ÉDOUARD NELSON Préface de Georgina Dufoix
Plaidoyer pour la véritable liberté, égalité, fraternité
Vivons-nous à la hauteur de nos idéaux ?
Avec ce livre, Édouard Nelson offre un magnifique cadeau, qui alimente notre réflexion tout en nourrissant notre cœur. Il délivre ici un message plein d’espérance. Puisse sa lecture rappeler à ceux qui sont en charge de la Cité que les véritables solutions se trouvent dans l’Évangile et que notre devise républicaine prend un sens encore plus riche dans une perspective chrétienne ! Atanase Perifan Créateur de la fête des voisins solidaires Conseiller de Paris Être citoyen français constitue un privilège qui implique l’adhésion aux valeurs de la République française, facteur de cohésion nationale. Dans son livre, Édouard Nelson propose une lecture originale de la devise de la République française pour finalement aboutir à une question : « Et si vous deveniez également citoyen des cieux ? ». Haut fonctionnaire (anonyme) La République française affiche sa devise sur tous les bâtiments publics. Il serait trop facile de la lire sans y réfléchir, sans s’interroger sur son sens et sa valeur. Édouard Nelson a le mérite de nous faire entrer dans une double compréhension, républicaine et biblique, de cette devise. Il nous amène alors à découvrir pourquoi et comment le Christ est seul « le libérateur qui établit une égalité parfaite et une fraternité éternelle ». Franck Meyer Président du CPDH Maire d’une commune normande
La République est-elle compatible avec la foi chrétienne ? La question nourrit depuis des siècles une controverse typiquement française. Édouard Nelson propose une réponse nouvelle. Non seulement, dit-il, il n'y a nulle incompatibilité entre la République et le christianisme, mais le christianisme est même la seule voie qui permette d'accomplir pleinement les trois grandes promesses de la devise républicaine. Il n'y a de liberté, d'égalité et de fraternité véritables qu'en Christ. Il y a là de quoi inspirer particulièrement tous ceux qui cherchent à développer des écoles, tout à la fois porteuses de la Bonne Nouvelle et loyales à la République. Baptiste Jacomino Adjoint du Directeur Diocésain de l'Enseignement Catholique de Paris
Le livre que nous laisse Édouard Nelson est fort : fort de l’énergie spirituelle de ses analyses ; fort du témoignage d’une vie accomplie, malgré sa brièveté. J’en admire particulièrement deux traits. Il s’ajuste avec beaucoup de finesse à la sensibilité de ses lecteurs. Il sait montrer, entre autres par des citations bien choisies, la satisfaction véritable en Jésus des aspirations que tant d’humains aujourd’hui cherchent, vainement, à satisfaire ailleurs. D’autre part, s’il affirme la réalité de l’expérience de Dieu, il évite le triomphalisme et rappelle que nous sommes tous en chemin, un long chemin. Sage et vrai – sage parce que vrai. Henri Blocher Doyen honoraire de la Faculté Libre de Théologie Évangélique
Lucide, brillant, courageux, puissant, Édouard Nelson, qui incarnait passionnément son modèle - Jésus-Christ -, nous confie un « essai testament » libre, humble et fraternel. Un investissement durable qui ne prendra pas de rides au fil du temps. Thierry Le Gall Pasteur, directeur du Service Pastoral du CNEF auprès des Parlementaires
Édouard Nelson était pour moi un frère et un ami. Le pasteur évangélique et le curé catholique d’un même quartier s’étaient rencontrés d’emblée en profondeur, simplement, en partageant leur foi en la Parole et la grâce de Dieu. Nous n’étions sans doute pas d’accord sur tout, mais nous nous savions profondément frères dans le Christ et nous en étions heureux. Le sens de l’obéissance à la parole de Dieu qu’avait Édouard m’a stimulé et continue de m’accompagner. La richesse et l’originalité des réflexions d’Édouard, l’Américain, sur la devise républicaine sont réjouissantes. La variété de ses références également. J’ai été touché en particulier par l’affirmation de Jean d’Ormesson : « Il n’y a qu’une seule révolution dans l’histoire de l’humanité : c’est la mort de Jésus sur la croix ». Cette formule magnifique est tirée du Chemin de croix des académiciens dont j’ai pris l’initiative il y a des années dans l’une de mes premières paroisses. Que la chaleur et le radicalisme évangéliques d’Édouard veille sur ses proches et sur nous tous. Béni soit Dieu en toute chose. Amen ! Matthieu Rougé Ancien curé de Saint-Ferdinand des Ternes Évêque de Nanterre et des Hauts-de-Seine
ÉDOUARD NELSON
Vivons-nous à la hauteur de nos idéaux ?
Plaidoyer pour la véritable liberté, égalité, fraternité : Vivons-nous à la hauteur de nos idéaux ? • Édouard Nelson ©2020 • BLF Éditions • www.blfeditions.com Rue de Maubeuge, 59164 Marpent • France Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Couverture : ETINciel Photo auteur : CNEF 2019, photo ZYSTUDIO Mise en page : UTCDESIGNS Impression n° XXXXX • Evoluprint • 10, rue du Parc • 31151 Fenouillet Sauf mention contraire, les citations bibliques sont tirées de la Bible Segond 21, © 2007 Société biblique de Genève. Reproduit avec aimable autorisation. Tous droits réservés. ISBN 978-2-36249-557-1 ISBN 978-2-36249-558-8
Broché Numérique
Dépôt légal 4e trimestre 2020 Index Dewey (CDD 23) : 234 (index alternatif : 261.532) Mots-clés : 1. Évangile. Jésus-Christ. Grâce. 2. Christianisme et politique.
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Préface Édouard Nelson nous conduit sur une route peu classique. De la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité », si souvent employée mais si difficilement mise en œuvre, il nous conduit à une aventure intérieure, intime et personnelle. Son interrogation – « L’Évangile pourrait-il réaliser le rêve républicain ? » – est inattendue. Il y a un an, elle aurait paru relativement provocatrice mais nous sommes en 2020. La Covid-19 rôde autour de nous tous, entraînant bien des incertitudes, des remises en cause, des transformations relationnelles ou professionnelles, et cette interrogation inattendue peut alors devenir bienvenue. Ce chemin me touche d’autant plus qu’il a été le mien. De mon engagement politique motivé par un désir profond de « Changer la vie » (slogan politique de 1974 et 1981), je suis 11
arrivée à une rencontre personnelle avec JésusChrist. Cette rencontre n’a pas changé « la vie », mais a radicalement changé « ma vie ». C’est un immense et profond bonheur ! Édouard Nelson met des mots sur des changements intérieurs majeurs et ouvre ainsi des voies que beaucoup d’entre nous n’auraient pas pensé trouver dans la Bible. Il propose d’expérimenter concrètement la liberté (par rapport à nos pensées noires, nos émotions ou nos peurs), l’égalité (en considérant combien nous sommes tous égaux devant le Père), ainsi que la fraternité qui en découle. Y a-t-il ici un idéal inaccessible ou bien l’Évangile est-il une source de vie pour les temps difficiles qui sont les nôtres ? Avec une grande culture et une écoute attentive de notre siècle, Édouard Nelson fait face aux questions essentielles de nos contemporains sur l’existence d’un Dieu bon, le sens de la vie ou encore la possibilité de vivre ensemble… Avec beaucoup de délicatesse, il nous invite à venir voir, lire, et réfléchir. Respectant pleinement le chemin de chacun, il trace une route nouvelle pour répondre 12
aux aspirations profondes de notre cœur. Nous sommes tous libres d’emprunter ou non cette voie, mais combien changerait l’atmosphère de notre pays si les citoyens que nous sommes vivaient pleinement dans leur cœur une vraie liberté intérieure, une profonde égalité avec leurs semblables et une fraternité bienfaisante ! Ce petit ouvrage est un formidable encouragement à aller chercher vers l’Évangile des solutions aux questions qui nous habitent. Ne pouvant lui dire directement combien grande est ma reconnaissance, je me tourne vers son épouse avec une immense gratitude. Georgina Dufoix Ancienne ministre de la République française
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Qu’est-ce que Dieu fait donc de ce flot d’anathèmes Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ? Comme un tyran gorgé de viande et de vins, Il s’endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes. Les sanglots des martyrs et des suppliciés Sont une symphonie enivrante sans doute, Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte, Les cieux ne s’en sont point rassasiés ! Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
Il y a encore des Bastilles à prendre. Slogan politique (env. 1989)
Chapitre un
Liberté, Égalité, Fraternité : entre rêve et réalité Du haut de ses six ans, François bouillonne d’une excitation teintée d’angoisse : c’est sa première rentrée à l’école primaire. Sur le fronton du bâtiment, son regard croise ces mots à la fois mystérieux et imposants : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Il retient son souffle, lâche la main de sa maman et pousse la porte. Douze ans plus tard, François passe son bac de philosophie et tombe sur cette question : « Expliquez l’articulation des trois notions de liberté, d’égalité et de fraternité dans la devise française ». Il a l’impression de jouer : thèse, antithèse, synthèse… Est-ce plus que du sable qui glisse entre ses doigts ?
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Ce soir, quelques décennies plus tard, il vient de border ses enfants et a rejoint sa femme au salon. Le reportage du journal télévisé montre des manifestants clamant : « Liberté, Égalité, Fraternité ! ». Si souvent déçu, un brin cynique, François s’interroge : ces trois mots ont-ils un sens ? Ceux qui agitent leur étendard ont-ils trouvé le bon prétexte pour justifier leurs projets égoïstes ? Ou sont-ils bêtement naïfs ? Rêvons-nous encore d’un monde plus libre, plus égal, plus fraternel, avec moins de sanglots et moins de suppliciés, comme le dit Baudelaire ? Peut-on encore espérer le progrès ? Nous sommes tous tiraillés entre cynisme et idéalisme. Entre ces deux extrêmes, reste-t-il une place pour l’espoir ? Nous proposons dans ces quelques pages de nous glisser dans cet espace infime. Notre exploration de la devise républicaine nous permettra-t-elle de dépasser les déceptions d’adulte et les rêves d’enfant ? Les injustices, les abus politiques et sociaux, ainsi que le flot incessant des souffrances de l’époque ont poussé les acteurs de la Révolution française à instaurer des droits et à poser de nouveaux fondements politiques. 16
La liberté, l’égalité et la fraternité pour tous. Pas seulement pour les riches et les puissants. Depuis son origine dans un discours de Robespierre, cette devise est devenue la pierre d’angle de la République, gravée dans la Constitution. Cet idéal sert de rêve collectif et unificateur : c’est un projet exaltant, une vision, le ciment de la République. Il fédère la nation et suscite des engagements multiples. Que ce soit la maire d’une petite commune ou le professeur de français dans une banlieue délaissée, nombreux sont ceux qui s’engagent et servent avec abnégation, motivés par les idéaux de la République. Deux siècles plus tard, il y a « encore des Bastilles à prendre ». En tant que lieu de « liberté, égalité, et fraternité », la République n’arrive pas toujours à la hauteur de nos aspirations, sans parler de nos rêves. Le monde est encore marqué par « les sanglots » de Baudelaire et les progrès politiques des deux derniers siècles n’ont mis fin ni à la souffrance ni aux déceptions. Liberté, Égalité, Fraternité : une formule de rêve, un rêve qu’on attend, un idéal qu’on espère. Rappelons-nous cette scène dans le film La Haine (1995) qui dénonce le manque de cohésion sociale. Trois jeunes sont perchés sur une 17
hauteur parisienne avec vue sur la Tour Eiffel. Ils s’échangent des proverbes qu’ils méprisent : « Petit à petit l’oiseau fait son nid », etc., quand l’un sort « Liberté, Égalité, Fraternité ». La réponse, ironique, est cinglante : « Celle-là aussi, je l’ai, mais je la garde en stock pour les grandes occases1 ». Pour eux comme pour nous, cette formule sonne-t-elle creux ? Renvoie-t-elle à un échec ou à une déception plus qu’à un rêve ? Ou est-ce simplement que nos ambitions dépassent nos capacités ? Et si l’accomplissement de ce rêve n’était pas politique mais personnel ? Et si notre environnement social n’avait qu’un impact tristement limité sur nos vies ? Il est en effet possible de vivre une situation politiquement et socialement libre, égale et fraternelle, sans pour autant expérimenter ces trois principes de manière personnelle, au niveau du cœur. Pensons à Javert, le policier des Misérables, qui pourchasse Jean Valjean après son évasion de prison. Son obsession – retrouver le fugitif – le rend esclave alors même qu’il est 1. URL : www.youtube.com/watch?v=Sis3VmcNI8 (consulté le 10/07/2020).
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libre. Au contraire, il est possible de connaître une situation politique ou sociale injuste et de se sentir libre pourtant, égal aux autres et soutenu de manière fraternelle. Le ressenti de mon cœur et les circonstances auxquelles je suis confronté sont deux choses distinctes. Et si le rêve fondant la devise républicaine pouvait devenir réalité ? Et si les désirs profonds du cœur humain, désirs qui donnent puissance à cette formule, étaient viscéralement inscrits en nous ? Et si ce trio faisait écho à une réalité plus large, voire éternelle ? Et si l’Évangile pouvait réaliser les rêves de notre cœur ? Et si la « bonne nouvelle » de Jésus permettait justement d’assouvir nos aspirations les plus profondes ? Comment ? En la recevant et en la vivant avec d’autres, au quotidien. L’Évangile permet de vivre plus de liberté, plus d’égalité et plus de fraternité que nous n’oserions espérer. Même si cela ne ressemble pas toujours à ce que l’on imagine. Telle est la thèse de ce petit livre. 19
Pouvons-nous envisager de faire confiance à un message ancien, apparemment dépassé ? L’histoire de la France « chrétienne », « fille aînée de l’Église », ne nous enseigne-t-elle pas qu’une telle approche est vouée à l’échec ? Les droits de l’homme ne nous offrent-ils pas un chemin bien plus sûr vers l’épanouissement humain ? Après tout, la liberté religieuse dépend des droits de l’homme et non l’inverse ! Les droits de l’homme ne seraient-ils donc pas plus « fondamentaux » que la religion ? Les avancées dans le domaine des libertés politiques contribuent puissamment à l’épanouissement humain. Nous ne sous-estimons pas l’importance des droits de l’homme, loin s’en faut. Ces droits rendent possible la publication d’un livre comme celui-ci. Nous nous sommes cependant tous confrontés aux limites de la liberté politique, de l’égalité des droits et de la fraternité nationale. Opérons trois distinctions : 1. Les réalités telles qu’elles se présentent au niveau de la société (que nous appelons droits politiques). 20
2. Les réalités telles que nous les vivons au niveau individuel. 3. Les réalités telles que nous les ressentons au niveau de notre « for intérieur ». Au fond, ce que nous voulons n’est pas tant de vivre les grands principes républicains à l’échelle de la société que de les vivre à l’échelle de notre réalité individuelle. Nous voulons que les belles idées s’incarnent dans la réalité de nos vies et jusque dans nos cœurs. Les échecs de la politique pour transformer notre quotidien nourrissent diverses expressions de frustration citoyenne2 . La liberté d’expression est essentielle, mais suis-je libre dans mon cœur, dans ma tête, pour m’exprimer devant mes amis ? L’égalité devant la loi, bien sûr, mais ai-je droit au même respect que ce collègue faisant le même travail que moi ? La fraternité de la nation me soutient, mais en quoi cela m’aidet-il lorsque je me sens seul, un soir d’hiver ? Les principes de la République, nous les voulons pour nos cœurs, dans nos cœurs. Or, ce 2. Nous pensons au mouvement des « gilets jaunes » en 20182019, mais bien d’autres exemples existent, comme les mouvements syndicaux, tout au long de l’histoire de la France, comme ailleurs.
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transfert, la République est incapable de l’opérer. Comment pourrait-elle matérialiser dans un cœur humain un principe de société ? En effet, l’insatisfaction et l’« inconsolation » du cœur humain demeurent, jusque dans les circonstances politiques et sociales les plus favorables. Dans son ouvrage Francoscopie, Gérard Mermet se livre à une analyse culturelle de la France. Bien que plus libre, égale et riche que la France de 1789, notre France souffre encore du désarroi social. L’auteur rappelle ainsi que malgré les progrès historiques, nous ne sommes pas encore « arrivés ». [La téléréalité] met en évidence le rejet des élites, la montée de l’« égologie » (parlez-moi de moi…), le rêve partagé de la célébrité… La téléréalité nous renvoie donc l’image du malaise et de la frustration de la « société mécontemporaine ». Force est de constater que les Français ne se lassent pas de regarder ces émissions. Déçus de leur propre vie, beaucoup préfèrent la vivre (ou la rêver) par procuration3.
Notre culture et nos choix culturels reflètent souvent nos projets de « vie par procuration » : ce sont des formes de gestion de la déception. 3. Gérard Mermet, Francoscopie, Paris : Larousse, 2007, p. 432.
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Si la République ne parvient pas à tenir ses promesses, que faire ? Où trouver l’alternative ? Dans l’Évangile ? N’allons pas trop vite. Nous pourrions adresser le même reproche à Dieu, le Dieu de Jésus-Christ : tient-il ses promesses ? Existence de Dieu : deux contre-arguments
La souffrance écarte-t-elle d’emblée l’idée d’un Dieu bon ? En contemplant l’état déplorable de notre monde, nous pouvons douter de la bonté du Tout-Puissant. Le pasteur Paul Mallard parle ainsi d’un ami athée : Son athéisme n’était pas la conclusion logique d’un argument soigneusement élaboré, mais plutôt le fruit de son observation d’un monde si rempli de brisements de cœur et de tristesse, et de sa conclusion, atteinte dans la douleur, qu’il n’y a pas de place dans un tel monde pour un Dieu d’amour avec un projet de sagesse et de bonté 4. 4. Paul Mallard, parlant d’un professeur de son lycée, Invest your disappointments [Apprenez de vos déceptions], La Vergne : IVP, 2018, p. 31 (trad. libre).
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Nous pouvons critiquer le « projet de sagesse et de bonté » de la République et celui de Dieu. Voilà deux siècles que les idéaux de la Révolution sont testés, avec des résultats divers. Voilà deux millénaires que l’Évangile est mis à l’épreuve, et les critiques abondent. Pourquoi ce désenchantement ? Commençons par une vision grand angle. Si notre monde ploie sous tant de tristesse, cela prouvet-il que Dieu (du moins le Dieu de la Bible) n’existe pas ? Ce vaste débat dure depuis des millénaires. Le livre biblique qui médite le plus la question est celui de Job. C’est un des textes les plus anciens de la Bible. Son auteur l’aurait écrit plus de douze siècles avant Jésus-Christ5. Dieu et la souffrance sont-ils compatibles ? À notre époque, en Occident, la difficulté tient dans le caractère incompréhensible de la souffrance. Lorsque je souffre à cause d’un mensonge de ma part, je le comprends. Lorsque je souffre parce que mon enfant développe une leucé5. La datation de ce texte ancien fait débat. Les estimations vont de 1700 av. J-C à 400 av. J-C. Pour notre part, nous sommes plutôt convaincus par une date ancienne, antérieure à 1200 av. J-C.
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mie, je ne le comprends pas. Je pourrais alors en déduire que Dieu n’existe pas. Il n’en va pas de même dans d’autres cultures et en d’autres temps. L’incompréhension faisait partie de la vie normale. Dieu pouvait très bien concevoir des projets ou des priorités qui nous dépassaient. Des projets incompréhensibles pour nous, mais pas pour lui. Ne pas comprendre n’est pas forcément fatal pour la foi. Job ne sait pas que son ennemi spirituel, Satan, veut le tester. Celui-ci affirme que Job se rebellera contre Dieu s’il souffre. Job subit des catastrophes totalement incompréhensibles, mais refuse de maudire Dieu. Ce qu’il ne sait pas, c’est que sa fidélité dans l’épreuve est en fait la défaite de l’« Accusateur » (sens du mot « Satan »). Sa fidélité démonte les accusations de Satan. À la fin, Job est confronté à la réalité de la présence incontestable de Dieu. Un Dieu que nous ne comprenons pas toujours, mais que nous pouvons connaître. Notre objection à l’existence de Dieu peut provenir de notre refus d’accepter l’incompréhensible. Selon la Bible, il est toutefois possible de vivre malgré cette part de mystère. 25
Accepter l’incompréhensible n’interdit pas de crier avec de nombreux auteurs bibliques éprouvés aux larmes : « Jusqu’à quand Seigneur, jusqu’à quand6 ? ». Notre capacité à supporter la tension que suscite l’incompréhension est un aspect du problème de l’apparent « échec » de Dieu. Si Dieu, infiniment grand, peut concevoir des projets incompréhensibles pour l’homme, la souffrance incompréhensible pourrait donc avoir un sens qui nous échappe7. L’hypocrisie des croyants exclut-elle l’idée d’un Dieu puissant ? Nous pouvons aussi aborder la question de l’échec de Dieu de manière plus focalisée. L’Évangile, si nous l’accueillons sincèrement, transforme le cœur humain. Mais si cet accueil n’est que superficiel – par simple tradition 6. Voir Psaumes 13 ; Ésaïe 6 : 11 ; etc. 7. La question de la souffrance mérite une réflexion approfondie que les lectures ci-dessous permettent d’aborder plus en détail. Nous recommandons comme premier pas Si Dieu existe pourquoi le mal ? de Louis Schweitzer et La souffrance de Timothy Keller. Pour aller plus loin, Le mal et la Croix de Henri Blocher et Jusques à quand ? de Donald Carson.
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familiale par exemple –, alors il n’est pas surprenant qu’il ne transforme pas notre cœur, nos choix, notre vie. Les pays occidentaux ont souvent connu une forme de la foi chrétienne qui n’engageait pas le cœur et se cantonnait au « culturel ». J’ai grandi avec ce christianisme-là, où l’Évangile était plus un slogan qu’un vécu profond. J’y vois l’échec d’une Église qui avait perdu sa voie. Malgré les formules et les rites, l’Évangile ne change pas toujours les vies. « Au nom de Christ », certains « chrétiens de nom » sont capables de faire exactement le contraire de ce que préconisait Jésus. Jésus a dit : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent8 ». Si je me réclame de l’enseignement du Christ et que je suis violent « en son nom », je vis en contradiction absolue avec l’Évangile. En revanche, si je deviens un véritable disciple de Jésus, je m’efforcerai de « vivre » l’Évangile. En cherchant à pratiquer ce que dit Jésus, ma vie sera visiblement différente. Si je m’at8. Évangile selon Matthieu 5 : 44.
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tache à une communauté locale de disciples de Jésus-Christ, je concrétiserai ses enseignements dans mes relations au sein de cette famille spirituelle. Ces idéaux deviennent des réalités de cœur et de vie. Dans ce contexte, le véritable disciple trouve les armes pour se battre contre l’hypocrisie, notre ennemi commun. Pour en revenir à la devise républicaine, les valeurs qu’elle met en avant sont autant de réalités indépendantes de nos circonstances externes : la véritable liberté, égalité, fraternité est vécue dans un cœur régénéré, transformé. Si je vis l’Évangile et si, donc, je pratique les commandements de Jésus, je peux faire de ce rêve une réalité. Dieu a sûrement le projet de changer notre cœur plus que nos circonstances ! Pour illustrer mon propos, voici l’histoire vraie de Christo Kulichev 9, un pasteur bulgare emprisonné sous le régime communiste pendant les années quatre-vingt. Il a témoigné de la liberté profonde et du réconfort inouï qu’il a connus dans la solitude de sa cellule. Il était isolé, séparé de sa femme et de ses jeunes 9. Michael Halcomb, Imprisoned for Christ [Prisonnier pour Christ], Wheaton : Tyndale, 2001. Voir notamment le chapitre deux.
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enfants. Il a pourtant expérimenté une communion spirituelle bouleversante avec Dieu, par l’action invisible de Jésus-Christ. Éprouvé, il a ressenti un réconfort intérieur inexplicable. Son exemple montre qu’il est possible de vivre des circonstances terribles tout en ayant une vie intérieure exaltante. Ma situation matérielle n’est qu’un facteur parmi tant d’autres qui influe sur mon vécu. Le dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus, debout, s’écria : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de lui, comme l’a dit l’Écriture ». Évangile selon Jean 7 : 37-38
Si nous avons encore soif d’un monde meilleur, si les rêves des droits de l’homme ne nous ont pas comblés, une alternative existe. Jésus propose un chemin qui reconnaît l’importance et la puissance de ces idéaux, mais qui les dépasse. Ce chemin correspond aux désirs qui ont inspiré les idéaux de la République. Ce chemin, qui est une relation vivante, transforme les idéaux en réalités vécues dans un cœur humain. En tant qu’êtres créés, tou29
chés et souillés par l’injustice au plus profond de nous-mêmes, nous avons besoin de liberté, d’égalité et de fraternité. Nous ne pouvons pas nous en passer. Ces valeurs doivent subsister a minima comme un rêve qui inspire et qui motive. Vivre sans idéaux est impossible pour nous humains. « Liberté, Égalité, Fraternité », voilà une belle expression des aspirations universelles de l’humanité. Les pieds dans la vase, nous regardons les étoiles. Quand Jésus parle de soif, il reconnaît nos désirs profonds et la frustration que nous ressentons. Les paroles de Jésus nous invitent à commencer par la soif, le besoin. Il comprend aussi l’échec de nos tentatives humaines, politiques ou sociales pour accomplir nos rêves : nous en parlerons au chapitre cinq. Selon lui, nos seules capacités humaines ne suffisent pas à la réalisation de nos idéaux. Si nous voulons que notre personne même soit touchée et que notre cœur soit transformé, nous comprenons vite que la tâche nous dépasse. La diversité des projets utopiques et leurs inexorables échecs forment donc une partie de notre histoire. 30
Pour avancer vers des rêves aussi grandioses, nous devons surmonter une série d’obstacles conséquents. En nous-mêmes d’abord. Dans nos relations ensuite. Nous parlerons tour à tour de liberté, d’égalité et de fraternité. Nous évoquerons ce que nous cherchons vraiment dans chacun de ces idéaux et décrirons comment l’Évangile nous offre ce à quoi nous aspirons. Nous découvrirons également de quelle manière inattendue il accomplit ces principes. L’Évangile pourrait-il réaliser le rêve républicain ? Réfléchissons-y ensemble.
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Loin de tout angélisme, le judaïsme, dans un premier temps, se méfie du désir parce que sa pente naturelle [celle du désir] est le narcissisme et l’autogratification. Spontanément, le sujet se met au centre du monde et veut prendre toute la place. Et si tel est le cas, le monde n’est pas viable : c’est la domination des forts sur les plus faibles, c’est le règne de la brutalité, c’est un monde en deçà de l’humain, en deçà de l’éthique. La mort généralisée, sous quelque forme que ce soit. Gilles Bernheim, Le Rabbin et le cardinal
L’athéisme n’est pas une thérapie mais une santé mentale recouvrée. Michel Onfray, Traité d’athéologie
Chapitre deux
Liberté Si « la pente naturelle » du désir humain est celle du narcissisme comme le confie Gilles Bernheim, alors la vie humaine sans éthique va vers « la mort généralisée ». La liberté de la République s’inscrit dans les limites de la Constitution et des lois. Ce cadre restreint la domination des forts sur les faibles. Cette liberté encadrée protège et fait du bien, mais ne suffit pas. Si notre idéal n’arrive pas à nous combler, l’athéisme nous permet-il de recouvrer « la santé mentale » dont parle Michel Onfray ? Admettons que nous devions vivre sans Dieu au quotidien. Ce choix nous lance un défi de taille : trouver une éthique matérialiste. Une éthique cohérente et qui fasse l’unanimité.
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Mais sur quelle référence s’accorder s’il nous faut la trouver dans le monde « matériel » ? Quelle définition unirait toute une société ? À ce jour, aucune éthique matérialiste n’a réussi à susciter une adhésion collective sans faille. Le philosophe athée André Comte-Sponville reconnaît par exemple qu’en morale, souscrire au matérialisme, c’est « être désespérément vertueux ». Il note que « la critique que fait Spinoza de la morale, si elle interdit d’y croire, ne dispense pas de la pratiquer10 ». Pratiquer la moralité désespérément, sans y croire : un peu court pour inspirer la foule ! Lorsque nous exerçons notre liberté individuelle en comptant sur notre seule sagesse, sans nous appuyer sur un référent extérieur, nous butons sur de grandes difficultés. Comment arriver à nous entendre sans nous accorder sur un cadre commun ? Comment jouer le jeu de la vie lorsqu’aucune équipe ne reconnaît le même arbitre ? Nous rencontrons cette problématique partout et tout le temps. Voici, par exemple, une scène de vie observée un jour à Paris. 10. André Comte-Sponville, Traité du désespoir et de la béatitude, Paris : PUF, 1984, p. 511.
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Nous sommes avenue de Wagram. Un homme aux cheveux blancs, en costume bien taillé, choisit de traverser le boulevard « en dehors des clous », à 100 mètres d’un passage piéton. Il doit s’arrêter au milieu, entre les deux files de circulation. Une moto, qui dépasse les voitures par le milieu de l’avenue, manque de le renverser. Le motard klaxonne avec insistance et l’homme répond par un geste déplacé. Le motard fait alors demi-tour un peu plus loin et revient pour « une explication fraternelle ». Chaque jour, nous constatons que les choix « libres » de chacun mènent à des situations douloureuses et regrettables. Prise isolément, chacune de nos décisions, peut éventuellement se comprendre. Certains choix aboutissent pourtant à de tristes situations de conflit et de souffrance. Le piéton aurait pu traverser sur le passage clouté et répondre par un geste d’excuse plutôt que par une insulte. Le motard aurait pu ne pas franchir la ligne blanche pour dépasser les voitures et éviter de klaxonner comme il l’a fait. Et ainsi de suite. Nous excellons lorsqu’il s’agit de justifier nos mauvais comportements. Nos petits écarts sont toujours opportuns et raisonnables. À nos yeux seulement… 35