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Freyr libéré ?enfin

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Paul De Genst

Paul De Genst

Les assauts de Loïc et David…

La petite histoire de deux nouvelles pépites en 8c+ et 9a LOÏC

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DEBRY & DAVID LEDUC

On grimpe à Freyr depuis bientôt 100 ans ; toutes les voies ont été gravies au moins une fois. Les projets évidents qui restent à libérer sont peu nombreux : l’extension du Clou, la directe de Masque à Gaz et la directe de Shingen en face nord du Mérinos. Des voies déjà mythiques avant qu’elles n’aient été enchainées !

En ce printemps 2022, deux de ces trois derniers projets ont été réussis. L’une est la plus longue du massif, l’autre la plus courte ! Voici une petite présentation du contexte par les protagonistes, qui voulaient tous les deux vivre le plaisir de faire une grande première dans l’épicentre de l’univers.

Shogun

La face nord est connue pour ses voies teigneuses et courtes… Je me souviens être allé essayer le projet pour rire il y a quelques années avec Sébastien Berthe. Seb était déjà monté plusieurs fois dans ce projet. À chaque fois qu’il en descendait, il se répétait qu’il n’irait plus jamais. En effet, la première approche dans cette voie est complexe. Les prises sont mauvaises et quasi toutes verticales. Par contre, la voie donne envie. Elle se situe dans la partie la plus lisse et compacte du secteur, seule une fine fissure lisse montre la direction à suivre. La première fois que j’ai essayé le projet, j’ai à peine réussi quelques mouvements. Deux mouvements sont particulièrement difficiles : le « crux » au niveau de la troisième dégaine et un dernier mouvement aléatoire (il faut viser une fine fissure) qui signe la fin des grosses difficultés. Je me suis alors attelé à trouver des méthodes pour réussir tous les mouvements de la voie. Après quelques séances, j’ai découvert des méthodes très particulières qui me permettaient de relier chaque prise. La clé du crux consiste à monter les pieds très haut (au-dessus des mains) et de trouver le bon équilibre pour valoriser un maximum chaque prise. C’est le seul moment où on est assez stable pour clipper la troisième dégaine (je reclippais les deux premières dégaines car je trouvais trop dangereux de les clipper du bas). Ensuite vient le mouvement final : en décalant un pied très loin à droite, j’arrivais une fois sur trois à attraper la fine fissure. Une fois chaque mouvement décortiqué, il a fallu les travailler, les enregistrer parfaitement pour les exécuter le mieux possible pour être capable de les empiler sans accumuler trop de fatigue. Les mois passent et je fais très peu de progrès en partant du bas. Chaque semaine je reviens pour essayer de parfaire chaque mouvement, mais je tombe chaque fois que j’essaie de clipper dans le crux. À force d’essayer, je trouve des petites astuces qui me permettent d’économiser de l’énergie : je mets un chausson gauche rigide et un chaussons droit souple, je découvre un meilleur pied lorsque des coulées d’eau m’empêchent d’utiliser mes pieds habituels, je tords un peu la troisième dégaine pour la positionner perpendiculairement au mur pour accélérer le clippage, etc. Finalement, un jour, je passe le clippage et je tombe au dernier mouvement aléatoire ! Après être resté coincé 4 mois au même endroit, c’est un énorme bond en avant. Je sais que je peux faire la voie… S’en suivent 3 mois où j’essaie de venir une à deux fois par semaine à Freyr pour essayer le projet. Je me rapproche petit à petit, avec toujours aucune certitude que je puisse réussir ce dernier mouvement aléatoire du bas.

En général, je fais deux essais sur la journée. Un très bon essai où je suis peu échauffé, mais où j’ai encore beaucoup de force. En général, je tombe les doigts engourdis au jeté final. Pour mon deuxième essai, je suis plus échauffé et je tombe trop fatigué au jeté final. Ensuite j’essaie encore une ou deux fois pour m’entraîner dans la voie, mais je n’ai plus aucune chance d’enchaîner.

Un jour de la fin avril, j’ai déjà mis mes deux essais habituels, je décide de prendre un peu plus de repos pour mon troisième essai et je retombe au dernier mouvement à un doigt de tenir la prise ! Je sais que je n’ai plus de chance de réussir aujourd’hui, mais on a le temps, alors je me repose de nouveau une heure et demie. Je n’ai plus de pression car ce n’est plus un run d’enchaîne-

Shogun

Premier ascensionniste : Loïc Debry

Date de l’enchaînement : 21 avril 2022

Temps de travail : 7 mois

Équipeur : Micha Vanhoudt (2014)

Cotation proposée : 9a

Longueur : 15 mètres

(dont 8 mètres de difficultés)

Nombre de mouvements : 11 durs, 22 au total

Capacités nécessaires : Une grande souplesse, beaucoup de force dans les doigts, de la résistance courte et une âme de Samouraï

Meilleures conditions : 12°C et un vent fort

Gazoduc

Premier ascensionniste : David Leduc

Date de l’enchaînement : 6 mai 2022

Temps de travail : 3 mois en couple + 2 années de romance

Équipeur : Nicolas Favresse, avec Marc Debaecke (2013)

Cotation proposée : 8c+

Longueur : 55 mètres (dont 30 mètres indépendants)

Nombre de mouvements : Ça n’en finit pas !

Capacités nécessaires : Attention, haute technicité, excitation obligatoire, endurance (il faut une bonne réserve d’hydrocarbures) et il faut tirer un coup de temps en temps.

Meilleures conditions : Matin printanier, avant l’arrivée du soleil sur la paroi ment, mais je me sens encore assez en forme. Je passe le clippage, j’envoie le dernier jeté, et là, par je ne sais quelle magie, je tiens la prise. Je m’efforce de rester concentré, je manque d’énergie et les mouvements suivants qui normalement sont beaucoup plus faciles me font presque tomber. Un dernier effort de concentration et de gestion de mon effort et je clippe le relais !

La voie s’appelle « Shogun », comme je ne pense pas que cette voie avait déjà un nom avant. C’est une référence à la voie classique juste à gauche de « Shingen » qui est un grand général Samouraï. « Shogun » n’est autre que le grand chef des Samouraï du XIIe siècle.

L’idée de libérer un des derniers projets à Freyr m’avait motivé comme jamais. Je n’avais jamais mis autant d’énergie dans une voie. L’aboutissement de ces mois d’effort s’est conclu par un petit « clip ». Je sais qu’après avoir mis tant d’énergie à un seul endroit, il est parfois dur de repartir de plus belle. Je prends mon temps, mais les projets pullulent autour de moi, vivement le prochain !

PS : Nous avons pris le temps de faire quelques images pour réaliser un petit film, affaire à suivre.

LOÏC DEBRY

Gazoduc

Moi aussi, la première fois que je suis allé dans ce projet, c’était avec Sébastien Berthe. En 2019, il avait passé quelques semaines à essayer la voie et m’avait motivé à essayer avec lui. Je me rappelle avoir fait un gros vol de plus de 10 mètres dans le départ encore relativement facile de la voie et lui qui m’encourageait : « Haha bien joué, c’est LE vol que je n’avais pas trop envie de tester ». Plus haut, je n’avais pas réussi les mouvements difficiles et j’étais redescendu.

Entretemps, après avoir en toutes ces années remonté 1734 fois les pentes de Freyr depuis la Meuse, avoir léché chaque cm 2 de paroi, avoir dévoré des kilos de frites et des cubis de bière au Colébi, avoir goûté à toutes les combinaisons d’extensions de variantes des voies existantes, après avoir fêté mon 50 e enchaînement de Schwarzenegger et avoir bouffé 365 tartines de clous… Il me restait encore du temps précieux à perdre ! Donc j’ai lancé une offensive défensive pour libérer le dernier projet existant de l’Al

Lègne, pour assurer l’approvisionnement en Gaz, sans escalade du conflit !

Je retournais donc de temps en temps dans la voie, le matin ou en soirée, souvent seul, en lançant ma corde depuis le sommet, pour le plaisir de la découverte et aussi pour décortiquer le bazar. Au fil des mois et des années, sans objectif précis, je me rends compte qu’en fait je maîtrise tous les mouvements individuels. De plus en plus, je commence à rêver d’enchaîner cette voie incroyable et, qui sait, peut-être même d’en faire la grande première… Début 2022, j’enchaîne mon projet de manucure qui coupe la peau des doigts, le Razorblade. Donc je me lance. Le projet de la directe de Masque à Gaz est encore bien mouillé… mais je commence à retravailler les parties sèches, plus faciles. La partie du crux est souvent mouillée l’hiver, ça pimente un peu l’histoire car quand c’est sec il fait souvent déjà caniculaire dans le four de l’Al Legne, donc vive les réveils matinaux en saison tropicale ! La voie tracée par Nico F. commençait en fait au milieu de nulle part en faisant une traversée bizarre, donc j’ai rajouté un départ direct qui prolonge d’une douzaine de mètres la section de rocher neuf.

Pour les connaisseurs de l’Al Legne, voici quelques détails de l’itinéraire :

• Départ dans « Streap tilt » 6c+ jusqu’au relais. +- 20 m

• Section « Gazoduc » +- 30 m > 12 m en 6c bien gazeux > 12 m en 8a bien teigneux > 6 m de crux malicieux, puis détente pause-café, puis petit crux délicieux.

• Sortie dans « Masque à Gaz » +- 10 m > frissons et grimpe exceptionnelle jusqu’au relais.

3 nuits par semaine en avril et en mai, à 6 h 00 bip ! bip ! bip ! Échauffement rapide à la maison entre le café et la tartine, préparer la petite pour l’école ou bien pour la prendre avec moi, une voie d’échauffement et un seul essai dans le projet, avant que le soleil n’illumine la paroi et qu’on ait d’autres choses à faire que de jouer au lézard des murailles. Mes compagnons de grimpe étaient aussi motivés que moi ! C’étaient ma Laura et ma petite fille Fauve, Benoit Berthe (l’homme le plus matinal de Freyr) et aussi Xavier le boulanger local. Merci les gars !

Le jour où Loïc a réussi Shogun, je tombe au dernier mouvement de la voie. C’aurait été incroyable de réussir en même temps ! Mais mon vieux corps meurtri aura besoin de 2 semaines supplémentaires avant la libération. Au total, je tombe 3 fois dans la toute fin de voie malgré un gros combat, là où je pensais ne plus pouvoir tomber.

Le 5 mai, je demande à Laura de me couper mes dreadlocks, que j’ai depuis 10 ans, méga projet et elle le fait ! Je ressemble à une klet mais le lendemain matin, bien coiffé pour l’asile, j’enchaine la voie ! Ensuite, les grimpeurs du vendredi me confirment que j’ai une gueule de plouc, qu’il faut absolument que je me fasse encore débroussailler, donc je fêterai la voie chez le coiffeur à Dinant !

« Gazoduc », le nom de la voie, a été inventé par le Lillois Ben Breton (le champion du monde toutes catégories de Freyr), en 2020 quand il m’a vu essayer la voie (« Masque à Gaz + Leduc » mais je ne savais pas encore ce que voulait dire gazoduc…). Le nom a pris tout son sens lors de l’enchaînement début 2022 vu l’actualité ! Donc voilà, l’approvisionnement en gaz est assuré, il y a de l’ambiance et un petit peu d’air entre les points, le style est plus important que la difficulté, merci papy Favresse de m’avoir trouvé un job.

« Alors c’était plutôt comme faire l’amour ou plutôt un accouchement ? » me demanda papy Nico. « Je viendrai essayer lors de ma prochaine crise de pets à Freyr » continua ce vieux guitariste exilé en France.

L’extension du Clou est le projet le plus fou, et il reste encore à faire, étant certainement un des efforts les plus complexes que l’escalade sur Terre peut nous offrir : avis aux amateurs, et allez Seb !

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