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Expédition -Simulation

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GRIMP

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Florence Duval

Le noir avait pris la place du crépuscule, nous n’étions plus que deux lampes frontales au bord de la bretelle reliant Modane à Valfréjus, en attendant qu’une voiture daigne nous charger. Cela ne se présentait pas vraiment bien au vu de la maigre fréquentation de ce bout d’autoroute un mardi de février. Et là, une voiture arrive, droit dans notre direction. C’est notre chance, doucement.

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Ingrid est quelques mètres devant moi, on lève le pouce toutes les deux, mais ils ne sont pas visibles dans le noir, alors je lui crie au dernier moment cette phrase mythique, emblème de notre amitié : « Éclaire-moi »

Elle braque sa lampe sur moi en m’aveuglant, la voiture nous repère, s’arrête et nous charge… Mais qu’est-ce qui peut bien pousser deux humains à faire du stop en plein hiver au bord de cette route glauque ? Le froid, la peur, l’envie de survivre ? Ni l’un, ni l’autre, ni le troisième, mais bien une promesse de raclette. Pour nous comprendre, il faut remonter 5 jours en arrière…

L’ambiance est différente, on est chargées comme des mules avec plus de 20 kg sur le dos : bivouac, réchaud, raquettes et crampons…

On avance en direction du refuge de l’Avérole en remontant les pistes de Bessans dans la Haute Maurienne.

On avance mal, on est lourdes et déséquilibrées, la piste est damée mais on hésite à mettre les raquettes aux pieds pour avoir plus d’adhérence. Je me suis toujours demandé laquelle de nous deux est la plus têtue, d’ordinaire nous sommes une cordée complémentaire où les points forts de l’une viennent compléter les points faibles de l’autre. Mais en termes d’entêtement, on est parfaitement ex aequo

Je finis par mettre les miennes et Ingrid reste en « grosses », le résultat est similaire, elle glisse plus et j’avance moins vite…

On quitte le domaine et on monte à travers les hameaux abandonnés de la vallée pour enfin arriver aux abords du refuge de l’Avérole. Nous nous arrêtons 500 mètres avant et installons notre camp vers 2 500 mètres d’altitude.

L’objectif de la semaine est simple : 5 nuits en « expédition simulation » avec le refuge en « filet de secours ».

Nous n’avons jamais fait de bivouac en hiver et nous avons plein de questions pratiques : Va-t-on avoir froid ? Les sacs de couchage vont-ils sécher en journée ? Le gaz 4 saisons MSR va-t-il fonctionner dans le froid ?

Construction du camp

Nous nous installons loin des coulées d’avalanche possibles et creusons un énorme trou à côté d’un gros rocher, rebaptisé par la suite le rocher du pipi (pas besoin de dessin, j’imagine).

Creuser un trou, ça prend vraiment du temps. Plus d’une heure plus tard, le trou est toujours en travaux, on ne le trouve pas assez plat et les murs pas assez hauts. On finit par tomber d’accord sur le dessin final de notre architecture et on y plante la tente… un chef d’œuvre…

Et voilà que la nuit tombe sur notre première journée éreintante en recouvrant le fond de notre cirque d’un froid glacial bien en dessous de zéro degré tout en enflammant les cimes. C’est à la fois le plus froid et le plus beau coucher de soleil de toute ma vie…

Vite, des photos avant que les doigts ne nous fassent mal et hop dans les duvets.

Nous mangeons nos lyophilisés depuis notre lit, tel le Roi-Soleil…

Il est 18 h 30… et on n’a plus rien à faire, on ne veut pas boire de thé de peur de devoir se relever la nuit. On ne peut pas lire ni jouer aux cartes, il fait trop froid. Alors on parle, emmitouflées dans nos duvets et on se raconte des blagues, d’abord des bonnes et ensuite des très nulles (les plus nulles se révèlent être les plus drôles).

Des nuits interminables avec -15°C au compteur…

Vers 20 h, on passe en mode « dodo » en remplissant nos gourdes d’eau chaude pour nous servir de bouillotte. Et là, petit problème : toutes nos gourdes sont isothermiques à l’exception d’une seule… On vote alors le pacte nocturne : on a le droit de réveiller durant la nuit la détentrice de la gourde pour procéder à l’échange du bien sacré…

Et la nuit commence… et l’insomnie aussi. Est-ce le froid, l’altitude, l’excitation ou la conjonction des trois qui nous empêche de dormir ? Les minutes ressemblent à des heures. Le but n’est même plus de chercher le sommeil mais de s’occuper l’esprit. Je réfléchis à l’aménagement de mon appartement, je me repasse des films en essayant de me souvenir des dialogues pour faire durer l’occupation. Heureusement, même après les nuits les plus longues, le jour finit toujours par arriver.

On déjeune comme le Roi-Soleil, on se brosse les dents à moitié (cela signifie qu’une seule des deux l’a fait, et ce n’était pas Ingrid). Et on démarre notre journée.

Jour

1 : le mal des montagnes

Direction le col d’Arbéron à 3 000 mètres d’altitude en contournant la rivière par une pente raide en diagonale.

Le col est merveilleux mais à peine arrivés là, je ressens un mal de tête et une fatigue intense : le mal des montagnes est possible. Alors on redescend vite de quelques centaines de mètres et on décide de faire la sieste comme deux grosses marmottes sur les rochers chauffés par le soleil… Quelle superbe journée : grand bleu et zéro vent.

Jour

2 : renoncer au col

Le jour suivant, on part explorer le vallon de la Lombarde. C’est une énorme vallée secrète dissimulée derrière des gorges un peu techniques à passer. Après des heures de marche sous un soleil de plomb avec comme seule compagnie des traces de loup et de lièvre, on arrive enfin au pied du col de l’Autaret. Et là, surprise, une plaque à vent semblable à une énorme langue domine le col et menace de se détacher… Un peu comme si le col embrassait mal et souhaitait nous faire un mauvais bisou baveux. On décide alors de ne pas y aller…

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