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L’histoire d’une folle compétition

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Merci !

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Nicolas Collin

L’histoire commence en 2020 lors des championnats d’Europe, je ne le savais pas encore mais cette compétition était sélective pour les jeux mondiaux (World Games) de 2022. Et grâce à mon titre de vice-champion d’Europe d’escalade de difficulté, je gagne mon ticket pour cette compétition dans l’épreuve de difficulté.

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12/07

: Acclimatation

11/07

: Début de l’aventure

On se retrouve avec Liselotte Debruyn (coach), Chloé Caulier et Hannes Van Duysen à l’aéroport de Zaventem. On voyagera avec une partie du Team Belgium. La routine des longs vols se met en route (lutte contre le sommeil, déshydratation, visualisations de film, musique, papotages). On arrive fin d’aprèm à Birmingham (Alabama). On s’installe, on partage un petit kot avec Hannes au sein du campus, on mange en équipe dans la cantine du village des athlètes et il est déjà l’heure d’aller se coucher.

Après une bonne nuit de sommeil, il est temps de préparer le corps à travailler dans ce nouveau fuseau horaire. La matinée est dédiée à une séance de fitness. Au programme : mobilité articulaire, proprioception, cardio, gainage et un petit rappel de force. L’après-midi, séance de récupération avec bain froid et massage pour optimiser la forme. C’est ce jour-là que l’organisation de la compétition nous contacte, car il manque un participant pour le bloc. Elle me propose de prendre part à la compétition de bloc qui aura lieu la veille de la compétition de difficulté. J’ai envie de laisser parler ma passion pour l’escalade et la compétition. J’appelle tout de même mon coach Chris, afin de prendre la meilleure décision. On pèse le pour et le contre et très rapidement, on s’accorde pour dire que je participerai également à la compétition de bloc.

13/07 : Entraînement (aiguisage des lames)

Bon, le fitness c’est sympa, mais il est temps de remettre les chaussons et d’user sa peau sur des arquées miteuses.

On se retrouve avec les grimpeurs des autres nations, dans un petit pan. L’émulation est bien présente, on invente chacun à son tour des blocs plus extrêmes les uns que les autres. Et ça fini en concours de bloc no-foot (bon à ce jeu-là je ne suis pas très avantagé avec mes 72 kg, mais j’arrive à élever mon niveau et pourfendre les arquées du panneau à 45°).

L’après-midi est réservée à la récupération. Avec Hannes, on remplit le bain de gros glaçons, on met une playlist de piano classique et on s’alterne pour 15 minutes d’immersion dans une eau glaciale (contrôle de soi garanti).

14/07 : Le repos du guerrier

La veille de la compétition, j’aime bien libérer mon esprit, ne pas subir la pression de l’événement. Souvent, j’essaie de profiter de ce moment pour explorer les lieux et me vider l’esprit. Du coup, je passe la journée avec Hannes à me balader dans la ville, puis nous rejoignons l’équipe pour assister à la compétition de kickboxing et encourager les athlètes du Team Belgium. (En VIP aux premières loges pour contempler un condensé de testostérone et d’’hémoglobine !).

Le soir, je me recentre sur la compétition du lendemain et je mets en place mes routines en plongeant dans les bras de Morphée.

15/07 : Début des hostilités

Réveil à 6 h 30 : petit-déjeuner de champion et je file vers la zone de compétition (20 min de bus), la musique à fond dans mes oreilles. Un café et c’est parti pour l’échauffement. J’ai de très bonnes sensations, je vole sur le mur. Je mets mon dossard, prépare mon sac et me dirige derrière le mur de compétition.

La compétition commence, et elle commence plutôt mal. 1er bloc : je passe les 5 minutes à essayer de démarrer dans le bloc sans jamais aller toucher la zone. Pas grave, c’est le jeu…, il faut être résilient ; il reste 3 blocs ! Deuxième bloc, on part sur le même délire que le bloc 1 : je ne bouge pas. Je comprends très vite que si je veux passer les qualifications il va falloir que je fasse mieux que ça et dans les 5 dernières secondes j’arrive à aller chercher la zone. Ouf, c’était moins une ! Bloc 3 : je le lis et je vois que celui-là, il est pour moi ! Il y a plein de coincements et placements. Je sors toute ma technicité et j’enchaîne le bloc à quelques secondes de la fin ! Enfin, le 4e et dernier bloc, pas très dur : je le fais à vue en jouant sur mon 1 m 92 d’allonge.

Bilan : 2t3z ; ce n’est pas top mais le scénario fera que je finis 6e des qualifs, soit le dernier qualifié pour les finales.

Maintenant, place à la récupération, car les finales sont dans quelques heures et mon corps subit déjà le contrecoup des qualifs avec en prime une contracture à chaque triceps.

Le repos est de courte durée : 4 h plus tard me voilà de retour dans la zone d’isolement/échauffement. Le format des finales est différent, le temps de repos entre les blocs est allongé ; on a deux minutes pour lire chaque bloc. L’ouverture est plus axée sur des mouvements spectaculaires. (Globalement plusieurs points à mon avantage).

À la lecture des blocs, je suis inspiré et trouve toute une série de placements qui vont me permettre d’assurer et perdre moins d’énergie. Je décrypte à la perfection les passages difficiles et garde bien dans ma tête tous ces éléments.

Fin de la lecture. J’ai donc 4 minutes pour me préparer avant le 1er bloc. Je sais qu’il faut être à fond dès la 1re seconde. Je passe 1er car en finale on prend l’ordre inversé des qualifications. Je n’ai rien à perdre et tout à gagner, mais pour ça, va vraiment falloir faire mieux que le matin. Je démarre à fond dans le bloc 1 et le réalise à vue. Je suis comme dans un état d’hypnose. Les sportifs appellent ça le « flow ». Ma concentration est maximale et je suis comme coupé du monde. Je démarre dans le bloc 2 en sachant que je suis 1er après le 1er bloc, personne n’a réussi à faire le bloc 1 au premier essai. Je reste concentré sur le deuxième bloc. Je démarre dans le bloc, mais tombe au moment d’aller chercher la zone. J’ai bien senti le mouvement, je sais que je vais faire le bloc à condition que je prenne tous les risques dans le jump. J’y vais à fond et j’accroche la zone, puis quelques secondes plus tard c’est le top. Je conserve la 1 re place après ce deuxième bloc. Le bloc 3 est un bloc bien physique. De grands mouvements sur de bons plats en compression. Je mets un premier essai et j’attrape la zone, mais je zippe du pied dans la fin du bloc. Je suis conscient que je peux y arriver au prochain essai, mais je ressens une sensation bizarre dans ma main droite. Un rapide coup d’œil pour constater un petit saignement sous l’ongle de mon index. Je cache bien ma main dans mon sac à magne. Je dois réussir au prochain essai, car la douleur va s’amplifier rapidement et compliquer les choses. Je repars dans le bloc, le couteau (un katana) entre les dents, et atteint le top. Retour à l’isolement… C’est l’occasion de créer l’exploit qui s’offre à moi et je la saisis. Il me suffit de faire le dernier bloc en moins de 3 essais et c’est dans la poche. Ce n’est pas le moment de gamberger.

L’hématome grandit sous mon ongle ; il est impératif de toper au premier passage. Je fais le vide autour de moi et me concentre sur ce dernier bloc. À la lecture, c’était un bloc qui semblait bien me convenir. Je monte sur le tapis et suis plongé dans ma « bulle ». Je contemple le bloc quelques secondes pour confirmer mes repères et m’élance. Je négocie le mouvement dynamique aléatoire du premier coup et me retrouve sur la zone. Il me reste deux mouvements physiques pour aller au top. Je serre les prises du plus fort que je peux et gaine mes abdos tout en mettant une pression maximale sur les pieds. J’arrive sur le top, je ramène, job is done. Je descends du bloc, je suis sur le cul, qu’est ce qui s’est passé ? Je viens de gagner les Jeux Mondiaux devant Kokoro et Ogata, les meilleurs bloqueurs de la planète. Après l’étonnement, place à la joie. Je m’effondre sur les tapis…

Je repense à tous les moments difficiles endurés. Derrière cette victoire se cache une montagne de sacrifices, d’échecs, des heures passées dans l’ombre à souffrir. Mais le jeu en valait la chandelle, j’ai enduré, persévéré, je me suis acharné et je peux maintenant savourer cette victoire. Je me reconnecte à la réalité du moment, je sors de cette hypnose. J’aperçois enfin les gens autour de moi. La partie est finie, place à quelques heures de célébrations avant de retourner se préparer pour la compétition du lendemain. En effet, la compétition de difficulté démarre le lendemain et je sais que les courbatures, les blessures et le manque de sommeil seront de la partie.

16/07

6 h : il est l’heure de sortir de mon lit, je n’ai pas vraiment réussi à dormir, direction le petit-déjeuner. Puis même routine : bus et direction la zone d’isolement/échauffement. Je me demande ce que je fais là. Je pourrais prendre des vacances (enfin je dis toujours ça, mais ça fait plus de 10 ans que je n’en ai pas pris). Mais ce n’est pas le cas, je me suis engagé dans cette compétition. Je me mets au défi d’aller donner le meilleur de moi-même, les conditions sont pourries, mais c’est là qu’on verra si j’ai du caractère ! Je ne m’échauffe quasi pas, car c’est trop douloureux de serrer les prises avec l’hématome sous mon ongle. Je sers fort un tape autour de mon doigt pour inhiber la douleur et je le retirerai juste avant de grimper.

C’est à mon tour dans 2 grimpeurs et je sens que je dois vomir, la chaleur, le syndrome inflammatoire, la douleur, le stress me rendent vraiment malade. Va falloir faire avec, un run de voie c’est maximum 6 minutes ; je peux bien passer au-dessus pour cette courte période. Je démarre dans la voie, ma grimpe est efficace et en 2 minutes j’arrive sur le dernier panneau. Je lutte contre fatigue, je donne tout ce que j’ai et chute à 3 mouvements du top. Je suis exténué, au bout de ma vie. Mais la bonne nouvelle c’est que je suis 3e des qualifications, du coup j’ai la chance de grimper en finale dans quelques heures…

Place à la récupération, mais ce n’est pas très efficace, je touche à ma limite physique.

La finale fut compliquée : une voie hyper exigeante dès le départ. Je n’arrive pas à imposer ma grimpe. Je n’arrive plus à bien serrer les prises et je chute au même endroit que bon nombre d’autres concurrents. Résultat in fine : 6e ! J’espérais mieux, mais je suis allé au bout de mes ressources ; l’objectif est atteint.

Pour conclure, lors de ces jeux mondiaux, la Belgique aura remporté 11 médailles d’or, 4 médailles d’argent et 5 médailles de bronze, ce qui nous place à la 7e place du classement mondial. Pas mal pour notre petit plat pays. Pour ma part, je retourne à l’entraînement, il y a encore plein de grandes échéances à préparer, la saison n’est pas finie.

NICOLAS COLLIN

Remerciements :

Je voudrais remercier tous ceux qui font partie de mon quotidien et qui partagent avec moi cette aventure : Merci Chris (coach), Xavier (préparateur physique), Jean (préparateur mental), Arius (kiné), Louis et Simon (les meilleurs potes)

Merci à la famille

Merci à mes sponsors pour leurs soutiens : C.A.B. / ABLOC/ Scarpa/ Myléore/ L’ADEPS

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