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Allons nous balader sur La Rambla
S Bastien Berthe
La Rambla… Une allée, une avenue, une longue chaussée ! Parcourue chaque jour par des milliers de personnes, elle est la rue la plus emblématique et la plus connue de Barcelone qui relie les quartiers les plus animés de la ville.
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Eh bien figurez-vous, fidèles lecteurs de l’A&A que ce n’est pas du tout de cette Rambla là dont je vais vous parler dans ces lignes. Celle dont je vais vous parler pourtant porte bien son nom. Une looongue ligne. La voie la plus iconique d’El Pati, le secteur le plus emblématique de Siurana, le site de grimpe le plus connu de Catalogne, la région la plus réputée d’Espagne, le pays le plus à la mode pour l’escalade à main nue (en excluant bien sûr la Belgique et sa vallée de la Meuse, entendons-nous !)
En effet, cette ligne de calcaire orange-bleu, d’une quarantaine de mètres, est une véritable chaussée d’histoire. D’abord parce qu’en 1994 Alex Huber, probablement le grimpeur le plus prolifique de tous les temps, ouvre et propose sa version courte à 8c+, l’une des voies les plus dures du monde à l’époque. Ensuite, parce qu’en 2003, c’est au tour de Ramon Julian de frapper fort : il ouvre la version longue en 9a+, ce qui en fait le 2e ou le 3e 9a+ de l’histoire (selon les versions de chacun). Depuis, la Rambla a vu passer tous les grimpeurs et grimpeuses les plus forts de la planète. Parmi eux, quelques noms familiers, et non des moindres : Sharma, Ondra, Megos, Gisolfi, Bouin, Graham,… Ainsi, la simple avenue devint légende : son début étriqué dans une fissure patinée (pour une dizaine de mètres approchant le gros 8b), sa traversée aux jetés explosifs, ses repos douloureux, et enfin son finish à doigt technique et redoutable ! En 20 ans et malgré quelques controverses et polémiques concernant l’utilisation de telle ou telle prise, on recense plus d’une grosse vingtaine d’enchaînements, ce qui fait de notre avenue le 9a+ le plus enchaîné de l’histoire. En 2017, cette allée fréquentée est au centre d’un nouveau coup d’éclat : l’américaine Margo Hayes débarque dans la place et roule littéralement sur La Rambla qui devient ainsi le premier 9a+ féminin de l’histoire ! Pour que ce boulevard ramblesque prenne enfin son statut mythique, il ne fallait plus que quelques anecdotes épicées : un Dani Andrada qui en fait sa bête noire et chute plus de 200x dans le dernier mouvement sans jamais y parvenir, l’interdiction de grimper dans la voie après la casse d’une prise, car on devait d’abord décider si oui ou non il fallait la recoller, ou encore le siège de la française Alizée Dufraize qui au bout de 10 ans s’approche dangereusement de la victoire…
Dès lors, me sachant bien en forme en passant sous la voie fin décembre dernier et en fan inconditionnel de son histoire, comment pouvais-je ne pas y mettre les doigts ? Allez, juste une petite montée pour voir, rien de plus !
Trois montées plus tard, la magie avait opéré : j’en étais obsédé ! Il me fallait essayer encore et encore jusqu’à ce que ça passe. Penser et repenser, nuit et jour, à ce morceau de caillou… Trouver la moindre astuce, essayer chaque pied, optimiser chaque repos, diminuer le tirage, analyser la position idéale des doigts sur chaque prise…
Les premières séances sont rudes ! Rudes… car mon corps est déconcerté, surpris, par la charge que je lui impose. Mes muscles sont pétris, broyés, écrabouillés par l’effort. Ma peau, suintante, fait de son mieux pour s’adapter aux contraintes du rocher coupant, mais chacun de mes doigts est affublé de son petit trou, témoin sanguinolent des batailles précédentes. Après chaque jour de grimpe, je dois prendre un jour de repos. Pourtant le corps est magnifique et s’adapte. Mes progrès sont fulgurants. C’est toujours comme ça les premières séances dans un projet, une véritable courbe de progression asymptotique ! Pour ma part, c’est souvent les 6 premières séances qui avancent bien… À partir de la 7e, il va falloir s’armer de patience, grappiller les moindres petites avancées. 10e séance, ça y est : je tombe dans les derniers mouv’, mais je sais que rien n’est joué. Nombreux sont ceux et celles qui sont arrivés dans ces derniers mouvements sans jamais avoir enchaîné la voie. Le dernier crux, la section la plus belle mais aussi la plus dure de la ligne, se compose de 3-4 mouvements sur réglettes et trous plats. Une petite compression dans laquelle il faut être précis et gainé sur les pieds. La moindre erreur, et zou, tu te retrouves dans le baudrier ! Après deux semaines de travail, la section en isolé ne me pose plus aucun problème… Par contre, la faire après 35 m d’escalade, c’est une autre histoire ! Que la bataille commence. Séance 11, j’arrive éclaté et chute ! Séance 12, rebelote. Sauf que cette fois je me sentais frais. Séance 13, je me sens particulièrement bien en arrivant dans ces fameux derniers mètres. Les conditions sont parfaites, cette fois c’est la bonne ! Mais non… Je retombe, encore une fois, à ce mouvement. Voilà que des questions prennent place dans ma tête : Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à me battre ? Suis-je en train de craquer mentalement ? Suis-je vraiment capable d’enchaîner cette voie ?
Pourtant, toutes les pièces du puzzle sont assemblées, il ne me faut qu’un seul essai pour en venir à bout. Je me persuade de cette idée, la transforme en conviction qui devient vérité.
Séance 14, je chute à nouveau au même endroit. Mais cette fois, mon mindset est différent : au lieu de chercher les causes de mon échec, je cherche les détails qui peuvent mener vers la réussite.
Séance 15, il fait froid et sec. Je suis un peu nerveux, mais pas plus que d’habitude. J’arrive à ce fameux mouvement. Je ne me sens pas mieux que les séances précédentes, sauf que cette fois, mes doigts arrivent dans la prise et mon corps se gaine. Je me bats, un vrai combat. Ça y est, il faut rester concentré pour les derniers mouvements, plus faciles. Quelques instants plus tard, je clippe le relais d’une des voies les plus mythiques du monde. Quel bonheur !
Merci à celles et ceux avec qui j’ai partagé le processus et tous ces moments de grimpe (et de tapas).