5 minute read
La pratique de nos activités
Dans le respect de la montagne
SERGE RAUCQ & ÉRIC BERTHE
Advertisement
Notre planète est vivante.
Depuis sa formation il y a environ 4 700 millions d’années, la Terre est dans un cycle de renouvellement permanent. Les continents se forment puis se désagrègent au gré des mouvements des plaques tectoniques. Les océans subissent le même sort. Ce recyclage constant des matières et des gaz a permis l’émergence de la vie, et l’entretient avec une constance mise en évidence, paradoxalement, par les épisodes d’extinction de masse. De fait, la vie a toujours gagné. Elle a toujours trouvé son chemin malgré des épisodes de crise d’ordre cataclysmique.
Les montagnes sont des fenêtres de visite de ces cycles immémoriaux. Tout y est : orogenèse, érosion, cycles de glaciation et réchauffements, prise d’altitude et effondrements… Tout cela, nous pouvons le lire, simplement en les regardant. Elles nous montrent à la fois le passé tumultueux de notre planète, mais aussi l’avenir qui attend nos paysages.
Posons-nous un instant. La chaîne des Alpes a commencé à se former il y a de l’ordre de 65 millions d’années. Tout ce temps a été nécessaire pour qu’une mer se transforme en une énorme chaîne de montagnes ; pour que ces dernières soient façonnées par la glace, la neige, le vent, l’eau. Nous en héritons et elles nous émerveillent. Les dénivelés impressionnants rendent distants de quelques centaines de mètres des milieux par ailleurs séparés de milliers de kilomètres. En quelques heures de marche, un bon marcheur fait la jonction entre une forêt feuillue collinéenne et une pelouse alpine. Encore un effort et il côtoie un milieu semblable au continent antarctique. Cette proximité est source de diversité. Diversité des paysages, des milieux, des espèces…
Depuis le début du néolithique, l’être humain est entré dans la danse de la transformation de la montagne. Il a fondé des villages, semé des céréales, poussé ses troupeaux dans l’alpage. Par son action, l’être humain a transformé les paysages. Parfois pour le meilleur : l’ouverture des alpages a permis l’installation d’une biodiversité botanique exceptionnelle. Parfois pour le pire : la déforestation de certains versants favorise la survenance d’avalanches ou de torrents de boues dévastateurs.
Ce qui est particulièrement marquant actuellement, c’est la vitesse de la transformation. Depuis quelques dizaines d’années seulement, la montagne change exceptionnellement vite. Et toujours du fait des actions de l’être humain. Par exemple, ses ubacs verdissent à grande vitesse, vers 2 000 m d’altitude1. Ce verdissement spectaculaire est attribué au réchauffement climatique. Il pousse vers le haut des espèces végétales pionnières, avec tout le cortège animal qui l’accompagne (notamment entomologique). La biodiversité des lieux concernés est évidemment directement impactée.
Ce changement rapide impacte aussi nos activités. La neige hivernale abandonne progressivement les adrets, à moyenne altitude. Des stations comme La Clusaz souffrent de la situation. Les élus de cette dernière envisagent le creusement d’une retenue d’eau collinaire, notamment (mais pas seulement) pour nourrir les canons à neige2 Ce projet et les conséquences écologiques qui en
1 - Choler, P., Bayle, A., Carlson, B.Z., Randin, C., Filippa, G., & Cremonese, E. (2021). The tempo of greening in the European Alps : Spatial variations on a common theme. Global Change Biology, 00,000000, https ://doi.org/10.1111/gcb.15820
2 - https://www.lemonde.fr/planete/ article/2022/10/25/a-la-clusaz-suspensionde-la-construction-d-une-retenue-collinairedestinee-a-assurer-l-enneigement-de-lastation_6147268_3244.html découlent doivent interroger ceux qui parmi nous pratiquent le ski alpin. La question qui se pose à nous est de nature éthique : convient-il d’exploiter le milieu qui nous sert de terrain de jeu jusqu’à sa transformation irréversible en un lieu artificialisé, ou bien convient-il de modifier nos pratiques pour en préserver le caractère sauvage ? Le propos n’est pas de stigmatiser uniquement les pratiquants de ski alpin. De toute évidence, toutes nos pratiques sont concernées. Alors, que faire ? Faut-il abandonner nos pratiques ?
Ci-contre : Des skieurs empruntent une piste bien délimitée entre Chuenisbaergli et Boden, le mercredi 28 décembre à Adelboden, dans le canton de Berne.
Abandonner nos pratiques revient à éroder le lien intime avec la montagne, à casser la chaîne de transmission de cet émerveillement issu de la contemplation dans l’effort. Alors plutôt que d’abandonner, modérons et transformons nos pratiques. N’abandonnons pas. Ce serait contre-productif. En tant qu’utilisateurs avertis de la montagne, nous faisons partie de ses sentinelles, de ses gardiens. Agissons en tant que tels. L’article que nous avions proposé dans l’A&A 213 contenait déjà quelques idées. En voici trois supplémentaires. Vous avez d’autres idées ? N’hésitez pas à les transmettre !
Fiche pratique 1
Je choisis intelligemment mes vêtements (origine, seconde-main, impact écologique).
En moyenne, les européens achètent plus de 12 kg de vêtements par an, et en recyclent 1/3 (le reste est jeté). La production des vêtements, à l’échelle mondiale, représente plus de 1,2 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, soit plus de 3 % des émissions totales. À cela s’ajoutent les conséquences sociales du caractère mondialisé de l’industrie du textile et les impacts des microparticules rejetées lors de chaque lavage. Il est cependant hors de question de pratiquer l’alpinisme tout nu. Alors quoi ? Faut-il privilégier les vacances à la mer, avec pour seul vêtement un maillot de bain ? Bien sûr que non. Un peu de bon sens permet de minimiser l’empreinte textile : En priorité, je diminue drastiquement mes achats. Je lis l’étiquette du vêtement que je veux quand même acquérir.
1. Je rejette a priori les pays qui pratiquent le dumping social ou qui n’ont pas de politique claire en matière de respect de la nature.
2. Je me renseigne sur les matériaux utilisés et je privilégie ceux qui sont renouvelables.
3. J’évite le greenwashing (ex. : le lyocell ou le tencel sont issus de plantations d’eucalyptus qui contribuent à la déforestation).
Je ne cède pas aux sirènes de la tentation des achats encouragés par les acteurs du commerce (à ce sujet, Chamonix n’est qu’un gros shopping center auquel il importe de résister). Je conserve mes vêtements le plus longtemps possible. De temps en temps, il y a une petite réparation à effectuer… mais qu’est-ce que c’est bon de pratiquer avec des vêtements qu'on connaît par cœur. Et mieux vaut les aérer plutôt que de les laver à chaque utilisation.
Fiche pratique 2
Je me mets au rythme de la montagne.
Le monde moderne impose sa vitesse. Elle est folle. De plus en plus, nous entendons parler de « minitrips d’hiver ». Vite, vite on part vendredi en soirée pour un weekend de ski. Vite, vite on consomme la montagne puis on revient épuisé. La rencontre avec la montagne, dans ce contexte, est gâchée à l’avance. Elle est pervertie. Soufflons. Prenons le temps, prenons congé, mettons-nous en retrait. Voyageons à l’aise, sans stress. Déplaçons-nous moins et mieux. En prenant un peu le temps, nous pouvons profiter du train qui permet d’accéder à la plupart de nos sites de pratique de manière bien plus confortable avec un impact plusieurs dizaines de fois moindre que la voiture.
Fiche pratique 3
J’identifie et abandonne les activités à gros impact.
Toujours avec un peu de bon sens, j’identifie les activités dont l’impact sur la montagne et la nature en général n’est pas soutenable. Non seulement je les abandonne, mais aussi je lutte contre leur pratique. Les déposes en hélicoptère pour ski hors-piste en sont une évidente et leur nuisance doit faire consensus au sein de notre communauté. Mais sans aller jusqu’à cet extrême, reconnaissons que le ski alpin (de pistes) en fait aussi partie avec tout son florilège de conséquences nuisibles : déplacements de masse, remontées mécaniques, canons à neige artificielle (ou « de culture » pour utiliser un terme qui apaise les consciences), mise à nu et érosion des versants, logements énergivores, produits de fartage des skis,… Pérenniser ce modèle participe au dépassement de plusieurs limites planétaires dont le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, l’utilisation excessive d’eau,… Face à ce constat, une solution : STOP !