CITAD'ELLES 16

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N°16

! s e n i l é f z e t s Re Le féminin sans barreaux

Printemps 2018


CITAD'ELLES Revue éditée à 600 exemplaires • COORDINATION GÉNÉRALE : Les Établissements Bollec Ligue de l’enseignement d'Ille-et-Vilaine • COORDINATION ARTISTIQUE : Les Établissements Bollec • COMITÉ RÉDACTIONNEL : Anic Cloé Samia Xavi Bettina Sisi Ata 22 Nouchine Ina Mowgli Marina Kamel Inès Alicia Barbara • INTERVENANTS : Audrey Guiller Agathe Halais Alain Faure Delphine Marie Louis Colette David • PARTENAIRES : SPIP 35 Ligue de l'enseignement d'Ille-et-Vilaine Centre pénitentiaire des femmes de Rennes Fondation M6 Fondation Agir Sa Vie Fondation La Poste Fondation de France Transmission et Fraternité Le Géant des Beaux-Arts • REMERCIEMENTS : Nicole Belloubet Karen Saranga Les jurés du Prix des Assises du Journalisme Amandine Gay Eric Bullet Geneviève Fouéré Sarah Latifa Ibn Ziaten Badame L'ambasadrice Flore Vasseur Catherine Potel Jean-José Baranes Nadège Typhanie Coulon Laurence Einfalt Annick Le Douget Anne-Héloïse Botrel-Kerdreux Mickaël Marellec La médiathèque Les surveillantes du bâtiment J Merci à tous ceux qui nous ont généreusement apporté leurs compétences pour la réalisation de ce numéro. Illustration Couv : freepik.com Imprimerie Chat Noir - Rennes

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Restez félines! C'est amusant, en écoutant la radio ce matin, un journaliste du journal suisse Le Temps avait décidé de faire le point sur les articles consacrés aus femmes, à leurs initiatives, leur prise de parole… et il faisait le triste constat que seulement un quart des articles leurs étaient dédié. En conférence de rédaction, nous n'avons pas attendu cet état de fait pour décider consacrer entièrement ce N°16 de Citad'elles aux femmes. Citad'elles, magazine féminin ? Magazine féministe ? Nous avons décidé de traiter tous nos sujets avec des femmes comme interlocutrices (trouvez les deux erreurs) car, même dans les médias, les femmes sont invisibles. Il est toujours questions d'interroger beaucoup plus d'experts que d'expertes. Comme vous le constaterez , les femmes ont tout autant à dire. Dans la foulée, nous avons reçu Nathalie Renoux, présentatrice du 19-45 de M6, de Cindy Hubert, journaliste justice sur RTL et de Charlotte Fouilleron, journaliste à Femme Actuelle. A l'initiative de la Fondation M6, cette rencontre était organisée dans le cadre de la Journée Internationale du Droit des Femmes. L'occasion de parler des l'inégalités entre les homme et les femmes, d'échanger sur les pratiques journalistiques de chacune. Débats passionnés comme souvent à la rédaction de Citad'elles. Quelques jours plus tard, Citad'elles recevait le Prix Education aux Média et à l'Information aux Assises Internationales du Journalisme à Tours. Un prix qui récompense à juste titre le travail des rédactrices de votre magazine préféré. Le projet a été présenté à Madame Nyssen, Ministre de la Culture. Et enfin, à l'invitation de la rédaction, Madame Belloubet, Ministre de la Justice est venue répondre aux questions de Citad'elles. Vous retrouverez l'intégralité de cette rencontre dans ses pages. A chaque fois, un sac Citad'elles et des numéros de la revue ont été remis aux ministres. En espérant qu'elles arborent leur sac lors du Conseil des Ministres. Ce projet est ouvert à toutes, n'hésitez pas à venir rejoindre l'équipe pour nous proposer vos idées d'articles et d'illustrations. Citad'elles est un projet mené conjointement par le SPIP 35, la Ligue de l'enseignement d'Ille-et-Vilaine et l'association rennaise les établissements Bollec. Il n'existerait pas sans le soutien de nos partenaires privés que nous remercions au passage. Tous les numéros de Citad'elles sont également lisibles gratuitement sur le site etablissementsbollec.com Alain Faure, coordinateur du projet.


Sommaire Rencontre

Entretien exclusif avec Nicole Belloubet......................................p.4

Initiative

Des expérimentations pour imaginer d'autres prisons ..............p.8

Société

Donner la parole aux femmes noires .........................................p.10

Médias

Comment se refaire une identité numérique ?..........................p.16 Lanceurs d'alerte à la recherche de la vérité..............................p.20

Psycho

En détention, face à l'impudeur .................................................p.24

Zoologie

Quand plumage et ramage frôlent le ridicule...........................p.26

Beauté

L'instant essentiel.........................................................................p.28

Cuisine

Typhanie, un peu d'épices, beaucoup de malice......................p.30

Bricoles

S'organiser pour assurer sur tous les fronts ...............................p.34

Histoire

Hélène Jegado, serial empoisonneuse......................................p.38 Mère Courage, Latifa se bat pour les jeunes ............................p.42

Fiction

La queue entre les jambes...........................................................p.44 Poèmes..........................................................................................p.47

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rencontre

L'entretien exclusif !

Des hommes, des femmes, une justice ?

Vendredi 23 mars, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, s'est déplacée au CPF de Rennes pour répondre à l'invitation de la rédaction de Citad'elles. À l'occasion du 8 mars, nous voulions l'interroger sur le thème des inégalités entre femmes et hommes en détention. Intéressée par notre magazine, elle a accepté de nous accorder une interview exclusive. Dossier Collectif Citad'elles : Pourquoi avez-vous pris la peine de vous déplacer pour «nous» ? Nicole Belloubet, Ministre de la Justice : Karen Saranga (NDR : sa conseillère en communication) a entendu parler de votre magazine. E l l e a re ç u vo t re d e m a n d e d'interview et m'a conseillé d'y aller. Votre magazine est une très belle initiative, dont il faut tenir compte. Cela faisait quelque temps que j'avais envie de venir au CPF de Rennes, j’en avais entendu parler à plusieurs reprises. Et tout cela était proche de la Journée des droits des femmes. J'ai donc trouvé que c’était important de venir vous rencontrer.

il y a des inégalités de chiffres. Sur 70 000 détenus, on compte 3 000 femmes. C'est un chiffre qui mérite d'être rappelé. Alors que la loi pénale doit s'appliquer avec la même vigueur et la même rigueur pour tout le monde - notre Constitution le dit -, on constate une différence numérique entre les détenus femmes et hommes. Et peut-être, mais vous me le diriez mieux que je ne saurais le dire, qu’il y a aussi au sein de la prison des différences de prise en charge entre détenus femmes et hommes. Leurs conditions de détention ne sont pas

d'établissements de détention et de quartiers spécifiques réservés aux femmes. Dans ces lieux, il existe, je crois, la volonté de prendre en charge les femmes de manière spécifique. Mais le fait que les femmes soient parfois éloignées des lieux où résident leur famille est un problème, quand elles ont des enfants, surtout en bas âge. Que peut-on faire ? Jimmy Delliste, sous-directeur de l'organisation des services à la direction de l'AP : En comparaison aux hommes, les femmes détenues sont beaucoup moins nombreuses. C'est difficile pour l'administration pénitentiaire de construire des établissements réservés aux femmes, compte-tenu de ce faible nombre. Un établissement tel que celui de Rennes, par exemple, né ces s i t e d e p o uvo i r y affecter des personnes qui sont condamnées à des peines longues. Ors ce n'est pas le cas de la majorité des femmes incarcérées. Donc on tente de développer des quartiers dédiés exclusivement à l'accueil des femmes dans des détentions mixtes. Malheureusement, dans certains secteurs géographiques, on reste sur des quartiers en maison d'arrêt, car les périodes d'incarcération des femmes sont en moyenne beaucoup plus courtes que celles des hommes.

"On doit faire évoluer la manière dont on travaille avec et pour les femmes"

C : Avez-vous repéré des inégalités entre hommes et femmes pendant les procès et en prison ? Nicole Belloubet : Au XIXe siècle, la société a construit une sorte d'infériorisation des femmes dans un certain nombre de domaines. Et je crois qu'aujourd'hui, il y a encore des inégalités entre les femmes et les hommes : inégalités de salaire, dans la répartition du travail domestique, etc. Il y a aussi les violences que subissent les femmes. On s’aperçoit qu'elles sont victimes, très fréquemment, de violences de nature sexuelle. C’est un profond vecteur d'inégalités. Une loi a été présentée, il y a quelques jours, qui tend à sanctionner plus sévèrement les auteurs de violences sexistes et sexuelles. En prison, d'abord,

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les mêmes. Je pense notamment à la prise en charge des mères détenues, sur laquelle il faudrait que l'on porte notre attention. C : Le faible pourcentage de femmes incarcérées fait qu’il y a peu de centres de détention pour elles. Elles se retrouvent davantage confrontées à la rupture du lien familial. Est-ce juste ? Quelle solution proposez-vous ? Nicole Belloubet : Ce n'est pas un problème exclusivement féminin. Mais il a sans doute une connotation spécifique pour les femmes. C'est vrai qu'il y a peu

Nicole Belloubet : Le Président de la République s'est engagé à faire


évoluer les peines et à améliorer le suivi et l’accompagnement des personnes en détention. Il a aussi souhaité construire de nouveaux établissements pénitentiaires. Il y a des prisons confrontées à une surpopulation importante, ce qui n’est pas le cas ici. Dans ces nouveaux établissements, dont l’un sera construit en Alsace, nous veillerons à ce qu'il y ait un quartier femmes, avec des douches et des cellules correctement équipées. C : En 2016, Adeline Hazan , Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, fait le constat, chiffres à l'appui, que les femmes ont près de trois fois moins de

chances d'obtenir une semi-liberté ou un aménagement de peine que les hommes. Or, plusieurs études montrent que les femmes récidivent deux fois moins. Pourquoi ?

avoir des inégalités dans l'obtention des libertés conditionnelles et des semi-libertés, qui soient liées au genre. C'est un point sur lequel il va falloir que je travaille.

Nicole Belloubet : Ce n'est pas normal. Je vais être sincère avec vous, je n'ai pas commandé d'étude particulière pour savoir pourquoi. Pour moi, le but d'une peine, quelle que soit sa durée, c'est la sanction, la protection de la société et, tout aussi important, la réinsertion. Si on ne met pas tout en œuvre pour que la réinsertion puisse se faire dans des conditions convenables, c'est que nous avons failli à notre mission. Et je ne comprendrais pas qu'il puisse y

Albin Heuman, conseiller de la ministre : C'est une question qui me désarme : effectivement, on ne voit pas d'explication immédiate. Évidemment, ce n'est pas notre politique d'avoir une approche différente entre hommes et femmes e n m at i è re d ' a m é n a ge m e nt de peine. Peut-être y a-t-il des explications encore une fois liées aux bâtiments ? Ne manque-t-on pas de places pour femmes dans les quartiers de semi-liberté (SL) ?

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rencontre

On vient de recréer des places, mais véritablement au compte-goutte. Et dans des conditions qui sont juste acceptables. Ici, à Rennes, le quartier de SL est dans un état de conservation très peu adapté. Peut-être que, et ce n'est qu'une hypothèse, les modalités d'accès aux aménagements de peine sont souvent centrées sur le travail. Or, il est plus compliqué pour les femmes détenues d'accéder à un travail que pour les hommes. C'est aussi lié à la typologie des délits : les femmes

bénéficient moins d'aménagement car elles commettent en moyenne de plus petits délits. Mais ça n'explique pas tout, loin de là… Jimmy Delliste : L'Administration pénitentiaire travaille énormément à la mixité d'accueil dans les quartiers de SL. On est en train d'ouvrir de nouveaux quartiers de SL et on garde des places d'accueil pour les femmes. Mais il faut que vous sachiez que la SL est une mesure qui a été un mise en retrait, y compris pour la population pénale masculine. Yves Bidet, directeur du CPF : L'autre

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difficulté que nous rencontrons, c'est de trouver des partenaires à la réinsertion des femmes. Notamment à partir du CPF : les détenues sont originaires de toutes les régions de France alors pour trouver des partenariats en matière de logement ou d'accès à l'emploi, c'est plus compliqué. Par exemple, pour l'accès au logement, très peu de centres d'hébergement sont mixtes ou n'accueillent que des femmes. C : On défend la place des femmes dans l'espace public. En détention mixte, les "quartiers femmes" enclavés, isolés du reste de la détention, leur rendent difficile l’accès aux différents services : médicaux, formation, ateliers, culture. Est-ce normal ? Que faire ? Nicole Belloubet : On pourrait organiser des activités et des ateliers mixtes, ce qui ne me semble pas choquant dans le principe, évidemment : c'est la vie. Sauf que ce n'est pas qu'une question de principe, mais de protection des femmes et de maintien de l'ordre public. Et dès qu'il n'y a pas de mixité, l'organisation du travail, de l'accès aux ateliers et de toutes les autres activités devient très complexe à gérer. Cela suppose un parc immobilier qui soit organisé pour... Ensuite, vous soulevez la question des personnels que nous pouvons mobiliser pour ouvrir les lieux d'activités, les bibliothèques, peut-être les salles de sport y compris le week-end. Bon ! Là, la balle est dans mon camp... C'est une question de personnels, monsieur le directeur ? Yves Bidet : Essentiellement. On pourrait ouvrir le week-end, mais nous avons un nombre de personnels de surveillance inférieur à la semaine. Donc sur la gestion des flux, sur les problématiques d'ordre public, ça poserait des soucis. Il

faudrait réorganiser, redéployer les personnels sur sept jours de la semaine et pas sur cinq, ce qui entraînerait un surcoût budgétaire. C : Vous préparez une loi pénale ainsi qu'une loi de programmation quinquennale de la justice : y aura-t-il des mesures concernant les femmes ? Les longues peines ? Nicole Belloubet : Je n'ai pas besoin d'une loi pour mettre en place des mesures particulières pour les femmes ou pour les longues peines. Pas besoin d'une loi pour que les mesures qui permettent des réductions de peine les concernent autant que les hommes, pour leur ouvrir davantage les activités en détention, pour qu'elles bénéficient d'un accompagnement particulier. En revanche, on a besoin de faire évoluer la manière dont on travaille avec les femmes et pour les femmes. Et cela passera peut-être par des décrets d'application ou des mesures prises au quotidien dans les établissements pénitentiaires pour faire appliquer la loi. Sur les longues peines, il y a, pour moi, plusieurs points sur lesquels nous pouvons travailler. D'abord les activités d'éducation et de formation. Il faut que les femmes, mais c'est aussi valable pour les hommes, aient de meilleures possibilités de réinsertion. Elles doivent pouvoir apprendre un métier ou compléter leur formation. Il faut ensuite des conditions favorables pour la vie familiale. Je sais qu'ici vous avez les Unités de Vie Familiale et il faut réfléchir à d'autres manières de maintenir le lien familial et surtout la relation mère/enfant. L'installation de téléphones dans les cellules pourra y aider. C : Et la peine de sûreté obligatoire et automatique ? Nicole Belloubet : On n'a pas prévu de revenir sur ce principe décidé par le législateur. Est ce que le législateur accepterait de revenir là-dessus ? C'est un point délicat. À ce stade, je ne l'ai pas proposé.


C : Et la politique du Parquet ? Est-ce normal qu'elle semble parfois prendre le pas sur la loi ? Nicole Belloubet : Je comprends très bien ce que vous voulez dire. Mais on ne peut pas dire, par exemple, que le parquet de Rennes est plus sévère que celui de Nancy : ce n'est écrit nulle part. Les juges et les parquets appliquent la loi, c'est leur rôle. Mais pour être appliquée, la loi est nécessairement interprétée. Un juge, c'est un homme... ou une femme. Ce n'est pas une machine. Donc il va forcément appliquer la loi avec cette dose d'humanité qui fait que les choses ne peuvent pas être strictement identiques partout. On essaie de corriger cela en ayant un système un peu pyramidal de coordination et d'unification des politiques pénales autour des procureurs généraux. Ils sont les responsables du parquet au niveau des cours d'appel. n

BioExpress Nicole Belloubet, née le 15 juin 1955 à Paris, est une juriste, haute fonctionnaire et femme politique française. Après avoir été professeure des universités, elle a enseigné le droit et été rectrice de l'académie de Limoges, puis de celle de Toulouse. En tant que femme politique, elle a été adjointe au Maire de Toulouse, puis Vice-présidente du Conseil Régional de Midi-Pyrénées. Avant de devenir en juin 2017 Ministre de la Justice dans le Gouvernement d'Edouard Philippe.

Illustrations à la manière de Niki de Saint Phalle (1930-2002) Plasticienne, peintre, sculptrice et réalisatrice de films française, elle explore les représentations artistiques de la femme en réalisant des poupées aux formes plantureuses et aux couleurs vives, c’est l’image d’un corps libéré et expressif.

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initiative

Des expérimentations pour

imaginer d'autres prisons Certains établissements pénitentiaires testent de nouveaux dispositifs pour améliorer (ou pas) la vie en détention. Nicole Belloubet, Ministre de la justice, nous donne son avis sur certains d'entre eux. Par Alicia Les prisons ouvertes

Qu'est-ce que c'est ? Une pratique courante dans les pays nordiques : les "prisons ouvertes" n'ont pas de murs d'enceinte, pas de barreaux ni de serrures. Plusieurs bâtiments entre lesquels on circule librement, les limites étant simplement indiquées par des écriteaux. Sur 13 établissements pénitentiaires que compte la Finlande, 8 sont des prisons ouvertes de ce type. Il y a des détenus condamnés à une peine inférieure à cinq ans et d'autres qui purgent une peine plus longue. En France, la règle est celle de la prison fermée aussi bien dans les maisons d’arrêt que les maisons centrales où les détenus ne peuvent sortir de leur cellule qu’à des heures limitées. Beaucoup de détenus sortent sans le moindre aménagement de peine. Est-ce que ça prépare à la réinsertion ? Les pays d’Europe du nord enferment dix fois moins qu’aux Etats-Unis, axent le passage en détention sur la réinsertion sociale et ont un taux de récidive très bas grâce à une réforme globale de la politique

pénale, le taux de détention a été diminué de 50% en Finlande, tout en améliorant les statistiques de la délinquance. Chez nous aussi, le nombre de détenus doit diminuer.

Les téléphones en cellule

De quoi s'agit-il ? L’année dernière, près de 33 000 téléphones portables ont été saisis dans les prisons françaises, d’après les autorités. Le Ministère de la Justice veut installer un téléphone par cellule, hors quartier disciplinaire, à partir de fin 2018. Depuis l'été 2016, une expérimentation est menée au centre de détention de Montmédy, dans la Meuse. Là-bas, les détenus ont un téléphone fixe personnel dans leur cellule qui coûte environ 20% de moins que les cabines placées dans les couloirs. Les arguments des "pour" : Un gain de confidentialité. L’objectif serait de permettre notamment aux détenus d’avoir une meilleure intimité. Le but est de ne permettre l’accès aux détenus qu’à quelques numéros qui ont été vérifiés et validés en amont

par la prison. C'est aussi une aide à la réinsertion. En conservant un lien avec leur famille, ou en postulant à des offres d’emploi. Les arguments des "contre" : pour Jean-François Forget, le secrétaire général du syndicat pénitentiaire UFAP-UNSA, cela multiplie les risques d’évasion et les risques pour la sécurité de la prison. Il pense que certains détenus poursuivraient ainsi leurs trafics divers.

Co-détenus de soutien

Qu'est-ce que c'est ? Dans le cadre de la prévention du suicide en détention, plusieurs établissements ont mené l’expérimentation des codétenus de soutien (CDS). Leur mission consiste à écouter et repérer des codétenus en situation de souffrance psychologique. Les CDS reçoivent une formation aux gestes de premiers secours, à la détection des risques suicidaires et à l’écoute active. Ils sont accompagnés par des bénévoles de la Croix-Rouge française.

Régime "Respecto"

Depuis 2015, plusieurs établissements pénitentiaires se sont lancés dans l’expérimentation des modules "Respecto", inspirés de prisons espagnoles. Dans ces quartiers, les détenus sélectionnés bénéficient d’une plus grande liberté et de nombreux avantages par rapport à la détention classique. En contrepartie, ils s’engagent à respecter un règlement. Les arguments des "pour" : les détenus ont la clef de leur cellule et peuvent se rendre visite, aller à leur guise en cour de promenade,

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en salle d’activités, aux cabines téléphoniques. A Mont-de-Marsan, un accès au gymnase et au terrain de sport est spécifiquement réservé aux détenus « Respecto » le week-end. Le climat est plus humain et plus serein que dans les autres divisions. Les rapports avec les surveillants sont meilleurs. L es a rg u me n t s d es " co n t re " : l’intégration dans les modules "Respecto" implique un parcours de sélection, dont les critères d’admission ne sont pas tous explicites. Le régime "Respecto", ce sont beaucoup d'obligations et d"évaluations. Un système de la carotte et du bâton qui peut être infantilisant.

à faire dialoguer victimes et auteurs d'infractions (qu'il s'agisse des parties concernées par la même affaire ou non). La justice restaurative est un procédé par lequel les mots atténuent les maux. Elle permet aux victimes de se reconstruire et évite aux auteurs d’infractions de récidiver. n

La justice restaurative

Qu'est-ce que c'est ? L'idée vient du Canada. Pratique complémentaire au traitement pénal de l'infraction, la justice restaurative consiste

Ce qu'en pense la ministre Nicole Belloubet Téléphones : "Je l'ai dit et je le maintiens : je suis favorable à l'installation d'un téléphone fixe en cellule. Précisément pour que des femmes puissent joindre leur famille aux heures où celles-ci sont joignables. Evidemment ce sont des téléphones bridés, c'est-à-dire que vous ne pouvez pas téléphoner n’importe où, vous avez un certain nombre de numéros déclarés. Un marché a été lancé pour équiper les établissements en 30 mois. L'intérêt de ce nouveau mécanisme, c'est que les communications devraient coûter moins chères." Numérique : "Parmi les choses que l'on veut développer, il y a ce que l'on appelle le

parloir numérique. C'est l'idée que vous puissiez parler à votre famille via internet. Cela a déjà été expérimenté. Le numérique et la visio-conférence pourraient aussi être utilisés pour l'enseignement et la formation. Pour les CNE (Centre national d'évaluation), pourquoi pas ? C'est une facilité, un gain de temps et d'énergie."

Justice restaurative : "Elle commence à se développer dans notre pays de manière assez importante. A l’École Nationale d’Administration Pénitentiaire, il y a des formations en justice restaurative à destination des Conseillers Pénitentiaires d'Insertion et de Probation. Dans les établissements qui l'expérimentent, comme à Val-de-Reuil, c'est un vrai succès. À la fois pour la personne détenue, pour un meilleur ancrage dans sa vie, pour les victimes et pour la reprise du dialogue. Je suis extrêmement favorable à ce type de travail".

Régime "Respecto" : "Je voudrais qu'il y en ai partout. C'est un contrat moral qui est passé entre le détenu et l'administration pénitentiaire. Le détenu a une certaine liberté de circulation, d'organisation, d'activité. En contrepartie de quoi, il a des responsabilités à respecter. C'est un contrat donnant/donnant qui est un assouplissement du système pénitentiaire traditionnel." Un groupe de travail vient d'être mis en place au CPF pour y imaginer la création d'un régime "Respecto".

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société

Donner la parole

aux femmes noires Amandine Gay, réalisatrice du documentaire "Ouvrir la voix" et universitaire, répond à nos questions sur l’afro-féminisme. Par Mowgli Citad’elles : De quoi parle votre documentaire « Ouvrir la voix » ? Amandine Gay : C'est un documentaire sur les femmes noires en contexte minoritaire. Si j'avais parlé des femmes noires au Sénégal ou en Haïti, cela aurait donné un film sur les femmes, tout simplement. Mais je parle des femmes noires françaises et belges, qui n'appartiennent donc pas à la norme, pas au groupe majoritaire. C : Pourquoi avoir fait ce documentaire ? AG : Pour donner à voir des femmes noires en dehors des stéréotypes. J’ai été comédienne avant et j'ai remarqué qu'on donne aux femmes noires toujours les mêmes rôles : soit un rôle tragique d'immigrée, soit une délinquante de banlieue. Alors qu'il se passe plein d’autres choses dans les communautés noires, que je ne voyais pas à l'écran en France. J'ai fait le film que j'aurais aimé voir à 15 ans, pour transmettre des informations aux jeunes filles, pour leur expliquer

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des mécanismes : pourquoi on va les traiter de panthère ou de gazelle, pourquoi elles sont objets de fétichisation sexuelle, quelles sont les conséquences de la colonisation dans leur vie, etc. Parce que quand tout ça nous arrive et qu'on est isolée, qu'on n'a pas les clés pour comprendre et personne à qui en parler, c'est compliqué. C : Pouvez-vous expliquer à nos lectrices ce qu’est la « non-mixité racisée » ? AG : Dans les années 1970, des femmes ont estimé qu'elles ne trouvaient pas leur place dans les mouvements politiques d’extrêmegauche. Elles ont donc créé leur propre mouvement, sans homme. De la même manière, les femmes noires ont vécu l’expérience des groupes féministes mainstream blancs. Elles n'y trouvent pas leur place en tant que minorité. Elles ont donc une volonté de travailler dans des espaces non mixtes de femmes noires. Cela leur permet une meilleure prise de parole, car

beaucoup d'études montrent que les minorités prennent moins la parole dans les assemblées mixtes. Et très peu de groupes mixtes ont cette réflexion sur le juste partage de la parole. De plus, dans ces groupes non-mixtes, il n'y a pas à faire de pédagogie, car tout le groupe partage la même expérience. On n’a pas besoin de revenir toujours aux bases, d'expliquer par exemple aux femmes blanches ce que vivent les femmes noires et les problèmes qu'elles rencontrent. En termes de travail, ça permet d'aller plus loin et plus vite. C : Pensez-vous que le féminisme intersectionnel (1) soit la solution ? AG : Non. D'abord, j'ai du mal à réfléchir en termes de solution. Mon film est une création, qui questionne plutôt qu'il préconise des solutions. Ensuite, oui, je pense qu'il serait bon de prendre en compte tous les éléments des identités des personnes. Mais le féminisme intersectionnel voudrait dire qu'on serait tout le temps


toutes mélangées, handicapées, asiatiques, noires et qu'on devrait aborder toutes les questions en même temps. Est-ce possible ? Je préfère plutôt que chacune travaille en groupe pour faire avancer leur cause et qu'ensuite on se retrouve : plein de femmes différentes qui savent aussi se regrouper pour des causes et des luttes communes. C : Sur le thème de l’excision, pensezvous qu’il y a eu une confiscation du débat ou une récupération politique par les féministes blanches ?

AG : Oui ! Le discours sur l'excision doit changer. Oui, l’excision, c’est mal. Oui, il faut que ça s’arrête. Mais après, quels moyens efficaces meton en place pour que ça s’arrête ? Si l'on veut vraiment mettre fin à l’excision, est-ce que le meilleur moyen est de stigmatiser ceux qui ont pratiqué les mutilations ainsi que les femmes noires ? Je vois beaucoup de victimes qui ne peuvent pas en parler publiquement car cela mettrait leurs familles en cause. Il faudrait que les associations aillent voir les

personnes concernées et trouvent avec elles la bonne façon d'arrêter cela. Comment, par exemple, une fille aînée a convaincu ses parents de ne pas faire exciser sa jeune soeur ? Les noir.e.s ont un lourd passé d’exploitation et de soumission : esclavage, colonisation, apartheid, ségrégation. C : Une étape de renforcement de l’estime de soi, de la réappropriation fière de son passé vous semble-t-elle nécessaire ? AG : Oui, il faudrait que chaque

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société

personne noire, ait, dans son parcours, accès à l'histoire de l’Afrique avant l'esclavage et l a co l o n i s at i o n . Q u ' e l l e a i t connaissance des résistances des noirs pendant ces périodes, par exemple celle de la Mulâtresse Solitude. Quand on a la chance d’avoir des parents éduqués, on sait cela. Mais si ce n'est pas le cas, ou pour les personnes adoptées, on n'a pas accès à ces informations. Et dans certaines familles très traumatisées par leur histoire, du Rwanda, du Cameroun, ou du Congo, par exemple, il n’y a pas de volonté de transmission. L'école, y compris les professeurs blancs, devrait enseigner cela. Nous devons donner plus de fierté de leur histoire aux noirs, notamment aux jeunes, et rappeler aux blancs que leur pays s'est construit sur d'autres dos. C : Que diriez-vous aux femmes afros ou afro-descendantes qui se dépigmentent la peau de nos jours encore ? AG : Elles doivent faire attention. Le problème est qu’elles utilisent des produits très toxiques et ne se rendent pas compte, qu’à moyen ou long terme, ils causent des maladies de peau. Mieux vaut diffuser cet argumentaire santé plutôt que de les culpabiliser de valoriser davantage la peau claire. La question est : est-ce que ce risque pour leur santé en vaut la peine ? Et bien sûr, il faudrait par exemple que les petites filles aient des poupées noires pour qu’elles soient fières, dès le départ, et apprennent à s’accepter.

politique. On masque les questions sérieuses derrière la préoccupation pour l'apparence. C : Que voulez-vous dire aux femmes afros ou afro-descendantes prisonnières ? AG : Souvent, dans les communautés noires, comme on est beaucoup décriés, attaqués de l'extérieur, la volonté est de toujours centrer le discours sur l'excellence noire. Pour avoir le droit d'exister, on devrait être parfaits. Les personnes détenues, en santé mentale défaillante, au chômage, dépressives, font autant partie de notre communauté noire que les entrepreneurs qui gagnent beaucoup d'argent. Chacune a droit à l’erreur et aux secondes chances, à un travail et doit pouvoir refaire sa vie. C'est un peu ce que la société essaie de cacher, mais les détenu.e.s font partie de la société. Celle-ci doit considérer qu’un passage en prison n’est qu’un passage et un moment de la vie. J'aimerais que mon film soit projeté en détention. J’aimerais organiser un atelier d'écriture ou faire de la réalisation en détention. L’enjeu, c'est toujours la même histoire à savoir la réappropriation de la narration : avoir des films faits de l'intérieur, apprendre et acquérir des compétences techniques pour l’après, la réinsertion. C : Vous vivez à présent à Montréal. Vous êtes-vous exilée dans un pays où être afro-féministe est plus "easy"?

Et oui ! Au départ, c'était aussi un choix égoïste. Dans les milieux militants, on s'attend à ce que les gens sacrifient leur vie personnelle. Moi, je n’en ai pas envie. C'est le calme dans ma vie personnelle qui me donne l'élan pour pouvoir travailler. Maintenant que le film est sorti, qu'il fonctionne, ça a diminué ma culpabilité de partir et le sentiment d’abandonner le combat. Je fais des allers-retours, le film continue de faire son chemin en Europe, je peux continuer à travailler comme ça. C : Quel est votre prochain projet ? AG : La question de l'adoption. J’ai été adoptée, donc c’est un sujet qui m'intéresse. Cela fait aussi partie de ces questions complètement dépolitisées dans l'espace public, alors que cela implique pas mal d'enjeux politiques, comme la question du rapport nord-sud, les inégalités entre pays. Que signifie faire venir un enfant qui était dans le groupe majoritaire dans son pays et qui arrive dans un pays où il sera minoritaire et racisé ? Un enfant qui doit changer de langue, de façon de se nourrir... Est-ce que ses parents blancs vont comprendre sa réalité ? Aujourd'hui, beaucoup de pays du sud ferment leurs portes à l’adoption internationale à cause de la prédation des pays du nord. n

C : Que pensez-vous d’un magazine comme Amina à destination des femmes afros où près de la moitié du contenu concerne des publicités pour produits éclaircissants ? AG : Qui détermine que les critères de beauté doivent être la minceur, les cheveux lisses et les traits européens ? Ce sont des questions de pouvoir. Le problème, surtout, c'est que la plupart des magazines féminins sont centrés sur la question esthétique plus que

(1) Le féminisme intersectionnel regroupe des femmes qui subissent plusieurs formes de dominations et discriminations. Par exemple : être femme et racisée, être femme et lesbienne, être femme et handicapée.

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Afro-féminisme : loin du cliché d’Angela Davis L’afro-féminisme est à la croisée des discriminations raciales et misogynes, voire plus, lorsqu’il s’agit également d’affirmer une sexualité genrée (lesbiennes, bi, trans, etc.). Les afro-féministes pensent qu’il revient à la femme noire de mener sa propre lutte pour s’émanciper à la fois du paternalisme condescendant de la société dominante blanche, et aussi du contrôle de l’homme noir et du poids de la société traditionaliste africaine. Dans les années 70 et 80, il a existé des coordinations de femmes noires ayant subi la double oppression « colonisées-immigrées ». Mais aujourd’hui, en France, on est loin de ce black feminism américain organisé en collectifs structurés, riche d’ouvrages et de textes produits par des universitaires noires. L’afro-féminisme des jeunes françaises est beaucoup moins entendu. Peut-être parce qu’il manque cruellement de passif associatif en la matière, de production littéraire conséquente et d’un héritage politique intellectualisé. De plus, ce courant se heurte à une confiscation de la parole par le féminisme mainstream blanc et souffre par ailleurs d’une difficulté de légitimité de la parole. Ainsi, Amandine Gay, réalisatrice afro-féministe française qui a signé un documentaire sur la difficulté d’être femme et noire en France, interpelle sur le fait « qu’en France, être

Billet Je suis #féministe Les scandales concernant les comportements déviants du magnat hollywoodien Harvey Weinstein, comme ceux du député écologiste Denis Baupin, témoignent de l’omerta opprimante qui régit encore une société essentiellement patriarcale. Cette situation fait la part belle aux mâles dominants blancs pour lesquels la femme est non seulement inférieure à l’homme, mais doit rester cantonnée dans cette position d’infériorité. Par Mowgli De la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges qui réclamait en 1791 « la reconnaissance de la citoyenneté des femmes », à la Loi sur la parité du 6 juin 2000 « relative à l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives », les femmes n’ont, à aucun moment, cessé de combattre pour améliorer leur condition sociale et accroître leurs droits dans la société. Dans bien des pays occidentaux, les femmes ont arraché de haute lutte le droit de faire des études, de disposer librement de leurs biens comme de leurs corps, de voter, de choisir leur métier, leur orientation sexuelle… la liste est longue. On pourrait croire le combat gagné, mais la lutte doit continuer car le féminisme reste plus que jamais d’actualité. À ces courants originels s’ajoutent aujourd’hui des variantes et des spécificités liées aux problématiques de l’immigration, de la mixité sociale et du métissage. Peut-on être à la fois une musulmane voilée et se revendiquer féministe ? Comment mener de front la lutte contre le racisme et la misogynie ? Comment affirmer son orientation sexuelle dans une société traditionaliste ?... autant de contradictions que les féministes blanches ont eu du mal à penser. Comme le souligne Hanane Karimi, porte-parole du Collectif Femmes dans la mosquée, « il est sans doute difficile de mesurer cela quand on est une femme blanche et qu’on n’est pas blessée au quotidien par les discriminations fondées sur la couleur de la peau, le nom de famille ou le port du voile. » Il paraît alors nécessaire pour ces minorités de s’affranchir de la tutelle du féminisme blanc pour livrer leurs propres discours politiques. Avec le risque prévisible d’être accusées de « communautarisme ».

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société

noire (la) disqualifie pour parler d’afro-féminisme. On va (lui) préférer un sociologue blanc, spécialisé sur la question de l’autre. Dans le monde anglo-saxon, au contraire, ce sera une valeur ajoutée. » Tout est dit. Les afro-féministes revendiquent leur peau noire comme un vecteur primordial de leur identité. A l’instar de Mwasi, collectif afro-féministe fondé en 2014 par un groupe d’Africaines et d’Afro-descendantes qui déclare se battre pour un féminisme qui rende la femme « fière de sa peau noire, métisse (…) et de son identité (…) » ; sans pour autant réduire l’afroféminisme à une question d’apparence : cheveux crépus, coiffure afro, fessier généreux assumé, etc. Cette utilisation du corps peut sembler anodine, mais elle révèle une profonde dissension entre les féministes traditionnelles et les afro-féministes. Comme l’explique la journaliste Rokhaya Diallo et fondatrice du Collectif Les Indivisibles, alors même que les « féministes blanches veulent se départir des attributs de beauté que les diktats leur imposent et qui les infériorisent vis-à-vis des hommes (…), notre revendication est d’affirmer que notre corps est aussi beau que les autres alors que nous sommes invisibles médiatiquement. »

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Au-delà de cette mise en avant du corps, le discours de ces collectifs afro-féministes reste toutefois éminemment politique et structuré. Ils revendiquent la réappropriation des identités et de la représentation de la femme noire, lutte contre les violences et toutes les oppressions qu’elle subit : classe, religion, santé, sexualité normative ou genrée. Certains collectifs, comme Mwasi, sont non-mixtes : ils ne sont ouverts qu’à des femmes noires et afrodescendantes. Même si ce principe de non-mixité est incompréhensible et plutôt choquant pour certain.e.s militant.e.s, il reste cependant une condition sine qua none pour réunir des femmes qui ont en commun d’avoir vécu la négrophobie et la misogynie. Il révèle aussi la jeunesse d’un mouvement qui privilégie l’entre-soi pour affirmer sa détermination. L’avenir sera peut-être au féminisme intersectionnel, un mouvement né dans les années 90 aux Etats-Unis qui souhaite rassembler toutes les fragmentations dans un féminisme commun, en croisant les problématiques de genre, de race et de culture, au-delà de la seule classe sociale. Mais qui, pour le moment, peine à le faire. n


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PRATIQUE !

LA BASE DE DONNÉES remise à jour régulièrement.

Les structures venant en aide au détenu(e) et à leurs proches sont regroupées par thématique.

une seule adresse : citadelles.org CITAD’ELLES N°15 - 15


médias

Comment

se refaire une identité numérique ?

A l'ère du numérique, une sanction pénale ne se limite plus à une peine de prison : un ex-détenu traîne aussi un passé indélébile sur la Toile. Cet article peut apaiser certaines de vos craintes, vous ouvrir les yeux sur un monde qui ne laisse pas nécessairement de seconde chance, à moins de faire preuve de détermination en tentant d’effacer son passé sur le Web. Par Barbara

U

n séjour en prison n'est déjà pas simple à oublier, on se sent bien souvent « marquée au fer rouge » pendant quelques années avant de reprendre le cours de sa vie. Or, depuis la démocratisation d'Internet, le problème se corse … Les journaux type Le Parisien, Le Nouveau Détective et autres possèdent tous un site et divulguent parfois sans retenue les condamnations des détenues. Cet étalage d'informations pose le problème dès lors que l'on aborde le sujet de la réinsertion sociale pour l'ex-détenue. Postuler à un nouvel emploi nécessite une bonne dose de confiance en soi, l'envie de se présenter sous son meilleur angle, utiliser un langage soigné, être pertinente… Or, pour une exdétenue, les dés sont pipés d'avance. Comment ne pas s'imaginer, à l'ère du savoir-tout-sur-tout-et-sur-toutle-monde, que dès votre sortie du bureau du recruteur, celui-ci tapera sur Google votre nom et prénom de naissance pour s'informer un peu plus sur vous ? Quelle sera sa réaction s'il découvre que vous avez fait de la prison?

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"Nous lui demandons d'expliquer son parcours"

Une responsable DRH d'une entreprise de 400 personnes témoigne : Citad'elles : Après avoir sélectionné un curriculum vitae, tapez-vous sur Google le nom et le prénom du postulant afin de récolter des i n fo r m a t i o n s p e r s o n n e l l e s l e concernant ? Directrice des ressources humaines : No u s n e f a i s o n s ja m a i s d e recherches sur Google. Lorsque nous recrutons un cadre ou un poste à responsabilité, nous confions cette mission à un cabinet de recrutement spécialisé dont le but est de regarder dans le détail le C.V. du candidat, de vérifier les informations et d'entrer en contact avec ses derniers employeurs. Mais pour un poste plus « classique », c'est nous qui nous chargeons du recrutement en direct. Nous sélectionnons les candidats en fonction des C.V. et de la lettre de motivation. Puis, lors de l'entretien d'embauche, nous entrons dans les détails. Nous lui demandons d'expliquer son parcours, ses dernières missions. Bien sûr, si son C.V. présente des « trous », nous lui poserons des questions. C : Dans le cas où vous découvriez

que cette personne a fait de la prison, garderiez-vous sa candidature ? Si non, pourquoi ? DRH : Si une personne a eu un souci avec la justice, c'est qu'à un moment donné, elle n'a pas respecté les règles. Aussi, si elle a fait de la prison, nous ne prendrions pas le risque de l'embaucher. Car cela pourrait représenter un risque pour l'entreprise. C : Vous décidez malgré tout de la rencontrer, évoqueriez-vous lors de l'entretien d'embauche ce que vous avez lu sur Internet ? A compétences égales, embaucheriez-vous une exdétenue ou une personne au casier judiciaire vierge ? DRH : A compétences égales, nous privilégierons une personne au casier judiciaire vierge. Lors d'un recrutement, l'employeur cherche avant tout à être rassuré. Il a besoin d'avoir confiance en ce nouvel employé. Surtout dans des métiers de contact avec les clients et de travail en équipe. Cela est primordial car c'est l'image de l'entreprise qui est en jeu.


C : Que conseilleriez-vous à une exdétenue pour faciliter sa réinsertion, augmenter ses chances d'avoir un emploi ? DRH : Avant tout, de se faire aider et de passer par une association spécialisée qui sera une interlocutrice privilégiée, garante rassurante auprès de l'entreprise. Réapprendre à vivre, c'est aussi reprendre un travail bien sur. Aussi, il me semble plus simple de commencer par postuler dans des petites structures où elle pourra être sous la responsabilité d'un tuteur ou une personne référente le temps de prendre ses marques. Ce qui est plus difficilement le cas de grandes équipes où on demande aux nouveaux arrivés d'être autonomes très vite. De manière générale, pour mettre toutes les chances de son côté, il est capital de faire relire son CV et sa lettre de motivation. Car c'est la première image qu'un employeur a du candidat. Idéalement, ils ne doivent comporter aucune faute de syntaxe ou d'orthographe. Puis, lors de l'entretien, être à l'heure,

présenter une apparence et un langage soignés sont des critères très importants. Enfin, ayez le sourire, un bon état d'esprit, la motivation et l'envie d'apprendre. Ça change tout ! n

Certaines réponses à cette interview peuvent nous sidérer. Une entreprise a-t-elle vraiment besoin d'un « garant » pour embaucher une ancienne détenue ? Comme si l'on pensait qu'une personne sortant de prison serait automatiquement dangereuse pour la société… Se pose-t-elle réellement les bonnes questions ? N'est-il pas plus important de considérer l'envie de travailler et de se réinsérer de la candidate, ses compétences, sa fiabilité, son sérieux ? Peut-être les employeurs gagneraient-ils à faire davantage confiance en la Justice et à comprendre tout le chemin parcouru en détention. Dont une batterie d'expertises psychiatriques qui certifiera aucun risque de récidive possible et surtout, affirmera la non-dangerosité de la personne. Les employeurs ont du mal à recruter de bons éléments et à éviter le turn-over. Un ex-détenu se sentira reconnaissant envers un employeur qui lui aura donné sa chance. Et voudra, peut-être plus qu'un autre, rester longtemps dans son entreprise.

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médias

DU POINT DE VUE DES MÉDIAS

Eric Bullet, rédacteur en chef délégué à Ouest-France, chargé du numérique. Citad'elles : Combien de demandes, effectuées au nom du droit de l'oubli, le journal reçoit-il par mois ? Ouest-France : Je dirais au moins une cinquantaine. Mais c'est très variable et nous ne tenons pas un compte précis. Depuis quatre ou cinq ans, nous sommes de plus en plus sollicités. C : Pour quelles raisons les gens réclament-ils que l'on enlève leur nom, qu'il soit supprimé dans les articles ? OF : Le principal motif, qui concerne l'essentiel des demandes, relève de ce nous appelons les raisons de «confort». Quelques exemples… Un homme a changé de métier et ne veut plus qu'il y ait une trace de son ancienne profession. Une femme veut faire oublier qu'elle a été candidate à Miss France. Un supporteur de foot veut supprimer le fait qu'il y a quelques années, il défendait les couleurs d'un autre club, etc. Ces demandes sont très variées et

parfois incroyables. Nous recevons aussi des demandes de condamnés qui purgent leur peine ou l'ont effectuée et qui ne veulent plus traîner cette sanction toute leur vie. C : Quelle ligne de conduite avez-vous adoptée ? OF : Avec Geneviève Fouéré, la juriste du journal, nous avons rencontré des juristes, des avocats, des députés et sénateurs, des représentants des médias, pour discuter et nous informer de l'évolution du droit européen. La législation française est favorable à la presse, elle défend le droit à l'information. Les citoyens ont le droit de savoir ce qu'il se passe dans leur ville, dans leur pays. De nombreux avocats, notamment, nous ont conseillé – au nom de la protection de l’information – de refuser de retirer des textes diffusés sur Internet. Il ne faut pas céder sur ce principe ni commencer à entrer dans cet engrenage.

ZOOM

Comment disparaître de Google ? Tapez votre prénom et votre nom, entre guillemets. Après, vous êtes ainsi « googlisé », repérez les sites qui parlent de vous (blogs, sites personnels, forums, etc.). Notez les adresses complètes des pages (URL) visées. Il ne vous reste plus qu'à contacter les responsables de ces sites, et en vertu des lois françaises et européennes, à leur demander de modifier ou de supprimer les pages visées. Comme le conseille la CNIL, contactez (avec diplomatie) les responsables des sites visés, via la rubrique « contact » ou les mentions légales. Vous pouvez aussi saisir le nom de domaine du site dans la base mondiale Whois, qui délivre les noms et coordonnées des propriétaires de sites. Le responsable du site dispose d'un délai de 2 mois pour répondre à votre demande de suppression d'informations ; En cas d'absence de réponse ou de réponse insatisfaisante, vous pouvez adresser une plainte à la CNIL. Si vous ne savez pas quoi écrire dans votre requête, cette dernière propose un modèle de courrier à envoyer.

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C : Donc, le principe, c'est non ? OF : Exactement. C'est non pour toutes les demandes dites de « confort ». Depuis septembre 2017, les demandes s'effectuent par courrier automatique, sur notre site Internet, rubrique « contacteznous ». Conformément aux règles instaurées par la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), nous devons justifier notre refus d'enlever un nom dans un article ou de supprimer l’article. Notre refus doit être argumenté, avec précision. Nous, les journaux, sommes des éditeurs de contenus, d'informations. Nous invitons les demandeurs à s'adresser à Google qui diffuse ces infos. C : Pourtant, dans certains cas, OuestFrance accepte de supprimer le nom... OF : En effet. Dans ce second temps, nous demandons aux gens de remplir un formulaire. Ils doivent aussi nous fournir une photocopie de leur carte d'identité (pour prouver qu'il s'agit bien de la personne concernée), du titre de l'article visé et de son adresse URL. Concernant les personnes condamnées, on ne retire pas l'article du Net, car un délit ou un crime a bien été commis, un procès s'est tenu : c'est de l'information. Mais on peut accepter de supprimer le nom. On étudie la demande, chaque cas est différent. On tient compte de la gravité de la sanction : pas question d'enlever le nom au bout de quelques mois si la personne a écopé de dix ans de réclusion ou plus. C'est une question de délai « raisonnable ». C : Mais enlever le nom peut rendre le récit illisible, parfois... OF : Quand l'affaire est compliquée, qu'il y a plusieurs prévenus ou accusés, j'enlève le nom, mais


j e ga rd e l e p ré n o m o u u n e initiale pour que le texte reste compréhensible. C : Certaines demandes sont-elles plus difficiles à trancher ? OF : Il y a de l'humain dans toutes ces affaires. Droit à l'information et droit à l'oubli : c'est complexe. Des parents souhaitent qu'on supprime sur le Net une photo de leur enfant. S'il a été photographié seul, je ne tergiverse pas, je supprime. S'il s'agit d’un portrait de groupe (à l'école, au centre de loisirs), je garde la photo car elle n'a pas été « volée », mais réalisée dans cet environnement, ce moment collectif. C e r t a i n s vo u d ra i e nt re f a i re l'histoire, revenir sur leurs choix idéologiques ou syndicaux. Mais un journal ne peut pas, par exemple, gommer le passé de quelqu'un qui s'est présenté sur une liste Front National, qui a été élu dans sa commune. Au nom du principe de notoriété, on gardera aussi le nom de personnalités politiques, de promoteurs immobiliers, d'artistes, de responsables de clubs sportifs... qui ont été condamnés, par exemple, pour escroqueries. Pour résumer, le journal, après avoir bien étudié une demande, peut effacer un nom. Mais on ne retire pas le texte : on tient absolument à conserver nos articles en archives. » n

Les précisions de la juriste d'Ouest-France Selon l'article 9 du Code civil, qui permet de s'opposer à la diffusion de contenus portant atteinte à la vie privée, le fournisseur d'hébergement est contraint par la loi pour la confiance dans l'économie numérique de 2004 (LCEN) de retirer les contenus qu'il héberge, dès qu'il prend conscience de leur caractère illicite, ou encore par la loi Informatique et Libertés qui permet, sous certaines conditions, le retrait de contenus, facilitant l'oubli. Plus concrètement, une ancienne détenue peut-elle s 'appuyer sur cet article du Code civil pour contacter le journal qui a relaté son affaire sur Internet pour lui demander d'effacer le contenu ? Geneviève Fouéré est responsable juridique à Ouest-France . Voici ses précisions. « En mars 2014, la Cour de justice de l'Union européenne a donné raison à un Espagnol. Cet homme voulait que Google déréférence (c'est-à-dire retire du Web) un article qui mentionnait que ses biens avaient été mis aux enchères en 1998. Google s'est donc exécuté. Mais dans 99% des demandes de déréférencement, Google ne donne pas suite et refuse de retirer l'article car il estime que le préjudice personnel est moins important que l'intérêt du public à avoir accès à l'information. Souvent alors, les demandeurs sollicitent les médias qui ont rédigé et publié ces articles. En jeu : le droit à la liberté d'expression et le droit à l'effacement de données. Ouest-France accepte parfois de supprimer un nom ou une photo. Parce que la peine d'un condamné a été purgée. Parce que ces textes et images peuvent, des années après les faits, porter préjudice à la personne concernée ou à ses enfants. Mais jamais nous ne supprimerons une image pour des raisons esthétiques, sous prétexte que la personne se trouve moche sur la photo ! »

ZOOM

Déférencement... La sénatrice socialiste d'Ille-et-Vilaine Sylvie Robert a voté un projet de loi relatif à la protection des données personnelles en mars dernier. Elle a apporté plusieurs amendements, notamment sur le déférencement sur internet. Elle affirme : "Le droit au déférencement est la possibilité laissée à tout internaute de demander l’effacement d’un lien qui apparait sur un moteur de recherche, lorsqu’il tape son prénom et son nom. Il est l’un des instruments du droit à l’oubli."

Mesdames, faites preuve de courage, rien n'est perdu ! La vie dehors vous attend avec son lot d'épreuves et seules les plus tenaces d'entre vous pourront prétendre « à laver à la Javel » leur identité numérique. En guise de réconfort, je vous rappellerai les paroles d'un ex-détenu, comédien, qui a passé 18 ans de sa vie derrière les barreaux, et nous explique qu'il existe toujours une dixième porte à ouvrir pour entendre un « oui », après neuf refus.

Pour contacter les journaux et leur demander un effacement de nom : www.ouest-france.fr/contact www.leparisien.fr/contact www.lenouveaudetective.com/nous-contacter www.20minutes.fr/contact

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médias

Lanceurs d'alertes à la recherche de la vérité

Nombreuses sont les plateformes comme Wikileaks et les sites qui se sont, depuis plusieurs années, donné pour mot d’ordre la transparence. Ces lanceurs d'alerte bouleversent-ils l'information traditionnelle ? Sauvent-ils la démocratie ? Par Samia

C

ertains citoyens lambdas sont devenus des célébrités : les lanceurs d’alertes. Parfois adulés, parfois détestés, ils ne laissent personne indifférents. Ils s’appellent par exemple Edward Snowden ou Chelsea Manning, tous deux Américains. L’un était analyste pour l'Agence de Sécurité Nationale Américaine (NSA), la seconde analyste pour l’armée. Tous deux ont décidé de ne plus être complices des scandaleuses méthodes mises en place par le gouvernement américain. L’un a rendu public le programme de surveillance internationale organisé par la NSA. L’autre a transmis des documents confidentiels de l’armée américaine, relatifs aux exactions qu'elle a commises en Irak. Ces citoyens brisent le silence et la confidentialité qui entourent habituellement leurs professions. Ils risquent leur job, leur liberté, parfois même leur vie, au nom de la vérité. Flore Vasseur est une écrivaine et réalisatrice du film documentaire Meeting Snowden. Elle y filme la rencontre entre Edward Snowden, Lawrence Lessig et Birgitta Jónsdóttir, figures de la lutte pour les libertés, qui s'interrogent sur l'avenir de la démocratie.

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Citad'elles : Quel message principal vouliez-vous passer dans Meeting Snowden ? Flore Vasseur : C’est un documentaire que j'ai réalisé en décembre 2007 à Moscou avec Edward Snowden, Birgitta Jónsdóttir, une députée du parti "Pirate" islandais, et Lawrence Lessig qui est professeur d'anglais à Harvard et militant pour la démocratie. Je voulais les réunir tous les trois pour aborder la question fondamentale : comment sauver la démocratie ? On est aujourd'hui gouvernés par la peur, l'espace de discussion se restreint. C'est à nous, citoyens, d'abandonner nos anciens réflexes et de nous rendre compte que la démocratie est en danger, mais que partout dans le monde, par exemple aux Etats-Unis, des adultes et des jeunes se lèvent pour défendre ce qui reste de la démocratie.

C : Qui est Edward Snowden ? En quoi est-il intéressant ? FV : Edward Snowden est un ancien agent de la CIA et un souscontractant de la NSA qui, en 2013, a révélé au monde l'ampleur de la surveillance de masse des Etats-Unis contre sa population et celles de ses alliés. C'est lui qui a révélé que Google (surtout), Apple ou Facebook travaillent avec le gouvernement pour, concrètement, nous espionner, au nom de la lutte contre le terrorisme. Snowden a révélé cela de Hong Kong, après avoir fui son pays, les Etats-Unis. Il a été accueilli par la Russie après avoir fait 21 demandes d’asile politique qui ont toutes été refusées. Au passage : les pays et leurs gouvernements ont très peur des lanceurs d'alerte et des potentiels dégâts qu’ils peuvent causer. J’imagine qu'ils


Illustrations à la manière d'Anna Sommer Née en 1968 en Suisse, elle est illustratrice et autrice de bande dessinée. Elle travaille également la gravure et le papier découpé.

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médias

ne veulent pas encourager ce genre de sursauts citoyens. Il y a aussi des stratégies d'alliances commerciales et politiques qui font que très peu de pays veulent se mettre à dos les Etats-Unis. La Russie est une exception. J’ai donc choisi de parler de Snowden parce que j'étais persuadée que l'on ne fait pas quelque chose comme ça, que l'on ne balance pas sa vie par dessus bord sans avoir une vision plus globale des problèmes. Edward Snowden, il avait sa petite vie tranquille, il avait un poste confortable, tout allait très bien pour lui. Il a renoncé à ça pour nous alerter sur la problématique de la surveillance de masse. La surveillance de masse c'est le symptôme d'un problème plus grave qui est le désintérêt des dirigeants et des populations pour la démocratie. Snowden est d’une très grande intelligence et d’une profonde humanité. Il n’est pas qu’un geek , c’est quelqu’un de très équilibré, une très belle personne. C : Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ? FV : C'est quelqu'un qui assiste à une situation d'injustice ou de corruption, qui est acteur ou témoin et qui décide de le révéler. C'est l'ultime acte politique, citoyen. C : En quoi les lanceurs d’alertes ont-ils bousculé le journalisme ? FV : Les deux ne s'opposent pas. Snowden célèbre le travail journalistique. Il s’est aidé de deux journalistes indépendants qu’il estimait pour vérifier les données qu’il avait en sa possession. D’ailleurs ils ont reçu le prix Pulitzer tous les trois. Les lanceurs d'alerte sont une formidable relance, et pas seulement une menace, pour le journalisme qui est en quête de sens. Car aujourd'hui peu de journalistes font de véritables enquêtes. Beaucoup sont réduits à faire de la réécriture de dépêches d'agence, à suivre désespérément ce que Facebook ou d’autres relaient. Le journalisme est aussi broyé par un message politique qui n’est que de la communication.

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C : Vous avez signé la préface du livre de Julian Assange, le fondateur de Wikileaks. Que pensez-vous de Wikileaks ? FV : C'était en 2010. Je ne le referais plus aujourd'hui. Julian Assange était le premier lanceur d'alerte à sortir du bois. Il a développé cette application géniale, Wikileaks, dont l'objectif est de publier des documents confidentiels à l'échelle du monde. C'est fantastique que des citoyens s'organisent comme ça pour mieux nous informer. L e p a rc o u rs d ' A s s a n ge m ' a marquée : un enfant de la balle, trimballé de droite à gauche, qui a grandi en même temps qu'Internet. Il a envoyé un énorme pavé dans la mare dans les médias. Lui, qui ne se pose pas en lanceur d'alerte mais en journaliste, voulait montrer aux journalistes qu'ils ne faisaient plus correctement leur boulot. Et la technologie derrière Wikileaks est très innovante. Mais il est rentré dans une logique de confrontation et de critiques acerbes à tout va. Julien Assange a une personnalité très complexe. Avec le temps, je crois qu'il a perdu le sens de son invention et de son action. Il a donc été assez vite rejeté et critiqué. Snowden a été plus malin. n

BioExpress La transition de Chelsea Manning Chelsea Manning est née Bradley Manning. L’ex-militaire, lanceuse d’alerte qui a procuré des documents top secret de l’armée américaine à Wikileaks en 2010, a changé d'identité pour être reconnue comme femme pendant son incarcération. Elle a été condamnée à une peine de 35 ans pour trahison. Détenue dans une prison militaire, elle dit avoir été victime de traitements cruels et dégradants. Son désir de transition de sexe lui a valu brimades et moqueries. Après une dépression et une tentative de suicide, elle obtient la possibilité de commencer un traitement hormonal puis de se faire opérer. Une campagne de mobilisation est organisée : ses soutiens obtiennent de Barack Obama qu’il commue sa peine et la gracie. Elle est sortie de prison il y a un an.


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psycho

En détention, face à

l'impudeur

Certaines détenues n'hésitent pas à avoir des rapports physiques, intimes, devant tout le monde. Celles qui sont témoins de cela éprouvent parfois de la gêne pour le couple en question. Deux spécialistes nous expliquent en quoi cette impudeur renvoit à un besoin d'exister. Par Inès Catherine Potel est psychomotricienne et psychothérapeute en relaxation analytique Sapir*. JeanJosé Baranes est psychanalyste et plasticien. Ils ont publié L’adolescent, son corps, ses "en jeux". (Inpress). Citad'Elles : Qu'est-ce que la pudeur ? Catherine Potel, avec Jean-José Baranes : La pudeur est une construction qui s’élabore dans la toute première enfance et qui n’a pas immédiatement à voir avec la sexualité. La pudeur est une appropriation de son corps, une appropriation nécessaire pour exister en tant que sujet à part entière. J'ai constaté combien, pour

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des enfants autistes et psychotiques, avoir un corps était loin d’être une évidence. Un nourrisson doit avoir été "soigné", écouté et respecté, pour que ces soins primordiaux puissent devenir un "apprentissage de soi". S'approprier son corps et donc ressentir de la pudeur, c'est se sentir en sécurité dans son corps, reconnaître ses besoins vitaux, savoir se protéger, connaître ses limites, vivre ses émotions, savoir calmer son excitation. Cela demande du temps. C : Quelles en sont les étapes ? CP - JJB : L’enfant ne naît pas pudique, il devient pudique en acquérant une connaissance de son corps et une image de lui-même. L’interdit de l’inceste est l’une des grandes étapes. Au quotidien, l'enfant qui ferme la porte des cabinets ou qui veut se doucher seul affirme un début d’indépendance. Il n’est plus l'objet du seul désir de ses parents, il existe par luimême et son corps lui appartient. L’adolescent, quand il accède à une sexualité génitale, vérifie encore et encore que son corps lui appartient. Exister, assumer ses désirs et ses choix, s’affirmer : autant d’actes et d’expériences corporelles qui traduisent cette quête identitaire. Il n’y a pas plus pudique (et plus provoquant) que l’adolescent à la conquête de son corps, dans

l ’ ex p é r i e n c e d e s n o uve l l e s sensations liées à la puberté. Que son intimité puisse se partager avec un autre, dans les relations amoureuses, est la nouvelle donne, assez révolutionnaire ! L’adulte, lui, est censé avoir acquis la maturité de ses choix liés à la sexualité, qu’il assume ou pas. C : Pourquoi y a-t-il autant d'impudeur en détention ? D'où vient ce besoin de s'exposer ? CP - JJB : Je ne suis pas spécialiste de la condition carcérale, je parle plutôt ici en tant que spécialiste du corps. Je pense que la détention redessine les rapports entre les gens. La privation radicale de liberté conduit l’individu à dépendre de l’autre (surveillants, institution) pour ses besoins, ses horaires, son espace de vie, sa participation aux activités. C’est une expérience de régression majeure, dans une promiscuité que chacun dénonce


et qui demeure néanmoins. Dans ce contexte, exhiber des actes habituellement intimes témoigne d'une confusion : espaces publics et espaces privés perdent leurs limites franches. Il n'y a plus de "chez toi", "chez moi", "chez nous". L’impudeur peut être alors considérée comme l’ultime acte possible et paradoxal de reprise de possession de soi. C : Etre impudique serait une manière de rechercher une place ? CP - JJB : Dans d’autres circonstances, on exhibe une nudité ou une intimité pour provoquer, affirmer ou lutter contre une domination. Les Femens aux seins nus sont des révolutionnaires combattantes, au même titre que les paysans colombiens qui se déshabillent et manifestent en dansant dans la rue, pour dénoncer leurs conditions de vie et le pouvoir despotique. Il s’agit d’un message, d’un symbole de lutte dont le corps se fait porteur. Quand le langage verbal ne suffit plus, on se met à nu. En détention, il ne s’agit pas tant de place à trouver que de nécessité d’exister. L’une des premières mesures du cadre carcéral est de déposséder la personne de son intimité. Les fouilles au corps, par exemple, considérées comme une nécessité sécuritaire, sont une violence qui devient ordinaire, alors que, hors contexte carcéral,

elle est ressentie comme une intrusion insupportable voire déshumanisante. Une honte, pour celui qui la pratique et celui qui la subit. Donc les exhibitions "sexuelles" et actes impudiques en public, sont peut-être une réponse violente à la violence subie par les détenues. Enfin, on ne peut pas minimiser le climat d’excitation explosif lié à la détention, c’est-àdire la privation de liberté, de choix et de créativité, ainsi que les effets de cette excitation sur la personne détenue. C : L'impudeur peut-elle être liée au fait que les détenues ont vécu davantage d'événements traumatiques ? CP - JJB : En prison, il y a certainement plus de personnes fragiles psychiquement. Et la question des traumatismes vécus et de la violence subie dans l’histoire des détenu.e.s est un débat fondamental. Le mouvement actuel de dénonciation des multiples formes de violences (harcèlement, emprise, etc.) montre à l’évidence que les femmes vivent davantage dans le registre du traumatique. Il en est de même pour les femmes détenues. Quoi qu'il en soit, la transgression, telle que l'impudeur, n’est jamais une liberté, c’est un acte de revendication ou de violence "contre". n

*Méthode mise au point par Michel Sapir, psychiatre psychanalyste, basée sur la verbalisation par le patient, élément majeur de cette relaxation d'inspiration analytique.

Illustrations à la manière de Badame L'Ambasadrice. Dessinatrice et narratrice née en 1976 à Landerneau,elle est issue d'une culture du fanzine DIY. Elle publie essentiellement dans des collectifs. Son dessin est réaliste.

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zoologie

le ridicule Quand plumage et ramage frôlent

Pourquoi, dans la majorité des espèces, le mâle est-il plus beau que sa femelle ? Injustice, stratégie ou nécessité ? Je vous propose de partir à la découverte d’un monde surréaliste, où la sélection sexuelle pousse les mâles à être de plus en plus beaux et forts. Par Bettina

A

u départ, mon sujet était : ces animaux où la femelle est plus belle que le mâle. Mais force a été de constater que je manquais cruellement d’exemples. Rares sont les espèces où la femelle surpasse le mâle en beauté (1). J'ai donc décidé de vous parler du phénomène de "dimorphisme sexuel", c’est-à-dire, l'ensemble des différences morphologiques, plus ou moins marquées, entre les individus mâles et femelles d'une même espèce. Les animaux déploient une multitude d'ornements et de comportements pour séduire un partenaire sexuel et se reproduire. Les danses nuptiales, les sons et les odeurs sexuelles sont des signaux très utilisés, et c'est souvent le mâle qui déploie ses meilleurs atours pour séduire la femelle. Leur fonction est ainsi de signaler la qualité du partenaire ou la quantité de ressources disponibles, optimisant ainsi les possibilités de reproduction.

Des Apollons super-balèzes

Mais puisque ce sont les plus forts et les plus beaux qui réussissent le mieux, pourquoi les mâles ne sont-ils pas tous des Apollons super-balèzes ? Et bien, la sélection sexuelle, c’est l’idée que les individus les plus efficaces pour se reproduire vont transmettre plus facilement leurs gènes. Le moteur de cette compétition est la

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reproduction plutôt que la survie. Chez les animaux qui pratiquent la reproduction sexuée, cette compétition passe par une étape essentielle : il faut s’assurer des partenaires ! Et c’est là que le problème diffère selon que vous êtes un mâle ou une femelle. Puisque la femelle porte la progéniture, c’est elle qui fait que l’espèce perdure. L’évolution la protège donc en la rendant la plus "invisible" possible pour les prédateurs.

Des atours encombrants

Pour que les espèces survivent et soient de plus en plus performantes, les mâles, eux, doivent attirer le plus de femelles possibles et donc être le plus coloré, beau, chatoyant, fort possible. Dame nature peut être cruelle : elle dote les mâles de certains d’ornements parfois excessifs. Le paon, par exemple, est un oiseau. Mais à cause des plumes encombrantes de sa queue, il ne peut pas voler. Et un plumage chatoyant est finalement dangereux, car il attire les prédateurs. (Et les plumes peuvent parfois finir sur nos chapeaux ou sur les costumes de danseuses !)

Armes versus ornements

Il existe deux types de dimorphisme sexuel. Les armes, ce sont tous les traits qui aident les mâles dans leur combat physique (cornes, défenses, bois etc.) Et, plus subtils, les ornements : ils peuvent être

physiques ou comportementaux (plumes, chants, danses, bricolo mania, etc.). Il en va de même pour les femelles de certaines espèces. L’excès se porte alors sur la taille, comme le poisson «la Baudroie des abysses», plusieurs centaines de fois plus grosse que le mâle. La taille pouvant être associée à une cruauté morbide, comme chez certaines araignées ou la mante religieuse.

La guerre des sexes !

Une des facette de ces excès est la compétition que se livrent mâles et femelles. Les mâles voudraient s’assurer l’exclusivité d’un maximum de femelles : ils veulent se reproduire avec le maximum de femelles possibles tout en empêchant celles-ci d’aller voir d’autres mâles. Pour ce faire, chez les insectes par exemple, les mâles ont «inventé» les bouchons copulatoires et les substances antiaphrodisiaques qu’ils déposent après l’accouplement. En période de rut, les cervidés se battent pour conserver ou conquérir un harem. Les femelles, elles, ont pour objectif de choisir le mâle aux meilleurs gènes. Par exemple certaines femelles d’insectes et d’oiseaux ont un système de sacs pour stocker temporairement le sperme de leur partenaire, et s’en débarrasser sans qu’il y ait fécondation. Si par exemple elles ont une opportunité avec un autre mâle plus intéressant. n (1) Si ce n’est dans l’espèce humaine ;)


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beauté

essentiel L'instant

Tous les lundis, le cocooning et la féminité s'invitent au bâtiment J. Nadège, esthéticienne, vient prodiguer des soins à l'intérieur du centre pénitentiaire. Elle nous a accordé un entretien avec sourire et sincérité. Par Nouchine Nadège, 45 ans est esthéticienne. Elle a travaillé en parfumerie, mais aussi comme démonstratrice pour une grande marque de cosmétiques. Elle travaille à son compte depuis 6 ans et se déplace à domicile. « Mon activité rencontre beaucoup de succès auprès des jeunes mamans pour qui le temps est compté mais aussi auprès des femmes actives par exemple qui se font faire des soins à la pause déjeuner en entreprise ». Si elle avait un tout petit peu d ’ a p p ré h e n s i o n l o rs d e s e s premières venues au CPF, elle part du principe qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Ses maîtres mots sont : respect, compassion et contact humain. Bienvenue dans le petit écrin rose et blanc de Nadège, vous allez forcément passer un bon moment !

Le contact avant tout !

« J’étais à une sortie d’école et l’ancienne coiffeuse qui était présente a vu mon véhicule aux couleurs de L’Instant Essentiel, mon entreprise. Elle m’a parlé de son travail au CPF puis m’a ensuite mise en contact avec l'administration pénitentiaire et 2 mois plus tard je démarrais ! » Cela fait 5 ans maintenant. Les prestations proposées au CPF sont les mêmes que dehors mais « le contact est différent, plus riche. Ici les femmes sont connectées à leurs émotions et vraies, leurs problèmes sont réels et profonds. Elles ne sont pas dans les petits tracas du quotidien ». Nadège trouve qu’il y a beaucoup de dialogues durant les séances. Elle est très respectueuse de chacune et veille à leurs appréhensions face au toucher, par exemple, ou aux tabous de certaines parties de leur corps (pudeur, cicatrices...)

Soins, massages, épilations, manucure

Nadège propose plusieurs soins : soins du visage, massages, épilations toutes parties, manucure. « Au départ, la venue d’une esthéticienne était perçue comme superficielle par la Direction, mais cela s’est avéré très utile pour les femmes aux ongles rongés par exemple. Pour que les femmes soient plus à l’aise, aient une gestuelle différente, aient plaisir à se montrer

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aux parloirs et UVF ». Une séance avec Nadège peut être l’occasion de découvrir ou retrouver une part de féminité. Les bénéfices sont alors pour le corps et l’esprit. Nadège songe à proposer de nouveaux soins : « Je veux me former sur les extension de cils pour ensuite les proposer au CPF ».

Astuces beauté à cantiner

« Le gommage au marc de café est très efficace pour le corps comme pour le visage. On peut aussi mélanger de l’huile d'olive et du sucre, toujours pour un effet exfoliant. Pour les yeux : faire des compresses avec du kiwi en apposant des rondelles sur les yeux.» Nadège peut aussi vous conseiller sur des produits à cantiner en achat extérieur si vous le souhaitez.


En bref… Nadège est présente tous les lundis au CPF L’institut se trouve au premier étage du bâtiment J (en haut de l’escalier juste avant l’accès à la cour de promenade). Des bons esthétiques sont disponibles auprès des surveillantes de division. Une fois rempli envoyez-le au secrétariat du bâtiment J. Comptez en moyenne un délai de 2 semaines avant votre rendez-vous. N’ hésitez pas à passer voir Nadège avant si vous avez des questions. Prix, à titre d'exemple : Epilation aisselles : 10 €, Vernis semi permanent mains : 28 €, Massage au ballotin d'épices et huile chaude : 39 €.

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cuisine Pour chaque numéro un ou une Chef(fe) relève le défi de concocter pour vous un menu original avec les listes de cantines.

Tiphanie Un peu d'épices, beaucoup de malice ! Tiphanie nous a charmé autant par sa cuisine colorée que par les récits de ses nombreux voyages culinaires. Par Kamel, avec Anic et Samia.

Le blog : epicesmalices.com Le site : atelier-sesame.com

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Typhanie Coulon est fondatrice et administrative du blog Epices Malices (epicesmalices.com). "J'ai beaucoup voyagé. J'aime les recettes simples et un peu exotiques inspirées de mes voyages". Elle est française de naissance, un peu africaine par sa famille. "Ma mère est née à Dakar, mon père a vécu au Cameroun et au Niger". Dans sa famille, le rôti du dimanche est plutôt remplacé par un maffé de poulet. Typhanie est également latino-américaine par la vie qu'elle a menée. Elle est infographiste et journaliste par ses études de communication. Typhanie est dynamique, curieuse et gourmande de nature. Elle apprend à cuisiner avec sa mère et sa grand-mère. En 2005, Typhanie est chargée de communication dans différents secteurs comme la mode, la banque, l'agricultu-

re ou le BTP. Puis elle part au Mexique poursuivre ses études. À son retour, elle cuisine de plus en plus pour ses amis qui apprécient et en redemandent. "En 2009, je crée mon blog Epices Malices pour partager des recettes de cuisine et des photos : j'adore photographier mes petits plats". En 2013, elle perd son job mais part en voyage en Amérique du Sud pour une durée de 9 mois. Elle va de familles en familles pour découvrir leurs recettes de cuisine. Son blog Epices Malices est un tremplin qui lui donne l'envie de se développer. Entre sa passion pour la gastronomie et ses expériences professionnelles, elle fonde sa société "Atelier Sésame" en octobre 2015. Elle y fait du stylisme culinaire pour des livres de recettes et organise des événements culinaires ou des rencontres gastronomiques. n


// Le Mexique Ceviche de champignons 100 g de champignons de Paris 1/2 botte de coriandre fraîche 1 citron vert 1 pointe de Ketchup

ouper les champignons C en fines lamelles. Hacher finement la coriandre. Mettre les champignons dans un saladier et verser dessus le jus du citron, une pointe de ketchup. Ajouter la coriandre et mélanger. Conseil du chef

Se consomme aussitôt ou bien frais, pas de cuisson nécessaire. S'accompagne avec des petits biscuits salés ou des chips ou nos tortillas maison.

Guacamole

1 avocat bien mûr - 1 citron vert 1/2 botte de coriandre fraîche 1 tomate moyenne bien mûre (Selon la saison 1 petite boite de tomates pelées) 1 oignons - Sel - Poivre ouper l'oignon et la tomate en petits cubes. C Hacher finement la coriandre. Dans un saladier, écraser grossièrement l'avocat à la fourchette. Ajouter l'oignon et la tomate, puis la coriandre et le jus du citron. Mélanger et assaisonner. Attention de ne pas trop écraser la chair de l'avocat. Conseil du chef

Si vous ne consommez pas votre guacamole tout de suite et pour éviter que l'avocat ne noircisse, laissez les noyaux de l'avocat dans la préparation.

À la manière de Sophie Calle. Née en 1953 à Paris, elle est artiste plasticienne, photographe,écrivaine et réalisatrice.Son travail d'artiste consiste à faire de sa vie une œuvre. Son régime chromatique est une de ses créations.

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cuisine

Tortillas

250 g de farine de blé ou de maïs 10 cl d'huile de tournesol 20 cl d'eau tiède salée ans un saladier, verser la D farine. Ajouter l'eau et l'huile. Malaxer à la main jusqu'à l'obtention d'une pâte ferme et non collante. Si la pâte est collante, ajouter de la farine. Conserver 1 heure au frais. Fariner un plan de travail. Façonner un gros boudin avec la pâte. Découper en rondelles et aplatir au rouleau afin d'obtenir de fines galettes d'environ 10 cm de diamètre. Cuire environ 1 min de chaque côté dans une poêle à sec.

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Mojito sans alcool

1/2 botte de menthe fraîche Glaçons 1 bouteille d’eau pétillante Sucre de canne 1 citron vert ans 1 pichet, mélanger la D menthe, un peu de sucre de canne et le jus d'un citron vert. Verser l'eau pétillante et ajouter des glaçons. En saison, ajouter quelques rondelles de concombre. Conseil du chef

Ce qui fait la particularité et la richesse de la cuisine mexicaine, c'est que les ingrédients sont coupés très finement.


// L'Inde

// Les Antilles

Poulet Tandoori

Rochers coco

4 blancs de poulet 3 yaourts brassés nature 1 boite de concentré de tomate 3 Clous de girofle Sel poivre - Gousses d’ail Pics à brochette ans un saladier, disposer les blancs de D poulet coupés en gros dés. Ajouter le yaourt, le concentré de tomate, les clous de girofle et l'ail haché. Assaisonner et mettre au frais. Confectionner les brochettes en prenant soin d'ôter les clous de girofle et l'ail. Faire cuire 10 mn dans un four très chaud ou saisir à la poêle. Conseil du chef

Cette recette à base de marinade peut-être préparée la veille.

Pour 10 rochers 130 g de noix de coco râpé 100 g de sucre semoule 2 blancs d’œufs Papier cuisson onter les blancs d'œufs en neige avec M une pincée de sel. Ajouter délicatement le sucre et la noix de coco mélangés. Former de petites pyramides et les placer sur une feuille de papier sulfurisé en prenant soin de suffisament les espacer. Cuire au four 15 à 30 min à 180°C (thermostat 6) en surveillant régulièrement. Ne pas attendre que les rochers refroidissent pour les décoller.

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bricoles

S'organiser

pour assurer sur tout les fronts Laurence Einfalt, auteure de Apprendre à s'organiser, c'est facile ! (Eyrolles) fait du conseil et de la formation en organisation personnelle. Elle nous donne de précieux conseils pour gérer plusieurs projets en même temps et des astuces de révisions pour ceux et celles qui passent des examens. Par Ata 22. Le bullet journal à la rescousse

Pour Laurence Einfalt, le bullet journal « est une façon personnalisée d'organiser tout ce qu'on a à faire. Ça aide à planifier vos journées, mais aussi à conserver tout ce qui vous arrive, à vous motiver si vous perdez parfois un peu vos objectifs de vue ». Dans son livre Bullet Révolution (Dunod) Elodie, la blogueuse de Soho Hana, nous explique la technique pour créer son propre agenda personnalisé, qui aide à gérer son quotidien et développer sa créativité. « Un Bullet Journal, également appelé BuJo est un agenda personnalisable permettant de gérer ses tâches et ses rendez-vous. Il s’agit à la fois d’un système d’organisation utile au quotidien, d’un journal créatif, mais également d’un outil de développement personnel », explique-t-elle. L a p a r t i c u l a r i té d e ce ty p e d'agenda est qu’il n’est pas préimprimé com m e un a ge n d a classique. Le principe consiste à utiliser un carnet vierge, dans lequel chacun va pouvoir créer ses propres pages. Vous allez donc pouvoir doser en fonction de votre personnalité et de vos besoins la part organisationnelle, la part créative, ainsi que la part consacrée au développement personnel. Et si le retour au papier était un moyen d’entamer une sorte de déconnexion digitale ? Un moyen de se recentrer sur nous-même et de

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profiter au mieux des petits instants du quotidien, sans l’intermédiaire d’un écran ?

Matériel nécessaire :

Un carnet Un stylo Comment faire ? • Numéroter les pages. • Réserver les quatre premières pages pour faire un index. • Réserver les quatre pages suivantes pour le planning annuel. Séparer chaque page en trois à l’horizontal afin de planifier chaque mois de l’année. Répertorier les numéros de page dans l’index (ex : p 5-8, planning annuel). Vous pouvez noter vos rendez-vous à l'année, les anniversaires, les échéances importantes… afin d'avoir une vue d'ensemble de vos projet à l'année. • Réserver la double page suivante pour le planning mensuel. Répertorier les numéros de pages dans l’index. Là aussi vous pouvez répertorier vos rendez-vous, les

dates importantes … tout ce qui vous semble utile à noter pour vous organiser et ne pas oublier quoi que ce soit. • Réserver les pages suivantes pour les plannings quotidiens. Dans les plannings quotidiens, vous pouvez inscrire toutes les tâches à effectuer et les barrer au fur et à mesure de leur exécution ou bien les reporter si vous n'avez pas eu le temps de tout faire… • Vous pouvez également utiliser des pages pour faire des listes, des recettes à essayer, des pages de suivi de compte pour des économies... là aussi, il faut les répertorier dans l'index, ex : "liste des livres à lire p.11" • L es astuces qui font toute la différence : créer des puces et symboles pour différencier les tâches à effectuer, # déjà effectué, > à reporter, etc. Créer des symboles, indicateurs d’importances des tâches à effectuer, ou selon le type de tâche. n


3 ASTUCES de Laurence Einfalt

Priorités. Décider avec soi-même quelle sera la priorité pour les semaines/les mois à venir. Par exemple, si je décide de faire passer les liens avec ma famille en priorité, peut-être qu'il faudra que je passe moins de temps sur mes études. Parce que, de toute façon, les journées n'ont que 24 heures. Mais ça ne veut pas dire qu'on abandonne complètement les études. Ça signifie juste que, pour le moment, la famille passe en premier. Dans quelques mois, ce sera peut-être le contraire : les études d'abord. Habitudes. Ce qui nous empêche d’être bien organisés, ce sont principalement nos habitudes : par exemple, ne pas remettre les choses à leur place, ou partir toujours un peu en retard. Ou encore penser qu'on est super woman et qu'on arrivera bien à tout faire en très peu de temps. Observez vos habitudes pour voir ce qui coince. Découper. Il faut les tâches à accomplir au maximum. Par exemple, pour être sûre de bien réviser une matière pour un examen, sans se fatiguer, il vaudrait mieux "saucissonner" les révisions en chapitre, voire, en sous-chapitre. Plus les tâches sont petites, moins ça fait peur et plus on peut faire de choses différentes dans une journée. Quand on est modeste et qu'on fait une tâche à la fois, on est plus efficace car on se sent moins coupable. Autre exemple, si on se dit qu’on veut planifier une sortie, cela peut paraître énorme. Alors on découpe : d’abord, on regarde les dates de CAP (commission d'application des peines), réunir tout les papiers nécessaire avant la date de CAP, remplir une demande de permissions…

"Moi, quand j'ai lu le livre Bullet Révolution, je l'ai trouvé super, hyper simple. La méthode est super adaptable à chacun. Si j'avais eu accès à Internet, je serais allée voir son blog. En tout cas, c'est une très bonne méthode, simple et efficace. J'ai vu différents exemples de bullet journal et il y en avait de très beaux, limite artistiques. Ce style d'agenda permet de se concentrer sur ses priorités et surtout d'avoir une vue d'ensemble de ses différents projets, des échéances à respecter. Et puis consacrer un peu de temps à son bullet journal, ça permet d'être apaisé avant d'aller se coucher, parce que le fait d'être organisé nous rassure, surtout lorsque l'on a des journées chargées. Et aussi parce que c'est un moment où l'on déconnecte, on se donne du temps à soi, on peut aussi faire des décos, des dessins… Je trouve que tous les travaux d'écriture sont relaxants."

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Astuces de révisions : • On ne reste concentré qu’une heure. Donc on fait des pauses (15 min suffisent).

• On adapte sa façon de réviser à ses capacités (plus visuelle ? temps de concentration court ou long ?) • Pour bien mémoriser un cours, il faut l’avoir lu plusieurs fois. • Réviser chaque jour et reprendre le tout le weekend. • Ne pas oublier que le soir on n’est pas aussi efficace, du fait de la fatigue. • Réviser en groupe est un bon moyen de vérifier ses connaissances et la bonne compréhension des cours.

• Manger un peu de sucre ou du chocolat, ça booste ! :)

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Hygiène de

vie

: •B ien dormir : indispensa ble ! •B ien s’hydra ter. Notre c erveau commence à souffrir si nous ne buvons pas assez. • Manger p our é de glycémie viter la baisse :« capacité d'a ça nuit à votre ttention. » •R epérer so n propre ry thme (suis-je plus efficace le m atin ou le s et faire les oir ?) tâches qui d e m de concentr andent le p lus ation à ce m oment-là.

Concilier vie professionnelle, vie personnelle et projet à long terme : • Décider soi-même de ses priorités et les noter. • Calculer le temps qu’on consacre aux différents aspects de sa vie (famille, travail, études, sommeil, etc.) • Et consacrer le plus d’heures à ses priorités. Réajuster au fil des mois. • Découper les tâches au maximum.

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histoire

Hélène Jégado, En 1852, Hélène Jégado est guillotinée à Rennes. Accusée d'au moins sept empoisonnements. Annick Le Douget, ancienne greffière, docteure en histoire et spécialiste du crime en Bretagne nous brosse le portrait de la célèbre criminelle. Par Sisi.

Qui est Hélène Jégado ? Hélène Jégado est née en 1803 à Plouhinec, dans le Morbihan. Orpheline à 7 ans, elle est recueillie chez le curé de Bubry, pour recevoir une éducation, mais restera illettrée. Puis elle se place comme servante dans des presbytères ou chez des maîtres. À 30 ans, elle entre au service de M. Le Drogo, curé à Guern. En trois mois, de juin à octobre, sept ou huit personnes succombent à de « pénibles vomissements », dont Anna (la sœur d’Hélène), le père et la mère du recteur Le Drogo et le prêtre luimême. A l’époque, personne ne fait le rapprochement entre ces décès et les « spécialités » culinaires d'Hélène : la soupe aux herbes et les gâteaux… à l’arsenic ! Hélène Jégado poursuit ses empoisonnements sans être inquiétée jusqu’à ses 48 ans, même si quelquefois elle a fait l’objet de soupçons et de méfiance : elle partait et échappait aux poursuites. « À l’époque, il n’y avait pas les fichiers ni le casier judiciaire comme aujourd’hui ! Elle est enfin arrêtée le 1er juillet 1851 après un dernier empoisonnement commis à Rennes. L’on découvre alors l’ampleur des forfaits qu’elle a accomplis pendant 18 ans, dans le Morbihan essentiellement, puis en Ille-et-Vilaine », raconte Annick Le Douget. Selon l’ordonnance de renvoi, elle est suspectée d’avoir en tout commis 46 empoisonnements, tous n’étant pas suivis de mort, et tous n’étant pas prouvés. Le nombre de crimes reste donc imprécis. Et les faits commis de 1833 jusqu’en 1841 sont prescrits. Finalement elle est accusée de sept empoisonnements « seulement ». On lui reproche aussi accessoirement onze vols domestiques. Hélène Jégado est condamnée à mort par la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine à Rennes le 14 décembre 1851, et guillotinée le 26 février 1852 sur la place du Champ de Mars, à Rennes. n

Citad'elles :Vous dites qu’Hélène Jégado a une personnalité fascinante. Qu'est-ce qui vous a fasciné dans sa personnalité ? Annick Le Douget : Les femmes « serial-killers » sont rares… Le nombre et l’énormité de ses crimes en ont fait une sorte d’héroïne au XIXe siècle… mais une héroïne noire incarnant le Mal ! Ce qui est fascinant, c’est justement cette face si noire qu'on lui donne : je n’en reviens pas qu’une femme soit affublée d’autant de défauts, car sans parler de ses crimes, on la disait laide, sale, ivrognesse, méchante, voleuse, jalouse, acariâtre, autoritaire, susceptible, hypocrite, manipulatrice, et j’en passe… Elle était certes dotée d’une grande intelligence, au-dessus de la normale, que le président de la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine avait soulignée quand elle a été jugée en décembre 1851. Mais c’était une intelligence au service du mal… Elle était indépendante, roublarde et maligne. La preuve, c’est qu’elle a pu tuer pendant dix-huit ans sans se faire arrêter. C : En quoi est-elle différente des autres criminelles ? ALD : Il est difficile d’établir un

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Illustrations à la manière de Hannah Höch(1889 1978) Artiste plasticienne allemande,elle expérimente le photomontage et le découpage/collage d'images à partir de cartes postales. Elle est la seule femme à participer activement aux manifestations Dada de Berlin.

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histoire

profil type de femme criminelle. Ici, c'est le nombre de crimes et leur cruauté qui distingue Hélène Jégado des autres criminelles. Ainsi que la jouissance qu’elle semble en tirer, et l’absence totale de sens moral. « Partout où je vais, la mort me suit », ose-t-elle affirmer à plusieurs maîtres… ou bien encore : « Je porte malheur, les maîtres meurent partout où je vais ». On a donc l’impression qu’elle s’amusait à éveiller la peur. L’arsenic lui conférait un sentiment de toute-puissance. Finalement, je pense qu’elle se prenait pour Dieu. C : Existe-t-il des mythes sur les empoisonneuses ? Hélène en a-t-elle souffert ou a-t-elle contribué à en construire ? ALD : À l'époque, l’empoisonnement est le crime qui suscite le plus de crainte et d’horreur. Il est puni de la peine de mort. On disait que c’était un crime spécifiquement féminin, qui ne nécessitait pas de force physique pour être accompli, juste de la cruauté. Les trois dernières femmes guillotinées en Ille-et-Vilaine sont toutes des empoisonneuses, Hélène Jégado en 1852, Marie-Pauline Chauvelière en 1853, Jeanne Liger en 1862. Mais je dois reconnaître que les empoisonneuses suscitaient bien des fantasmes. C’est tout le paradoxe de la noirceur magnifiée du criminel : la mémoire collective s'empare des condamnés célèbres, et, avec le soutien de gravures, de chansons ou de journaux, va transmettre une image d’eux où l'attirance se mêle à la répulsion. Le criminel est alors héroïsé, surtout quand il est brave face au bourreau et à la mort, comme Hélène Jégado. Il fascine. En 1866, une mineure, Marie-Françoise Bougaran, est jugée à Quimper. Selon le public, elle aurait voulu imiter Hélène Jégado, dont les crimes, détaillés dans une complainte répandue, auraient inspiré la jeune fille. C : D'après vos recherches, pourquoi a-t-elle tué toutes ces personnes ? ALD : C’était une femme intelligente qui aurait pu avoir un avenir autre

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que celui de servante domestique, une condition qu’elle ne supportait pas et qu’elle jugeait humiliante : elle en était certainement aigrie. Les rapports judiciaires indiquent que tout être humain qui la gênait ou la blessait, qui lui faisait obstacle ou qui excitait son antipathie, était condamné à mourir… Ce qui est certain, c’est que l’impunité de ses premiers crimes l’a vite enhardie et l’a poussée à continuer ses forfaits.

d’être monstrueux et incomplet ». L’un des experts affirme qu’elle est atteinte de « folie homicide ». Mais à cette période, la psychiatrie était une science balbutiante, les maladies mentales n’étaient pas bien identifiées, et les psychiatres, q u e l ’ o n a p p e l a i t a l o rs l e s « aliénistes », n’avaient pas de poids aux yeux des jurés. Hélène Jégado ne bénéficiera pas de circonstances atténuantes.

C : Comment est-elle passée de gentille serveuse à tueuse ? Avait-elle une maladie mentale ? ALD : Elle n’a jamais été gentille à mon avis… ni attachante. Son enfance malheureuse explique peut-être le caractère difficile qu’elle manifestait sous un vernis de piété, mais ce n’est qu’une supposition. Son état mental fait l’objet de vifs débats à l’audience, où son avocat plaide la folie. Pour la défendre lors de son recours en grâce, un autre avocat la qualifie de « phénomène étrange, d’anomalie,

C : Pourquoi est-elle représentée toujours triste ? ALD : Triste ? Plutôt froide et impassible, même sachant que la guillotine l’attendait. Néanmoins, les rapports sur son exécution capitale précisent qu’elle a versé beaucoup de larmes en apprenant le rejet du recours en grâce et qu’elle a fait montre de courage. Elle qui avait toujours nié ses crimes pendant le procès, elle fait ses premiers aveux au prêtre au pied de l’échafaud, et elle a prié pour ses victimes… C’était le 26 février 1852, à 7 heures 30. Son


EN SAVOIR + Enquêter sur les crimes du XIXe siècle Annick Le Douget est l'auteure de Justice de sang et Femmes criminelles en Bretagne au XIXe siècle. C'est dans ce cadre qu'elle s'est intéressée à Hélène Jégado. Elle voulait comprendre pourquoi on prononçait la peine de mort, ce que pouvaient ressentir les acteurs du procès ou encore les attentes et les réactions du public face à une exécution publique. Au-delà, elle voulait réfléchir sur le sens de la peine. Quand elle écrit sur une affaire criminelle, Annick Le Douget part toujours du dossier judiciaire de la personne qui a été jugée et condamnée. Elle ne se déplace pas sur les lieux des crimes. Pour Hélène Jégado, elle a travaillé sur trois sources différentes : le dossier judiciaire qui est conservé

aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, à Rennes, et accessible à tout un chacun. Il contient ses interrogatoires par le juge d’instruction, les témoignages, les expertises, etc. Elle est également allée à Paris, aux Archives nationales (aujourd’hui, elles sont déplacées à Pierrefitte-sur-Seine), pour consulter son dossier de recours en grâce qu’elle avait présenté au prince-président Louis Napoléon Bonaparte après sa condamnation à mort, et qui avait été rejeté. Enfin, elle a consulté la presse de l’époque, fort riche, que l’on peut trouver sur des sites internet, et notamment sur Gallica. Annick Le Douget vient de publier un nouveau livre : Guérisseurs et sorciers bretons au banc des accusés, Finistère, 1800-1950.

repentir apparemment sincère et son courage sur l’échafaud au moment où elle expiait ses crimes ont contribué à forger son image d’héroïne. C : Quel retentissement a eu son jugement ? ALD : Cette affaire a eu un énorme retentissement dans les « canards » de l’époque, en raison de la fascination exercée par cette empoisonneuse, auteure de tant de crimes. Des chansons, des complaintes, en français et en breton, ont été écrites sur ses forfaits et son supplice. Elle a même eu droit à une image d’Épinal, une gravure la représentant à son procès. Son buste a été sculpté par un statuaire de Rennes et son crâne a été moulé après l’exécution. Le masque mortuaire est conservé au Musée de Bretagne à Rennes). Plusieurs livres lui ont été consacrés, dont, récemment, le roman de Jean Teulé, Fleur de tonnerre. n

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histoire

Latifa Ibn Ziaten est la mère d’Imad, militaire français tué par Mohammed Merah. Elle a choisi de pleurer la mort de son fils en agissant. Elle donne des conférences et a créé une association « Imad pour la jeunesse et la paix », pour éviter la radicalisation des jeunes. Par Kamel

Son monde s’écroule

Le 11 mars 2012, le fils de Latifa, Imad Ibn Ziaten, est assassiné à Toulouse par le terroriste Mohammed Merah. Elle apprend sa mort par son autre fils. Elle est alors en Turquie avec son mari. Ce voyage leur a été offert par leur fils Imad. « Le monde s’est écroulé sur moi », raconte Latifa Ibn Ziaten, en intervention au CPF de Rennes en décembre 2017. Ils rentrent dans la nuit à Paris avec

(1) http://association-imad.fr

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leurs quatre autres enfants. « Tant que je n’avais pas vu mon fils, je n’y croyais pas». Au commissariat, ils se retrouvent face à un policier d’une cruauté insensée. « Il a insinué que mon fils était un trafiquant, que c’était juste un règlement de comptes. » Mohammed Merah a tué Imad ainsi que deux autres soldats, le caporal Abel Chennouf et le caporal Mohamed Legouad. « Ce terroriste savait qu’ils étaient militaires et les a tués pour cela, il les considérait comme ses ennemis. » Il a également assassiné quatre civils de confession juive : un rabbin et trois enfants. Le policier leur dit ensuite que le corps d'Imad est à la morgue mais que celle-ci est fermée. « Il fallait attendre ». Le lendemain, une infirmière lui conseille de se préparer car son fils a été autopsié. Elle n’était pas au courant. « Quand je l’ai vu allongé, je lui ai pris la main, elle était douce, je l’ai serrée fort dans la mienne et je lui ai fait une promesse : Je ne vais pas pleurer, je vais trouver celui qui a fait ça ». Elle est retournée à l’endroit où il était tombé, elle n’a rien vu, juste du sang. Elle a pris conscience que la vie de son fils s’est arrêtée là, mais pas la sienne : « Tu as refusé de te coucher devant ton assassin, moi je vais rester debout. »

Association pour la jeunesse et la paix

Latifa raconte tout cela à la presse et lors de conférences, « pour qu’Imad vive éternellement dans nos mémoires et parce que le souvenir de toutes les autres victimes civiles et militaires nous impose ce mot d’ordre : « Plus jamais Merah ! ». En 2012, elle fonde l’Association Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la Paix (1). « L’idée de mon association est née pour convaincre. Convaincre les jeunes de ne pas baisser les bras, les parents de cadrer et de surveiller la scolarité de leurs enfants, les professeurs d’être encore plus à l’écoute, l’Etat de faciliter les parcours… » Elle va au contact de la jeunesse isolée, des parents désœuvrés, pour leur parler de paix et d'éducation. Le président Hollande remet à Latifa Ibn Ziaten la légion d’honneur pour son combat pacifiste en mars 2016. Les membres de l’association se sont donné pour objectif d’intervenir auprès des enfants, des jeunes adultes, des élèves des écoles dans tous les milieux sociaux et auprès des détenus en milieu carcéral afin de faciliter les dialogues entre religions, de prévenir les dérives sectaires et extrémistes, notamment dans les quartiers où la délinquance est élevée. Elle a mis sur pied une structure éducative laïque et républicaine, chargée d’intervenir en milieu carcéral ainsi que dans les écoles et de promouvoir la laïcité, qui ne signifie pas le rejet de


BioExpress Qui était Imad ? Imad était un jeune militaire de carrière, âgé de 30 ans à sa mort. Il était originaire de Sottevillelès-Rouen en Seine Maritime. « Il était un fils, un ami et un camarade de régiment aimé et apprécié de tous », souligne Latifa. Imad était affecté au premier régiment du train parachutiste basé à Francazal. Ses supérieurs le décrivent comme un « excellent élément ».

la religion. « Ce combat sera le but de ma vie. Je me suis battue pour que mon fils soit reconnu « Mort pour la France ». Désormais son corps repose en paix au Maroc, son vœu le plus cher. »

De l’espoir pour les jeunes

Latifa répète que la tentation de la violence et de la radicalisation est une erreur. « Lors de mes interventions, je constate tous les jours le désarroi et la souffrance des jeunes face à l’absence d’avenir professionnel. La plupart du temps, ils se heurtent à des portes fermées qui ne leur laissent que trop peu l’espoir d’un développement personnel et d’une ascension sociale par le travail. » Latifa et son association ont un projet de chantier éducatif « vivre et se construire ensemble » à Figuig, dans l’Est du Maroc. Des jeunes en insertion de l’Eure, d'autres de l’Ecole de la Deuxième Chance dans le Val d’Oise, accompagnés par des encadrants, participeront à un chantier de restauration d'une ancienne synagogue. « Le but est de leur donner confiance en eux et en leurs capacités ». Les après-midis, au travers de visites et de rencontres, ces jeunes pourront s’ouvrir à une autre culture, à d’autres traditions et religions. Et surtout, expérimenter le vivre ensemble. n

BioExpress Qui est Latifa ? Latifa Ibn Ziaten est née en 1960, à Tétouan (Maroc). Elle a trois frères et une sœur. Elle n’a pas été scolarisée, mais elle parvient quand même à travailler, jeune, dans une usine de confection de blouses. En 1976, elle rencontre celui qu’elle va choisir pour être son mari, Ahmed. Il a sept ans de plus. Ahmed est un ancien footballeur professionnel de l’équipe de Tétouan. Il est devenu cheminot de la SNCF en France. Latifa se marie à l’âge de dix-sept ans en 1977, au Maroc. Quelques mois après leur mariage, elle va suivre son mari pour la France, à Sotteville-lèsRouen, afin de construire un foyer et une vie meilleure. Dynamique et courageuse, Latifa, souhaite apprendre la langue, trouver un emploi, car très attachée à son indépendance. Elle ne voulait pas se cantonner à être uniquement mère au foyer de cinq enfants : quatre garçons et une fille. Elle éduque ses enfants de la même manière, sans distinction de sexe. Elle est agent d’accueil au musée des Beaux-arts de Rouen puis travaille dix-neuf ans comme cantinière. Très proche de la scolarité et de l’éducation de ses enfants, elle leur transmet cette double culture marocaine et française. Latifa veut que ses enfants réussissent et qu’ils comprennent la chance qu’ils ont de suivre des études, clé de la réalisation de leurs rêves : une chance qu’elle n’a pas eue.

Illustrations à la manière de Marjane Satrapi. Née en 1969 en Iran, elle est autrice de bande dessinée et réalisatrice.Elle reçoit le Prix du meilleur album du festival d'Angoulême 2004 pour Poulet aux prunes(L’Association).

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fiction

Nouvelle

La queue entre les jambes

Par Bettina

Lyon, le 20 décembre 2030, le sol est recouvert d’une fine couche de neige fraîche. Agathe sort de chez elle en courant. Elle doit absolument attraper le bus de 14h pour se rendre au centre commercial de La Part-Dieu, faire ses achats de Noël. Elle manque de trébucher à plusieurs reprises malgré une paire de bottines adaptées à la météo et à la marche. Elle redouble de vigilance en arrivant à l’arrêt de bus déjà bien bondé, à croire que tous les habitants du quartier ont eu la même idée qu’elle. Agathe est une célibataire de 22 ans, dynamique, drôle, intelligente. Elle est une brillante étudiante en histoire de l’art. Son mètre soixante-dix associé à une silhouette sportive font d’elle une jeune femme très convoitée. Ses cheveux longs châtain, épais, légèrement ondulés, sont presque toujours relevés par une pince ou une queue de cheval. Son regard noisette hypnotise quiconque se plonge dedans. Agathe monte à l’arrière du bus avec difficulté, obligée de jouer des coudes pour se frayer un chemin. D’autres usagers ont abandonné l’idée même de monter, se résignant à attendre les quarante-cinq minutes qui les séparent du prochain. Les portes se referment, en route pour environ une demi-heure de transport en commun. Elle déteste ça, les transports en commun. Autant de promiscuité avec des inconnus l’angoisse, sans doute un manque de confiance en elle. Là, elle n’a pas le choix, sa voiture, en panne, est bloquée chez son garagiste qui a eu la mauvaise idée de fermer pour deux semaines. Elle parvient à atteindre une barre et s’y agrippe, évitant ainsi d’être ballottée d’une personne à une autre et de se faire écraser les pieds, ou d’en écraser ! Une fois une relative stabilité trouvée, elle choisit sur son iPhone l’album de Joss Stone, la mélodie de Water you soul se diffuse dans ses écouteurs l’isolant du brouhaha incessant à l’intérieur du bus. Il y a cet homme qui l’observe à l’avant, juste derrière le chauffeur, il a été frappé par sa beauté et sa prestance naturelle, il est sous le charme, il ne la lâche pas des yeux, maudissant toutes les têtes et les bras qui viennent lui gâcher la vue. Lui il s’appelle Félix, il a 25 ans, il est grand, un mètre quatre-vingt-dix, basketteur professionnel, bien bâti, brun aux yeux bleus, il ne laisse pas les filles indifférentes et il le sait. Ce bus, il le prend une

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fois par semaine depuis deux ans pour rendre visite à sa grand-mère qui habite un quartier où il est impossible de se garer en moins de deux heures. Il sait que cette fille n’est pas une habituée de la ligne, il l’aurait déjà remarquée. Plutôt du genre entreprenant, il cherche à croiser le regard d’Agathe, mais elle reste tête baissée à regarder le sol. Il tente de se rapprocher, mais le chauffeur du bus pile pour éviter une voiture qui lui coupe la route. Félix chute sur ses voisins, se rattrapant tant bien que mal à la casquette d’un pauvre homme, embarquant dans la foulée la perruque pourtant bien ajustée du monsieur et provoquant un fou rire des témoins de la scène. Agathe relève la tête pour voir ce qui génère ce remue-ménage, son regard se plonge alors dans celui de Félix au moment où il se relève. Agathe, d’ordinaire si réservée, ne peut se détacher de ces yeux bleus qui la fixent intensément. Les quelques secondes que durent ces échanges visuels semblent irréelles, comme hors du temps et de l’espace. Le monsieur réajuste son postiche qu’il vient de récupérer sur la tête d’un bébé tout aussi chauve que lui ! La mère du petit rit tellement qu’il ne peut s’empêcher de sourire. L’esprit de Noël envahit le bus ; joie, partage, compassion, tolérance, amour… Agathe qui est arrivée à son arrêt, doit faire un effort considérable pour détourner son regard et descendre du bus. Félix ne peut se résoudre au risque de ne plus la revoir et descend lui aussi. Elle a tout de suite compris qu’il était descendu pour elle, doit-t-elle en avoir peur ? Au fond d’elle, quelque chose lui dit qu’elle peut avoir confiance. Ils sont là à deux mètres l’un de l’autre. Félix s’approche, doucement sans la quitter des yeux. - Bonjour, je m’appelle Félix et je vous aime… - Bonjour ! - Je peux vous offrir un café ? S’il vous plaît, dites oui. - Euh… - Je sais, c’est fou, je suis fou. Oui c’est ça, je suis fou de vous. Je ne


peux me l’expliquer ! Laissez-moi une chance de me présenter, je vous en supplie. - Je ne sais pas trop ! - Bon alors, je reprends. Bonjour, je m’appelle Félix et vous ? - Agathe. - Bonjour Agathe, j’aimerais vous offrir un café, si vous refusez, je crois que je ne m’en remettrai jamais. - D’accord. Ils s’installent au comptoir d’un café à l’entrée de la gare de La Part-Dieu. Agathe ne sait pas vraiment pourquoi elle lui a dit oui, elle a cette irrésistible envie de le connaître. Mais quelle conversation peut-on avoir avec un inconnu qui vous aborde en vous disant qu’il vous aime ? C’est Félix qui engage la conversation, de fil en aiguille, de café en café et d’heure en heure, ils se livrent l’un à l’autre, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Ils n’ont pas vu le temps passer et il est déjà 19h. Félix appelle sa grand-mère pour s’excuser en prétextant un contretemps et promet d’être au rendez-vous la semaine suivante. Il propose à Agathe de l’accompagner le lendemain pour faire ses achats, et même de la récupérer chez elle en voiture. Il a gagné sa confiance et elle accepte avec plaisir. - Si j’osais, dit Félix.

- Oser quoi ? Dit Agathe inquiète. - Vous seriez libre à dîner ce soir ? - Pourquoi pas, à quelle heure et où nous retrouvons-nous ? - Pourquoi nous séparer, nous pourrions nous y rendre ensemble. - D’accord, mais je dois d’abord passer chez moi, mon chien doit commencer à trouver le temps long, et j’aimerais me changer. Agathe n’en revient pas elle-même, elle vient d’accepter une invitation à dîner avec un homme qu’elle ne connaît que depuis quelques heures ! Elle doit être devenue folle ! Evidemment, Félix est fou de joie et propose de l’accompagner chez elle avant qu’elle ne revienne sur sa décision qu’il devine «fragile». C’est ainsi qu’ils se retrouvent tous les deux chez Agathe après avoir récupéré le voiture de Félix. Ce dernier part promener Cannelle, le cocker d’Agathe, le temps pour elle de prendre une douche et de se préparer. uelle journée ! Agathe en fait la synthèse pendant que Q l’eau coule délicieusement sur son dos, ses fesses, ses cuisses, ses pieds. Elle se retourne pour en sentir le jet sur sa gorge, elle bascule la tête en arrière pour mieux profiter de la chaleur de l’eau sur tout son corps. Donc la synthèse de la journée, elle n’a pas fait ses achats de Noël, et pour couronner le tout, un inconnu qu’elle a invité chez elle est en train de promener sa chienne ! C’est du grand n’importe quoi ! Et pourtant, elle n’arrive pas à voir le mal

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libres

dans tout ça, il semble sincère, certes un peu trop sûr de lui, mais n’est-ce pas à ce trait de caractère qu’ils doivent leur rencontre ? Elle a vraiment envie de finir cette journée en sa compagnie, doit-on être raisonnable à vingt-deux ans ? Peut-on se laisser guider par ses émotions plutôt que par sa raison ? Quel dilemme ! En sortant de la douche, elle ne sait toujours pas comment agir, l’éconduire ou lui céder ? Car, elle est certaine qu’il en voudra plus, il est de genre à s’incruster pour la nuit et le petit-déjeuner. Il est beau garçon, il a de la conversation et il ne semble éprouver aucune gêne, il est parfaitement à l’aise. Ce qui est loin d’être le cas d’Agathe, détournant les yeux au moindre compliment, minimisant ses capacités, relativisant sa beauté. Elle n’aime pas parler d’elle, le sujet ne lui semble pas suffisamment intéressant. En revanche, Félix est intarissable quand il s’agit de lui, de ses exploits sportifs, de sa vie en général, il aime parler de lui et de ses performances. Il revient, à peine rentré, il présente à Agathe un petit sac de sport en lui disant qu’il prendrait bien une douche lui aussi et qu’il a des vêtements de rechange. Elle pense que comme la plupart des coureurs de jupons, il a son baiseen-ville dans son coffre de voiture, toujours prêt ! Il ne lui laisse pas le temps de répondre et lui demande où se trouve la salle de bains ! Embarrassée, elle lui indique du doigt la porte bleue dans le couloir. Il se penche sur elle pour lui déposer un baiser sur la joue en frôlant ses lèvres, puis fonce se doucher. Agathe reste un long moment hagarde. Ça ne va pas un peu trop vite, là ? Il laisse la porte ouverte alors qu’il se déshabille et crie à Agathe qu’il a téléphoné à plusieurs restaurants pour réserver mais que tout était déjà complet. Et qu’il s’est autorisé à commander des chinoiseries qui seraient livrées ici d’ici une heure et demie. Puis elle entend l’eau couler, retrouvant un peu de lucidité, elle en profite pour aller fermer la porte sans faire de bruit. Agathe a beau être sous le charme, il va quand-même falloir que le bel Apollon respecte certaines règles de savoir-vivre ! Elle s’assoie sagement sur le divan en attendant qu’il sorte de la salle de bains, bien résolue à lui expliquer son mode de fonctionnement, son truc à elle, c’est le romantisme, le mystère, la sensualité… Elle s’attend à le voir vêtu au minimum d’un bas de survêtement, mais quand il se présente à elle, il n’a qu’une serviette autour de la taille. Elle s’empourpre immédiatement, son audace la met vraiment mal à l’aise. Il s’approche d’elle, s’agenouille, lui prend les mains pour les poser sur son torse à la musculature parfaite, il est vraiment beau et sent divinement bon. Agathe doit faire un effort surhumain pour ne pas laisser paraître son

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trouble. Il cherche son regard et quand il le trouve, il lui dit avec l’air le plus sérieux du monde : - Aucune femme ne me résiste et aucune ne le regrette, viens, tu n’auras jamais de meilleur amant Agathe n’en croit pas ses oreilles : non seulement il est passé au tutoiement mais en plus, ce mec se prend pour le coup du siècle. Le charme est rompu. Il est tout ce qu’elle déteste, vantard, égocentrique et orgueilleux. Gentiment mais fermement, elle l’invite à aller se rhabiller, il ne se servira pas de son attirail ce soir, en tout cas pas avec elle. C’est à contre-cœur qu’il s’exécute. Quand il franchit la porte de son appartement, elle ressent toute la vexation qui est en lui, ce qui a pour effet de lui déclencher le plus bel éclat de rire qu’elle n’ait jamais eu ! Demain, elle retournera faire ses achats de Noël avec une amie.


Maman, tu te souviens ?

Par Ina

Tu te souviens ? J’étais petite. Je pleurais souvent. Quand j’avais froid. Quand j’avais peur. Tu me prenais dans tes bras. Et je sentais ton cœur battre contre mon cœur. Ça me réconfortait. J’étais petite. Je pleurais quand on me faisait du mal. Tu me parlais avec ta voix douce et mélodieuse. Tu m’apprenais à combattre le mal et être forte. J’étais petite. J’avais peur seule dans le noir. Tu prenais ma main dans la tienne et me guidais pour ne pas m’égarer. Elle était douce et rassurante. Et mon chemin s’éclairait à la lumière de tes yeux souriants. Je sentais ta présence m’accompagner à chaque instant de ma vie. Jusqu’au jour maudit. Tu vois ? Aujourd’hui, je chante, comme toi. Tu chantais, quand tu étais heureuse, quand tu étais triste. Tu ne pleurais jamais. Tu chantais. Tu étais si forte. Aujourd’hui, je puise de ta force. Et je chante. Je vois encore ton visage. Ton sourire. Tes yeux. Ils m’accompagnent toujours. Dans le bien et dans le pire. Dans la joie et dans la tristesse. Je sens encore ta main chaude et câline sur ma joue. J’entends ta voix douce et ça me donne le courage de vivre. De continuer ma route. Me battre. Chanter. Sourire. Malgré tout. Tout comme toi. J’aimerais tellement que tu sois auprès de moi, maman. Dans ma tête, je joue avec les souvenirs, je transmets le passé dans le présent. Pour te faire revivre. Mais le temps est impitoyable. Il ne me laisse jamais oublier le jour maudit où tu as disparu à jamais. Je chante, je ris, je vis. Tout comme toi, maman. Une petite partie de toi continue à vivre à travers moi, ta fille.

Que me reste t il ? ~~

Bref… Un prix pour Citad'elles Votre magazine primé aux Assises Internationales du Journalisme à Tours. Mardi 13 mars 2018, le magazine Citad'elles recevait des mains de Marie-Laure Augry, le prix Education aux Médias et à l'Information dans la catégorie projet associatif. Avant d'être primé, il avait fallu présenter le projet à l'oral et en quatre minutes face à deux autres initiatives et à un jury composé d'une vingtaine de journalistes dans un amphitéâtre plein. Ce trophée décerné par des professionnels récompense le travail rigoureux des rédactrices de Citad'elles.

Par Anic

Que me reste-t-il ici ? Des particules d’infinis, des oiseaux bleus de nuit qui rêvent d’autres vies. Des princesses qataries, enfermées dans un harem gris, regard voilé sur le visage, rêvent. De derniers voyages. Que me reste-t-il ici ? Un peu d’herbe trop belle, elle m’interpelle. Un peu d’herbe. Je m’évade, je me fais la belle et je reste aux portes de la chapelle des paradis artificiels. Un peu d’herbe trop chouette, je te fumerai. Un peu d’herbe bleuette je te plumerai. Est-ce le paradis ou l’enfer quand je me mets la tête à l’envers ? Un peu d’herbe, ça fleurit sous les pavés. Un peu d’herbe à Fleury, j’ai la santé. Pour un café trop corsé, pour une nuit ou pour des années. Un peu d’air par la fenêtre, ça m’oxygène. Un peu d’air pas net dans mes veines, quelle déveine. Pour ma peine, je suis à la Santé pour la semaine. Un peu d’eau de vie, cocktail mortel. Quelques gouttes de pluie au goût de sel. Je me distille toutes les nuits au gré de mes envies, envie de quoi ? De toi, sûrement. Mais pas maintenant. Soyons juste amants pour une nuit ou pour la vie. Vie en suspension, mais je tiens bon. La fin n’est pas loin.

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