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Le haut niveau au féminin
STÉPHANIE GREVESSE
Muriel Sarkany, Isabelle Dorsimond, Élodie Orbaen, Chloé Graftiaux, Anak Verhoeven, Chloé Caulier et bien d’autres… Les femmes sont bel(les) et bien présentes dans la grimpe de haut niveau en Belgique depuis les années 80. Ce n’est donc pas une nouveauté et la tendance n’est pas prête de s’arrêter. Rencontres au top.
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L’escalade est un sport en plein développement et les grimpeuses interviewées sont unanimes: ce sport touche tout autant les filles que les garçons. Peut-être même surtout les filles d’ailleurs. Après avoir souvent essayé d’autres sports, la découverte de l’escalade est pour nombre d’entre elles une révélation. À tel point qu’actuellement, la gent féminine est de plus en plus représentée dans les salles. Il en va de même au niveau de la Belgian Climbing Team (BCT), où les grimpeuses de haut niveau incarnent actuellement plus de 50 % de l’effectif francophone. Évoluer au sein d’une équipe, qui plus est mixte, est toutefois assez récent dans l’histoire du haut niveau belge.
Michaël Timmermans ©
Portée par des idoles et un mental à toute épreuve
Championne du monde, championne d’Europe, détentrice de plusieurs médailles d’or en coupe du monde et autres compétitions internationales: on ne présente plus Muriel Sarkany. Lorsqu’elle a commencé à grimper, l’escalade n’était pourtant pas un sport particulièrement en vogue. Elle se souvient : « J’ai commencé l’escalade par hasard. Je suis très sportive depuis très jeune et mon but était de faire un sport de haut niveau. Je ne savais pas lequel. Je regardais Carl Lewis en athlétisme, les championnats du monde de gymnastique avec Nadia Comăneci, Sergei Bubka en saut à la perche : c’étaient mes idoles quand j’étais petite ». Enfant sportive, elle a fait du karaté et de la gymnastique et adorait comme beaucoup se percher dans les arbres. «J’ai eu l’occasion de grimper une fois et tout de suite, ça a été une révélation, j’ai trouvé mon sport et même bien plus qu’un sport. Il y a tout ce qui tourne autour aussi : l’aspect extérieur, la liberté, le bloc, la voie, être dans la nature, le mélange de physique et de mental, la tactique. Tout ça me plaisait beaucoup ». Pour réaliser son rêve de hauteurs, ce petit bout de femme n’était cependant soutenu que par quelques personnes et ne disposait pas d’un encadrement professionnel. Au début des années 90, la Belgique était très avancée en matière de salles. Il y avait des grimpeurs très forts, mais qui se débrouillaient chacun avec ses petites recettes d’entraînement. Ce n’est que plus tard que l’encadrement de l’escalade s’est professionnalisé. «Je n’avais pas de coach, je m’entraînais par moi-même. J’ai eu l’occasion de grimper avec des grimpeurs forts de l’époque, cela m’a aidée à conceptualiser mon entraînement». Rencontrer d’autres grimpeurs et échanger avec eux, cela a permis à la championne d’élaborer sa routine d’entraînement, qu’elle organisait en recherchant beaucoup par elle-même. « J’ai notamment eu la chance de grimper avec les Américaines Robyn Erbesfield et Lynn Hill, mes deux héroïnes du moment: j’ai vraiment eu de la chance de pouvoir les côtoyer et m’en inspirer».
Page de gauche: Muriel Sarakany En bas: Élodie Orbaen
La passion d’un sport adapté et une équipe inclusive
Née dans une famille de grimpeurs et néanmoins arrivée dans la compétition plutôt par hasard, elle aussi, en 2013, la double championne du monde de handi-grimpe, Élodie Orbaen, est une battante passionnée. Elle ne se destinait pas au haut niveau. Grimper lui permet avant tout de pratiquer un sport sans prothèse et de se sentir ainsi plus libre. Elle se souvient de son recrutement pour l’équipe nationale: «Je m’amusais, je grimpais presque tous les jours. J’étais à fond. Cela a probablement joué en ma faveur pour le recrutement en vue de développer l’équipe de handi-escalade». À l’époque, elle s’entraînait au sein de la BCT, notamment avec Chloé Caulier, Mathilde Brumagne et Héloïse Dumont. «Il n’y avait pas tant de filles, dit-elle, environ 70% de garçons et 30% de filles.»
Michaël Timmermans © Ardennes & Alpes — n°207
Question d’équilibre…
Quelques années plus tard, l’équipe belge d’escalade de haut niveau compte autant de filles que de garçons. Pour Siri De Leus, jeune grimpeuse, une présence féminine dans une équipe est tout à fait naturelle : « Les sports doivent être mixtes et ce ne serait pas normal qu’il y ait une catégorie de garçon et pas de fille». Même son de cloche du côté de Lucie Watillon, qui a intégré la BCT en 2017 et a déjà un beau palmarès à son actif : « En compétition internationale, on retrouve généralement des équipes très mixtes. J’ai le sentiment que, globalement, l’escalade est un sport assez équitable à ce niveau-là». En compétition, les catégories masculines sont généralement plus remplies que celles des filles, mais cela semble s’équilibrer de plus en plus. L’escalade a notamment ceci de différent des autres sports: les compétitions masculines et féminines, pour grimpeurs valides ou non, font l’objet d’une même organisation, contrairement au foot, par exemple, où il y a un championnat masculin et un autre féminin qui n’est pas médiatisé de la même façon. En grimpe, tous se retrouvent au même moment dans les mêmes compétitions. « Pourvu que ça dure malgré la médiatisation grandissante du sport», dit Élodie Orbaen avant de continuer: «C’est un sport hyperintéressant, car tu peux tant développer la force, les mouvements dynamiques d’une part et, de l’autre, il y a ce côté proprioception, souplesse, technique.» Autant de caractéristiques qui semblent bien convenir aux femmes.
Aptitudes féminines vs. aptitudes masculines
Si les hommes ont indéniablement plus de force que les femmes, celles-ci exploitent des atouts différents. « Il n’y a pas que la force qui compte. Et c’est là-dessus que les filles ont peut-être une carte à jouer et peuvent faire des performances intéressantes. Les atouts des filles sont selon moi une analyse de la lecture qui peut être différente, la souplesse, la tenue des prises. Les gars sont forts dans les compressions et mouvements dynamiques, mais les filles ont une grâce et une gestuelle toutes particulières », dit Élodie Orbaen. Autre atout: leur façon différente d’appréhender les voies et la pression des compétitions. «J’ai l’impression que les femmes, en général, sont plus fortes mentalement que les hommes. En salle, des voies plus masculines avec de grands mouvements très physiques, au niveau allonge, ça peut être un désavantage pour les femmes, mais elles sont aussi plus souples et plus légères »,
L’anecdote pas si anecdotique
«Les gens qui ne me connaissent pas me disent “même mon frère ou même machin qui est un garçon n’est pas arrivé à grimper”: un peu comme si c’était une tare à porter d’être une fille. Le frère ou le “machin” affiche alors un sourire un peu crispé, comme s’il était difficile de voir une femme qui réussit quelque chose qu’il n’a pas réussi et trouve des excuses pour expliquer son échec», raconte Élodie Orbaen.
Lucie Watillon
dit Muriel Sarkany. Et Élodie Orbaen d’abonder: « Elles ont dans le mental cette espèce de hargne, de compétition interne, de vouloir prouver qu’elles peuvent le faire».
Une question d’ouverture(s)
Depuis peu, des ouvertures commencent à être réalisées par des femmes. Entre-temps, ce sont encore majoritairement des ouvreurs qu’on rencontre, en salle comme en rocher. «Ça joue parfois sur la qualité de l’ouverture pour les filles et je pense que ça pourrait être vraiment bénéfique qu’il y ait plus de femmes qui ouvrent en compétitions», pense Lucie Watillon. Ouvrir des voies, surtout de compétition, demande une expérience très complète. Il s’agit véritablement d’un job à part entière. Au niveau international, les ouvreuses sont des perles rares actuellement: Katja Vidmar, de nationalité slovaque, est devenue ouvreuse IFSC en 2018 et a été rejointe en 2019 par la Française Hélène Janicot. Muriel Sarkany encourage d’ailleurs les ouvreuses à faire leur place sur les parois: «Je reste persuadée qu’il est possible concevoir des blocs ou des voies dures sans que ce soit l’allonge entre les mouvements qui joue systématiquement dans la difficulté ». Un avis partagé par Élodie Orbaen : « Elles amènent une variété de mouvement différents, c’est chouette d’avoir des voies qui se grimpent en difficulté et qui ont une gestuelle différente.»
Climb like a girl, climb like a princess! 1
Michaël Timmermans © Les paroles d’un coach, adressées à un grimpeur tout en muscles lors d’un stage en falaise, résonnent en moi. Si, globalement, le credo des grimpeuses rencontrées est de faire ce qu’elles aiment et de le faire pour elles, avec passion, traçant leur(s) voie(s), sans se comparer aux hommes ni se laisser intimider par le regard des gens, il semblerait que les grimpeurs ne perdraient rien à s’inspirer des qualités de leurs homologues féminines…
STÉPHANIE GREVESSE
1 - «Grimpe comme une fille, grimpe comme une princesse!» Simon Montmory