seigneur ». Dire « Seigneur » revient donc à désigner Dieu, chez les Juifs du ier siècle. De plus, Jean-Baptiste est reconnu dans l’Évangile comme cette fameuse voix qui crie dans le désert et qui prépare le chemin du Seigneur (ou de l’Éternel). Lui-même déclare à propos de celui qui vient après lui : Il vient après moi celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier, en me baissant, la courroie de ses souliers. Moi, je vous ai baptisés d’eau ; lui, il vous baptisera du Saint-Esprit. Marc 1 : 7-8

Qui peut bien être celui qui vient après Jean-Baptiste, dont il n’est pas digne de délier la courroie des souliers et que la Bible appelle « Seigneur » et « Éternel » ? C’est celui qui baptisera du Saint-Esprit, selon ce passage. Mention qui n’est pas sans rappeler la prophétie de Joël 2 : 28-29 : Après cela, je [l’Éternel] répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, et vos jeunes gens des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes, dans ces jours-là, je répandrai mon esprit.

Il s’agit donc de l’Éternel ! Cependant, il est dit au sujet de celui qui vient après Jean-Baptiste : « En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée » (Marc 1 : 9). Jésus aurait-il « piqué » la place de Yahvé ? Les chrétiens ont toujours compris que les expressions « l’Éternel » et « le Seigneur » désignent Dieu et s’appliquent à Jésus-Christ. C’est lui l’Éternel dont Jean-Baptiste a préparé la venue, comme l’annonçait la prophétie. C’est bien Jésus qui, selon la Bible, baptise du Saint-Esprit (Actes 2 : 4-5 ; Matthieu 28 : 19). Affirmer que Jésus est l’Éternel est un 74


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

blasphème pour les musulmans. Une analyse sérieuse des textes montre pourtant ceci : Jésus est bel et bien identifié à Yahvé dans la Bible. Toute position contraire ne tient pas face aux textes. De nombreux passages attribués à Yahvé (« l’Éternel ») dans l’Ancien Testament sont attribués au Seigneur Jésus dans le Nouveau Testament : 1. « Alors quiconque invoquera le nom de l’Éternel sera sauvé » (Joël 2 : 32) est repris en ces termes : « Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé » (Actes 2 : 21 ; voir Romains 10 : 9). Quelques versets plus loin, ce salut est attribué au Seigneur JésusChrist (Actes 2 : 36, 38). Il faut désormais être « baptisé au nom de Jésus-Christ, pour le pardon [des] péchés ». Ce n’est d’ailleurs certainement pas par hasard si le nom Jésus signifie « Dieu sauve » ! 2. Le jour de Yahvé (Joël 1 : 15), c’est-à-dire le jour du jugement, devient le jour du Seigneur Jésus-Christ (1 Corinthiens 1 : 8 ; voir Joël 3 : 1 ; Ésaïe 13 : 6 ; Ézéchiel 30 : 3 ; 1 Corinthiens 5 : 5 ; Philippiens 1 : 6 ; 2 : 16). 3. « L’Esprit de l’Éternel » (Ésaïe 40 : 13) devient « la pensée du Seigneur […] la pensée de Christ » (1 Corinthiens 2 : 16). 4. « Tout genou fléchira devant moi [l’Éternel] » (Ésaïe 45 : 23) et tout genou fléchira aussi au nom de Jésus, le reconnaissant comme Seigneur (Philippiens 2 : 10-11 ; voir Romains 14 : 9-11). 5. Il faut « sanctifier » l’Éternel des Armées (Ésaïe 8 : 13) tout comme il faut « sanctifier » dans nos cœurs Christ le Seigneur (1 Pierre 3 : 15). 6. Alors que le psalmiste déclare à l’Éternel : « Tu as anciennement fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains » (Psaumes 102 : 26), c’est au Fils et Seigneur Jésus-Christ qu’il est déclaré : « Toi, Seigneur, tu as au commencement fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains » (Hébreux 1 : 10). 7. Deutéronome 10 : 17 stipule : « Car l’Éternel, votre Dieu [Yahweh ’ĕlōhê], est le Dieu des dieux [’ĕlōhê hā-’ĕlōhîm], le Seigneur des seigneurs [’ăḏōnê hā’ăḏōnîm], le Dieu [’êl] grand, fort et terrible ». Ici, les mots « Dieu » et « Seigneur » désignent le Dieu unique, Yahvé. Le Nouveau Testament reprend la formule en Apocalypse 17 : 14, mais pour l’appliquer à Jésus : « Ils combattront contre l’Agneau, et l’Agneau les vaincra, parce qu’il est le Seigneur des seigneurs et le Roi des rois ». L’Agneau de Dieu, nous le savons, n’est autre que Jésus-Christ lui-même (Jean 1 : 36). Cette formule est aussi reprise en Apocalypse 19 : 16 pour l’appliquer à Jésus : « Il [la Parole de Dieu, voir v. 13] avait sur son vêtement et sur sa cuisse un nom écrit : Roi des rois et Seigneur des seigneurs ». 75


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Dans les écrits de Jean, la Parole de Dieu dont il est question ici désigne bien Jésus-Christ (Jean 1 : 1). Tous ces passages attestent sans ambiguïté que, la majeure partie du temps, le mot « Seigneur » désigne Dieu et ce, tant pour les auteurs du Nouveau Testament que pour ceux de l’Ancien. Tous démontrent aussi qu’à maintes reprises Jésus-Christ est bien identifié comme Seigneur, au sens fort. Il est donc très étonnant que certains apologètes musulmans continuent de nier que Jésus est identifié à Yahvé lorsqu’il est appelé « Seigneur » dans la Bible.

5. JÉSUS SE NOMME « JE SUIS »

5.1. Un titre capital L’appellation, apparemment insignifiante dans notre débat sur la divinité de Jésus est capitale ! Tout d’abord, Dieu parle à Moïse du milieu d’un buisson enflammé (livre de l’Exode ; voir Coran 28 : 30). Il lui demande d’aller auprès du pharaon pour faire sortir le peuple hébreu d’Égypte. Au cours de cette conversation, Moïse demande à Dieu quel est son nom : Moïse dit à Dieu : J’irai donc vers les enfants d’Israël, et je leur dirai : Le Dieu de vos pères m’envoie vers vous. Mais, s’ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je ? Dieu dit à Moïse : Je suis [‘ehyeh] celui qui [’ăšer] suis [’ehyeh]. Et il ajouta : C’est ainsi que tu répondras aux enfants d’Israël : Celui qui s’appelle « Je suis » [’ehyeh] m’a envoyé vers vous. Dieu dit encore à Moïse : Tu parleras ainsi aux enfants d’Israël : L’Éternel [yahweh], le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, m’envoie vers vous. Voilà mon nom pour l’éternité, voilà mon nom de génération en génération. Exode 3 : 13-15

Le nom de Dieu est donc : je suis. Dans un passage surprenant de l’Évangile selon Jean, Jésus est aussi appelé je suis : Abraham, votre père, a tressailli de joie de ce qu’il verrait mon jour : il l’a vu, et il s’est réjoui. Les Juifs lui dirent : Tu n’as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham ! Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis [egô eimi]. Là-dessus, ils prirent des pierres pour les jeter contre lui ; mais Jésus se cacha, et il sortit du temple. Jean 8 : 56-59

76


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Ici, Jésus déclare qu’Abraham, qui a vécu deux mille ans avant lui, l’a vu et s’est réjoui ! Les chefs religieux le reprennent alors logiquement pour lui signifier que ses propos n’ont aucun sens. Malgré cela, Jésus insiste et déclare : « Je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis ». Cette affirmation est lourde de conséquences. Prise à la lettre, elle signifie que Jésus a existé avant Abraham, ce qui n’a aucun sens si Jésus n’est qu’un prophète. Mais Jésus ne dit pas : « Avant qu’Abraham fût, j’étais » (ce qui aurait déjà été très dur à comprendre). Il dit plutôt : « je suis ». Jean connaît très bien ses règles de conjugaison – il s’est d’ailleurs certainement associé les services d’un scribe de qualité. Il ne se trompe pas, mais il identifie bel et bien Jésus à Yahvé, selon l’expression d’Exode 3 : 14 (et nous verrons que les Juifs l’ont bien compris ainsi). Cette interprétation a toutefois été remise en cause : « Comment être certain que le je suis de l’Évangile correspond au je suis de l’Exode ? L’Exode a été écrit en hébreu et l’Évangile en grec : l’interprétation des textes ne serait-elle pas un peu forcée ? ». À cet égard, il est important de connaître le travail des soixante-douze e savants juifs du milieu du iv siècle avant Jésus-Christ, qui ont produit la Septante (traduction en grec de l’Ancien Testament). Face à l'expression ‘ehyeh (hébreu : « je suis ») d’Exode 3 : 14, ils se sont entendus pour le traduire par egô eimi. Or, il s’agit de la même expression employée par l’évangéliste Jean pour désigner Jésus. VERSION GRECQUE (SEPTANTE)

VERSION FRANÇAISE (NEG)

Καὶ εἶπεν ὁ θεὸς πρὸς Μωυσῆν Ἐγώ εἰμι [Egô Eimi] ὁ ὤν· καὶ εἶπεν Οὕτως ἐρεῖς τοῖς υἱοῖς Ισραηλ Ὁ ὢν [Ho ôn] ἀπέσταλκέν με πρὸς ὑμᾶς32.

Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui suis. Et il ajouta : C’est ainsi que tu répondras aux enfants d’Israël : Celui qui s’appelle « Je suis » m’a envoyé vers vous.

Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui suis. Et il ajouta : C’est ainsi que tu répondras aux enfants d’Israël : Celui qui s’appelle « je suis » m’a envoyé vers vous.

Jésus parlait araméen, certes, mais c’est en grec que les auteurs néotestamentaires (apôtres, évangélistes, disciples) ont rédigé le 32

La Bible des Septante grec/français est consultable en ligne notamment sur le site de theotex. URL : <https://theotex.org/septuaginta/exode/exode_3.html> (consulté le 13/2/2020).

77


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Nouveau Testament33. C’est pour cela, d’ailleurs, que l’Évangile a pu se répandre aussi rapidement dans tout l’Empire romain, car le grec y er était communément parlé. Les nouveaux croyants du i siècle possédaient donc les deux textes grecs : la Septante (Ancien Testament) et l’Évangile. Ils n’étaient toutefois pas encore unifiés en un seul corpus. Ils pouvaient alors constater l’adéquation entre la formulation je suis, appliquée à Dieu dans l’Ancien Testament, et la même formulation appliquée à Jésus-Christ dans le Nouveau Testament. Il m’est arrivé de discuter avec un ami musulman, perplexe au sujet de ces versets. Sa réticence provenait d’une incompréhension du texte grec de la Septante. Pour lui, au regard de ce texte, le nom de Dieu n’est pas Egô eimi mais ho ôn. C’est effectivement ce qui est mentionné dans la Septante, comme vous pouvez le constater. Ainsi, pour mon ami, Jésus n’a jamais pensé au nom de Dieu (Exode 3 : 14) quand il a déclaré je suis, puisque egô eimi n’est tout simplement pas le nom de Dieu. Mais retournons dans l’original hébreu. Nous y lisons : ehyeh asher ), traduit par : « Je suis celui qui est » ou encore : « Je ehyeh ( 34 suis qui je suis ». Ehyeh vient du verbe hâyah ( ) , souvent traduit par « être ». Cette forme est donc le nom que Dieu se donne. De l’avis de Michaël Langlois35, ce verbe est ici conjugué à la première personne du singulier ; il devient yahweh à la troisième personne du singulier (d’où 33

Des témoignages anciens, comme celui d’Irénée de Lyon ou encore celui de Papias d’Hiérapolis, montrent que, pour le cas particulier de l’Évangile selon Matthieu, une rédaction en araméen a été produite. Les trois autres Évangiles ont été rédigés et publiés en grec.

34

Comme le note Dany Pegon dans son Cours d’hébreu biblique (p. 82) : « Le verbe , sert à exprimer le verbe “être” aux autres temps qu’au présent (Genèse 15 : 5 ; 1 Samuel 3 : 1), mais aussi le verbe “avoir” (Genèse 13 : 5 ; 41 : 54 ; 1 Samuel 17 : 12) ». En effet, « le verbe être au présent n’existe pas, la phrase est alors nominale. Par contre le verbe permet de l’exprimer aux autres temps ». Et : « en hébreu, le présent n’existe pas : c’est le participe présent qui fait fonction. Il exprime l’action d’une manière durative » (p. 33). Il m’est arrivé à ce propos d’entendre un musulman refuser YHWH comme l’expression du verbe être en Exode 3 : 14-15. Il s’appuyait sur Exode 3 : 11 : « Moïse dit à Dieu : Qui suis-je, pour aller vers Pharaon, et pour faire sortir d’Égypte les enfants d’Israël ? ». Ne voyant pas le verbe dans la phrase et ne connaissant pas l’hébreu, ce musulman estimait à tort que n’était finalement pas l’équivalent du verbe être en français. En réalité, si le verbe n’apparait pas en hébreu pour donner « Qui suisje », c’est parce que la phrase est au présent. Il s’agit donc d’une phrase nominale : elle n’emploie pas le verbe « être ». Il est littéralement écrit : « Qui moi » [ ]. C’est le pronom personnel « moi » [ ] qui est utilisé. On retrouve le même emploi du pronom personnel au verset 6 : « Je suis le Dieu de ton père » alors qu’au verset 12, nous avons : « Je serai avec toi ». Où le verbe est de nouveau employé puisque Dieu parle au futur.

35

Michael Langlois est docteur ès sciences historiques et philologiques de l’EPHE– Sorbonne, maître de conférences HDR à l’université de Strasbourg, membre de l’institut universitaire de France, chercheur associé au CNRS/Collège de France et auxiliaire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il donne notamment cet avis dans l’extrait vidéo suivant : « Moïse au buisson ardent (Exode 3) ». URL : <https://bit.ly/3iXV7V9> (consulté le 13/2/2020).

78


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

notre Yahvé). En Exode 3 : 14, le mot hébreu ehyeh, qui peut être traduit par je suis, apparaît donc deux fois. La Septante, avec l’expression Ἐγώ εἰμι ὁ ὤν (Egô eimi ho ôn), ne reprend pas deux fois Egô eimi, mais une fois Egô eimi et une fois Ho ôn. Elle ne rend donc pas tout à fait correctement l’hébreu. C’est une traduction du sens plus que littérale. De plus, le mot ὤν (ôn) est le participe présent du verbe eimi (être). La traduction pourrait donc être : Je suis l’étant. Il est clair que c’est l’existence éternelle de Dieu qui est soulignée par cette formule du livre de l’Exode. Aussi, nos Bibles modernes en français désignent-elles Yahvé par « l’Éternel ». Le je suis de Jésus en Jean 8 : 58, au présent de l’indicatif, en est l’exacte traduction. Ces éléments font dire à l’écrasante majorité des théologiens que Jésus fait bel et bien référence, ici, au nom de Dieu. Nom qu’il s’applique à lui-même. Les Juifs qui entendent cette déclaration de Jésus, la comprennent très bien. Ils prennent alors des pierres pour tenter de le lapider, selon les prescriptions de la loi de Moïse : Fais sortir du camp le blasphémateur ; tous ceux qui l’ont entendu poseront leurs mains sur sa tête, et toute l’assemblée le lapidera. Lévitique 24 : 14

L’affirmation de Jésus en Jean 8 : 58 est fondamentale : « Je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis ». À la lumière de cette déclaration, prolongeons la réflexion et observons d’autres passages où Jésus prononce les mots egô eimi. La divinité de Jésus n’est certainement pas toujours visée par l’évangéliste qui traduit les paroles de Jésus, mais il est intéressant de s’y pencher : Vous êtes d’en bas ; moi, je suis [egô eimi] d’en haut. Vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde. C’est pourquoi je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés ; car si vous ne croyez pas ce que je suis [egô eimi], vous mourrez dans vos péchés. Qui es-tu ? lui dirent-ils. Jésus leur répondit : Ce que je vous dis dès le commencement. Jean 8 : 23-25

La reconnaissance de Jésus comme étant je suis, c’est-à-dire Dieu, est si importante que le salut en dépend. Par ailleurs, ce verset donne à comprendre que Jésus n’est pas d’origine humaine, car il déclare : « Je suis d’en haut » (voir aussi Jean 3 : 31). Jésus leur dit donc : Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez ce que je suis [egô eimi], et que je ne fais rien de moi-même, mais que je parle selon ce que le Père m’a enseigné. Jean 8 : 28

79


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Par ce verset, nous comprenons qu’il n’existe qu’un moyen de reconnaître Jésus pour qui il est, c.-à-d. Fils de Dieu : en regardant à sa mort à la croix, où il a été élevé comme Roi et Messie (au chap. 5, nous verrons comment Jésus peut afficher sa dépendance au Père tout en étant Dieu lui-même, en tant que Parole de Dieu venue du Père). Dès à présent je vous le dis, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu’elle arrivera, vous croyiez à ce que je suis [egô eimi]. Jean 13 : 19

Ici, Jésus vient de prédire aux disciples la trahison de Judas. Il suggère que cette annonce leur permettra plus tard de comprendre son identité, en particulier qu’il est le Messie trahi annoncé par les Écritures juives (Psaumes 55 : 12-15). Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s’avança, et leur dit : — Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : — Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : — C’est moi [egô eimi]. Et Judas, qui le livrait, était avec eux. Lorsque Jésus leur eut dit : C’est moi [egô eimi], ils reculèrent et tombèrent par terre. Jean 18 : 4-6

Ce « C’est moi » (qui traduit le grec egô eimi) fait tomber à terre une cohorte entière de soldats romains et les principaux chefs religieux juifs – ceux-là même qui vont le livrer à la mort. Une puissance se révèle dans l’utilisation de cette expression. Dieu a en effet déclaré : Car je suis un grand roi, dit l’Éternel des armées, et mon nom est redoutable parmi les nations. Malachie 1 : 14

La simple mention des mots je suis fait un tel effet sur ceux qui viennent livrer Jésus36. Le thème de l’abaissement des méchants jusqu’à terre devant le Seigneur, n’est pas marginal. On le trouve de manière symbolique dans le psaume suivant : Notre Seigneur est grand, puissant par sa force, son intelligence n’a point de limite. L’Éternel soutient les malheureux, il abaisse les méchants jusqu’à terre. Psaumes 147 : 5-6

36

Voir Philippiens 2 : 10 ; Romains 14 : 11.

80


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Cet abaissement jusqu’à terre se retrouve au sens littéral dans les cas 37 de théophanies de l’Ancien Testament. En voici deux exemples. Le premier concerne la figure du Fils de l’homme chez le prophète Daniel – il est traditionnellement identifié à Christ : J’entendis le son de ses paroles ; et comme j’entendais le son de ses paroles, je tombais frappé d’étourdissement, la face contre terre. Daniel 10 : 9

Le second exemple est donné lors de l’apparition de l’Ange de l’Éter38 nel. Il est identifié à Dieu lui-même et à Christ dans certaines traditions chrétiennes : Comme la flamme montait de dessus l’autel vers le ciel, l’ange de l’Éternel monta dans la flamme de l’autel. À cette vue, Manoach et sa femme tombèrent la face contre terre. Juges 13 : 20

L’Ancien Testament décrit comment les hommes tombent face contre terre en présence de l’Éternel. De la même manière, la cohorte qui accompagnait Judas tombe à terre en présence de Jésus, lorsqu’il leur dit : Egô eimi. Ces éléments ne peuvent que susciter la réflexion quant à l’identité de Jésus. Après avoir ramé environ vingt-cinq ou trente stades, ils virent Jésus marchant sur la mer et s’approchant de la barque. Et ils eurent peur. Mais Jésus leur dit : C’est moi [egô eimi] ; n’ayez pas peur ! Ils voulaient donc le prendre dans la barque, et aussitôt la barque aborda au lieu où ils allaient. Jean 6 : 19-21

Dans ce passage, l’expression egô eimi ne conduit pas immédiatement à l’identification de Yahvé. Jésus se révèle néanmoins par des miracles surprenants. Il a le pouvoir de marcher sur l’eau et la faculté de modifier le cours du temps. La barque semble comme subitement transportée au bon endroit. L’expression se veut ici une parole rassurante : « C’est moi ». Elle témoigne de l’intimité de Jésus avec ses apôtres. En même temps, elle révèle l’auteur de phénomènes qui dépassent l’entendement humain. Jésus garda le silence, et ne répondit rien. Le souverain sacrificateur l’interrogea de nouveau, et lui dit : Es-tu le Christ, le Fils du Dieu béni ? 37

Dans le cadre de la théologie biblique, une théophanie est une manifestation visible de Dieu. Littéralement, le mot signifie « apparition de Dieu ».

38

Genèse 32 : 24-33 ; Exode 3 : 2-3 ; etc.

81


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Jésus répondit : Je le suis [egô eimi]. Et vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel. Marc 14 : 61-62

Ici, Jésus s’identifie très nettement au Fils de l’homme de Daniel 7, qui, comme nous l’avons vu, est une manifestation de type théophanique. Le Fils de l’homme et le Fils de Dieu sont la même personne. Certains voient dans la figure du Fils de l’homme une manifestation anticipée de la divinité du Fils de Dieu : son règne est universel et éternel (Daniel 7 : 14). Et ce Fils de l’homme préfigure aussi le Fils éternel de Dieu, venu sous forme humaine.

5.2. Les sept « Je suis » L’emploi, à sept reprises, de egô eimi, dans l’Évangile selon Jean, a attiré l’attention des théologiens. Ces sept emplois découlent certainement du je suis, le nom de l’Éternel Yahvé vu précédemment. Pris dans leur totalité, ces je suis amènent à conclure que Jésus est l’incarnation de Yahvé sur la terre.

5.2.1. Le pain de vie Jésus leur dit : Je suis [egô eimi] le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. Jean 6 : 35

Jésus est le pain de vie qui nourrit éternellement le croyant. Il se compare à la manne, par laquelle Yahvé a nourri son peuple dans le désert. Ailleurs, il est aussi appelé « la Parole » de Dieu, elle aussi considérée comme une nourriture (Matthieu 4 : 4). Mieux encore, Yahvé lui-même est celui qui nourrit quand il promet : « Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif » (Ésaïe 49 : 10, S21). Comme Dieu, Jésus apaise la faim et la soif (voir Jean 4 : 14 et 7 : 38). Jésus est à la fois celui qui nourrit et la nourriture.

5.2.2. La lumière du monde Jésus leur parla de nouveau, et dit : Je suis [egô eimi] la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. Jean 8 : 12

Jésus est la lumière. Il est aussi dit de Jésus : « Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme » 82


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

(Jean 1 : 9) et encore : « La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue » (Jean 1 : 5). Ces affirmations font écho aux paroles de l’Ancien Testament, selon lesquelles l’Éternel est la lumière qui éclaire les ténèbres (2 Samuel 22 : 29 ; Psaumes 36 : 10).

5.2.3. La porte des brebis Jésus leur dit encore : En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis [egô eimi] la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands ; mais les brebis ne les ont point écoutés. Je suis [egô eimi] la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages. Jean 10 : 7-9

Jésus est la porte des brebis. Cette expression ne renvoie pas à la divinité de Jésus, mais plutôt à son ministère de médiateur entre Dieu et les hommes (1 Timothée 2 : 5). Le Logos évangélique de Dieu n’est toutefois pas exactement identique au logos philosophique des Grecs (voir section suivante 2.6). Il n’est pas un simple intermédiaire entre Dieu et les hommes, à mi-chemin entre le ciel et le monde. Le Logos incarné est « d’en haut » et il assume ce qui est « d’en bas ». Il n’est pas une porte entre deux. Il est médiateur parce qu’il est à la fois le Fils unique de Dieu, consubstantiel au Père, et le Fils de l’homme, qui nous est consubstantiel.

5.2.4. Le bon berger Le voleur ne vient que pour dérober, égorger et détruire ; moi, je suis [egô eimi] venu afin que les brebis aient la vie, et qu’elles l’aient en l’abondance. Je suis [egô eimi] le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis. Jean 10 : 10 -11

Dans ce même passage, Jésus reprend pour lui-même le thème de l’Ancien Testament selon lequel l’Éternel est le bon berger (Psaumes 23).

5.2.5. La résurrection et la vie Jésus lui dit : Je suis [egô eimi] la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort. Jean 11 : 25

Jésus est la résurrection et la vie. Dans l’Ancien Testament, c’est l’Éternel qui ressuscite les morts (1 Samuel 2 : 6 ; Ézéchiel 37).

83


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

5.2.6. Le chemin, la vérité et la vie Jésus lui dit : Je suis [egô eimi] le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. Jean 14 : 6

• Dans l’Ancien Testament, les commandements de l’Éternel sont un sentier (Psaumes 119 : 35). • Dans l’Ancien Testament, l’Éternel est vérité (Jérémie 10 : 10). • Dans l’Ancien Testament, l’Éternel donne la vie (Jérémie 38 : 16 ; Genèse 2 : 7).

5.2.7. Le cep Moi, Je suis [egô eimi] le vrai cep, et mon Père est le vigneron. Jean 15 : 1, COL

Dans l’Ancien Testament, c’est l’Éternel qui possède une vigne (Ésaïe 27 : 2-5). Ces différents emplois de l’expression egô eimi révèlent que Jésus ne s’identifie pas à Yahvé uniquement en reprenant le je suis, mais aussi en s’attribuant les caractéristiques qui appartiennent à Dieu lui-même.

5.2.8. L’Alpha et l’Oméga (Apocalypse) En dehors du corpus de l’Évangile selon Jean, Jésus emploie encore à plusieurs reprises l’expression je suis, qui l’identifie clairement à Yahvé, notamment en Apocalypse : Je suis [egô eimi] l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout-Puissant. Apocalypse 1 : 8

Ce verset fait écho à des textes d’Ésaïe : Qui a fait et exécuté ces choses ? C’est celui qui a appelé les générations dès le commencement, moi, l’Éternel, le premier et le même jusqu’aux derniers âges. Ésaïe 41 : 4

Écoute-moi, Jacob ! Et toi Israël, que j’ai appelé ! C’est moi, moi qui suis le premier, c’est aussi moi qui suis le dernier. Ésaïe 48 : 12 39 39

Ce verset apparait dans une section très fortement imprégnée de la révélation trinitaire pour un passage de l’Ancien Testament. Ce « premier » et ce « dernier » déclare : « Ma main a fondé la terre, et ma droite a étendu les cieux » (v. 13). Ce même personnage

84


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

L’Alpha et l’Oméga : réfutation des musulmans Ici, comme dans le reste de l’Apocalypse, ce n’est pas Jésus qui est l’Alpha et l’Oméga, mais c’est Dieu seul, car il est écrit : « Je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu » (Apocalypse 1 : 8).

L’Alpha et l’Oméga : réponse de la Bible Au verset précédent, il est écrit : Voici, il vient avec les nuées. Et tout œil le verra, même ceux qui l’ont percé ; et toutes les tribus de la terre se lamenteront à cause de lui. Oui. Amen ! Apocalypse 1 : 7

Celui qui « vient sur les nuées », c’est le Fils de l’homme de Daniel 7 : 13, auquel Jésus s’identifie constamment. Celui qui a été « percé » (prophétisé en Zacharie 12 : 10), c’est le Christ mis en croix. Celui qui doit venir, c’est Jésus lui-même, à la fin des temps. Jésus est donc clairement le sujet de ces prophéties. L’expression apparaît encore ailleurs : Et celui qui était assis sur le trône dit : Voici, je fais toutes choses nouvelles. Et il dit : Écris ; car ces paroles sont certaines et véritables. Et il me dit : C’est fait ! Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin. À celui qui a soif, je donnerai de la source de l’eau de la vie, gratuitement. Apocalypse 21 : 5-6

Celui qui est l’Alpha et l’Oméga déclare aussi : « À celui qui a soif, je donnerai de la source de l’eau de la vie ». Or, Jésus lui-même a dit : Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. Jean 6 : 35

De plus, l’identification à Jésus est on ne peut plus claire en Apocalypse 22, puisque celui qui est l’Alpha et l’Oméga (v. 13a) se présente sous le

créateur de toute chose déclare ensuite : « L’Éternel, m’a envoyé avec son esprit » (v. 16). Il est très certainement question ici du Fils de Dieu revêtu du Saint-Esprit envoyé par le Père ! Certains auteurs juifs pensent que c’est le prophète Ésaïe lui-même qui serait l’envoyé dans ce passage, mais rien dans le texte n’implique une telle conclusion.

85


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

nom de Jésus (v. 16). Et, au verset 20, il est dit : « Celui qui atteste ces choses dit : Oui, je viens bientôt. Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! ». Le bouquet final viendra d’une expression similaire en Apocalypse 2 : 8 : Écris à l’ange de l’Église de Smyrne : Voici ce que dit le premier et le dernier, celui qui était mort, et qui est revenu à la vie.

Celui qui est à la fois le premier et le dernier (comme l’Éternel en Ésaïe 48 : 12) et celui qui est revenu de la mort ne peut être que Jésus. Il est la Parole, le Verbe de Dieu fait chair pour le salut du monde. Jésus partage donc avec Yahvé le privilège d’être l’Alpha et l’Oméga. Au regard de ces données de l’Écriture, le théologien français Henri Blocher déclare : Des fidèles formés par le monothéisme juif, nourris de l’Ancien Testament, ne pouvaient pas exprimer plus fortement leur conviction de la divinité de Jésus-Christ qu’en lui appliquant ce qui revient à Yahvé dans les Écritures anciennes40.

Si ce sujet vous intéresse, regardez toutes les expressions attribuées à Yahvé dans l’Ancien Testament qui sont appliquées à Christ dans le Nouveau Testament. Henri Blocher41 mentionne notamment trois expressions symétriquement attribuées à Yahvé et à Jésus : • Le Rocher (Deutéronome 32 : 15-18 ; Ésaïe 44 : 8 ; 1 Corinthiens 10 : 4), • Le Berger (Ézéchiel 34 ; Psaumes 23 ; Jean 10 : 11), • L’Époux (Osée 2 : 16 ; Apocalypse 21 : 2). À cela, nous pourrions encore ajouter : • Le roi d’Israël (Ésaïe 44 : 6 ; Jean 1 : 49), • Le Sauveur (Ésaïe 34 : 5 ; Matthieu 11 : 4), 42 • Le Roi des rois (1 Timothée 6 : 15 ; Apocalypse 17 : 14 ; 19 : 16). Pour clore cette partie sur l’Alpha et l’Oméga, je souligne les recherches faites sur l’Aleph-Tav (‫ )את‬dans l’Ancien Testament.

40

Henri Blocher, op. cit., p. 137.

41

Ibid.

42

À ce propos, la tradition islamique rapporte le hadith suivant : « Allah a dit : “Le nom le plus détesté par Allah, au Jour de la Résurrection sera celui de l’homme qui se fait appeler Al Malik-Amalak (Roi des rois) » (al-Boukhari, p. 6205-6206). Étonnant ! Cela pourrait renvoyer au récit de la bête combattant le Roi des rois, en Apocalypse 17 et 19.

86


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Certains commentateurs associent Jésus au quatrième mot de Genèse 1. Comme dans un souci de perfection, l’auteur inspiré commence le premier livre de l’Écriture avec une phrase de sept mots (le chiffre sept, dans la Bible, étant celui de la perfection, de la totalité).

À la jonction des trois premiers mots, associés à Dieu, et des trois derniers, associés à la création se trouve la petite particule, ‫את‬, qui ne trouve aucune traduction en l’état. En plus d’être un indicateur d’objet direct, cette particule pourrait porter une signification cachée. Certains auteurs prêtent à Rabbi Aqiva, le grand rabbin juif du début de l’ère chrétienne l’idée que cette particule porte en elle toute la vie du texte hébreu et des 43 événements qu’il décrit . Sans l’Aleph-Tav, il n’y a pas de vie, pas d’action possible, grammaticalement du moins. Rapporté à ce cas présent, ‫ את‬est la puissance que le Créateur déploie pour faire apparaître les cieux et la terre. La particule fait pivot entre l’incréé et le créé. Composée de la première et de la dernière lettre de l’alphabet hébreu, le rapprochement a été fait entre cette particule et l’Alpha et l’Oméga d’Apocalypse 22 : 13 qui 44 désigne Jésus . Or, le Fils de Dieu, dans la Bible, est le moyen par lequel Dieu crée toute chose : « Dieu […] par le Fils […] a aussi créé l’univers » (Hébreux 1 : 2). Il est aussi le médiateur réconciliateur entre le ciel et la terre. Si cette interprétation est correcte, la présence du Fils de Dieu est manifestée grammaticalement dès le premier verset de la Bible. À cette lumière, la première phrase de Jean, au sujet du Logos de Dieu, peut se lire d’une tout autre manière : « Au commencement était l’Alpha-Oméga (‫)את‬, et l’Alpha-Oméga était avec Dieu (‫)את‬, et l’Alpha-Oméga (‫ )את‬était Dieu » ! Tout était déjà là, sous le nez des scribes et des pharisiens. Revenons maintenant à deux expressions bibliques qui désignent Jésus : « Parole de Dieu » et « Fils de l’homme ». 43

44

Rabbi Nahum a tenté d'expliquer chaque occurrence d'Aleph-Tav dans la Torah et Akiva s'est appuyé sur son travail, suggérant que chaque occurrence est censée indiquer la présence de la main divine. Rabbi Siméon, l'élève d'Akiva, s'est abstenu de développer ou d'expliquer l'Aleph-Tav dans l'ordre d’avoir de la crainte pour Elohim. Pourtant, Akiva suggère que l'amplification est effectivement possible, puisque l'Aleph-Tav définit directement Elohim. L'idée d'Akiva est que l'Aleph-Tav est le signe secret d'Elohim, le chiffre silencieux ou code secret qui englobe tous les autres mots de la Torah et en fait de toute la création », William Sandford, Messianic Aleph Tav interlinear scriptures, 2015, trad. libre. URL : <https://alephtavscriptures.com/wp-content/uploads/2015/06/ MATIS-RED-LETTER-EDITION-CCB-56-pg-SAMPLE.pdf> (consulté le 3/8/2020). James A. McMenis, Jesus the Aleph Tav, s.l. : Xulon, 2015.

87


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

6. JÉSUS EST APPELÉ « LA PAROLE DE DIEU » Le mot grec logos était employé par les adeptes du stoïcisme, au temps de son fondateur, Zénon de Kition (mort en 262 av. J.-C.). Il se référait à la parole créatrice et organisatrice du monde. Pour lui, le logos est « la raison d’être de tout l’univers45 ». Il dit aussi : Ce qui pâtit est l’étance non qualifiée, c’est-à-dire la matière et ce qui agit est le logos qui est en elle, à savoir Dieu, étant en effet éternel, il produit chaque chose par l’intermédiaire de cette 46 matière . (Fragment 85)

Lorsque Jean reprend l’usage du logos pour désigner Jésus, il ne le fait pas sans raison. Il affirme à ses lecteurs, majoritairement de culture helléniste, que la Parole créatrice de toute chose, c’est Jésus lui-même ! Il ne peut être identifié qu’à Dieu47 (Jean 1 : 1 ; Apocalypse 19 : 13). Le psaume 33 déclare au sujet de la Parole de Dieu : Les cieux ont été faits par la parole de l’Éternel, et toute leur armée par le souffle de sa bouche. Psaumes 33 : 6

Selon la compréhension chrétienne, Jésus est lui-même la Parole de Dieu, la deuxième personne de la Trinité. Il a créé le monde et s’est incarné à un moment précis de l’histoire. Il n’est pas uniquement le décret créateur de Dieu, mais le Logos, Verbe de Dieu en personne. De même, l’Esprit de Dieu n’est pas uniquement un souffle, mais Dieu lui-même : l’Esprit saint, troisième personne de la Trinité. La vision chrétienne trouve donc dans ce psaume 33 un verset trinitaire : les cieux ont été faits par le Fils de Dieu le Père, et toute leur armée par son Esprit saint. Cette interprétation assimile peut-être un peu trop le décret créateur de Dieu qui est impersonnel et le Fils, Parole de Dieu qui

45

Lambros Couloubaritsis, Aux Origines de la philosophie européenne : De la pensée archaïque au néoplatonisme, Bruxelles : De Boek, 2003, p. 594.

46

Ibid., p. 593.

47

Augustin d’Hippone (ou saint Augustin) rend compte de la présence du concept de logos dans la tradition platonicienne : il avait « trouvé la divinité du logos dans les livres des platoniciens, mais non pas l’humilité de son incarnation » (Confessions, livre VII, chap. 9). II déclare : « Je trouvais dans ces mêmes livres, que votre Fils unique est éternel comme vous ; qu’il subsiste avant tous les temps et au-delà de tous les temps d’une subsistance immuable » (Ibid.). Ce qui est dit du logos chez Jean dans son prologue, Augustin le rattache à une tradition remontant à Platon. Il étudie alors ce que disent ces auteurs sur le logos et pense déceler, chez eux, des intuitions de ce que l’Évangile développera concernant le Fils de Dieu.

88


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

est une personne divine, mais comme nous le verrons, les trois personnes de la Trinité sont en tout cas impliquées dans la création du monde

Le logos n’est pas une personne dans la Bible : réfutation des musulmans Contrairement à ce qu’affirment les chrétiens, le logos de Dieu n’est jamais personnifié dans la Bible. Il se résume à un « discours », un « enseignement » et ne peut s’identifier à Dieu lui-même ou à Jésus. De plus, c’est en reprenant la pensée grecque à propos du logos et en l’injectant dans leurs textes que les chrétiens ont trahi les enseignements de Jésus.

Le Logos est bien personnifié : réponse de la Bible Pour répondre à ces affirmations, il suffit d’un minimum d’honnêteté intellectuelle face à certains éléments. Voici neuf preuves en faveur de la personnification du logos dans la Bible. Elles remettent en question l’idée selon laquelle le logos ne serait qu’un discours. Je reviens à cette occasion sur l’influence des philosophes grecs.

1. Jean 1 : 1 et l’existence personnelle du Logos Au commencement était la Parole [logos], et la Parole [logos] était avec Dieu, et la Parole [logos] était Dieu.

L’apôtre Jean développe une christologie « d’en haut48 » : il illumine le lecteur par une révélation nouvelle des commencements. Comment ne pas voir dans le « Au commencement » (Ἐν ἀρχῇ) de Jean 1 : 1 une reprise du « Au commencement » (‫ )בּראשית‬de Genèse 1 : 1 ? Jean veut amener le lecteur à porter un regard nouveau sur les choses premières. Tout son prologue « qui remonte plus haut que la Genèse49 » y invite, avec la centralité de la figure du logos déjà divinisée dans le stoïcisme de Zenon comme je l’ai dit. Ici, le logos est avec Dieu et il est Dieu. Rien de plus personnifiant que d’être « avec » quelqu’un et que d’« être » quelqu’un » ! Preuve n° 1 ! 48

49

Voir Bernard Hort, Introduction à la théologie systématique, Paris : Labor et Fides, 2008, p. 268. L’auteur attribue la paternité de cette expression au théologien catholique Karl Khaner. Selon cette expression, l’apôtre Jean présente Jésus-Christ à partir de son existence céleste et éternelle comme Verbe de Dieu, là où les autres Évangiles communiquent une christologie d’en bas et présentent Jésus à partir de son existence humaine. Chez Jean, Jésus est Dieu dès les premiers versets. Chez Matthieu, par exemple, il est présenté comme Dieu dans les derniers. Henri Blocher, op. cit., p. 126.

89


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

2. La hokma (‫ )חכמה‬des Proverbes Si « au commencement était le Verbe », le logos créateur se trouvait déjà là, entre les lignes de la Torah (voire au premier paragraphe de la Bible, lors de la création). Où le trouver ? D'abord dans le décret créateur : « Dieu dit ». La Parole est là, donnée pour la vie du monde (Psaumes 33 : 6). Plus que cela, le logos « est Dieu » et « auprès de Dieu » (Jean 1 : 1). Il est avant même les premières lignes de la Torah, avant la création elle-même. Cette personnification rapproche le logos de la hokma (‫)חכמה‬, Sagesse créatrice de Proverbes 8. Cette Sagesse préexistante « crie » (Proverbes 8 : 1) et parle de son enfantement éternel, « comme celle du Fils unique venu du Père » (Jean 1 : 14) : J’ai été établie depuis l’éternité, dès le commencement, avant l’origine de la terre. Je fus enfantée quand il n’y avait point d’abîmes, point de sources chargées d’eaux ; avant que les montagnes soient affermies, avant que les collines existent, je fus enfantée ; il n’avait encore fait ni la terre, ni les campagnes, ni le premier atome de la poussière du monde. Lorsqu’il disposa les cieux, j’étais là ; lorsqu’il traça un cercle à la surface de l’abîme, lorsqu’il fixa les nuages en haut, et que les sources de l’abîme jaillirent avec force, lorsqu’il donna une limite à la mer, pour que les eaux n’en franchissent pas les bords, lorsqu’il posa les fondements de la terre, j’étais à l’œuvre auprès de lui, et je faisais tous les jours ses délices, jouant sans cesse en sa présence, jouant sur le globe de sa terre, et trouvant mon bonheur parmi les fils de l’homme. Proverbes 8 : 23-31

Un engendrement éternel et une préexistence auprès de Dieu, voilà ce que Jean dit lui-même du Logos et que Jésus confirme aussi (Jean 17 : 5). Alors que Jésus est la sagesse de Dieu (Colossiens 2 : 3), elle est ici personnifiée, synonyme du concept de logos grec qui représente la pensée ultime et créatrice. Pourquoi cette insistance à rendre si personnelles la raison et la sagesse divine ? Preuve n° 2 !

3. La memra des targumim Une autre source littéraire du Logos créateur est la memra des targumim : le concept de Parole personnifiée mentionné par les commentaires araméens de l’AT à l’époque de Jésus. Selon Michael Brown (voir tableau ci-contre), les Juifs du temps de Jésus pensaient que la Parole de Dieu était 50 personnifiée et agissait comme Dieu lui-même . 50

Michael Brown, Answering Jewish objections to Jesus [Réponses aux objections sur Jésus], vol. 2, Grand Rapids : Baker, 2000, p. 19-20, targum du pseudo-Jonathan sur le Pentateuque. Trad. M. Georgel, « Les Juifs antiques croyaient-ils en la Trinité ? », Par la foi, art. du 14 août 2017. URL : <https://miniurl.be/r-3a38> (consulté le 24/4/2020).

90


Et Abraham crut en Dieu.

Genèse 15 : 6

Et Dieu dit : « Voici le signe de l’alliance que je place entre vous et moi ».

Et Dieu regretta d’avoir créé l’homme sur la terre.

Genèse 6 : 6-7

Genèse 9 : 12

Dieu créa l’homme.

Genèse 1 : 27

BIBLE

91

Et Abraham crut en la Parole de Dieu.

Et Dieu dit : « Voici le signe de l’alliance que je place entre vous et ma Parole ».

Et par sa Parole, Dieu regretta d’avoir créé l’homme.

La Parole (memra) de Dieu créa l’homme.

TARGUM

Nombres 14 : 35

Nombres 11 : 23

Nombres 10 : 36

Nombres 10 : 35

Moi, l’Éternel, j’ai parlé.

La main de l’Éternel seraitelle trop courte ?

Reviens, Éternel !

Lève-toi, Éternel !

BIBLE

Moi, L’Éternel, j’ai décrété par ma Parole.

La Parole de l’Éternel seraitelle retenue ?

Reviens, Parole de l’Éternel !

Lève-toi, Parole de l’Éternel !

TARGUM

L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus


Alors Dieu vint vers Abimélek.

Que l’Éternel veille sur toi et sur moi !

Et ils crurent en Dieu.

Genèse 20 : 3

Genèse 31 : 49

Exode 14 : 31

BIBLE

Et ils crurent en la Parole de Dieu.

Que la Parole de l’Éternel veille sur toi et sur moi !

Alors la Parole en face de Dieu vint vers Abimélek

TARGUM

92

Deutéronome 31 : 3

Deutéronome 18 : 19

Deutéronome 1 : 30

L’Éternel, ton Dieu, passera lui-même devant toi.

C’est Moi qui lui en demanderai compte.

L’Éternel, votre Dieu, qui marche devant vous, combattra luimême pour vous.

BIBLE

L’Éternel, ton Dieu, sa Parole, passera luimême devant toi.

Ma Parole lui en demandera compte.

L’Éternel, votre Dieu, marche devant vous et sa Parole combattra pour vous.

TARGUM

LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM


Je te rencontrerai du haut du propitiatoire […].

Je me tournerai vers vous […]

Lévitique 26 : 9

Et je me tournerai par ma Parole vers vous […]

Je mettrai ma Parole en haut du propitiatoire […].

TARGUM

Alors Dieu Alors la Parole prononça de Dieu prononça toutes ces toutes ces paroles [les Dix paroles… commandements].

Exode 25 : 22

Exode 20 : 1-2

BIBLE

93

Ésaie 45 : 17

Juges 11 : 10

Josué 1 : 5

Israel sera sauvée par l’Éternel […]

L’Éternel est témoin entre nous […]

Comme j’étais avec Moïse, je serai avec toi.

BIBLE

Israel sera sauvée par la Parole de l’Éternel […]

La Parole de l’Éternel est témoin entre nous […]

Comme ma Parole venait en aide à Moïse, ma Parole te viendra en aide.

TARGUM

L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Vous remarquerez que parler d’une personnification de la parole de Dieu dans la Torah ne semblait pas un problème pour les Juifs de l’époque de Jésus. Cette memra crée les hommes, veille sur eux, vient vers eux, s’oppose à eux, combat pour eux, passe devant eux, leur vient en aide, est témoin contre eux, les sauve, parle d’elle-même, demande des comptes et se lève. Elle agit en lieu et place de Dieu lui-même. Abraham crut en elle. Remplacez memra par Jésus dans les targumim et vous aurez une belle preuve de leur interchangeabilité. Preuve n° 3 !

4. Le davar (‫ )דבר‬d’Ésaïe Ainsi en est-il de ma parole [ḏaḇār], qui sort de ma bouche : elle ne retourne point à moi sans effet, sans avoir exécuté ma volonté et accompli mes desseins. Ésaïe 55 : 10 -12

Ce passage place le davar, parole de Dieu, à un tel niveau de personnification (plus avancé qu’en Psaumes 33 : 6) qu’on a peine à ne pas s’empresser d’y percevoir une annonce de Jésus, parole de Dieu venant faire la volonté de son Père et accomplir ses dessins. Car de Sion sortira la loi, et de Jérusalem la parole [ḏaḇār] de l’Éternel. Il sera le juge des nations, l’arbitre d’un grand nombre de peuples. Ésaïe 2 : 3- 4

Le règne final du Messie à Jérusalem est un thème courant chez Ésaïe. Ici, « la parole » de Dieu est aussi appelée « le juge des nations » et « l’arbitre d’un grand nombre de peuples ». Cette personnification est éloquente et les attributs de cette Parole correspondent en tout point aux prérogatives du Messie (Matthieu 25 : 31-33.). Cette vision d’un Messie « arbitre » entre les peuples est conservée dans la tradition islamique (voir ’Isa dans la sunna) et la vision du Messie « Parole de Dieu » dans le Coran (Coran 4 : 171). Preuve n° 4 !

5. Jean 1 : 2 : le logos est un Créateur personnel Toutes choses ont été faites par elle [le logos], et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. Jean 1 : 2

Ici le logos crée toute chose. Mais bibliquement, est-ce un discours ou bien un être qui est à l’origine de la création ?

94


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Nous pourrions décrire cette Parole comme étant simplement le décret de Dieu par lequel tout a été amené à l’existence. Il semble que Jean joue sur les deux sens. Or, un chrétien se doit d’harmoniser les données bibliques avant de donner une interprétation. Un autre texte jette un éclairage explicite : Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par lequel il a aussi créé le monde. Hébreux 1 : 2

Si Dieu a tout créé par son Verbe, il semble que ce Verbe soit bien le Fils de Dieu lui-même et non le seul décret de Dieu. Preuve n° 5 !

6. Jean 1 : 14, le logos est le Fils incarné Et la parole [logos] a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père. Jean 1 : 14

Ici, le logos, est « fait chair », il « habite » et il est « contemplé ». Tout ceci se dit d’une personne. D’aucuns rétorqueraient que Jean aurait très bien pu employer une figure de style pour décrire le discours divin manifesté par l’enseignement de Jésus : les vérités divines auraient été contemplées et incarnées, elles auraient habité parmi le peuple. Il est cependant tout à fait probable que pour Jean, le logos soit une personne spirituelle qui a été « faite chair », qui a « habité », qui a été « contemplée ». Les hellénistes étaient d’ailleurs familiers avec la figure du logos du temps de Jean, car Jean écrit son Évangile à Éphèse, pour eux ! De plus, il compare la gloire du logos à la gloire du Fils unique. Pourquoi le faire ? Jean aurait pu choisir de comparer la gloire du logos à la gloire des textes de l’Ancien Testament ou de ceux des grands philosophes. Non, il ne compare pas le logos à un enseignement, mais au Fils. Mieux, il identifie le logos au « Fils », terme on ne peut plus personnel ! Preuve n° 6 !

7. Logos : sens commun, sens théologique Une partie des prédicateurs musulmans avancent que le logos ne serait qu’un discours ou un décret. Ils ne font pas la distinction entre ses deux usages dans le texte biblique. Le premier renvoie effectivement à l’idée d’un discours : 95


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

C’est pourquoi, quiconque entend ces paroles [logos] que je dis et les met en pratique, sera semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc. Matthieu 7 : 24

Un second usage existe, toutefois : l’usage conceptuel. Il est bien connu chez les Grecs et renvoie à un être créateur. Dans cette perspective, Jésus, Logos divin, prononce un logos. C’est exactement ce que nous avions découvert avec la memra dans le targum du pseudo-Jonathan : « Alors la Parole [memra] de Dieu prononça toutes ces paroles [davar] en disant : 51 Je suis l’Éternel, ton Dieu » (pour Exode 20 : 1-2). Prenons l’exemple du mot « éternel ». Il est possible de dire que « les chrétiens et les musulmans ont d’éternels débats à propos de la divinité de Jésus », ou que « l’amour de Dieu est éternel ». Ces usages communs de l’adjectif « éternel » n’enlèvent rien au fait que Dieu, dans la Bible, est l’Éternel ! L’adjectif devient un nom propre qui définit l’être même de Dieu. De même, le nom commun « logos » devient, en philosophie et en théologie, un nom propre désignant un être divin (voir plus haut, avec Zénon de Kition). Au temps de l’Évangile selon Jean, le Logos divin a déjà depuis longtemps le sens de « la raison divine », et encore l’unité 52 supérieure incomprise des hommes chez Héraclite , 600 ans avant Jésus. De même, Platon, Pythagore, Plutarque ou Philon d’Alexandrie communiquent une représentation personnalisante du logos. Jean, lui, use du terme selon ces emplois afin de présenter le Fils de Dieu comme le Verbe de Dieu, éternel et tout puissant. En ce sens, le logos est bel et bien personnifié. Il faut en revanche répondre aux musulmans qui connaissent les développements philosophiques à propos du logos, mais qui suggèrent que le véritable enseignement de Jésus fut altéré par la philosophie grecque. A. Alem défend cette thèse dans son ouvrage Mohammad dans la Bible et Jésus dans le Coran. Il s’attarde notamment sur la conception du logos chez Philon d’Alexandrie : Chez Philon, le logos comme force cosmique, organe de la création et parole divine coïncide. Chez Philon, dans la représentation d’un être à personnalité peu définie, qu’il appelle le Fils aîné de Dieu, ce logos est comblé des dons divins, il est le messager de Dieu auprès des hommes, et il porte à Dieu leurs supplications, il 51

52

Stephen Kaufman (éd.), Targum Pseudo-Jonathan, Cincinnati : Ktav, 1984.

« Ce verbe, qui est vrai, est toujours incompris des hommes, soit avant qu’ils ne l’entendent, soit alors qu’ils l’entendent pour la première fois. Quoique toutes choses se fassent suivant ce verbe, ils ne semblent avoir aucune expérience de paroles et de faits tels que je les expose » (Fragment 1, Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens, VII, 133).

96


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

apparaît sous forme humaine et parle aux hommes. Ces caractéristiques se conforment parfaitement à celles attribuées à Jésus53.

La description de A. Alem est conforme à la philosophie du logos chez Philon. Toutefois il se garde de mentionner l’influence de l’Ancien Testament sur l’œuvre de Philon : C’est au chef des Anges, au Logos très vénérable que le Père, Générateur de l’Univers, accorda sa faveur particulière de se tenir au milieu pour séparer le créé du Créateur. Il est à la fois l’intercesseur du mortel, toujours inquiet auprès de l’incorruptible et l’ambassadeur du souverain auprès du subordonné. Il se réjouit de cette faveur et s’en glorifie en disant : « Et moi, je me tenais au milieu, entre le Seigneur et vous » (Deut. 5 :5) ; Je ne suis ni incréé comme Dieu ni créé comme vous, je suis entre ces deux extrêmes donnant des gages des deux côtés ; à celui qui a planté, j’assure que le monde créé ne se révoltera jamais tout entier et ne se rebellera pas en préférant le désordre à l’ordre ; à celui qui fut planté, je donne la belle espérance que jamais le Dieu favorable n’abandonnera son œuvre propre. Je suis le Hérault envoyé pour négocier la paix par celui qui a décidé d’anéantir les guerres, Dieu Éternel, Conservateur de la Paix. (Philon d’Alexandrie, Her 205-206)54

En effet, Philon était juif et puisait sa philosophie et sa théologie de la méditation des Écritures plus encore que de la philosophie grecque. Il assimile nettement le logos au Messie divin de l’Ancien Testament, l’amalgamant même à Moïse dans son rôle de médiateur et de transmetteur de la Parole de Dieu. Ce logos est « l’intercesseur du mortel », « ni incréé comme Dieu ni créé », « le Héraut envoyé pour négocier la paix ». Ces qualificatifs renvoient à des attributs couramment donnés au Messie par les Juifs avant la venue de Jésus. Daniel Boyarin dit à ce propos :

53

54

A. Alem, Mohammad dans la Bible et Jésus dans le Coran, Paris : Iqra, 2007, p. 172. Il s’appuie sur l’ouvrage de E. Bréhier, Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie, 3e éd., Paris : Librairie philosophique, 1950, p. 84.

Cité dans Jean-Yves Leloup, L’Évangile de Jean, Paris : Albin Michel, 1989, p. 188. Dans le même chapitre de son écrit, Philon déclare : « Si quelqu’un n’est pas encore digne d’être nommé fils de Dieu, qu’il se hâte de se conformer à son Logos premier-né, le plus ancien des anges, en sorte qu’il est archange, et qui porte plusieurs noms : il est appelé en effet principe, nom de Dieu, Logos, homme à l’image, voyant, Israël. Ainsi, si nous ne sommes pas encore capables d’être considérés comme des fils de Dieu, du moins nous pouvons l’être de son image sans forme, le très saint Logos. Car le Logos très ancien est l’image de Dieu. […] C’est au Logos archange et très ancien que le Père qui a tout engendré a fait le don insigne de se tenir à la frontière pour séparer la création du Créateur. Il intercède sans cesse auprès de l’incorruptible pour la nature mortelle et fragile et il est envoyé par le Seigneur au serviteur. Il n’est pas inengendré comme nous, mais intermédiaire entre les extrêmes communicants avec l’un et l’autre (Philon, Her., 205-206) ».

97


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

À mon sens l’Évangile n’est compréhensible que dans la mesure où Jésus, tout comme les Juifs autour de lui avaient une christologie haute dans laquelle la prétention à être le messie équivalait à celle d’être un homme divin […]. Bien des Juifs en vinrent à croire à la divinité de Jésus pour la simple et bonne raison qu’ils attendaient déjà un Messie-Christ divino-humain. Cette attente faisait pleinement partie de la tradition juive. Les Juifs l’avaient adoptée en lisant attentivement le livre de Daniel.55

Or, A. Alem aborde l’œuvre de Philon en reliant philosophes païens et christianisme sans s’arrêter sur ces données. Il cache la part profondément juive du logos, pour déconsidérer la foi chrétienne. Alem compare ensuite cette conception philonienne du logos avec la conception stoïcienne du dieu Hermès (fils divin engendré par Zeus) et la conception égyptienne d’Horus (fils du dieu suprême Osiris). Ainsi, sa thèse est de suggérer que Philon a puisé dans ces mythes grecs et égyptiens sa conception du logos, puis que cette conception du logos Fils de Dieu a irrigué la théologie chrétienne, trahissant le message originel de Jésus. Il serait vain de nier que le terme de logos a peu à peu évolué dans la pensée philosophique pour prendre le sens que l’on connaît aujourd’hui. Selon Eugène De Faye : Les stoïciens avaient sinon créé, du moins formulé en termes définitifs, l’idée du Logos ou de la Raison divine immanente et éparse dans les choses ; pour eux, le Logos s’identifiait avec le principe même de l’Univers, avec Dieu. Plus tard, au temps où les doctrines philosophiques commencent à s’amalgamer et à se fusionner en un éclectisme souple et commode, les platoniciens et les péripatéticiens s’emparent de l’idée du Logos. Ils la modifient de manière à l’adapter à leur transcendance. Ils séparent le Logos de Dieu lui-même. Le Logos devient une sorte d’essence ou de force qui est tout ensemble de nature divine et immanente dans les choses. C’est la remarquable doctrine qu’enseigne le περὶ κόσμου [peri kosmou], cet écrit péripatéticien anonyme qu’on a longtemps attribué à Aristote. Philon d’Alexandrie devait reprendre cette conception d’un Logos qui est une hypostase divine, mais indépendante de Dieu, la développer et en faire le Logos que l’on sait. Il ne faut pas oublier cependant que la conception elle-même existait avant lui, ni surtout qu’au temps de Plutarque elle était devenue courante, sans qu’il eût été du fait de Philon ou du philonisme56. 55 56

Daniel Boyarin, Le Christ juif : À la recherche des origines, Paris : Cerf, 2013, p. 69.

Eugène De Faye, « La christologie des pères apologètes et la philosophie religieuse de Plutarque », in École pratique des hautes études, 1905, p. 6.

98


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Historiquement, le logos est donc un concept souple. Il a été maintes fois remanié en fonction des doctrines philosophiques et des convictions théologiques. Ce terme vient donner un nom à l’intuition des philosophes sur l’existence d’un dieu en relation avec les hommes. Il était défini comme Dieu lui-même chez les stoïciens et Philon le rapproche du Messie divino-humain de l’Ancien Testament. Jean, dans son Évangile, l’attribue à Jésus en toute connaissance de cause. S'agit-il d'une trahison pour autant des enseignements de Jésus lui-même comme le suggère A. Alem ? Non, évidemment. Et nous pouvons l’expliquer de trois manières.

a. Concepts empruntés pour exprimer l’expérience de Dieu Les auteurs bibliques ont toujours utilisé les conceptions courantes de leur temps pour prêcher le Dieu unique et trinitaire dont ils faisaient l’expérience personnelle. L’emprunt des concepts se vérifie partout dans la Bible et ce, dès le livre de la Genèse. Celle-ci emprunte, pour son récit de la Création, le langage commun des cosmogonies du Proche-Orient ancien. Une matière première, substrat de la Création (Genèse 1 : 1-2), des arbres chargés symboliquement (Genèse 2 : 17 ; 3 : 22), un serpent tentateur (Genèse 3 : 1), une femme créée à partir de la côte du premier homme (Genèse 2 : 21), dont le nom est celui de la terre d’où il a été tiré. Le texte regorge d’éléments qui ont amené de nombreux commentateurs à comparer le récit de la création biblique aux cosmogonies du ProcheOrient ancien. L’Épopée de Gilgamesh a souvent été invoquée57. Matthieu Richelle rappelle que « parmi la multiplicité des textes mésopotamiens pertinents, celui qui est le plus mis en rapport avec Genèse est l’Enuma Elish58 ». Pour l’Égypte, il aborde les textes des pyramides et les textes des sarcophages selon la cosmogonie de Hiérapolis ainsi que la pierre de Shabaka selon la cosmogonie de Memphis59. La Genèse emprunte donc le langage des cosmogonies du Proche-Orient ancien, mais le discours tranche nettement à plusieurs titres. L’auteur de ce texte ramène ce type de littérature dans le giron d’une révélation purement monothéiste et dont l’historicité semble être affirmée au-delà du symbolisme, comme « une histoire de l’Histoire ». La création de l’univers tout entier appartient à Dieu seul. Aucune autre divinité n’intervient, aucune autre ne peut déclarer « et voici, cela était très bon » (Genèse 1 : 31). Les astres ne sont ni exaltés ni assimilés à des divinités, mais relégués au statut de simples luminaires. La cosmogonie biblique est spécifique et révolutionnaire, mais le langage lui, est très commun. Jacques Ellul l’exprime ainsi : 57 58

59

À titre d’exemple, voir André Wénin, Quand le salut se raconte, « Gilgamesh et Adam : un salut par le mythe ? », Bruxelles : Lumen Vitæ, 2000, p. 11-42. Matthieu Richelle, Comprendre Genèse 1-11 aujourd’hui, Charols : Exelsis, 2013, p. 23.

Ibid., p. 25.

99


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Tout est purement et simplement création, c’est-à-dire objet, chose qui est issue du créateur. Le bois c’est du bois et non la demeure d’un pan ou de déesses. L’eau, source ou océan, c’est de l’eau sans plus, la lune est un luminaire pour marquer les temps. […] La création biblique est totalement désacralisante parce qu’elle n’est en rien une théodicée […]. Le récit biblique de la création biblique est d’un dépouillement total. Dieu dit un mot et les choses sont, c’est tout60.

C’est de cette manière que se construit le récit biblique. Dieu parle dans la forme du langage des auditeurs auquel il s’adresse pour se faire connaître selon ses attributs éternels. En Genèse, Dieu se révèle donc comme l’unique Créateur et l’unique digne d’adoration. Plus tard, au temps du livre du Deutéronome, message de Moïse, l’alliance mosaïque, prend une forme semblable à celle des traités de e suzeraineté hittites du 2 millénaire av. J.-C. Ceux-ci réglaient les rapports entre un peuple conquis et son suzerain. Dans l’ancienne alliance, Dieu est le suzerain, Israël le vassal et la Torah sert de traité d’alliance qui lie les deux. Cette alliance est l’objet de bénédictions quand le peuple d’Israël la respecte et de punition quand le peuple d’Israël la transgresse. Le langage des traités de suzeraineté est explicite pour un auditeur du temps de Moïse; et de cette manière, au temps du Deutéronome, Dieu se révèle comme le Suzerain qui demande à son peuple la fidélité à son alliance ! C’est dans cette logique que, selon moi, Dieu inspire à Jean d’user du terme « logos », familier au monde grec, pour révéler son Fils ! Il ne s’agit pas seulement d’un emprunt étymologique. L’expérience que l’Église a de Jésus prévaut sur le contexte. Les apôtres, au contact du Christ, trouvent dans le langage des philosophes un terme assez large et compréhensible pour dire qui est celui qui s’est manifesté à eux. Ils redéfinissent le logos à partir de leur connaissance empirique de Christ, plus que par abstraction conceptuelle. Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie,- et la vie a été manifestée, et nous l’avons vue et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée. 1 Jean 1 : 1-2

Le même Jean qui a vu et touché Christ le présente en tant que le logos dans son Évangile. Qui mieux que lui pourrait évaluer la pertinence de ce terme pour définir son bien-aimé ? 60

Jacques Ellul, La Subversion du christianisme, Paris : La table ronde, 2018, p. 89.

100


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

b. L’héritage juif Comme nous l’avons largement vu, le contexte helléniste n’est pas le seul à faire émerger l’idée d’une parole divine personnifiée. Jean est un Juif, qui reçoit certainement autant des philosophes grecs de son époque que de la memra des targumim, de la hokma des Proverbes et du davar de l’Ancien Testament, la certitude que la Parole de Dieu est une personne à part entière. La symétrie entre la Parole de Dieu dans l’Ancien Testament et Jésus dans le Nouveau nous l’enseigne. Dans leur détresse, ils crièrent à l’Éternel, et il les délivra de leurs angoisses ; il envoya sa parole [ḏaḇār] et les guérit, il les fit échapper de la fosse. Psaumes 107 : 20

Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Jean 3 : 17

La plus éminente philosophie des « nations » et la plus profonde théologie des Juifs coïncident en la figure du Messie, Parole de Dieu. Plus encore, les philosophes eux-mêmes se sont nourris de l’Ancien Testament pour forger leur conception du logos, comme Philon d’Alexandrie. Seul le Dieu de l’histoire préparant secrètement et souverainement les peuples de la terre à connaître son Fils pouvait réunir en une seule figure comprise de tous, celui dont les prophéties bibliques annonçaient la venue. Le Dieu de l’histoire raconte son histoire avec le langage des philosophes.

c. Trahison ? L’accusation de trahison, ne peut être reçue sans preuve. Si A. Alem avait donné la preuve que le Jésus de Jean, logos de Dieu, était un autre que le Jésus de l’histoire, nous aurions dû laisser de côté notre foi pour passer à « un autre Jésus » (2 Corinthiens 11 : 4). Mais Jésus a-t-il dénié venir d’en haut, comme les philosophes le concédaient du logos ? A-t-il dénié avoir tout pouvoir sur la terre et dans les cieux ? A-t-il dénié être l’expression même de l’être suprême ? A-t-il dénié être un médiateur entre Dieu et les hommes ? C’est tout l’inverse ! Le reste de l’ouvrage permettra au lecteur de s’en faire un avis clair. Il est possible de ne pas croire à ces affirmations, mais ne pas croire que ces affirmations étaient celles de Jésus lui-même est impossible à démontrer pour les prédicateurs musulmans. 101


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

En conclusion, le sens philosophique et théologique du terme logos, bien connu des philosophes et si utile pour dire le Christ, montre qu’en rien il ne faut limiter ce terme à un simple discours. Preuve n° 7 !

8. Apocalypse 19 :13, le logos est un nom Il est impossible de traiter de l’identité personnelle de Jésus, Parole de Dieu, sans citer ce verset : Et il était revêtu d’un vêtement teint de sang. Son nom est la Parole [logos] de Dieu. Apocalypse 19 : 13

Ici, le logos est le « nom » même d’une personne. Cette personne est pour l’écrasante majorité des commentateurs, Jésus-Christ lui-même. En écrivant de la sorte, Jean ne laisse planer aucun doute. Le Logos de Dieu est une personne et certainement pas un simple discours. Preuve n° 8 !

9. Les pères apostoliques et apologistes confirment A. Alem estime que les pères apologistes tels Justin, Clément d’Alexandrie ou Origène ont embrassé l’idée d’un Logos divin personnifié, car ils étaient eux-mêmes des philosophes grecs avant de se convertir61. Je dis : « Amen ! ». Dieu a effectivement attiré à lui un grand nombre de philosophes qui cherchaient sincèrement à découvrir les mystères de l’être divin créateur de toute chose. Le véritable Logos s’étant manifesté à eux, ils ont embrassé la foi en Jésus le Fils de Dieu. Celui que leur intelligence et leur intuition poursuivaient sans le connaître depuis des siècles est venu jusqu’à eux. Paul a bien prêché le Dieu inconnu que les grecs célébraient sans le connaître (Actes 17 : 23-23). La raison ultime, dont ils pressentaient l’existence, s’est incarnée. Ceci est donc l’aveu d’un apologète musulman : les Pères de l’Église n’ont pas compris autre chose que ce que nous avons démontré, à savoir que le Logos de l’Évangile selon Jean ne s’est jamais limité à un simple discours, puisque chez les philosophes il était déjà une personne et que cette personne n’était pas un concept puisqu’ils y ont adhéré comme personnage historique. Preuve n° 9 ! Bien que A. Alem tente de monter que le christianisme est le prolongement de la culture païenne, pour discréditer la foi en Jésus Parole de Dieu, tout semble indiquer qu’il correspond en réalité à une étonnante convergence de la philosophie grecque et de la théologie juive en l’unique personne de Jésus-Christ. Comment un simple homme a-t-il satisfait en 61

Alem, op. cit., p. 173-174.

102


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

son unique personne, par son enseignement, sa vie et ses œuvres, les aspirations les plus fondamentales et les plus élevées des Juifs et des Grecs ? Comment se fait-il que tant de philosophes grecs et de religieux juifs en quête de vérité ont cru la parole inouïe de Jésus : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14 : 6) ? La réponse la plus simple et la plus logique est que ceci est arrivé parce que Dieu avait préparé, par sa hokma et par ses prophètes, des hommes et des femmes à le connaître, issus « de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, et de toute nation » (Apocalypse 5 : 9). Ou bien Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs ? Ne l’est-il pas aussi des païens ? Oui, il l’est aussi des païens, puisqu’il y a un seul Dieu, qui justifiera par la foi les circoncis, et par la foi les incirconcis. Romains 3 : 29-30

7. JÉSUS, PAROLE ET ESPRIT DE DIEU DANS LE CORAN Le Coran reprend le thème biblique selon lequel Dieu crée toute chose par sa parole. Et c’est Lui qui a créé les cieux et la terre, en toute vérité. Et le 62 jour où Il dit : «Sois !» cela est, Sa parole est la vérité . Coran 6 : 73

Quand Nous voulons une chose, Notre seule parole est : « Sois ». Et elle est. Coran 16 : 40

C’est Lui qui donne la vie et donne la mort. Puis quand Il décide une affaire, Il n’a qu’à dire : « Sois », et elle est. Coran 40 : 68

Contre toute attente, le Coran conserve la trace de la description de Jésus comme « Parole de Dieu » et « souffle de vie ». Et il le fait dans un langage très proche de ce que nous avons lu dans Psaumes 33 : 6. Ô gens du Livre [chrétiens], n’exagérez pas dans votre religion, et ne dites d’Allah que la vérité. Le Messie ’Isa [Jésus], fils de Maryam [Marie], n’est qu’un Messager d’Allah, Sa parole [wakalimatuhu] qu’Il envoya à Maryam [Marie], et un souffle (de vie) [waroohun] venant de Lui. Croyez donc en Allah et en Ses messagers. Et ne 62

La Parole de Dieu est la Vérité et Jésus est appelé à la fois Parole et Vérité.

103


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

dites pas : « Trois ». Cessez ! Ce sera meilleur pour vous. Allah Allah n’est qu’un Dieu unique. Il est trop glorieux pour avoir un enfant. C’est à Lui qu’appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre et Allah suffit comme protecteur. Coran 4 : 171

Le titre de « Parole de Dieu » utilisé ici, l’est exclusivement pour Jésus : « Aucun autre dans le Coran ne bénéficie de ce privilège, aucun n’a porté 63 le nom de “Parole de Dieu” ». De même, nul autre que Jésus n’est appelé « Esprit de Dieu » dans le Coran. Ceci ne peut laisser indifférent le chrétien qui sait que Jésus est la « Parole » de Dieu au sens le plus divin dans la Bible et que l’Esprit de Dieu est l’Esprit saint, c’est-à-dire Dieu lui-même. Toutefois, comme nous l’avons dit, le sens biblique ne se résume pas à celui d’un simple décret divin, car le mot biblique pour « parole » (logos) intègre clairement une dimension divine lorsqu'appliqué à Jésus-Christ. De même le mot « Esprit » contient plusieurs sens que j’expliquerai pour ne pas confondre la perspective biblique et la perspective musulmane.

7.1. Jésus, Parole de Dieu 7.1.1. L’interprétation musulmane classique 64

Jésus est venu à l’existence par la seule parole de Dieu .

La tradition musulmane interprète les mots « parole » et « souffle », attribués à Jésus dans la sourate 4 : 171 autrement que les chrétiens ne le font à partir de la Bible. Le célèbre commentateur Ibn Kathîr déclare à propos de ce verset : Ne dites que la vérité à propos d’Allah : c’est à dire ne forgez pas de mensonges au sujet de Dieu disant qu’il a une compagne et s’est donné un fils. Que Dieu soit élevé au-dessus de ce qu’ils décrivent. Qu’Il soit exalté dans Sa gloire et Sa grandeur, loin de ce qu’ils lui imputent. Il n’y a nul Seigneur et nul Dieu hormis Lui. C’est pourquoi II dit à ces gens-là, les gens d’Écriture : « Le Messie, Jésus fils de Marie, a été le Prophète d’Allah et Son verbe qu’il a déposé dans Marie ». En d’autres termes, il n’a été qu’un des serviteurs de Dieu, une de Ses créatures, Il lui a dit : « Sois » et il a été. Il n’a été qu’un de Ses Messagers et Sa parole qu’il a jetée en Marie. Il l’a créé par la parole qu’on a confiée à Gabriel pour la jeter en Marie et en lui insufflant de Son Esprit. Ce souffle qui a pénétré dans l’intérieur de Marie pour arriver à 63

Karim Arezki, Jésus dans le Coran et dans la Bible, Lognes : Farel, 2016, p. 22.

64

Ibid., p. 23.

104


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

son utérus était comme une semence des père et mère. Pour cela on a donné à Jésus le surnom : « le Verbe de Dieu » et « Esprit émanant de Lui ». (Tafsîr Ibn Kathîr, Sourate 4, p. 210)

Ibn Kathîr commente malheureusement le Coran sans se référer aux textes antérieurs. Il n’explique pas, par exemple, que les apôtres appliquaient déjà à Jésus l’expression « Parole de Dieu » dans un sens bien particulier. De toute évidence, la section du Coran qu’il commente est adressée aux chrétiens pour les faire revenir sur leur conception divine de Jésus : « Ne forgez pas de mensonges au sujet de Dieu disant qu’il a une compagne et s’est donné un fils ». Bien qu’il ne définisse pas réellement le sens du mot « Verbe » dans cette section, Ibn Kathîr insiste sur l’aspect créé de ce Verbe. En disant que Jésus est « Sa parole qu’il a jetée en Marie », il montre qu’il n’est pas question de la Parole comprise comme un attribut de Dieu, et encore moins comme personne divine, mais plutôt dans le sens d’une parole décrétée : « Il n’a été qu’un des serviteurs de Dieu, une de Ses créatures, Il lui a dit : “Sois” et il a été ». Ibn Kathîr veut donc souligner que Jésus n’est qu’un homme selon le Coran, qui fut créé par la Parole d’Allah. 65 Dans la même lignée, selon Ahmad ibn Hanbal , lorsque le Coran fait de Jésus « une parole de Dieu », cela ne signifie pas que Jésus soit en lui-même « la parole de Dieu », mais plutôt la conséquence directe de la parole créatrice de Dieu. C’est aussi l’interprétation de Zamkhari :

Jésus a été appelé Verbe de Dieu parce qu’il est venu à l’existence par la seule parole de Dieu66.

Pour ces commentateurs, entre autres67, Jésus est appelé Parole de Dieu parce qu’il est le produit de la seule Parole de Dieu. Étant né sans Père, par l’unique « Sois ! » divin, Jésus devait être appelé Parole d’Allah. Karim Arezki note toutefois que « l’objection fondamentale que l’on peut opposer à cette explication est le fait qu’Adam ne soit pas appelé 65

66 67

Selon Ibn Taymiyya, dans Al-Jawâb us-sahîh li man baddala dîn al-massîh, 2/252 (« La réponse correcte à ceux qui ont altéré la religion du Messie ») : réfutation des chrétiens. URL : <www.maison-islam.com/articles/?p=533> (consulté le 28/4/2020). Karim Arezki, op. cit., p. 23.

Selon Karim Arezki, Baydawi et Razi s’alignent sur cette interprétation (p. 23). De même, on lit dans le Tafsīr al-Jalālayn : « Le Messie, Jésus, fils de Marie, n’était que le Messager de Dieu, et Sa Parole à laquelle Il a jeté, [qu’il] a transmise à, Marie, et un esprit, c’est-à-dire celui dont l’esprit est, de Lui : il [Jésus] est ici attaché à Dieu, exalté soit-Il, comme un honneur pour lui, et non comme vous le prétendez, qu’il est le fils de Dieu, ou un dieu à côté de Lui, ou l’un des trois, parce que celui qui possède un esprit est composé, tandis que Dieu transcende le fait d’être composé et l’attribution qu’on lui prête de l’être ». Jalāl al-Dīn al-Maḥallī Jalāl al-Dīn al-Suyūṭī, Tafsīr al-Jalālayn, Amman : Royal Aal al-Bayt Institute for Islamic Thought, 2007.

105


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

“Parole de Dieu” bien qu’il soit venu à l’existence sans père ni mère, et 68 uniquement par la parole créatrice « Sois ». Pour Allah, Jésus est comme Adam qu’Il créa de poussière, puis Il lui dit « Sois » : et il fut. Coran 3 : 59

En effet, on pourrait considérer qu’Adam, plus encore que Jésus, aurait été digne de recevoir ce titre de « Parole de Dieu » puisqu’il est non seulement sans père, mais sans mère non plus. Le Coran ne l’attribue cependant qu’à Jésus, l’affirmant à trois reprises (3 : 38-39 ; 3 : 45 ; 4 : 171). Le débat ne s’arrête toutefois pas là. Pour les musulmans sunnites, le fait qu’Adam ne soit pas appelé « Parole de Dieu » est logique. En effet, Jésus n’a pas été créé à partir d’un élément premier, telle la terre comme pour Adam, mais uniquement à partir de la parole « Sois ! » dans le ventre de Marie. C’est cet argument qu’ils invoquent pour expliquer l’exclusivité du titre « Parole de Dieu » pour Jésus. Il est encore possible de rétorquer que le verset 3 : 59 rapproche Jésus et Adam sur le mode de leur création. De même que Dieu s’est servi de la terre pour former Adam, il s’est servi de Marie pour former Jésus. L’idée que Jésus est formé du corps de sa mère et du souffle divin est d’ailleurs une interprétation musulmane connue. Roger Arnaldez cite Ismail Hakkı Bursevî à ce propos : Sache que Jésus a un côté corporel, un côté spirituel et une unité qui résulte de la réunion de ces deux aspects. Quand on considère le côté corporel, on pense que Jésus a été formé du corps de Marie (mot à mot « de l’eau » c’est-à-dire en terme moderne de l’ovule). Quand on considère le côté spirituel et les effets qu’il a eus, comme par exemple de ressusciter les morts, d’animer un oiseau fait de glaise, on juge qu’il vient du souffle de Gabriel. Mais quand on considère l’unité qui résulte de la réunion de ces deux aspects, on dit qu’il provient, et du corps de Marie et du souffle de l’ange69.

Le débat n’est donc pas clos. Dans ce sens les approches étymologiques peuvent être intéressantes. Selon une interprétation courante, l’expression kalâm-ullâh en arabe signifie « parole de Dieu » à la fois comme attribut de Dieu, « Verbe de Dieu », mais aussi comme parole prononcée : « décret ». C’est l’expression au sens large. Or, certains commentateurs font remarquer que cette expression n’est 68 69

Karim Arezki, op. cit., p. 23.

Roger Arnaldez, Jésus fils de Marie prophète de l’islam, Paris : Desclée, 1980, p. 107s.

106


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

pas attribuée à Jésus dans le Coran, mais uniquement l’expression kalimatullâh. Ils en déduisent que celle-ci ne désigne que la parole prononcée par Dieu, son ordre de création et non l’attribut divin de Parole, c’est-à-dire sa faculté interne à ordonner, interdire, instruire, etc. En ce sens, Jésus n’aurait jamais été assimilé à Dieu lui-même, mais plutôt à son décret. ’Isa est donc « parole provenant de l’ordre de Dieu » et non « parole absolument divine ». Un problème se pose alors. Chez les sunnites, les décrets de Dieu 70 sont eux-mêmes divins et incréés . Or, si Jésus est associé à un décret de Dieu, faut-il conclure qu’il soit lui-même incréé ? Le sens développé par les commentateurs musulmans classiques que j’ai cité infirme cette hypothèse. Jésus n’est pas la « Parole » de Dieu en tant qu’attribut ni même en tant que décret, mais plutôt la conséquence du décret de Dieu. Le décret divin est éternel et incréé, mais son produit ne l’est pas. Pour le prouver, plusieurs exemples dans le Coran et la Sunna sont avancés, où l’objet est nommé par l’attribut divin dont il dépend. Ainsi « le livre donné à Moïse » (6 : 154), « la pluie » (7 : 57), « le prophète » (9 : 61) ou « le paradis » (Sahih al-Boukhârî, n° 7449) sont appelés « une miséricorde » que Dieu accorde aux hommes. Or, ils ne sont pas eux-mêmes la miséricorde d’Allah, mais un effet de sa miséricorde. De même, il faudrait conclure que Jésus n’est ni l’attribut divin de Parole ni même le décret de Dieu, mais le résultat de ce décret. Malgré la force des arguments proposés par les commentateurs musulmans de l’islam sunnite classique, nous devons signaler que des experts musulmans du Coran ont soulevé des questions importantes qui relativisent le consensus de ces commentateurs.

70

Autrefois, les mou’tazilites estimaient que la parole d’Allah, c’est-à-dire le Coran, n’était pas éternelle et incréée, mais au contraire une création de Dieu. Leur point de vue bénéficiait d’une certaine cohérence, car ils estimaient que si la Parole émise par Allah était incréée, il y aurait alors deux incréés : le Coran et Allah. Cela mettait en cause l’unicité de Dieu (Tawhid). Face aux mou’tazilites, les ash’arites ont défendu au contraire que le Coran était éternel, unique et incréé. Ils ne pouvaient pas accepter l’idée que le décret créateur de Dieu (kun) ait pu être à l’origine du Coran, car Dieu aurait alors deux paroles distinctes, ce qui portait atteinte à l’unicité de Dieu (Tawhid). Chacune des écoles cherchant à préserver le dogme de l’unicité de Dieu, voyait donc chez l’autre une tendance à briser cette unicité. Pour les ash’arites l’unique Parole de Dieu se divise selon deux modalités : la parole incréée de Dieu qui est Sa parole interne (nafsi), et la parole récitée, formée par les sons vocalisés des croyants, selon un ordre précis. Le Coran est donc éternel dans cette perspective, mais lorsqu’il est récité, c’est une création. C’est cette interprétation que les sunnites d’aujourd’hui ont adoptée et qui a valu à Ahmad ibn Hanbal d’être persécuté par les mou’tazilites en son temps. Ces éléments historiques montrent d’ailleurs que la théologie islamique est le produit d’une histoire jalonnée de controverses et que le principal dogme de l’islam, At-Tawhid (mot qui ne se trouve pas textuellement dans le Coran) n’a pas été moins sujet à débat que le dogme trinitaire en son temps au sein du christianisme.

107


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

7.1.2. À contre-courant des commentateurs classiques Ali Merad est un islamologue musulman et historien de la pensée musulmane contemporaine. Sans jamais nier les affirmations explicites du Coran sur l’humanité de Jésus, il s’exprime sur la nature du Christ : 71

Jésus est plus que cela , tout dans le Coran porte à le représenter comme un être au-dessus de la commune condition des hommes. 72 Par là nous abordons la question de la nature du Christ .

Il développe ensuite son raisonnement : Peut-on affirmer que l’humanité du Christ se trouve établie dans le Coran ? Les choses ne sont pas si évidentes ; le problème comporte plusieurs difficultés […]. Il y a, en premier lieu, la naissance miraculeuse du Christ qui pose problème de son essence ; essence purement humaine, ou purement spirituelle ? Le Christ a été conçu « en vertu de la kalima (Parole) de Dieu », ou est-il la « kalima de Dieu » lui-même ? Le Coran dit textuellement : « Le Christ est seulement l’Apôtre de Dieu, Sa kalima (Parole), communiquée à Marie, et un Esprit de lui » (4 : 171). Ailleurs, il y est dit : « Lorsque les anges dirent : Ô Marie ! Dieu t’annonce la bonne nouvelle d’une kalima (Verbe) de lui, dont le nom est : le Christ, fils de Marie… » (3 : 55). Les commentateurs classiques ont voulu réduire la portée du terme kalima (parole, verbe), pour n’y voir que l’équivalent de « commandement », ou « ordre divin », c’est-à-dire l’impératif : « Sois ! » (kun). D’autres identifient la kalima au message même de Dieu, communiqué par les anges. Or, le texte ne dit pas : « le Christ est seulement l’Apôtre de Dieu, né de Sa Kalima » ; il dit bien : « l’Apôtre de Dieu et Sa Kalima ». Dans le second verset, il n’est pas dit : « Dieu t’annonce la bonne nouvelle d’un enfant produit par Sa Kalima », mais plutôt : « la bonne nouvelle d’une kalima de Lui ». Ainsi, la kalima semble bien devoir être comprise dans le sens de l’objet même de la bonne nouvelle, et non pas dans celui de l’annonce de la bonne nouvelle. En d’autres circonstances analogues, le Coran annonce un enfant, ghulâm, par des constructions identiques à celles du verset 3 : 55, mais où le mot ghulâm prend la place de kalima. On peut à cet égard établir le parallèle suivant : 71 72

Par « plus que cela », Ali Merad a dans l’idée que Jésus est Messie, Fils de Marie, prophète, envoyé de Dieu, et serviteur de Dieu, c’est-à-dire dépendant de Dieu.

Ali Merad, « Le Christ selon le Coran », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, Aix-en-Provence : Edisud ; Lyon : Persée, Université de Lyon, CNRS & ENS de Lyon 1968, p. 84. URL : <www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1968_num_5_1_983> (consulté le 28/4/2010).

108


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

3 : 55 : « Lorsque les anges dirent : “Ô Marie !, Dieu t’annonce la bonne nouvelle d’une kalima de Lui, dont le nom est le Christ, Fils de Marie…” ».

3 : 39 : « Les anges l’appelèrent (Zacharie) : « Dieu t’annonce la bonne nouvelle de Jean…” ». 19 : 7 : « Ô Zaccharie, Nous t’annonçons la bonne nouvelle d’un enfant, appelé Jean… »

Le commentaire d’Ali Merad est riche d’enseignement. Ces versets parallèles permettent de comprendre que Jean est lui-même une bonne nouvelle et non le produit d’une bonne nouvelle. De même Jésus est luimême la Parole de Dieu et non le produit de sa Parole. L’auteur poursuit : Dans la langue coranique, l’ordre divin est généralement exprimé par le mot amr. Y avait-il, cependant, du temps du Prophète, une acceptation particulière du mot kalima (« parole »), plus ou moins nuancée par quelque influence chrétienne ? Il est impossible de se prononcer. Mais la chose n’est pas improbable.

Ces affirmations tranchent assez nettement avec l’exégèse classique. Le terme kalima associé à Jésus ne se limite pas à la conséquence de l’ordre divin ni même à l’ordre divin lui-même, mais en une Parole plus essentiellement divine. Cela lui donne à réévaluer le mystère de l’identité de Jésus et de sa nature : La création exceptionnelle du Christ [semblable à celle d’Adam] inspire, a priori, l’idée d’une nature exceptionnelle. Cet être, produit miraculeusement dans le sein virginal de sa mère, par le seul effet de la kalima (Parole) de Dieu, comment peut-il être regardé comme un être humain pareil aux autres, comme un être terrestre, un simple mortel (bashar) ? S’il n’est pas, selon la formulation chrétienne, « le Verbe de Dieu fait chair », et s’il n’est pas exactement un être terrestre ordinaire, « comme Zayd et ’Amr », qu’est-il exactement ? Il faut noter que l’ambiguïté du vocabulaire coranique appliqué au Christ, se prête bien à ce genre de question.

7.1.3. Jésus est la Parole d’Allah, car il est prophète Tout prophète, entend-on parfois, est parole de Dieu, car tout prophète est porteur de la parole de Dieu. Ainsi, Jésus serait kalimat-ullâh en ce sens qu’il transmet la parole de Dieu, qu’il en est le porte-voix. Cet argument souffre d’un grave manque de cohérence et de rigueur. Aucun autre prophète dans le Coran n’est appelé kalimat-ullâh, pas même 109


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Mohammed qui est par excellence le prophète venant avec le « miracle » du Coran, parole de Dieu incréée et inaltérable. L’ange Gabriel qui est parfois appelé « Saint-Esprit de Dieu » et qui a apporté la révélation à Mohammed n’est pas non plus appelé Parole de Dieu. Dis : « C’est le Saint Esprit [Gabriel] qui l’a fait descendre de la part de ton Seigneur en toute vérité, afin de raffermir [la foi] de ceux qui croient, ainsi qu’un guide et une bonne annonce pour les Musulmans ». Coran 16 : 102

Cela renforce donc le mystère de l’exclusivité de ce titre donné à Jésus. Pour atténuer la singularité de l’expression « Jésus, Parole de Dieu », il m’est arrivé de rencontrer certains musulmans faisant valoir l’idée que Moïse est lui aussi appelé Parole de Dieu selon l’expression Kalim Allah et qu’ainsi Jésus n’est pas le seul à être nommé Parole de Dieu. Ce titre ne peut dès lors plus être compris comme reflétant la divinité de Jésus, puisque tous s’accordent à dire que Moïse n’est pas divin. Toutefois, comme l’explique Maurice Borrmans, l’expression Kalim Allah attribuée à Moïse signifie en réalité « celui qui a conversé directement avec Dieu », en référence à son dialogue avec Dieu sur la montagne et non « Parole de Dieu » (4 : 164). L’argument de ces musulmans tombe donc à l’eau. Moïse est Kalim Allah (interlocuteur de Dieu) mais Jésus est Kalimat Allah (Verbe de Dieu). Maurice Borrmans déclare plus précisément : Le fait est que le Coran signale que Dieu a parlé (kallama) à « cer tains envoyés qu’il a préférés » (2 : 253) et, tout particulièrement, à Moïse (kalamah Allâhu Mûsâ taklîman), « Dieu a réellement parlé à Moise » (4 : 164, voir aussi 7 : 143), si bien que la tradition musulmane a donné à celui-ci le surnom de Kalîm Allâh (Interlocuteur de Dieu). (Borrmans, op. cit., p. 263)

Non seulement l’expression attribuée à Moïse n’a pas le sens de celle attribuée à Jésus, mais elle ne se trouve pas directement dans le Coran. Elle est une expression forgée par la tradition musulmane.

7.1.4. Jésus connaît intimement Dieu Les musulmans fournissent une autre explication intéressante au fait que Jésus soit Kalimat Allah (Parole de Dieu) : Une troisième explication consiste à dire que Jésus connaît intimement la Parole de Dieu au point d’être appelé « Parole de Dieu ». L’exégète Razi écrit : « Jésus avait atteint dans la 110


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

connaissance de la Parole de Dieu le degré le plus haut… qu’Il a été la cause de la pleine manifestation de la Parole divine… qu’Il a révélé la vérité et les mystères divins. » On pourrait formuler la même objection que pour la thèse 73 précédente , à savoir que le titre de « Parole de Dieu » a été donné à Jésus au début et non pas à la fin de sa vie (Q 3 : 39, 45). Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il a atteint un certain degré de connaissance qu’il est appelé « Parole de Dieu ». (Arezki, p. 24)

L’argument de Karim Arezki est très efficace. Jésus n’est certainement pas « Parole de Dieu » en raison de l’acquisition du plus haut degré de connaissance de Dieu au cours de sa vie, puisqu’il est né avec ce nom. Il faut donc trouver une meilleure raison à cette mention dans le Coran. J’ajoute que si Jésus était nommé « Parole de Dieu » pour avoir reçu le plus haut degré de connaissance de Dieu, cela pourrait laisser entendre de lui qu’il est un être quasi omniscient, selon ce que l’on entend par « avoir le plus haut degré de connaissance de Dieu ». En effet, Razi déclare que Jésus est la « pleine manifestation de la Parole divine ». Ce type d’expression n’est pas loin de ce que la Bible dit de Jésus : Car en lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité. Colossiens 2 : 9

Celui qui m’a vu a vu le Père ; comment dis-tu : Montre-nous le Père ? Jean 14 : 10

Celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, parce que Dieu ne lui donne pas l’Esprit avec mesure. Le Père aime le Fils, et il a remis toutes choses entre ses mains. Jean 3 : 34-35

Si cela signifie que Jésus a reçu une connaissance parfaite de Dieu, Jésus est capable de connaître et de manifester parfaitement un être éternel et infini, chose impossible pour une simple créature. De plus, cette pleine connaissance de Dieu lui serait octroyée dès sa naissance. Jésus serait alors omniscient dès le berceau. Relions aussi cette idée aux versets du Coran mentionnant Jésus parlant dès le berceau (3 : 46 ; 5 : 110 ; 73

La « thèse précédente » que Karim Arezki mentionne (p. 24) consiste à dire que Jésus est appelé « Parole de Dieu », car il est un être pur. Cet argument m’a semblé moins fort et moins explicite que les deux autres. La réponse du professeur Arezki est en revanche explicite. Ni Marie ni Jean-Baptiste, eux aussi déclarés purs, n’ont été appelés « Parole de Dieu ». Et lorsque certains théologiens expliquent que la pureté de Jean-Baptiste ou de Jésus renvoient à une pureté acquise et non innée, cela ne peut que prêter à confusion puisque Jésus est appelé pur dès sa naissance, en dehors de tout acquisition de pureté postérieure.

111


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

19 :29), il devient impossible de soutenir que Jésus soit un homme de même nature que les autres. Que sa connaissance soit totale ou partielle, elle est toutefois – dans le Coran et dès sa naissance – autre que celle d’un homme normal. Razi n’avait certainement pas un tel développement en tête, mais l’expression « Parole de Dieu » attribuée à Jésus ne peut, en aucun cas, renvoyer à sa connaissance de Dieu sans poser plusieurs difficultés majeures pour les théologiens musulmans.

7.2. Jésus, Esprit de Dieu 7.2.1. L’interprétation musulmane classique Ahmad ibn Hanbal, déjà cité, déclare : Lorsqu’il est dit que Jésus est « une âme, de Dieu », cela ne veut pas dire que Jésus soit une âme qui serait une partie de Dieu, mais qu’il est une âme créée de façon extra-ordinaire par Dieu74.

Ibn Kathîr déclare : Quant au terme « Esprit », il ne faut pas l’interpréter comme étant une « partie » de Dieu comme prétendent les chrétiens, plutôt c’est une « âme » créée comme d’autres puis on l’a adjointe à Dieu en disant : « un Esprit émanant de Dieu » pour le combler de respect et de haute considération75.

Avec un langage plus spiritualisant, al-Kāshānī dit : Jésus est Sa Parole, une âme désengagée, une parole parmi les paroles de Dieu, c’est-à-dire une de Ses réalités spirituelles, un esprit parmi [plusieurs] esprits.

Al-Suyuṭī explique : Jésus, fils de Marie, n’était que le Messager de Dieu, et Sa Parole à laquelle Il a jeté, [qu’il] a transmise à, Marie, et un esprit, c’est-à74 75

Selon Ibn Taymiyya dans Al-Jawâb us-sahîh li man baddala dîn al-massîh, 2/252 (La réponse correcte à ceux qui ont altéré la religion du Messie) : réfutation des chrétiens.

Ibn Kathîr [mort en 774], L’Interprétation du Coran, sourate 4 : « Les femmes ». Dans la même section, toujours selon le commentateur Ibn Kathîr : « Il est cité dans le Sahih de Boukhârî d’après Oubada Ben As-Samet que l’Envoyé de Dieu le bénisse et le salue – a dit : “Quiconque atteste qu’il n’y a d’autre divinité que Dieu, l’Unique, Il n’a pas d’associé, que Mohammed est Son serviteur et Son Messager, que Jésus est le serviteur de Dieu et Son Messager et la parole qu’il a jetée en Marie, que le Paradis est une vérité et que l’Enfer est une vérité, celui-là entrera au paradis quelle [sic] qu’étaient ses œuvres ». Consultable en ligne sur Scribd. URL : <https://fr.scribd.com/doc/156315874/4SOURATE-NISA-pdf> (consulté le 3/10/2018).

112


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

dire celui dont l’esprit est, de Lui : il [Jésus] est ici attaché à Dieu, exalté soit-Il, comme un honneur pour lui, et non comme vous le prétendez, qu’il est le fils de Dieu76.

Ces auteurs classiques appliquent la même logique que celle utilisée pour Jésus en tant que Parole de Dieu (kalima). C’est l’humanité de Jésus que ces commentateurs cherchent à démontrer en martelant l’idée que Jésus est « une âme créée », « comme d’autres », « adjointe à Dieu », « une âme désengagée », « un esprit parmi plusieurs esprits », « un esprit, c’està-dire celui dont l’Esprit provient d’Allah ». Ces commentaires anciens n’exposent malheureusement pas d’arguments linguistiques ou d’explications présentant les différentes thèses existantes au sujet des expressions coraniques Jésus « parole de Dieu » ou Jésus « Esprit de Dieu ». Les critères scientifiques modernes ne sont que faiblement satisfaits par une telle approche. Celle-ci se résume à une série d’affirmations dogmatiques. Les chrétiens sont ouvertement interpellés et appelés à changer leur point de vue sur la croyance en la divinité de Jésus à partir de la prédication d’un message réutilisant des expressions d’origines juives et chrétiennes qui prennent un sens nouveau. L’idée est de faire entendre aux chrétiens qu’ils ont perdu le sens véritable de ces expressions.

7.2.2. À contre-courant des commentateurs classiques Le théologien musulman Ali Merad s’interroge encore sur le bienfondé de l’interprétation musulmane classique au sujet de Jésus « Esprit de Dieu77 ». Selon lui : Il y a bien pour le moins, deux acceptions de ce terme dans le Coran : 1°) L’Esprit, l’Esprit Saint, l’Esprit Fidèle, appellations coraniques désignant l’archange Gabriel, le messager de la Révélation. 2°) L’autre sens de rûh’ s’applique à l’Esprit en général, et se trouve le plus souvent construit avec le pronom affixe nâ relatif à Dieu ; le tout précédé de la préposition min, de ; ce qui correspond à l’expression : « de Notre Esprit ».

Il pose alors la question légitime : Mais que recouvre, au juste, cette expression ? S’agit-il d’un principe spirituel, provenant de Dieu, comme on dit de l’âme 76 77

Tafsīr al-Jalālayn de Jalāl al-Dīn al-Maḥallī Jalāl al-Dīn al-Suyūṭī, Royal Aal al-Bayt Institute for Islamic Thought Amman, Jordanie, 2007. Ali Merad, op. cit., p. 86-87.

113


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

qu’elle provient de Dieu, que c’est Lui qui l’envoie, pour animer un être humain ? Ou bien s’agit-il d’une référence à l’essence même de l’Être divin, auquel cas l’expression « de Notre Esprit » autoriserait à comprendre qu’il s’agit d’une relation particulière à la personne de Dieu, pour ne pas dire d’une participation à l’essence divine, ce qui serait incompatible avec la conception musulmane du pur unitarisme (tawh’îd ).

Comme il avait pu le remarquer au sujet du traitement de kalima, le langage du Coran conserve une part d’ambiguïté : Le terme rûh’ (esprit) comporte donc une certaine obscurité. En dépit de l’usage courant, et actuel, de rûh’ = âme, il semble bien que le sens d’« âme individuelle » soit à écarter. Dans la langue coranique, l’âme individuelle est rendue par nafs : souffle vital (89 : 27-30)78. Pourtant, dans la relation de la conception de Jésus, lorsqu’à deux reprises le Coran évoque le sein virginal de Marie, il dit : « Nous y avons insufflé de notre Esprit » (21 : [91] ; 66 : [12]). Ces emplois sont à rapprocher de ceux appliqués à la création d’Adam : « Nous avons insufflé en lui (fi-hi ) de Notre Esprit » ([15 : 28-29] ; 38 : [72] ; 32 : 9).

D'après Ali Merad, pour nulle autre personne que Jésus et Adam, le Coran ne décrit le terme d’âme humaine par rûh’. C’est nafs qui est préféré. L’Esprit de Dieu semble donc lui-même impliqué dans la naissance de Jésus et d’Adam de manière unique (je reviendrai plus loin sur la différence entre Jésus et Adam). Ali Merad poursuit : À supposer même que l’usage coranique tendrait à restreindre la notion de rûh’ au sens d’âme, le fait qu’il n’emploie jamais le mot rûh’ au singulier indéterminé79 : rûhan = « une âme », pour dire : « Nous y avons insufflé une âme », cela pose un problème. Le fait qu’il dise toujours : « Nous y avons insufflé de notre Esprit », pose également un problème.

Il pointe du doigt l’ambiguïté du langage. Ce n’est pas « une âme » qui est insufflée à Jésus et Adam mais « de son Esprit ». Ce que Dieu insuffle n’est donc plus de l’ordre de la créature, mais du Créateur. Pour conclure son étude du mot rûh’, A. Merad enfonce le clou : Sans doute faut-il s’orienter vers une recherche de la notion d’âme dans la conception religieuse des Arabes, à l’époque 78 79

« Ô toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée. Entre parmi Mes Serviteurs ! Entre dans Mon Jardin. » Ali Merad ajoute : « Sauf une fois (42 : 52), au sens d’“un messager” (un ange) ».

114


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

du Prophète, pour savoir dans quelle mesure le mot nafs ne signifie-t-il pas l’âme, en tant que souffle vital, lié au corps (les emplois en poésie arabe archaïque orienteraient vers cette hypothèse), tandis que rûh’ désignerait plutôt la nature spirituelle, impérissable, immortelle. Mais l’existence, dans le Coran, du terme nafs, pour désigner l’âme immortelle (89 : 27-30), ainsi qu’il a été indiqué plus haut, n’aide pas à résoudre la difficulté. Tout au plus peut-on admettre que le terme rûh’ (esprit), appliqué à la fois – et uniquement – à Adam et à Jésus, laisserait pressentir une nature spirituelle infiniment plus éminente que ne le sont les natures communes. Par sa constante jonction avec le nom de Dieu, le terme rûh’ constitue, semble-t-il, un signe exceptionnel, en quoi se manifeste avec éclat la sollicitude divine.

En tant que musulman, Ali Merad ne sort pas de la compréhension musulmane, mais il va jusqu’au bout de ce que le Coran permet et même suggère. Il exprime assez nettement que la nature de Jésus et celle d’Adam sont autres que celle du commun des mortels, par le simple fait qu’ils sont tous deux rûh’Allah, Esprit de Dieu. Ali Merad ne traite cependant pas de la différence d’usage du mot rûh’ entre Jésus et Adam. Celle-ci semble plaider en faveur de la divinité de Jésus et de la simple humanité d’Adam.

Adam Tout d’abord, il est tout à fait étonnant de remarquer dans la sourate 15 : 28-29, que c’est au moment où Adam reçoit de l’Esprit de Dieu en lui que les anges doivent se prosterner. Est-ce devant une âme humaine, est-ce devant la fonction vitale d’Adam, ou bien est-ce devant l’Esprit de Dieu dont Adam devient l’habitation, le temple – pour reprendre le langage biblique – que les anges se prosternent ? Il serait utile de s’interroger sur ce qui fait d’Adam un être digne de prosternation. Ce qui est sûr c’est qu’il est question de l’Esprit même d’Allah et non d’une âme humaine dans ces trois versets. Le mot âme aurait certainement été rendu par le mot nafs autrement. C’est ce que suggère un verset comme celui-ci : Ceux qui ont fait du tort à eux-mêmes, les Anges enlèveront leurs âmes (nafs) en disant : « Où en étiez-vous ? » [À propos de votre religion] – « Nous étions impuissants sur terre », dirent-ils. Coran 16 : 102

115


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Le rûh’ pour Adam, Jésus…et le Coran ADAM

JÉSUS (ET MARIE)

CORAN

Puis Il lui donna sa forme parfaite [Adam] et lui insuffla de Son Esprit [rûh’]. Et Il vous a assigné l’ouïe, les yeux et le cœur. Que vous êtes peu reconnaissants ! (32 : 9)

Le Messie ’Isa [Jésus], fils de Maryam [Marie], n’est qu’un Messager d’Allah, Sa parole qu’Il envoya à Maryam [Marie], et un souffle [rûh’] (de vie) venant de Lui. (4 : 171)

Allah dit : « Quand Je l’aurai bien formé [Adam] et lui aurai insufflé de Mon Esprit [rûh’], jetezvous devant lui, prosternés ». (38 : 72)

De même, Maryam [Marie], la fille d’Imran qui avait préservé sa virginité ; Nous y insufflâmes alors de Notre esprit [rûh’]. Elle avait déclaré véridiques les paroles de son Seigneur ainsi que Ses Livres : elle fut parmi les dévoués. (66 : 12)

Et c’est ainsi que Nous t’avons révélé un esprit [rûh’] [le Coran] provenant de Notre ordre. Tu n’avais aucune connaissance du Livre ni de la foi ; mais Nous en avons fait une lumière par laquelle Nous guidons qui Nous voulons parmi Nos serviteurs. Et en vérité tu guides vers un chemin droit. (42 : 52)

Et lorsque ton Seigneur dit aux Anges : « Je vais créer un homme d’argile crissante, extraite d’une boue malléable et dès que Je l’aurai harmonieusement formé et lui aurai insufflé Mon souffle [rûh’] de vie, jetezvous alors, prosternés devant lui ». (15 : 28-29)

Et celle [la vierge Maryam, Marie] qui avait préservé sa chasteté ! Nous insufflâmes en elle un souffle [de vie] venant de Nous et fîmes d’elle ainsi que de son fils, un signe [miracle] pour l’univers. (21 : 91)

Ce qui est mis dans l’homme, ou enlevé de l’homme normal, c’est le nafs (voir 6 : 93 ; 7 : 37 ; 8 : 50). Le mot rûh’ dans le Coran est soit l’Esprit de Dieu, soit l’ange de la révélation, soit le Coran mais jamais une âme humaine (2 : 87, 253 ; 5 : 110 ; 16 : 102 ; 19 : 17 ; 26 : 193 ; 40 : 15 ; 42 : 52 ; 70 : 4 ; 78 : 38 ; 97 : 4). 116


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

Dans ce sens, on peut se demander si pour Adam, il ne s'agit pas d'une dimension spirituelle autre que l’âme dont il est question, à la manière des prophètes bibliques remplis du Saint-Esprit ou des prophètes coraniques, fortifiés du Saint-Esprit.

Jésus Au sujet de Jésus, Karim Arezki écrit : La deuxième déclaration coranique réservée uniquement à Jésus est « Jésus, Esprit de Dieu » (Q 4 : 171). Si pour Adam, Dieu a insufflé son Esprit en lui, pour Jésus c’est tout son être qui est l’Esprit de Dieu, y compris son corps physique. (Arezki, p. 25)

Au sujet d’Adam (trois fois) et Marie (deux fois), Dieu « lui insuffla de Son Esprit [rûh’] ». L’on distingue nettement le souffle et Adam, le souffle et Marie. Notez la différence avec l’expression : « Il est un souffle [rûh’] venant de Lui » : Jésus est assimilé à ce souffle sans aucune distinction. Les versets sur Marie ne devraient pas représenter une difficulté : De même, Maryam [Marie], la fille d’Imran qui avait préservé sa virginité ; Nous y insufflâmes alors de Notre esprit. Elle avait déclaré véridiques les paroles de son Seigneur ainsi que Ses Livres : elle fut parmi les dévoués. Coran 16 : 102

L’expression « Nous y insufflâmes alors de Notre esprit » (attribué à Marie pour la naissance de Jésus et à Adam au démarrage de sa vie) exprime l’intention vivifiante et initiale de Dieu. Or, cela renvoie dans la représentation chrétienne à l’action du Saint-Esprit couvrant Marie de son ombre. L’ange lui répondit : Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. Luc 1 : 35

La Bible fait référence à l’effusion de l’Esprit et non à l’infusion d’une âme. Étymologiquement, la présentation coranique de ’Isa, Esprit de Dieu, est très intéressante : elle reflète la conception antérieure de la foi chrétienne, oubliée par les musulmans. Chez les chrétiens, Jésus est à la fois Dieu lui-même et temple du Saint-Esprit. Les deux usages du terme rûh’ appliqués à Jésus dans le Coran semblent y faire écho. 117


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

Le Coran Un verset coranique contenant le mot rûh’ fait débat : Et c’est ainsi que Nous t’avons révélé un esprit [rûh’, le Coran] provenant de Notre ordre. Tu n’avais aucune connaissance du Livre ni de la foi ; mais Nous en avons fait une lumière par laquelle Nous guidons qui Nous voulons parmi Nos serviteurs. Et en vérité tu guides vers un chemin droit. Coran 42 : 52

Certains commentateurs, comme Ali Merad, voient derrière le ruh’, un ange, envoyé par Allah (le verset précédent mentionne l’envoi du messager, l’ange ; parfois appelé ruh’, il communique les révélations au prophète). En revanche, beaucoup de commentateurs musulmans estiment aujourd’hui que ce ruh’ est le Coran lui-même. En témoigne l’ajout entre crochets dans les exemplaires coraniques : « [le Coran] ». Ibn Kathîr commente : C’est ainsi que nous t’avons révélé l’esprit [ruh’] de notre règle ou suivant une autre traduction : un Esprit [ruh’] ou un souffle de notre commandement, il s’agit sans doute du Coran « alors que tu ne connaissais ni le Livre ni la foi » car ce Livre comporte toutes les règles de la foi. (Tafsîr Ibn Kathîr, Sourate 4, p. 539)

Si le Coran est ici un esprit [rûh’] du commandement de Dieu, alors le Coran est soit lui-même divin, incréé et éternel soit le simple fruit d’un décret divin et éternel. Or, le dogme du Coran incréé est précisément la croyance des musulmans sunnites. Pour eux, le Coran est incréé en tant que Parole et attribut de Dieu, bien qu’il le soit dans sa forme manuscrite ou lue. Si on applique cette interprétation du mot rûh’ à Jésus lorsqu’il est décrit comme « Sa parole [kalima] qu’il envoya à Maryam [Marie], et un souffle [rûh’] [de vie] venant de Lui », alors il doit être considéré comme divin, incréé et éternel bien qu’il soit un être créé sous le rapport de son existence extérieure humaine. Karim Arezki propose de regarder le sens de l’expression Jésus « Esprit de Dieu » sans se voiler la face sur le contenu d’écrits antérieurs : Un détour par les Écrits antérieurs (chrétiens) peut éclairer cette déclaration coranique. En effet, un rapprochement peut être fait avec les paroles de l’apôtre Paul dans la deuxième épître aux Corinthiens, chapitre 2, les versets 10 et 11 : 10

Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. Lequel des hommes, en effet, connaît les choses de l’homme,

11

118


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, personne ne connaît les choses de Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. Dans ce passage, l’apôtre Paul fait un parallèle entre l’esprit de l’homme qui est en l’homme, qui connaît ce qui est dans l’homme et l’Esprit de Dieu qui connaît les choses de Dieu. (Arezki, p. 26)

Le débat interreligieux m’a appris à prévenir la grande défiance que les polémistes musulmans ont à l’égard de Paul (pour eux, il aurait introduit de nouvelles doctrines). Aussi, je citerais aussi Jésus lui-même quant à l’essence même de Dieu : Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. Jean 4 : 24

Dans la Bible, Dieu lui-même est Esprit et donne aux croyants de recevoir son Esprit pour l’adorer : Sur la base du raisonnement de Paul dans ce passage, on peut conclure que la déclaration coranique “Esprit de Dieu” appliquée à Jésus est une manière d’évoquer sa divinité ». (Arezki, p. 26)

Bachar : une autre différence entre Adam et Jésus Avant de conclure cette section au sujet du « Jésus, Parole et Esprit de Dieu dans le Coran », je mettrais encore une fois en avant une analyse du théologien musulman Ali Merad au sujet du mot bachar dans le Coran : Si les termes kalima (parole) et rûh’ (esprit) posent une difficulté, quant à la définition de la nature du Christ, il en est un autre, en revanche, dont l’absence dans le Coran ne manque pas de susciter des interrogations, il s’agit du mot bachar. En effet, le Coran présente le Christ comme un « serviteur » de Dieu (19 : 30 ; 4 : 172), appellation qui s’applique tout aussi bien aux hommes qu’aux anges « les plus rapprochés » de Dieu, muqarrabûn (4 : 172). Dans la perspective coranique, le terme ’abd (serviteur) vise à affirmer la condition de dépendance à l’égard de Dieu. Contrairement à l’usage commun, le terme abd n’exprime pas la notion d’« humanité », mais plutôt celle de service de Dieu. Or, à bien réfléchir sur la condition des Prophètes dans le Coran, on s’aperçoit qu’il y a presque toujours une référence à leur condition d’hommes charnels. En effet, dans le Coran, le terme bachar est bien distinctif de l’humanité terrestre, par opposition 119


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

au monde des esprits80. C’est ainsi que, pour sa part, le prophète Muh’ammad proteste maintes fois qu’il est seulement un homme comme les autres, un simple mortel (Coran 17 : 93 ; 18 : 110 ; 41 : 6). II est remarquable, à cet égard, qu’à aucun moment le terme bachar n’est appliqué au Christ. Il semble évident, pourtant, que c’eût été le meilleur argument pour infirmer la conception de la divinité du Christ, et pour présenter celui-ci sous les traits d’un simple mortel. Le Coran ne dit que ce qui a valeur d’enseignement. Il ne cède jamais à l’anecdote. Compte tenu de la naissance miraculeuse de Jésus, de sa nature spirituelle (kalima, rûh’ ) de sa fin exceptionnelle, comment aurait-il pu être présenté comme un homme ordinaire ? Tout, au contraire, dans le Coran, nous oriente vers une conception du Christ comme un évènement exceptionnel dans l’histoire du monde, évènement chargé de significations exceptionnelles. Quoi qu’il en soit, dans l’impossibilité de cerner le vrai sens des termes kalima (parole) et rûh’ (esprit), appliqués au Christ (à moins qu’on n’infléchisse le sens coranique suivant des lignes de pensée chrétienne), et dans l’impossibilité de décider de la véritable portée de l’absence du terme bachar dans la relation de la vie de Jésus selon le Coran, on peut simplement retenir qu’il se dégage de celle-ci une leçon incomparable. Œuvre exceptionnelle de Dieu, messager exceptionnel, privilégié en tout par Dieu, le Christ porte témoignage d’une exceptionnelle sollicitude divine. À travers les données coraniques relatives à Jésus, Fils de Marie, on ne peut s’empêcher de reconnaître une indubitable convergence : toutes ces données paraissent tendre à l’affirmation de la suréminence du Christ. (Merad, p. 87-88)

Jamais Jésus n’est appelé bachar, être humain, simple mortel, dans le Coran, là où Mohammed répète l’être. Cet argument est particulièrement intrigant et devrait interpeller les musulmans sur la nature de Jésus. Les remarques d’Ali Merad sont explicites : la façon dont le Coran décrit Jésus comme « Parole de Dieu » et « Esprit de Dieu » lui donne une place inégalable. L’analyse de ces expressions me mène à considérer que le Coran n’arrive pas à convaincre sur la nature exclusivement humaine de Jésus. Sa double nature, divine et humaine, ressort au-delà des efforts pour la camoufler.

80

Coran 15 : 28 ; 25 : 54 ; 38 : 71-72 ; 15 : 33.

120


L es noms d iv ins att r ibu é s à Jé sus

7.3. Tenons ferme sur le roc de la Bible Comme nous l’avons vu, les expressions « Parole de Dieu » et « souffle de Dieu » sont bien antérieures au Coran, élément que les théologiens classiques de l’islam sunnite n’abordent que pour exposer leur point de vue. Qu’en penser du point de vue chrétien ? Le Coran, en prétendant corriger le sens donné par la Bible, en trahit l’idée originelle. Nous devrions plutôt en rester au sens biblique de « Jésus, Verbe de Dieu ». Le Coran et l’Ancien Testament expriment de manière assez similaire comment Dieu crée toutes choses par sa Parole et son Esprit (souffle). Quant à la mention de Jésus comme « Parole de Dieu », il ne fait aucun doute que le Coran reprend ici le thème développé par l’apôtre Jean dans son Évangile pour le refondre dans une nouvelle perspective. Il le tenait lui-même de la Bible hébraïque. Le Coran peine toutefois à convaincre le chrétien déjà familiarisé avec le sens original. Pire, bien analysé, il le renforce dans sa foi. Cette reprise par le Coran pose problème aux musulmans parce que la Parole de Dieu est, par définition, de nature divine : elle est toute-puissante, éternelle et parfaite. Si Jésus est la Parole de Dieu, c’est là une preuve évidente de sa divinité. Le Coran s’exprime dans un langage ambigu là où la Bible ne laisse aucun doute. Jean est très clair à ce sujet : « La Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu » (Jean 1 : 1). Les musulmans font donc face à un dilemme. Jésus n’est-il qu’un simple messager (verset 171 de la sourate 4) ? Ou bien est-il la Parole de Dieu, comme le dit ce même verset ? Peut-il être les deux en même temps ? Ces deux affirmations semblent se contredire… à moins de confesser la double nature de Jésus : homme et Dieu. Je ne dis pas que le Coran affirme la divinité de Jésus, puisqu’il vise à prouver tout l’inverse ! Mon chapitre traitant de « Jésus dans l’islam » est clair à ce propos. Mais il le fait en empruntant des expressions bibliques et ces expressions, lorsqu’elles sont analysées, en laissent transparaître la signification d’origine. Ce que la Bible déclare à propose de l’Esprit de Dieu est sans équivoque, comme le montrent les versets ci-dessous.

7.3.1. L'Esprit de Dieu participe à la création du monde La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit [rūaḥ] de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Genèse 1 : 2

121


LA DIVINITÉ DU CHRIST FACE À L'ISLAM

7.3.2. L'Esprit de Dieu habitait originellement le cœur de l’homme Alors l’Éternel dit : Mon esprit [rūaḥ] ne restera pas à toujours dans l’homme, car l’homme n’est que chair, et ses jours seront de cent vingt ans. Genèse 6 : 3

7.3.3. L'Esprit de Dieu est donné aux prophètes et rois de l’AT pour qu’ils puissent mener à bien leurs missions Isaï l’envoya chercher. Or il était blond, avec de beaux yeux et une belle figure. L’Éternel dit à Samuel : Lève-toi, oins-le, car c’est lui ! Samuel prit la corne d’huile, et l’oignit au milieu de ses frères. L’esprit [rūaḥ] de l’Éternel saisit David, à partir de ce jour et dans la suite. Samuel se leva, et s’en alla à Rama. 1 Samuel 16 : 12-13

L’esprit [rūaḥ] du Seigneur, l’Éternel, est sur moi, car l’Éternel m’a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux ; il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs la liberté, et aux prisonniers la délivrance. Ésaïe 61 : 1

7.3.4. L'Esprit de Dieu devait venir habiter à nouveau le cœur de l’homme Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit [rūaḥ] nouveau ; j’ôterai de votre corps le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit [rūaḥ] en vous, et je ferai en sorte que vous suiviez mes ordonnances, et que vous observiez et pratiquiez mes lois. Ézéchiel 36 : 26-27 (voir Joël 2 : 28 ; 3 : 1-2)

Cette parole s’est effectivement réalisée pour les apôtres de Jésus, à la Pentecôte (Actes 2 : 1-4) quand le Saint-Esprit est venu se poser sur eux. Pour les musulmans, le sens promu par Ibn Kathîr est plutôt celui que l’on trouve dans le livre d’Ézéchiel lorsque Dieu redonne vie aux morts : Ainsi parle le Seigneur, l’Éternel, à ces os : Voici, je vais faire entrer en vous un esprit [rūaḥ], et vous vivrez ; je vous donnerai des nerfs, je ferai croître sur vous de la chair, je vous couvrirai de peau, je mettrai en vous un esprit [rūaḥ], et vous vivrez. Et vous saurez que je suis l’Éternel. Ézéchiel 37 : 5-6

122


« Rémi Gomez se montre un bon connaisseur du Coran et de sa tradition, comme de la Bible qu’il cite avec une belle compétence. »

Henri Blocher

« Jésus n’est pas Dieu ! Il n’est qu’un prophète, le serviteur d’Allah. Vous êtes des idolâtres car vous avez divinisé un homme fait de chair et de sang ! » L’islam remet en question la foi que les chrétiens tiennent pour vraie depuis deux millénaires au sujet de Jésus et de sa divinité. Face à ces questions et ces affirmations courantes, les chrétiens sont appelés à être toujours prêts à se défendre avec douceur et respect auprès de tous ceux qui leur demandent raison de l'espérance qui est en eux. C’est l’enjeu de cet ouvrage qui donne enfin aux lecteurs francophones un ensemble de réponses précises et accessibles au sujet de la divinité de Jésus en dialogue avec l’argumentaire islamique. Ce livre fournit une ressource essentielle pour éclairer le dialogue entre chrétiens et musulmans.

Rémi Gomez est apologète et pasteur de l’Église Lumière des Nations à Lyon. Il anime des débats inter-religieux et forme les chrétiens de son union d’Églises au dialogue avec les musulmans. Il a co-fondé les plateformes d’apologétique apologia.fr et almasih.co et forme des étudiants partout en france.

23,90€

ISBN 978-2-36249-500-7


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.