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Avril 2012

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FA N Z I N E C U LT U R E L D E L A C A R A Ï B E

MA ! Les «Ma»

Magma - Mauduech - Mars Manhattan - Makabu Charly

Champ libre Raymond Médélice

Toc, toc, toc ! Théâtre et compagnie

Mariño

Paysages int/ext-térieurs

Manette [poezi-peyi]

Maharaj Le mot dit

Madelaine Collectif f/3

Màs

Agnès Dahan

McCarthy 24 heures avec…

Martial Topos corpus

Mathieu

Lignes haute tension

Marie-Joseph In progress

Madison

Take the « M » train

Magloire

Haïti + cut = LM

Maharaki Vivre ses rêves

Guédon

L’histoire imaginaire d’un peintre réel par Jack Exily c  12 planches à suivre dans Boucan !

Maalkhéma R.A.C.

Masse

Doigts d’argent

Sabas

L’expérience de Ferry

CARIBBEAN ART GRAPHIC CARAIBE CARIBE ARTE PHOTO VIDEO THEATRE LITERATURE LITTERATURE TYPO MUSIC MUSIQUE


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SOMMAIRE

05 • ÉDITO STAGE DE SURVIE 06 07 • LE BOUCHE À OREILLE 08 09 • CHAMP LIBRE DE L’ATELIER 10 27 • THÉÂTRE CONGRE ET HOMARD, THÉÂTRE FOUDIZÈ, L. SAINT-ÉLOI, R. YOUNG, S. ADÈLE, H. BEUZE 29 36 • ARMANDO MARINO PAYSAGES INTÉRIEURS-EXTÉRIEURS 38 41 • DIDYER MANNE T TE {POEZI-PEYI} 42 45 • KEEGAN MAHAR A J LE MOT DIT 46 49 • F/3 ÉRIK MADELAINE 50 51 • SÉBASTIEN MAR TIAL TOPOS CORPUS 52 55 • BRIANNA M cC AR THY 24 HEURES AVEC BRIANNA 56 63 • MANUEL MATHIEU LIGNES HAUTE TENSION 64 67 • MARC MARIE-JOSEPH IN PROGRESS 68 71 • NINKO MADISON TAKE THE « M » TRAIN 72 75 • AGNÈS DAHAN MI MÀS 76 80 • L AURENCE MAGLOIRE (HAÏTI + )=LM 81 83 • MAHAR AKI VIVRE SES RÊVES 85 89 • MAALKHÉMA R.A.C. 91 93 • MARIO MASSE MARIO DOIGTS D’ARGENT 91 93 • CHRISTIAN SABAS L’EXPÉRIENCE DE FERRY 60 • BANDE DESSINÉE HENRI GUEDON RE VISITÉ {Avril

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Made it last

Typo-Tempête

B 5 SIKLÒN

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est une publication de l’agence 50450 Le Mesnil-Villeman >> agence.siklon@gmail.com Directeur de publication :

Cédric Francillette >> agence.siklon@gmail.com

Relations publiques : Lara Montantin

Journalistes :

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Correcteur : A.B.

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http://boucan-on.jimdo.com/ Remerciements aux artistes pour leur aimable participation

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ÉDITO

Stage de survie

Cédric Francillette

Directeur de publication

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on contents de voir notre pagination augmenter, nous avions décidé – pour étrenner ce numéro 5 – de finir le bouclage du webzine dans la caraïbe, « in the French West Indies ». Grave erreur ! Entre les cybercafés inexistants, le bas débit et les ordinateurs qui tombent en panne technique, autant dire qu’il s’agissait d’un défi perdu d’avance… En dépit des difficultés, nous nous battons toujours pour faire connaître l’art dans la caraïbe. Pour plus de clarté, dorénavant, nous organisons la publication en regroupant les articles sous forme de thématiques : dossier spécial, espace, littérature, arts visuels, nouveaux médias et musique. Le rédactionnel de ce numéro est particulièrement riche. Il regroupe peintres, photographes, plasticiens, musiciens, poètes et déclameurs, graphistes et réalisateurs vidéo. L’accent est mis sur le visuel, qui permet une appréhension immédiate de l’œuvre des artistes. C’est pour cette raison que nous n’hésitons pas à typographier les textes si nécessaire. À noter le premier article d’une série de trois sur le collectif photographique f/3, basé à Paris et la suite de notre découverte du travail de Christian Sabas qui aborde la création de son Musée d’Art Brut en Guadeloupe. N’oubliez pas d’aller vous promener sur la page multimédia de Boucan, B>>On :

http://boucan-on.jimdo.com/

Vous pourrez y visionner une vidéo de l’artiste Raymond Médélice en relation avec sa rubrique «Champ libre» et une présentation du projet Ferry du peintre Sabas… Bonne lecture !

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BOUCHE À…

COUP DE CŒUR

LES FILMS DU MARIGOT

© F. Blaize

L’affaire de l’OJAM © Films du Marigot

« Combien de temps vais-je devoir encore patienter ? »

Ne pas se laisser rebuter par cette première de couverture façon très publicité « Ushuaïa ». Kettly Mars s’est vu décerner en 2011 le prix Prince Claus, pour la qualité de son œuvre littéraire. Kettly Mars parle de Haïti, son peuple, son pays, avec une grande liberté d’écriture. Son regard pointu sur la société, lui évite les clichés. Elle aborde les thèmes du sexe, du pouvoir, de l’argent, de la violence avec finesse et élégance. Elle montre en passant par l’intime, le désarroi de son peuple toujours en quête d’identité. « Saisons sauvages » de Kettly Mars Mercure de France - 2010 Disponible en Folio

U

ne affiche apparaît en décembre 1962 sur tous les murs des bâtiments publics de Martinique. « La Martinique aux Martiniquais », est le message que l’on pouvait y lire. Dixhuit jeunes « ojamistes » martiniquais sont inculpés en février 1963 pour complot et atteinte à l’intégrité du territoire national, en d’autres termes pour volonté séparatiste. La narration se situe sur trois terri-

VILLA MAGMA

© Films du Marigot

« La Martinique aux Martiniquais » est un documentaire réalisé par Camille Mauduech, basé sur des témoignages direct de membres de l’OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique). L’action se situe dans les années 60…

toires qui interfèrent les uns sur les autres. C’est une conjonction entre : - des étudiants antillais à Paris, impliqués dans le conflit algérien, - des groupes révolutionnaires en Martinique issus de la rébellion contre les CRS de décembre 1959, - et des figures médiatiques impliquées dans le conflit algérien en Algérie (F. Fanon et M. Manville). www.filmsmarigot.com

©DR

MANHATTAN

Yudit Vidal expose à New York

Véronique Hermann Sambin, chanteuse d’origine guadeloupéenne met sa voix au service des artistes caribéens sous la forme d’un site internet « Villa Magma ». Cette plateforme dédiée aux arts, nous renseigne sur des films, des spectacles vivants, des expositions et permet à ses membres de se rencontrer sur Paris. Audrey Smith, conteuse de l’association « Ti Woch », s’est associée au projet et propose des ateliers de lecture pour enfants. Elle dispense son approche originale du conte à travers une pratique sensorielle : contes lus, racontés, chantés, mimés, ou accompagnés d’instruments de musique. www.villamagma.com contact@villamagma.com 06

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© Photos Y. Vidal

Comme à la maison…

Yudit Vidal Faife, artiste cubaine que nous suivons depuis Boucan 2, continue sa carrière artistique en exposant ses toiles dans la galerie de la Compagnie « Con Edison Building » à New York. L’événement a, entre autre, été médiatisé par le « CAW Magazine » de Washington et le « Brooklyn Eagle ». Son nom fait maintenant partie du catalogue du Brooklyn Museum.

www.yuditvidal.cu www.yuditvidal.com En haut : « La cage sur la fenêtre » À droite : « Visage avec feuilles »


…OREILLE

MARTINIQUE : LA CENSURE VERSION XXIE SIÈCLE

À quand les autodafés ?

© MK © MK

CENSURÉ

© MK

Une exposition collective d’artistes caribéens fermée au bout de quatre jours ? Deux artistes reconnus « coupables » par des fonctionnaires de la pensée « bien comme il faut » ? Pensez-vous que nous vous parlons de la Chine, de l’Iran ou de l’Afrique du Sud ? Non, cela se passe bien en France, en Martinique. Bienvenu en l’an double zéro de la censure au soleil…

MAKABU CHARLY

CENSURÉ À vos aiguilles...

L

’exposition « Spiritualité, rituels et imaginaires de la Caraïbes » a été montée dans le cadre défini par le Symposium international organisé par la Région Martinique (31 oct. - 4 nov. 2011). Ce symposium intitulé « L’héritage africain : mythes, croyances religions et imaginaires », accueille des anthropologues, des historiens et des artistes. L’exposition regroupait les œuvres de treize artistes venus de la Caraïbe, entre autre : Tono AriasPelaez, Manuel Mendive Hoyo, Leroy Clarke et Ras Akyem Ramsay (qui a aussi été censuré). Au bout de quatre

jours, le conseil général décida de fermer l’exposition sans plus d’explication. En regardant de plus près les peintures de Ras Ishi Butcher, il est même difficile de comprendre pourquoi a eu lieu une telle censure. Serait-ce un sexe en érection qui aurait pu choquer une femme de notre époque ? Et bien, il est à souhaiter pour l’art en général, qu’elle ne mette jamais les pieds au Louvre – bordel séculaire de femmes « à poil » et d’hommes « bien membrés ». Mais au fait… combien a coûté cette exposition avortée à la collectivité martiniquaise ? À bon entendeur…

© MK

Peintures de Ras Ishi Butcher, censurées lors de l’exposition « Spiritualité, rituels et imaginaires de la Caraïbe » fin 2011.

Lorsque Charly lance sa marque de vêtements customisés, il pense à la plage de Martinique nommée Makabu. Son concept est à la fois tendance et éco-citoyen : il recycle des vestes de cuir, des blousons et des bottes et les transforme à l’aide de motifs et de broderies. Il récupère aussi des sacs de riz, qu’il découpe et remonte en les recomposant. Mélange de couleurs, de graphisme et de slogans, ses créations à porter ou à accrocher (à voir absolument ses tableaux textiles sur son site) ne sont pas uniquement vintage. Elles montrent cette faculté actuelle des jeunes artistes à mélanger les références sans complexe. www.makabu.fr

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Le Virtuel 2/5

De l’atelier http://youtu.be/UeA789nqns4 page facebook raymond.medelice@wanadoo.fr 08

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Raymond Médélice est sur B>>On le complément multimédia de Boucan

http://boucan-on.jimdo.com/

©Texte et photos R. Médélice

©DR

Né à Paris en 1956, il vit et travaille à la Martinique depuis 1979. En juin 2011, il participe à l’exposition collective « OMA Outre-Mer Art Contemporain » organisée par la Fondation Clément à l’Orangerie du Sénat (Paris).


Champ libre

Je vis le réseau internet comme une extension virtuelle de l’atelier, comme un vecteur de monstration, de partage, et d’échange, à l’image d’une performance qui serait transversale, interconnectée, décentralisée et en temps réel. La variété des publications des internautes – entre autres sur les réseaux sociaux – que ce soit des éléments picturaux, des photos, des textes, des vidéos,

des articles de presse ou des sons, agissent à la manière d’un flux. Les publications générées dans un ordre de thématique précis ou bien aléatoire, sont perçues comme des esthétiques particulières. Les mouvements chorégraphiques du flux journalistique, culturel, hédoniste, narcissique et incantatoire finissent par donner du sens, à cette installation protéiforme, collective et virtuelle.

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© D. Goudrouffe

RETOUR SUR ÉVÉNEMENT

Homard à la « Sauce Chien »

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Cécilia Collomb Chargée de projet

Dans un restaurant désert, H. retrouve C. qui lui a fait parvenir une mystérieuse invitation. Plutôt que de lui livrer d’emblée la raison de cette convocation, C., pêcheur de son état, raconte à H. l’histoire du congre et du homard, deux animaux qui, sous les mers, ont conclu « une association heureuse et honnête ». Au fil de ce huis clos où C. se fait de plus en plus provocateur et H. de plus en plus méfiant, les deux hommes se révèlent l’un à l’autre, s’affrontent et découvrent le pacte qui les lie. Balade dans les coulisses de la pièce avec Cécilia Collomb, chargée de projet…

Pourriez-vous nous en dire plus sur votre parcours ? Après avoir suivi un parcours littéraire, j’ai voulu me former aux métiers du spectacle vivant. Dans un premier temps, j’ai passé un « baccalauréat » (niveau licence en France) en Art Dramatique, critique et dramaturgie à l’École Supérieure de Théâtre à l’Université du Québec à Montréal. Cette formation très complète – j’ai pu étudier l’histoire du théâtre, des dramaturges, travailler sur le son, les lumières, prendre des cours de jeu et fabriquer des marionnettes – m’a permis de comprendre la complexité de ces métiers. J’ai ensuite souhaité me diriger vers le management culturel en entrant à l’IC.COM (Paris), avec une spécialisation dans le traitement de la paie des intermittents du spectacle.


© D. Goudrouffe

À gauche et ci-dessus : Dominik Bernard

Mon but était d’avoir une perception globale du métier de chargée de production. « Textes en Paroles », structure qui promeut les écritures dramatiques contemporaines dans la Caraïbe, était à la recherche d’un chargé de projet pour développer ses actions autour de la promotion des auteurs de théâtre. J’avais le profil idéal pour ce poste.

« CONGRE ET HOMARD », C’EST…

Y avait-il de bonnes opportunités de travail en Guadeloupe en tant que chargée de projet ? Retourner chez moi était important. J’ai grandi dans le milieu artistique et il me paraissait nécessaire d’accompagner les auteurs et les artistes de Guadeloupe dans la diffusion de leurs œuvres et la communication de leurs pratiques… « Textes en Paroles » a été une formidable opportunité de rentrer dans mon île, et d’y apporter mon expertise afin de développer des projets >> Conception : Nicolas Mérault me tenant à cœur.

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Percutant

On ne s’ennuie pas, car c’est une pièce pleine de rebondissements w

Déstabilisant

On sort de ce spectacle en se posant des questions, sur ce qui est vrai, ce qui s’est réellement passé. Est-ce un rêve ? Un meurtre ? Qui est qui ? w

Contemporain

On parle d’un sujet très banal (le trio : mari, femme, amant), et pourtant, la mise en scène et le texte apportent une vraie universalité à cette thématique.

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© D. Goudrouffe

RETOUR SUR ÉVÉNEMENT

Dominik Bernard

>>

Quel est votre rôle dans le cadre d’une pièce de théâtre ? Mon métier consiste, à faire aboutir un projet culturel : depuis la conceptualisation, en passant par la recherche de financement, l’organisation, la diffusion et la communication. Dans le cadre de la création d’une pièce, il s’agit de gérer l’organisation de la création : recherche de lieu de répétitions, diffusion du spectacle, communication autour du spectacle, gestion des budgets de production, contrats des artistes, etc. Il faut une grande polyvalence pour pouvoir mener à bien chacune de ces étapes. Quand cette aventure théâtrale a-t-elle commencé ? « Congre et Homard » est un texte qui

a été sélectionné, lors de l’appel à écriture 2005/2006 par le comité de lecture de « Textes en Paroles ». Ce texte a été mis en lecture par des comédiens à plusieurs reprises. Un premier projet de création a eu lieu en 2010, pour lequel j’ai été sollicitée en tant que collaboratrice artistique. Lorsque « Textes en Paroles » a vu son projet « Écritures d’Îles » validé dans le cadre du programme « Interreg Caraïbes IV », nous avons voulu reprendre la production de ce texte pour offrir au spectateur une version plus aboutie. Dominik Bernard, dans ses intentions de mise en scène, souhaitait notamment intégrer un travail sur la vidéo. Quelles sont les personnes avec lesquelles vous travaillez ?

Équipe artistique et technique : Mise en scène : Dominik Bernard Distribution : Joël Jernidier, Dominik Bernard Collaboration artistique : Cécilia Collomb Création lumière : William Leclercq, Roger Olivier Scénographie : Pascal Catayée, Dominik Bernard Création vidéo : Nicolas Mérault Costumes et habillage sonore : Deka Photos de spectacle : Daniel Goudrouffe 12

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Je suis au cœur du projet. Ma place se situe au centre des différents acteurs : je travaille avec l’équipe théâtrale (comédien, technicien, auteur) mais aussi avec les prestataires (décorateur, imprimeur, entre autre). Je mets en relation les meilleurs partenaires pour une évolution cohérente et efficace du projet. Avez-vous été confrontée à des difficultés pour cette pièce ? La difficulté, malgré les moyens financiers importants dévolus à l’action (fonds européen Interreg Caraïbes IV), est de gérer les aspects de trésorerie associative. Nous ne sommes pas une entreprise avec un fonds de roulement important. Pas facile dans ce cas de faire face au retard de paiement des subventions et de règlement de vente de spectacle, tout en continuant la programmation des actions. C’est un challenge de créer dans de bonnes conditions. À part la scène Nationale de Guadeloupe, il n’y a pas d’espace de création spécifique au spectacle vivant. Les équipes de création répètent dans des salles de réunion ! La plupart du temps, les aspects techniques – lumières, sons, vidéos – ne sont achevés que lors de la diffusion du spectacle, et non pendant la création. Nous sommes fréquem-


© D. Goudrouffe

Joël Jernidier et Dominik Bernard

ment obligés de réduire nos ambitions artistiques pour nous adapter aux lieux et conditions de travail auxquels nous sommes confrontés.

Accompagnez-vous des projets en dehors du théâtre ? Je travaille dans le domaine – assez riche – du spectacle vivant. « Textes en Paroles » accompagne aussi des compagnies de danse, dans le montage de leurs projets. cecilia.collomb@gmail.com

Joël Jernidier

Gaël Octavia Auteure La naissance d’une pièce de théâtre est un processus long et incertain – de l’idée à l’écrit, de l’écrit à la scène – donc je suis agréablement surprise et forcément ravie de l’aventure « Congre et homard ». J’espère qu’elle se poursuivra encore, devant toutes sortes de publics. J’ai voulu que ce texte soit à la fois vaudevillesque et profond, drôle et grave, surprenant et familier. C’est une histoire © M. Ibrahim

Quel est le projet qui vous tient le plus à cœur dans votre carrière ? D’une manière générale, je souhaite mettre en valeur les artistes de nos régions, et permettre l’accompagnement de ces derniers sur un plan professionnel. Il me semble important d’aider à la professionnalisation des compagnies de théâtre et de danse.

© D. Goudrouffe

Quelles sont les qualités requises pour ce type de poste ? Avoir les reins solides, être polyvalent, savoir gérer un budget… Tendre vers l’objectif final, à savoir : mettre en place les conditions permettant au projet de voir le jour, que ce soit sur un plan financier comme artistique.

qui mêle des choses diverses : l’amour, la mort, les notions de dignité et d’identité (ici l’identité masculine)… À travers mes conversations avec des spectateurs après les représentations (en particulier à Avignon), j’ai eu l’impression que la pièce était reçue comme je souhaitais qu’elle le soit : elle fait rire, elle touche, elle ouvre aussi sur d’autres réflexions personnelles. Je suis heureuse surtout que Dominik et Joël aient si bien su donner à mes personnages de papier, le corps, la sensibilité, le tempérament qu’il leur fallait. C’est un beau cadeau qu’ils m’ont fait là.

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© B. Cherilus

© Courtoisie journal Le Nouvelliste

Billy Elucien et le « Foudizè Théâtre »

Les textes d’expression créole de Félix Morisseau Leroy issus du courant de l’ethnodrame, m’ont beaucoup marqué. J’ai choisi cette pièce parce qu’elle m’interpelle. Je n’ai pas la prétention de dire que je fais du théâtre engagé mais mes choix ne sont jamais hasardeux.

« Gwo Moso », d’après « Lodyans » Maurice Albert Sixto de 2007 et 2009

Dans la compagnie « Foudizè », l’écriture des projets est assurée par Nélio Joseph qui coordonne l’association. Mon rôle est d’assurer la mise en scène des spectacles, la direction d’acteur. Les tâches sont réparties et bien définies.

En quelques mots : votre métier de metteur en scène en Haïti ?

Étant un vecteur de communication de masse, le théâtre est utilisé dans le but de sensibiliser, de distraire et de dénoncer. Le public haïtien est habitué aux choses faciles et c’est pour cette raison qu’il ne reconnaît pas encore mon travail. Les comédiens de Foudizè et moi avons suivi des formations en art dramatique, en mise en scène et en administration culturelle, animées tant par des formateurs haïtiens qu’étrangers. Cela nous donne un certain bagage dans l’accomplissement des projets de spectacle.

© D. Elicien

Comment choisissez-vous les pièces que vous montez ?

Le but même du théâtre, de part son étymologie, n’est-il pas de dénoncer ? La mise en scène est un prétexte pour dire à haute voix ce que je pense tout bas.

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Les thématiques sont très variées : le totalitarisme, la protection de l’environnement, l’éducation de la masse paysanne, la valorisation du vaudou comme élément de notre culture. Le point commun est le créole – la langue de l’émotion commune, du franc-parler. C’est un acte conscient pour la valorisation de notre langue.

Que vous apporte dans votre métier, le fait d’avoir d’abord été comédien ?

Mes expériences de comédien sont un atout pour moi dans la gestion du plateau. Cela me donne de la matière dans mon travail avec les comédiens.

Le passage entre jouer la comédie et monter des pièces est-il facile ? J’ai été assistant à la mise en scène de deux spectacles : « Jugement des nègres »

© Courtoisie journal Le Nouvelliste

« Anatòl », Félix Morisseau Leroy, 2009

de la Compagnie Thomas Richard (2002) et « Nwit Moun Fou » de la Compagnie NIFE (2003). « Ri pòtchanm », conte créole de Félix Morisseau Leroy, est ma première création. La mise en scène a été réalisée avec l’assistance de Daniel Marcelin, mon professeur de théâtre et responsable du petit Conservatoire, école de théâtre et des arts de la parole en 2004. Cette même année, j’ai été contacté par la Compagnie « Foudizè Théâtre » pour assurer la mise en scène de leur spectacle.

Il me semble que vous avez créé votre propre compagnie ?

Je n’ai pas été à la genèse de la Compagnie « Foudizè Théâtre ». Je l’ai intégrée trois ans après sa création. Depuis, nous avons fait un bon bout de chemin ensemble…

Quels sont les avantages et les inconvénients de votre profession ?

Le comédien et le metteur en scène n’ont pas de statut en Haïti. Nous sommes considérés, aux yeux de la loi, comme de simples techniciens. Il existe un manque de formation grave dans le domaine. Nous ne sommes que quelques privilégiés à avoir reçu un savoir-faire. L’absence quasi-totale de salles de spectacle et de mécènes dans le pays sont aussi des inconvénients de taille. D’un autre point de vue, la mise en scène me permet de toucher des thématiques qui m’interpellent et que je partage avec les spectateurs. Je souhaite par ce métier participer à l’éducation du public en Haïti.


Festival « Kont anba tonel », Périodicité annuelle

Tournée scolaire « Théâtre et Éducation » depuis 2005

© G. Lecarret & D. Elicien

Nous travaillons sur le 3e édition du Festival « Kont anba tonèl » avec la conteuse franco-haitienne Mimi Barthélémy. Nous espérons trouver les fonds nécessaires pour assurer le succès de ce festival réalisé en partenariat avec la Fokal et l’Institut Français en Haïti.

Projets

Les circoncis de la Saint-Jean

Nous sommes aussi à la recherche de partenaires nationaux ou internationaux, de festivals de théâtre ou de contes dans les pays francophones et créolophones.

Lauréat de la bourse « Visas pour la création, Caraïbe 2010 », j’ai été reçu en résidence de mise en scène à La Rochelle d’avril à juillet. J’ai réalisé des lectures-rencontres à l’événement « Lire en fête » et à la mairie de Pau. © J. Duret

© N. Joseph

© N. Joseph

Nous travaillons sur la 5e édition de « Théâtre et Éducation ». Par ailleurs, j’ai le projet de monter un auteur haïtien de langue française Philippe Lerebours.

« Kilti Timoun », après janvier 2010

© N. Joseph

© G. Lecarret & D. Elicien

THÉÂTRE

Pour plus d’information sur les résidences : www.institutfrancais.com

« Théâtre et Éducation » est un projet destiné aux établissements scolaires publics et privés de Port-au-Prince. Je l’ai développé au sein de la compagnie théâtrale « Foudizè ». Ses objectifs principaux sont d’apporter le théâtre vers d’autres publics et d’inciter les élèves à la lecture.

Billy Elucien en quelques dates… Acteur et metteur en scène, il s’est formé en suivant de nombreux ateliers dirigés par des artistes haïtiens et étrangers, entre autres au Théâtre National d’Haïti avec Daniel Marcelin, Pietro Varasso, Jean-René Lemoine, Chantal Guilbeau, Pierrette Dupoyet et plus récemment Catherine Boskowitz. 2003 : Intègre la compagnie « Foudizè Théâtre » en tant que metteur en scène. 2005 : Mise en scène du conte créole « Ri Pòtchanm » de Félix Morisseau Leroy 2005 : Mise en scène de la pièce « Foukifoura » de Franketienne 2007 : Mise en scène en compagnie de Albert G. Moleon de « Gwo Moso » d’après la « Lodyans » de Maurice Albert Sixto – Festival Quatre Chemins 2008 : Mise en scène du conte créole « Sen Jan » de Félix Morisseau Leroy 2009 : Adaptation et mise en scène du texte créole « Anatòl » de Félix Morisseau Leroy Festival Quatre Chemins 2011 : Mise en scène des contes « Sodo » de F. Morisseau Leroy et « Metrès dlo » de P. Clermont Péan Billy Elucien est l’un des organisateurs de deux manifestations annuelles, le Festival « Kont anba tonèl » premier Festival de contes en Haïti (depuis 2009) et « Théâtre et Éducation » (depuis 2005), séries de représentations théâtrales dans des espaces non conventionnels et en milieu scolaire. http://​foudizetheatre.e-mons​ite.com foudizetheatre@yahoo.fr

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Luc Saint-Éloy 2009

© Y. Mambert

1992

« Trottoir Chagrin », 1992 « Théâtre municipal de Fort-de-France » et 2009 « Théâtre Le vent se lève », Paris © M. Rubinel

Jeannot, le frère de Marlène est mort assassiné sauvagement sur le pavé parisien. Un an a passé, Marlène est devenue prostituée. Ses humeurs espiègles s’étirent dans le soir comme la percée de l’ennemi en terre conquise. Mais cette nuit n’est

© C. Allen

Quelles sont les raisons qui vous ont amenées au théâtre ?

Luc Saint-Éloy dans « Lost heritage » de Christian Lara, 2006

Sans les réseaux, pas d’espace, pas de moyens, pas de diffusion, peu de considération

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J’ai rencontré le théâtre par hasard. J’étais très timide. Au départ, il s’agissait pour moi simplement de combler un grand vide. Puis, par la découverte d’auteurs comme Aimé Césaire, ou de grandes étapes de notre histoire, j’ai compris qu’en réalité cette discipline me construisait. Je me redressais progressivement en ayant accès à toutes mes richesses culturelles. Je prenais conscience que j’avais été privé de l’essentiel, comme la plupart d’entre nous. J’ai vite compris qu’on ne pouvait pas se passer de cette nourriture. C’est l’un des meilleurs moyens de parler de soi, de se « revisiter », et de nourrir l’autre. Le théâtre est un univers immense et un art total ! Je lui dois ce que je suis devenu. Il m’a transformé ! Je sais ce qu’il peut apporter au niveau collectif et individuel.

Pourriez-vous nous parler des auteurs de théâtre qui vous ont influencé ? Je citerais un des meilleurs auteurs contemporains : Bernard-Marie Koltès. Son talent était immense, et humainement c’était un grand monsieur. Il est parti trop tôt.

Votre engagement au théâtre est parallèle à un engagement politique il me semble ? Engagement total, simplement. Je m’y investis sans tricherie, sans hypocrisie. J’y vois même une démarche citoyenne. Le théâtre c’est avant tout, le miroir de la société. Je regarde la mienne avec lucidité.

J’y mets mon énergie. J’y apporte mon coup de pinceau pour la dépeindre. Et je le fais sans calcul. Je ne sais pas si on peut le comparer à un engagement politique. Mais, je ne fais pas dans le politiquement correct, ça c’est sûr !

Avez-vous pu observer des changements dans le « théâtre noir » en 30 ans de carrière ?

Difficile de répondre à cette question en quelques lignes. En positif, peut-être que le nombre de metteurs en scène a augmenté. Et c’est tant mieux ! Mais, nous avons encore du mal à exister. Quand je regarde le paysage national, peu de nos pièces sont programmées et cette remarque concerne aussi cette année de l’Outre-Mer. En très négatif, nous n’avons toujours pas un espace culturel à Paris. Croyez-moi, je ne me suis jamais autant battu pour ce projet. En 1998, avec mon épouse, nous avons pu créer à Pantin, un centre culturel afro-caraïbe ouvert à tous, avec un concept inédit qui répondait à nos aspirations. Ce projet représenta un travail colossal de cinq ans. C’était un chantier extraordinaire. Aucun responsable politique ne pouvait ignorer notre investissement. Nous avions signé une promesse de vente pour acheter un immeuble à la Villette et asseoir définitivement le projet incluant, en plus des ateliers de formation et les activités du Centre, une salle de spectacles et une brasserie. Malheureusement, nous nous sommes trouvés en concurrence avec le projet de l’État. Je n’ai eu le soutien de >>


THÉÂTRE

Luc Saint-Éloy en quelques dates… 1955 : Naissance à Djibouti. Il passera son enfance en Guadeloupe, son île d’origine. 1975 : Luc Saint-Éloy quitte la Guadeloupe pour la France métropolitaine. 1981 : Il s’engage dans la troupe « Théâtre Noir » aux côtés de Darling, Théo et Pascal Légitimus, dirigé par Benjamin Jules-Rosette.

© Y. Mambert

1983 : Il fonde le Théâtre de l’A.I.R (Artistes Immigrés Réunis) avec Marie-Line Ampigny qu’il rebaptisera le « Théâtre de l’air nouveau » en 1986.

pas une nuit comme les autres. Marlène revient sur les lieux du crime. Elle y rencontre un homme mystérieux. Elle l’affronte. « Trottoir Chagrin » est l’espace, ce lieu dans lequel se déroule ce face à face. Deux misères noires dans la nuit parisienne hurlant un monde que la vie n’apprend pas, et qui courtisent La Mort.

© Collection LSE

© Collection LSE

« Les enfants de la mémoire », 1999, « Théâtre de Gennevilliers »

Des extraits des discours de Delgrès, de Toussaint Louverture, des œuvres d’Aimé Césaire de Léopold Sédar Senghor et des chansons d’Eugène Mona sont délivrées par la bouche d’un homme et d’une femme, qui se redressent face au monde, parce que des « bruits » assourdis de plusieurs siècles viennent hanter leur mémoire. Ces « voix » sont peutêtre les ombres du passé… Les ancêtres ne sont pas morts. Ils sont encore dans le souffle de leurs enfants : Ces Enfants de la Mémoire.

1991 : Sa pièce « Trottoir Chagrin » est lauréate du premier concours d’écriture dramatique de la Soif Nouvelle organisé par le Centre Dramatique Régional de la Martinique. Créée en 1992 et diffusée sur France culture (Réalisation : Georges Peyrou). 1992 : « Bang Bang Solo » nouvelle diffusée sur France Culture (Réalisation : Anne Lemaître). De 1998 à 2004 : Création du Centre culturel afrocaraïbe à Pantin. 1998 : « L’appel du 21 juin » pour le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Création d’une fresque historique mettant en scène 450 personnages costumés intitulée : « Les échos de la Mémoire » et « Les Milans du temps » représentant l’Histoire des peuples d’Afrique, de la Caraïbe, de l’Océan Indien, et des Amériques, et qui rassemble plus de 60 000 personnes dans les rues de Paris. 2001 : Membre du premier comité d’expert théâtre de la DRAC Guadeloupe. 2005 : Il crée sa dernière pièce « Combat de femmes » publiée aux éditions Ménaibuc en 2007.

Court-métrage Luc Saint-Éloy a réalisé son premier courtmétrage en 2000, au nom du combat mené avec le « Collectif Égalité » autour des valeurs républicaines. En 2005, il écrit quatre fictions courtes sur la discrimination à l’embauche, qu’il co-réalise avec Foued Mansour pour le compte de l’AFIP à travers un concept intitulé « La barrière des préjugés ». Son dernier court-métrage « Map-Ternité » est tourné intégralement en Guadeloupe en novembre 2007. Il obtient le prix du meilleur court-métrage au Festival « Vues d’Afrique » à Montréal en avril 2008, et le prix spécial du Jury au FEMI 2009 en Guadeloupe. Il prépare actuellement son premier long métrage, intitulé « Trottoir Chagrin », librement adapté de sa pièce de théâtre du même nom.

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Boucan

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© Collection LSE

Luc Saint-Éloy

« Chemin d’école », 1997 au « Théâtre de la Tempête » à la Cartoucherie

Ce soir-là, une chanteuse, dite « La Divine », est en pleine séance de travail dans le sous-sol de son pavillon. Deux jeunes filles (dont celle de l’artiste) entrent et lui signifient qu’elle est retenue prisonnière… L’humour teinte ce huis clos original.

Toit Monde Production

Adaptée du roman de Patrick Chamoiseau, cette pièce nous raconte les premiers pas d’un négrillon qui avait commis l’erreur de réclamer l’école. Le conteur nous convie à suivre l’apprentissage de la langue française à l’école primaire des Antilles des années 60. Le drame se noue du fait de l’inadaptation de l’enseignement dispensé. Traité sur le ton de la comédie, ce spectacle mêlant, théâtre, chant, danse, musique, est d’une émouvante dérision…

>> personne et je me suis résolu

à fermer. Aujourd’hui, rien ne remplace cette structure, le vide est de plus en plus grand. Mais je n’ai pas envie de m’étendre… Il me faudrait plus de temps pour analyser tout ça.

Vous avez un parcours enviable… Y aurait-il quelque chose que vous aimeriez modifier si vous en aviez le pouvoir ? Toit Monde Production, est une société que j’ai créée avec mon épouse, Astrid Siwsanker. Nous proposons aux professionnels des services annexes aux spectacles : costumes, accessoires… Et à destination du public, nous sommes les spécialistes des tenues de soirées en location, en fabrication ou à la vente. Nous avons aussi un département audiovisuel pour la production d’émissions télévisées ou de films. www.toitmonde.com http://youtu.be/qXHmnj8MVRQ

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© Y. Mambert

« Combat de femmes », 2005 au « Théâtre Aimé Césaire » de Fort-de-France

Jeune collégien, on m’apprenait « L’Avare » de Molière. Je l’ai vu avec l’école à la Renaissance joué par la troupe de Jean Le « Bwa Brilé », création en 1996 au « Café de la Danse » à Paris. Poulain : nous étions en 1970, je crois. Aujourd’hui j’ai un fils d’actes forts. Regardez comme les choses qui est en 4e. Il apprend encore « L’Avare ». se sont dégradées sous nos yeux. Je n’ai pas C’est pas normal. On ne se pose pas les le sentiment qu’on ait voulu bâtir. Je n’ai pas vraies questions. Si j’en avais le pouvoir, je le sentiment que l’on veuille faire bouger modifierais volontiers la relation qui existe les lignes. J’ai cru en la révolution culturelle, entre les élus politiques et les porteurs de pour améliorer les comportements, cultiver grands projets culturels. Ils ne sont pas à les différences pour aboutir au Respect. l’écoute des gens de terrain. Ils se privent Mais, on a laissé faire. Il n’y a pas eu de du concours des meilleurs experts dans grande ambition culturelle, ni de projets à certains domaines. Je leur demanderais long terme, nous concernant. On ne nous d’investir encore plus dans le culturel en autorise pas à préparer l’avenir. C’est triste choisissant des projets qui rapportent sur pour nos enfants. C’est comme si nous le long terme. vivions pour ne rien laisser demain. Ça L’expérience est le bâton des aveugles. Le me fait penser à nos créations « mortesgâchis l’a emporté sur le reste. Je n’ai pas le nées ». Je sais que nous pouvons faire de sentiment que les bons choix aient été faits. vrais efforts pour améliorer notre sort. J’ai En trente ans, j’en ai vu des pratiques, j’en souvent très honte… Mais ce serait trop ai entendu des discours, et je n’ai pas noté long à développer ici.



Le groupe 3canal performant la comédie musicale « Jam’it ! ». Costumes de Robert Young en 2010 20

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© J. Hagley

JAM’IT !

THÉÂTRE

« Vous pouvez être vous-même, vous pouvez choisir d’être caribéen et être caribéen est porteur d’un nouveau sens chaque jour ». Robert Young est un des grands designer caribéen. Il vient de Trinidad et Tobago et pratique la technique de « l’appliqué » qui est en quelque sorte sa signature. Il utilise des tissus naturels, mélange des motifs africains, rastafarians et arabisants. Il aime l’expérimentation mais elle ne prendra jamais le pas sur la commodité du vêtement.

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Robert Young // Focus sur JAM’IT !

Robert Young est particulièrement inspiré par des artistes comme CLR James, Peter Minshall, Keith Haring, Lloyd Best, et Christopher Cozier.

http://www.facebook.com/theclothcaribbean http://twitter.com/inside1 www.thecloth.net

Comment et pourquoi avez-vous décidé un jour de dessiner des vêtements ?

© A. Smailes

« The Cloth » a commencé par une collaboration en 1986. Les prix sur les vêtements importés avaient augmenté. Il y avait l’opportunité pour de jeunes talents qui avaient de l’entraînement de créer des vêtements au niveau local. Cette production était destinée aux particuliers. Nous nous sommes rassemblés avec d’autres artistes visuels. Nous avons commencé à faire des vêtements qui portent un message en nous basant sur des tissus et du matériel de Trinidad en abordant les grands problèmes du moment.

Nous essayons de créer des « espaces de création ». Mais nous ne sommes soutenus ni par l’État, ni par les élites, ni par la masse. Nous devons nous battre…

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Pouvez-vous décrire votre style ? « The Cloth » est une ligne de vêtements pour les personnes qui aiment être vues. La « Visibilité » est donc une métaphore : il s’agit de donner la parole et de permettre l’expression dans un espace géographique dominé par des standards et des influences extérieures. Elle se traduit par des combinaisons de couleurs audacieuses, et parfois un volume ou une épaisseur exagérés. La plupart des gens reconnaissent une ligne de vêtements par ses formes et couleurs, même si cela peut sembler un peu limité comme approche. Quelles sont les couleurs et les matériaux que vous aimez utiliser ? Nous ne privilégions

pas de gamme colorée chez « The Cloth ». Le noir est aussi important que le beige ou le bleu électrique. Nous avons tendance à privilégier les matériaux naturels comme le coton, le voile et le lin avec de la soie et du satin, utilisés pour amener un contraste ou accentuer certaines parties.

D’où vous vient votre inspiration ? « The Cloth » n’est pas oublieux des tendances globales de la mode, mais maintient une esthétique forte en dépit de ce qui prédomine. La vibration solaire de Trinidad et Tobago et le mélange dy-

namique de cultures et d’appartenances jouent une influence importante, de même que les politiques de résistance et d’identité.

Comment travaillez-vous lorsque vous devez dessiner un costume de théâtre ?

La plupart des clients qui viennent chez « The Cloth » veulent se différencier. Lors de nos réunions pour décider du design à créer, nous discutons du thème du spectacle et du message que les artistes souhaitent véhiculer. Ma signature stylistique de « l’appliqué » (morceaux de tissus cousus) peut être utilisée de manière littérale comme dans le cas de récentes productions qui nécessitaient des vestes avec des mots. Nous pouvons dans ce cas, par la construction ou l’utilisation de tissus spécifiques suivre le thème de la production pour décliner des styles tout en suivant la ligne esthétique. Je ne collabore pas avec des productions qui cherchent à avoir un contrôle trop lourd sur le design final. « The Cloth » insiste sur l’apport créatif qui naît de la discussion.

Pouvez-vous nous parler de votre marque « The Cloth » ? « The Cloth » a été lancée par Ro-

bert Young, Camille Selvon et Nathalie Phillips en 1986. C’était une époque très politique et cela a conduit notre philosophie du design. Les premières pièces de « The Cloth » arboraient des mots et des dessins sérigraphiés. C’était voyant et différent de tout ce qui existait jusqu’à présent. La marque cherchait à valoriser le talent de jeunes gens, tout en donnant la parole à une génération qui s’identifiait à ses racines locales, et ce dans une perspective globale.

À votre avis, quelles sont les qualités que doit posséder un designer de vêtements ?

Un style clairement défini et un regard fort qui valorise l’esthétique déjà établie de la marque.


© Photos du spectacle Jam’It : J. Hagley

THÉÂTRE

« The Cloth » a été créée en 1986 lors d’une récession économique à Trinidad et Tobago. Les quatre mots fondateurs de la marque sont : Folk (histoires régionales), Revolution (changement), Restoration (économie et environnement) et Integration (intégration). Sous les termes de « folk » et « revolution », on peut englober le travail que Robert a réalisé pour les groupes de carnaval appelés les « mas ». Il a collaboré avec le designer Peter Minshall, vainqueur d’un Emmy Award pour les costumes d’un de ses mas. Il a aussi produit des costumes pour les steelbands : CLICO Sforzata, Phase II pan groove, TCL Skiffle Bunch, Pamberi, Redemption Sound Setters, Invaders, Tropical Angel Harps, Fonclare. Ses vêtements sont fabriqués par des artisans de Trinidad car il est très impliqué dans la vie économique de son île. Il supporte de nombreux projets de développement local tels le « Man to Man project » en 2000, le « United To End Racism (UER) group » à la conférence mondiale contre le racisme des Nations Unies, le « Ymca MENtoring project » de 2003 à 2005, etc. Depuis 2001, il présente sa collection à la Fashion Week de Trinidad et Tobago et à la Fashion Week de la Caraïbe. Sa marque est vendue en Allemagne, à Vancouver, aux États-Unis et dans toutes les îles de la Caraïbe. Parmi les artistes qu’il a habillés, on peut citer : David Rudder, 3Canal et le Cut and Clear Crew, Gillian Moor et Ataklan, Roberta Flack, David Hinds et Roy Hargrove. Robert Young a reçu un Award pour le meilleur costume pour la comédie musicale « Jam it » de 3Canal en 2010.

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© J.-C. Lemasson

© J.-C. Lemasson

Souria ADÈLE

« La véritable histoire de Mary Prince, esclave antillaise », lecture au Théâtre Rutebeuf à Clichy, en 2010 pour la Commémoration de l’abolition de l’esclavage.

Premier témoignage d’une esclave sur sa condition, écrit avant l’abolition de l’esclavage et publié à Londres en 1831, ce récit est enfin traduit en français. Mary Prince raconte avec pudeur et retenue son incroyable odyssée. Née aux Bermudes, ven-

due à l’âge de douze ans, elle est ballotée de maître en maître, d’île en île , jusqu’à Antigua. Puis elle suit son dernier propriétaire en Angleterre où elle demande son affranchissement. Ce témoignage présente un intérêt exceptionnel tant du point de vue politique qu’historique : politique, car le XIXe siècle voit aboutir la lutte pour la suppression de l’esclavage ; historique, parce qu’il nous oblige à entendre une voix que l’on condamnait au silence.

Quel a été le déclencheur de votre orientation vers le jeu d’actrice ? J’ai fait un stage de théâtre avec John Strasberg, le fils de Lee Strasberg, créateur de l’Actor Studio aux États-Unis. J’ai eu le coup de foudre pour cette façon de travailler, très réaliste.

Quelles sont les principales difficultés du métier auxquelles vous avez été ou vous êtes confrontées ?

On m’a très vite fait comprendre qu’avec ma couleur de peau, il ne me fallait pas que je prétendre jouer des rôles d‘avocate ou de médecin. Qu’en somme, je devais aussi me limiter dans mes prétentions financières parce que j’étais une « personne de couleur ». Au bout de trois ans, j’ai décidé d’arrêter cette mascarade.

© G. Léger

Ensuite, vous avez décidé de prendre la plume pour écrire « Marie-Thérèse Barnabé, Négresse de France », comment l’idée a-t-elle émergé ?

Qu’on soit noir, blanc, jaune, bleu, il faut toujours se battre pour sauver sa peau.

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L’idée m’est venue à la suite de la comédie musicale « Barnum », dans laquelle je jouais une vieille esclave (qui était la première attraction que Barnum ait eue quand il a commencé le cirque) et aussi grâce à un stage d’écriture théâtre avec Marie Duccheski et Belkacem Tatem. Quand je jouais Joice Heth, j’avais l’accent créole, je caricaturais le personnage dans son comportement, ce qui le rendait drôle… Je me suis inspirée de ce rôle en décidant d’utiliser l’accent créole (que les blancs aiment tant) pour dire des choses beaucoup plus acides. Seule en

scène, en partie parce qu’économiquement je n’avais pas de moyens financiers pour l’habiller de décors ou payer d’autres comédiens. J’y ai gagné en liberté au final.

Votre spectacle utilise l’humour pour parler de choses graves, il me semble ? On rit beaucoup mais il faut aussi s’interroger sur le pourquoi de ce rire… À vous de me le dire…

Quel a été le retour du public sur cette pièce ?

Au début, les gens venaient me voir et me disaient « Tu n’as pas peur de dire tout ça ? ». C’est vrai que je prenais souvent à partie les quelques blancs qu’il pouvait y avoir dans la salle. C’était très important. En 2002, mon affiche représentait un timbre avec mon portrait en Marianne. À l’époque, c’était osé et j’étais la seule femme noire à faire ça.

Sur quels projets travaillez-vous ?

Je compte monter en 2013 (et c’est demain !) « La Véritable Histoire de Mary Prince, esclave antillaise » écrit par Mary Prince avec le metteur en scène Grégoire Couette. Il s’agit du premier témoignage de cette qualité, écrit par une esclave des Bermudes qui demandera son affranchissement en 1832 à Londres. Elle raconte toute sa vie et c’est extrêmement fort. Il me semble nécessaire que ce texte soit entendu. Je réalise mon premier court-métrage « DIEP and Cie » mais je préfère garder le suspense intact…


THÉÂTRE

Souria se bat pour la défense du créole au Bac dans l’hexagone. Elle demande à ce que les créoles puissent être présentés au Bac en Île-de-France comme cela est possible pour le breton ou le corse. En 2006, elle crée donc avec Tony Mango, le CCBH (Collectif pour le Créole au Bac dans l’Hexagone). Son militantisme a payé puisque depuis 2011, il est enfin possible de passer les créoles martiniquais et guadeloupéens au Bac en obligatoire et facultatif dans la capitale. http://www.creoleaubacdanslhexagone.org/

© R. Pidéry

Le créole

© F. Furey

Souria Adèle en quelques dates…

« Marie-Thérèse Barnabé, Négresse de France » 2002, au Théâtre du Splendid Lors d’un stage d’écriture théâtrale avec Maria Duccheski, Adèle Souria prend conscience de l’importance de la plume et va écrire son premier spectacle, « Marie-Thérèse Barnabé, Négresse de France ! ». Dans ce spectacle, elle reprend les traits d’une tatie martiniquaise pour raconter de façon humoristique ses déboires en France hexagonale. Le personnage va apparaître sur scène pour la première fois au Théâtre de Charenton en avril 2000 dans le show « Les drôles de Négresses » devant un public essentiellement antillais et c‘est un succès. Le spectacle commence à vivre à Bagneux, au Café de la Gare, à la Comédie Bastille, à deux reprises au festival d’Avignon et dans de nombreux autres festivals. Grâce à Marie-Thérèse Barnabé, Souria Adèle va enfin pouvoir vivre de son art alors qu’elle était prête à renoncer. Depuis 2002, elle a obtenu grâce à ce show plusieurs prix : - Prix du festival de l’humour de Bagneux (2002) - Prix du tremplin de l’humour de Clichy-sous-Bois (2005) - Prix du public du festival de Villard de Lans (2007) http://youtu.be/JFDp_0LqwSk

Comédienne, chanteuse et écrivain, elle crée la compagnie « Man Lala » avec des amis, structure dont elle est la responsable artistique. La compagnie a pour objet d’aider et de promouvoir les talents afro-caribéens dans l’hexagone. Souria Adèle réalise aussi des doublages pour des longs-métrages et des séries. 1993 : « Barnum » comédie musicale mise en scène par Jean-Pierre Lucet Interprétation de Joice Heth et de la chanteuse de blues (Théâtre des Célestins) 1994 : « Arturo Ui » mise en scène de Jérôme Savary au Théâtre de Chaillot 1995 : « Alex ou le livret des rêves » comédie musicale pour enfants - Cie Boomerang à l’Espace Jemmapes et au Théâtre de l’Européen 2000 : « Les drôles de négresses » extraits de Marie-Thérèse Barnabé de Souria Adèle. Mise en scène de Luc Saint-Éloy au Théâtre de Charenton et tournée aux Antilles 2002 : « Marie-Thérèse Barnabé - Négresse de France » de Souria Adèle (Tournée au Café de la Gare, à la Cartoucherie, à la comédie Bastille) 2003 : « Impair et père » de Ray Cooney, mise en scène de Jean-Luc Moreau. (Tournée) www.souria-adele.com souria.adele@dbmail.com

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Hervé Beuze

© DR

Comment votre collaboration avec le théâtre a-t-elle commencée ?

J’ai eu la chance de pouvoir travailler en tant que stagiaire, à l’atelier théâtre du SERMAC, dirigé par Lucette Salibur. Elle m’a d’abord confié la réalisation des accessoires pour des pièces de ses compagnies « Le Théatre du Flambloyant » et le « Now Téat ».

Quels sont vos matériaux de prédilection et pour quelles raisons ?

J’aime particulièrement travailler avec la mousse, le rotin, le tissu, le bois et les tiges métalliques. Ma priorité étant de concevoir des objets solides, légers, faciles à porter ou à manier. De manière générale, tous types de matériaux peuvent être utilisés en fonction de l’effet recherché par le metteur en scène, mais également en fonction des normes de sécurité.

Quelle est la pièce que vous a demandé le plus de travail et pourquoi ?

Sans hésiter, je répondrais : les deux automates géants d’un spectacle pluridisciplinaire du SERMAC pour la commémoration du 21 mai 2008. Il m’a fallu créer des techniques spécifiques pour la construction de l’armature et le revêtement des corps. Ensuite, j’ai dû me pencher sur les mécanismes de simulation de la marche.

Qu’avez-vous retiré de votre expérience plastique avec le théâtre ?

Le théâtre, par son organisation intrinsèque, favorise la capacité à travailler en groupe. Or en tant que plasticien, j’étais plutôt habitué à créer en solitaire. Elle m’a aussi amené un enrichissement technique, grâce à l’utilisation et la recherche de matériaux et de techniques diverses. Cela a été très profitable pour l’évolution de mon vocabulaire plastique : forme, couleur, texture… Enfin, j’ai maintenant la capacité de réaliser des installations et des œuvres surdimensionnées tout en gardant une bonne gestion de l’espace.

Costumes et décors « Bwa pwadou », spectacle enfants réalisé avec l’association Bèlosart (2003)

Quels sont vos projets actuels – en rapport ou non avec le théâtre ?

En ce qui concerne le spectacle vivant, je travaille sur la conception d’accessoires pour le SERMAC en mai et juillet 2012. Pour ce qui est de ma démarche plastique, je prépare une résidence sur l’île de Gorée au Sénégal. herve.beuze@gmail.com Membre de l’équipe de réalisation du « Chien fè » de Joby Bernabé, RAAP Caraïbe (2007)

Scénographie de la commémoration du 22 mai place Abbé Grégoire (Fort-de-France), 2008 Réalisation de deux marionnettes géantes : Ogun et Shango

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© Photographies et dessins de la double page : H. Beuze

THÉÂTRE

Costumes et accessoires « La ka atan’ Godot » Lucette Salibur au Théâtre du Flamboyant (2002)

Hervé Beuze en quelques dates…

Marionnettes de la pièce « Mamiwata » de Lucette Salibur au Théâtre du Flamboyant (1999)

Scénographie et marionnettes : « Pourquoi l’eau de mer est-elle salée ? » écrit par Ina Césaire, mise en scène et comédien : Jacques-Olivier Ensfelder (2004)

1970 : naissance en Martinique 1990-1997 : obtient le DNSEP à l’IRAVM - Institut Régional d’Art Visuel de la Martinique 2011 : Professeur de volume à l’IRAVM et artiste plasticien, travaille en Martinique --------------- EXPOSITIONS 2009 : « Mes Martiniques », Galerie A. Arsenec (C.M.A.C) 2007 : « Matrices », Case à Léo - Fondation Clément 2003 : « Machinique », Musée de la canne Trois-îlets DRAC, XXXVIIe congrès de L’AICA Caraïbe sud 2001 : « Lizin Kann », Centre culturel départemental de l’Atrium --------------- CRÉATION D’ACCESSOIRES 2008 : Scénographie de la commémoration du 22 mai place Abbé Grégoire (Fort-de-France) Réalisation de deux marionnettes géantes : Ogun et Shango 2007 : Membre de l’équipe de réalisation du « Chien fè » de Joby Bernabé, RAAP Caraïbe 2006 : Décors et accessoires de la pièce « Agouloulan » de Bérard Bourdon - Atrium 2004 : Scénographie et marionnettes : « Pourquoi l’eau de mer est-elle salée ? » écrit par Ina Césaire, mise en scène et comédien : Jacques-Olivier Ensfelder 2003 : Costumes et décors de « Bwa pwadou » spectacle pour enfants, Association Bèlosart 2002 : Costumes et accessoires « La ka atan’ Godot » Lucette Salibur, au Théâtre du Flamboyant 2000 : Réalisation marionnettes de « La clef d’or » de Sylvie Joko - Association Créatif - CDRM 1999 : Marionnettes de la pièce « Mamiwata » de Lucette Salibur, au Théâtre du Flamboyant

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© Photos de l’article : courtoisie de l’artiste

ESPACE

L’espace représenté

in ex L

Paysages Armando Mariño

Plusieurs expositions solos à son actif que ce soit aux États-Unis ou en Europe, font d’Armando Mariño un peintre déjà reconnu dans le milieu de l’art et des collectionneurs. Peintre d’origine cubaine, mais vivant à New York, il développe sa réflexion actuelle autour de l’espace. Cette notion a toujours été présente, plus ou moins implicitement dans son œuvre qui regroupe, peintures, dessins, et installations. Rencontre en trois dimensions…

Ensemble d’œuvres d’Armando Mariño, mises en scène par « Boucan » Ci-dessus « Plus loin » au Wifredo Lam Center de la Havane, 2002 Ci-contre « Oval Oval Office Pipeline » 2009, Panamerican Art Projects (États-Unis)

-térieurs «

a seule chose sacrée est l’acte pictural ». Le ton est donné, nous avons affaire à un peintre particulièrement préoccupé par l’acte de peindre et d’une manière générale par l’espace pictural. Dans sa peinture, la représentation et le contenu sont deux concepts qui se mélangent en permanence, qui se glissent l’un dans l’autre. Car la peinture est une fin en soi, contrairement au design ou à l’architecture, qui nécessitent de réaliser ou de concrétiser une fonction spécifique indépen>> damment de leur forme.

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ESPACE

SALON

« Vue ouverte », huile sur toile. Collection privée, 2007 (Porto Rico)

ESPACE INTÉRIEUR

« Les contes de Tervuren », installation, 2007.

Grusenmeyer Art Gallery Deurle (Belgique)

Seconde partie de l’exposition, consistant en une installation faite d’objets et de meubles appartenant au propriétaire de la galerie. Ce « pachyderme d’objets » comme un éléphant d’Afrique projette une vidéo au mur. Enregistrée en Belgique, elle montre des Belges parlant du Musée Tervuren et de ses collections. C’était l’opportunité, une fois de plus pour l’artiste, d’établir une connexion entre art et contexte. En effet, sa dernière exposition personnelle en Belgique, lui avait déjà permis d’aménager une relation entre la colonisation belge du Congo, le musée Tervuren et la galerie « Grusenmayer » dans laquelle avaient été exposées les œuvres.

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Armando a réalisé cette série pour une exposition prévue dans la galerie « Fernando Pradilla » en Espagne. Elle cristallise sa réflexion sur le désastre. Le peintre revient sur les idées de chaos et de catastrophes naturelles. En ce basant sur les intérieurs de maisons abandonnées par leurs occupants, après Katrina, il donne à voir la perte de tout, le combat de la nature contre l’homme. Mais plastiquement, ces images lui ont aussi servi à développer, tout un arsenal de techniques et d’effets picturaux. Dans plusieurs de ces œuvres se mélangent l’abstrait et le figuratif. La peinture et le pictural dans toute leur splendeur... Le peintre a toujours été attiré par l’architecture, c’est pour cette raison que depuis quelques années, elle intervient dans ses œuvres. Henri Van Lier postule que dans notre relation au monde, l’architecture serait prénatale parce que c’est un « espace englobant, une matrice

différenciée et étendue à la mesure de nos actions ». Pour Armando Mariño, « prénatale » parait excessif parce que l’architecture est quand même créée par l’homme. Si Van Lier se réfère a une espèce d’utérus, alors on pourrait dire que c’est un utérus fragmenté, dissemblable et pas si confortable. Il semblerait que cela soit plus une aspiration de l’architecture qu’une réalité. Dans de nombreux cas, l’espace architectural n’est pas fait à la mesure de nos actions. Il suffit de penser à l’architecture fasciste, aux églises, ou encore à l’architecture communiste, qui sont des espaces créés pour terroriser ou subjuguer l’homme. Cet espace d’intérieurs représentés se trouve aussi à l’intérieur des limites du cadre, de la structure. Le peintre intègre les limites physiques de la toile et la rigueur du cadrage comme des éléments décisifs de la création de ses peintures. Le recul face à l’œuvre est primordial, car en travaillant fréquemment sur des grands formats, il est important


CHAMBRE

«

À distance, certaines pièces peuvent être perçues comme des peintures abstraites. Lorsque le spectateur, s’approche, l’horreur se révèle avec une douce ironie.

»

« Croix Rouge », huile sur toile, 2006. De Nederlandsche Bank Collectie (Hollande)

qui la caractérise. L’homme n’est qu’un élément de plus dans la scénographie. Avec la prédominance de l’espace naturel ou architectural, il abandonne, l’homme en tant qu’individu supérieur, ayant une volonté de visibilité égotique pour le remettre à sa place véritable, dans la chaine de l’évolution. Il s’avère alors, que le véritable protagoniste du tableau se trouve être la lumière. La lumière et son absence (sites pétrochimiques et visions urbaines nocturnes) créent une dramaturgie qui symbolise le drame humain. Il y a un vague relent d’Edward Hopper, dans les couleurs, les espaces vides ou simplement peuplés de silhouettes fantômatiques. Mais Armando Mariño se réclame aussi d’artistes européens tels Édouard Monet, Gustav Klimt et plus récemment Peter Doig, Daniel Richter, Anselm Kiefer ou Neo Rauch.

« Seul », huile sur toile. Collection privée, 2006 (Paris)

L’HUMAIN L’homme a longtemps été l’une des préoccupations première du peintre (voir encadré). Dans cette nouvelle approche, il n’y a pas de discrimination entre l’espace et le sujet. Le traitement pictural de la figure tend à la fondre à l’architecture. L’être humain est vu comme une trace, une apparence, fragile et dépourvue de tout le pouvoir

« Peinture sur peinture sur sac », installation, 2000

Le récurrent « homme noir en short » est un ancien travail. Cette figure ne représente pas seulement l’artiste (qui porte une identité raciale mixte) mais aussi le concept de « l’autre ». Au lieu de marcher dans les rues de La Havane, cet homme noir explore les canons de l’art occidental. Armando le mélange à des œuvres d’artistes reconnus (Duchamp, Koons, Picasso) et crée des saynètes inédites. Cet espace fictionnel à la Woody Allen, nous montre une approche sarcastique de l’art comme espace de pouvoir et d’exclusion.

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Boucan

© Photos de l’article : courtoisie de l’artiste

que le spectateur se trouve à distance. De cette manière, il prend conscience du tableau et de ce qui est représenté. Dans le cas de ses installations, évidemment, nous sommes en face d’un espace théâtral avec lequel le spectateur se mélange et est englobé. L’échelle, les lumières et les objets forment la trame fictive nécessaire pour communiquer l’idée qu’il souhaite développer.

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ESPACE

CORRIDOR

« La rivière », huile sur toile, 2009.

ESPACE TRANSITOIRE

« La Patera » (The Raft), installation. Biennale de La Havane, 2003 (Cuba)

Le mot « patera » est utilisé en Espagne pour désigner les radeaux qu’utilisent les immigrés d’Afrique du Nord pour traverser la mer Méditerranée. Cette œuvre est charnière dans la carrière de l’artiste car avec elle, il abandonne la narration des aventures de « l’homme noir en short ». Il revient à l’idée de l’île, en faisant directement référence à Cuba. Le type d’automobile qu’il met en scène est d’origine américaine et les paires de jambes nous rappellent l’art créatif du recyclage à Cuba. D’un côté, nous avons le prestige social et de l’autre l’absence de progrès technologique : l’accélération est impossible.

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L’espace transitoire est un espace, que l’on traverse, pour aller d’un point à un autre et avec une certaine intention. L’homme n’y est plus une pâle apparition. Au contraire, il fait vivre ce lieu par son déplacement. Ces passages que représentent le peintre, sont loins d’être accueillants : couloir marin emprunté par les boat people, couloir terrestre parcouru à pied faute de moyens. Ici l’espace parle de précarité, de débrouillardise, mais aussi d’espoir. Et surtout, il intègre la notion de temps. Car, en le traversant, l’homme non seulement s’inscrit dans le temps mais a aussi cette ambition de pousser-tirer son passé vers un futur qui serait plus clément. La transition implique une métamorphose réussie ou un échec qui peut mener jusqu’à la

mort. Le passage nécessite un effort de l’homme, une certaine résistance, l’évaluation de ses limites, et c’est peut-être pour cette raison qu’il a quitté son apparence éthérée pour se corporaliser.

« Paradis personnel », installation. Marcelino Botin Foundation, 2002 (Santander, Espagne)


JARDIN

« Maison verte », aquarelle sur papier. PanAmerican Art Gallery, 2008 (Miami)

Curieusement Armando n’a pas de formation en dessin d’architecture, mais il a étudié l’architecture et son histoire dans le cadre de ses études. Cette discipline le fascine et c’est une des autres raisons pour lesquelles New York l’attire spécialement. Dans cette série, les maisons sont isolées de leur contexte et placées sur un fond blanc. Cette technique picturale évite que le spectateur ne soit perturbé par le fond. Il peut alors centrer toute son attention sur l’objet-maison. Les dérivations symboliques ou conceptuelles de cette procédure sont infinies et il est vrai que l’on peut, dans certains cas, ressentir l’idée d’une lévitation, d’une nonplace, d’un non-lieu. Or, la maison est le lieu primitif, où se forment l’être social, la famille, le lieu où l’on retourne toujours. C’est l’endroit où l’on grandit. Sa valeur symbolique est incommensurable. Une maison détruite signifie la perte de tout son passé, de son identité. La perte du refuge aussi. Le peintre mélange fréquemment l’artefact (élément construit par l’homme) et la nature. Dans ce cas

«

À l’âge de la reproduction digitale, l’acte de peindre est devenu, indépendemment de son contenu, un acte symbolique en lui-même.

»

précis, les images à partir desquelles il a peint ces maisons, sont des photos de désastres naturels. La maison se fait nature et vice-versa. Les catastrophes mettent en lumière d’une manière évidente la fragilité de l’homme. La faillite du rationnel face au naturel. Le triomphe du chaos sur l’ordre. L’entropie. L’ordre établi par l’architectonique se trouve totalement effacé quand les forces naturelles se déchaînent. Certaines de ces maisons viennent de la Nouvelle Orléans lors du passage de Katrina. D’autres sont issues du tsunami en Indonésie et en Asie. Par l’utilisation du support photographique pour réaliser toutes ses œuvres, le peintre est en prise directe avec l’actualité.

« L’Amérique forant 1 », huile sur toile, 2009. Panamerican Art Projects (États-Unis)

Ces peintures ont été réalisées en 2009 pour son exposition personnelle à la galerie « PanAmerican Art Project » de Miami. C’est le résultat d’une longue réflexion sur la dépendance énergétique de la société nord américaine. La galerie est d’origine texane, et ses propriétaires sont d’une certaine manière connectés avec le monde du pétrole. Les structures pétrolières ont inventé un type de paysages qu’il est impossible de séparer du paysage naturel (désert, montagnes, etc.) dans ses endroits comme le Texas ou le Moyen Orient. Que nous le voulions ou non, elles seront une des multiples preuves de notre existence après notre disparition de la Terre.

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© Photos de l’article : courtoisie de l’artiste

ESPACE EXTÉRIEUR

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ESPACE

CUISINE

>>

« Le trou », huile sur toile, 2006. Galerie Jean Brolly (France)

TECHNIQUE Bien qu’il ait pu étudier toutes les techniques, Armando Mariño préfère, de loin, la peinture, pour laquelle il a été mieux formé. Il pratique aussi la sanguine, les pastels et l’aquarelle. Son rapport à l’aquarelle est chromatique, il ne l’exploite aucunement au niveau de la transparence. Il s’en sert en fonction de ses intérêts expressifs. En tant que peintre, il n’hésite pas à rejeter les clichés que l’on attribue à certaines techniques picturales. Ses aquarelles sont denses et vibrantes. Lorsqu’Armando découvre une image qui l’intéresse, que ce soit pour son thème ou pour sa capacité à devenir une peinture, il com34

Boucan {Avril

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mence sa toile. Il travaille par addition, soustraction, coupant, collant et appliquant ensuite les couleurs de diverses manières, pour en expérimenter les possibilités chromatiques. Il préfère l’huile et en général, c’est l’image qui va lui dicter le format de la toile, bien qu’il ait une prédilection pour les grands formats. Le plus difficile pour lui est de se retrouver devant la toile vierge et de choisir la première couche de couleur qu’il va appliquer. Lorsqu’il travaille, il ne pense jamais à l’utilisation de la perspective alors qu’elle est présente dans pratiquement tous ses travaux récents. La cause en est qu’il utilise des photographies qu’il trouve dans les magazines ou sur internet. En-

«

Les matériaux doivent être utilisés pour étendre nos possibilités d’expression en tant qu’artiste.

»

suite, il définit son espace pictural en fonction de la couleur et des relations chromatiques. Il n’utilise jamais le modelé pour amener une illusion de profondeur. Au niveau de la représentation, il mène une recherche globale, dans laquelle est absorbée la combinaison de l’abs-


« La nuit à l’intérieur de la maison du peintre », huile sur toile,2006. Collection privée, Paris

« Mustang recyclée », pastel sur papier, 2010

Il ne s’agit pas de symboles, mais bien plus d’une association d’idées qui convergent et qui produisent une nouvelle signification. L’absurde joue un rôle fondamental, il capte l’attention en premier lieu, puis fait réfléchir. Armando n’utilise pas un langage codifié. Ses images sont des représentations réalistes dans la plupart des cas. il a juste besoin d’un spectateur intelligent et surtout patient. Il se pose la question de la disparition de l’humanité. Qu’aviendrait-il de la nature ?

« Le panda qui ne pouvait pas parler », pastel, 2010

Quels objets resteraient et comment seraient-ils intégrés à ce nouveau monde sans homme ? Jusqu’à quel point, ce qui est construit par l’homme, c’est-à-dire la culture (matérielle dans ce cas) est naturelle, s’intègre-t-elle ou détonne dans la nature ? Ce sont toutes ces questions qui ont motivé cette série. Avec une teinte politique parfois, comme le Panda rendu muet par son scotch rouge sur la gueule, référence directe à la liberté d’expression en Chine.

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© Photos de l’article : courtoisie de l’artiste

trait et du figuratif. Il désintègre l’image figurative par la couleur et impose l’absence de références spatiales. C’est un acte inconscient, comme une pulsion picturale qui le pousse à détruire la représentation traditionnelle de l’espace à la recherche d’une plus grande liberté expressive, qui puisse le libérer de la tyrannie du concept ou de la littéralité. Enfin Armando, retravaille les images qu’il trouve sur des logiciels comme photoshop. L’image est modifiée et convertie en une surface ambigüe oscillant entre l’abstrait et le figuratif. Le logiciel est un outil, qui permet d’avancer rapidement en direction des solutions picturales recherchées par le peintre.

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COMBLE

« Venant de nulle part », huile sur toile. 2006 (Galerie Jean Brolly, France)

Un homme, debout en haut d’un escalier s’apprête à descendre d’un immeuble qui n’existe plus. Immobile, pétrifié comme une statue, il nous renvoie au silence et à la solitude. Nous sommes dans l’après-bombe ou après-ouragan, dans un paysage urbain pouvant être emprunté au photo-reportage.

© Photos de l’article : courtoisie de l’artiste

ESPACE

ARMANDO MARIÑO Le peintre s’est pris de passion pour l’art dès l’enfance. Son père était ingénieur en mécanique, et aimait beaucoup dessiner. Quant à son grand-père paternel, il restaurait les églises de Santiago de Cuba, ville dans laquelle Armando est né. Sa famille est essentiellement composée de scientifiques, de docteurs et d’ingénieurs. Sa mère est physicienne, ses oncles chimistes, vétérinaires, etc. Une famille dédiée aux sciences en quelque sorte. Il a suivi des études à la faculté d’éducation artistique de l’Institut supérieur pédagogique José Varona. Cette formation permet à la suite d’enseigner l’art dans les écoles. L’institut pédagogique lui a peu apporté au niveau de sa carrière artistique, en ce qui concerne la technicité et la variété des techniques artistiques, car il venait de finir un cycle de sept ans à l’École d’art de Santiago de Cuba. Il faut savoir qu’à Cuba, l’éducation artistique commence dès le plus jeune âge, si bien que la personne qui le souhaite peut réaliser un cycle complet de douze ans d’études artistiques. L’institut a toutefois donné une meilleure amplitude à ses connaissances théoriques de l’art. Ayant une démarche plus intuitive que conceptuelle, il sent lorsque 36

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« Maison brumeuse », huile sur toile, 2008

la toile est finie. Alors il se retient. Pour cette raison, il revient sur la même image à maintes reprises et en réalise plusieurs versions. Toute peinture est un acte manqué, une tentative entre ce que l’on veut et ce qui sort, et par conséquent jamais se termine. Et il demande la même exigence au spectateur : en créant une tension dans ses tableaux pour communiquer une idée, il postule que celui-

Armando Mariño 1968 : Naissance à Santiago de Cuba. 1980-1987 : École provinciale d’art Joaquin Tejada (Santiago de Cuba) 1987-1992 : Faculté d’Éducation Artistique de l’Institut Supérieur pédagogique Enrique José Varona (La Havane, Cuba) 2004-2005 : Rijksakademie van beeldende kunsten. Amsterdam, Hollande EXPOSITIONS PERSONNELLES : 2012 : « Peintures récentes de l’année du manifestant », galerie The 8th floor (New york)

ci soit apte à monopoliser sa capacité à regarder et sentir. S’il devait définir quand se termine la peinture, et bien ce serait lorsqu’elle quitte son studio et qu’elle est accrochée dans une autre maison. Alors qu’est la peinture ? « Une fenêtre par laquelle nous regardons une portion du monde visible » comme l’écrivait Erwin Panofsky ?
 C’est possible… EXPOSITIONS COLLECTIVES : 2011 : • « The (S) Files », biennale du Musée del Barrio. (New York) 2010 : • « Sans masque » Johannesburg Art Gallery. Johannesburg, Afrique du sud. • « Chéloïdes », Mattress Factory Museum. Pittsburg, Pennsylvanie • « Synergies », Latinamerican Art in Spain. MEIAC. Badajoz (Espagne) 2009 : • « Pérégrination ». Arte en la Ermitas de Sagunt. Valencia (Espagne) • Cuban Avant-garde : Contemporary Cuban Art from the Farber Collection. Lowe Art Museum. Université de Miami, Floride • « Chéloïdes », Centre Wifredo Lam, La Havane.

2007 : • « Les contes de Tervuren », Grusenmeyer Art Gallery Deurle, Belgique • « Intérieurs », Fernando Pradilla Gallery, Madrid, Espagne

2008 : • « Déconstruction », Hof & Huyser Gallery, Amsterdam, Holland Farber Collection, Jordan Schnitzer Museum of Art, Californie • « Visions publiques, Visions privées », Musée d’Art Contemporain de Vigo, Espagne • « Quelque chose et quelque chose d’autre », Exposition Oce Art Foundation au Museum Van Bommel van Dam, Venlo Hollande

2006 : • « Crash/Clash », Hof &Huyser Gallery, Amsterdam, Pays-Bas • « La nuit à l’intérieur de la maison du peintre », Galerie Jean Brolly, Paris, France

aserecuba@hotmail.com www.armandomarino.com http://youtu.be/zW5myCoRrmo http://youtu.be/74AGT89WKIw

2009 : « Amérique forée ». Pan American Art Projects Miami, Floride



POÉSIE

[poezi-peyi] Q © A. Bardail

uelle est votre formation initiale ? J’ai fait des études de comptabilité. Je suis fan des chiffres à la base. Je me suis ensuite orienté vers le socioculturel en me spécialisant dans la conception de projets. Je voulais faire bouger les choses. J’ai donc exercé comme directeur adjoint d’une des plus importantes maison de quartier de la Seine Saint-Denis.

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Quelles sont les circonstances qui vous ont amené à la poésie ? Je pense que j’ai toujours été poète. Cependant, quand on est élève, le système éducatif tente de vous caser dans une filière littéraire ou scientifique. Au collège, j’écrivais déjà des lettres poétiques que mes amis s’appropriaient pour séduire les filles. Par la suite, arrivant au lycée j’ai eu

un déclic pour la lecture. J’ai dévoré la littérature antillaise découvrant la beauté des œuvres créoles. C’est à cette époque que j’ai publié mes premiers textes poétiques dans des ouvrages collectifs réalisés par le poète Claude Danican. La poésie s’est imposée au fur et à mesure. Après avoir multiplié les écrits personnels, je me suis décidé à les partager avec le public. Quel poète êtes-vous ? Je suis un passionné de la beauté des mots. Chaque mot est une porte sur un univers différent. Chaque vers est un coup de fouet vers l’inconnu. Je suis un poète libre avant tout, qui se laisse envahir par son histoire. Certains diront que beaucoup de mes textes sont engagés. Il me semble que ce n’est pas le poème qui défini l’engagement mais bien le lecteur, à travers ce qu’il est.


BIBLIOGRAPHIE • Auteur de recueil de poésies : « Larmes des mots », Éditions Nèg Mawon 2009

Didyer Mannette est un « marqueur » de mots de la commune de Morne-à-l’Eau. Il est le fondateur des « Éditions Nèg Mawon » et œuvre pour la diffusion de la poésie en Guadeloupe. Quels sont les thèmes que vous abordez dans votre écriture, vos sources d’inspirations ? J’écris sur tous les sujets de l’amour à l’identité, en passant de la culture à la vie. La vie est belle et les mots aident à vivre, au-delà des maux. Mais j’avoue que notre histoire d’Homme guadeloupéen, caribéen, antillais, noir, somme d’une addition de cultures et de terres me touche particulièrement. « Je suis noir, non pas black au goût rak. Je suis fils de viol temporel… » Quel est votre état d’esprit lorsque vous écrivez ? Mon état d’esprit !!! (sourire) Je cesse d’être moi pour m’inscrire au-delà d’un simple être de chair et de sang. Je deviens infiniment petit ou infiniment grand. Je deviens l’universel et mes mots sont des courants d’air qui refroidissent,

qui réchauffent et qui doivent permettre aux lecteurs de se retrouver. J’aimerais qu’ils permettent à l’Homme d’être humain. Que souhaitez-vous transmettre à vos lecteurs ? L’envie !!! Lire la poésie pour certains peut paraître barbant, voire inutile. C’est pour cette raison que nous, poètes, sommes considérés comme parents pauvres de la littérature. Or la poésie est aussi paradoxalement la base de toute littérature. Je disais donc, l’envie de croire, de vivre, d’exister. La poésie, quand elle vous trouve ou du moins quand vous la laissez vous toucher, vous permet d’exister et vous arrache un sourire de plaisir et ceci même quand elle est douleur. On vous dit « marqueur » de mots, pourriez-vous nous en dire plus ? Marqueur de mots est un créolisme qui montre l’encre dans laquelle je trempe ma plume. Je suis créole et même en écrivant dans la langue de Molière, mon rythme est celui d’un poète créolophone. Le marqueur de mots écrit ses origines, ses racines, ce qu’il est. En tant que poète guadeloupéen où vous placez-vous entre l’écriture et l’oralité ? J’ai la chance de déclamer souvent devant des publics de scolaires, >>

• Œuvres collectives : « Perles de mots pou Manman Gwadloup », Éditions Aliage, 2007 « Ka mots poétik », Éditions Aliage, 2005 • Membre fondateur du Réseau Poétique Guadeloupe Association ALIAGE (Alliance pour la Libre Initiative d’Activités Générales et Éducatives), groupement artistique visant à démocratiser la poésie, et à promouvoir une poésie antillaise et créole. Mise en place de spectacles poétiques sur le territoire de la Guadeloupe, de l’hexagone et de l’Afrique francophone (Sénégal) • Membre de la Société des Poètes Français, association fondée en 1902 reconnue d’utilité publique dont la mission est de promouvoir la poésie de langue française. (2009) • Créateur de concours de poésie comme le Trophée de poésie du Nord Grande Terre Guadeloupe –­ 2010

http://www.reseau-poetique.com/

© DR

© A. Bardail

« Mots de couleur », Éditions Nèg Mawon 2006

Didyer Mannette et Jean-Louis Bonit du réseau poétique

{Avril

2012}

Boucan

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POÉSIE

Didyer Mannette lors d’une représentation du réseau poétique >> d’adultes, de connaisseurs ou de

non-initiés. Certains de mes textes ont la vocation d’être dits. Après avoir entendu vibrer mes mots, l’écoutant doit, selon moi, partir en quête de… lui-même. Déclamer devant un public représente un instant de partage. Entendre le rythme du poète permet d’avoir accès à ses émotions et ses ressentis. D’ailleurs, on retrouvera bientôt certains de mes textes en chanson. Mais avant tout, le travail d’écriture est la base de mon art. Comment élaborez-vous la composition de vos recueils ? Le travail d’écriture est toujours difficile puisque le poète écrit d’abord pour lui mais qu’il ne peut omettre ses lecteurs. Écrire un recueil est un travail long. A l’instar de certains écrivains, je suis perfectionniste. Je produis beaucoup ; s’en suit le périlleux moment du choix. Il y aura les publiés, les non publiés, qui paraîtront peut-être un jour, et les autres qui finiront dans un fichier de mon ordinateur. Après cette phase, le comité de correction donne son avis, le graphiste présente sa vision, il ne reste plus qu’à espérer que le lecteur sera séduit. Il me semble que vous avez créé une maison d’édition…

40

Boucan {Avril

2012}

Les « Éditions Neg Mawon » est au départ une aventure de promotion de la poésie. Nous n’en sommes qu’on début du périple car nous commencons réellement à nous structurer. En effet, l’univers du livre n’est pas simple et encore moins facile. Notre volonté à Catherine Manne, Angélique Désirée, Stéphane Ouradou et moi-même – respectivement associée, correctrice, graphiste – est de faciliter l’accès à la publication d’œuvres teintées de couleurs antillaises. Il n’est pas aisé de se faire éditer, et même au niveau national cela demeure un parcours du combattant. Pourtant, en Guadeloupe, nous avons une production littéraire fertile. Les « Éditions Neg mawon » dispose d’un nouveau local dans la zone industrielle de Jarry. Nous y rencontrons et conseillons des personnes dans la démarche de réalisation de leur ouvrage. Cela peut être à compte d’auteur ou d’éditeur. Nous essayons de toujours répondre et d’orienter avec efficacité. Vous appartenez à un réseau poétique en Guadeloupe, pourriez-vous nous en dire plus ? Le réseau poétique a été initié voilà trois ans par le poète Claude Danican et moi-même. À l’époque, je voulais faire connaitre la poésie sous une forme autre que le

simple contact du livre et du lecteur. Claude a tout de suite adhéré et nous avons ensemble, construit ce réseau. Il s’agit de poésie dans sa forme la plus classique, nourrie d’autres arts qui nous paraissent tout aussi poétiques. Sur scène, se produisent plusieurs poètes, des musiciens, des chanteurs, des conteurs, des danseuses, et aussi un peintre. La poésie est mise en valeur, avec ses mots, ses cadences, ses couleurs. C’est un spectacle vivant qui séduit. Nous nous produisons dans les écoles de Guadeloupe, mais aussi dans l’hexagone et même au Sénégal, où nous avons participé au festival de la Ville de Gorée en 2010. Chaque année, nous proposons un spectacle sur un thème différent en fonction de notre public.

Didyer Mannette

© A. Bardail

© DR

volonté est de faciliter l’accès à la publication « Notre d’œuvres teintées de couleurs antillaises »

Didyer Mannette est né à Morne-àl’eau. Après des études de comptabilité, il se dirige vers l’écriture et devient correspondant de presse pour le quotidien local. En 2001, il émigre vers l’hexagone afin de concrétiser son désir d’aider et de construire en devenant directeur adjoint de la maison de quartier de Saint-Denis, en région parisienne. Parallèlement, il continue sa carrière de poète-écrivant en publiant en 2005 son recueil « Mots de couleur », premier volet d’une trilogie des mots. En juin 2006, Didyer Mannette, décide de revenir sur son île natale. Il devient chef d’entreprise. En outre, très intéressé par l’univers littéraire, il s’investit dans la production et la publication d’œuvres antillaises en créant les « Éditions Neg mawon ». Il se consacre également à la vie associative et politique en s’engageant pour le développement de son territoire. editions.neg.mawon@gmail.com


LAISSE Ne pleure pas douce mère, Laisse filer le vent dans ses voiles, Laisse-le s’en aller, Laisse, laisse. Garde les souvenirs du premier jour Ces moments de chimère si courts, Ces afflux de baratin sans lendemain Laisse, laisse. Raconte à ton fils les beaux jours, Les songes de gamins heureux Les espoirs de terres à conquérir Laisse, laisse. Laisse filer le temps du souvenir, Abats les murs inutiles Fais confiance à votre avenir Laisse, laisse. Laisse le père s’en aller Laisse la maternité t’envahir Laisse ton fils tout contre toi Laisse, Laisse…

LANMOU Ka ki pli bèl ki lanmou On nonm on fanm Dé kò tòtiyé ansamm Dé ti men pozé alantou a on timoun Ka ki pli bèl ki lanmou Dé fwè ,dé sè, dé zanmi, dé fanmi Yonn ka gadé lòt Yonn ka apiyé si lòt. Ka ki pli bèl ki lanmou On pèp ansanm-ansanm Pa ka sèvi avè kouto-a-dé-lanm Ka gadé an sans a vòlkan-la Ka ki pli bèl ki lanmou Ka ki pli bèl ki lanmou Madanm, Ka ki pli bèl ki lanmou Misyé, Ka ki pli bèl ki lanmou Lanmou sé on sak plen obaro Mwen ka ba-w tibwen Ba on dòt titak É voyé restan pou moun toupatou.... {Avril

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Boucan

41


INTERVIEW

o

Le

m t dit © C. Maharaj

Keegan Maharaj

Keegan Maharaj est un jeune activiste culturel qui vit à Trinidad et Tobago. Le talent qu’il exerce est celui du « spoken word » ou encore le mot déclamé en public avec ou sans musique. 42

Boucan {Avril

2012}

Sortie de l’album de Washigon


P

ourquoi avez-vous choisi les mots comme moyen d’expression privilégié ? En avançant dans ma vie, j’ai pris conscience que les mots sont les seuls composants qui m’appartiennent réellement. La plupart des meilleurs moments que j’ai vécus, ont été précédés de

Water the

Depuis combien de temps pratiquezvous l’écriture ? En fait, je suis écrivain depuis que j’ai environ sept ans. Mais, j’ai l’impression que cela fait une éternité.

roots

of your soul when they are

taste

On these days, take your two hands and on

these

There will be

Seek

Rinse

away

What

is

Performance à l’événement « Studio Talk » (Trinidad)

Away

There will be days when you will

Even

Quel est le contexte culturel dans lequel vous vivez sur l’île de Trinidad et Tobago ? Trinidad est un lieu de guerre, à l’intérieur comme à l’extérieur. Certains indiens et africains s’apprécient mais beaucoup d’entre eux se détestent royalement. Avec un certain succès, d’autres artistes ont peint cette fausse image de camaraderie et d’unité à travers des formes artistiques discutables comme le Modern Day Soca et le chutney. La lutte pour vivre en harmonie continue. Nos politiciens sont des chiens, avides d’avoir toujours plus d’os à ronger. Nous sommes maintenant culturellement parlant, >>

© 1804 Productions

© Z. Edwards

day

For

sens seul, je me souviens de mes débuts à travers leurs musiques, leurs mots et leurs vies.

Quels sont les artistes qui vous ont particulièrement influencé et que vous aimez ? Je partage peut-être cette particularité avec des millions de personnes mais Bob Marley a fait partie de mon espace créatif depuis que j’ai l’usage de la parole. Il a été suivi de près par Nasio Fontaine qui est à la fois mon grand ami, père et mentor. Actuellement, je m’intéresse au poète, chanteur et écrivain prolifique Gil Scott Heron dont la vie et la mort ont un impact très fort sur moi. Une autre artiste qui n’est pas directement liée au niveau du style ou du message avec les précédents est Karen Carpenter. Ce que je peux dire c’est que j’ai toujours aimé ses vibrations et que j’écoute sa musique lors de moments éprouvants. Ces personnes ont été là pour moi lorsque j’en avais le plus besoin, et même maintenant, lorsque je me

Performance au Tabernacle à Londres

One

mots. Ils sont la manifestation de mes sentiments et de mes pensées sincères. Cela se traduit sur la scène de temps en temps. En l’absence de mots, il ne reste plus grand chose.

no

all

calling

solace

in

but

memories

salt running from your eyes. lift your spirits . only you can.

on Elohim tonight, for he is asleep. the

uncertainty

yesterday,

fresh

days,

dry.

and

all

that

are

stale

God let

now,

of

tomorrow.

be

now.

o l d and wear y. with past scents.

is


Keegan prend la pose dans un magasin de musique à Londres >> un peuple agonisant. Il nous faudra

plus que des chansons de réjouissances, jubilations et d’ivrogneries pour nous sauver. Quels sont les thèmes que vous aimez développer dans votre poésie ? Le racisme, la réalité. L’Afrique

Vous avez travaillé avec un groupe nommé Washikong, pouvez-vous nous parler de cette expérience ? Avec plaisir ! Washikong est comme un de mes enfants, qui serait allé en école privée durant une longue période, c’est dire s’il a de l’importance pour moi… C’était la première fois que j’apparaissais en tant que poète de langage parlé (équivalent du Slam), appuyé par un groupe entier. Mike Coppin, producteur et as de la trompette, Suresh Rao (guitariste) et moi-même avons développé l’idée d’un progrès culturel possible à travers les mots et la musique. Nous avons appelé notre style «3e world fusion». Washikong occupe une place importante dans mon cœur et cette expérience y

sera toujours prégnante. Il y a de grandes chances que l’on collabore de nouveau à l’avenir. Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez en ce moment ?

© DR

© L. Lyons

et l’Inde et leurs similarités sousjacentes au milieu de leurs criantes différences. J’utilise un sens de l’humour à la fois, cinglant et drôle pour aborder des questions sérieuses.

À Londres, avant la formation du groupe Freetown Collective.

Aujourd’hui je suis avec un groupe qui s’appelle Freetown Collective. Mais en réalité nous sommes plus que de simples chanteurs ou poètes. Nous sommes des activistes, nous travaillons à l’émergence de la vérité par le biais de la musique.

Everywhere

W

h

is

i

t

e

There’s that smile There goes that laugh So many new age expressions The theater is filled tonight They’re showing old movies with Charles Bronson and Vivien Leigh How the black man found hope in white film How Gil found hope in white powder Among other things I look inside myself and saw someone else I was thinking maybe I might have the courage to tell you I’m sometimes weak weak for the kind of women I should not love The kind of love I should desire And the truth still evades this confession Prostitutes just taste better I heard the new guy say But what does he know with all his heirs and whatnot Scarfs and expensive sandals Pocket watches and shiny flasks Cigarette cases and engraved pens A collection of time and places


© DR

INTERVIEW

Keegan lors du show « One Mic » dans le sud de Trinidad

Nous sommes des soldats armés défendant notre culture. Le langage parlé est au centre de ce que je fais. Avec ou sans musique, cela n’a pas d’importance. Le «Mot» vit et respire en moi. Je suis en train de faire une compilation de mes textes, peut-être pour les publier, mais sur-

• Freetown collective http://youtu.be/iJdGYFknCy4 • Washikong http://youtu.be/OVkvr0sV58Y http://youtu.be/bzss5JzBr_s

Keegan MAHARAJ Né le 7 mars 1985 à Penal (Trinidad) Keegan Maharaj s’est produit sur plusieurs scènes : Best Village, Youth Assembly, festival de l’école de théâtre de Trinidad, ainsi qu’aux États-Unis, à Londres et en Guyane. Il a été chanteur leader, poète et parolier du groupe « Washikong », ainsi que directeur de la compagnie Washikong Music Ltd. Il a maintenant trouvé sa formation idéale dans le trio « Freetown Collective » qu’il forme avec Muhammad Muwakil et Lou Lyons. Ils ont ensemble réalisé une tournée en Angleterre et en Guyane. L’engagement de Keegan dans sa musique va de pair avec sa foi en la justice et la défense des droits humains universels. © C. Crone

tout pour les mettre à disposition des lecteurs pour qu’ils puissent être lus d’une manière agréable. Je remarque qu’il y a de plus en plus d’auteurs qui publient des livres, lancent des albums, toutes ces actes d’autopromotion me semblent n’être rien de moins qu’une forme de vanité. Mais encore une fois, la vanité ne revêt qu’une seule forme et c’est la vanité elle-même. Et nous sommes tous vaniteux d’une façon ou d’une autre, et le mieux est de garder cette caractéristique à son minimum. Je crois que nous sommes tous nés pour être utiles et c’est ce que j’appelle l’amour. Le véritable amour est ce à quoi nous aspirons et ma vie est un projet qui trouve ses racines dans l’amour !

http://youtu.be/9GgoRQ8jag8 southernculturea@gmail.com Keegan Maharaj est aussi sur Facebook


L

a vie est faite de rencontres et lorsqu’elles sont artistiques, elles permettent à des créations de voir le jour. C’est dans cette optique que s’est formé le collectif f/3. Réunis autour de leur passion commune pour le jazz et notamment le jazz afro-caribéen, ce collectif se base sur la complémentarité de ses membres, ayant tous cependant une pratique photographique. Trois personnalités, trois regards 46

Boucan {Avril

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qui s’échangent et se changent… Cynthia Phibel, artiste visuel, à l’origine de « Domtom Process », organise des événements musicaux et gère l’Atelier 22 à Pantin. Ruddy Boa appartient lui aussi au milieu musical, par sa formation de pianiste. Il est à la fois manager/ co-producteur de Frantz Laurac et photographe de concert. C’est par l’intermédiaire d’une proche, qu’Érik Madelaine a été présenté à Cynthia et Ruddy. Ils

Érik Madelaine

Cynthia Phibel

© E. Madelaine

© Mashop

Rencontre à Paris, du côté de Bastille avec un des membres du collectif f/3, le photographe Érik Madelaine. En photographie, Érik Madelaine travaille à la « manière noire » tel un graveur repoussant la matière de son image pour permettre à la lumière de s’y introduire.

© E. Madelaine

Road to music – Tropical Memory

FOCUS

Ruddy Boa

l’ont alors invité à photographier le concert de Karlos Rotsen. Ce fut une révélation pour lui. Fort de sa pratique d’infographiste, il travaille sur le projet Frantz Laurac Quartet «Pakala», sur la communication de « Road to music », et photographie la scène caribéenne : le grand méchant Zouk avec Dédé Saint-Prix, Karlos Rotsen, DeNduM, Amethys, Gilles Rosine, Jowee Omicil, Jaian K, Nicky Lars, Josue Erol et >> Jacques Schwarz-Bart.


Karlos

{Avril

2012}

Boucan

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Rotsen

© Photos de l’article : E. Madelaine

deNduM


FOCUS

Jowee Omicil

«

© Photos de l’article : E. Madelaine

est d’en retranscrire l’émotion. Je vois quelle est l’énergie de l’artiste, observe sa communion avec le public et fais corps pour en ressortir son essence. Ensuite, je travaille en narratif, en associant deux photos, cela me permet de renforcer une émotion, de stimuler l’imagination.

J’ai en moi, une part d’ailleurs qui cherche sa place…

»

EN TROIS MOTS ET DEUX PHOTOS… >>

Érik, quels sont les déclics qui t’ont amené à vouloir exercer ce métier ? Ce qui donne un sens à mon travail photographique c’est le témoignage. L’objet du collectif est de mettre en lumière et de promotionner la scène jazz caribéenne. Il me semble que tu es métis ? Pratiques-tu ce qu’on appelle le « meltingshot » ? (métissage photographique

ou photo ethnique, concept inventé ou repris par Philippe Biskupski)

Ma mère est d’origine néerlandaise,

48

Boucan {Avril

2012}

mon père français : une partie de moi cherche sa place. J’ai ma propre identité faite d’un métissage de cultures, une ouverture aux multiples. C’est en cela que je me retrouve dans cette notion de « tous Kréyols ». Je ne pense pas faire de la photo ethnique, je photographie simplement les gens qui m’entourent. De l’idée initiale au résultat final, comment travailles-tu ? Mon but premier, lors d’un concert,

Pourrais-tu décrire ta façon de photographier d’un point de vue technique (réglages, cadrage, matériel, post-production)? Je suis un autodidacte. Ce qui a d’abord primé pour moi, était de retranscrire une émotion, de jouer avec la lumière. Ce n’est que dans un second temps que je me suis intéressé à la technique. J’aime faire des photos en faible luminosité. Réaliser ce type d’image est forcément technique si l’on veut des iso peu élevés. Sur certains concerts, nous sommes nombreux à couvrir l’événement. L’un de mes objectifs est d’avoir un angle de vue exclusif, c’est pourquoi je suis très mobile dans la salle. C’est toujours un moment intense. Les photos dites de reportage ne sont jamais ou rarement retouchées, il s’agit de restituer une authenticité. Les photos de mode, de portraits sont retouchées. J’essaie cependant de garder un aspect naturel. Pour mes travaux artistiques je travaille sur des concepts, des messages. J’utilise aujourd’hui un Canon 7D couplé à un objectif 2470 f2.8 série L. J’avais auparavant un 50D et me sentait à l’aise avec la marque. Je réalise actuellement des clips pour Amethys. C’est une autre dimension de mon métier… Comment te positionnes-tu par rapport à ton sujet photographié ? J’essaie d’être le plus discret possible, afin d’avoir le plus de spontanéité. Mon identité se traduit par l’aspect de la photo. Le premier rôle est toujours celui du modèle.


Cite-moi quelques noms de photographes qui te viennent à l’esprit ? - Riccardo Venturi et son reportage « Haiti Aftermath ». La photo « Portau-Prince, 18 janvier 2010 » m’a bouleversé. - Kimiko Yoshida et ses autoportraits «Là où je ne suis pas » pour son ode à la féminité et son approche graphique, une réelle source d’inspiration pour mon travail en peinture. - Alain Paris pour sa poésie, son graphisme. En regardant les photos que tu présentes dans ce numéro de « Boucan », nous nous trouvons en présence d’une atmosphère, celle des concerts de jazz. Comment hiérarchises-tu la création de ton image photographique ? Je mets en priorité l’esthétisme ainsi que le « mood » de la photo. Pour moi, la force d’une photo réside dans le langage photographique. Le côté technique est au service de ces deux premières intentions.

« Je photographie ce que je ne désire pas peindre, et je peins ce que je ne peux pas photographier. » Man Ray Qu’en penses-tu ? Tu as aussi une pratique plastique, il me semble… Je pense que pour représenter le réel, il y a la photographie, la peinture et le dessin sont plus adaptés à l’imaginaire. Cependant, nous voyons apparaître des photos retouchées ou enrichies sous Photoshop alors, cette limite existe-t-elle encore ? La photo est multiple, c’est un terrain de jeux, d’expérimentations. Pour ma part, je sépare mon travail de peintures et de photos, d’ailleurs je signe mes peintures et dessins sous le nom de Berken.

Dédé Saint-Prix Érik Madelaine, photographe

© Mashop

Qu’est-ce que tu souhaiterais que l’on retienne de ton travail ? Mes modèles.

• Naissance en 1976 à Évry (91) • Études PAO/ Créa 1994-1998 • Photographie depuis 2010 • Graphisme en free-lance depuis 2011 www.flickr.com/erikmadelaine erikmadelainephotographe.tumblr.com/ erikmadelaine@hotmail.com Berken Art sur Facebook http://f3pictures.tumblr.com/ Réalisation de la communication print du festival « Road to Music », 2011 et graphisme de l’album de Frantz Laurac « Pakala » 2011 et de celui de Corinne Pierre-Fanfan « Ou fó » 2012.

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Boucan

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TOPOS CORPUS Au cœur de l’espace plastique, visages, fragments d’intimité font surgir une « aura », essence plastique du personnage qui meut la profondeur derrière toute surface. Dans son livre, « Autrement qu’être au-delà de l’essence », Levinas écrit : « Tout s’enferme en elle [l’aura]. La subjectivité du sujet consisterait toujours à s’effacer devant l’être… ».

Sebah MARTIAL

• Né en Martinique en 1982 • Arpente le Brésil sur les traces des syncrétismes amérindiens et afro-descendants • Développe une réflexion sur les systèmes relationnels, dans la continuité de mon DNAP. La relation devient un réseau inter-communiquant d’images. Elles engendrent des « mythologies personnelles », syncrétisme empruntant au quotidien une nouvelle religiosité de l’image de l’Autre.

temrep » eliov ceva tiartropotuA « seigolohtym seL .erètsym el reérc ed tnemelues sap tnos en sellennosrep sussecorp nu a y li ,selobmys te sleutir » noitacfiirua’d «

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Photo numérique, produits chimiques, matières organiques et temps

50

Boucan {Avril

2012}

La dramaturgie est une direction du spectateur


CHARADE tset iasse’d ednab enu ,etnomeiP ,ueidannoD einigriV ed euqopé’l à eévuorter tnemeniatrec .otohp obal ed sellebuop sel snad emmoc erèdisnoc es einigriV te tra ,tra’l ed esuertratne’l etnomeiP el te ,irc nu ,ruomuh …tîalp suov li’s émércé-imed

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© Photographies et textes de l’article : S. Martial

Topos corpus, corps de lieux, le corps abrite quant à lui bien des espaces… Le mot serait hétérotopie ! Ici réside l’utopie, le fantasme à jamais ouvert que nous traverserons sans jamais l’habiter. {Avril

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Boucan

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©DR

McCarthy

#

avec Brianna

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24h

a.m.

© R. Warner

10 a.m.

Ce qui m’intéresse, en ce moment même, ce n’est pas ce que les choses auraient dû être ou devraient être, mais ce qu’elles sont et ce que je peux en faire. Je ne juge pas le passé – ou du moins j’essaie – , je n’ai pas de regrets. Je pourrais dire « je me demande » et non je « souhaite ». Ici, maintenant, je suis à ma place. 52

Boucan {Avril

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La vie est incroyablement riche en plaisir et expérimentations. Changez une seule donnée et le résultat est différent. Étonnament, bien que connaissant chaque variable, nous n’arrivons toujours pas à prédire l’issue. Ce n’est pas de la science, il n’y a pas d’absolu, de définitif. On ne peut définir aucune loi, tout est fluide. Mobile, en mutation.

j

« Jump Out Yourself » (JOY) Elle émerge. Non masquée. En s’étirant et en dansant.

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Ce n’est pas toujours facile de croire en moi, mais chaque jour, je me réveille en pensant à faire quelque chose, à travailler sur une création, sachant que j’ai cette liberté d’agir et que c’est un challenge de ne pas la gâcher.


FAIT MAIN

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z ©DR

# 12

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a.m.

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a.m.

Mur peint en collaboration avec Wendell McShine à Laventille (Trinidad). Cette fresque fait partie du «  Art Connect Project ».

Ce que j’aimerais représenter est une face différente de ce qui est usuellement proposé des noirs et plus particulièrement de la femme afro-caribéenne. J’aimerais ajouter une touche non exotique, et qui ne serait pas représentative d’un combat ou d’une longue souffrance. Juste pour apporter un peu de légèreté, de clarté et partager un peu d’amour. Essentiellement pour exposer cette évidence : le noir est beau.

En train de coudre le « Grand Hibou » chez ma mère. Presque fini. © oliviafern.tumblr.com

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©DR

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« Misha », partie d’un diptyque appelé « Misha et Yemoje ». J’ai commencé le travail au trait il y a maintenant un an et je ne l’ai toujours pas achevé.

Observant le travail du dessin initial pour « Gros Poisson » sur la table du salon. >>

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Boucan

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# © R. Warner

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FAIT MAIN

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p.m.

Travaillant sur le projet « CC Everybody », un projet signalétique réalisé avec Rodell Warner, qui questionne les relations entre la communication privée et publique. Projet réalisé pour la semaine d’art érotique de 2010.

5

« Motifs dans l’obscurité » est une pièce « mixed media » avec Lino. Pièce réalisée lors d’une coupure de courant. L’obscurité m’intimide.

DR

Poupée de chiffon fait main. Quand j’ai fini son corps, j’ai pensé qu’elle était charmante et je l’ai appelée « Poupée Mal Faite ». Elle s’appelle maintenant « Miss Dolly ».

Brianna McCARTHY

Brianna est une artiste qui travaille à Trinidad et Tobago. Elle présente en 2005, dans le cadre du Festival de la jeunesse et des étudiants, une partie de son travail au Venezuela. En 2008, elle expose une collection de dessins et de peintures à « Alice Yard » structure d’art contemporain de Trinidad qui organise aussi des résidences d’artistes. En 2009, elle fait partie de l’exposition « Art érotique » se déroulant sur une semaine toujours à Trinidad. Elle y présente ses « 12 filles ». Elle collabore actuellement avec l’artiste Rodell Warner à un projet nommé « Cc:Everybody ». Ce travail explore la dichotomie et l’interrelation entre les espaces publics et privés. Elle participe aussi à la semaine de la mode en mai 2010. Couverture du numéro 2 d’ARC (Art, Recognition, Culture), magazine sur la culture et l’art caribéens.

brianna.mccarthy@gmail.com http://briannamccarthy.blogspot.com http://vimeo.com/29285113 54

Boucan {Avril

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p.m.

Je ne suis pas une fan de poupées, mais certains de mes souvenirs d’enfance favoris sont liés à la réalisation de vêtements de poupées. J’avais l’habitude de récupérer des chutes de tissus venant des couturières du voisinage. C’est à ce moment précis, que mes mains ont su quel était leur potentiel…

ENTRE LES MAINS…

Pouvez-vous nous parler de votre formation ? Je suis essentiellement autodidacte. J’ai commencé une école d’art, mais j’ai vite abandonné car je n’étais pas poussée dans cette voie. J’ai alors choisi d’étudier des matières traditionnelles qui me promettaient un meilleur avenir. Je ne peux pas nier l’envie irrésistible d’en sortir. Je savais que je trouverais un moyen d’y parvenir. J’ai cette faculté de clairvoyance, à chaque nouveau stade de ma vie. J’apprends donc essentiellement par l’expérimentation, en essayant de trouver une manière de construire physiquement ce que je vois. Je teste de nouvelles directions pour produire des créations inédites. Quand avez-vous commencé à dessiner ? Il serait facile de répondre « dans mon enfance » – mais chaque enfant est un artiste – donc ce n’est pas déterminant en soi. Il est vrai que j’ai toujours voulu garder présente l’étincelle de l’enfance. Que ce soit pendant le processus de création comme pour le résultat, il est important de maintenir cette curiosité mélangée de courage, cette confiance en soi liée à une véritable excitation. J’aimerais pouvoir dire que je l’ai toujours, mais je dois sans cesse la ranimer. Pour cette raison, je dirai que j’ai commencé à dessiner il y a environ quatre ans – et en raison des changements survenus

dans ma vie. On pourrait assimiler cette pratique à une purge, à un exorcisme. Parce que j’ai longtemps vécu dans ce qui me semble être – après coup – une peur paralytique irraisonnée – la même peur que celle que l’on ressent dans l’obscurité et qui vous immobilise. J’étais bloquée – ça allait bien mais devant le chemin qui m’était proposé, je me demandais : est-ce vraiment moi ? J’ai refusé cette voie pour choisir la création et il s’agit d’une bataille constante. Je pense qu’à ce moment-là, c’était comme me jeter dans cette beauté en ne m’inquiétant pas du lendemain. Quels sont les artistes que vous aimez ? Il y en quelque uns comme Toyin Odutola – parce que son travail est si frais, Sheena Rose parce qu’elle est fondamentalement contemporaine, ou encore Ebony Patterson tellement saisissante. Il y a aussi Wendell McShine, qui m’encourage à garder cette étincelle et cette sincérité dans le travail. Quant à Yinka Shonibare, elle est tout simplement incroyable. Rodell Warner est une source d’inspiration constante parce qu’il est si discipliné – il y a quelque chose de sacré dans son processus créatif. Qu’est-ce qui vous nourrit ? Tout. Les interractions humaines, la littérature, l’humanité, l’inhumanité, l’amour, le corps social et le néant.


© R. Warner

c Au lancement du magazine ARC à la « Cour d’Alice » avec « Gros Poisson », ma première réalisation en tissu à cette échelle.

© DR

p.m.

Si vous n’aimez pas quelque chose, changez-la. Si vous ne pouvez pas la changer, changer la manière dont vous la pensez.

© N. Huggins

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Ci-contre : lors de l’intervention à la « Cour d’Alice » avec l’artiste bahaméenne Joanna Crichlow.

# Les médiums que vous travaillez ont une caractéristique : ils sont fluides. Est-ce une coïncidence? J’en doute. J’aime les matériaux que je peux mouler, manipuler ou mixer. Il est donc important que l’aquarelle se mélange bien, que le tissu et le papier puissent être coupés et cousus et que les motifs n’aient pas à être assortis pour générer une cohésion globale. Comment êtes-vous passée de l’encre à l’aquarelle, puis au tissu ? Pour être honnête, je m’étais lassée. Cela m’arrive souvent, et j’ai besoin alors de prendre un nouveau départ. Je représentais les femmes d’une certaine manière et je savais comment le faire. Je me suis décidée à affronter le challenge d’une évolution. Je voulais littéralement priver ces femmes de leur beauté – les déconstruire. Dans quel contexte culturel travaillez-vous ? Est-ce facile ? Je ne pense pas que cela soit simple d’être une femme artiste, peu importe l’endroit. Il y a des normes sociétales dont nous devons nous affranchir. Pendant longtemps, on nous a fait croire que nous ne pourrions pas tout avoir, mais c’est faux. Nous nous confrontons aussi à l’idée d’un art masculin (cérébral) opposé à un art féminin (intuitif) et qui a plus de valeur. Le simple fait que les étiquettes existent et corres-

pondent à des valeurs montre que la tension est là, florissante. Comme beaucoup de sociétés dans la Caraïbe, Trinidad et Tobago est largement matriarcale. Mais parallèlement, il y a une vision superficielle de la femme – perçue comme un objet, comme un pilier ou comme une bête de somme qui n’en finit pas de souffrir. La femme oscille toujours entre la position duale du divin et du malin, de la sainte et de la putain. Si vous aviez été un homme, auriezvous autant positivé les femmes ? J’associe cette idée avec une certaine liberté de ce que je sais maintenant être une femme. J’aimerais penser que si j’étais un homme, j’aurais la même sensibilité et la même envie de représenter la femme afro-caribéenne de ce point de vue positif. Bien sûr, la vérité est que je ne le saurai jamais. Parfois vos portraits ressemblent à des autoportraits… Frida Kahlo disait « Je peins des autoportraits parce que je suis si souvent seule, parce que je suis la personne que je connais le mieux » – ce n’est pas tant une solitude physique mais plutôt celle qui vient de la difficulté à se connecter avec ses pairs d’une manière constructive. Je pense que l’autoportrait naît de cette frustration : l’envie d’être en relation et de se trouver néanmoins à l’écart.

Sur quels projets travaillezvous actuellement ? J’explore l’idée de la couleur de peau qui a une valeur dans mon quotidien. La majeure partie du temps nous ne nous rendons pas compte de la complexité de cette problématique. Je suis aussi fascinée par le masque (exemple de la danseuse Greta Mendez qui porte un masque lors de ses représentations). Ou inversement, les personnes qu’on appelle à double visage. Les réseaux sociaux comme Facebook, rendent ce procédé de dissimulation si facile. Nous sommes tous masqués – pour nous protéger, protéger les autres, pour jouer ou éviter de décevoir. Le masque ne veut pas toujours dire imposture, mais plutôt il rend possible l’altérité. Je choisis de faire des masques qui sont plus dynamiques que je ne le suis, plus larges que nature et parfois grotesques. Je peux alors me transformer en étrange, jolie, ou farouche créature. Je peux me donner ce pouvoir d’escapade et de liberté.

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Boucan

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TALENT « The priest », série « Happy people », acrylique sur toile – 2011

Manuel Mathieu

Lignes tension 56

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© G. L’heureux

« Je crée pour alimenter le débat et non pour le résoudre ». Par cette affirmation, le ton est donné. Manuel Mathieu, artiste haïtien vivant au Canada, s’amuse, alterne l’étonnement et le contrôle avec une franchise sans compromis. Rencontre avec une énergie « self-control »…

V

ous êtes né en Haïti. Pouvez-vous nous parler de votre contexte familial ?

Ma mère est psychologue et possède son cabinet. Mon père est agronome de formation. Il a été à un moment donné ministre de l’agriculture. Je suis donc né dans un milieu de classe moyenne, plutôt ouvert intellectuellement. J’ai eu une phase de rébellion à l’adolescence, qui a été canalisée d’une manière indirecte par le cousin de mon père, Mario Benjamin. Mario est un artiste haïtien qui a une véritable démarche artistique. Il n’essaie pas de se rapprocher de l’art naïf, très connoté mais qui est malgré tout une force économique pour Haïti. L’art, tel que je


«

La reconnaissance de tes pairs et le réseau dans lequel tu évolues vont définir en partie qui tu es.

© M. Mathieu

»

« Standing alone », série « Paintings 10 », acrylique sur toile – 2010

le conçois, ne découle pas de la même nécessité. L’art naïf haïtien n’est pas un héritage que je nie, simplement il ne m’intéresse pas. Je préfère me référer à des artistes comme Marlene Dumas, James Turrell, Pierrick Sorin auxquels je m’identifie. Vers 17 ans, j’ai réalisé une installation dans ma chambre au grand dam de ma mère, à l’aide de graffitis et d’objets divers. Dans un contexte comme celui de l’adolescence, il est facile de se laisser aller à l’excès car on désire simplement se faire remarquer. Je regardais les artistes de la Grand-Rue tels Guyodo, et je retrouvais une certaine monstruosité, un côté brut et brutal dans leur travail. J’ai su

que j’étais sur la bonne voie lorsque Mario m’a montré un livre de photographies sur des chambres assez « typées ». Il ne faut pas non plus oublier que j’ai vécu dans un contexte social plutôt violent, où la menace fait potentiellement partie des relations humaines. Cela explique peut-être, pourquoi je peux me prononcer sur certaines choses qui ne vont pas me choquer.

Avez-vous fait une école d’art sur place ou êtes-vous autodidacte ?

J’ai obtenu un certificat en photo noir et blanc en chambre noire à la fondation Mwèm à Port-au-Prince. Ensuite, j’ai choisi d’émigrer au Canada, où j’avais déjà de la famille, dans le but de continuer mes études

d’art. Lorsque je suis arrivé, j’ai fait abstraction du froid et je ne me suis pas posé la question de l’adaptation parce que j’étais particulièrement motivé pour m’accomplir et me réaliser. J’ai commencé par obtenir un certificat de gestion en marketing à HEC puis j’ai eu mon BAC (équivalent de la licence) en arts visuels et médiatiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Je n’ai jamais été un bon élève (rire) ! J’ai toujours eu des problèmes avec la discipline et mes notes le reflètent. En général, je travaille avec les outils que j’ai à ma disposition. En Haïti, j’avais accès à la chambre noire. Puis arrivé au Canada, j’ai intégré la photo numérique à mon travail. À l’UQAM, nous avions la possibilité >>

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2012}

Boucan

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TALENT

«

Selon Duchamp, nous sommes entourés de produits artistiques.

»

Quel est votre regard sur l’activité artistique au Canada ?

À l’UQAM, l’interaction avec certains professeurs et les élèves m’a permis d’approfondir ma démarche. Ces études m’ont en réalité donné du temps pour expérimenter dans un cadre « rassurant » mes parents. Pour en revenir à la question, le milieu de l’art selon moi, fonctionne d’une manière triangulaire : la communauté artistique, le gouvernement (subventions), le privé (galeries). Comme toute communauté autosuffisante, la communauté artistique est cen58

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trée sur elle-même. Le privé n’a pas beaucoup d’influence et le gouvernement prend toute la place restée vacante. J’ai senti une grande différence à New York, où j’ai effectué un cours séjour. La communauté artistique est plus mouvante et fluide. Le privé domine et crée un rapport de compétition qui donne sa chance aux plus audacieux. Il est vrai que ma formation en marketing, me facilite l’identification des enjeux du marché et m’aide à comprendre comment le système fonctionne. Il ne faut pas négliger le fait qu’on doit, à un moment ou un autre, passer par la communication, la fabrication, la présentation, le lobbying, etc. À titre d’anecdote, j’ai récemment eu des soucis dans une

« David », série « Art History», acrylique sur toile –­ 2010 Pour cette série, j’avais d’abord choisi « La Joconde », mais elle a tellement été reprise... Je ne pense pas du tout à l’histoire de l’art lorsque je peins. Il s’agit plus d’une citation ou d’un détournement.

© G. L’heureux

de monter nous-même nos films. Le choix de la photo en noir et blanc dans mon travail n’est donc pas esthétique mais plus factuel. Le développement de la photographie en couleur n’était pas aussi pointu, et le papier finissait traité par une machine. Impossible alors de contrôler le processus avec autant de précision que pour la photographie en noir et blanc. J’utilisais surtout la vidéo et la photo, simplement parce que j’avais un ordinateur et le matériel. La peinture, demande plus de moyens financiers : atelier, pinceaux, toiles, produits, etc. Au milieu de la deuxième année, je suis rentré en Haïti pour les vacances d’été et c’est à ce moment précis que cela a dérapé. Je me suis plongé dans la peinture et j’ai commencé la série « Paintings 9 ».

© M. Mathieu

>> de faire de la vidéo, du mini DV et

« The dead angel », série « Birth of nature », acrylique sur toile – 2011


«

C’est organique mais pas humain. Ce n’est ni psychologique, ni psychiatrique… Je me laisse guider par mon instinct.

© M. Mathieu

»

« Untitled », série « Birth of nature », acrylique sur toile – 2011

exposition parce que je ne signais pas mes toiles. Or, il est évident que je tire ma fierté de mon travail et non de la vision de ma signature en bas d’une toile ! Je doute qu’en signant, je sois plus pertinent…

De quelle manière abordez-vous une nouvelle toile ?

Jusqu’à présent, j’utilise une méthode de structure, sur laquelle j’accroche un personnage. Je peux aussi travailler avec des idées ou des émotions. Je me base sur des choses que j’ai vues, que j’aimerais reproduire de manière émotionnelle. Ma sensibilité intervient dans ce processus de cristallisation. Je travaille par glacis à l’acrylique, mais je suis en train de revoir en

partie cette méthode. J’ai la caractéristique de rechercher une certaine efficacité et il serait plus facile de peindre ces couches à l’huile. J’ai donc prévu de travailler l’huile en février tout en gardant les fonds à l’acrylique, matière picturale moins onéreuse… Mon impatience m’avait poussé vers l’acrylique mais il est vrai que l’huile a plus de sensualité. J’aime aussi beaucoup les bâtons à l’huile pour la force du trait. Plus je maîtriserai de techniques (la transparence, l’empâtement, le trait, etc.), plus je serai à même d’enrichir mon travail. Dans ce que je produis, il y a évidemment une partie qui prend racine en moi mais il faut savoir laisser sa place à la peinture. Jackson Pollock est l’exemple parfait de

ce partage équitable. La peinture et les dessins de Van Gogh, ont aussi un fort impact sur moi, j’y reviens sans cesse…

Vous peignez essentiellement la figure humaine, est-ce que ce sont des portraits, des narrations ?

La narration ne m’intéresse pas, je dirai même plus : elle m’ennuie., surtout lorsqu’elle est linéaire. Alors la meilleure manière de la détruire est de ne faire qu’un personnage ! Je suis plus préoccupé par l’apparition, elle-même définie par ma sensibilité. L’apparition en peinture se fait par accumulation alors qu’avec la photo elle émane du papier. En mélangeant les couleurs sur la toile ou les produits chimiques en pho- >>

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© G. L’heureux

« The twins », série « Happy people », acrylique sur toile – 2011

«

Lorsque l’on passe son temps à se remettre en question, j’estime qu’on a le droit de remettre en question aussi l’extérieur. Il faut savoir jusqu’ou on peut repousser les limites pour voir si cette réalité a un sens.

»

hasard. Mes personnages, sont des êtres hybrides, formés de parties humaines, animales et parfois abstraites. J’essaie de suivre des pistes qui peuvent m’amener vers une sorte de figuration mais je peux très bien travailler sur quelque chose qui n’a rien d’humain. J’expérimente l’émerveillement. Quelque chose se passe, je suis surpris : et dire que c’était en moi !? J’aime aussi m’amuser, je ne suis pas un fonctionnaire. Il me semble que plus une œuvre alimente le doute, plus il y a de chance qu’elle soit bonne. Je crée alors quelque chose qui me dépasse et que je dois apprendre à accepter, même si je ne la comprend pas. La base de mon travail est la remise en question. 60

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Comment appréhendez-vous l’espace dans vos toiles ?

L’environnement dans mes tableaux évolue en fonction de mes préoccupations. Au début de ma pratique, je voulais faire des personnages. Je les plaçais sur un fond blanc. Puis je me suis mis à essayer de valoriser mon personnage par l’espace qui l’entoure. Parce que je fais de la création, je suis à même de pouvoir aussi créer un espace personnel, sans avoir à le copier ailleurs. Bacon l’avait parfaitement compris. Il passait beaucoup de temps chez sa grand-mère, qui habitait une maison aux pièces rondes. On retrouve cette configuration spatiale dans ses toiles, il intègre donc sa propre histoire à sa peinture. Dans « Birth of Nature », mon objectif était de

© M. Mathieu

>> to, on s’autorise la participation du

« EM » dessin à l’aquarelle et crayons de couleur, 2011

pouvoir intégrer le spectateur à la toile. La toile devient une scène ouverte, et le spectateur en fait partie, un peu comme dans « Le déjeuner sur l’herbe » d’Édouard Manet. Actuellement j’ai une autre préoccupation, je suis en constante évolution…

Quel est l’accueil que réserve le spectateur à vos toiles ?

Il est déjà difficile pour moi de gérer mes propres émotions… si je devais prendre celles du spectateur en plus… Non, ce n’est pas que son avis m’indiffère, mais chacun a son


© G. L’heureux

« Sitting, thinking », acrylique sur toile – 2011

rôle à jouer. Lors d’une exposition par exemple, le commissaire est chargé de la mise en espace et de créer une certaine fluidité entre les toiles. Je suis déjà – à mon niveau – en proie à certains doutes aussi, je n’ai pas envie de me préoccuper de ceux des autres. D’une manière générale, j’ai plutôt un bon retour sur ma peinture. Lors de mon exposition « Happy people » à la Maudite Boîte, je n’ai pas eu de menaces (rire). L’installation était bien faite. Comme c’était une nouvelle galerie, je n’ai pas eu à trop me justifier, bien que je connaisse les failles de mon travail… J’expose ce travail en France, ainsi que des inédits réalisés en ce moment lors de ma résidence au studio Béluga. Jean-Luc Clergue, de la galerie Agwé attendait l’oppor-

tunité de pouvoir me faire exposer ici et c’est maintenant chose faite au Parlement Européen de Strasbourg.

Quel est votre positionnement en tant qu’artiste ?

Pour l’instant je regarde le milieu, les enjeux, et je vous avouerai que je ne suis pas pressé de me positionner. Je mise beaucoup sur le partage – notamment d’opinions – avec les artistes, qui peut m’ouvrir les yeux sur mon travail. Il est vrai qu’on me donne de plus en plus la parole. « On aime ce que je fais » (surpris), mais que fais-je exactement ? Depuis peu, je suis amené à avoir une attitude réflexive sur mon œuvre. Or, ma pratique est jeune, j’ai fini ma licence il y a un an seulement. Cela me nuirait de

m’enfermer dans une posture. De plus, je suis loin de pouvoir cristalliser certaines de mes réflexions y compris sur moi-même. Certains événements peuvent vous obliger à vous positionner et permettent d’apprendre à se connaître – un peu mieux – chaque jour.

Pourriez-vous nous parler de vos projets à moyen terme ?

Pour l’instant, je reste à Montréal car j’ai deux expositions programmées en 2012. J’avais envie d’aller quelques mois à New York, pour me faire des contacts mais avec la crise, je suis en train de reconsidérer ce choix. Je commence à regarder du côté de l’Europe. C’est pour cette raison que je postule pour une ré>> sidence à Amsterdam…

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Manuel MatHieu

CABINET des curiosités

Œuvres choisies du corpus de l’artiste

« Room » 2007 (technique mixte) Ce projet est né d’une manière spontanée : j’ai commencé à intervenir sur l’espace de ma chambre. À l’époque, je vivais en Haïti, chez mes parents. J’avais 17 ans et j’étais en phase de rébellion. J’ai fait la rencontre de Mario Benjamin. Il est devenu mon mentor, m’a introduit dans le milieu de l’art et m’a poussé à approfondir ma démarche. Il m’a aussi fourni mes premières toiles et m’a fait connaitre De Kooning, Bacon, Witkin, Goya, et les frères Chapman. Je suis particulièrement influencé par l’art occidental.

« Angels » work in progress (photo argentique) Je retravaille chimiquement et physiquement mes photos. Il y a un côté hasardeux dans le produit qui broie les atomes. Il est possible d’obtenir le même résultat sur ordinateur, mais le processus est plus analytique et surtout plus long. Avec la photo argentique, je me trouve toujours en face d’une apparition, une apparition qui vient du papier… Will

© Visuels de la double page : M. Mathieu

« Act of god » 2010 (embossage sur papier Arches)

« Human Nature » 2009 (photographie numérique) Je ne juge pas, je n’ai pas la fibre écologique. Je souhaite simplement montrer que la nature se trouve souvent placée dans un contexte arrangé par l’homme, (le rangement des troncs) et dans cette présence humaine, il y a quelque chose de beau. 62

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Pour ce projet très personnel, j’ai choisi un positionnement différent de celui véhiculé par des médias par exemple. Je voulais une forme cognitive et non sensorielle, une œuvre petite, intime dans son rapport au spectateur. Rien n’est laissé au hasard : le choix du papier, du titre, du cadre, du texte qui fait aussi partie de l’œuvre. Cet acte – séisme de 2010 en Haïti – nous dépasse et nous fait aussi nous interroger sur le pouvoir que l’on pense avoir sur notre propre vie. « Ce petit graphique froid, simple, minimaliste me fait penser à un frisson ou à un souffle. C’est un peu des deux je dirais. » Pour en savoir plus : www.manuelmathieu.com


« Toy Joy » 2008 (scanner)

« heAD » 2007 (technique mixte) J’explore les notions de temps qui passe, de contemplation et de cycle. Il est possible de lire mes vidéos en boucle : il n’y a ni début, ni fin. Le spectateur perd l’œuvre et tombe dans un état de réflexion. Il n’y a pas de point culminant dans l’évolution de mon travail. C’est un circuit qui se répète indéfiniment et qui est associé au temps parce qu’associé à l’action.

« Shit and light » 2008 (photomontage)

« Creating time » 2009 http://youtu.be/SDHQ0AnTNis Il y a des œuvres vidéo qui me demandent plus de technique que d’autres, par exemple « Creating time ». Je voulais que cela soit très neutre et évacuer le côté romantique pour que l’action soit mise en avant.

« Aurore » 2010 http://youtu.be/xbCsSZ-ohe8 Dans cette installation, je voulais créer un espace où l’on puisse rester une trentaine de minutes. Ce n’était pas immersif. La lumière – limitée à une forme géométrique – changeait de couleur ce qui explique le choix du titre.

« Evolution » 2011 http://youtu.be/_NPkWbPXu0w C’est la combinaison des deux vidéos qui est intéressante et pas forcément chaque vidéo prise séparément. Est-ce que la femme parle au singe du futur ? En sachant que le futur du singe c’est l’homme, il y a quelque chose proche de la dérision. Nous sommes à l’ère de la récupération et du détournement d’images.

Je m’amuse… je suis un petit délinquant ! J’aime le détournement, jouer avec les symboles. Je ne me mets pas de limite, et je ne me préoccupe pas tellement de l’impact que cela peut avoir. « Toy Joy » est une œuvre sans support discursif, mais il serait facile de lui inventer une histoire… D’une manière générale, mon intention n’est pas d’insulter ou de choquer. Cette œuvre s’est faite très vite : j’ai mis mon visage sur la vitre d’un scanner…

Manuel Mathieu • 1986 : Naissance en Haïti • 2006 : Certificat en photo noir et blanc avec Roberto Stephenson à la fondation Mwèm en Haïti • 2007 : Certificat de gestion en marketing - HEC Montréal • 2010 : Licence en arts visuels et médiatiques - UQAM Montréal

• 2012 : Expositions - Exposition de groupe « Locate Me\Repérez-moi » au Studio Beluga, Montréal. - Expo. de groupe, Parlement européen de Strasbourg, Galerie Agwé - Exposition solo. Galerie MAI à Montréal. Commissaire : E. Galland • 2011 : - Exposition de groupe « Haïti Art Expo 2011 ». Miami dans le cadre de la foire Art Basel Miami - Exposition solo – Galerie « À La maudite boîte » Montréal - Exposition de groupe « Forever Forged. Forever Becoming » Bargehouse, Londres - Exposition de groupe, Arteamericas. Miami avec la Galerie Marassa www.manuelmathieu.com art@manuelmathieu.com

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FOCUS

« Victoria », acrylique et encre - juillet 2011

In progress … Marc Marie-Joseph

Depuis plusieurs années, sa démarche artistique s’est développée autour de la question des mœurs dans la Caraïbe. Suivons-le dans les rues de Saint-Pierre à la poursuite de ses fantômes hybrides…

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AXES DE RECHERCHE La matador En Martinique, il s’agit d’une femme coquette et dominatrice entretenue par plusieurs amants. Elles sont indépendantes. Le mot « matador » vient du verbe « matar » en espagnol qui veut dire tuer. Son statut lui permet d’avoir une vision transversale du monde. Le boucanier (pirate de la Caraïbe) C’est un hors-la-loi, il profite de la société. Le rhum (23 usines dans St-Pierre avant l’éruption volcanique) St-Pierre était donc une sorte de ville industrielle avec l’omni présence du bruit des caniveaux, de l’eau, des rouages des machines. Une atmosphère fumeuse et enfumée… Les fleurs Les fleurs sont des sexes, des témoins, des offrandes et des liants entre les vivants et les morts. Elles contiennent le parfum, l’essence à distiller.

ÉBAUCHE

N

aissance d’une entité hybride… L’émergence de la femme matador dans l’œuvre de Marc Marie-Joseph correspond, en réalité, à son retour à Saint-Pierre, ville qui l’a vu grandir. C’est l’histoire de cet endroit et sa littérature qui l’a particulièrement inspiré. Nous parlons du temps où Saint-Pierre était considéré comme un grand centre culturel et commercial. L’élément déclencheur fut le livre « Nuit d’orgie à Saint-Pierre Martinique » (1892) de Effe Géache F.G.H. Comme son nom l’indique, il s’agit de littérature érotique qui circulait sous le manteau. Le personnage de la Matador est à la fois issu de l’imaginaire de ce livre et des biguines créées pour le carnaval. Ces chansons sont le fidèle reflet de l’effervescence économique, politique et relationnelle de la fin du XIXe siècle. Le vocabulaire employé, plutôt populaire voire grivois, mettait en scène les Matadors, femmes redoutables et redoutées par leurs intrigues, leur influence et leur pouvoir. Par ailleurs, tous les prénoms anciens utilisés dans les titres des œuvres sont de même teneur que ceux qui apparaissent dans les romans de Hearn et de René Bonneville « Le triomphe d’Églantine » (1897).

Érotisme et féminité : la vue

Aucun corset n’est mentionné dans le livre de Geache. Cette idée viendrait plutôt des livres de Lafcadio Hearn « Contes des Tropiques » (1927) « Esquisses Martiniquaises » (1924) et

FINALISATION

« Marie-Clémence », acrylique et encre - mars 2011

« Youma, roman martiniquais » dans lesquels on apprend que, le costume traditionnel n’était pratiquement plus porté au XIXe siècle, à l’exception des cérémonies. Marc Marie-Joseph, se réapproprie l’iconographie des dessous occidentaux et l’adapte à la figure de la Matador. La démarche est proche de la création et la confection – création de patron en rapport avec l’univers de la coupe et de la couture. Son désir est de déshabiller ces femmes, juste assez pour que l’on puisse profiter de cet objet merveilleux qui contient une charge érotique bien qu’il soit aussi un instrument de torture. Dans son livre, Hearn présente les traits et postures de porteuses qui pourtant n’ont pas de corsets. Leurs corps selon la description de Hearn étaient « gainés » de la sorte. C’est aussi une invitation à la contemplation, au fantasme, au mystère. La présence féminine est aussi sugérée par la bouche en suspension, placée au-dessus des corsets. Ces femmes n’ont pas de regard, mais cela ne veux pas dire qu’elles soient aveugles. La bouche, objet sensuel est une marque de personnalité qui les distinguent les unes des autres. Les coiffes, les chapeaux, casques de chevaliers, et même de motards (pour les inédits) perdent leur statut d’objets pour devenir des parties intégrantes du corps de l’hybride.

ICONOGRAPHIE PRÉPARATOIRE

Typographie : le goût

Le rhum est un alcool, une eau de vie mais il est proche d’une essence, celle de la canne. L’artiste fait re-

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FOCUS

« Eulalie, fleur de piment », acrylique et encre - juin 2011

«

C’est un travail sur le non dit. Une mise à nu du personnage au sens propre comme au sens figuré s’opère…

de l’éruption. Leur point commun est qu’ils étaient tous produits, distillés dans la ville ou aux abords. Il ne faut pas oublier que le rhum est le carburant du discours fantomatique ou du délire. Il est utilisé dans les cérémonies vaudou, dans diverses pratiques syncrétiques de la Caraïbe et est consommé par les pratiquants. Il aide à la transe du personnage qui est chevauché (entré en contact) par le « Loa » (L’esprit). C’est surtout l’âme de cette ville, qui était au XIXe siècle, la capitale du rhum. Le port de StPierre commerçait avec le monde entier. La matador rhumière rentre en résonnance avec l’idée de fête et d’ivresse carnavalesque. C’est un personnage polyandre, redoutable, presque mythique et mystique. Typographiquement parlant, les stencils sont sélectionnés en fonction

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» « Françoise d’Aubigné », acrylique et encre - déc. 2010

« Fanélise », acrylique et encre - janvier 2011

>> vivre des rhums disparus à la suite

« Joséphine de Beauharnais », acrylique et encre - 2011

des déambulations supposées des personnages dans la ville, l’imagination est reine de la lecture…

Fleurs de femmes : l’odorat

Les fleurs apportent une légèreté, une apesanteur au tableau. Elles accentuent l’effet de lévitation de l’entité, son flottement dans l’espace. Les fleurs sont une interprétation subjective du créateur, qui les choisit en fonction de leur fragrance ou de l’idée qu’il se fait de la matador représentée. Métaphores, elles sont aussi sexuées et butinées par plusieurs abeilles. Cela ne veut pas dire que les matadors aient été assimilées à des prostituées. Elles entretenaient des relations parallèles qu’elles assumaient parfaitement et qui demandaient de l’organisation !

Cartographie : le toucher à plat

Ces représentations étant celles

de fantômes, la perspective n’est pas utile. Ce sont des apparitions, comme des flashs, des réminiscences soudaines… Le regardeur doit être capté au plus vite, par ces images mentales. Ces entités évoluent dans un monde parallèle, dans une perspective psychique, un espace rompu. L’environnement immédiat est la surface du carton utilisé comme une sorte de cartographie. Les signes et pictogrammes appartiennent au monde du commerce et de l’import-export. Ce qui semble cohérent étant donné le statut mercantile du personnage évoqué et le passé portuaire et commercial de la ville avant l’éruption de 1902. Grâce à cet élément plastique contemporain – carton d’emballage – cette série n’est pas une simple reconstitution historique. Les hybrides, peuvent s’y agripper et hanter le présent.


Les bruits de la nuit : l’ouïe

St-Pierre a une atmosphère particulière, surtout la nuit. C’est l’heure propice à la sortie des fantômes et le travail artistique de Marc MarieJoseph s’en imprègne. Son atelier est installé dans une maison ancienne qui a assez bien résisté à l’éruption de 1902. Il se trouve alors plongé au cœur du théâtre qu’il tente d’évoquer. Ce sont des conditions propices à aiguiser son imaginaire et stimuler la charge érotique de son œuvre.

Doudouiste or not doudouiste ?

Le concept de doudouisme est si mal défini qu’on a tendance à y mettre tout et n’importe quoi. Ce qui est doudouiste pour une personne ne l’est pas forcément pour une autre. Tout dépend du point de vue. Il en va de même pour l’exotisme. Les femmes que ses hybrides interprètent n’étaient pas des enfants de cœur ni des pucelles en fleurs. Il s’agit là de personnes expérimentées dans le maniement des sentiments, dans la manipulation et certainement dans la trahison et le mensonge. Elles étaient des maîtresses-pirates de l’amour et du sexe. Très influentes et malgré tout très respectées, cette pègre féminine n’était pas composée de « doudous fleuries » pour reprendre les termes de Marc. En présentant ses matadors, l’artiste s’éloigne résolumment de la femme en costume traditionnel, si souvent représentée pour véhiculer cette vision folklorisante des Antilles.

Marc Marie-Joseph, plasticien © Peintures de l’article M. Marie-Joseph

• 1969 : Naissance à Fort-de-France • 2011-2012 : Préparation d’un Master 2 Arts Caraïbes (Schœlcher) • 1996-1997 : DNSEP avec mention à l’IRAVM • 2010 : Exposition individuelle « Mœurs Caribéennes » au Gossip, Martinique • 2008 : « Festival des Sens », Sainte-Lucie • 2007 : Exposition « Passagers clandestins » colloque sur le paysage DIREN, Schœlcher • « En territoire conquis » installation Parc floral de Fort-deFrance (Martinique). •2006 : Exposition individuelle, Ex-Musée de Marigot, Saint-Martin • 2005 : Exposition « En ba soley-la », Atrium, Martinique • 2002 : « Madinina Worshop » Association Set, Triangle Art Trust. Coordonnateur de l’Atelier International d’Artistes (Grand–Rivière) • 2001 : « KMO Kilometro Cero » Atelier International d’Artistes, Santa Cruz de la Sierra Bolivie. marcusgravius@orange.fr http://marcmariejosephart.tumblr.com/ Marc Marie-Joseph est sur Facebook

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Take the « M Ninkō Madison

« Linez », photographie numérique et retouches – 2011

Graphiste-illustrateur diplômé de l’IRAVM, Ninkō Madison travaille sur des wears visuels, des illustrations et du character design. À Paris, où il vit de créations et d’eau fraîche, il cultive son intérêt pour la pop culture…

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Projet de dépliant sur le graffiti et la ville de Pointe-à-Pitre – 2009


» train DRAWING STATION

« Lézard », digi-painting – 2011

« Not going », digi-painting – 2011

PRINT STATION « Kouté, Mangé, Gadé », logo réalisé pour une foire communale – 2008 © Illustrations et photos de l’article N. Madison

2

« Forever monster ! » dessin au stylo bille – 2011

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« Versus », photographie numérique et retouches – 2011 >>

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« Swetter in 3D », photographie numérique et retouches – 2010

« All alone… No mp3 », photographie numérique et retouches – 2011

« More fire », photographie numérique et retouches – 2010

Ninkō Madison

2008/2009 DNAT de Graphisme à l’Institut régional d’art visuel de la Martinique

2008 Workshop avec Claude Cauquil (artiste plasticien) Festival de l’affiche à Chaumont Exposition « Mande’ouste », illustration et bande dessinée (Atrium - Martinique)

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MOVING STATION

« Neg zabitan » (recherche sur la mythologie caribéenne), photographie et digital painting – 2009/2010

PEYI STATION

2009 Workshop avec Antoine Poupel (photographe) Freelance Photographie & photographie plasticienne, dessin traditionnel, aquarelle, dessin numérique, digi-painting, création de typographie, story-board, character design, concept art, photo-retoucheur, HTML et CS

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http://www.krop.com/imperial-ink/#/ http://ink-mad.blogspot.com/ http://be.net/ink_mad http://freddy-bernard.daportfolio.com/ ink.mad@facebook.com

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« POW 3D », photographie numérique et retouches – 2011

« Lady’s toy », photographie numérique et retouches – 2008

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© Illustrations et photos de l’article N. Madison

« Dorlis » (recherche sur la mythologie caribéenne), photographie et digital painting – 2009/2010

PHOTO STATION « The Great Vibe », photographie numérique et retouches – 2011

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DR

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© A. Dahan

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Mi Màs

Agnès Dahan, qui travaille en binôme artistique Charles Chulem-Rousseau présente dans « Boucan » des photographies inédites faisant partie du projet « Mi Màs ». Cette exposition de quarante photographies en couleur est au programme de l’année des Outre-Mer 2011. Elle est exposée en ce moment en Guadeloupe, et nous l’attendons courant 2012-2013 à Bordeaux, Marseille, Londres et New York.

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e e t o n vérité i

© A. Dahan

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Agnès Dahan, photographe

DR

• 2012 Le Rocher de Palmer Cenon, « Mi Màs » Sélection de l’année des Outre-Mer en France • 2011 Mairie de Paris 1er arr. et Bibliothèque Germaine Tillion, « Mi Màs » Sélection de l’année des Outre-Mer en France • 2010 ArtBemao (Manifestation Internationale d’Art Contemporain) • 2009 Private Collection Alabama, États-Unis • 2008 Daniel Cooney, Fine Art Chelsea, New York • 2007 « Voyage » Gruss Center of Visual Arts, Lawrenceville, New Jersey • 2006 Flux Factory (exposition collective) New York • 2006 « Inde » Maronaj (exposition collective) Guadeloupe • 2005 « Respect » PS One Queens, New York agnesdahan@wanadoo.fr - www.agnesdahan.com

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DR © A. Dahan

Media

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Màs Mot créole dont la traduction littérale française serait « masques ». En réalité, la connotation est bien plus large. « Fè màs » signifie tout aussi bien participer au carnaval qu’au sens large, se grimer, se déguiser, faire des pitreries ou juste faire semblant. {Avril

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CINÉMA

« Food for Souls » c’est :

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©DR

(Haïti+

© MWÈM

la nourriture pour l’âme, un apaisement social, l’éducation et l’expression de la population face à la catastrophe naturelle du 12 janvier 2010. Une tournée de six mois, 35 répresentations dans les endroits touchés par le séisme, jamais dans les camps. « Sinema anba zetwal » au Parc Martissant, en juillet 2009.

2. Fastforward Haïti (2007)

Laurence Magloire et Éric Auguste

« Fastforward », connu auparavant sous le nom de THC, « The Haitian Crew », est une équipe de producteurs en vidéo, designers industriels, graphistes, concepts d’éclairage, directeurs de production. Cette société est spécialisée dans les concepts en nouveaux medias, publicité, design des arts de la scène, scénographies digitales et production vidéo. « Fastforward » est l’opérateur de « Sinema anba zetwal ». © SafiMag

© SafiMag

http://www.ffhaiti.com/

Ci-dessus : « Chic Factor » à Hôtel Kinam en décembre 2011, DJ Night. À gauche, concert « Boukman experyans », au Parc de la Canne à sucre (2012)


1. Sinema Anba Zetwal HAÏTI (2002)

Laurence Magloire

LE CONCEPT « Sinema Anba Zetwal » (SAZ), une initiative de la fondation « Mwèm », est une plateforme audiovisuelle immersive, participative et rassembleuse en plein air autour de projections de documentaires et films de fiction faits par des Haïtiens. La programmation Le cinéma programme des documentaires, des fictions, des interventions thématiques. Il utilise les arts de la scène pour communiquer sur les thèmes de l’environnement, du rapport au corps et de la santé, des enfants, du civisme et de l’histoire.

© MWÈM

LE MATÉRIEL Des écrans géants à double face éclairés par des projecteurs numériques, une scène balayée de lumières multicolores, des consoles et haut-parleurs de qualité, des ordinateurs portables, des caméras vidéo HD et une régie vidéo.

Tournage dans la région de Hinche pour « Sinema anba zetwal » en septembre 2011.

HISTORIQUE 2002 Création du « Sinema anba zetwal » 2004 1ère tournée dans le nord de l’île 2005 1ère tournée dans le sud de l’île 2006 1ère tournée à Port-au-Prince 2009 Tournée sur le thème de l’environnement à Port-au-Prince 2010 Après le séisme, tournée « Food for Souls » au long de la faille 2011 Tournée « Ayiti demen »

© S. Malebranche Saz tigwav 2010

OBJECTIFS Engager les communautés haïtiennes à s’éduquer, s’exprimer, se regarder et évoluer par les multimédias : cinéma, documentaires, arts de la scène et participation interactive.

Laurence Magloire

Après dix ans de réalisation à Radio-Canada, cette haïtienne de naissance et de cœur décide de revenir travailler en Haïti (2000). Elle réalise notamment « Des hommes et des dieux », primé en 2002 au festival « Vues d’Afrique ». Ce sera aussi cette année-là, qu’elle mettra en place le « cinéma sous les étoiles ».

P

ourriez-vous nous parler de votre tournée «Food for Souls » ? « Food for Souls », est littéralement « la nourriture pour l’âme », pour l’esprit, une façon d’évoluer. Ce mouvement est à l’initiative de la Fondation « Mwèm » avec « Sinema anba zetwal ». La Fondation « Mwèm » – Centre expérimental de communication visuelle, a été créée en 2003. « Mwen wè m », je me regarde. « Mwèm » et j’apprends, donc tout est possible. Après le tremblement de terre de janvier 2010, Haïti avait besoin de beaucoup d’aide. Cette destruction nous a tous donné l’envie de répandre le concept de « Sinema anba zetwal » (SAZ) dans un pays à reconstruire. Reconstruire notre âme pour rebâtir notre pays est le motto de SAZ depuis sa création en 2004.

Dans quelles conditions s’est-elle passée ? « Food for Souls » se voulait une tournée nationale intensive dans un pays affecté… Mais nos ambitions ont été réduites à 35 représentations en huit lieux qui avaient subi le tremblement de terre. De février à août 2010, notre équipe a pu rejoindre près de 250 000 spectateurs avec l’aide de l’organisation internationale « Mercy Corps/ Gates Foundation » et de nos fidèles sponsors locaux. La programmation était axée sur l’apaisement social, l’éducation et l’expression de la population face à la catastrophe naturelle du 12 janvier dernier. Nous avons choisi de ne pas aller dans les camps de déplacés. Nous préférions investir les places publiques disponibles, pouvant contenir jusqu’à >> 10 000 personnes.

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Installation pour un mariage à Kaliko Beach en août 2007

© Fastforward

>> Nous avons depuis perfectionné

notre concept tant par la logistique que la programmation. « Sinema anba zetwal » est « une substance thérapeutique pour une population stressée » a mentionné une spectatrice à Carrefour en mai 2010. Est-elle terminée ? La tournée « Food for Souls » postséisme est terminée mais le mouvement continue. Nous avons tenté à l’automne 2010 de faire une tournée « Ayiti demen » mais l’instabilité de ce pays nous a retardé d’un an. Après beaucoup d’efforts, nous avons amorcé cette nouvelle tournée à St-Marc en août 2011, en mettant l’accent sur l’implication sociale de chaque individu. Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontées ? Le plus difficile a été et demeure le financement. D’ailleurs ce manque d’argent a stoppé la tournée « Ayiti demen ». « Sinema anba zetwal » est devenu depuis 2004, une énorme opération logistique pour un événement de trois jours consécutifs. Elle nécessite une grande préparation. Les coûts de production sont considérables, surtout en province. Notre équipe compte jusqu’à quarante personnes ! Sans oublier, le budget matériel : le son, la lumière, la scène et les podiums des caméras, ainsi que notre système de projection fait spécialement pour Haiti, « haitianproof »… Nous sommes à la recherche d’un financement durable, sur le long terme car cette opération en est une d’éducation nationale. Nous avons essayé d’im-

pliquer l’État haïtien, les ONGs mais jusqu’à présent nous n’avons aucune proposition concrète… Quels ont été les effets positifs que vous avez pu constater ? Les réactions de la population, l’éclair dans leurs yeux, le changement des comportements et le désir d’en savoir plus. « Quand revenezvous ? » » « Je veux apprendre ce que vous faites » : ces questions montrent clairement l’intérêt des Haïtiens pour ce que nous faisons. Nous avons également la reconnaissance, par les organisations et associations en général, de l’impact de notre concept. Nous avons mené une enquête – par l’intermédiaire d’une firme spécialisée, « Groupe Croissance » – durant la tournée « Food for Souls ». Nous voulions savoir l’impact de SAZ sur la population et les résultats sont probants. Les gens adorent les soirées et retiennent les messages véhiculés par le cinéma. Ils leur arrivent même de changer de comportements ! Hôtel Kinam en décembre 2009, DJ Night

© Fastforward

© SafiMag

Concert « Janesta », Parc Midoré, Port-au-Prince en 2011


CINÉMA

© S. Malebranche

SAZ à Jacmel en août 2010

Les difficultés de financement nous obligent à remettre en question nos moyens d’action pour implémenter ce mouvement. Pourriez-vous nous parler de « Fastforward Haïti » ? « Fastforward » est la compagnie de production créative qui allie, le génie spatial de mon ami et associé Éric Auguste et mon approche de la vidéo. Notre première expérience de projection extérieure a eu lieu au Champ de Mars à Port-au-Prince en 2002 dans le cadre du 2e Forum d’art contemporain « AfricAmericA ». J’étais rentrée en Haïti depuis deux ans. Je dois préciser que je suis née en Haïti mais j’ai grandi et évolué à Montréal jusqu’en 2000. Je venais donc de terminer mon premier film documentaire « Des Hommes et des dieux », co-réalisé avec Anne Lescot. Autour de ce film, nous avons fait une programmation de films inédits en Haïti. Nous avons sollicité Maksaens Denis, VJ et artiste multimédia pour enrichir la manifestation de ses touches sonores et visuelles. Depuis, plusieurs d’artistes et réalisateurs nous ont rejoint. Ma sœur Rachèle Magloire de « Productions Fanal » a toujours été là pour assurer la production vidéo de SAZ. L’artiste en lumières Lionel St-Pierre, nous a permis d’exploser notre expérience de production avec la création d’événements multimédia inédits en Haïti. Nous avons apporté à la scène culturelle locale une nouvelle façon de voir des films, de produire des spectacles, de lancer des produits, de faire des galas, des fêtes ou des célébrations (exemple du Media Center réalisé pour les élections de 2006). Nouveaux formats d’écrans, structures multimédia, visuels, images

live, lumières, pour créer une ambiance originale : c’est notre force de proposition ! « Fastforward » gère aussi la production vidéo de films documentaires, corporatifs et infomercials ou encore la création visuelle de « motion graphics ». Pour cela il faut impérativement une équipe dynamique et professionnelle, reconnue sur la scène culturelle haïtienne. Est-ce que FFH intervient uniquement sur Haïti ? Jusqu’à présent nous évoluons presque exclusivement en Haïti. Cependant, c’est en train de bouger. Nous avons participé au dernier Festival de Jazz de la Nouvelle Orléans avec une installation multimédia autour des enregistrements d’Alan Lomax. Le Festival « Vues d’Afrique » de Montréal nous a approché pour envisager une projection de SAZ sur les Plaines d’Abraham (région de Québec). Mais ce projet tarde à aboutir… Nous rêvons de faire une tournée de spectacles « One Love » dans les Antilles avec des promoteurs antillais comme Fred Pain que j’ai rencontré en Martinique. Quels types de projets peuvent être développés dans un contexte tel que celui de Haïti ? Travailler dans la culture est assez difficile. C’est une lutte perpétuelle dans un monde où la médiocrité règne mais où tout est possible. Il faut oser et persévérer. La route sera longue car il n’y a pas de salles de cinéma, ni de salle de spectacles appropriées. La plupart des spectacles sont produits à l’extérieur dans des lieux transformés pour l’occasion, à la merci des intempéries. Il n’y a pas de budget alloué à la culture non plus. Les producteurs sont toujours à la re-

cherche de financements auprès de commanditaires locaux qui sont sur-sollicités. Le ministère de la culture est comme tous les autres ministères de l’État Haïtien : empêtré dans le marasme perpétuel qui caractérise notre pays. Les entreprises locales de promotion de la culture sont peu nombreuses mais persévérantes. Un meilleur financement permettrait un minimum de qualité mais surtout un professionnalisme des acteurs culturels et des techniciens de la culture. Le public n’est pas exigeant et accepte le tout-venant car il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent. Heureusement nous avons « Fokal », le Fond Connaissance et Liberté, un organisme haïtien dirigé par les grandes dames que sont Lorraine Mangones et Michèle Pierre-Louis. « Fokal » finance les actes culturels tels les films, les spectacles ou les livres. Il produit régulièrement dans ses locaux des spectacles et des conférences. Les deux directrices ont même initié dans le pays, les bibliothèques « Monique Calixte » ainsi que le système scolaire « Tipa Tipa ». Il y a aussi l’Institut Français qui a le mandat de promouvoir la culture francophone et qui permet aux haïtiens de voir des artistes qu’ils n’auraient jamais l’occasion de connaître. Depuis le tremblement de terre, nous sentons une volonté européenne d’encadrer la culture haïtienne, par l’intermédiaire d’organismes tels « Arcades », le Programme d’Appui au Renforcement de la Culture et de l’Art pour le Développement Économique et Social ou la Fondation de France. Du côté audiovisuel, grâce à l’enseignement dispensé par de nouveaux >>

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CINÉMA

3. Création

LWA YO VOYE RELE’M (2001)

A. Lescot, L. Magloire

• Le regard des haïtiens du pays - sélection Écrans d’Haïti 2004

>> organismes de formation émergent

des jeunes producteurs et réalisateurs professionnels. La télévision, qui devrait être la plate-forme de la culture et de la communication fonctionne à l’envers. Je viens de la culture de Radio-Canada où j’ai travaillé pendant dix ans avant de rentrer en Haiti en 2000. Selon moi, aucune des nombreuses stations de télévision en Haïti – on en compte près de quanrante ! – ne remplit son rôle d’information et de propagation de la culture. Les chaines ne produisent pas de contenu et évoluent dans une politique de piratage et de « bootlegging ». Elles n’achètent pas de programmes, ni de films et leur programmation laisse à désirer. Certaines n’ont qu’un lecteur DVD et un appareil de mise en ondes… Cependant, nous persistons à espérer un renouveau. Travaillez-vous sur des projets personnels en ce moment ? Je travaille à repenser mon action en Haïti. Depuis que j’évolue ici, inspirée par la réception de mon premier film, je suis toujours au même point, à savoir trouver du financement pour continuer notre concept d’éducation par l’audiovisuel. Nous cherchons à institutionnaliser notre action, à la pérenniser, afin de laisser une marque dans ce pays. Et jusqu’à présent, c’est un combat de chaque jour qui semble ne jamais aboutir. Nous attendons des réponses du Programme « Arcades » de soutien aux initiatives culturelles pour un Festival de l’Amitié que nous voulons produire à Jacmel en partenariat avec la Fondation « Mwèm » ainsi qu’une réponse définitive de ACP pour le projet « Africa Films TVMobiCINE » où nous sommes partenaires de IDmage. Il y a aussi un projet de formation-production sur le long terme avec l’Office National du Canada qui est à l’étude.

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Ce docu-poétique constitue une plongée au cœur de la transe. Un homme, ou bien est-ce une femme est « monté » par Ogou, le lwa guerrier. Un long combat s’ensuit dans lequel se mêlent sensualité, poésie et spiritualité. Qui vaincra de l’homme ou de la femme, du lwa ou de l’humain ? http://youtu.be/t5JbXe34Bfo

HAÏTI : DES HOMMES ET DES DIEUX (2002) A. Lescot (auteur), L. Magloire (réalisateur)

• 2009 :World Nomads Haiti, New York • Alliance Française * Sélection «Maysles Institute Haitian Documentary Series» • Le regard des haïtiens du pays - sélection Écrans d’Haïti 2004 • Vues d’Afrique, Montréal, Canada. Prix TéléQuébec Chantal Lapaire pour le documentaire « faisant le mieux avancer les mentalités du Nord. (2002) • Festival Gay et Lesbien de New-York, USA (2002) • Image et nation, Montréal (2002) • African Diaspora Film Festival, New-York, USA (2002) et une cinquantaine d’autres festivals à travers le monde. Ce documentaire décrit un certain groupe d’individus: les homosexuels et travestis, dans un contexte donné : le vaudou. La mise en relation de ces deux mondes nous conduit dans un univers symbolique particulier, où les non-dits de la société civile donnent à s’exprimer, parfois dans la plus grande extraversion et théâtralité, parfois avec une émotion profonde.

Distribution : USA DER - www.der.org Europe Collectif 24 images info@collectif2004images.org • Haïti Fastforward - fastforward@ffhaiti.com

LAVI KA BÈL POU TOUT MOUN (2003) (La vie peut-être belle pour tout le monde) L. Magloire (réalisateur)

• Le regard des haïtiens du pays - sélection Écrans d’Haïti 2004 Ce film est construit essentiellement autour de témoignages de personnes vivant avec le VIH (PVVIH). Ce film, produit par PSI-Haïti, constitue une nouvelle arme de combat contre la stigmatisation, dont sont victimes les PV VIH, et un outil pour aider ces derniers à continuer à vivre. Le documentaire aborde la question du sida en Haïti sous un angle culturel. laurence@ffhaiti.com laurencemagloire@gmail.com


« Vivre  vre » ses rêves

© Zotikos Studios

COUP DE POUCE

Maharaki « Qu’est ce que tu voudrais faire plus tard ? » Par cette question simple à première vue, le film « Vivre » de Maharaki, souhaite mettre en lumière la complexité d’une réponse mûrement réfléchie. Actuellement en projet, il cherche encore des financements. Annou ay !

Tournage du clip « Nah missin’ me » Krosfyah, Barbade 2008

V

«

ivre » est un projet de longue haleine.

Quand un projet naît

À Paris, en 2004, Maharaki reçoit le Grand Prix du jury de la projection de clôture de promotion de L’EICAR pour la réalisation de son film « Dig it ». Ce n’est que fin 2005, de retour en Martinique, qu’elle se souvient avoir raconté l’histoire du film en détail à une amie. Difficile de dire d’où venait exactement l’idée initiale. Une histoire, en tout cas une fiction, dont les personnages et la trame ne sont pas basés sur des faits réels

ne débute pas nécessairement par une idée précise. « Il s’agit plutôt de la somme de sentiments, des émotions, d’événements, de conversations parfois et d’observation » nous confie Maharaki qui mêle une évidente sensibilité artistique à un grand professionnalisme. « Vivre » est un drame de quinze minutes qui dépeint la société moderne et les choix de vie à travers les yeux de Tom, un préadolescent d’une maturité étonnante. De nos jours, les enfants mûrissent rapidement. Soit parce qu’ils sont très tôt confrontés aux grands drames de la vie, soit parce qu’ils ont aisément accès à une mul- >>

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COUP DE POUCE

ser soigneusement les options qui se présentent à lui, afin de faire les bons choix. « En tant qu’artiste et réalisateur, c’est l’universalité de « Vivre » qui me touche et qui m’inspire. Ce film est un challenge à la fois artistique et technique. La perspective de mettre en scène des enfants me motive et exacerbe ma sensibilité ».

© M. Marie-Joseph

Des structures financières fiables

Cérémonie de remise des prix Festival « Prix de court », Martinique 2011 >> titude d’informations qui leur per-

DR

mettent de s’ouvrir pleinement au monde et à ses réalités. Pour Tom, comme pour tout adolescent, les choix de vie sont vastes. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils soient aisés. D’autant plus que, contrairement aux autres adolescents de son âge, Tom se projette très loin, jusqu’à intégrer une finalité à chacun de ses choix. Certes, il pousse chaque fois le drame au paroxysme, mais il montre qu’il a pris conscience du caractère éphémère et furtif de la vie et qu’il doit, de ce fait, écouter attentivement et analy-

Maharaki

2004 : Diplômée d’un « Bachelor in Fine Arts – Audio Visual & Film Production » obtenu à l’EICAR (École Internationale de Création Audiovisuelle et de Réalisation de Paris) Maharaki en action http://youtu.be/wGfFYs9BY8Y

« Art et Vision Production » la société coproduction du film, basée en Guadeloupe et « Rock Rose », la société de production de Maharaki, basée en Martinique sont en phase de financement. Elles ont à ce jour réuni un peu plus de 40 000 e avec le concours des institutions publiques de la Martinique et de la Guadeloupe. Mais la route est encore longue pour boucler le budget global et le temps passe.

Un challenge sur trois îles

Le film se déroulera en Martinique, en Guadeloupe et à Barbade. Le tournage se fera donc en anglais, en bajan, en français et en créole. À Barbade, Maharaki et son équipe tournera toutes les scènes relatives à Tom adolescent. La majorité se déroulant dans une salle de classe avec des collégiens âgés de 13 à 15 ans. Dans le cas de « Vivre », il s’agit d’une quinzaine d’adolescents et du seul rôle principal tenu par un jeune garçon capable de délivrer un monologue d’une dizaine de minutes. D’ailleurs le casting a

2005 : • Sélection officielle pour « Innocents » et « Dig it » Festival Les Arts s’affichent – Martinique • Prix Lumina Sophie pour le scénario de « Vivre » Concours Lumina Sophie • Scoop d’Or - Trophées Scoop Martinique 2006 : • Sélection officielle pour « Dig it » AISFF – Corée du Sud

2002 : Sélection officielle pour « Innocents » FESPACO – Burkina Faso

2007 : • Prix de la meilleure réalisation pour « Holding on » Bridgetown Film Festival – Barbade

2003 : Sélection officielle pour « Innocents » Festival Vues d’Afrique – Québec

2010 : • Mention spéciale du jury pour le script du film « Innocents » Ekoclap - Martinique

2004 : • Grand prix du jury pour « Dig it » Projection annuelle EICAR – Paris • Mention spéciale du jury pour le scénario de « Kannaval Rouve » Concours Lumina Sophie – Martinique

2011 : • Prix du public et mention spéciale du jury pour l’humour pour « Un achat compulsif » Festival Prix de Court – Martinique

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www.maharaki.com

Tournage de la publicité Nescafé, Paris 2004

récemment été lancé sur les trois îles pour trouver « Tom », le personnage principal. L’autre moitié du film se tournera en décors naturels et intérieurs entre la Martinique et la Guadeloupe. Il s’agit de toutes les séquences mettant en scène Tom adulte. Le maquillage, les costumes et les accessoires joueront un rôle clé à ce stade du tournage. Ils permettront notamment de croire aux transformations successives d’un collégien de 13 à 15 ans : - en employé de fast-food modèle qui travaille pour se payer ses études, - en un dealer d’une vingtaine d’années, accro à sa marchandise qui erre dans la ville, - en bourgeois trentenaire, traqué par la peur de perdre son confort matériel et enfin - en riche courtier en bourse d’une quarantaine d’années, dominé par la recherche du profit. Un autre gros challenge est la construction d’un décor sur une scène de théâtre : le salon d’une maison bourgeoise, un lieu étrange aux allures de maison de poupée


EN BREF… « Vivre » est l’histoire de Tom, un adolescent brillant à qui son professeur demande ce qu’il voudrait faire plus tard. Au lieu de répondre de façon légère, comme le font ses camarades de classe, Tom réfléchit à l’essence de la question et s’embarque dans un monologue saisissant, au cours duquel il décrit trois choix de vie possible. Au terme de son monologue, il revient à l’essence de la question et répond avec intelligence et panache. Teaser de « VIvre » http://youtu.be/Caa3IqjwSJo Pour nous permettre de boucler notre budget que nous avons imaginé une opération de collecte de fonds à laquelle nous invitons tout ceux qui le souhaitent. En allant sur le site :

http://www.indiegogo.com/VIVRE

© V. Michelet

vous pouvez participer au financement de « Vivre » en versant la somme que vous souhaitez. À ce jour 18 contributeurs nous ont permis d’atteindre USD $1040.

où tout semble fait de carton et le plastique. Les fenêtres sont minuscules, les murs et le plafond démesurément hauts, les jouets d’enfants prennent vie, observent la confusion des adultes. Cette scène de théâtre, dont les rideaux s’ouvrent et se ferment sur les différents actes, permettra à Tom de jouer le rôle de sa vie, dans le monde qu’il s’est construit.

De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace…

On l’aura compris, « Vivre » est projet extrêmement ambitieux et un challenge à relever, à tous les niveaux. Sa réussite repose sur la concordance des lieux de tournage et des scènes décrites au scénario, sur un casting solide, sur des moyens techniques haut de gamme et sur des techniciens professionnels et talentueux. Elle repose aussi sur une synergie entre les trois îles Barbade/Martinique/Guadeloupe, au travers du soutien des institutions publiques et privées qui s’engageront sur un film, gageant de la capacité à travailler en coproduction dans la Caraïbe et à présenter, de concert, la région sur la scène internationale.

Notez que ces dons bénéficieront d’une réduction d’impôt de 60% pour les entreprises et 66% pour les particuliers (article 39-1-7° du code général des impôts).

L’envers du décor… Combien de temps faut-il pour faire un court métrage ? Tout dépend du projet, du scénario et des contraintes de départ. J’ai réalisé « Innocents » en quatre jours, « Dig it » m’a prit quelques mois, « Un achat compulsif » a été tourné et monté en 48 heures. J’ai écrit « Vivre » il y a presque six ans… Comment constituez-vous une équipe pour un tournage ? Sur recommandations, et grâce à des rencontres. Il est aussi fréquent que je retravaille avec des personnes qui comprennent mon langage et avec lesquelles j’ai déjà collaboré. Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez concrètement pour réaliser un film ? Pour un court-métrage, essentiellement le financement. Pour un long, c’est une réponse bien trop longue qui commence par le parcours du combattant pour trouver la ou les sociétés de production prêtes à s’embarquer dans l’aventure. Quels sont les moments que vous préférez

tout au long de l’élaboration d’un film ? L’écriture du scénario : c’est le moment où on « rêve » son film ! On le sent, on entend les dialogues dans sa tête, la musique, les ambiances, on voit la lumière, les décors, les costumes, les angles et mouvements de caméra, on fait connaissance avec ses personnages, on les voit se déplacer, sourire, pleurer… vivre… La nuit d’avant le premier jour de tournage : c’est comme aller à la première épreuve du bac, à un entretien d’embauche pour un poste que l’on veut plus que tout, rentrer dans un stade avant un match… On sait qu’on est prêt, on s’est tellement préparé, mais il a toujours une pointe d’incertitude… C’est un mélange d’excitation et d’anxiété. On sait que tout est en place et que c’est à nous de jouer. Au tournage : c’est voir mon équipe « s’amuser », mes acteurs rentrer dans leur personnage, et regarder pour la première fois dans le viseur de la camera ou sur le moniteur pour me rendre compte que tout ce que j’avais en tête est maintenant là sous mes yeux. Et puis il y a le moment magique, le montage.

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BEAT

R.a. C. ap

lternatif

aribéen

Précurseur du rap alternatif caribéen sur la Guadeloupe, Maalkhéma continue de se battre pour imposer son style décalé dans le milieu très codifié des musiques urbaines. Toasteur, MC, beatmaker, il a plus d’un tour dans son rap ! Suivez le beat...

H

ip hop, un style de vie…

© M. Montel

C’est par la danse que Maalkhéma initie son entrée dans le monde du hip hop. Né en métropole, il déménage en Guadeloupe vers l’âge de six ans et s’installe au Moule chez sa grand-mère. Faire de la musique ou de la danse, n’était pas considéré comme un « vrai » métier dans son milieu familial. Il ne se reconnaît pas d’influences particulières, écoutant un peu tout ce qui passait sur les ondes ou à la télévision : du compa, les premiers Kassav’, Mickael Jackson en passant par Madonna en particulier pour les chorégraphies. Ce n’est que dans les années 1993-1994, >>

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Babié http://youtu.be/1fq8xOry_TE

Kongo beat

J’ai d’abord écrit le texte. Je me suis inspiré de ce que je vivais chez ma grand-mère, qui se plaignait de mes manquements, de la musique que j’écoutais. Il s’agit donc d’une parodie. Avec Dj Parrain, nous avons ensuite créé la musique sur ces paroles.

Maalkhéma

©DR

>> qu’il commence vraiment à s’inté-

«

C’est difficile d’être reconnu en tant que rappeur de langue créole

»

en France métropolitaine. 86

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resser au rap lyrique et qu’il intègre le groupe « Big MC », en tant que danseur dans un premier temps. Il écoute alors MC Solaar, Benny B et se rend compte que le rap n’est qu’un effet mode dans son île. Avec « Big MC », il se met à écrire quelques textes. À cette époque, le hip hop était vraiment un état d’esprit regroupant des disciplines artistiques comme le b-boying (breakdance), le dejaying, le rap et le graffiti. Il véhiculait les principes de l’afrocentrisme, une manière d’être au quotidien, une « débrouillardise ». Les rappeurs créaient de la musique avec peu de moyens et ne se préoccupaient pas du lendemain, parce qu’ils étaient dans l’action et non dans le calcul. Mais, le mouvement hip hop manque d’émulation et de dynamique locales, le zouk monopolisant tout le devant de la scène. Il était aussi difficile d’avoir accès au rap produit à l’extérieur, à moins

d’avoir de la famille, des amis ramenant des mixtapes des États-Unis ou de métropole.

Scènes et groupes : la génèse

En 1996, Maalkhéma monte le groupe A.R.M.A.F.E.U. (Assassins Réunis pour la Mise À Feu des Ennemis de l’Underground) avec deux amis, Osteel et Deecta. Ils feront quelques scènes en Guadeloupe, invités dans les sound systems, plates-formes sonores qui accueillent un public exigeant. Deux ans après, se forme le concept «boulamawon», dispositif fédérant quinze intervenants, un Dj sur une durée d’un an. L’idée est venue d’un spectacle monté pour l’abolition de la fin de l’esclavage. De cette collaboration va naître « Le Tchö », un regroupement de plusieurs musiciens locaux : A.R.M.A.F.E.U., Rasta Connection, MDG (feu gestapo), Jess, Le Spectre, Bugfu Wanted, Zion, RasKana, Rastaco. Maalkhéma réalise sa première


BEAT

Sur ce clip, j’ai travaillé sur le détournement d’images : le procès de DSK, l’émission 90’ Enquêtes, « À l’ombre de la haine » (avec Halle Berry) et des images trouvées sur le net. « Ou manqué pété on cab’ lè fanm la diw i ensint’. Ou dwet kopwan sété on jé ou kompwan sété on feinte ». T’as failli péter un cable quand elle t’a dit qu’elle était enceinte. T’as cru que c’était une blague, t’as cru qu’elle feintait.

Pwoblem http://youtu.be/vIf___QZEIA

mixtape avec Dj Parrain, sur laquelle se trouve le morceau « Babié ». Cette cassette a eu beaucoup de succès et est tombée entre les mains d’un producteur de RFO. Maalkhéma est alors invité à participer à l’émission « Reyel Attitudes ».

pour sa production. Maalkhéma a aussi le gros défaut de ne pas vouloir s’enfermer dans un style et rejette les étiquettes, ragga ou reggae, même s’il s’est beaucoup produit dans les sound systems.

Une conscience humoristique

En Guadeloupe, Maalkhéma a été associé au ragga, parce que son style « à part » était difficile à cerner. Ce n’est pas le positionnement qu’il avait choisi et il a souffert de cette incompréhension. Il réalise quelques collaborations avec Neg Lyrical et préfère assez vite s’éloigner du milieu antillais avec lequel musicalement il n’est pas en phase. Décidé à ne pas se limiter, il quitte l’île pour revenir en métropole en 2002. Il entre en contact assez facilement avec des musiciens parisiens et participe à des compilations. En 2003, sort alors la mixtape « Maalkhéma 2, le retour », compilation de travaux qui synthétise ses années guadelou-

Quand on lui pose la question de son nom de scène, « Maalkhéma », on commence à cerner le personnage. Ce surnom lui vient de la pièce de José Jernidier « Mal Maké », comédie typiquement antillaise. Parce qu’il a de l’humour, et qu’il l’utilise à la fois dans son écriture et dans ses clips ! Il suffit d’aller regarder « Buraliss » ou « Babié », pour bien comprendre l’écueil auquel il se confronte : pas de belles voitures, de mannequins près de la piscine, de misogynie, d’égotrip caractérisé de rappeur. On se trouve très loin des codes du rap et cela explique en partie l’incompréhension du public et des labels

Une évolution nécessaire

péennes. Rapper en créole en Guadeloupe est normal, mais en France ? La donne change les mots… Pour se faire comprendre de son nouveau public, et ouvrir sa musique, Maalkhéma commence à mêler le créole et le français. Il s’agit d’une gageure aussi, car pour évoluer, il faut savoir prendre des risques.

De Paris à Lyon

Pour des raisons personnelles et professionnelles, Maalkhéma rejoint la scène lyonnaise des musiques dites urbaines. Il n’arrive pas en terrain conquis mais son cousin y a déjà monté un groupe « Killa Sound Massive ». Il tourne un an avec le groupe ragga « Heartical Family », puis entre dans « Mad a Skank » groupe de reggae. Il ne devait assurer que quelques scènes et finalement se retrouve en première partie d’Anthony B. Qu’il fasse du reggae, de la soul ou du rap, ce sont toujours ses textes, il reste dans un >>

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Twop techi http://youtu.be/MeKe_w6emsQ « Laaa mé ka ou ban fimé la ? Ou pa vwè koulè a la fimé la ? » Mais qu’est-ce que tu m’as donné (à fumer) ? T’as pas vu la couleur de la fumée ??

>> état d’esprit hip hop, c’est une des

© M. Montel

caractéristiques de son style. Cette flexibilité, il la tient de son expérience dans les sound systems et elle lui permet de se ressourcer musicalement. Il trouve son inspiration, dans les documents historiques, l’actualité, les humoristes (Dieudonné, Albè et Léyon), le cinéma (Quentin Tarentino). Il peut traiter de sujets graves sur un ton ironique ou humoristique. Maalkhéma se concentre aussi sur son projet « Philosophie créole », un mélange de hip hop et d’acoustique (qui n’est pas sorti faute de producteur). En 2010, le public le retrouve en première

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partie du rappeur Youssoupha à Magnitude 39 (CCO de Villeurbanne) et finaliste au festival «L’original, buzzboaster» (Rhône-Alpe). Depuis 2010, Kongobeat – l’autre pseudonyme de Maalkhéma – se concentre sur sa facette de beatmaker. Il propose ses musiques à différents interprètes. Il sort son album «Pawabol» sur le web en 2011. Cette année, il fêtera les dix ans de « Babié » avec un concert et un documentaire backstage… Mais son ambition est de pouvoir mener à bien un projet artistique au niveau international, qu’il soit ou non devant le micro.


BEAT

yy u Discographie

« Ki diferens ki ni entre on dilè zeb é on buraliss ? Buraliss la ka van taba, dilè la ka van kanabiss » Quelle est la diférence entre un dealer d’herbe et un buraliste ? Le buraliste vend du tabac, le dealer vend du cannabis.

Buraliss

Maalkhéma

1975 Naissance à Villeneuve-Saint-George 1998 Il fonde « Le Tchö » avec Dj Parrain 1999 • Première partie de Wyclef Jean • Première partie de Bisso na Bisso 2000 • Première partie de Stomy Bugsy • Première partie de Matt Houston 2001 Sortie du single « Babié » 2002 • Maalkhéma revient en métropole. • Titre « Fais passer le mot » avec Neg Lyrical sur la compilation « Pass di rum riddim » • Titre « Jalousie» avec Dainjahman sur la compilation « More Vibes » 2003 • « Pilé an mako » sur la compilation « R2D2 Riddim » • Sortie de la mixtape « Maalkhéma 2 le retour »

2004 Titre « Jet Set » avec Neg Lyrical sur la compilation « Megawatt » 2005 • Titre « Lanmou épi lajan » avec Neg Lyrical sur la compilation « Attomic’ Riddim » produite par Dj Wilson • Titre « Fewoss épi bon zepiss » sur la mixtape de Neg Lyrical • Première partie de Krys et de Mighty Kalimba 2006 • « Chif » sur la mixtape « Bondamanjak street CD A» de Neg Lyrical 2008 Première partie d’Anthony B avec le groupe Mad A Skank 2010 • Festival des musiques urbaines « Magnitude 39 » à Villeurbanne • Finaliste à « L’Original Festival Buzzbooster » 2011 « Pawabol » album web maalkhema@live.fr www.myspace.com/maalkhema maalkhema.skyrock.com/

© Meroje Prod

DR

http://youtu.be/2VyyQE5G3gg

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© P. Vicart

MUSIK

doigts d’argent

Mario

Que ce soit la salsa, le classique ou la musique traditionnelle martiniquaise, Mario Masse passe avec une facilité déconcertante d’un style à l’autre. Rencontre avec ce musicien généreux lors d’un « chanté nwel » sur Paris, pour le plus grand plaisir de nos oreilles…

«Mon père a toujours été un amoureux des musiques afro-cubaines et latines. Il reprenait des thèmes de Perez Prado ou de la Sonora Ponceña.» C’est par cette réflexion sur son père que Mario Masse nous introduit dans son univers musical. Né en Martinique, d’un père guyanais et d’une mère martiniquaise, il appartient à une famille de musiciens. Josy Mass, la sœur de son père est une grande dame de la chanson guyanaise. Il compte aussi Renato Garros, le chanteur du groupe «Les vautours» comme parent proche. Mais c’est surtout son père, qui chantait dans les orchestres martiniquais, à une période où cela se faisait peu, qui lui a transmis l’amour de la musique. «Il avait un gros magnéto à bande et nous écoutions aussi bien, du calypso, de la pachanga, de la musique brésilienne que de la musique guadeloupéenne ou haïtienne.» Du côté de sa mère mélomane, il a la chance d’avoir un

cousin grand collectionneur de vinyls qui lui mettra, à disposition, sa collection pour compléter son éducation musicale. C’est donc naturellement que la musique s’est imposée à lui, notamment parce qu’il assistait chez sa grand-mère aux répétitions de Josy Mass et de ses musiciens lorsqu’elle venait faire une tournée en Martinique. «J’étais émerveillé et cela ne m’a jamais plus quitté…»

Flûte alors !

À l’époque, il y avait certes une tradition de la flûte en Martinique – citons Eugène Mona, Dédé SaintPrix, Léon Sainte-Rose, Max Cilla, Krisyan Jesophe, mais c’était de la flûte en bambou. Au début, Mario commence par le piano puis passe à la guitare parce que son père en possédait une. Vient ensuite une basse faite de bric et de broc, qu’il joue dans des groupes de quartier : «j’avais, en réalité, emprunté la guitare de mon père et je l’avais transformée en basse ! Lorsque qu’enfin j’en ai eu une vraie entre les mains, j’étais >>

Yasmina Ho-You-Fat Comédienne © Mangala

Q

uand famille rime avec musique…

Je connais Mario Masse depuis longtemps, nous sommes tous deux originaires de la Guyane et nos familles se fréquentaient. J’ai été amenée à travailler à plusieurs reprises avec lui. La première fois, dans une adaptation du roman de Patrick Chamoiseau « Chemin d’école », mise en scène par Luc Saint-Éloy. Puis, récemment, en décembre 2010, lors du colloque « Chemin d’accès » à la Bibliothèque Nationale de France. Nous avons présenté une lecture rassemblant des textes d’écrivains venant des différents pays de l’Outre-mer et il m’a semblé évident, que les flûtes de Mario se prêteraient parfaitement à cette mise en espace. Nous nous sommes basés sur sa culture musicale et avons travaillé plus longuement sur les musiques de Nouvelle-Calédonie que Mario connaissait moins, pour créer ce duo texte et flûte.

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MUSIK

La flûte est le prolongement « de la voix, il faut savoir gérer sa respiration, comme le font les chanteurs.»

>> comme un fou.» La rencontre avec

la flûte traversière s’est faite plus tard, au séminaire. Il avait la réputation de pouvoir jouer n’importe quel instrument et naturellement le professeur lui a mis la flûte traversière entre les mains. Ce fut un fiasco musical mais une rencontre déterminante… Son professeur lui donna les bases et lui vendit sa première flûte. Il était plutôt rare de jouer de la flûte traversière, il fallait avoir l’argent pour suivre des cours au conservatoire, mais Mario apprit beaucoup à jouer d’une manière autodidacte, directement avec les groupes de musique.

dans la musique des Forces Françaises. Son répertoire ne se cantonnait pas aux musiques militaires, il jouait aussi des musiques de films et de la musique classique.

Profession : musicien

«Un jour j’ai dit à mon père : je veux être musicien. C’était une envie physique.» Son père n’était pas contre, à condition qu’il continue aussi ses études en parallèle. Mario suit une capacité en droit et quitte l’école pour s’immerger dans le monde professionnel en commençant à jouer dans les «bœufs». Grâce à Christian Loui-

En métropole pour se perfectionner et évoluer

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La pratique au quotidien

© Illustration : F. Blaize

Son rêve était de faire un cursus en France, pour ensuite tourner dans le monde entier. Mais la vie et les rencontres en ont décidé autrement… Le problème majeur était le manque d’argent. Il n’existait pas de bourse ou d’aide du conseil général pour permettre aux jeunes musiciens de se former dans la Caraïbe (notamment à Cuba). Mario, ayant conscience qu’il fallait partir pour évoluer, choisit le conservatoire de musique Alfred Cortot à Paris. « Je connaissais déjà la métropole, j’ai vécu dans le 77 de l’âge de deux à six ans. C’était mon premier contact avec la variété française et internationale». Il restera deux ans au conservatoire, entrecoupés par son service militaire qu’il effectue en Allemagne,

set, un ami d’enfance, guitariste du groupe « Bamboulaz », il rencontre le groupe « Difé » qui cherchait un flûtiste. Il commence donc à tourner dans les années quatre-vingt et n’a pas arrêté depuis. Lorsqu’on embrasse la musique, il a aussi certains désavantages. C’est un métier à risque pour la vie de couple et pour l’équilibre financier. Il est très difficile de se projeter et on ne vit qu’au jour le jour, ce qui peut créer des tensions, si on n’a pas une famille compréhensive. Mais, en contrepartie, on a la satisfaction de partager et d’apporter du bonheur au public. «Être généreux quand on est musicien c’est vital, il faut avoir le sens du don» ajoute Mario. Mario n’a pas l’attitude du fonctionnaire avec un emploi du temps strict et réglé. Cependant, il travaille tous les jours environ quatre heures car il est important d’être toujours en contact avec l’instrument. Il commence par une heure de classique, puis passe ensuite à la musique antillaise, au jazz et à la salsa. Il joue soit à l’oreille, soit sur partition. «J’ai la chance de savoir lire et écrire la musique. Pour la composition, je me base sur la couleur et la sensibilité du musicien pour produire un morceau.» Car Mario est aussi compositeurarrangeur. Auparavant, il écrivait les partitions à la main, actuellement il le fait sur ordinateur par souci d’efficacité. Son style est plutôt


Photographe Pascal Vicart - http://www.facebook.com/l/OAQHrpOPeAQHU3Nqb4UK-Vi8MaT095uO5O3dz5trEhaoWog/www.pascalvicart.com

Mario Masse lors du showcase du groupe « Moun Karayib » en juin 2007.

Luc Saint-Éloy

©DR

© Taj

Metteur en scène

Ci-dessus, Mario joue avec « La Maafia », groupe de musique martiniquaise, influencé par le kompa. Il se produira aussi avec Dédé Saint-Prix ou encore Jeff Joseph.

caribéen et martiniquais. Il a joué avec des groupes de salsa tels «La Charanga Nueva » dans les années 80-90 ou encore « La Son Charanga » (dans les années 2000), mais il navigue aussi entre le rock acoustique de « Yann et les Abeilles », le « salsamuffin » de Sergent Garcia et le gospel (« Gospel Voices », « Gospel pour 100 voix »). Avec son groupe «Sabonsa», il prépare actuellement un album. Le groupe compte six artistes : choriste, batteur, percussionniste, bassiste et clavier, avec à la flûte et au chant, Mario.

Du studio à la scène, il n’y a qu’un souffle…

Les deux univers sont intéressants et ont leurs spécificités. Au studio, le musicien se trouve en phase de création, mais il faut faire les bons choix rapidement, car la mise à disposition coûte cher. Il faut être capable d’intégrer ces contraintes techniques pour avoir une forte réactivité. Pour la scène, c’est l’émotion qui prime, celle qui passe entre l’interprète et le public, même s’il y a de petites erreurs. Le matériel utilisé est aussi déterminant pour une bonne prestation. «Pour choisir une flûte il faut

Mario Masse ! Artiste complet et rare ! Sa disponibilité et son engagement à mes créations… Je m’en souviens comme si c’était hier. Non seulement il a travaillé en tant que musicien mais aussi en tant que comédien. Avec « Bwa Brilé », l’hommage à Eugène Mona, une pièce difficile à monter, au Café de la danse à Paris et en tournée aux Antilles, notre première aventure. Il était aux clavier, et à la flûte. Et dans ma mise en scène, c’est tout naturellement que je l’ai transformé ensuite en danseur-lutteur. Il était à l’aise ! Tout un programme.

beaucoup de temps, tester toutes sortes de marques, faire varier les embouchures…» Le premier critère de choix pour Mario, est le poids : la flûte ne doit pas être trop lourde. Ensuite vient la tonalité. Il préfère les Yamaha pour la chaleur dans les graves, et les Sankyo pour la brillance et la souplesse dans les aigus et les médiums. Mario a aussi joué sur des modèles Artley, Noblet et Muramatsu. Sur scène, il est possible de faire varier les univers. L’intérêt de la flûte est de pouvoir s’adapter à des spectacles très éclectiques comme : - le théâtre : en collaboration avec Luc Saint-Éloy - la lecture : avec Joby Bernabé - le conte : avec Mimi Barthélémy - la danse : avec Kettly Noël, Norma Claire et Erol Josué Voodoo Man «J’aime me mettre en danger pour booster ma créativité». Il faut savoir

C’était en 1996. Et l’année d’après, je le distribuais pour jouer un des personnages de la pièce « Chemin d’école ». C’était un comédien formidable, je me souviens de nos nombreux amis musiciens qui n’en croyaient pas leurs yeux lors de la création à la Tempête à la Cartoucherie. Mario Masse, un enfant de primaire… Un vrai rôle de composition : il était parfait ! Il aime la scène et il respecte nos métiers. Mario Masse, un grand ami, un grand artiste et un musicien de talent ! Je l’ai toujours vu de bonne humeur et avec le sourire. Un vrai régal de travailler avec lui… J’attends de nouvelles aventures ! www.toitmonde.com lucsaint-eloy@noos.fr

se défaire d’un certain confort, se donner des défis, et apprendre à créer un univers à partir de presque rien. Cette plasticité, Mario l’a apprise en Martinique en travaillant avec des musiciens comme Alfred Varasse ou Willy Léger.

L’avenir le dira…

Après avoir vécu longtemps à Paris, pour des questions d’opportunités, Mario Masse, a décidé de retourner travailler en Martinique. Il y a maintenant, là-bas, la possibilité de se produire sur plusieurs scènes : Le Vieux Foyal, Le Nectar ou le Nautilus à Sainte-Luce. 2012 est l’année du changement et peut-être aussi de nouvelles possibilités de tourner dans la Caraïbe hispanique. massemario@yahoo.fr www.myspace.com/mariomasse972 Mario Masse est aussi sur Facebook

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Christian Sabas

L’expérience de Ferry

J’ai pris l’avion ainsi ces derniers temps… pas comme à l’accoutumée… mais plutôt comme un habitué… tué par l’habit en quelque sorte que j’endossais à chaque fois dans le petit hameau… peintre, artiste… transformeur… ; performeur… visionnaire…

À

UNE CADENCE IMPRESSIONNANTE LES VAGUES

déferlèrent et à chaque fois les dunes délavées… nous laissaient conter en peines profondes et parfois sur joies intenses… les expériences et dettes que l’homme devra endurer… et ainsi s’acquitter… Dans l’île… Ferry fait figure de flou… ; Basse-Terre dit que c’est loin 94

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et Grande Terre avoue que c’est un trou… ; autant dire que c’est l’autre bout du monde… le trou du cul des mondes… ah ah ah… En fait Ferry c’est là où ça se passe… un lieu où les liens condensent et… où les difficultés se mettent à jour… Conditionné d’un retour au pays natal, brutalisé de travers nés de l’At-

lantique… traversées… à répéter tout le temps la même partition… c’est de là que petit à petit, sur une matière si brute mais douloureuse, angoissante… à pensées sanglotantes… mélancoliques… débouchait ce qu’on peut considérer comme un nid, un espace fécond… faisant comme… portant pour… et par- >>


© Photos de l’article C. Sabas

TOPOLOGIE

Cynthia Phibel

© DR

Artiste plasticienne «J’ai eu l’occasion de le rencontrer en Guadeloupe en 2009 lors de l’événement « Art Bémao » où j’étais moi-même invitée. Sa posture quelque peu en marge m’interpellait dès lors. Cette marge n’est pas celle de l’écart sinon celle de sa complète implication sans la pratique : il dessinait comme il respire. Totalement enfoui dans son travail, il peignait de l’ouverture à la fermeture de l’exposition. J’ai noté la dimension performative des dessins qu’il esquissait, passant

d’une feuille à l’autre il donnait vie à des scènes, des « déboulés » de gens, de paroles non dites ou dites autrement… Soit ! Au-delà de tout ça et en dépit du fait qu’il puisse dire : « mais ce ne sont que des histoires comme ci, comme ça ! » il y a une véritable profondeur dans l’œuvre qu’il développe, de la présence et de l’absence à la fois, de la chair des choses… Et cela m’émeut, d’autant plus qu’au-delà de la seule émotion, il y a cette réalité évidente des formes-présences qui émergent, tissent ses supports, les mettent en écritures, leur font mémoire avec une plasticité tremblante de vivant. http://www.bo-horschamp.com/

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Boucan

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Ferry sur :

>>

http://boucan-on.jimdo.com/

tant vers… C’est de ce lieu qu’allait inonder un espace d’amour sur espèce de mur… que je nommerai musée des arts et des ors… de Ferry… L’image y naît et les profonds iront semer s’aimer… Il suffira alors d’accueillir en cette case pourrie des corps jeunes, oui en des gestes d’enfants, des esprits alertes aux regards d’adultes hébétés… ; de toutes ces lumières qui dansent et révèlent la tonique du jour… et des cœurs encore contents… de réaliser des choses et d’autres à en tirer comme une fierté… oui la quête de lendemains heureux sera notre but.

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«

Il y avait des feuilles, de la toile, des couleurs, du bois brûlé… on était si ensemble… s’affairant à se défaire…

»

La manière ferrysienne va se déployer, se déplier… et ainsi faire sens à porter devant l’intelligence artistique du pays… une nouvelle neuve… d’une matière si surannée… si intense… et en ce lieu qu’on dit musée… de l’art… l’enfant s’est saisi du pinceau, contemple les bleus qui parlent aux âmes, secoue des rouges qui invitent à la fête… ; des jaunes qui s’ouvrent à la méditation… ; du noir de l’effort, du blanc de beaux drapés d’ors fins… entend le ronron de la mère si houleuse et trace comme une figure, un visage… qui fait défaut sur une ligne qui démarque… ; une vie, un instant, un nœud qui se défait… un ennui qu’on évacue… mais sur un désir d’être si fort qui nous caresse… D’autres enfants suivent et crient aux vents… défiant les temps… on est content… et Ferry est habité… Ferry se dévêt et là faudra voir pour

le croire… enlève couverture en tôles froissées, éclatées, décyclonées… Ici, c’est l’enfant qui porte, qui pleure et qui dénonce l’existence délicate d’un monde de pêcheurs rêveurs, d’orgueilleux agriculteurs, d’impossibles débrouillards… À Ferry, il y va des poussières… Il a suffi d’une guitare à trois cordes et les passants s’y mirent… se firent et se fondirent… artistes sur un temps, chanteurs tout d’un coup, comme ça, tout de go… tout de shorts vêtus… des hommes aux muscles tendus et si bien bandés prirent la pose… le féminin délicatement se pointait, s’est levé, il y eut des rires… une complicité… on se connaissait, on était les mêmes… un sourire… il y aurait la guerre… point n’en fuserait… Bien sûr que ce peuple est condamné à se mourir lentement… mais si violemment… et ainsi nourri chaque jour de ce parfum de poisson perforé, vendu en bordure de routes… de cette fumée épaisse dégagée d’insalubres en tous genres,


TOPOLOGIE

Commissaire d’exposition et critique d’art indépendant À chaque occasion, je me rends au « Musée d’art moderne » de Ferry Lacok comme indiqué sur les deux vieux battants de volets qui annoncent l’exposition dans la vieille case rose abandonnée du front de mer. Christian Sabas expose ses œuvres et reçoit les enfants des environs pour des ateliers de pratique artistique. Les peintures sont accrochées aux murs ou posées à même le sol, les visiteurs vont et viennent au gré de l’après-midi, des habitants du bourg, des amis ou connaissances, des curieux ou des personnes attirées par ce musée peu ordinaire. Dans une ambiance chaleureuse et pleine de générosité, Christian accueille tous ceux qui font la démarche de s’arrêter au musée, commente les œuvres,

donne la parole au visiteur et lui offre un petit « son », un peu de musique jazz ou ka, selon le feeling et quand d’autres musiciens viennent à passer par là, cela se transforme en mini-concert jusqu’à la nuit tombée. Sabas est toujours à l’œuvre : modestement, de manière constante, il scrute le monde qui l’entoure et ceux qui le vivent. Ce qu’il aimerait partager – entre autre – c’est ce que les âmes diffusent et qu’il perçoit au cours de toutes les rencontres qui jalonnent son parcours. Visiter le hors champs est devenu une seconde nature pour lui. En dessin ou en peinture, il explore, expérimente, transforme, il tente de retenir ce qui est fugace, miraculeux ou mystérieux et souvent si difficile juste à saisir. Dans ces nombreuses œuvres dessinées, scènes de la vie quotidienne, corps et visages, une autre vérité se fait jour et qui préoccupe notre homme : la farce de la vie et de l’art n’est jamais très loin.

© Photos de l’article C. Sabas

L’enfant était si content de rester avec les autres dans une danse de peinture en des jeux si doux… des nuits trop agitées… oui les enfants étaient protégés par… ces riens, ce négligeable d’une feuille peinturlurée… mais tellement révélatrice… Et c’est ainsi que lentement la mer monte et raconte une histoire de l’homme que l’enfant démate…

Nathalie Hainaut

© N. Élisé

la canne attend son coupeur. Le rhum est là partout… qui caducise l’instant… on rit jaune… Certains trébuchent et iront s’affaisser sur les galets en bord du vague… à ainsi regarder la mère, à entendre les voix profondes de frères déchargés en masse et si en chien, en rien, dans les données sur l’esclavagerie… on peut entendre que le cœur n’y est plus et que notre homme s’échappe comme il peut de son non combat pour une certaine dignité… d’un certain rester debout… nèg pa bèf… ; bon sang de bon sang… oui Ferry c’est un lieu de combat ou même nus les cœurs chantonnent l’impossible… aux corps oubliés…

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+

d

Texte : C. Sabas

1

Il y a une feuille peinte qui dénonce un fait ils ont annoncé

fort…

qui tient d’un enfant en de troublés troublés troublés constants…

Ferry se prépare…

é

s

e

r

t

e

(

s

les rues se firent

)

la peur

prit

place…


t

+

r

Typo : F. Blaize

2

ça fut le grand dans un truc en dur, un bâti en béton…où se

faudra se mettre à l’abri

pas

laisser t o m

les vents avaient tourné quand l’homme lentement revient…

b

e

r

l’enfant assurait que l’amer avançait…

et son inlassable murmure

se faisait

inquiétant… oui à ce stade

l’on argue que la mère est si démontée et qu’en ses vagues aux creux Poséidon nous enverrait-il quelques effarants messages et denses...

?

Il se put que la mère cherchât à récupérer de l’humaine condition…

un fils


En douze planches dessinées, Jack Exily nous propose un hommage au peintre martiniquais Henri Guédon.

Né en Martinique, Jack Exily vit et travaille à Paris. www.soulnetworks.org • exily.soulnet@gmail.com

© J. Exily

COMICSTRIP


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