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L’escalade belge au féminin

Toute une histoire!

BERNARD MARNETTE

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De nos jours, l’escalade dans notre pays se conjugue volontiers avec structure artificielle, et l’escalade en salle est devenue une pratique incontournable au-delà de la grimpe en falaise. Les dames y ont particulièrement trouvé chaussure à leur pied, puisque le niveau moyen de nos grimpeuses a véritablement explosé, et surtout elles y ont trouvé un moyen d’expression dans les compétitions d’escalade.

Notre pays, ces deux dernières décennies, a généré plusieurs championnes du monde. Isabelle Dorsimond, Muriel Sarkany, Anak Verhoeven pour ne parler que des plus connues en senior. En 1991, Isabelle Dorsimond, bien connue pour avoir créé «Terre neuve», a décroché le titre en vitesse après avoir remporté la coupe du monde en 1989. Elle fut notre première championne du monde. Par la suite, elles furent assez nombreuses à se distinguer sur le plan international : Catherine Gloesner, Dominique Lewalle, Chloé Graftiaux a. , Chloé Caulier, Mathilde Brumagne, Élodie Orbaen, Héloïse Doumont…

Isabelle Dorsimond – en salle

Cet épisode, marquant, de compétitions et de salles d’escalade, ne doit pas faire oublier que l’histoire de ces «drôles de dames» a commencé il y a bien longtemps déjà. L’histoire des grimpeuses belges a connu son âge d’or dans les années 60 grâce à la démocratisation des loisirs et le début de l’escalade de masse dans notre pays. Dès le début de cette évolution, les femmes viendront mettre leur grain de sel dans la vie du Club Alpin. Elles furent moins nombreuses que les hommes, mais certaines d’entre elles ont, il faut le dire, marqué les esprits. Il est évidemment impossible, en quelques lignes, de les citer toutes, mais on peut en mentionner un bon nombre. Il y en a eu pour tous les goûts, de la « grimpeuse aux pieds nus », Titi Depommier b. , à la plus administrative, Marcelle Blogie, qui fit partie des fondateurs de la section du Brabant en 1964. Citons en vrac: Nelly Marchal c. , Charlotte Vancrombrugge, Hélène Charlier, Andrée Hermans, Moussia Pinta, Jeanne Englebert…

[...] impossible, en quelques lignes, de les citer toutes, mais on peut en mentionner un bon nombre.

Ainsi, à la fin des années 50, lorsque le nombre de nouvelles voies va s’intensifier dans nos Ardennes, plusieurs femmes joueront un rôle dans les ouvertures.

On peut déjà mentionner, avant 1950, Suzanne Tobback, compagne de Pierre Brichard dans la très difficile ascension du « Tour de Cochon » en 1946 à Freyr. Il est à noter que la première femme à laisser son nom au rang des ouvreuses belges est Monique Uyttendael pour le «Mou-qui-ne-vient-pas» à Dave. Voie qu’elle a réalisée avec André Pierlot dès 1943. Thérèse Dussart sera une des premières assidues aux ouvertures. Elle réalisera, essentiellement avec Pierre de Radzitzky, son compagnon de cordée habituel des années 50-60, plusieurs classiques de Freyr. Ce sera «Les Hermétiques», le « Petit Navet », la « Jaunisse »… et, bien sûr, «La Thérèse» dans les «Cinq Ânes». En 1956, il faut aussi mentionner « Les Tourtereaux », une des grandes voies de Freyr des années 60 ouverte par un couple de Parisiens : Brigitte Robail et René Gervais. Nos tourtereaux étaient bien connus dans les milieux chamoniards de l’époque. Ils avaient notamment à leur actif (en couple) la troisième ascension de l’arête nord-ouest des Grands Chamoz ainsi que la face est du Grand Capucin. En 1958, une autre voie majeure sera ouverte par un couple: c’est «L’Échec du Siècle» réalisée par Nadine Simandel et Jean Alzetta. Les rochers liégeois sont aussi explorés par les femmes. C’est André Capel qui est le plus ardent à la tâche dans les années 50-60. Il emmena souvent Monique Doutrelouxe et Simone Renard dans de belles premières à Sy, Roche aux faucons, Roche aux Corbeaux…

Dans les années 60, Pierre de Radzitsky emmena aussi sa femme Anne-Marie pour quelques petites voies à Hotton et à Freyr. Plus tard, Anne Lauwaert ouvrira plusieurs voies avec Claude Barbier, notamment au Rocher du Pendu, le long de la Lesse. Éliane Baguet ouvrira en 1977 l’«Eden» une classique du Mérinos à Freyr. À partir des années 80, on parlera plutôt d’équipement et de libre que de véritables ouvertures. Les fissures sont toutes gravies et les voies sont équipées, le plus souvent du haut. Mais, quelques filles équiperont des voies dures et feront monter le niveau. Ce sera notamment le cas d’Isabelle Dorsimond qui réussira aussi le premier 8a belge (Scharzenegger en 1991). Plus récemment, Anak Verhoeven réussit un exploit historique avec l’ouverture du premier 9a belge «Kraftio1 ». À Freyr, Cécile Hankenne équipe également plusieurs voies avec son compagnon Marc Bott, notamment des voies pour enfants (à la carrière). Dans d’autres massifs, il y a aussi quelques ouvreuses : Christiane Jackemin, Dominique Lewalle, Marianne Rykman, Évelyne Harray, Véronique Corman…

1 - Au niveau purement performance, mentionnons que c’est Muriel Sarkany qui est la première femme belge à réussir un 9a (en 2014). Il va sans dire que le niveau falaise chez les filles a littéralement explosé ces dernières années. On ne peut parler de toutes les grimpeuses actuellement actives dans nos rochers, mais citons quelques noms: Aline Lambert, Hélène Diezor, Sophie Paris, Isolde Toet, Laurence Yernaux…

a. Chloé Graftiaux

(Asbl Passion Together ©) b. Titi Depommier, « La grimpeuse aux pieds nus » – Rocher Bayard, Dinant, 1948

(Document Tity Depommier) Ardennes & Alpes — n°207

c. Nelly Marchal – Freyr – 1947

(Document Tity Depommier)

Il y a les voies ouvertes par les femmes et des voies portant des noms de femmes. En effet, dès les débuts de l’escalade dans nos rochers, de nombreux hommages aux femmes seront faits à travers les toponymes de voie. Cela va de la mère («La Germaine» à Tilff), la «Grand-mère» (nom d’une voie à Freyr) en passant par les enfants (la «Fissure Annie» à Hotton, «La Cerise» à Freyr, la «Sandrine» à Corphalie). Les références à l’épouse ou à l’amie sont courantes: la «Monique», la «Brigitte», la «Charlotte», l’«Anna», la «Mimi», la «Pelo»… Parfois, les hommages sont plus discrets et c’est la «Puissante morsure», une référence à la jolie demoiselle qui avait «croqué» le cœur de l’ouvreur. Il y a des noms de voies, mais aussi les noms de rochers!

Des noms de femmes résonnent aussi dans les rochers d’escalade, à commencer par ceux de Marche-les-Dames.

Le Rocher des Dames doit son nom à la légende qui raconte que c’est du haut de cette colline que les dames de l’abbaye toute proche allaient attendre le retour de croisade de leurs chers chevaliers… Ceci nous éloigne un peu de l’escalade! Il est vrai que l’on ne grimpe plus sur ce rocher depuis quelque temps déjà. Pas loin de là, à l’entrée du vallon du Charbonnier, le rocher de la Boule porte aussi le nom affectueux de «Grosse Dame».

Plus tragique est, un peu en amont, le nom d’une grande falaise qui porte le nom de Sybille de Liedekerke, qui y fit une chute en tentant l’ascension avec son frère, en 1939. À Freyr, le rocher de la Jeunesse (ou l’ancienne Jeunesse) tient son nom du trou de la jeunesse, ou trou des amoureux, très anciennement fréquenté. Les dames sont donc bien pour moitié dans cette toponymie. On peut encore évoquer deux noms de rocher: à Hotton, la voie de la « Mandille » a donné son nom à une belle dalle du massif de Renissart. Cette toponymie date de 1964. Il s’agit d’une voie dédiée à la mère d’un grimpeur, ainsi surnommée, car elle se promenait toujours en haillons. «La Nausée» est aussi le surnom donné à une grimpeuse qui, via un nom de voie, est devenu un toponyme rocheux du massif de la Neuve-Batte le long de la Lesse. On pourrait parler des rochers de la Vierge à Sy et à Comblain. «La Fausse vierge» (nom d’une voie et d’un rocher) à Maizeret n’a, par contre, Dieu merci, rien à voir avec les Dames! Dans la même vallée du Samson, on peut mentionner que les rochers de Mozet portent localement le nom de «Blanches Dames».

d. Simone Renard Cinq Ânes, Freyr

(Marcel Kempgens ©) e. Cécile Mayeur – 1967

(J. Delderenne ©) d. Simone Renard Sy-sur-Ourthe, Ardennes belges

(Marcel Kempgens ©)

Voici donc pour les rochers. En parallèle, à ces noms et à la vie des massifs ardennais, c’est l’histoire de nos alpinistes féminines qui transparaît. Il faut savoir que, de 1930 à 1980, les falaises étaient considérées comme des écoles d’escalade. La plupart des femmes que l’on vient d’évoquer sont, ou ont été, des alpinistes. En partant des années 60, on peut évoquer bon nombre de jeunes alpinistes de notre pays ou des «assimilées» des pays limitrophes. Là non plus on ne peut toutes les citer tant cette histoire est riche.

En 1955 déjà, la Liégeoise Simone Renard d. marque les esprits en réalisant (avec André Capel) la première féminine de la prestigieuse face est du Grand Capucin. Une des plus brillantes fut sans doute Cécile Mayeur e. . Elle aura une carrière prolifique et brillante, réalisant la traversée de la Meije dès 1948 en cordée féminine avec Suzanne Tobback. Fidèle au célèbre Camp des Houches2, elle réalisera dans le début des années 60 de grandes parois comme la face nord des Drus, la face est du Grand Capucin, puis, plus tard, la Kuffner au mont Maudit et une première en 1967 avec le guide Claude Jager, à l’aiguille d’Argentière.

2 - Camp d’été organisé par le Hennuyer Michel Fagot pendant plus de 40 ans. Nadine Simandel eut une carrière tout aussi étincelante, mais bien plus courte. Avant son décès prématuré au Groenland, elle avait réalisé quelques exploits dont la première répétition de la «Voie des Français» à la face nord de la Cima W di Lavaredo dans les Dolomites ainsi qu’une remarquable première : celle de la « Voie des Belges» au Thezoulag, sommet majeur du massif du Hoggar Algérien. En 1972, Danièle Garnaud réussira, avec le guide André Giraud, la première traversée Rateau-Meije dans le massif des Écrins. Danièle est, en fait, française, mais elle sera, pendant de très longues années, une fidèle de Freyr et du camp en Oisans du Club Alpin de Namur. En 1976, Anne Lauwaert gravira la face nord de la Cima Grande di Lavaredo avec Claude Barbier. C’est aussi dans ces années que la Française Simone Badier, une des plus brillantes alpinistes qui soient, viendra très souvent à Freyr et fréquentera le camp des Houches (elle y gravira le prestigieux pilier Bonatti avec le Belge Bernard Gysen). Les années 80 verront tomber les grandes faces. Geneviève Périkel f. réussira l’Eiger et les Droites avec un guide d’origine belge : Élie Hanoteau. C’était déjà en 1978! Michèle Heraly gravira la face nord des Grandes Jorasses à deux reprises avec son mari Claude Grandmont. Ce sera «Le Croz» en 1980 et «La Walker» en 1982.

f. Geneviève Périkel – Juin 1979

(Magazine «Alpinisme & Randonnée» © Juin 1979) g. Pascale Noël dans la Puissante Morsure – Freyr

(Topo Freyr © Photo E. Berger) h. Lut Vivijs, Expédition Pamir – années 80

(©Dans l’Ombre du Mont Everest de Peter Grypodonck, Editions René Malherbe 1989)

En 1985, Pascale Noël g. 3 s’occupera de la 3e face nord mythique des Alpes: celle du Cervin. D’autres jeunes belges réussiront de belles courses alpestres à cette époque: Anne Delandsheer, Daria Jezierska, Chantal Scohy, Marie-Hélène Namurois… La fin des années 70 et le début des années 80 seront aussi marqués par le début de l’alpinisme d’expédition sur les plus hauts sommets de la terre. Plusieurs femmes belges participeront à des voyages dans les Andes et l’Himalaya notamment. Si on se limite à évoquer les géants de la Terre, il faut certainement mentionner Brigitte Koch, liégeoise d’origine, mais australienne d’adoption. Elle réussira à gravir les plus hauts sommets de chaque continent. C’est ce que l’on appelle le « challenge des sept sommets». Elle atteindra son apogée avec la conquête de l’Everest en 1997. Mais, au jeu des plus hauts sommets, ce seront les Flamandes qui se feront remarquer: Lut Vivijs h. réussira la première féminine du Daulaghiri en 1982. On la retrouvera encore au Nanga Parbat (1986) et au Gasherbrum (1989). Ingrid Baeyens cumulera les expéditions, gravissant quatre sommets de 8000m, dont une première féminine de la face sud de l’Annapurna durant l’hiver 1991 et l’Everest en 1992.

3 - Luxembourgeoise, elle a fréquenté le milieu belge de l’escalade pendant bien longtemps. Depuis le début du siècle, l’escalade féminine s’est tournée plus volontiers vers les voies rocheuses techniques et les Big Walls. On peut parler de la regrettée Chloé Graftiaux. Elle s’est distinguée, notamment, au Yosemite et dans la face sud de la Meije. Elle décédera le 21 août 2010 en descendant de l’aiguille Noire de Peuterey. Pour les filles d’aujourd’hui, on peut évoquer les néerlandophones An Laenen, Monik Steenis (Hollandaises habituées de nos rochers). Johanne Jancloes, elle, enchaîne volontiers les grandes voies alpines (les voies Cassin à la cime ouest, à la Torre Trieste, au Badile, grandes voies au pic Sans Nom en Oisans…) et les expéditions sur de grands murs techniques (des voies comme «La Guerre sainte», «l’Axe du mal»…). On ne peut manquer d’évoquer trois filles qui, tout au long de leur carrière, ont pratiqué souvent en cordée féminine: Anne Delandtsheer, Chantal Beyaert i. k. et Isabelle Dorsimond k. . Anne Delandtsheer, dès les années 80, «aligne» de belles classiques entre filles: avec Annie Ravie (face nord de la Lenzspitze), avec Michèle Heraly (l’arête Grutter au Pèlerin, la Vinatzer à la Torre di Sella, etc.), avec Isabelle Dorsimond (la Renaudie au Requin), avec Chantal Scohy (la face nord d’Argentière). Plus tard, ce seront des voies rocheuses difficiles avec Geneviève Bourlon et, en 1994, la face sud de la Marmolada (voie Gogna) avec

i. Chantal Beyaert Cassin à la cima picolissima des Tre Cime

(Document Chantal Beyaert) j. Brigitte Koch, «Ouverture du toit au-dessus de la Nunez à Dave. Brigitte avait oublié son pantalon et à grimpé en jupe et jupon»– Dave, 1978

(Camille Piraprez ©) k. Isabelle Dorsimond & Chantal Beyaert, dans le campanile Basso (La Preuss) Dolomites « Cordée féminine », juillet 2017

(Document Chantal Beyaert)

Chantal Beyaert. Celle-ci se façonnera un beau palmarès de grandes voies souvent avec son compagnon Jean-Luc Lannoy (le pilier nord de l’Agner, la face nord de la Civetta (Andrich-Faé) et de la Cima Grande, la Detassis à la Brenta, la Comici au Sassolongo…), mais aussi, souvent, avec Isabelle Dorsimond dont, encore en 2017, «La Preuss» au Campanille Basso. On ne peut parler d’escalade au féminin sans parler de couples. Les hommes ne sont effectivement pas tout à fait extérieurs à cette histoire de grimpeuses. On a souvent formé des cordées mixtes dans nos Ardennes et de nombreuses idylles y ont vu le jour, notamment sur le plateau de Freyr où de nombreux couples se sont formés pour la vie. C’est le cas de Lucienne et Jean Lecomte bien connus pour avoir fondé les magasins de sport à Bruxelles. Monique et Georges Janty furent, eux aussi, des animateurs de «longue durée», Georges a été président du CAB pendant de nombreuses années. Plus courte fut la relation d’Anne Lauwaert avec Claude Barbier qui ne se réalisera que durant les deux dernières années de la vie du « Divino ». C’est elle qui découvrit le corps de celui-ci aux pieds des rochers du Paradou à Yvoir en 1977. Autre tragédie au début des années 60, ce seront deux couples bien connus à être unis dans la mort en montagne : Nadine Simandel et Jean Alzetta sur les côtes du Groenland et les époux Capel sur les flancs nord du pic Badile4 . Anne-Marie et Pierre de Radzitzky prirent également part à la vie du Club pendant de nombreuses années. Ils s’occupèrent, notamment, de l’édition de la revue (alors appelée Bulletin du Club Alpin Belge) durant les années 60. Pierre fut durant cette période un des grands ouvreurs de voies à Freyr et Hotton. On peut parler de Thérèse et Freddy Depadt qui se connurent à Freyr. Freddy sera très longtemps notre référent bibliophile grâce à sa célèbre «Librairie des cimes» à Bruxelles.

On pourrait encore parler de bien d’autres cordées mixtes, comme Lut Vivijs et Jan Vanhees, tous deux membres de l’Académique Groupe de Haute Montagne…, mais la liste est pratiquement infinie. Une mention un peu spéciale cependant à Danièle Bourgeois, l’épouse de notre légendaire Jean. Si elle ne fut pas une grande alpiniste, elle fréquenta la montagne en observatrice, publiant plusieurs livres à portée ethnographique ou ésotérique.

4 - Dans les décès tragiques en montagne, on peut évoquer celui de la comtesse Françoise de Hemricourt de Grunne (au Pic Dobani au Pakistan en 1960), la fille du fameux découvreur des rochers belges et ancien président du CAB, Xavier de Grunne. Rappelons que celui-ci a aussi perdu son fils lors d’une escalade à Freyr.

l. Claude & Georges Kogan avec un des frères Mailleux – Corno Stella Italie, 1948

(René Mailleux ©) m. La reine des Dolomites. Astrid et sa proche amie Anna Sparre en août 1935 et leurs guides lors de l’ascension de la Marmolada (3342m).

(Escalades royales ©, Éditions Nevetica 2016)

Dans Deux lotus en Himalaya (Paris, Flammarion, 1977), elle relate une aventure à la recherche des dernières caravanes sur la route de la soie. En collaboration avec Jean, elle publiera deux livres à succès: Les seigneurs d’Aryana, nomades contrebandiers d’Afghanistan (Paris, Flammarion, 1972)5 et Les voies abruptes (Grenoble, Glenat, 2002). Dans le registre des écrivaines, on peut mentionner quelques publications intéressantes. Angélique Prick, Vice et Versant, 2001, Grenoble, Glenat, un recueil de nouvelles remarqué. Anne Lauwaert, Le grimpeur maudit, (auto-édité en 2011) a écrit la biographie de Claude Barbier. On peut aussi mentionner des livres écrits sur des femmes. Par exemple: Peter Grypdonck, Dans l’ombre de l’Everest (Notre-Dame de Sanilhac, René Malherbe, 1989). Il y raconte les ascensions du couple Vivijs-Vanhees. Il était une fois une fée au pays de la grimpe (éd. SI, Jambes – 2011) est un livre mémoire sur la trop courte vie de Chloé Graftiaux. On ne peut là non plus citer tout le monde, notamment les nombreuses autrices qui ont collaboré à la revue du Club depuis ses débuts (il y eut notamment plusieurs rédactrices en chef). Terminons par l’actualité d’un livre pour enfants écrit par Pat Patfoort (qui fréquente les rochers de Freyr depuis son plus jeune âge). Il s’intitule

5 - Réédité aux éditions Nevicata en 2016. Le petit arbre apeuré (Soest, éd. Boekscout, 2020). Il raconte l’histoire d’un arbre né sur un replat vertigineux en pleine montagne. Ce conte philosophique a pour but l’édification de base pour une attitude non violente. Dans notre histoire il a en tout cas l’intérêt de boucler la boucle et de nous ramener à l’époque contemporaine. À cette histoire des grimpeuses belges on peut cependant ajouter une sorte de préhistoire. Celle-ci a vu un certain nombre de femmes découvrir les premières escalades dans nos rochers ardennais sans cependant connaître les véritables « débuts », ceux liés à l’inflation de pratiquants dans les années 60. On peut donc étendre cette histoire de grimpeuses aux années 30 et à l’après-guerre. Si l’on veut être véritablement complet, on peut également mentionner que des femmes belges ont pratiqué l’alpinisme sans connaître les débuts de la varappe dans nos rochers. Il faut certainement mentionner la reine Élisabeth6 qui réussira quelques belles courses en Engadine (première de l’arête nord du pic Caral – 1907) et dans les Dolomites (Cima Grande di Lavaredo – 1927).

6 - On pourrait également parler de sa fille, mais celle-ci fit ses ascensions bien loin de la Belgique à une époque ou Marie-José était princesse du Piémont et bientôt reine d’Italie.

n. Claudine Verstraeten

(Document : R. Mallieux) o. Astrid & Albert, probablement à Chaleux

(Document: Palais royal) Une autre personnalité importante du début du siècle est certainement Adèle Planchard. Elle commencera même l’alpinisme au siècle précédent. C’est en 1893, à l’âge de 32 ans, qu’elle découvrira la montagne. C’est une passion qui ne la lâchera jamais. Elle parcourra l’ensemble des Alpes, y réalisant de belles courses difficiles pour l’époque (couloir Whymper aux Écrins, aiguille méridionale d’Arves). Un refuge porte son nom encore aujourd’hui dans son massif de prédilection: celui des Écrins. «La belle Adèle », comme on le surnomme parfois, est une jolie bâtisse située à 3169m, au pied de la Grande Ruine.

May de Rudder est certainement une autre pionnière dont il faut parler. Elle réalisa de nombreuses courses partout dans les Alpes à partir de 1910. C’est cependant par sa plume que May de Rudder sera connue. Elle publia de nombreux articles pour la revue du Club dès 1926 et le renouveau de celui-ci. En effet, à partir de 1924, certains montagnards actifs de notre pays vont relancer les activités du Club sur de nouvelles bases. D’un cercle savant, le Club Alpin deviendra une véritable association sportive. L’exploration des rochers belges sera une conséquence de cette nouvelle mentalité. Les premières photos d’ascensions dans nos rochers datent de 1913 ; cependant, la première sortie de membres du Club sera enregistrée à Dave en 1926. Ce sera ensuite la première sortie officielle aux Grands Malades en 1928 puis, cette belle année 1929 qui verra véritablement les grands débuts de l’escalade belge avec les premières voies à Freyr, à Châleux et au Bayard. Les dames arriveront un peu plus tard et seront moins nombreuses7 que les hommes, mais ne seront pas en reste. En effet, à cette époque, plusieurs célébrités s’exerceront sur nos rochers. Certaines y découvriront l’escalade. Il faut d’abord mentionner la reine Astrid m 0. qui, dans sa courte vie, a fréquenté les rochers de Marche-les-Dames, de Chaleux, de Waulsort et fort probablement de Freyr. Elle grimpait avec Albert 1er bien sûr, mais aussi avec son mari, le futur Léopold III. On sait qu’en montagne, celui-ci était souvent guidé par Hans Stegen et la jeune Paula Weisinger, mais Léopold a aussi grimpé avec sa fille, Joséphine-Charlotte (la future grande duchesse de Luxembourg). Celle-ci a fait plusieurs courses difficiles en montagne et a aussi fréquenté les rochers belges. Parmi les compagnes de cordée de Léopold III, il faut aussi citer Colette d’Assche, une excellente grimpeuse qui fit notamment, en 1938, l’ascension de la célèbre face nord de la Civetta. Voici pour les escalades royales8 . Si Léopold III a grimpé avec de nombreuses femmes, un autre homme a aussi joué un rôle dans cette

p. Anne Delandsheer – dans le Briançonnais, 1994

(Document : Anne Delandsheer)

7 - En 1934, lors d’une des premières sorties de la section de Liège, à Sy, le 16 décembre, on dénombre 18 personnes, dont cinq femmes. En 1937, à la 16e école d’escalade organisée par le CAB à Freyr, elles sont huit dont trois novices et cinq habituées. 8 - On peut ajouter que la famille royale actuelle aime aussi la montagne même si c’est avec moins de ferveur. Ils pratiquent le ski et la randonnée. Mentionnons également que, sans être une montagnarde passionnée, la princesse Esmeralda a gravi le Kilimandjaro en 2019.

histoire des années 30. Il s’agit de René Mallieux qui s’est notamment encordé avec de nombreuses têtes connues du monde de l’escalade belge de son époque: les sœurs Mayeur, Denise Waty, Hélène Polis et surtout la célèbre Claude Kogan l. . Celle-ci lui a toujours été reconnaissante de l’avoir laissé grimper en premier de cordée, ce qui était rare pour les femmes à cette époque. La première fois, ce fut en 1940, à Freyr, au pied de «La nouvelle jeunesse». Claude Kogan fut une célébrité de l’histoire de l’alpinisme. Cette Française a vécu plusieurs années à Bruxelles. C’est chez nous qu’elle a découvert l’escalade en 1938. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle quittera la Belgique pour le sud de la France où elle deviendra véritablement alpiniste. Elle réalisera de nombreuses grandes courses alpines, souvent en premier de cordée (comme l’arête sud de la Noire de Peuterey). Claude Kogan va très vite jouer un rôle actif dans les grandes expéditions (Salcantay au Pérou en 1952, Nun Kun en Inde en 1953, Cho Oyu au Népal/Tibet en 1954, dont elle manque de peu la première en atteignant 7730m, ce qui lui vaut le titre de «femme la plus haute du monde», Ganesh Himal au Népal/Tibet en 1955, Groenland en 1956, de nouveau le Pérou en 1957, le Caucase en 1958). Cependant, elle gardera toujours des relations intimes avec la Belgique. En 1951, ce sera son premier voyage: l’expédition franco-belge dans les Andes. Elle y retrouvera René Mallieux. En 1957, elle croisera de nouveau une autre belge : Claudine Vanderstraeten-Pontoz9, une excellente alpiniste exilée à Paris, mais qui a commencé à grimper sur les rochers de Freyr en 1949. Elles se retrouveront ensemble mêlées à une expédition au Pérou organisée par le célèbre alpiniste suisse Raymond Lambert. Ils feront la première du Pucaranra, un sommet de 6147m. La suite sera malheureusement tragique, puisque nos deux grimpeuses disparaîtront sur les flancs du Cho-Oyu (8189m) lors de la première expédition exclusivement féminine vers un sommet de 8000m.

Une autre célébrité à placer dans cet alpinisme féminin d’avant-guerre est Micheline Morin. Une des plus brillantes alpinistes de l’entre-deux-guerres, pionnière de l’alpinisme en cordée féminine. Elle

9 - Claudine Vanderstraeten fut aussi une excellente skieuse, championne de Belgique en 1956 devant une autre alpiniste belge, Jacqueline Feyerick. Cette dernière a notamment gravi le Tronador en Patagonie en 1955. Dans les années 50, elle fut également administratrice du CAB. Ardennes & Alpes — n°207

réalisera de nombreuses belles courses alpines. Elle gravira des voies d’ampleur dans les Écrins (traversée de la Meije), dans le massif du MontBlanc (dent du Requin, aiguille Verte) et dans les Dolomites (voie Preuss au Campanille Basso). Elle signera également la première de la face sud-est des Droites avec Georges Charlet, en 1932. Elle sera aussi l’auteur de plusieurs livres dont Encordées (Colombier éd. Victor Attinger, 1936) dans lequel elle évoque ses escalades en Ardenne. En effet, Micheline Morin a habité longtemps à Paris et a été une habituée de nos massifs rocheux. Elle réalisera en 1933, avec sa bellesœur, Néa Barnard, aussi excellente alpiniste, la première en cordée féminine du Bayard à Dinant. Le 20 juin 1937, Micheline Morin conduira aussi la première cordée entièrement féminine (franco-belge) dans l’« Al Lègne ». Quelque quatre mois plus tard, une cordée féminine homogène, forte de cinq membres rééditera la performance. C’est autant dire un acte militant. En effet, un galant homme, venu leur offrir son service, se fera violemment rabrouer!

Pour terminer cet article écrit «en remontant le temps », mentionnons une première, « la première » importante en tout cas : celle de l’« À l’Lègne, le plus haut rocher de nos Ardennes. La première ascension féminine en a été réalisée en plein hiver 1933 par mademoiselle Kiki Meersman. C’est le dimanche 10 décembre, par une température de -12°C, au-dessus de la Meuse entièrement gelée, que cet acte fondateur de l’escalade féminine dans notre pays a eu lieu.

Qui a dit que les femmes n’avaient pas de moral?!

BERNARD MARNETTE

Quelques références bibliographiques:

• J. Borlée, De Freyr à l’Himalaya,

Bruxelles Didier-Hatier,1987. • C. Buffet, Première de cordée, Paris, Robert Laffont, 2003. • Collectif, «Revues du CAB» • B. Marnette, Petit lexique toponymique des rochers et des voies d’escalade en Wallonie, Seraing, SERAC 2013. • B. Marnette, Escalades royales, Bruxelles, Nevicata, 2016. • M. Morin, Encordée, Hauterive, Attinger, 1936.

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