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Anecdote d'un jour de grimpe

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Fin juin 2022, une de ces belles journées estivales où il ne fait pas encore trop chaud pour grimper. Je me lance dans Ménage à 3 pour, qui sait, l’enchaîner avec mes méthodes si peu étudiées.

La première section de Troucage se passe à merveille, j’ai un bon rythme et les mouvements sont fluides. J’arrive au repos qui sépare la voie de Ménage à 3 et hop c’est reparti. Inversée main droite, pieds bien écartés, clipper, réglette main gauche, bouger les pieds, mono main droite, vieux plat main gauche pour aller chercher une réglette, oh surprise, que je tiens, changer de pied maintenant, ccccccrrrrrrrr… Un bruit de jean délavé qui se déchire au niveau de la fesse. Mais là, c’est mon épaule gauche qui a parlé clairement. Pas de douleur intenable, juste cette sensation que ça sent mauvais. Je lâche tout. « Euh tu peux me descendre Yves ? ». Je l’assure une dernière fois avant de rentrer chez moi avec cette sensation que je ne reviendrai pas tâter ce beau caillou avant longtemps.

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S’ensuivirent des examens médicaux en mode express ou en mode « vous n’avez rien » qui ne me rassuraient pas. J’adaptai mon quotidien et mon boulot avec ce qui s’avéra être une déchirure du bourrelet glénoïdien, après une arthroscopie. Que faire quand on a 37 balais et cette passion pour la grimpe ? Plusieurs options s’offraient à moi.

Une que j’aurais pu envisager était de simplement arrêter de grimper. Au final, j’y avais dédié 15 ans de ma vie à raison de je ne sais combien d’heures par semaine, de chaussons usés, de trips à gauche à droite, de trips à côté de chez moi et cela au détriment de tellement d’autres envies ou évidences. Je pouvais bien passer à autre chose. Serais-je devenu fou ? Ou la grimpe m’aurait-elle rendu fou plutôt ? Renoncer à tout ça ? On sait tous pourquoi on grimpe mais on s’en rend encore plus compte quand on est forcé d’arrêter. Ce plaisir d’être dehors, cette nécessité même ; assister à des spectacles de la nature différents à chaque sortie ; le kif de sentir son corps se mouvoir, de se sentir tantôt léger tantôt lourd comme un gros sac, de dépasser ses limites et puis aussi et surtout le plaisir de partager ça avec d’autres, de tisser au fur et à mesure de ces moments uniques des liens d’amitié et de confiance, de franche rigolade, de silence, de discussions intimes… Au final, l’escalade devient un prétexte pour vivre des infidélités.

La deuxième aurait été de faire le pari que ça allait se remettre au prix de séances de kiné, mais je souhaitais une solution qui allait m’assurer un résultat certain. Je passai donc sur le billard en octobre après avoir pesé le pour et le contre a priori. Les échéances classiques allaient me faire prendre mon mal en patience, loin d’être facile pour un fada de l’endorphine. Entre 3 et 6 mois avant de retravailler, 9 mois avant de retrouver ma force herculéenne et 12 mois avant de la retester sur le rocher.

Je me préparai à l’opération et à l’après comme pour une expédition hivernale face nord sans oxygène. Ma maison deviendrait le lieu de concentration d’une vie d’ermite à un bras et à deux gosses. Je préparai une dizaine de litres de soupe, quelque 5 kilos de bolo, autant de compote de pommes et plein d’autres victuailles potentiellement ouvrables ou cuisinables pour un manchot ou mes compagnons de cordée, deux enfants de 9 ans et 6 ans. Pour la vaisselle, on verrait bien. Je rentrai autant de bois que je pus n’ayant qu’un poêle pour chauffer la petite maison. La question des toilettes sèches à l’étage était celle qui me procurait le plus d’inquiétude.

Le 20, débarquement à l’hôpital à 8 h 00, avais-je fait le bon choix ? Sortie à 16 h 00 après une anesthésie générale. Réveil dans le coltar avec le bras en écharpe, sous l’effet de méga antalgiques. C’était parti pour la lente remontée du chemin de la convalescence. Est-ce aussi périlleux de s’habiller sur un portaledge qu’avec une attelle qui empêche le moindre mouvement de l’épaule ? En tout cas, pas question de faire la fine fleur niveau style. Le confort a primé. Un conseil ! Trouver un pote qui fait une voire deux taille en plus pour les tee-shirts et les pulls. Pour le bas, le jogging le plus baraki fera l’affaire. Le plus compliqué ? Mettre ses chaussettes et pisser avec un bras. Avant mon accident, je me rendais déjà compte du décalage que je vivais pour pouvoir assouvir ma passion. Ce paradoxe de se dépêcher pour aller chercher la lenteur finalement. Je courais pour aller grimper. Je le remarque encore plus aujourd’hui le vivant de l’extérieur. Ben là, je ne grimpais plus et j’avais le temps à moi, comme une sorte de soulagement. Après l’opération, ce rapport au temps et à l’espace s’est modifié davantage. Je ne pouvais plus me déplacer qu’à pied, en bus, en train ou avec du covoiturage. Ce qui me prenait avant 40 minutes montre en main me mettait maintenant 4 heures. J’ai dû m’adapter. Tout cela avec un bras qui m’en a fait baver dans la douleur, dans l’inconfort des nuits, de mon odeur (4 semaines avant une douche intégrale tout de même) et avec l’aide de plein de belles personnes.

Voilà 4 mois maintenant que je me suis fait opérer et j’ai déjà gravi pas mal de petites montagnes et regoûté à pleins de menus plaisirs comme renager la brasse comme une mamie avec un bonnet en éponge. La convalescence suit son cours. Un peu comme le travail d’une voie a ses limites. Les premiers pas m’ont semblé impossibles à effectuer. Et puis le corps, avec son intelligence propre et un peu de rigueur, la science toute bienveillante de ma kiné, s’est habitué à l’effort et je me suis grisé des progrès. Je suis encore loin du compte et avec le temps, j’ai le sentiment que la route est quand même bien lente et longue. Il y a des jours où la motivation n’est pas au rendez-vous et puis d’autres où je suis motivé à bloc après un passage aux toilettes où, à côté des mots fléchés se trouve le topo de Freyr. Et là, je pars… Je fais ma petite liste des voies à faire, à refaire… Je resue du bout des doigts devenus trop beaux trop propres. Le constat est là. J’ai le virus de la grimpe et je n’ai qu’une hâte : repuer des pieds et enfiler mon baudard et dire à mon a(mi)ssureur : « C’est bon ! ? On ze wall again ! ». Bonne grimpe et je profite de cette tribune internationale pour dire un grand merci à celles et ceux qui de près ou de loin ont pris soin de moi.

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