sous la direction de
Nicolas Fouquet
préfacé par
Étienne Lhermenault
PARLONS MIEUX ! 13
théologiens décryptent expressions évangéliques à la lumière de la Bible 1
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Voilà un livre original, pratique et très utile qui manquait aux milieux évangéliques ! Les auteurs, de jeunes théologiens talentueux, se penchent avec finesse et rigueur sur notre « patois de Canaan ». Ils interrogent nos expressions courantes, font la part des choses et nous fournissent des clés pour formuler correctement nos idées et convictions. Un ouvrage à mettre absolument entre toutes les mains. Alain Nisus
Directeur de l’Institut de théologie évangélique des Antilles et de la Guyane, Directeur de la publication du livre Pour une foi réfléchie
Quelle immense joie de savoir que cet ouvrage sera bientôt entre des centaines et des milliers de mains ! Les punchlines et autres clichés « christianisés » font beaucoup de mal à l’É� glise de Christ, mais également au monde dans lequel elle doit briller. Ne dit-on pas qu’un peu de levain fait lever toute la pâte ? J’ai été grandement béni par ce livre dont les coauteurs aiment la Vérité et aiment leur prochain suffisamment pour partager cette Vérité avec lui ! Sans jeter le bébé avec l’eau du bain, ils nous invitent à accepter de nous remettre en question : avant de partager la Vérité, sommes-nous transformés par elle ? Et, pour l’être, il nous faut refuser toute demi-vérité, tout raccourci et tout slogan qui voilent notre perception spirituelle.
Je recommande ce livre à tous ceux et celles qui recherchent, avec un cœur pur, la vie qui plaî�t à Dieu. Si nous ne sommes pas libres, alors nous ne connaissons pas la Vérité, ou bien, nous pratiquons un mensonge que nous considérons comme étant une vérité ! En revanche, si je connais et pratique la Vérité, alors je serai libre. C’est ce que Jésus-Christ veut pour chacun de nous ! Merci d’exister. Merci de briller ! Bruno Picard
Auteur d’ Un Miracle chaque jour, Pasteur de l’Église Extravagance (La Réunion)
Parlons mieux ! aborde ces petites phrases toutes faites que l’on entend et répète sans trop réfléchir à leur sens profond et à leur portée ; des refrains faciles, vite dits, qui font rarement honneur à la subtilité de l’É� vangile et des É� critures dans leur ensemble. Les auteurs étudient néanmoins ces « slogans » avec bienveillance et nous donnent l’occasion d’approfondir, à la lumière de la Bible, des questions très pratiques comme notre péché et ses conséquences, notre dépendance à Dieu en toutes choses, notre engagement avec lui, ainsi que le rôle des autres et de l’É� glise sur notre chemin de foi. Marion Poujol
Coordinatrice régionale des GBU en Île-de-France
Ce que nous croyons, pensons puis exprimons détermine souvent nos actions et notre destination. Cet ouvrage arrive à point nommé pour remettre en question des expressions admises dans nos milieux évangéliques et qui peuvent façonner négativement comment nous vivons l’É� glise ainsi que notre vie de disciple avec Jésus. J’ai été agréablement surpris par cet excellent ouvrage que je recommande ! David Nolent
Auteur, directeur du TopChrétien
La pertinence de cet ouvrage se confirme à la lecture de la table des matières où il est fort probable que vous ne déceliez pas en quoi certains de ces slogans évangéliques sont non conformes à l’enseignement biblique. Rédigé par une impressionnante brochette de théologiens francophones, ce livre recadre nos clichés populaires sur la parole de Dieu. J’en recommande chaleureusement la lecture. Gaëtan Brassard
Pasteur de l’Église Le Portail (Québec)
Les mots sont porteurs de sens et il est bon de nous interroger sur ceux que nous utilisons. Cet ouvrage facile à lire nous pousse à la réflexion, en interrogeant des expressions courantes utilisées par les chrétiens, à l'aune de la parole de Dieu. Un livre stimulant qu'on ne peut que recommander ! Colin Cachard
Coordinateur de la Rébellution
Dans notre contexte actuel qui préfère souvent les raccourcis – même réducteurs – aux versions augmentées ou approfondies des choses, ce livre vient offrir un contre-ballant bien faisant. Sans tomber dans du décorticage à l’infini par quelques ultra-consciencieux du iota biblique, cet ouvrage vient nourrir quelque chose de précieux dans notre pratique de l’expression orale et écrite : la vérité bien fondée et clairement expliquée. Dans son approche parfaitement compatible avec la génération Y (« why » en anglais et « pourquoi » en français), toutes les expressions éclairées reçoivent du sens, sans pour autant mettre le lecteur mal à l’aise quant à l’utilisation précédente qu’il en faisait. La réaction sera souvent : « J’avais compris un bout, mais là, c’est complet et parfaitement clair ! ». Et tant mieux. Merci pour ce travail multifacette et d’unité ! Christian Kuhn
Directeur du Réseau évangélique suisse (RES)
sous lA direction de
Nicolas Fouquet
PréfAcé PAr
Étienne Lhermenault
PARLONS MIEUX ! 13
théologiens décryptent expressions évangéliques à la lumière de la Bible
Parlons mieux ! 13 théologiens décryptent 13 expressions évangéliques à la lumière de la Bible • Nicolas Fouquet (direction) © 2021 • BLF Éditions • www.blfeditions.com Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Couverture : SEEGN. Mise en page : BLF Éditions Impression n° XXXXX • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc Sauf mention contraire, ainsi que les chapitres un, quatre et douze, les citations bibliques sont tirées de la Bible version Segond 21, © 2007 Société biblique de Genève. Avec permission. Les caractères italiques sont ajoutés par les auteurs du présent ouvrage. Les autres versions employées sont indiquées en lettres abrégées et concernent : la Nouvelle Bible Segond (NBS) et la Bible du Semeur (BDS). Le chapitre quatre a pour version biblique principale La Bible du Semeur, © 2015, Société biblique internationale. Reproduit avec aimable autorisation. Tous droits réservés. ISBN 978–2–36249–586–1 broché ISBN 978–2–36249–587–8 numérique
Dépôt légal 1er trimestre 2021 Index Dewey (CDD 23) : 230 Mots-clés : 1. Doctrine chrétienne.
Préface d’Étienne Lhermenault.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Introduction de Nicolas Fouquet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 1. Tu dois accepter Jésus dans ton cœur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Matthieu Sanders 2. Dieu aime le pécheur, mais pas le péché. . . . . . . . . . . . . . . . 27 Guillaume Bourin
3. Aide-toi et le ciel t’aidera. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Luigi Davi
4. Descends sur nous, Saint-Esprit. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Dominique Angers 5. Bienvenue dans la maison de Dieu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 Timothée Minard
TABLE DES MATIÈRES
6. Je me suis baptisé(e). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Lydia Lehmann 7. Nous allons faire passer la collecte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Matthieu Gangloff 8. La foi chrétienne n’est pas une religion, mais une relation avec Jésus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Cédric Eugène
9. Tous les péchés sont égaux.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 Robin Reeve 10. Dieu seul peut me juger.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Jean-René Moret
11. Bénis ces aliments, Seigneur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 Florence Vancoillie 12. Je veux rester pur(e) pour le mariage. . . . . . . . . . . . . . . . 135 Matthieu Freyder
13. Lorsqu'on sera au ciel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 Thomas Poëtte
Les Week-Ends Théologiques (WET). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 Les auteurs.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
Préface Parler mieux est une entreprise à la fois nécessaire et salutaire. Nécessaire, car la maî�t rise de la langue est en net recul dans notre société ; salutaire, car le choix des mots n’est pas indifférent pour honorer celui qui est le Verbe et s’est révélé par une parole ample et riche, la Bible. Parler mieux, c’est toute l’ambition de ce petit ouvrage qui revisite des expressions courantes de notre foi évangélique pour en mesurer la pertinence. Je ne saurais trop en recommander à tous la lecture, à commencer par mes étudiants en théologie.
En effet, je discerne dans cet ouvrage quatre traits qui réjouissent mon cœur d’enseignant.
Le premier, c’est la capacité qu’a une plus jeune génération que la mienne à prendre du recul sur sa propre culture, ou sous-culture, évangélique et d’en mesurer, par l’usage de la langue, les approximations et les limites. Ainsi, à propos de l’expression « Tu dois accepter Jésus dans ton cœur », Matthieu Sanders commente avec pertinence : « Le vocabulaire de “l’acceptation” laisse entendre que l’œuvre de Dieu dépend de notre réponse, que Dieu a besoin de notre “oui” pour “pouvoir” intervenir. […] Subtilement, nous plaçons l’homme en “position de force” » (p. 20). Si je suis sensible à la lucidité des auteurs, c’est que je prie et agis pour que notre mouvement évangélique ne sombre pas dans la caricature qu’il est parfois devenu sous d’autres cieux. 11
Parlons mieux !
Le second, c’est le souci de rigueur et de pédagogie qui anime les auteurs. Leur approche est correctement informée, leur critique, réellement constructive en concédant la part de vérité véhiculée par les expressions mises en cause, leur réflexion, solide et pondérée. Ainsi Lydia Lehmann sait reconnaî�t re ce qu’il y a de positif dans l’expression « Je me suis baptisé ! » avant d’expliquer de façon convaincante en quoi ajouter le verbe « faire » à l’expression rend justice au sens biblique du baptême : « Par le baptême, nous prenons l’engagement de mener une vie de disciple en nous entourant de compagnons de route et de persévérer sur un chemin où nous ne cesserons d’être transformés. Toute cette richesse se trouve dans l’expression “je me suis fait baptiser” ! » (p. 78). À� mon sens, le traitement de chaque expression est un modèle… auquel nous ne sommes plus habitués tant les réseaux sociaux nous abreuvent de slogans réducteurs, d’affirmations péremptoires et d’oppositions méprisantes ou haineuses. Le troisième qui va avec le précédent, c’est la volonté évidente des auteurs de faire de la bonne théologie tout en se mettant à la portée de tous. Notons qu’ils répondent là à une contrainte éditoriale explicite : « Ce livre est aussi une occasion de montrer que la théologie ne se réduit pas à une discipline théorique, réservée à des hautes sphères intellectuelles » écrit Nicolas Fouquet dans son introduction (p. 15). Notons aussi que la plupart ont été à bonne école avec le professeur Alain Nisus dont ils citent plus d’une fois le fameux ouvrage Pour une foi réfléchie ! Mais ce qui est réjouissant, c’est qu’ils y réussissent pleinement. J’y suis d’autant plus sensible que l’essentiel de mon ministère à l’Institut Biblique de Nogent est d’essayer de faire de même avec mes étudiants. Le quatrième, suite logique du troisième, c’est la démonstration que l’évangélisme francophone peut compter sur une nouvelle génération de théologiens doués. Et c’est pour moi une excellente nouvelle. Je le savais déjà pour plusieurs des auteurs, mais je me réjouis de le découvrir pour d’autres. C’est un effet heureux de la croissance du mouvement évangélique et aussi de la persévé12
Préface
rance et de la qualité des établissements et des initiatives de formation biblique et théologique en Belgique, au Canada, en France et en Suisse, en ligne et sur les réseaux sociaux. Les besoins en formation de responsables d’É� glises et d’œuvres sont tels que toutes les compétences sont nécessaires pour préparer celles et ceux qui pourront nourrir et conduire le peuple de Dieu. Parlons mieux ! est un livre résolument édifiant par son contenu et assurément encourageant par ce qu’il révèle de la nouvelle génération des théologiens évangéliques. Pour ces deux raisons, il est heureux qu’il soit entre vos mains. Dégustez-le et n’hésitez pas à le faire connaî�t re ! Étienne Lhermenault
Directeur de l'Institut Biblique de Nogent-sur-Marne Premier président du Conseil national des évangéliques de France
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Introduction Les slogans ont le vent en poupe.
Que ce soit sur Facebook, Twitter ou encore Instagram, ils sont omniprésents. C’est à qui sortira la meilleure punchline ou dégotera la citation la plus inspirante. Celle qui aura le plus d’impact avec le moins de mots possible. Il faut que ça claque ! Et tant pis si parfois cela doit se faire au détriment du sens. C’est un dommage collatéral. La priorité est à l’effet suscité. On cherche la phrase percutante plus que le mot vrai. Est-ce le symptôme d’une société préférant la forme au fond ? Probablement. Exacerbée à l’heure des réseaux sociaux, cette situation ne date toutefois pas d’aujourd’hui. C. S. Lewis mettait les chrétiens en garde déjà au milieu du 19e siècle, dans son excellent ouvrage Tactique du diable : « Les slogans, et non le raisonnement, seront tes meilleurs alliés pour l’éloigner de l’É� glise1 », conseille le démon expérimenté à son apprenti afin de mettre en péril la foi d’un jeune croyant.
Que l’être humain d’aujourd’hui pense, réfléchisse et s’interroge, voilà ce qui inquiète tant Satan d’après l’auteur du Monde de Narnia. Dès lors, est-il bien raisonnable de répéter à l’envi des slogans dont on ne prend même plus la peine de questionner le sens ? Est-il correct de ressasser machinalement les mêmes C. S. Lewis, Tactique du diable : Lettres d’un vétéran de la tentation à un novice, Paris : Empreinte temps présent, 2010, p. 15. 1
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Parlons mieux !
expressions sans connaî�t re leur véritable signification ? Juste parce qu’elles sonnent bien… Les chrétiens de Bérée « examinaient chaque jour les É� critures pour voir si ce qu'on leur disait était exact2 ». Suivant leur exemple, nous aurions tout intérêt à décortiquer, à la lumière de la parole de Dieu, les slogans que nous entendons (ou qu’il nous arrive de prononcer). Ce défi, nous avons essayé d’en poser quelques jalons au travers de cet ouvrage collectif. Nous avons ainsi réuni treize théologiens et théologiennes talentueux, issus de différentes dénominations évangéliques, pour nous aider à prendre du recul sur certaines expressions qui circulent dans nos É� glises. Chacun d’entre eux a eu pour mission d’en décrypter une dont le sens est discutable. La plupart de ces phrases vous seront sûrement familières.
Quel est le but de cette démarche ? Nous aider à démêler le vrai du faux dans ces slogans. Mais aussi soulever les enjeux théologiques qu’ils véhiculent. Je remercie ici les différents auteurs de s’être prêtés à cet exercice délicat. À� chacun ensuite d’examiner toute chose et de retenir ce qui lui semble bon3, comme dirait l’apôtre Paul. Ma prière est que cet ouvrage contribue à votre édification. Qu’il vous encourage à toujours plus de cohérence entre votre lecture des É� critures et ce que vous en faites – en paroles ou en actes. Il ne s’agit pas d’accuser quiconque emploie ces expressions. Avec humilité, reconnaissons qu’il nous est sûrement déjà arrivé à tous de prononcer l’une ou l’autre de ces phrases à un moment de notre vie. La liste retenue ici n’est pas non plus exhaustive.
Cet ouvrage ne vise donc pas à nous rabaisser, mais bien à nous élever. D’ailleurs, les « phrases chocs » ont parfois du bon et la Bible n’en est pas dépourvue. Le livre des Proverbes recueille 2 3
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Voir Actes 17 : 11. Voir 1 Thes. 5 : 21.
Introduction
ainsi de courtes maximes pleines de sagesse. Ce qui pose surtout problème dans notre cas, c’est quand la recherche de la belle formule ou la répétition mécanique éclipsent l’exigence de vérité.
La réflexion théologique est là pour nous aider à prendre du recul et pour nous remettre sur les bons rails. De fait, ce livre est aussi une occasion de montrer que la théologie ne se réduit pas à une discipline théorique, réservée à des hautes sphères intellectuelles. Elle rejoint notre quotidien et peut avoir des incidences concrètes sur nos habitudes. En nous interrogeant sur les expressions qui ont cours dans nos É� glises, nous ne jouons pas sur des mots. Nous voulons rester fidèles à la parole de Dieu. Rechercher la précision dans ce que nous disons, c’est aussi une façon d’honorer Dieu et d’éviter à notre prochain des confusions dommageables. Autant de belles raisons pour surmonter ce défi qui nous est lancé : « Parlons mieux » ! Nicolas Fouquet
Président des WET (Week-ends théologiques)
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Tu dois accepter Jésus dans ton cœur
Chapitre 1 Matthieu Sanders
C’est le jour du baptême d’Emma. La voix tremblante, la jeune fille s’adresse tout sourire à l’auditoire : « J’ai grandi dans une famille chrétienne, et j’ai accepté Jésus dans mon cœur quand j’avais huit ans ». La trajectoire de Jean-Claude, qui témoigne après elle, est assez différente : « Je n’avais jamais eu le moindre intérêt pour la foi, la religion. Mais un jour, j’ai été invité par un ami à regarder le film Jésus. Ça m’a bouleversé. Mon ami a ouvert sa Bible et m’a expliqué la Bonne Nouvelle. Ce jour-là, j’ai accepté Jésus ».
Cette façon de parler fait partie des incontournables de la culture évangélique. Bien souvent, comme dans le témoignage d’Emma, l’acceptation est associée au mot « cœur » : « Tu dois accepter Jésus dans ton cœur ». C’est, bien sûr, en référence à la conversion qu’on emploie cette expression : cette décision de confier sa vie à Jésus-Christ en réponse son appel. 19
Parlons mieux !
D’emblée, comprenons-nous bien. Ces « éléments de langage » ne me paraissent pas catastrophiques. Ils ne sont pas à ce point éloignés de la pensée biblique qu’il faille parler de fausse doctrine. Par la grâce de Dieu, bien des personnes, entendant l’appel à « accepter » Jésus, ont effectivement cru et répondu à l’appel du Seigneur, et c’est ce qui compte !
L’expression n’est cependant pas des plus heureuses et l’on gagnerait à employer un langage et une pensée qui reflètent mieux ceux de la Bible. On notera d’ailleurs que si l’enjeu n’est pas essentiel, il n’est pas négligeable pour autant : l’expression est si courante qu’elle ne peut manquer d’imprégner la théologie de ceux qui l’emploient (théologie pris au sens simple de « compréhension de Dieu et de son œuvre »). En outre, le vocabulaire de « l’acceptation de Jésus » est souvent associé à l’évangélisation des enfants. Les questions posées par l’expression soulèvent donc la question plus large de la manière dont nous enseignons nos enfants et les rendons sensibles à l’appel du Christ.
Venons-en donc à la question de fond. Dans l’expression « accepter Jésus dans son cœur » (je ne m’attarderai pas sur le « tu dois »), deux mots-clés surgissent : accepter et cœur. C’est, à mon sens, à propos du premier que la question se pose de la façon la plus significative. Mais nous verrons que parler de « cœur » n’est pas non plus anodin. Nous commencerons donc par évaluer la légitimité du langage de « l’acceptation » pour parler de la conversion à Jésus-Christ. La question du langage biblique
Lorsqu’on découvre qu’un mot que nous utilisons couramment à propos de la vie chrétienne est absent ou presque des textes bibliques, demandons-nous pourquoi. L’absence s’explique parfois sans difficulté. Le mot « Trinité », par exemple, se réfère à une doctrine essentielle de la foi chrétienne, mais il est absent des textes bibliques. Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à ce mot, contrairement à ce qu’on entend parfois. C’est précisément 20
Tu dois accepter Jésus dans ton cœur
en synthétisant les données bibliques que les Pères de l’É� glise ont « inventé » ce mot. Les auteurs du Nouveau Testament ont affirmé, de diverses manières, l’unicité de Dieu d’une part et d’autre part la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit qui sont trois personnes distinctes. Il y avait là une vérité à la fois riche et complexe qu’il fallait conceptualiser, résumer, expliquer. Les générations suivantes ont donc tenu à transmettre cet enseignement reçu des apôtres en le communiquant et en le synthétisant utilement. En d’autres termes, il « fallait un mot » pour dire simplement et succinctement cette vérité issue de l’ensemble de la Bible : celui de « Trinité » s’est imposé.
S’agissant de l’appel à la foi, en revanche, il n’était pas nécessaire de « trouver un mot ». Car on retrouve cet appel directement adressé à de nombreuses reprises dans le Nouveau Testament. On pourrait multiplier les exemples, mais nous nous contenterons de quelques-uns : « Changez et croyez à la Bonne Nouvelle4 ! » (Marc 1 : 15) ; « Suis-moi ! » (Matt. 9 : 9) ; « Ne sois donc pas incrédule, mais crois. » (Jean 20 : 27) ; « Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé ! » (Actes 16.31) ; « C’est au nom du Christ que nous vous en supplions : soyez réconciliés avec Dieu ! » (2 Cor. 5 : 20), etc. Aucune de ces phrases n’emploie le vocabulaire de « l’acceptation » ou ses synonymes. On ne lit jamais, dans la Bible : « Accepte Dieu ! » ou « Accepte Jésus ! » ou encore « Dis oui au Seigneur ! » La formule qui s’en approche le plus est Jean 1 : 12. Elle évoque ceux qui ont « reçu » la lumière. L’idée n’est cependant pas d’« accepter une demande », mais de percevoir la révélation de Dieu. Qu’ont en commun les appels à la foi du Nouveau Testament ? Il me semble que leur point commun est que la position du Seigneur ne dépend pas de la réponse du croyant. C’est lui qui a agi en notre faveur, c’est lui qui nous appelle, et c’est nous qui sommes appelés à « changer », à nous « tourner » vers lui, à « croire », à le Sauf indication contraire, les citations bibliques de ce chapitre sont issues de la Bible du Semeur. 4
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Parlons mieux !
« suivre ». Même dans l’appel à la réconciliation de 2 Corinthiens 5 : 20, le Seigneur a déjà fait toute sa part dans l’œuvre de réconciliation, comme le souligne le verset suivant : « Celui qui était innocent de tout péché, Dieu l’a condamné comme un pécheur à notre place pour que, dans l’union avec Christ, nous recevions la justice que Dieu accorde » (v. 21). Le croyant est appelé à répondre, par la foi, à l’appel du Seigneur qui a tout accompli.
Or, le vocabulaire de « l’acceptation » laisse entendre que l’œuvre de Dieu dépend de notre réponse, que Dieu a besoin de notre « oui » pour « pouvoir » intervenir. Parler « d’acceptation » est peut-être encore plus malheureux à notre époque marquée par les réseaux sociaux : on « accepte » un ami sur Facebook, on « valide » une proposition qui nous est faite. Cela peut laisser entendre que « Dieu attend, à nous de lui faire connaî�t re notre réponse ! ». Subtilement, nous plaçons l’homme en « position de force », et Dieu dans la position de celui qui attend notre bon vouloir pour pouvoir agir.
Certes, Dieu nous invite bel et bien à répondre à son appel : « En effet, si de ta bouche, tu déclares que Jésus est Seigneur et si dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité, tu seras sauvé, car celui qui croit dans son cœur, Dieu le déclare juste ; celui qui affirme de sa bouche, Dieu le sauve » (Rom. 10 : 9-10). C’est à la fois le miracle et le mystère de l’appel de Dieu : dans sa souveraineté, Dieu se révèle à des hommes et femmes parmi les pécheurs et les appelle à lui (Matt. 22 : 14 ; Rom. 8 : 29 ; 9 : 15-16 ; É� ph. 1 : 4 ; 1 Pi. 1 : 2 ; etc.), mais il implique pleinement la volonté de l’être humain en l’invitant à croire, à suivre. Néanmoins, « accepter » est porteur d’une connotation qui place résolument le curseur du côté de la volonté de l’homme, d’une manière qui ne semble pas respecter l’équilibre biblique. Qui accepte qui ?
L’expression « accepter Jésus » pose un problème plus conséquent encore : il inverse la logique de l’É� vangile, selon laquelle 22
Tu dois accepter Jésus dans ton cœur
c’est Dieu qui, miraculeusement, accepte l’homme pécheur : « Alors que nous étions encore sans force, Christ est mort pour des pécheurs » (Rom. 5 : 6). Par cette mort sacrificielle, Dieu « déclare justes les pécheurs » (Rom. 4 : 5). Il « fait bon accueil » à tous ceux qui se tournent vers lui (Rom. 14 : 3). En bon Berger, Jésus « conduit à Dieu » les coupables pour lesquels il est mort (1 Pi. 3 : 18). La bonne nouvelle de Jésus-Christ est précisément centrée sur le fait que Dieu accepte les pécheurs. L’initiative est la sienne. Ce n’est pas à nous « d’accepter » Jésus : c’est Dieu qui, en Jésus, nous accepte ! Le verbe « accepter » est suffisamment fort pour qu’il faille le réserver à celui qui, de loin, a pris la décision la plus conséquente, la plus coûteuse, la plus transformatrice : le Dieu qui, en Jésus-Christ, accepte le pécheur. Apocalypse 3 : 20, un verset mal compris
Comment la notion « d’accepter Jésus » est-elle devenue si courante dans notre vocabulaire ? J’émets l’hypothèse que le verset bien connu d’Apocalypse 3 : 20 en serait à l’origine : Voici : je me tiens devant la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je dînerai avec lui et lui avec moi.
Dans cette image saisissante, ne voit-on pas Jésus « attendre », précisément, la réponse qui lui sera apportée ? N’est-il pas légitime de dire qu’on « accepte » Jésus « chez soi », dans sa vie, dans son cœur ?
Cette interprétation va de soi… si ce verset est sorti de son contexte. Or, le contexte nous oriente dans une autre direction. Nous nous situons ici dans la dernière des sept lettres aux É� glises (Apoc. 2 et 3). C’est à des Églises, à des chrétiens que le Seigneur ressuscité s’adresse. Plus précisément, son portrait de l’É� glise de Laodicée est celui d’une É� glise qui s’est laissée aller à la suffisance. Ses circonstances matérielles semblent favorables (v. 17). Contrairement aux É� glises de Pergame et de Thyatire, citées précédemment, elle ne semble pas particulièrement en prise avec de 23
Parlons mieux !
fausses doctrines. Mais elle a perdu son zèle et, pire peut-être, sa lucidité spirituelle. Elle a le sentiment que tout va bien alors qu’elle a oublié, ou presque, le Seigneur et l’É� vangile.
Cependant, lorsqu’on oublie le Seigneur, on s’expose à devoir lui rendre des comptes, à le voir se présenter à nous et nous rappeler à l’ordre. Cette discipline du Seigneur prend diverses formes, et la prophétie de Jean n’entre pas dans les détails. Mais le Seigneur qui se présente à la porte de son É� glise ne s’adresse pas aux croyants comme il le ferait aux non-croyants qu’il appelle à le suivre. Il est plutôt le Maî�t re qui vient se rappeler au bon souvenir des serviteurs qui se sont assoupis, comme dans la parabole des dix jeunes filles (Matt. 25 : 1-13) ou des serviteurs appelés à attendre le retour de leur maî�t re (Luc 12 : 35-37, qui évoque aussi, après le retour du maî�t re, un repas pris avec eux). Ainsi, nous ne sommes pas ici face à une attente du Seigneur devant la porte de « notre cœur », mais bien d’une mise en garde solennelle, qui cadre avec les paroles très sévères de cette section (« je vais te vomir de ma bouche », Apoc. 3 : 16). À� celui qui « ouvre la porte », à l’É� glise et aux chrétiens qui se repentent de leur indifférence et négligence spirituelle, le Seigneur promet magnifiquement sa grâce et sa présence : « J’entrerai chez lui et je dî�nerai avec lui et lui avec moi » (v. 20). Aussi sévère que soit l’avertissement, il est fondé sur l’amour du Seigneur : « Moi, ceux que j’aime, je les reprends et je les corrige » (v. 19). Il n’est donc pas question d’un appel à « accepter » Jésus comme Seigneur et Sauveur, mais plutôt d’un appel à revenir au Seigneur, à laisser à nouveau l’É� vangile imprégner la vie du croyant.
Je le répète, ne faisons pas un drame du vocabulaire de « l’acceptation ». Dans la mesure où Dieu nous appelle à répondre à son appel, ce concept touche à quelque chose de vrai. Mais j’espère avoir montré que nous serons plus fidèles à la forme et au fond du message biblique en favorisant un vocabulaire qui reflète mieux la pensée biblique, en exhortant les non-croyants (et nos enfants) à croire en Jésus, à répondre à son appel, se tourner vers 24
Tu dois accepter Jésus dans ton cœur
lui, à reconnaître Jésus comme le Seigneur et Sauveur qu’il est déjà, indépendamment de notre réponse à son appel. La question du « cœur »
Revenons à notre intitulé : qu’en est-il du cœur ? Que penser de l’utilisation de ce mot lorsque nous relayons l’appel du Seigneur ?
Tout d’abord, soulignons le décalage fréquent entre le sens que nous donnons au mot « cœur » aujourd’hui, dans la pensée occidentale, et le sens de ce mot dans la Bible. Lorsque nous parlons du « cœur », nous parlons généralement pour l’essentiel des sentiments. Ce sens est si fréquemment véhiculé dans notre littérature, dans nos médias et dans notre langage ordinaire, que lorsqu’on parle à un non-croyant d’accepter Jésus « dans son cœur », il ou elle pensera très vraisemblablement à une réponse « sentimentale ». Le sens biblique du « cœur » est nettement plus large. Il inclut les sentiments, certes, mais bien plus encore l’être intérieur, l’entendement. Le « cœur », dans la Bible, inclut aussi l’intelligence et la raison5. Ainsi, lorsque l’apôtre Paul écrit aux Romains que « si dans [leur] cœur » ils croient que Jésus est ressuscité (Rom. 10 : 9), il ne parle pas d’un sentiment inexprimable ou mystique, mais bien d’une conviction qui implique toute l’intelligence. Il ne s’agit pas ici de dire qu’il faudrait entièrement renoncer à l’usage du mot « cœur ». C’est un terme que la Bible affectionne, et il serait triste et illégitime de s’en passer. Mais le décalage entre la conception biblique et la conception de notre temps devrait nous pousser à mieux enseigner la pensée de la Bible à cet égard. Oui, il faut croire en Jésus « de tout son cœur », mais au sens d’une pleine implication de toute notre pensée, notre raison, et nos sentiments. Ne laissons pas entendre à ceux à qui nous annonçons la bonne nouvelle qu’il est en premier lieu question de sentiments et d’émotions. Voir Alain Nisus (dir.), Pour une foi réfléchie, Romanel-sur-Lausanne : Maison de la Bible, 2011, p. 233. 5
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Parlons mieux !
L’utilisation du mot « cœur » lorsqu’on appelle à la foi pose un autre problème : elle renforce la fausse idée, déjà très présente dans nos milieux, que le salut ne concerne que l’être intérieur, « l’âme », par opposition au corps. Je me rappelle avoir lu, il y a quelques années, un traité d’évangélisation affirmant que « le vrai moi » se situe dans l’âme, tandis que le corps ne serait qu’une « enveloppe » temporaire. « Jamais de la vie ! », pour reprendre une expression chère à l’apôtre Paul. Rien n’est plus étranger à la pensée biblique.
La Bible enseigne la rédemption de la création de Dieu, et de l’homme tout entier : non seulement son être intérieur, mais aussi son être extérieur. Notre espérance est la résurrection du corps et non un état désincarné, purement spirituel, dans lequel nous demeurerions dans l’éternité (Jean 5 : 25-29 ; Rom. 8 : 10-11 ; 1 Cor. 15 : 20-24 ; etc.). C’est bien avec tout notre être, y compris notre corps, que nous sommes appelés à reconnaî�t re Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur (1 Cor. 6 : 19-20). C’est pour cela que notre corps est entièrement impliqué dans la vie de disciple. Insister exclusivement, comme nous le faisons si souvent, sur une conviction du « cœur » peut laisser s’installer une forme de mépris du corps qui n’a pas sa place dans la pensée chrétienne. Alors comment mieux exhorter ceux qui ne le connaissent pas encore à venir à Jésus ?
La pensée biblique laisse la place à une diversité d’approches. L’essentiel est de ne pas laisser entendre que le plan de Dieu dépend de notre bon vouloir. Dieu ne vient pas nous « offrir ses services » mais nous appelle à « l’obéissance de la foi » (Rom. 1 : 5). Jésus, le Seigneur ressuscité, le Roi universel, a reçu du Père « tout pouvoir dans le ciel et sur la terre » (Matt. 28 : 18). Il est le Seigneur. Nous lui devons tout : notre vie, notre obéissance, notre allégeance. Il ne vient pas proposer ses services ; il nous appelle à placer notre vie entre ses mains, à croire en lui et à le suivre dans une vie transformée par son enseignement. 26
Tu dois accepter Jésus dans ton cœur
Ainsi, lorsque nous exhortons des enfants à croire en lui, nous avons beaucoup d’expressions à notre disposition, qui sont simples à comprendre et reflètent bien la pensée biblique : « Fais confiance à Jésus », « Donne ta vie à Jésus ! » ou même, à la limite, « Reçois Jésus dans ta vie ! » (étant entendu que « le recevoir », c’est en même temps tout lui donner !). Ces mêmes éléments de langage seront appropriés pour les adultes aussi ; avec ces derniers, nous pourrons aussi parler de réconciliation, de paix avec Dieu, d’être « déclaré juste à ses yeux » (une façon compréhensible de parler de la justification). En évitant de laisser entendre que c’est nous qui « acceptons » Dieu plutôt que l’inverse, nous serons plus fidèles à la manière de penser et de parler des auteurs bibliques et – puisque ces derniers étaient inspirés par le divin Auteur – plus fidèles à la pensée de Dieu. Pour aller plus loin
Packer, James. Connaître Dieu. Mulhouse : Grâce et vérité, 2019 (1986). L awrence, Michael. La conversion. Coll. 9 Marks. Trois-Rivières (Québec) : Cruciforme, 2019.
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Dieu aime le pécheur, mais pas le péché
Chapitre 2 Guillaume Bourin
Ceux qui s’engagent dans une lecture assidue de la Bible sont rapidement confrontés à une tension qui, parfois, peut paraî�t re irréconciliable. D’un côté, Dieu se révèle au travers de ses attributs de justice et de sainteté, sous les traits d’un juge implacable qui « ne traite pas le coupable en innocent » (Exode 34 : 7) et qui punit avec sévérité ceux qui s’écartent de ses commandements. De l’autre, dans de nombreux textes, son amour semble désarmer cette juste colère, de sorte que le roi David peut dire : « [Dieu] ne nous traite pas conformément à nos péchés, il ne nous punit pas comme le mériteraient nos fautes » (Ps. 103 : 10 ; voir Rom. 5 : 8). Ce contraste saisissant entre justice et amour, entre colère ardente et paix, a troublé bien des générations de lecteurs. Certains y voient une tension apparente, d’autres n’hésitent pas à parler de contradiction. Comment donc aborder de tels passages apparemment divergents ? L’une des solutions les plus courantes consiste à attribuer la cause de la colère de Dieu au péché et non à la personne qui le commet. C’est en substance ce que la formule bien connue « Dieu 29
Parlons mieux !
aime le pécheur, mais pas le péché » tend à exprimer : certes, à cause de sa justice, Dieu est profondément irrité contre le péché, mais son amour inconditionnel pour ses créatures le pousse à la miséricorde et au pardon. Bien que très populaire, au point parfois de prendre les allures d’un véritable slogan, cette affirmation n’en est pas moins régulièrement décriée. Là où certains relèvent son côté simpliste, voire caricatural, d’autres n’hésitent pas à parler de « cliché évangélique » ou d’erreur prêtant à conséquences. Cependant, dire que Dieu aime le pécheur mais déteste le péché n’est pas totalement en décalage par rapport aux données bibliques. À� vrai dire, la formule contient des éléments de vérité difficilement contestables, mais elle échoue pourtant à les communiquer efficacement. Alors, que doit-on faire d’une telle affirmation ? Un problème de formulation
D’emblée, l’on est en droit de se demander si la formule « Dieu aime le pécheur, mais pas le péché » est des plus judicieuses. Alors que son objectif est de réconcilier deux perspectives « en tension », elle utilise pour ce faire une conjonction marquant l’idée d’opposition (« mais »). Or, cette conjonction brouille les pistes : ↪ D’un point de vue strictement logique, elle ne fait que maintenir la contradiction apparente qu’elle était censée résoudre. ↪ D’un point de vue théologique, elle suggère implicitement que la colère de Dieu se manifeste contre le péché et non contre l’individu qui s’y adonne.
Si la première difficulté n’en est pas vraiment une – une simple reformulation suffirait à la résoudre – la seconde soulève davantage de questions. Par exemple, peut-on réellement affirmer une telle distinction entre le péché et le pécheur ? Autre question épineuse, dès lors qu’on adopte cette logique : l’amour de Dieu pour ses créatures le conduit-il à fermer les yeux sur certains des aspects les plus noirs de leur existence ? En l’espèce, la formule 30
Dieu aime le pécheur, mais pas le péché
« Dieu aime le pécheur, mais pas le péché » semble répondre « oui » à ces deux questions. Or, sur ces deux points, les É� critures témoignent d’une autre réalité. Ce qui est vrai : « Dieu déteste le péché »
La Bible présente le péché comme un principe radicalement opposé à Dieu et étranger à son plan éternel. Dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau, il est souvent associé aux thèmes de la rébellion et de l’errance, non seulement en raison de l’étymologie des termes originaux employés, mais également à cause de la description de ses effets. Ainsi, dès les premières pages de la Genèse, la chute d’Adam et È� ve marque l’entrée du péché dans le monde. Ses conséquences sont immédiates, notamment le bouleversement des rapports entre Dieu et sa création (Gen. 3 ; voir Rom. 5 : 12). Très rapidement, il se manifeste sous son jour le plus hideux au travers du fratricide d’Abel par Caï�n (Gen. 4), puis gangrène l’humanité à mesure qu’elle se répand sur la terre au point de déclencher l’événement cataclysmique du déluge (Gen. 6 à 9). Le péché est bien distinct de l’humanité (Adam et È� ve en étaient exempts à la création), mais il renvoie vers cette relation brisée entre la créature et son Créateur.
Les Dix commandements gravés du doigt de Dieu (Exode 20 ; Deut. 5) et, plus généralement, la loi de Moï�se dans son ensemble, dessinent avec davantage de netteté les contours éthiques du problème. Que ce soit en raison d’actions entreprises à l’encontre de Dieu ou en transgression de ses préceptes moraux, le péché est associé aux notions de culpabilité et de châtiment. La même logique se retrouve dans le Nouveau Testament : Jean lie le péché à l’injustice (1 Jean 5 : 17) et Paul y voit la marque de la révolte de l’ensemble de l’humanité (Rom. 3 : 23 ; 4 : 15). Pécher, c’est transgresser la volonté de Dieu mais également s’abstenir de l’accomplir : « Si quelqu’un sait faire ce qui est bien et ne le fait pas », dit Jacques, « il commet un péché » (Jac. 4 : 17). En somme, le péché n’est autre que l’expression de l'attitude rebelle de l'humanité envers son Créateur. 31
Parlons mieux !
Le péché blesse et détruit ceux qui s’y adonnent (É� saï�e 1 : 6), c’est un fardeau pesant (Ps. 38 : 4), une souillure (Tite 1 : 15), une lourde dette (Matt. 6 : 12-15), une tache indélébile (É� saï�e 1 : 18), de véritables ténèbres (1 Jean 1 : 6). Pas étonnant, dès lors, de retrouver une impressionnante collection de témoignages bibliques qui expriment la haine viscérale de Dieu envers cet « intrus ». Sur ce point, la formule « Dieu aime le pécheur, pas le péché » est parfaitement claire. Ce qui n’est pas absolument vrai : « Dieu aime le pécheur »
Ici encore, on ne peut écarter trop rapidement cette affirmation.
De nombreux passages affirment que Dieu aime le pécheur, à commencer par le texte bien connu de Jean 3 : 16 qui connecte directement le don du Fils unique à l’amour que Dieu porte à un monde profondément corrompu. En mourant à la croix, le Christ démontre de manière ultime cet amour envers des personnes qui, pourtant, ne peuvent nier leur relation intime avec le péché (1 Jean 1 : 8 ; Rom. 3 : 23 ; voir Jean 1 : 13 ; 1 Jean 3 : 16). N’est-ce pas justement alors que nous étions « encore pécheurs » qu’il s’est offert pour nous, comme le rappelle Paul dans l’épî�t re aux Romains (Rom. 5 : 6-8) ? Cependant, il convient de contrebalancer ces données par d’autres affirmations bibliques très éclairantes. Tout d’abord, la Bible ne dissocie jamais le péché de la personne qui le commet, comme une certaine compréhension de l’expression « Dieu aime le pécheur, mais pas le péché » le laisse entendre. Au contraire, sa colère éternelle contre le péché se focalise également à l’encontre du pécheur. C’est parce qu’il n’est « pas un Dieu qui prend plaisir à la méchanceté » que l’É� ternel « déteste tous ceux qui commettent l’injustice » et a « horreur des assassins et des menteurs » (Ps. 5 : 5-7). Il distingue entre le juste et le méchant, « il déteste celui qui aime la violence » (Ps. 11 : 5). 32
Dieu aime le pécheur, mais pas le péché
Ces deux exemples ne sont pas isolés au sein du corpus biblique (voir Prov. 6 : 16-19 ; Osée 9 : 5 ; É� saï�e 59 : 2 ; Apoc. 2 : 6 ; etc.). Dieu déteste les pécheurs. Sa colère est bien réelle et en aucun cas il ne la déverse sur des personnes qu'il agrée. Cette colère, cette haine du péché et du pécheur, marque la désapprobation infinie d’un Dieu dont la justice et la sainteté ne peuvent ni tolérer le mal ni la personne qui s’y livre.
Le péché n’existe que parce qu’il est commis par des pécheurs, il émane de cœurs pécheurs. Il est l'expression de la corruption du genre humain, de sa révolte et de sa rébellion contre la sainteté et contre la justice de Dieu. Le péché n’existe pas par luimême : il naî�t dans le cœur de l’homme et il reste attaché à lui comme un véritable cancer spirituel. Ce ne sont pas les péchés qui souffrent en enfer, mais bien les pécheurs. La punition divine ne tombe pas sur un concept abstrait, mais sur des personnes coupables au plus haut degré. L’existence même de l’enfer est la démonstration que Dieu hait le pécheur et ne peut l’agréer. Nous avions noté une tension entre la haine de Dieu pour le péché et son amour pour les pécheurs. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la formule « Dieu aime le pécheur mais pas le péché » ne la résout pas. Pire, elle transforme cette tension en paradoxe : certes, Dieu aime les pécheurs, mais il les déteste en même temps ! Car Dieu a tant aimé le monde… qu’il le hait ? Comment donc cela est-il possible ? De toute évidence, la haine et l'amour sont simultanés lorsque Dieu contemple les pécheurs rebelles et corrompus qui le déshonorent. Notre Dieu, cependant, n’est pas schizophrène et l’explication de ce paradoxe passe par une juste appréciation de ce qu’est son amour. « Dieu aime » : une affirmation qui peut recouvrir de multiples sens
La question n’est donc pas aussi simple que cet adage évangélique et populaire le laisse entendre. En réalité, dans les É� critures, l’amour de Dieu peut recouvrir plusieurs sens distincts. 33
Parlons mieux !
Le théologien Don Carson en liste cinq6 : 1. L’amour intra-trinitaire entre le Père et le Fils. Celui-ci s’exprime dans la relation parfaite qui existe entre les deux personnes de la Trinité, relation qui n’est en aucune manière entachée par le péché. Nous ne nous attarderons pas sur ce point, ce n’est manifestement pas le type d’amour qui est visé dans la proposition « Dieu aime le pécheur ». 2. L’amour providentiel de Dieu pour sa création. Parce qu’il aime le monde qu’il a créé, il en prend soin, au point de recouvrir de gloire l’herbe des champs et de nourrir les passereaux (Matt. 6 : 25-34). C’est en vertu de cet amour général, universel, que Dieu fait pleuvoir sur les justes comme sur les injustes (Matt. 5 : 45). Bien qu’il déteste le péché et le pécheur, il fait preuve de bonté et maintient la création en ordre de marche. Cette forme d’amour, fruit de ce que l’on appelle la grâce commune (une grâce générale que tous les êtres humains expérimentent), n’est jamais réellement en vue dans la phrase « Dieu aime le pécheur, mais pas le péché ». D’une part, cet amour est strictement limité à la préservation de la création et, pour certains théologiens, à la contention du péché –en d’autres termes, il ne s’agit pas de l’amour salvateur que la formule sous-entend. D’autre part, puisque dans la Bible cette forme de providence divine n’est jamais directement associée à l’amour, certains questionnent légitimement le bien-fondé de cette catégorie proposée par Carson. 3. L’amour salvateur de Dieu offert à un monde perdu. Même si Dieu juge le monde, il se présente également comme celui qui invite au salut et qui ordonne à tous les êtres humains de se repentir. Aux rebelles, le Seigneur souverain crie : « Je ne prends pas plaisir à voir le méchant mourir, mais à le voir changer de conduite et vivre. Renoncez, renoncez à votre mauvaise conduite ! Pourquoi devriez-vous mourir, commuDon Carson, The Difficult doctrine of the love of God [La doctrine difficile de l’amour de Dieu], Crossway, 2000. Reconnaissant pour la recension en français de cet ouvrage dans le n° 185 de la revue Promesses. URL : www.promesses.org. 6
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Dieu aime le pécheur, mais pas le péché
nauté d'Israël ? » (É� z. 33 : 11). Cette offre, qui n’est efficace que si elle est acceptée, manifeste l’amour de Dieu envers des pécheurs qu’il ne peut pourtant pas agréer en l’état. Nous retrouvons donc le paradoxe identifié plus haut : Dieu aime et sauve des pécheurs qu’il devrait détester. 4. L’amour spécifique de Dieu qui cible et transforme les élus. Ici, les élus peuvent être la nation d’Israël dans son ensemble, l’É� glise en tant que corps, ou des individus spécifiques. Dans chaque cas, Dieu place son affection sur ses élus d’une manière particulière qui les distingue des autres. Cet élément distinctif n’a strictement rien à voir avec un mérite personnel ou national (Deut. 7 : 7 ; 10 : 14) : il s’agit bien de l’amour spécifique de Dieu, là encore envers des êtres qui demeurent pécheurs et qui devraient à ce titre être l’objet de sa colère (notre fameux paradoxe). 5. L’amour de Dieu pour son peuple, soumis à la condition d’obéissance. Ici, Carson a en vue une forme d’amour qui structure la relation des croyants à leur Dieu, celui dont parle Jude lorsqu’il exhorte ses lecteurs à se « [maintenir] dans l’amour de Dieu » (Jude 21). Carson explique ce concept par une analogie : Un père aime ses enfants indépendamment de ce qu’ils font, mais ces derniers savent très bien qu’ils ont pour responsabilité de demeurer dans cet amour. S’ils rentrent sans raison valable après l’heure prescrite, ils feront l’objet de remontrances et seront punis, et le père agira ainsi par amour pour eux. Bien que cette forme d’amour soit profondément relationnelle, la même tension subsiste : la relation que Dieu entretient avec ses enfants l’amène à prendre soin de personnes qui, par nature, sont haïssables à ses yeux. Une fois de plus, notre paradoxe demeure.
Ainsi donc, que ce soit dans sa dimension salvatrice, spécifique, ou relationnelle, l’amour de Dieu s’exerce envers des personnes qui en sont indignes, et ce à cause du péché. Se limiter à 35