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Un mois de marche le delong la Manche…

L’aventure là où on ne l’attend pas !

ALICIA GRAFÉ – Texte et images

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Fin mai, je me lançais dans un nouveau trekking longue distance. Cela faisait un an que j’avais quitté ma vie bien rangée d’avocate pour celle de vagabonde. Depuis lors, l’eau avait coulé sous les ponts : j’avais tant gagné en expériences et en liberté ! Le cœur empli de gratitude pour ce joli tournant, je voulais marquer le coup. Et qu’y a-t-il de mieux pour fêter cela qu’un nouveau trek ?

Le plan : marcher un mois le long du littoral, sur le sentier E9. Pour être tout à fait honnête, c’est un peu au hasard que j’ai choisi l’itinéraire. Je voulais démarrer de chez moi pour limiter mon empreinte carbone et, comme j’emmenais mon chien pour la première fois, rester proche de la civilisation et des vétérinaires dont je devrais éventuellement solliciter les services.

Démarrant de Bruges, ce n’est qu’au Coq que je retrouve la mer et le soleil qui est enfin de retour après deux jours de drache ininterrompue. Ce dernier m’invite à ma première baignade, suivie, pour la première fois également, d’un bivouac dans les dunes : les prémices de ce qui fera mon quotidien pendant un mois. Je m’endors au doux son de la musique traditionnelle jouée par un groupe qui s’est installé non loin. Quelle belle entrée en la matière !

À partir d’Ostende, je réapprends à fonctionner en duo puisque je retrouve une amie qui m’accompagnera une semaine dans cette aventure. Nous marchons beaucoup en commençant et finissant tard (et en parlant autant que ce que nous marchons… C’est dire !). Nous assistons à la prestation d’une superbe fanfare à Nieuport et sympathisons avec un vieil homme qui nous cède de quoi nous offrir notre prochain apéro. Nous passons ensuite à la Panne, après laquelle nous voilà en France et désormais sur le GR120.

Parfois, l’instabilité du sol dans les dunes et le vent nous donnent du fil à retordre. Une rafale aura d’ailleurs raison de notre toit en brisant l’un des arceaux de la tente… Mais ce qui aurait pu être perçu comme une fatalité est aussi une opportunité : celle de se challenger en tirant un trait sur l’un des éléments de la liste de nos biens de nécessité. À partir de ce moment, nous dormirons donc à la belle !

L’humidité est importante en fin de nuit, mais en se glissant sous la toile de tente, on s’en sort.

Mon chien, quant à lui, est au sommet, ce qui me ravit puisqu’il s’agit de sa première randonnée longue distance.

Réveil dans les dunes (quand j’avais encore une tente).

Page précédente : Les réveils sont humides, mais vivifiants !

Les vestiges de la guerre sont nombreux sur le chemin. Bunkers, blockhaus et casemates parsèment la côte, plus ou moins dégradés par les assauts de la mer et décorés par les graffeurs.

Le sentier nous réserve de jolies surprises dans les bois et le long des canaux : il y fait doux, l’on y évolue aisément. Nous passons aussi par de splendides réserves naturelles, notamment celle du platier d’Oye.

Mais les aventures sont loin d’être terminées. À Calais, alors que nous sommes hébergées dans un studio de yoga, nous sommes réveillées par un crépitement et une lueur étrange… Le circuit d’alimentation du chauffe-eau a pris feu ! Nous parvenons heureusement à maîtriser l’incendie, quoi qu’in extremis, non sans une espèce d’euphorie sans doute suscitée par l’adrénaline.

Nous poursuivons le long du littoral dans le Pasde-Calais et découvrons avec plaisir les trésors de la côte d’Opale. Les fameux Caps Blanc-Nez et Gris-Nez méritent largement leur réputation. Depuis leurs hautes falaises de craie et de marne, situées juste en face des côtes anglaises, l’on aperçoit les côtes britanniques. La promenade sur la plage fossilisée de la baie de Wissant n’est pas moins impressionnante. C’est sur cette jolie note que mon amie me quitte.

J’accumule les frasques pendant ce tour puisque je laisse couler mon (nouveau) téléphone dans un canal…

Une fois à nouveau seule, je commence à m’intéresser aux nombreuses plantes sauvages qui parsèment le chemin. Roquette de mer et sauvage, pissenlits, cerfeuil, prêle, armoise, trèfle, carottes sauvages, origan, chénopode, plantain, bugrane, achillée millefeuille, arroche hastée, obione faux pourpier ou encore millepertuis, je m’en donne à cœur joie. C’est si satisfaisant de voir cette foisonnante nature se révéler au fur et à mesure que j’apprends à la connaître !

Je découvre avec beaucoup de plaisir le marché aux poissons de Boulogne-sur-Mer ainsi que les dunes d’Écault, la charmante baie de la Canche et sa réserve. Le sentier traverse ensuite le Touquet puis, après une longue portion sur la plage, il débouche sur Berck où je suis hébergée gracieusement, cette fois par des artistes de rue, crayeurs, avec qui je passe une nouvelle magnifique soirée, bercée par la guitare, les histoires et la bienveillance dans lesquelles je baigne.

Au fil de voyage, je reçois l’hospitalité de plus en plus souvent, alternativement recherchée ou non, couchsurfing ou impromptue. J’aime beaucoup la conjuguer avec la liberté du bivouac. C’est une manière de nourrir ma foi en l’humanité et ma créativité en me mettant en contact avec des personnes toujours infiniment plus ouvertes que la moyenne.

Souvent, le sentier littoral est détourné par l’intérieur des terres en raison de l’effondrement des falaises. Le passage est alors dangereux à la fois au sommet des éperons rocheux qui s’érodent et à leur pied en raison de la chute de pans entiers des parois. Je dois alors arbitrer, non sans certaines approximations, entre le plaisir de border la côte et celui d’assurer ma sécurité…

Je vois mes premiers phoques en entrant dans la baie d’Authie, splendide et particulièrement riche en termes de faune et flore. Au sortir de la baie, j’arrive à Fort-Mahon où je trouve encore l’hospitalité. Je m’y sentirai si bien que je déciderai d’y passer deux nuits pour m’y reposer et soigner mes bobos, mes genoux commençant à grincer quelque peu.

Après avoir traversé le paisible parc du Marquenterre, me voilà en baie de Somme où je suis encore et toujours gratifiée d’un accueil généreux la nuit. Je redécouvre avec plaisir le Crotoy, puis Saint-Valéry ainsi que les marais salins qui les séparent : de véritables joyaux en dépit de l’affluence touristique !

Le chemin est égayé par les cabines de plage multicolores et, entre la pointe du Hourdet et Cayeux, le sentier est tout simplement splendide. Je ne croise quasiment personne hormis une colonie de phoques qui se prélassent sur un banc de sable au soleil couchant : incontestablement l’une des plus belles portions de l’itinéraire depuis mon départ !

Je suis également charmée par Ault, Mers-lesBains ou encore le Tréport, d’authentiques petites villes de pêcheurs aux jolies maisons colorées à colombages qui n’ont pas encore été dénaturées par le tourisme de masse.

À Dieppe, je suis chamboulée par l’accueil d’une personne particulièrement inspirante, forte d’une incroyable expérience humanitaire et dont le prochain projet s’articule autour de la reconstruction d’une vieille écurie en vue d’en faire un lieu d’accueil pour personnes écorchées par la vie.

Cela fait 6 ans qu’il s’y attèle, tout seul, pierre par pierre… Le résultat est bluffant et le potager (en permaculture) déjà bien fourni ferait rougir n’importe quelle tomate ! Pour l’heure, je passe une belle soirée dans une yourte posée dans ce coin de paradis.

Les

presque chanter.

À Fécamp, je passe sur le GR21, dit le « sentier des falaises » qui épouse le littoral normand le long de la côte d’Albâtre. Le vent continue de souffler des rafales comme je n’en ai jamais connues ! Par moments, je dois m’appuyer de tout mon poids contre les bourrasques pour parvenir à avancer. Le sentier traverse la cordillère de falaises crayeuses qui bordent une côte déchiquetée en mutation permanente. Le dénivelé s’accumule dans les valleuses qui les séparent les unes des autres et les courants d’air créent de jolis ondoiements dans les hautes herbes que j’entends presque chanter.

Nouveauté logistique : je réclame des déchets de viande pour Tuk-Tuk dans les supermarchés/ boucheries. Super plan !

Je profite d’une très agréable pause à Fécamp où je suis hébergée par un Couchsurf de grande qualité. Nous passons des soirées entières à nous fatiguer à force de réflexions et argumentations philosophico-socio-politiques. L’une d’entre elles s’écoule sur le port, au soleil couchant, alors que nous sommes arrosés par les embruns. Vive ambiance normande ! Je retrouve aussi avec un immense plaisir une vielle amie que je n’ai plus vue depuis des années. Mues par la même soif de liberté, nous refaisons le monde en nous arrosant de vin blanc le temps d’une après-midi.

Je poursuis jusqu’au Havre sur la côte d’Albâtre qui continue de me gâter les yeux et fatiguer les jambes avec ses falaises aussi belles qu’exigeantes. Le GR21 passe bien entendu par Étretat et sa fameuse arche. Tout le monde s’agglutine au même endroit pour des motifs qui m’échappent, je suis hilare !

Arrivée au Havre , il n’y a plus vraiment de sentier. En principe je refuse d’évoluer autrement qu’à pied… mais ce qui devait être un mauvais moment à passer se prolonge pendant ce qui me semble être une éternité. Je tente vainement de tracer ma route sous un soleil de plomb dans ce port de plus de 10 hectares (le premier en France en termes de trafic conteneurisé). J’ai l’impression de me brûler le regard partout où je le pose, heurtée de plein fouet par cette réalité rendue possible par mon mode de consommation. Il n’y a pas de trottoir, pas de verdure : sur des étendues infinies, les machines ont colonisé l’espace de sorte qu’il est tout bonnement devenu impropre aux piétons. Devant le Pont de Normandie (qui me donne juste envie de m’en jeter), je me résigne : je monte dans un taxi qui m’emmènera tout droit jusqu’Honfleur qui, malgré l’affluence, m’apparaît tout à coup comme un havre (c’est le cas de le dire) de paix. Pour ma dernière journée de marche, je suis sur le GR 223 qui longe l’estuaire de la Seine et la côte Fleurie. J’atteins Deauville où je suis accueillie par une prof de country adorable rencontrée sur la plage.

Comment prétendre après un tel voyage que le bord de Manche est dénué d’intérêt à pied ? Je suis si heureuse d’avoir fait le pari inverse. J’ai été enchantée par la diversité de ce parcours et challengée par le revêtement exigeant et par le relief inattendu. Plus que jamais, je me suis immergée dans l’écosystème à travers les cueillettes, les nuits à la belle étoile et les demandes d’hospitalité. J’ai accordé ma confiance à la Manche et elle me l’a bien rendu !

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